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146 avril 2012 Annexes Bibliographie / Sitographie [page 31] Biographies [page 31] Un groupement de textes sur la mélancolie [page 32] Note d’intention [page 35] Entretien avec Alexandra Rübner [page 37] Édito Un homme qui dort est la troisième œuvre publiée, en 1967, de Georges Perec. C’est l’histoire d’un étudiant qui traverse une période de désintérêt total pour le monde, une sorte de dépression, et dont on suit l’évolution, l’enfermement et les errances, jusqu’à l’éclaircie finale. C’est un récit de Georges Perec qui n’est pas écrit pour le théâtre et dont les particularités posent de multiples questions quant au passage à la scène : une narration atypique à la deuxième personne ; une interaction entre l’espace intérieur, sensoriel du personnage, celui de la chambre avec ses objets, et celui de la ville où il déambule ; l’exploration d’un sentiment qu’on peut nommer mélancolie. C’est un spectacle du théâtre de la Demeure, mis en scène par Alexandra Rübner qui jusque-là s’est consacrée à l’univers baroque. Son projet, à travers l’adapta- tion scénique d’Un homme qui dort, est de mettre au jour une expérience extrê- mement aiguë à laquelle nous pouvons tous être assujettis. Pour cela, elle crée un langage théâtral dont le champ d’exploration est celui de l’intime. Les propositions de travail avant le spectacle amèneront donc les élèves à s’in- terroger activement sur ces enjeux. Comment raconter au théâtre ? Comment représenter les espaces hétérogènes où évolue le personnage ? Comment repré- senter une expérience intime ? Après la représentation, d’autres activités les feront réfléchir aux choix de la compagnie concernant la scénographie, le jeu et la mise en scène. Avant de voir le spectacle : la représentation en appétit ! Un homme qui dort : un texte à dire ? [page 2] L’espace [page 6] Raconter ou incarner ? [page 8] Un langage scénique pluriel [page 11] Après la représentation : pistes de travail Pour commencer [page 13] Une scénographie riche et complexe, à se remémorer et à interpréter [page 13] Les personnages, êtres vivants ou présences mortes ? [page 19] Des objets et des hommes [page 26] Un parcours initiatique [page 28] Un homme qui dort Texte de Georges Perec Mise en scène d’Alexandra Rübner au Trident, scène nationale de Cherbourg-Octeville, du 3 au 12 mai 2012 Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau SCÉRÉN en partenariat avec le Trident, scène nationale de Cherbourg-Octeville. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris. © REBECCA GUIBERT Retrouvez sur  http://www.cndp.fr/crdp-paris/ l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée »

Un homme qui dort - Atelier Canopé Pariscrdp.ac-paris.fr/piece-demontee/pdf/un-homme_total.pdf · 2 n° 146 avril 2012 Avant de voir le spectacle La représentation en appétit !

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  • n146 avril2012

    Annexes

    Bibliographie / Sitographie [page 31]

    Biographies [page 31]

    Un groupement de textes sur la mlancolie [page 32]

    Note dintention [page35]

    Entretien avec Alexandra Rbner [page37]

    ditoUn homme qui dort est la troisime uvre publie, en 1967, de Georges Perec.Cest lhistoire dun tudiant qui traverse une priode de dsintrt total pour le monde, une sorte de dpression, et dont on suit lvolution, lenfermement et les errances, jusqu lclaircie finale. Cest un rcit de Georges Perec qui nest pas crit pour le thtre et dont les particularits posent de multiples questions quant au passage la scne: une narration atypique la deuxime personne ; une interaction entre lespace intrieur, sensoriel du personnage, celui de la chambre avec ses objets, et celui de la ville o il dambule ; lexploration dun sentiment quon peut nommer mlancolie.Cest un spectacle du thtre de la Demeure, mis en scne par Alexandra Rbner qui jusque-l sest consacre lunivers baroque. Son projet, travers ladapta-tion scnique dUn homme qui dort, est de mettre au jour une exprience extr-mement aigu laquelle nous pouvons tous tre assujettis. Pour cela, elle cre un langage thtral dont le champ dexploration est celui de lintime.Les propositions de travail avant le spectacle amneront donc les lves sin-terroger activement sur ces enjeux. Comment raconter au thtre ? Comment reprsenter les espaces htrognes o volue le personnage? Comment repr-senter une exprience intime? Aprs la reprsentation, dautres activits les feront rflchir aux choix de la compagnie concernant la scnographie, le jeu et la mise en scne.

    Avant de voir le spectacle : la reprsentation en apptit !

    Un homme qui dort : un texte dire ? [page 2]

    Lespace [page6]

    Raconter ou incarner ? [page 8]

    Un langage scnique pluriel [page 11]

    Aprs la reprsentation : pistes de travail

    Pour commencer [page 13]

    Une scnographie riche et complexe, se remmorer et interprter [page 13]

    Les personnages, tres vivants ou prsences mortes ? [page 19]

    Des objets et des hommes [page26]

    Un parcours initiatique [page 28]

    Un homme qui dort

    Texte de Georges PerecMise en scne dAlexandra Rbner

    auTrident,scnenationaledeCherbourg-Octeville,du3au12mai2012

    Les dossiers pdagogiques Thtre et Arts du cirque du rseau SCRN en partenariat avec le Trident, scne nationale de Cherbourg-Octeville. Une collection coordonne par le CRDP de lacadmie de Paris.

    REBECCA GUIBERT

    Retrouvezsur http://www.cndp.fr/crdp-paris/lensembledesdossiersPice(d)monte

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    Avant de voir le spectacle

    La reprsentation en apptit !UN HOMME QUI DORT : UN TEXTE DIRE ?

    b On demande aux lves de rflchir au titre du roman, qui est aussi celui du spec-tacle, en leur donnant cette consigne : for-mulez des hypothses sur le sens du titre ; que vous laisse-t-il attendre concernant le spectacle ?Il paratra peut-tre dabord paradoxal auxlvesdereprsenterunhommequidort:comment reprsenter linactivit ? Peut-onjouerlesommeil?Ilfautalorssinterrogersurle verbe dormir , qui renvoie rver ,peut-tre.Onpeutenvisager la reprsentationdesrvesdunpersonnage,rvesdusommeilourves de la fantaisieDormir, cest peut-treaussitrepassif,nepasprendreenchargesavieParailleurs, le titrenidentifiepasdeperson-nage:larticleindfinignralise.Lespectateurpourra tre invit partager une expriencecommune.Pourenrichirleshypothses,onpeutdemanderaux lves de terminer la phrase, dadjoindreungroupeverbalunhommequidort,quidevientalorslesujetdunephrase.

    CetitreestinspirdeMarcelProust,quidve-loppeaudbutdeDu ct de chez Swann,desobservationssurlerapportentreltatdeveilleetlesommeil:Unhommequidorttientencercleautourdeluilefildesheures,lordredesannesetdesmondes.LeromandeGeorgesPerec dveloppe souvent les sensations dupersonnage au moment de lendormissementoudu rveil, ouune sortede confusionentreveille et sommeil, rve et rel. Le titre estreprisplusieursfoisdansluvre,cequifaitdusommeilunmotif.LaphraseTudorsrevientrgulirement.Le thme du sommeil importe parce que lepersonnage y passe du temps, quil sagissedunvritablesommeiloudunsommeilveill,dunelthargie.Letitrepeutdoncpasserpourunemtaphoredesontatintrieur.lader-nirepage,laphraseCessedeparlercommeun homme qui rve est mise en vidence,seuledansunparagraphe.

    b On propose aux lves une premire confrontation avec le texte pour mettre en vidence une particularit, la narration la deuxime personne, qui soulve des ques-tions quant au passage la scne.On distribue des groupes de deux, trois ou quatre lves de courts extraits du texte de Georges Perec et on leur demande den prparer une lecture orale et une mise en espace. Il est intressant de donner le mme extrait plusieurs groupes, afin de comparer les propositions.

    Pour mettre en vidence un enjeu essentiel,pourcetexte,dupassagelascne,oninsistesur les consignes suivantes, que lon prciseselonledegrdaisancedeslves. Les lecteurs doivent adresser clairementle texte ( eux-mmes, aux autres acteurs-lecteurs,auxspectateurs,au-deldelasalleoonsetrouve).Leslecteursdoiventdciderdeleurpositiondanslespacedejeuetdeleurrapportaupublic(lepronomtupeutinvitersadresserauxspectateurs,mais ce nest quune possibilit ;lechoixdelaproximitoudelloignement,de

    Le titre

    Qui parle ? Qui ?

    Pourcettecration,lethtredelaDemeureachoisiuntextequinestpasaudpartdestinlascne.IlestbiensrtrsintressantdefairelireettudierUn homme qui dort,envuedesaconfrontation avec ladaptation scnique ; cest loccasion dexplorer lunivers de Georges Perecdunepartet,dautrepart,deseposerdesquestionsessentiellessurcequecestqueraconterauthtre.Maissalectureintgralenestpasindispensable.

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    Extraits pour les lectures

    ladispersionoudu regroupementproduiradeseffetsdiffrents).Legroupedoit rflchir lapriseenchargedutexteparsesdiffrentsmembres(lalecturepeuttrefaiteparunlecteurouenchur;quefontceuxquinelisentpas?).Aprs chaque prsentation, on demande auxlves spectateurs qui parle qui, et qui lepronom tu reprsente. Il est probable queparmilespropositions,ontrouvera:undouble(on peut mme envisager lide dun doublecorps),unpersonnagerecevantdesindicationsdun donneur dordres (un acteur dunmetteuren scne), le public On cherche aussi formulerlintentionduoudeslecteurs.Onana-lyseleseffetslislaplaceetlapositiondeslecteurs. Lexercice gagnera tre retravaillavecdesconseilsdesautreslvesetde len-seignant,sicespointsnesontpasprcismentperusparlepublic,ousidesidesmergentaucoursdelanalyse.

    Tuesassis,torsenu,vtuseulementdunpantalondepyjama,danstachambredebonne,surltroitebanquettequitesertdelit,unlivre,lesLeons sur la socit industrielle,deRaymondAron,possurtesgenoux,ouvertlapagecentdouze.Cestdabordseulementuneespcedelassitude,defatigue,commesitutapercevaissou-dainquedepuistrslongtemps,depuisplusieursheures,tueslaproiedunmalaiseinsi-dieux,engourdissant,peinedouloureuxetpourtantinsupportable,limpressiondtresansmusclesetsansos,dtreunsacdepltreaumilieudesacsdepltre.Lesoleiltapesurlesfeuillesdezincdelatoiture.Enfacedetoi,lahauteurdetesyeux,surunetagredeboisblanc,ilyaunboldeNescafmoitivide,unpeusale,unpaquetdesucretirantsurlafin,unecigarettequiseconsumedansuncendrierpublicitaireenfausseopalineblanchtre.

    GeorgesPerec,Un homme qui dort,Gallimard,coll.Folio,1990,p. 17-18.ditionsDenol,1967

    Lutilisation de la deuxime personne sembleinspire de Franz Kafka dont une citation estmiseenexerguedUn homme qui dort.GeorgesPerecparledelalecture,outrancedecetteuvre pendant quil crivait Un homme qui dort, dontelle adoncpu inspirer ladeuximepersonneinsolite.Onvoitbienuneparentdethme : solitude, ddoublement, rapport diffi-cileaumonde.

    ChezFranzKafka,ilnesagitpasdunrcit,etla deuxime personne est demble comprisecomme le ddoublement de lmetteur quisadresse lui-mme. Chez Georges Perec, lestatutdutuestdifficiledcider,dautantplusquaucunjenaideledfinir,cequicre un effet dtranget. La question Quiparle qui ? se pose sans cesse. Elle estessentielle pour ladaptation scnique, qui estobligedechoisirparmilespossibilitsdnon-ciationouvertesparletexte.Naviguantentrelepersonnage,lenarrateuretlelecteur,letupeutprendrediffrentesvaleurssuccessivesousimultanes.Cette activit permet aussi de faire connais-sanceaveclesthmesdeluvre,avecleper-sonnageetsasituation.

    Extrait 1

    Ilnestpasncessairequetusortesdetamaison.Restetatableetcoute.Ncoutemmepas,attendsseulement.Nattendsmmepas,soisabsolumentsilencieuxetseul.Lemondeviendrasof-frirtoipourquetuledmasques,ilnepeutfaireautrement,extasi,ilsetordradevanttoi.

    FranzKafka,Mditations sur le pch, la souffrance, lespoir et le vrai chemin.

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    Ilyeutdesjournescreuses,lachaleurdanstachambre,commedansunechaudire,commedansunefournaise,etlessixchaussettes,requinsmous,baleinesendormies,danslacuvettedematireplastiquerose.Cerveilquinapassonn,quinesonnepas,quinesonnerapaslheuredetonrveil.Tuposeslelivreouvertctdetoi,surlabanquette.Tuttends.Toutestlourdeur,bourdonnement,torpeur.Tutelaissesglisser.Tuplongesdanslesommeil.

    Ibid.,p. 30.ditionsDenol,1967

    Aufildesheures,desjours,dessemaines,dessaisons,tutedprendsdetout,tutedtachesdetout.Tudcouvres,avecpresque,parfois,unesortedivresse,quetueslibre,queriennetepse,neteplatninetedplat.[]Tuconnaisunrepostotal,tues,chaqueinstant,pargn,protg.Tuvisdansunebienheureuseparenthse,dansunvidepleindepromessesetdonttunattendsrien.Tuesinvisible,limpide,transparent.Tunexistesplus:suitedesheures,suitedesjours,lepassagedessaisons,lcoulementdutemps,tusurvis,sansgaietetsanstristesse,sansaveniretsanspass,commea,simplement,videmment,commeunegouttedeauquiperleaurobinetdunpostedeausurunpalier,commesixchaussettestrempesdansunebassinedematireplastiquerose,commeunemoucheoucommeunehutre,commeunevache,commeunescargot,commeunenfantoucommeunvieillard,commeunrat.

    Ibid.,p. 76-77.ditionsDenol,1967

    Tudorspresquesansarrt,tulavesteschaussettes,tesdeuxchemises.Turelisunromanpolicierquetuasdjluvingtfois,oublivingtfois.Tufaislesmotscroissdunvieux Mondequitrane.Tutalessurtabanquettequatrerangesdetreizecartes,turetireslesas,tumetsleseptdecuraprslesixdecur,lehuitdetrfleaprsleseptdetrfle,ledeuxdepiquesaplace,leroidepiqueaprsladamedepique,levaletdecuraprsledixdecur.Tumangesdelaconfituresurdupain,tantquetuasdupain,puissurdesbiscottes,situenas,puislapetitecuiller,danslepot.Tuttendssurtabanquettetroite,mainscroisesderrirelanuque,genouxhaut.Tufermeslesyeux,tulesouvres.Desfilamentstordusdriventlentementdehautenbaslasurfacedetacorne.Tudnombresetorganiseslesfissures,lescailles,lesfaillesduplafond.Turegardestonvisagedanstonmiroirfl.

    Ibid.,p. 88-89.ditionsDenol,1967

    Extrait 3

    Extrait 4

    Extrait 5

    Turestesdanstachambre,sansmanger,sanslire,presquesansbouger.Turegardeslabas-sine,ltagre,tesgenoux,tonregarddanslemiroirfl,lebol,linterrupteur.Tucouteslesbruitsdelarue,lagouttedeauaurobinetdupalier,lesbruitsdetonvoisin,sesracle-mentsdegorge,lestiroirsquilouvreetferme,sesquintesdetoux,lesifflementdesabouilloire.Tusuissurleplafondlalignesinueusedunemincefissure,litinraireinutiledunemouche,laprogressionpresquereprabledesombres.Ceciesttavie.Ceciesttoi.Tupeuxfairelexactinventairedetamaigrefortune,lebilanprcisdetonpremierquartdesicle.Tuasvingt-cinqansetvingt-neufdents,troischemisesethuitchaussettes,quelqueslivresquetunelisplus,quelquesdisquesquetuncoutesplus.

    Ibid.,p. 24.ditionsDenol,1967

    Extrait 2

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    Tupliestesvtementsavantdetecoucher.Tunettoiesfondtachambrechaquesamedimatin.Tufaistonlitchaquematin,tuterases,tulavesteschaussettesdansunebassinedematireplastiquerose,tuciresteschaussures,tutelaveslesdents,tulavestonbolettulessuiesettuleposesaummeendroitsurltagre.Tuouvreschaquematin,lammeminute,aummeendroit,delammefaon,labandedepapiergommquifermetonpaquetquotidiendegauloises.

    Ibid.,p. 121.ditionsDenol,1967

    Un homme qui dort raconte ce quon pour-rait nommer la dpres-sion dun tudiant ensociologie qui vit dansune chambre de bonne,dans un immeuble pari-sien. lorigine de ladpression, un malaisedenpartieauxcircons-tances:chaleur,exigut

    du lieu, dnuement matriel. Au fil du rcit,lindiffrence au monde, le dtachement detout sinstallent. Alternativement, ltudiantreste enferm dans sa chambre, lieu de lim-mobilit,ouarpenteParis,lieudelerrance.Lachambreestunebulledesolitude, lecentredumonde,laplusbelledeslesdsertes,mais aussi un lieu triqu de claustration.

    Cependant,lemondeextrieuryestrendupr-sent par les bruits : un voisin, le poste deausurlepalier,lesautreshabitantsdelimmeuble,lesbruitsdelarue,larumeurdelaville.Paris,undsertquenulna jamais travers, estparcouru par le personnage au fil ditinrairescalculsouderrances.Lavilleapparatunpeuaussiparlesallusionssaviedtudiant,ettravers denombreuxnomsde lieux. Ltudianty demeure solitaire au milieu de lagitation.Une sorte dvolution se discerne, depuis uneindiffrencecroissante jusqu lhorreurdevantlamonstruositdumondeetdeshumains.lafin,lepersonnageserendcomptedelinutilitde lindiffrence.Mais ladernirephrase,Tuattends,placedeClichy,que lapluiecessedetomber,neclturepaslercit;onnesaitpassilatriomphdesonindiffrenceaumonde.

    Rsum de luvre

    Parfois,pendantdessoiresentires,demitendusurtabanquettetroite,sansautrelumirequelaclartpleetdiffusequipasseparlafentremansardeetqueseulrehausse,presquergulirement,lefoyerrougeoyantdetacigarette,tucoutestonvoi-sinalleretvenir.Lacloisonquisparevosdeuxchambresestduneminceurtellequetuentendspresquesarespiration,quetulentendsencorelorsquiltraneenchaussons.Tuessaiessouventdimaginersonallure,sonvisage,sesmains,cequilfait,songe,sespen-ses.Tunesaisriendelui,tunelasmmejamaisvu,peut-tretoutaupluslas-tucroisunjourdanslescalier,tes-tucollcontrelaparoipourlelaisserpasser,maissanssavoiralors,sanspouvoiraffirmerquilsagissaitdelui.Tunecherchespaslevoirdailleurs,tunentrebillespastaportelorsquetulentendssortirsurlepalierpourremplirsabouilloireaurobinetdupostedeau,tuprfreslcouteretlefaonnertaguise.

    Ibid.,p. 123-124.ditionsDenol,1967

    Extrait 7

    Extrait 6

    GEORGES PEREC, UN HOMME QUI DORT, COLLECTION FOLIO

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    n146 avril2012

    b On demande dimaginer, par petits groupes, une scnographie. La rflexion se fondera, dune part, sur les quelques textes prsents ci-dessous et sur diffrents extraits dEs-pces despaces de Georges Perec, qui pr-sentent ou voquent les espaces htrognes de la chambre, de limmeuble et de la ville. Dautre part, la compagnie a employ cer-taines uvres dart comme sources dinspira-tion pour la scnographie. On fait faire une recherche aux lves, au CDI ou sur Internet,

    pour quils en prennent connaissance (voir la liste ci-dessous). Ils en choisissent une ou deux dont ils sinspirent leur tour pour leur projet.On peut prciser la consigneen demandant : une scnographie qui reprsente lespace mental du personnage; ou un dispositif qui puisse rendre compte du rapport entre lintrieur de la chambre et le monde extrieur.

    lespace

    Quelslmentsdutextepermettentdaboutirlacrationdunespacescnique?Onverradabordcequidonnedespistespourlespacedejeu,puiscequiconcernelesobjets.

    Quel espace de jeu ?

    La rflexion sur lespace est une constantedans luvre de Georges Perec. Dans Espces despaces, en 1974, lcrivain se prsente enusagerdelespacequisinterrogesurcettedimensionde lexistencehumaine.Cette inter-rogation est dj luvre dans Un homme qui dort,dontlelieucentralestlachambreetmme le lit, autour desquels rayonne lespacedelimmeubleetdelaville.DiffrentespartiesdEspces despaces renvoient dailleurs auxlieuxosancreUn homme qui dort:Lelit, La chambre , Limmeuble , La ville .Comment traiter ces interrogations sur le pla-teau?LeslmentsprsentsdansletextedeGeorgesPerecquipermettentdimaginerunescnogra-phiesorganisentendeuxples.

    La chambre. Lespace de la chambre estfondamental dans le rcit. La chambre, cettechambre, participe la naissance du malaisedu personnage. Elle est dcrite plusieurs fois,selonunsystmederptitionsetdevariantes.PourAlexandraRbner,cestunedonnedes-paceconstitutivedufondetunembrayeurdimaginaire. Lextrieur. Si le noyau de la chambre estessentiel dans le roman, lextrieur nest pasmoinsprsentetimportant.Ilestorganisencercles concentriques qui peuvent communi-quer:lappartement,limmeuble,laville.Ainsi,le bruit de limmeuble ou de la ville parvientdanslachambre.Lespacedelavilleestmontrcommelieuduneerrancebienoumalvcue.

    REBECCA GUIBERT

    Photographiedunerptition

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    n146 avril2012Extraits pour un projet de scnographie

    Etsilfautundcortavie,cenestpaslamajestueuseesplanade(gnralementunespectaculaireillusiondeperspective)osbattentetsenvolentlesenfantsauxjouesrougesdelhumanitconqurante,mais,quelqueeffortquetufasses,quelqueillusionquetubercesencore,cestceboyauensoupentequitesertdechambre,cegaletaslongdedeuxmtresquatre-vingt-douze,largedunmtresoixante-treize,soituntoutpetitpeuplusdecinqmtrescarrs,cettemansardedotunasplusbougdepuisplusieursheures,plusieursjours:tuesassissurunebanquettetropcourtepourquetupuisses,lanuit,tytendredetouttonlong,troptroitepourquetupuissestyretournersansprcaution.Turegardes,dunilmaintenantpresquefascin,unebassinedematireplastiquerosequinecontientpasmoinsdesixchaussettes.

    GeorgesPerec,Un homme qui dort,Gallimard,coll.Folio,1990,p. 23-24.ditionsDenol,1967

    Turestesdanstachambre,sansmanger,sanslire,presquesansbouger.Turegardeslabas-sine,ltagre,tesgenoux,tonregarddanslemiroirfl,lebol,linterrupteur.Tucouteslesbruitsdelarue,lagouttedeauaurobinetdupalier,lesbruitsdetonvoisin,sesracle-mentsdegorge,lestiroirsquilouvreetferme,sesquintesdetoux,lesifflementdesabouilloire.Tusuissurleplafondlalignesinueusedunemincefissure,litinraireinutiledunemouche,laprogressionpresquereprabledesombres.

    Ibid.,p. 24.ditionsDenol,1967

    Tutranes.Tuimaginesunclassementdesrues,desquartiers,desimmeubles:lesquartiersfous,lesquartiersmorts,lesrues-march,lesrues-dortoir,lesrues-cimetire,lesfaadespeles,lesfaadesronges,lesfaadesrouilles,lesfaadesmasques.Tulongeslespetitssquares,dpassparlesenfantsquicourentenlaissantglissersurlesgrillesunergledeferoudebois.Tutassiedssurdesbancsdelattesvertesauxpiedsenfontesculptsenformedepattesdelion.Devieuxgardiensinfirmesdiscutentavecdesnursesdunautrege.Aveclapointedetachaussure,tutracesdanslaterrepeinesableusedesronds,descarrs,unil,tesinitiales.

    Ibid.,p. 59.ditionsDenol,1967

    Extrait 1

    Extrait 2

    Extrait 3

    AutresextraitsdeGeorgesPerec,Espces despaces,Galile,1974:chansonciteaudbut,page16;Lachambre,page36;Laville,page87;Lespace,page11.

    b Tche finale: prsentez la classe, en expliquant vos choix, un croquis ou une maquette sommaire du projet de scnographie.

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    n146 avril2012

    Raconter ou incarner ?

    Unequestionessentiellequi sepose lorsquun texte romanesqueestportauplateauest celledesaprofration.Dautantpluspourcelui-ci,dpourvudetoutdialogue.Letextesera-t-ilprisenchargeparuncomdiennarrateurquiportera laparolede lauteur?Lepersonnagesera-t-ilincarn?Quelseralestatutduoudescomdien(s)?Pouramenerleslvesrflchirsurlesdiversespossibilits,entrenarrationetincarnation,onpeutentrerunpeuplusdanslesthmesdveloppsparletexte.

    Le visuel dun prcdent spectacle dAlexandra Rbner, Le Buveur dther.DesphotographiesdAndrKertesz,enparticulierToits de Paris, Place Gambetta ouEast River Esplanade. Des tableaux dEdward Hopper, par exemple Morning Sun ouExcursion into philosophy. Une photographie de linstallation de Maurizio Catellan,Bidibidobidiboo. Selon, la metteure en scne, cest luniversrecherch.The Art of living,uneillustrationdeSaulSteinbergquifiguresurlacouverturedelditiondepochedeLa Vie mode demploi.

    Onlauraconstatdanslesextraitstravaills,GeorgesPerecporteunegrandeattentionlordi-naire,cequonvoitouentendsans,dhabitude,leremarquer,quilnomme,dansunepublicationposthume, linfra-ordinaire.On retrouve,dansplusieursdesesuvres,cesoucidinterrogerlhabituel,lequotidien,maisaussilafaondontnousleregardonsetdontnouspouvonsenrendrecompte.CettedimensionestpriseencompteparlethtredelaDemeure.

    Les choses

    REBECCA GUIBERT

    Des uvres sources dinspiration

    b On rpartit entre des groupes dlves de courts extraits pris dans les textes proposs plus haut, qui numrent ou dcrivent des objets. On demande pour chaque texte une recherche iconographique qui peut prendre diffrentes formes. Les lves trouvent, grce aux ouvrages du CDI ou sur Internet, un tableau, une photo-graphie..., qui pose le mme type de regard sur les choses. Si on manque de temps, lenseignant propose lui-mme des noms dartistes. La photographie dAndr Kertesz (La Fourchette) qui illustre la couverture de la collection Folio dUn homme qui dort est un bon exemple. On peut orienter les lves vers dautres uvres de ce photographe, comme tude de matire (Bol avec des cubes de sucre). Beaucoup sont visibles sur le site

    de la RMN. On peut aussi leur suggrer de rechercher des natures mortes de Giorgio Morandi. On les encourage prendre eux-mmes des photographies.

    b On peut aussi faire crire de courts textes la manire de Georges Perec, o on demandera aux lves dtre attentifs l infra-ordinaire , et sa perception par loue aussi bien que la vue. Ces textes peuvent galement tre illustrs.

    b Tche finale : faites la lecture voix haute dun extrait dUn homme qui dort ou dun texte que vous aurez crit la manire de Georges Perec; accompagnez-la dune ou plusieurs images que vous aurez trouves ou ralises.

    Visuel du Buveurdther

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    n146 avril2012

    Reprsenter une exprience intime

    Un homme qui dortestlercit,oulecompte-renduduneexprienceintrieure,intime,soli-taire. Lintimit peut se dfinir comme uneconscience des frontires entre le dedans etle dehors. Ltudiant prend la mesure de sonrapportaumonde,deslimitesoudelaporositquil entretient avec lui. Quest-ce quil reoitdumonde?Commentsedfinit-ilpar rapport

    lui ? Quelles barrires peut-il lui opposer ?Jusquo peut-il aller dans sa propre dsagr-gation?Comment reprsenter une telle exprience ?Comment et pourquoi montrer lintime, lecach,lindividuel?Pourlametteureenscne,cestunedimension commune tousquidoittreinterrogeparlethtre.

    Lethtredoitapportera.Silnyapasquelquechosedintime,deprofondquiestvisitetreu,onpassectdelancessitduthtre.Ildoittoucherlintime.Certes,lethtreestparfoispiqueoupolitique,ressortitplusunesphrecollective.Maismmedanscespropositions-l,ilyaquelquechosedintimesaisirettransmettre.Laforceduthtreestdenousmenercetendroit-l.Lestextesduspectacleproposentlintimecommesphre,champdexploration,rseaudesignifications;cequienfaituneformedethtresingulire.Beaucoupdcrituresthtralessintressentcela,commeTchekhov.

    AlexandraRbner

    b Pour amener dabord les lves sin-terroger sur cette notion dintime, se demander ce quelle signifie pour eux, on les engage une exploration. On peut, par exemple, proposer une exprience de lcoute du silence qui parfois nous entoure. Pour cela, les lves mettent leur tte dans leur bras pour sisoler les uns des autres pendant 5 10 minutes au cours desquelles on les aura invits tre attentifs leurs

    sensations, aux images qui leur viennent. Ensuite, les lves notent une couleur, une odeur, un bruit, une pense, une envie, un sentiment, une impression. Puis ils crivent un texte anonyme, la deuxime personne, qui contiendra les mots crits sur le papier. Ce texte sintitulera : Dans ton silence intime . Pour finir, on peut changer les textes entre les lves et les lire voix haute, sans obligation.

    Cetteactivitest loccasiondamener laquestiondesavoircommentonpeutrendrecomptedecettedimensionintimeetprofondeauthtre.

    Jouer un tat intrieur

    Commentfairepercevoirauspectateurcettatdu personnage ? Sa reprsentation passera-t-elle par le rcit qui en est fait, port parun comdien narrateur ? Le personnage sera-t-il incarn ? On peut rappeler les premireslectures dextraits, qui ont permis de voirles effets dune parole qui tmoigne sans

    incarner. Il est alors intressant de chercherconcrtement et modestement commentonpeutjouerlintimit.Lametteureenscnenomme mlancolie ltat intrieur dupersonnagedeltudiant;onutiliseradoncceterme.

    b On propose aux lves de rflchir sur lincarnation dun personnage touch par la mlancolie, par des mises en jeu. On divise la classe en deux groupes, lun dacteurs, lautre de spectateurs, et on inverse ensuite. Les acteurs sont face au public. Lenseignant nonce successivement des noms de senti-ments, variantes de la mlancolie: la colre, la tristesse, ltonnement, lennui, labsence totale de rflexion, la dpression, lindiff-rence. chaque annonce dun sentiment, les

    lves prsentent une expression de visage qui lexprime. Galerie de statues : les lves acteurs se figent en statues de la mlancolie qui mettent en jeu tout le corps. Les lves spectateurs circulent parmi les statues. Ils peuvent les commenter et proposer des modifications. Statue collective: un premier lve acteur vient se placer dans lespace de jeu et se fige dans une pose exprimant la mlancolie

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    b Dans les extraits commenant par Tu dors presque sans arrt et Tu plies tes vte-ments, soulignez ce qui peut tre utilis comme des didascalies.

    Jouer les gestes du quotidien

    Laquestiondubalancemententrenarrationetincarnationdupersonnageconcerneaussiuneautredimension, cellede limportancedonneauxobjetsetauxgestesduquotidiendansUn homme qui dort.On a vu combien le texte relve de lintrtde Georges Perec pour ce quil nomme linfra-ordinaire.Celaconcernelesobjetseux-mmes,mais aussi ce quon en fait, les gestes parlesquelsonlesutilise,demmequelesbruits

    ordinaires.PourAlexandraRbner,cestaussienreprsentant les gestes quotidiens quon peutdonnertoutesonimportanceladimensiondelintime.Dailleurs, lesgestessontaucurdutexte,etlacratriceditparplaisanterie:Ilnyaqufairecequildit.Denombreuxpas-sagesseprsentent,eneffet,commeunesuitede notations purement factuelles, incluant denombreuxgestes.

    Cestlexplorationdecesentimentquiestpourlametteureenscneaucentredelacration.LespectacleUn homme qui dortestconucommelepremierdun triptyque intitulMelancholia.Cetriptyquecorrespondratroispoques,troisfaonsdevoirlamlancolie.LuvredeGeorgesPereccorrespond,chronologiquement,lader-nirepoquemais il sera lepremierspectacleet lapierredangledelensemble,sur laquellelesdeuxautresvolets reposeront.Lexpressiondelamlancolieseradonclethmecentraldestrois spectacles. Alexandra Rbner considrequeGeorgesPerec est le visage contemporain

    de cette mlancolie, que, grce son texte,lauteurtouchedemanireaigucequenousvivonsaujourdhui.Lesautresvoletsenvisagsdutriptyqueconcernentdeuxautrescrivains:RobertBurtonquiapubli,en1621,Anatomie de la mlancolieetJeanLorraintravers,parexemple,leromanMonsieur de Phocas(1903).Ils donnent dautres visions du mme senti-ment,dautresinterprtationsdesmmessymp-tmes. Une tude littraire de ce sentimentpeuttreunprolongementouunpralabledelareprsentation.Ungroupementdetextessurlamlancolieestproposenannexe.

    REBECCA GUIBERT

    (il importe l aussi que tout le corps soit en jeu). Chacun leur tour, les autres le rejoignent avec la mme consigne, pour finir par former une sculpture collective.

    Chaque acteur doit avoir au moins un point de contact avec la statue collective. Les spectateurs peuvent commenter la sculpture et tenter de la reproduire en miroir.

    Photographiedunerptition

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    Il faut, travers ces activits, amener les lves seposer la questionde larticulation entretexteetjeu.Un homme qui dortestengrandepartieuntextedescriptif:commentlareprsen-tationprendra-t-ellecettedimensionencompte?Letextesera-t-ilredoubl,voireillustrparlejeu?Sera-t-ilpluttfaitappellimaginaireduspectateur?Cestunepistedobservationdelareprsentation.

    un langage scnique pluriel

    La fiche technique

    UnenotedintentiondelametteureenscnepeuttreconsultedansleprogrammeetsurlesiteduTrident,scnenationaledeCherbourg-Octeville(cf.annexeouhttp://www.trident-scenenatio-nale.com/spectacle/Theatre/Un_homme_qui_dort/468).Lenseignantauratoutintrtenprendreconnaissance.Mais,encequiconcerneleslves,ellerisquededvoilertropdlmentsconcretsduspectacledontilestprfrabledegarderlafracheurpourlejouroilsverrontlareprsenta-tion.Enrevanche,laconsultationdelafichetechniqueduspectacleetlobservationdelaffiche,galementprsentedansleprogrammeetledossierenligne,crerontdesquestionnementsetdesattentespourunevisionactivedelareprsentation.

    Production:thtredelaDemeureMiseenscne:AlexandraRbnerScnographieetcostumes:HloseLabrandeMusiquesoriginalesetcrationsonore:ArandelCrationetrgievido:ArthurMichelRgieplateau:VictorEgaAvec:AlexandraRbner,AnthonyLefol,Arandel

    b On demande aux lves de choisir un geste du quotidien et de le jouer devant leurs camarades, en utilisant ventuellement un objet.Ce geste peut tre choisi dans les extraits dUn homme qui dort, ou dans les propos dAlexandra Rbner ci-dessus, ou encore dans le quotidien des lves.Les lves doivent se poser ces questions : comment le donner voir ? le rendre intressant? Comment se dcompose-t-il?

    Comment peut-il devenir une mini-squence dramatique avec un dbut, un dveloppe-ment, une fin?Il est intressant que plusieurs lves choi-sissent le mme geste et en prparent spa-rment la reprsentation. On demande alors aux spectateurs leurs ractions face cette prsentation : recon-naissent-ils les gestes? la faon dont ils les accomplissent? Quelles impressions gnre la prsentation?

    Ilsagitdesedemandercequonfaitaveclesobjetsduquotidien:commentdvisse-t-onuntubededentifrice?Commentprend-onunbol?Cestlletravailsurlintime:commentfait-onleschosesinsignifiantes?Quest-cequelabanalit?linfra-ordinaire?Personnenefaitcesgestesdelammemanire.Nimportequelgesteracontenormmentdechoses.Chacunapporteuneintentionetunstyle.

    AlexandraRbner

    Fiche technique du spectacle

    b Il sagit de questionner cette fiche pour crer dautres pistes dobservation du spectacle.Cherchez quelles disciplines artistiques sont prsentes. Quelle forme de spectacle cela peut-il laisser attendre?

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    Laffiche propose une photographie que lonpeut associer aux divers lments de luvredsormais connus. Cest peut-tre une pho-tographie de scne, ou bien peut-tre quellevoque juste luniversde la fiction.Quoiquilensoit,onytrouvedeslmentsobservsaufildesactivitsprcdentes : lesobjetsde la

    chambre, lesommeil,unhommequidort.les Leons sur la socit industrielle deRaymondAron y sont remplaces par les Problmes de linguistique gnrale de Benveniste ; le per-sonnagetudierait la linguistiqueetnonplusla sociologie Le paquet de gauloises estdevenuunpaquetdeCamel:adaptationdelasituationnotrepoque?Volontdesignifierla valeur intemporelle de lexprience ? On ades signes dindiffrence aux choses : un bolassez sale, une cigarette demi consume.Cetteprsentationvisuelleauncaractrequasihyperraliste, mais la saturation des couleurslui donne quelque chose donirique, moinsquelle ne suggre la chaleur qui rgne dansla chambre, lun des facteurs de malaise dupersonnage.Cestunplanrapprochenplonge,quisuggreun observateur debout regardant ltudiant.Qui regarde ? On est ici renvoy lune desinterprtationsdupronomtu:peut-treundoubledupersonnage,quiseseraitlevdulitpoursobserverlui-mme(commedanscertainsfilmsdeWoodyAllen)?Lechoixdecettephotographiemontreentoutcasquelachambreetsesobjets,lelit,lesom-meilsemblentaucurduspectacle.

    b Consigne: au cours de ce travail, vous avez imagin une scnographie; vous avez travaill sur lintime et la mlancolie; vous avez constat que musique et vido feraient partie du spectacle. Cherchez pour complter votre projet scnographique une musique ou une vido (que vous pouvez raliser) qui prenne en compte toutes ces dimensions.

    La photographie de laffiche et du programme

    REBECCA GUIBERT

    Onpeutconstaterque leschoixde lacompa-gniesoriententclairementversuneassociationdediverslangages:thtre,musique,vido.On peut aussi sinterroger sur ce que faitchacunsurleplateau.Sicestenpartieprvi-siblepourlemusicien,celestmoinspourlesautres ; auront-ilsenchargedincarnerunoudespersonnage(s)?deraconter?Musiqueetvidoontune importanceparticu-lire dans le spectacle, puisque toutes deuxdonnent lieuunecrationoriginale.Lapr-sencedescrateurssurleplateauouenrgieinterrogesurleurrleaucoursdelareprsen-

    tation (parexemple, lecrateurvidoaaussiun rle en rgie pendant la reprsentation).Cela suppose une interaction avec les com-diens,quidevratreobserve.En cequi concerne la scnographie,outre lesralisations de la scnographe elle-mme, onpeutsattendrecequelavidoetlesonaientunrledanslacrationdelespace.Onpourraamenerleslvesobservercettedimension.Enoutre,un rgisseurplateauestmentionn,ce qui suggre sans doute une certaine com-plexitde lascnographie ;dequelordre,onpourraseledemanderavecleslves.

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    Aprs la reprsentation

    Pistes de travail

    Pour commencer

    Ondemandechaquelvededcrirelimageoulemomentdelareprsentationquilaleplusmarqu.Cepremierchangepermetdeconfronterdesvisions.Ilestutilepour letravailsurcespectacleextrmementriche,quiassocieunjeucomplexebeaucoupdlmentsscniquesdiversetdambiancesdiffrentes.Enfonctiondecetchange,onpourrachoisirluneoulautredespro-positionsquisuiventpourmenerbienletravailderemmorationetdanalyse.

    Une scnographie riche et complexe, se remmorer et interprter

    Lespace

    b On va dabord chercher se remmorer collectivement lespace du plateau. On peut commencer par demander chacun de noter pour lui-mme quelques lments de lor-ganisation globale ou quelques points de dtail, afin que tous puissent ensuite parti-ciper lchange oral.

    b On peut aussi partir de croquis faits au pralable par les lves (le plus tt possible aprs la reprsentation).b On demande aux lves de dcrire le dcor dans lordre o les spectateurs lont dcou-vert, de la faon la plus objective et prcise possible : dabord lorganisation globale, puis les dtails.

    Quand on entre dans la salle, une partie dudcor est visible. Le plateau est coup danssaprofondeurparun long rideaudeplastiqueincolore mais opaque, fix par des anneaux une tringle, qui vade jardin cour entredespendillons.Toute lapartieenavantdu rideauestouvertejusquauxmursdelasalle,etlaisseapercevoirprojecteursetenceintes.Devant,setrouventdeuxpraticablesdebois.Celuiquiestctcourformeunangle.Lectlepluslongestparallleauborddelascne.Enplaninclin,ilmontejusquunepetiteplate-formecarre,unecinquantainedecentimtresdehauteur.Lautrectredescendangledroitvers le rideau de plastique. Deux fauteuils decuir rouge sombre,uss, qui semblenttredevieuxfauteuilsdecinma,setrouventderrirelect leplus long, lo lepraticableest leplusbas.Ct cour, lautrepraticable commenceparunescalier de trois ou quatremarches qui abou-tit une plate-forme puis il descend en planinclinverslecentredelascne.Surlaplate-forme, un rverbre haussmannien chellerduite (environ deuxmtres). Vers la cour, ctdupraticable,unetableetunechaisequivoquentlesbistrosparisiens.Cette partie du dcor mle des lmentsconcrets,ralistesetreconnaissablesquisigna-

    lentParis,oudumoinsunegrandeville,etsesactivits,etdautresplusabstraits : lesprati-cablesqui serontdes supportsde jeupermet-tantdanimerladambulationdupersonnage.Plustard,lerideaudeplastiquesouvre,etondcouvredeuxstructuresaccolesreprsentantlachambredeltudiantetcelledesonvoisin.Commeletextenous leferacomprendre,ellessont lchelle 1, environ 5 m2. Il sagit dedeuxbotes,deuxcubes;seullemurdufondetlesportessurlectsontpleins;lescloisonssontvideset lemur faceaupublic,absent.Lexpressionquatrimemurprendtoutsonsens. Cependant, lesmontants de cette struc-ture sont vids entre les deux chambres. Cedispositifpermetauspectateurdevoirlesdeuxpersonnagesqui,eux,signorent,etdoncdelescomparer.Lesdeux chambres sontmeublesetdcoresdefaonscrupuleusementraliste.Lespapierspeints et le style des meubles voquent lesannes1970.Chacuneaunefentre,surlemurdufond,avecunstorelamelleschezltudiantetunrideaudedentellechezlevoisin.Ct jardin, la chambrede ltudiant estdansuntatmdiocre(moquettegondole)etsom-mairement meuble. Elle signale les activitsde son occupant : ltagre contient surtoutdeslivres.Ctcour, lachambreduvoisinest

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    encombredemeublesetdobjets.Lelieuetsadcoration, trs kitsch, sont soigns. Au murdu fond, des assiettes dcoratives, un baro-mtre, une pendule qui fonctionne et indiquelheure relle. Il y a un fauteuil confortableet un ameublement plus cossu (un vrai tapis,par exemple). La vision de ces deux lieuxcte cte met en vidence une diffrencesocialetenantlaisancefinancireetlge.Unautrelmentintervientdanslorganisationdelespace:uncranquifermeexactementlesdeuxchambressabaisseet se relveplusieursfoisaucoursduspectacle.Lerideauetlcranont plusieurs reprises des supports pour laprojectiondimages.

    Lespace sorganise donc en deux parties biendistinctes, occupant clairement chacune unepartieduplateau,etcontrastes.Onpeutpro-posercetableaupourenrendrecompte:

    LAVILLE LESCHAMBRES

    Espaceouvert Espaceferm

    Espacevide Espaceencombrdobjets

    Espacesymbolique Espaceraliste

    La lumire

    b On demande aux lves en quoi lutilisation de la lumire accentue cette dichotomie de lespace. On sappuie ventuellement sur les photographies ci-dessous.

    lespaceralistedeschambres(enparticulierdans la premire partie du spectacle) corres-pondunelumireelleaussiraliste,quiaccen-tuelimpressiondeclaustration.Laperceptiondelalumiretraverslestorerendsensiblelachaleursurlaquelleletexteinsiste.Dans la ville, lambiance lumineuse est plussombre et plus diversifie. Les sources sontmultiples. On peut citer le spot bleu cour,les lumires intrieures des bassines roses, lerverbre. Les projections vido ont parfoispourfonctiondclairer.

    REBECCA GUIBERT

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    Une reprsentation structure par loccupation de lespace

    b Une fois cette remmoration de lespace effectue, on demande aux lves de chercher en quoi son occupation et son utilisation contribuent structurer le spectacle.On commence par leur demander de rflchir au rapport entre les deux parties du plateau.

    Lesdeuxespacessonttanches.Lesacteursnepassent jamais directement de lun lautre,mais transitent par les coulisses. Cette tan-chitestmarquepar le rideaudeplastique,matirepropreassurercettefonctionCerideauestouvertetfermplusieursfoisaucoursdelareprsentation,etchaquefoiscetteactionauncaractreunpeumystrieux.Cest la fois un objet trivial (sa matire voqueunpeuunrideaudedouche)etthtral:sonouverture indique le vritable dbut du spec-tacle.Lapremirefois,cestunbrasquisembleanimdunevieautonome(unpeucommedansles films de Cocteau) qui louvre ; plus tard,sonmaniement sera invisible. Cet objet porteainsi un caractre de ce spectacle : il appar-tientauquotidien leplus concret,maisporteaussiunepartdonirisme,defantastiqueetdethtralit.

    Loccupationduplateaudivise le spectacleentroisgrandesparties,dontonparleraplustardendtail:dans leschambres :viesparalllesde ltu-diantetduvoisin;danslaville:errancesdeltudiant;dansleschambres:criseetlibrationdechacun.Uneffetderptition:lapublicitNettoyange,laissez faire lange saffiche deux reprisessurlerideau.Lapremirefois, levoisinpassedevant,venantdejardin,lairdpit,sesailessouslebras.Cestledbutdelapremirepartieduspectacle.Ladeuximefois,cestltudiantqui longe et regarde limage qui affiche leslogan ; lui aussi vient de jardin, suivant lemmecheminquelevoisinauparavant.Cestaumilieude ladeuximepartie.Cetteutilisationduspotpublicitairecreunparallleentrelesdeuxpersonnages,lilimportancedesobjets.

    Une multiplicit dimages et de sons

    Lascnographiereposesurplusieurstechniquesdiffrentesquicrentunlangagescniqueori-ginal.Lespectacleadonnlieuunecrationmusicale et sonore, ainsi qu une crationvido par des artistes qui assurent aussi largiependantlesreprsentations:Arandelpourlamusique etArthurMichel pour la vido. Lascnographie met en jeu des images fixes oumobileset la techniquedesombreschinoises.Lamusiqueyjoueunrleessentiel.

    Ceslmentsdiversontplusieursfonctions:ilscontribuentdessinerlespace,lefaireressentirauxspectateurs;ilscrentdesambiances;ilsinteragissentaveclespersonnages;ilsproposentsurunautreregistreuneexpres-sionencontrepoint;ilsponctuentlespectacle.Lespropositionsquisuiventontpourbutdenfaireprendreconscienceauxlves.

    Les projections dimages

    b Pour poursuivre la remmoration collective, on demande aux lves de faire une liste des diffrentes projections dimages avec leurs supports de projection et de rflchir leur fonction dans le spectacle.

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    Lapremireimageduspectacleestcelledunspotpublicitaireprojetsur lerideaudeplas-tique, surface ingale qui dforme passable-mentlimage.Lafinduspot,cest--direleseulslogan(Nettoyange,laissezfairelange)estprojet aumme endroit au dbut de la deu-ximepartie,etltudiantleregardeuninstant.Ltudiantdanssachambreprojettedesdia-positivesqui semblenttredesphotographiesde son enfance. L encore, limage est dfor-

    me, car partiellementprojete sur lemanne-quin.Lecontrasteestgrandentrelafracheuret les couleurs vivesdesphotographies et lessignifications de mort attaches au manne-quin.LadernirediapositiveestleportraitdeRimbaudadolescent.Onpeutvoirllafindessouvenirs tranquilles, heureux, et lirruptiondunerbellionunecertainepoquedupassdupersonnage.

    Lors des errances dans la ville, plusieurssquencesfilmessontprojetessurlerideau.Onyvoitlactricemarchantdanslesrues,por-tant lemmecostumequesur leplateau:ungrosplan,plusieursplansdansdiverseslongueslignesdroites,dansParisoudansunsupermar-ch.Cessquencessontdabordfilmesdejour.Ensuite,ellesvoquentlavieurbainenocturne. Toujours dans la ville, dautres squences,filmes en plans plus rapprochs, montrent

    des objets voquant une fte foraine, ou desjouetstrscolors.Pendantladerniredecessquences, lactrice est devant le rideau etdevient, elle-mme, support de la projection.Lagressivit des formes et des couleurs de lafte contraste avec la beaut triste du chantbaroquequellechantecemoment.Lorsquelepersonnageestaucinma,lerideaudeplastiqueestouvertetcestsurlcranquunfilm en noir et blanc est projet. Il sagit de

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    Les ombres chinoises

    Lcran qui obture par moments les chambresetlerideaudeplastiquesertlacrationdesombreschinoises. la fin de la premire partie dans leschambres, lactrice danse avec le mannequin,surlachansonLes Enfants tristes.Seulelapar-tiecorrespondantcettechambreestclaire.Aumilieudeladeuximepartie,unesquenceoseulelapartieduvoisinestclairerpondlaprcdente.LepersonnagecreourpteuneautrepublicitpourunautreproduitdelagammeNettoyange.Cestunpassagehumoristique.lafinduspectacle,lesdeuxvoisinsseren-dent compte de lexistence et de limportancede lautre. Cette rvlation donne lieu une

    image la foispotiqueet pique. Lcran sebaisseenlaissantclairetoutelasurfacedesdeuxchambres.Lesdeuxpersonnages,tournslunverslautre,yapparaissentcommetransfi-gurs:ltudiantaveccapeetchapeauplumevoque un personnage du thtre classique ;levoisinestunange;lombredesesmeublesdonne limpression quils sont sur le toit delimmeuble. Juste aprs cette image, la dernire scneestenombrechinoiseaveclavoixamplifie:ltudiant y fait le choix de la vie et recom-mencelire.Ce mode de reprsentation cre un effet dedistancepotiquedanscesscnes.

    Damnation de Bela Tarr (1987), film dont lesujetestprochedeceluidUn homme qui dort,etdontlesthtiqueinspirelespectacle.Unautreextraitdefilm,destyleexpression-niste,estprojetdansuneatmosphrefantas-tiquealorsquelactricetourneverslcranesttendueverslui.Uninquitantvisageauxyeuxperantsapparat.Lorsqueltudiant,danssachambre,pliesondrap,cemmevisageyestprojet,commeunereprsentationfantasmatiquedesesobsessionsoudesesterreursintrieures.Toutelasurfacedelachambreestlesupportde laprojectiondune imagequi semblepriseau microscope, comme lagrandissement duntissuorganique.Celacorresponddans le texte une description de ce que voit ltudiant

    lintrieur de ses paupires fermes. On acommeunevisionintrieuredupersonnage,quivitunmomentdequasi-folie.Ladernireimageestaussiuneprojection.Demultiples images de personnes qui disent desphrasesdutextedeGeorgesPerecapparaissentjuxtaposes. Les films et la diction du textesuggrentun caractre rel,non fictionneldecesfilms.Cesimagessontdabordprojetessurlcran,mais celui-ci se lve et cest toute lachambrequienesttransforme.Contrairement la projection prcdente, trs angoissante,celle-ciconnoteuncertainoptimisme,unejoiedevivre.Lespectacleseterminesurunzoomqui rapproche les visages films des specta-teurs,peut-trelafaondunmiroir

    Le son

    b On demande chaque lve de noter un son et une musique quil a retenus. Ces traces crites seront le support de la discussion collective. On commence par se remmorer les sons non musicaux.

    Onenentendquicontribuentlareprsenta-tiondelespace,commelagouttedeauoulesbruitsdevoiture.Le son des rognons grsillant dans le beurre,accompagn de leur odeur pourvu quon soitdanslespremiersrangs,faitressentirauspec-tateur limportanceduquotidienet leschosesmatriellespourlevoisin.Les sons appartenant la fiction et les sonsextrieurs sont parfois difficiles dissocier.Parexemple,untic-tacdependulesefaitparfoisentendre.Onpourraitlassocierlapen-duleduvoisin(quimarquelheurerelle),maislesonvientductjardinetsefaitentendre

    quandonest focalissur ltudiant.Iladoncpluttunefonctionsymbolique,cellederappeldu temps enmarche, sens que prend aussi lesondelagouttedeau.Un son appartenant la fiction est celui dutourne-disque sur lequel ltudiant passe ledisquede la chansonLes Enfants tristes.Maisce mme grsillement caractristique de cesappareils sentend aussi lorsque passe lac-compagnement au clavecin du chant baroquechant par lactrice au cur de la ville. Sontainsiassociesunefonctionralisteduson,quinousattacheauconcretdesobjets,etlarepr-

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    n146 avril2012b On peut ensuite rechercher les diffrentes musiques qui interviennent.

    Ilya,dunepart,lamusiquecreparArandel,partir dinstruments. Elle apour fonctiondecrer des ambiances ou de commenter le jeu.Parexemple,aucoursdelapremirepartie,unsondecordesestutilisdefaontrsdiffrentepour les deux personnages. Les compositionssontpluttlyriquespourltudiantethumoris-tiquespourlevoisin.Loppositiondesregistressouligne leur diffrence, mais lidentit dutimbrelesrapprochediscrtement.Les compositions dArandel donnent une forteintensitplusieurspisodes,commeceluiduflipper,olaforcedesvoixpolyphoniquesdelamusique redouble le dsespoir du personnage,lagestuellede lactriceet le jeudes lumires.Lamusiquedecepassagedbutecommecelledelpisodedesdiapositives(unemlodietrspure), pour se complexifier ensuite. Ainsi, lamusiquecreunecohrencechezlepersonnage,sonhistoireetsontatintrieur.Ilyaaussilesdeuxchansons:Les Enfants tristesdAnne Vanderlove et une chanson de John

    Dowland,musicienbaroqueanglais,traduiteenfranaisparAlexandraRbner. Lapremireestjouesurletourne-disquepuischantea cap-pellaparlactricedanslasquenceducinma.La seconde cre une rupture puisque, trslyrique,elleintervientaprsunescnequimlele comique et lhorreur ; de plus, elle relveduneesthtique radicalementdiffrentedecequon voit : tandis quelle chante, des imagesdeftemonstrueusesontprojetessurlactrice.Lesdeuxchansonssontdesexpressionsdeltatintrieurdupersonnage.Lapremirevoquelanostalgiemaisaussilemalheurdelenfance.Lasecondeestuneplaintelyrique.La frontire entre ce qui relve de lamusiqueounonestmouvante.Lesdiffrentesmusiquessubissentsouventunelgredistorsionouunesortedeparasitagelgerquiempchelespecta-teurdesylaisserallerentirement.Lamusiquenapasicidefonctionesthtique;ellecontri-buesignifierlemalaisedespersonnages.

    b Quel rapport se cre entre la voix et les diffrents sons?

    Le sonquonentend leplusdans le spectacleestlavoixlimpidedelactricequidonnelaprio-ritautexte.Or,ilyaunefrquenteinteractionentre voix etmusique ou voix et sons divers.Parexemple,lorsdelalectureduMonde,lalistedesrubriquesdujournalestditeparlactriceet,enmmetemps,par savoixenregistre.Sons

    et voix peuvent se superposer lors de dbutsou de fins de squences. La musique a aussipour fonction de donner, par moments, plusdintensit au texte. Par contraste, des plagesdesilenceluidonnentuneacuitparticulire.

    b Faites une liste de sons (bruits et musique) qui font partie intgrante de la fiction et une liste de sons qui ont pour fonction de crer une ambiance.

    sentationdelaconsciencedupersonnage:lesdeux chansons semblent relever de souvenirs,cequesuggrecegrsillementissudupass.Unerumeurindistincteest,parmoments,pr-sente:ellepeutcreruneimpressiondintran-quillit,desourdemenace.

    Lesvoixentendueslafindelapicecontras-tent avec la thtralit de celle des acteurs :voix enregistres de personnes relles quidisentdesphrasesdeGeorgesPerecdans leurenvironnementquotidien.

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    n146 avril2012

    Lamusiqueavaleurdesymbole,elleestsignedautrechose.Cestunemanirederevisiterlaculturepopetaussideraconterlavilleetlafaondontlesbruitsdelavilleentrentdanslachambre.Lesondevientuningrdientmusicalparlafaondontilestagenc.Lemusicienestsurleplateau,maisinvisible.Lamusiqueestinjectedanslejeudemanirevivante,dansuneinteractionaveclesacteurs.Lamusiquecommelavidosontralisesenamont.Ilyadesmomentsderendez-vousaveclesacteurs,biendtermins.Etlintrieurdessquences,desvariationsamenesparlemusicienoulergisseurvido,quipeuventproposerunson,unenchanement,uneimage,ungrain,unecouleur.Lesacteursjouentaveccesvariations.

    AlexandraRbner

    Les personnages, tres vivants ou prsences mortes ?

    Lareprsentationdespersonnagespassepartouteunegammedeprocds:diffrentstypesdejeu;desdegrsdartificedanslaconstructiondessilhouettesavecladjonctiondobjetsaucorpsdesacteurs.

    Deux solitudes parallles

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    n146 avril2012 Des oppositions Ltudiant Le voisin

    Physique Uneactricelallureandrogyne. Unhommeauventrerebondi.Demi-masque.

    CostumeChemiseblancheetpantalonbleutrsclair.Formesintemporelles.

    Diffrentescouleurs(bleu,rouge,beige)pluttfonces.Lunettes.Chaussures/pantoufles.

    ChambreDpouille,lignessimples.tatmdiocre.Pluttmonochrome(sauflabassine).

    Encombre.Nombreuxobjetsamoureusementdisposs.Couleursvives,matiresvaries.

    Styledejeu pur,stylis. Raliste,burlesque.

    Parole Clart.Parledelui-mmelui-mme.

    Grommellements.Parletoutseul,maisaussidesesproduitsdentretienauxbibelotsautourdelui.

    Comportement Immobilit. Bougebeaucoup.

    Statutsocial tudiant.Inactif. Reprsentantenproduitsmna-gers.Trsactif.

    Rapportauxobjets

    Illesmatrise:gestesprcispourmettreleschaussettestremper,verserleaudanslebolouplierledrap.Dtachdumatriel(lactriceboitsanstoucherlebol).

    Ilsebataveceux:perdseschaussons,chercheleschosesoellesnesontpas,adumalmettrelesachetdethdanslebol,faittombersesdossiers,nesaitpasosasseoir,semmledanslestissus...Engludanslematriel(cuissondesrognons).

    ViesocialeSolitaire,refuselescontacts.Resteenfermplusieursjoursdesuite.

    Solitaire,maisvatravailler;recreunpetitmondeautourdelui.Sadresseauxautresparlebiaisdespublicits.

    b On demande aux lves de dresser un tableau comparatif de ltudiant et du voisin, lorsquon les voit simultanment dans les chambres. Des groupes diffrents peuvent satta-cher chacun un point prcis, le dtailler en se remmorant des exemples prcis et en rendre compte la classe.

    Mais, en ralit, ils ont beaucoup de pointscommunscarchacunvitdansunesolitudetrsgrande, chacun vit dans un endroit triqu,chacunaunevie faitede riendu toutetdhabitudes ravageuses, chacun semble avoirdes relations sociales qui finalement ne sont

    que superficielles et phmres, chacun porteunepartdalination.Lamiseenscnesouligneceparallleenmontrantsouventlesdeuxper-sonnagesdansdessituationsproches,oudansdesimagescomparables,maistoujoursavecundcalagederegistre.

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    n146 avril2012

    Levoisinsuggreununiverspleindimagespossibles:undoublepositifoungatifdupersonnage;unhommedanssonfonctionnementsocialetprofessionnel.Dansletexte,levoisinestunfantasmedeltudiant,quivatredvelopppourdevenirunpersonnagesavoureuxetintressant.Onvasedemandercequestsavie.Cestaussiunpersonnagecomique,quinintervientpaspourconsolerlespectateur,nilesauverdelagravitpredutexte,niallgerletexte.Ilapporteuncontrepointetuneautreformedelangagethtral:ltudiantestunhommedudiscours,levoisinestunhommedelaction,savieesttribu-tairedeschoses.IlrappellelecontrepointUn homme qui dort: Les Choses.

    AlexandraRbner

    b Piste dcriture. Le voisin et ltudiant vivent en parallle, ne se prtent pas atten-tion et ne connaissent lun de lautre que les bruits quils produisent. Mais vers la fin du spectacle, le voisin prononce ses seules paroles claires (en dehors des slogans publi-

    citaires) : Qui es-tu, que fais-tu, toi qui froisses des journaux, toi qui restes plu-sieurs jours sans sortir, ou plusieurs jours sorti sans rentrer? crivez la suite de son discours: il imagine, daprs les indices quil peut avoir, la vie de ltudiant.

    b Analysez la photographie ci-dessous, en mettant en vidence les oppositions et les points de convergence des deux personnages.

    REBECCA GUIBERT

    Dautres personnages, secondairesmais signifiants, maillent les sorties nocturnes de ltudiantdansParis.Cesontdespersonnagestypesdelavillequiconstituentcommeunesuitedallgories.Pourselesremmorer,onpeutcommencerparunemiseenjeu.

    b On demande un groupe dlves de prparer une reprsentation par une statue vivante, avec ou sans accessoire, de chaque personnage rencontr. Certains peuvent tre proposs plusieurs fois, dans des attitudes diffrentes. Le reste de la classe doit les reconnatre.

    b On demande ensuite aux lves de retrou-ver lordre de leur apparition, de signaler les caractristiques de leur costume et de se rappeler le lien de chacun avec le hros. On peut donner le tableau suivant, vide, remplir.

    Des rencontres urbaines

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    Type urbain Costume et accessoires Relation avec le hros

    Leserveur Habittraditionneldugarondecaf,plateau.Prendenchargeunpassagedutexte,rptparlehros.

    Levieillard Costumeclassiquerenvoyantunepoquepasse.

    Peutresterimmobilecommeunestatue.RpteTutnervestropvite,cequirappellequesajeunesseestantonymiqueavecunelthar-gietotale.

    Louvreuse

    Soncostumevoyant(blancetrouge,paillettes),sonmasqueaveugleetsaper-ruquelafontressemblerunmannequindevitrine.

    Guidelehrosverssaplacedecinmaavecunelampe.Rptemusique,enchante-ment,attente.Imagedelen-nuiressentidanssaviesociale,delalassitudedelavie.

    Lepersonnagelaboulefacettes

    Vesteetgantpaillettesargent,boulemiroirstenueboutdebras:ceperson-nagevoqueluniversdesbotesdenuit.

    Immobile,sanscontactaveclehros.Boulehorsdeporte:dsirinaccessible.

    Leclochard

    treinformevtudunesortedesac,quipousseuncad-diecontenantdiverssacsetobjets(dontunglobeter-restre),avecunmtoestaccrochdupapierbrillantetbruyant.

    Sollicitelehros,quilepousseencoulisses.Figuredeladchancequiguettelehros.

    LemonstreBouleroseetsouriante.Personnagedeparcdattrac-tion.

    Unjouetmonstrueuxquiprendvie,saluelepublicetagresselehros.Facteurdangoisse.

    REBECCA GUIBERT

    REBECCA GUIBERT

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    b Quel lment unifie toutes ces apparitions?

    Lesdemi-masquesblancs(saufpourlemonstre)rappellentceluidumannequin.Ilsont,commelui, les yeux ferms. On peut alors considrerquedansceuxquil rencontre,celui-cinevoitque lui-mme. Plusieurs prennent dailleurs lerelais du texte, ce qui accentue cette impres-

    sionquils sont finalementdesmanationsoudes miroirs du hros. Tous semblent commelui malheureux, abandonns, dboussols ouperdus.Ilya,parailleurs,unegradationdanslecaractreoniriquedecespersonnages,quivadepairavecsonpropreparcours.

    Mannequin et masques

    b On peut rpartir la classe en groupes qui travailleront soit sur le mannequin, soit sur les masques et changeront ensuite leurs rflexions. Chaque groupe devra retrouver le plus pos-sible de moments o ces objets sont utiliss et essayer de leur donner sens. Les consignes proposes peuvent guider les recherches.

    Le mannequin

    Lorsquaudbutdelareprsentation,lespectateurdcouvreledcordeschambres,ilestfrappdtonnementparlaprsence,ctecte,delactrice(quonpeut,cestade,prendrepourunacteur)etdesondoubleimmobile.Ilssontassissurlelitdanslammeposition,etlactriceestaussiimmobilequelemannequin.

    b Comparez lactrice et son double (ventuellement laide de la photographie ci-aprs).

    Le visage du mannequin reproduit les traitsdAlexandraRbner. Il semble toutefoisque levisageetsurtout lesmainsnesoientpas labonnechelle.Toutdanslemannequinestplusple,peaublanche,chevelurechtainclairet non brune, pantalon un ton plus clair. Lescheveuxsontplusdruset rchesqueceuxde

    lactrice.Lecorpsestassezmallablepourtremanipuletmisdansdesposturesdiffrentes;lorsquilestmisdeboutlesmembresbalancent.Ilnesagitdoncpasdunereproductionminu-tieuseducorpsrel;ledoubleestclairementdonn comme une reprsentation fabrique,commeunobjet.

    REBECCA GUIBERT

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    b Comment lactrice joue-t-elle avec le mannequin?

    Celui-ci estune faondemettreen scneparunddoublementcettecaractristiquedutextedeGeorgesPerecquestladresseladeuximepersonne. Lactrice adresse effectivement letexteaumannequin,parmoments.Il reprsente aussi son tat intrieur. Dabordpar sa prsence immobile et pesante. Ensuitelorsquellelemanipuledefaoncequecesoitlobjet et non le corps vivant qui exprime lesmotionsque la voix fait entendre.Ouencorelorsquelle projette sur lui les diapositives dupass.Cest un partenaire de jeu, par exemple dansla squence de danse en ombre chinoise. Leprocd gomme les diffrences entre le vraicorps et le mannequin, qui devient acteur partentire.Plus tard, habill dune cape et dun chapeaunoirs, cest de faon allgorique que le man-nequin matrialise lintriorit du personnage.Toutaulongdelareprsentation,etenparticu-liercemoment,lamorthantelehros.

    Laprsencedumannequinmanifesteletroubledupersonnagequinepeutse rconcilieraveclui-mme.Lorsde la troisimepartieduspec-tacle,deretourdanslachambre,leurscostumessontdiffrents,contrairementaudbut.Lobjetpeut apparatre comme un compagnon dedsespoir, dans la scne o ltudiant portantses lunettes noires et lemannequin, lui aussiennoir,partagentunecigarette.Cependant,danscettescne,onalimpressionquelebrasdelactrice,quellearevtudungantnoir,estcelui dumannequin, comme si ctait elle quidevenait le prolongement de lobjet. la fin,lors de la dernire scne en ombre chinoise,lorsqueltudiantfaitlechoixdevivre,leman-nequinadisparu.CejeuvoquelethtredeKantor,oleman-nequinestunprolongementducorpsdelacteurquipermetdemieuxcernersonrle.QuelquespropossurKantorquipeuventdonner rflchir sur lutilisationdumannequindansUn homme qui dort.

    REBECCA GUIBERT

    Etlesmannequins,quisemlentauxacteursvivants.Car,aummetitrequelemanne-quin,etcontaminparsaprsenceinerte,lecomdiennadoncplusriendevivant,ilest,commelui,inanimetfigure,commelui,lachoseinnommable,lamortquihantetoujourslammoire.

    ChristianBietetChristopheTriau,Quest-ce que le thtre?Paris,Gallimard,coll.Folioessais,2006,p.764-765

    Lobjetalammevaleurpotiquequelacteur,nonplusaccessoiremaispartenaire,voireconcurrentdelacteur.

    PhilippeIverneletAnneLonguet-Marx(dir.),tudes thtrales,Louvain-la-Neuve,Centredtudesthtrales,juin2010,no10:Thtreetdanse.

    Uncroisementmoderneetcontemporain

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    Ceci,danslaglacefle,nestpastonnouveauvisage,cesontlesmasquesquisonttom-bs,lachaleurdetachambrelesafaitfondre,latorpeurlesadcolls.Lesmasquesdudroitchemin,desbellescertitudes.

    GeorgesPerec,Un homme qui dort,Gallimard,coll.Folio,1990ditionsDenol,1967

    Les masques

    b Quels sont les diffrents types de masques utiliss dans le spectacle? Quels effets pro-duisent-ils?

    Lepremierquenousvoyonsestceluiduvoisinqui participe au costume du personnage. Ilsert identifier lepersonnage, lacteur jouantplusieurs rles durant le spectacle, tout eninstallant un code avec le public : cemasquecreunpersonnageburlesque,clownesque.Paropposition,lemasquedumannequinrepr-sente lamlancolie, la lthargie, labsence devie,dmotion.Lesmasquesdispossparterredanssachambreparltudiantsontlamtaphore(prsentedans

    le texte) des diffrents rles que lon abordedanssonquotidien,danslvolutiondesavie,danssesrelationssociales.Pourlehros,cestsonhistoirepasseetfuturequijonchelesol.Le texte les identifie comme des mensongesque la situation prsente de ltudiant met nu. Alexandra Rbner joue beaucoup avec cesdiffrentes figures soit en les numrant, soiten les dveloppant (notamment pour voquerlesfuturspossiblesdeltudiant).

    Uncontrepointcomiquedumannequinestprsentdanslejeuduvoisinquisadressesesbibelotslorsquilrptesespublicits.IldisposecesfigurinescommeunpublicetsadresseellesenlesappelantMessieurs-dames.

    REBECCA GUIBERT

    Il semblequecesobjetsaienttmoulssurlevisagedAlexandraRbner,cequidonneuneautredimensionlareprsentation.Lorsquellemanipule les masques, lactrice joue et parleface au public ; le jeu avec les objets alorsconcernelaviedeltudiant.Maisparlasuite,le texte voquant toujours les rles sociauxque lon prend ou se donne, elle sadresseclairement et visage dcouvert au public.La rflexionsur lemasqueetsur le jeusocialdpassealors lafiction,ellesembleconcerner

    lapersonnemmedelactriceetinvitelepublicyrflchirpoursonproprecompte.Les masques ports par les personnages ren-contrsdurantlesdambulationsnocturnesduhros marquent luniversalit de ces person-nagesquinesontfinalementquunstatutsocialsans visage particulier (voir plus haut), desortequilspourraienttrevousetmoiAinsisommes-nous tous susceptible de rencontrernotretudiant

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    Des objets et des hommes

    Raliser une collection des objets du spectacle

    Denombreuxobjetssontprsentsetutilissdanslespectacle.Onavuquelafrontireentreleshumainsetlesobjetstaitparfoisproblmatique.Pourseremmorerleurprsenceetanalyserleurfonction,onraliseunecollectiondecesobjets,quipourraservirdappuipourlarflexion.

    b Chaque lve propose un objet prsent dans la reprsentation. On note la liste au tableau, on la complte ventuellement en commun.

    Une bassine de matire plastique rose

    Parmitouslesobjetsduspectacle,celui-ciauneprsenceimportanteetprendplusieursvaleursquontentedinterprteraveclaclasse.Ilestaussitrsprsent,defaonrptitive,dansletextedeGeorgesPerec.Onanalysesesapparitionscommeexempledustatutetdusensdesobjetsdanslespectacle.

    REBECCA GUIBERT

    REBECCA GUIBERT

    b On demande aux lves de se remmorer les apparitions de cet objet, ses mtamorphoses et la faon dont lactrice lutilise, dont il participe son jeu. On peut demander de remplir au pralable les trois premires colonnes du tableau suivant, puis rflchir collectivement linterprtation.

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    n146 avril2012

    Espace Bassine Jeu Interprtation

    ChambreUndesobjetsdelachambre.Sacouleurtrsviveattirelil.

    Lactriceydposetroischaussettes;gestestylis.

    Objetquotidien,dnuementmatriel.

    Ville

    Lumirelintrieur:lanatureutilitairedelobjetestdpasse.

    Tenduedescoulissesctcourparunemaininvi-sible,portesurlpauleavecprcautiondansungesteprcisetsolennel.Aprsunelentetraverseduplateau,dposesurlepraticablectjardin.Ceparcoursestrpttroisfois.

    Labassineenvahitlaconsciencedupersonnage;elleacquiertunedimensionsymbolique.Ellereprsentesonmalaise,nenpartiedesconditionsmatriellesdesavie,etquiltransportepartoutaveclui,dontilnepeutsedfaire.Larpti-tionaccentuecetteimpres-sion.

    Ville

    Idem. Deuxbassinesprisesdelammefaonettenuesdanschaquemain,boutdebras.Surlaplate-formedurverbre,marchesurplace,chorgraphieetrythmeparlebalance-mentdesbassines.Cerclesaveclesbrassurlarpti-tiondeUnehutre,unevache,unrat.Puislesdeuxbassinesrejoignentlesautres.

    Mmeinterprtation.Limpressiondefardeauetdenvahissementestaccen-tueparlarduplicationdelobjet.Lobjetparticipelexpressiondelangoisse.

    Ville

    Alignessurleplaninclin,lescinqbas-sinesclairesfigurentunflipper.Jeudelumires.

    genouxdevantleplaninclin,lactriceselivreunepartiedeflipperdsespre.

    Danstoutessesactivits,lepersonnageestramensonmalaise,enfermdanssesobsessions.Lepassageduhiratismelaviolencedanslejeumarqueunesouffranceaccrue.

    Ville

    Deuxbassinessontlan-cesparlemonstrerosecontrelactrice.

    Disparitiondelastylisa-tiondujeu.Courseaffolepourchapperaumonstreetauxprojectiles.

    Lemonstre,avecsacouleuretsaformearrondie,peuttrevucommeunemana-tiondesbassines,uneper-sonnificationgrotesqueetcauchemardesquedelobjet.Laprogressiondanslagres-sivitetdanslabsurdesepoursuit.

    Imagedefin Troisbassinesclairessurlepraticable.Rledesobjets:unenjeuessentielduspectacle.

    Lexempledelabassineestsignificatifdunerflexionsurlemprisedesobjetsdansnosvies.Desimpleobjetutilitairedansuncadrequotidien,celui-cidevientsymboledelenfermementdanslesconditionsmatriellesdelaviedonat,enpartie,lemalaisedeltudiant.Ilacquiertenfinunedimensionfantastique,entrelegrotesqueetlangoisse.

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    n146 avril2012

    b On rpartit la classe en deux groupes. Chacun doit prparer une srie de tableaux vivants reprenant des images de la repr-sentation, qui rendent compte du parcours initiatique de ltudiant: un tat lthargique o tout se fait de manire automatique et laconique; des rencontres qui mettent le personnage en danger; un moment o la rvolte, la colre se font plus fortes;

    un flirt avec lenvie de mourir; un rveil o le personnage reprend pied et se repositionne dans un statut de vivant part entire. Chaque groupe prsente les tableaux la faon dune bande dessine. Les autres lves visitent et peuvent commenter, sexpliquer ce quils voient.

    b Prolongement par une mise en jeu: choi-sissez un objet de votre quotidien de lycen, dont vous pouvez disposer en plusieurs exemplaires. Par groupes de trois ou quatre, imaginez une squence de jeu muet au cours de laquelle lobjet sera dabord utilis de faon quotidienne, puis prendra une dimen-sion angoissante en se multipliant.

    Vous pouvez, en vous inspirant du jeu dAlexandra Rbner, travailler sur le passage dun jeu stylis lexpression spontane de langoisse.La prsentation des squences de jeu donne lieu une analyse de la part des specta-teurs: de quoi lobjet devient-il le symbole? Quels aspects de nos vies sont interrogs?

    Lhomme dpass par les choses

    CestunthmedeGeorgesPerec,dansleromanLes Chosesparexemple,etcestlepersonnageduvoisinquienestleporteurdanslespectacle.Encela,ilestlafoisenoppositionetenrsonanceavecltudiant,quiestvictimedelamdiocritdesconditionsmatriellesoilvit.

    b On projette aux lves une squence du film Mon oncle de Jacques Tati: celle o le hros dcouvre la cuisine moderne. On leur demande ensuite de comparer cette squence avec des passages du spectacle, en particulier la scne comique et angoissante de la rbellion des tiroirs qui souvrent tout seuls.

    Un parcours initiatique

    Lvolution du personnage de ltudiant

    Lamlancoliedupersonnagesedveloppedansun cheminement observer, travailler. Destapesetdesvolutionssontvisibles.Onpeutreconnatre dans le droulement du spectacleunparcours initiatiquequiestundesaspectspropresauconte.Lehrosconnatunmanquequi le pousse parcourir le monde dans unequte,aucoursdelaquelleilfaitdesrencontresetsubitdespreuvesquiluipermettentdeseconfronter la vie.Revenu chez lui, il trouvelasagesse.

    REBECCA GUIBERT

    Une tape : la dambulation dans la ville vue comme descente aux enfers

    la finde ladeuximepartieduspectacle, celleo ltudiantdambuledans laville, lactricechante une chanson de JohnDowland, Lacrymae, un tube baroque. Alexandra Rbner en atraduitlesparolesenfranais.

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    n146 avril2012

    Onpourraparexemplereprer: les autres personnages rencontrs, qui ontdesalluresdefantmes.Ilssontdeplusenplusimprobables,imaginaires,fantastiques.Certainsportentdesmatriauxbrillants:paillettesdespulls de louvreuse ; veste, gant et boule delafemmeduflipper(?);papierbrillantsurlecaddie; lemonstreail : ltudiantdevient luiaussiun monstre linstar de ceux quil rencontre.Impression de mtamorphose car acclrationdurythmeetsauts.Mtamorphosepartirdujournal (mme processus que la bassine, du

    quotidienaufantastique); lambiance sombre. La lumire bleue sur lemonstreail.Lclairageparlesvidos,dodesvariations de couleurs et dintensit au coursdunemmescne;lafume;latteexpressionnistedufilm;lorsduretourdanslachambre,lallgoriedelamortaveclemannequincostum;lamortphysiqueluvredanslasquenceo lactrice devient une sorte de ver de terredans lachambre transformepar laprojectiondimagesvoquantdestissusorganiques.

    b Prolongement par lcriture. Quelques annes plus tard, le hros crit une lettre un ami pour lui raconter ses errances dans Paris et les rencontres quil y a faites. Efforcez-vous de restituer la vision fantastique transmise par le spectacle.

    La fin : une rsolution

    b On demande aux lves de comparer la premire et la dernire image du spectacle.

    Toutesdeuxsontdesimagesvido.La premire est le spot publicitaire pour leproduit dentretienNettoyange ( laissez fairelange).Ilaunealluredsute,descouleursartificielles.Lesupportdeprojection(lerideaude plastique) nuit la qualit de limage. Lejeude lacteuren faitclairementuneparodie.Dailleurs, on le voit tout de suite aprs, sesailessouslebrasetsavaliselamain,longerle rideauoestprojete limage, lair insatis-fait. Cette premire image du spectacle meten avant le monde des objets, mais de faoncritique.Enopposition,ladernireimageestcomposedune mosaque de vidos centres sur des

    humains.Ilpourraitsagirdetousleshabitantsde limmeuble dont on ne connat jusqualorsquedeuxlogements.Cesvidosnousrenvoientaurel,sopposant,dunepart,auctartificielduspotpublicitaireet,dautrepart,lath-tralit de la reprsentation. Les voix ont tcaptes endirect, donnant une impressiondedocumentaire,etnondefiction.Contrairementau rideau qui fermait lespace, le support deprojectionesticiconstitudesdeuxchambres:lespaceintimeetlespacecollectifsefondent.Ainsi, la fin semble faire le choix des treshumains contre les objets, du rel contrelartificiel, de louverture aux autres contre lasolitude.

    Coulezmeslarmes,Dansmonexillaissez-moipleurer.Loloiseaudenuitchantesaplainte,Llaissez-moivivredsert.[]Entendez-moi,ombresdestnbres,RenoncezaujourHeureuxceuxquiauxenfersDumondeontoublilespeinesExtraitsdeLacrymaedeJohnDowland,traduitsparAlexandraRbner

    b Quels lments du jeu ou de la scnographie contribuent crer lunivers dpeint par ces extraits de la chanson?

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    n146 avril2012

    Dans la premire, la leve de lcran, ilest double et apathique : lactrice est aussiimmobile et presque aussi inexpressive que lemannequin.Tousdeuxsontassisdanslammeposition.

    Dansladernire,illit,cequisignaleunretour la vienormaleduntudiant. Leprocddelombrechinoiselaissecependantlepersonnagedansunecertaineindtermination;onnevoitpas dexpression qui pourrait indiquer coupsrsilestsortiounondesamlancolie.

    b partir de quel moment, dans le spectacle, une solution au dsespoir de ltudiant (et du voisin) est-elle entrevue ?

    Aprslesscnesolesdeuxpersonnagessontau paroxysme de leurs malaises respectifs, deleursangoisses(plongedanslamort/attaqueparlesobjets),chacunprendconsciencedelaprsencede lautre derrire la cloison.Un jeudcouteetde regard lindique.Lesacteursseregardenttraverslacloisonvide.Ltudiantdcide de rentrer en contact en frappant lacloison.Cescoupsrythmsdeviennentunemusiquesurlaquellelcransebaisse,etuneimagesymbo-liqueetpotiquedesdeuxpersonnagesappa-ratenombrechinoise.Ilssefontface.Placsen hauteur, ils ont des postures thtrales.

    Ltudiantarevtulacapeetlechapeauportsparlemannequinenallgoriedelamort;celapeut tre le signequil a travers cette exp-rience et la dpasse. Sa silhouette rappelleunpeudesrlespiquesduthtreclassique.Levoisinarevtusesailes;sasilhouetteestassez comique avec un contraste entre lesgrandesailesetleventreprominentetlefauxnez. Les meubles en ombre chinoise donnentlimpressionquilssontsurlestoits.Cette double image suggre que les person-nages parviennent dpasser leurs angoisses,lestenirdistanceenadoptantuneattitudequiaquelquechosedhroque

    b Pour terminer, on propose aux lves une discussion sur linterprtation quon peut donner ces images finales et aux enjeux du spectacle en gnral.

    lafindeluvredePerec,lexpriencenesesoldepasparunesolution;elleestessen-tiellementsanssolution,sansrdemption.Maislespectacleneseterminepassura:sansinflchirletextedePerec,uneaubeselve.Ladernirephrasesupposeuneluciditsursoi-mme,sursonattitudedepotemaudit.Letextedcrdibiliselattitudedepotemaudit(onavudesallusionsRimbaud).Lafinsupposequedvelopperlectpotemauditnemarchepas.lafin,lalumireattenduearriveparlesvignettesvidoquireprsententdefaonstyli-selaviequotidiennedesautreshabitantsdelimmeuble.Larsolution,cestlouverturelautre.Lideestquecestdanslasolitudeextrmequonrejointlesautres,danscetteexpriencequonsejointauxautres.Maislexpriencenepeutpasgnrerunretourlavant.Lepersonnagesedit:jesuisdanslavritparrapportmoi-mme.Jepeuxsavoirsijeveuxvivreoupas.Lalumirequasimystiqueestlaffirmationdelavie,duchoixdelavie.Ltudiantchoisitdedireoui(Camus).

    AlexandraRbner

    b On demande ensuite de comparer la premire et la dernire apparition de ltudiant.

    REBECCA GUIBERT

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    n146 avril2012

    Annexes

    bibliographie / sitographie

    Livres

    Sites

    Alexandra Rbner

    Burton,Robert,Anatomie de la mlancolie(1621),Paris,Gallimard,coll.Folio,2005.KafKa, Franz,Rflexions sur le pch, la souffrance, lesprance et le vrai chemin,Paris,Rivagespoche,coll.Petitebibliothque,2001.Lorrain,Jean,Monsieur de Phocas(1901),Paris,Flammarion,coll.GF,2001.MeLviLLe,Herman,Bartleby le scribe,inContes de la vranda(1856),Paris,Gallimard,coll.Folio,1996.Perec,Georges,Espces despaces,Paris,Galile,1974.Perec,Georges,La Vie mode demploi. Romans,Paris,Hachette,1978.Perec,Georges,Un homme qui dort,Paris,Gallimard,coll.Folio,1990.Perec,Georges,LInfra-ordinaire,Paris,Seuil,Librairieduxxesicle,1996.

    Prsentationduspectaclesur lesiteduTrident,scnenationaledeCherbourg-Octeville.Dossierpdagogiqueaccessibleenbasdecettepagedusite:http://www.trident-scenenationale.com/spectacle/Theatre/Un_homme_qui_dort/468SurlesitedelIna,entretiendeGeorgesPerecavecPierreDesgraupesloccasiondelaparutiondUn homme qui dort:http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I08261871/georges-perec-a-propos-de-un-homme-qui-dort.fr.html

    Comdienne, chanteuse etmetteure en scne,AlexandraRbnerestneVarsovieen1977.

    Elle fonde en 2010 la compagnie du thtrede la Demeure, base Arques-la-Bataille(Haute-Normandie). Aprs un parcours initiaucurdeluniversbaroque,avecnotammentlesmisesen scnedesContes du temps pass daprsCharlesPerraulten2009etdAthaliedeJeanRacineavec lamusiquedeJean-BaptisteMoreau en 2011, elle se donne aujourdhuipour ambition douvrir sa recherche vers uneesthtique et des critures contemporaines.Elleprpareuntriptyque,Melancholia,annoncparLe Buveur dtherdaprsJeanLorraindontonapuvoirlesquisseCherbourgen2008.LevoletmajeurdeceprojetestUn homme qui dort deGeorgesPerec,crauTridentenmai2012.

    Biographies

    REBECCA GUIBERT

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    n146 avril2012

    Un groupement de textes sur la mlancolie

    Plusieurs passagesmontrent le personnage en proie des symptmes similaires ceux deltudiantdeGeorgesPerec.

    Jemesouviensquilneparlaitjamais,sinonpourrpondre;que,bienquiletparfoisbeaucoupdetempslui,jenelavaisjamaisvulirenon,pasmmeunjournal;que,durantdelonguespriodes,ilrestaitdeboutderrireleparaventcontemplertraverssaplefentrelemurdebriqueaveugle;que,jentaistoutfaitsr,ilnefrquentaitjamaisnirestaurantnitabledhte;quesonvisagelividelervlaitclairementilnebuvaitjamaisdebirecommeDindon,nimmedethoudecafcommelesautreshommes;qumaconnaissance,ilnallaitjamaisnullepartenparticulier;quilnesortaitjamaispoursepromener,moinsqueceftprsentementlecas;quilavaitrefusdemedirequiiltait,doilvenaitetsilavaitaucunparentencemonde;quemalgrsapleuretsamaigreurextrmes,ilneseplaignaitjamaisdtremalade.Par-dessustout,jemerappelaiscetteexpressioninconscientedeblafardecommentdirais-je?...mettonsdeblafardehauteuroupluttdaustrerservequilprenaitparfois,expressionsquimavaitpositivementintimidaupointquejentaisvenumeplierdocilementsesexcentrici-ts,neplusoserluidemanderlamoindrevtille,alorsmmequesonimmobilitprolon-gemedonnaitcroirequiltaitl,deboutderrireleparavent,perdudanslunedesesrveriesfaceaumur.

    HermanMelville,Bartleby le scribe(1856),trad.PierreLeyris,ditionsGallimard,1996.

    Ltranger de Camus

    Bartleby le scribe dHerman Melville

    Cette nouvelle dHermanMelville estmentionne par Georges Perec dans un entretien de 1965commeunenourriturelittrairependantlcrituredUn homme qui dort,aummetitrequeFranzKafka.HermanMelvilleracontelhistoiredunhommequi,commeltudiantdeGeorgesPerec,sedprenddetout.

    Georges Perec

    Georges Perec (1936-1982) est fils dmigrsjuifsetpolonais.Ilperdtrsttsesparents:sonpremeurtaufrontenjuin1940etsamredisparat Auschwitz en 1943. Trois de sesgrands-parentsmeurentgalementendporta-tion.Cettepertemarquerasonuvredefaonlafoisdiscrteetdcisive.Aprslaguerre,ilestlevparsatantepaternelle.Ilabandonneassezvitedestudesdhistoireetoccupe,de19611978,unpostededocumentalisteauCNRS. Son uvre sarticule autour de quatreples, quil dsigne comme quatre grandsmodes dinterrogation : sociologique, auto-

    biographique, ludique (Georges Perec rejointlOuLiPo en 1967) et romanesque. Certainesuvres ressortissent particulirement dun deces ples, mais beaucoup les associent. OnpourrasedemanderavecleslvesduqueloudesquelsrelveUn homme qui dort.Georges Perec a crit pour le thtre :LAugmentation,La Poche Parmentier(ThtreI,Hachette,POL,1981).Certainesdesesuvresnon-thtralesonttporteslascne.OnconnatlesuccsduspectacledeSamiFreypartirdeJe me souviens.

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    Quepouvait-ilfaire?Entreluietlaction,entreluietlavenir,ensomme,ilyavaitcemurdeaumouvantequtaitlapluietropicale.Tantquelletomberait,ilseraitprisonnierauRelaisdesMridiens.Or,chaqueheuredattenteluienlevaitunpeudesonenthousiasme,voiredesaconscience.Ilauraitvoulufermerlesyeux,seboucherlesoreilles.Sisoler,danscettemaisonenplanchesolaplupartdesportesnefermaientpasetolesfentresntaientquedesmoustiquaires,taitimpossible.tendusursonlitdefer,dansunepiceblanchielachaux[];ilentendaitHinaselever,tranersespiedsnussurleplancher;illentendaitencorequandelleallaitaufondducouloir,[].Ilentendaitaussicequisedisaitenbas.Ilnavaitrienrpondre.Iltaittoujoursengludanssoncauchemarcommeunemouchesurdupapiercollant.Etmaintenantilserendaitcomptequilstaitmenti,lematinencore,[]ensedisantquilreviendrait.[]Ilnevoulaitplussetrouverseul,lesoir,danssahutteodesbtesgravitaientdetoutespartsaveclangoissedelobscurit,delasolitude,duvideIlavaitluttlongtemps.Ilavaitpuistoutesonnergie.[]Ilavaitcomprisque[]lafameusevienaturelledontonluiavaitparlnexistaitpas,quesasolitudentaitquunesolitudedeclochard,quilyavait,ici,commepartout,desrglessuivre,[].Ilnesavaitpascommentsyprendreet,quandlaportefutreferme,ilcommenaparstendresurlelit,detoutsonlong,platventre,aveclidequilallaitpleurer.Maisilnepleurapas.Leslimbescontinuaient.Ilsesentaitvidedansununiversvide,videetfatigu,fatigucommeonnelestpashumainement,fatigucommeIlnetrouvaitpaslemot.Oupluttilnevoulaitpaslepenser,maisillepensaitquandmme,puisquilpensaitquilnepouvaitpaslepenser!Lemot,ctaitmort!Iltaitfatigucommeunmort!

    GeorgesSimenon,Touriste de bananes,Paris,Gallimard,coll.Folio,1938.

    Touriste de bananes de Georges Simenon

    Anatomie de la mlancolie de Robert Burton

    Danscetteuvre,peuconnuedupublic,GeorgesSimenonproposedevivrelexprienceidalisepartous:vivredansuneleparadisiaquesansrienfaire,sanssouci;vivresonrythmesanssedemanderdequoiserafaitlelendemain.Or,trsvite,lesnouveauxpionniersdecetteutopie,plongent dans la dprime et dans latonie alors que les autochtones les observent (mi-amuss,mi-inquiets)toutenconnaissantparfaitementlestapesetlednouementdecetteexprience.

    Lasolitudevolontaireestsouventcompagnedemlancolie:telleunesirne,unaiguillonouunsphinx,ellevousentranedoucementverscegouffresansretour.LePoisladsignecommeunecausepremire.Aucommencement,ilestfortagrableauxtempramentsmlancoliquesderesteraulitdesjoursentiersetdegarderlachambre,desepromenersolitairesdansunbosquetdsertentreunboisetunepicedeauouauborddunruisseau,ouencoredemditersurlesujetcharmantetplaisantquisauralemieuxlestoucher;amabilis insania(aimablefolie)etmentis gratissimus error(erreurdesplusdlectables)ditHorace:queldliceincomparablequedemlancoliser,deconstruiredeschteauxenEspagne,desesouriresoi-mmeenjouantuneinfinitderlesqueloncroitfermementincarnerouquelonvoitjoueretinterprter! Blandae quidem ab initio (Audbut,quelvritabledlice),ditLemmens,quedeconcevoiroudemditersurcesagrablessujetsqui

    CetteuvredoittrelesupportdunautrevoletdelatrilogieMelancholiaquelacompagniepro-jette.Cestunlivredemdecineetdephilosophie,olamlancolieestprsenteselonlathoriede Galien comme lune des quatre humeurs, la bile noire. Cest unemaladie physiologique, quiprsentedessymptmescommunsavecceuxquedcritGeorgesPerec,maisinterprtsautrement.

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    appartiennentparfoisauprsent,aupassoulavenir,selonlaformuledeRhazs.Cesjeuxleurapportenttantdedlicesquilspeuventpasserdesnuitsetdesjoursentierssanssommeiletrestermmedesannesplongsdansleurscontemplationssolitairesetleursmditationsfantaisistesquisontpareillesdesrvesdontonlestiregrandpeineouquilsserefusentinterrompre.Ceschimressontduntelagrmentquelleslesempchentdaccomplirleurstchesquotidiennesetleursindispensablestravaux;ilsnepeuventyfixerleurattentionetsontpresqueincapablesdeselivrerltudeouuneoccupation.Cestavectantdesubtilit,dintensit,dinsistanceetdeconstancequecespensesfantaisistesetensorcelanteslesassaillent,quellesseglissentetsinsinuenteneuxpourlespossder,lesdominer,lesdistraireetlesretenirquilleurestimpossible,jelerpte,devaquerdestchesindispensablesetdesendtacheroudesenextraire.Ilssontemportsaugrdeleursrflexionsmlancoliques,commedanslalgende,lhommequunPuckentraneenpleinenuitdanslalande,etpoursuiventleurcourseeffrnedanscelabyrinthedepen-sesmlancoliquesagitesetinquites.Nepouvantlesrprimerdeleurproprechef,nisendbarrasseraisment,ilsserglentetsedrglentcommedeshorlogesetcontinuentsecomplairedansleurshumeurs,jusqucequunobjetnfasteprovoqueunbrusquechangementdescne.prsentquilssesontaccoutumscesmditationsstrilesetceslieuxdserts,ilsnesupportentpluslacompagnieetnontplusquedespensesamresetsombres.Enlespaceduninstant,lesvoilsurprisparlapeur,latristesse,lamfiance,subrusticus pudor(lamauvaisehonte),ditCicron,lescontrarits,lessoucisetledgotdelavie.Ilsnepeuventpenserautrechosecarilssontdansuneperptuellemfiance:peineont-ilsouvertlesyeuxquelaMlancolie,ceflauinfernal,lessaisitetjettelater-reurdansleurmeenprsentantleurespritquelqueobjetfunestequprsentniletra-vailnilesargumentslogiquesnepeuventdtacherdeux, haeret lateri (letraitfatal)resteplantdansleurflanc,ilsnepeuventnisendfaire,niyrsister.

    RobertBurton,Anatomie de la mlancolie(1621),choixettraductionnouvelletablissousladirectiondeGisleVenet,ditionsGallimard,coll.Folio,2005.

    []laprsencedesautresmestdevenueplusintolrableencore,leurconversationsur-tout!Oh,commeellemangoisseetcommeellemexaspre,etleurattitude,etleurfaondtreettout,ettout!Lesgensdemonmonde,mestristespareilscommetoutcequivientdeuxmirriteetmattristeetmoppresse;leurvideetbruyantbavardage,leurper-ptuelleetmonstrueusevanit,leureffarantetplusmonstrueuxgosme,leursproposdeclub!Oh!leressassagedesopinionstoutesfaitesetdesjugementsappris,levomissementautomatiquedesarticleslus,lematin,danslesfeuillesetquonreconnataupassage,leurdsesprantdsertdides,etl-dessuslternelplatdujourdesclichstropconnussurlescuriesdecoursesetlesalcvesdefillesetleslogesdespetitesfemmes!Lespetitesfemmesautreloquedelangage,lasaleusuredecetermeavachi!...mescontemporains,mescherscontemporains,leuridiotcontentementdeux-mmes,leursuffisancepanouieetgrasse,lestupidetalagedeleursbonnesfortunes,lesvingt-cinqetcinquantelouissonnantsdeleursprouessestarifesettoujoursauxmmeschiffres,leursgloussementsdepoulesetleursgrognementsdeporcs,quandilsprononcentlenomdecertainesfemmes,lobsitdeleurscerveaux,lobscnitdeleursyeuxetlaveuleriedeleurrire!

    JeanLorrain,Monsieur de Phocas,1901.

    Monsieur de Phocas de Jean Lorrain

    Le romanconsisteprincipalementdans le journal intimeduducdeFrneuse,aliasMonsieurdePhocas,dandydcadentetangoiss,consumparlarechercheimpossibledunidalquilidentifiecommeune certaine transparenceglauque. Il parle de cette qute commedunmal, dunemaladie,quiluirendinsupportablelamdiocritdumonde.Lamlancolieyapparatcommeunenvrose.

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    Note dintention

    Lascneestunechambredebonneparisiennemeuble,aujourdhui.Lesoleiltapesurlestlesdutoit.Danslachambre,stagnesurunebanquette,ctdunebassineenmatireplastiquerose,oflottenttroispairesdechaussettesetdunboldeNescafmoitivide,untudiantenlicencedesociologie.Onnesaitpassonnom:ilestpourtoujourscettevoixhypnotiqueetanonymequisnonce,etquiseparlesoi-mmeladeuximepersonne,ilesttoujourstu.Unjour,toutsimplement,ilneselvepas:lejourdetonexamenarriveettunetelvespas.Cenestpasungestepr-mdit,cenestpasungeste,dailleurs,maisuneabsencedegeste.Danscettetorpeurdelme,ilvafairelexprienceradicaledelabsenceaumondeetsoi,delatotaledsaf-fection,delgalitdetouteschoses,delamortintrieureparindiffrenceabsolue.Cestunjourcommecelui-ci,unpeuplustard,unpeuplustt,quetudcouvressanssurprisequequelquechosenevapas,que,pourparlersansprcautions,tunesaispasvivre,quetunesaurasjamais.Accumulationsdabsences,notationspurementfactuelles,descriptionsdesdambulationsdanslavilledunabsurdepiton,numrationssystmatiquesquinontdautrebutquededirelinanitdetout,motscroissduvide:cestlenregistrementcliniquedunedisparitionquePerecmetenuvre,ladisparitiondumoi,ladescenteautombeau.Onsaitlinclina-tiondustylepercienaujeulittraire,lacontrainteformelle:iciilssontmisauserviceduneprisedeconsciencetragique.Maisletragiquealieusanstatsdme,sanscommen-taire,sanstragdie.Carcenestquedelaccumulationdesfaits,delenregistrementduneintrospectionfroid,deladescriptionimplacabledeschoses,delempilementdespas,delattentionmticuleuse,obsessionnelle,lapluscontingentebanalit,audtailleplusinsignifiant,quenatlaradicalitsanssecoursdelexpriencedelHommequidort.Cestaussiencelaquecetextecristallise,mesemble-t-il,lesentimentduntragiquemoderne,levisagemodernedelamlancolie.Mlancoliedontlenoirsoleilprendicilaformedunecartographiedeladpression.

    VerslamiseenscnedUn Homme qui dort:espcesdespaces...Dabordilyalachambre.Tachambreestlecentredumonde.Danslachambreilyaunhommecouch.Surunebanquette,troptroite.Leralisme,etmmelhyper-ralismeesticiunlmentdramaturgiqueindispensable.Ilfautlabassineenmatireplastiquerose,ilfautltagreencontreplaqublanc,ilfautlelinolum,ilfautleboldeNescafmoitivide,ilfautlepaquetdesucretirantsursafin.Cestlimagepremire.Ilfautaussilachaleuraccablantedeltparisien,dansunemansardesouslescombles.Puis,aufildelerrancedelHommequidort,errancesouventnocturne,lachambrevadevenirlespacepotiqueosinscritcettedrivemthodique:lachambredevientlaville:villeputride,villeignoble,hideuse.Villetriste,lumirestristesdanslesruestristes,clownstristesdanslesmusic-halltristes,queuestristesdevantlescinmastristes,meublestristesdanslesmagasinstristes.Lachambredevientlaville,parcequelHommequidortytransportesachambreintrieure,lenoyaudurdesasolitude,etparcequenretourlavilleestunecitcauchemar,commecontamineparleprismeoppressantdelachambre.Dansunsecondtemps,ilyales-ctsdelachambre:lagouttedeauquiperleaurobinetdupalier.Lencore,lesoncreralespace:lagouttedeaulextrieurdelachambre,dontlachuteobsdantemarqueuntempsquinepasseplus.Puisctdelachambre,ilyalachambreduVoisin.LeVoisinestpourmoiunpersonnagepartentire,jouparuncomdien.BienquedanslelivredePerec,onnelevoiejamais.Onledevineseulement:sesraclementsdegorge,lestiroirsquilouvreetquilferme,sesquintesdetoux,lesifflementdesabouilloire.OnspculesurcequepeuttrelavieduVoisin:Tucroisquilestmarchandambulant,vendeurdecravatesprsentesdansunparapluie,oupluttdmonstrateurdequelqueproduitmiracle[]oumieuxencorepetitmercierdontltal,constituparunevaliseouverte,offreauxbadaudsdesGrandsBoulevardsdespeignes,deslimes,deslunettesdesoleil,destuisprotecteurs,desporte-cls.JecroisdoncquilfautquelespaceduVoisin,etleVoisinlui-mmesincarnent.Ceperson-nagerevtnanmoinsunstatutparticulier:jimaginevolontiers,toutcommeltudiant,

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    queleVoisinestbienunreprsentantdecommercelapetitesemaine,quitrimballedanssonternellevalise,luiservantdtalage,unimpossiblebric--bracdemenusobjetsquotidiens.Cestunrlemuet,dontlesapparitionsrcurrentesfonctionnentcommedesponctuationsdanslesoliloquedelHommequidort.Cesapparitions,construitessurunemcaniquedurituel,secaractrisentparledballagesystmatique,letri,lacomptabili-sation,leremballageactivitstrsperciennesdecesmenusobjets,quienvahissentdemanirelafoisinquitanteetcomique,sonespace.DesortequelonpeutlireenquelquessorteslerleduVoisin,commeceluidunclownmlancolique,emptrdanslaprolifrationdesChoses,ettentantavecunepatiencepoignante,dyinstaurerunordre.CommechezKafka,chezPerec,letragiqueetlecomiqueutilisentlesmmesressorts,etcohabitentdansunetroitefrontire.Plusquunpersonnage,leVoisinestuneprsence,unsymbole:cestlhommedesChoses,lhommeduRel,entrevulafoisdanssafascinante,ludiquebigarrure,etdanssapathtiqueabsurdit.Enfin,ilyalemonde.Lemonde,cest--diretouteslesautreschambres.Ilyaladvenuedumondeautourde