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DANS CE NUMÉRO :
DOSSIER : GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE! Parole de Marmotte nº11. Une route, des chemins /Marmotte
dans le monde … 2
GARDONS LA LIGNE !
Témoignage. Ouf! J'ai voyagé en TER sur la ligne Nice -Tende
sans problème! … 3
Une ligne exceptionnelle … 4
En images : Une gare, une histoire … 5 [OREILLES TENDUES] « Garder la ligne de vie » : 40 ans de
combat … 7
Travaux en cours … 9 [OREILLES TENDUES] Parole aux usagers ! … 10
Oreilles tendues à un proche de notre ligne de train … 10
Ceci n’est pas un train ! Calvaire des usagers des bus de rem-
placement … 11 Décryptage. Vie et mort d’une ligne de chemin de fer … 12
IMAGINAIRE DU TRAIN :
En Train Ne Ment … 14
Prendre un train … 15
D’un tunnel à l’autre. NoTAV de Valsusa … 15
ACTUALITÉS … 16
Fête de la brebis brigasque … 17
Appel aux lecteurs … 18
La marmotte La marmotte déroutéedéroutée
Octobre - Novembre 2017 - nº11 - Prix libre
UN JOURNAL POUR LA ROYA
Hiver 2010. Dans un bus longue distance sur une route
tortueuse du nord du Pérou, des voyageurs discutent : « Les
gens veulent des trains lents parce que les trains rapides
sont stressants et comme ça on peut admirer le paysage et
parler de la nature avec son voisin. Sinon, faudrait inventer
des trains rapides qui ne secouent pas, mais bon, ça n’exis-
te pas ». Au Pérou, hormis la ligne touristique privée hors de
prix qui mène au Machu Picchu, le transport ferroviaire n’existe
plus que pour les marchandises. Comme dans presque tous les
autres pays d’Amérique latine, le transport ferroviaire des pas-
sagers a été démantelé et remplacé par des bus.
Et si on faisait un peu d’anticipation, dans le registre
dystopie [1]? Que diront, dans une centaine d’années, en regar-
dant les vestiges de la voie ferrée par la fenêtre, les voyageurs
d’un car brinquebalant qui grimpera péniblement la côte de
Saorge ou de la Brigue ? « Ici, à une époque, passait un train,
c’était pas si mal, me disait mon grand-père, on pouvait
regarder le paysage sans avoir envie de vomir, il ne se-
couait même pas, il était confortable, il y avait même des
tables, on pouvait lire, écrire, casser la croûte… Il fut aussi
un temps, encore avant, où les trains allaient partout, on
pouvait carrément se passer de voiture et même aller faire
ses études en ville ». « Se passer de voiture, ici ? Tu décon-
nes ! ». « Ben, et toi, qu’est-ce que tu fais dans un bus ? ».
Bon, là, c’est encore une version optimiste. Forçons le trait :
passé un temps, on supprimera aussi les bus, par manque de
rentabilité. Que feront les gens qui, pour une raison ou pour
une autre – âge, handicap, idéologie, retrait de permis - ne
pourront pas conduire ? Condamnés à l’immobilité, regarde-
ront-ils les voitures et les camions faire la queue sur une voie
encombrée ou, au contraire, filer à toute vitesse sur l’autoroute
qui aura eu raison de nos montagnes ? Catastrophiste ? Et bien,
à nous de faire en sorte que cela reste une fiction !
Notre « petit train des Merveilles », une merveille d’ar-
chitecture ferroviaire qui relie la mer à la montagne, aujour-
d’hui, nous y tenons, nous ne voulons pas qu’il disparaisse.
Pourtant, à une époque, la construction du chemin de fer a vidé
des campagnes, a détruit des terres agricoles, a généré son lot
de nuisances, a modifié l’imaginaire. Après la guerre, la re-
construction a été laborieuse, a exigé du temps, de l’argent, du
travail. La ligne du train ne s’est pas faite toute seule, elle a été
coûteuse en efforts, en vies, en bouleversements profonds. Est-
ce parce que le souvenir de ces bouleversements s’efface que
certains semblent vouloir déjà en vivre d’autres, probablement
irréversibles, en préférant la route au rail ? Halte ! Il est urgent
de réfléchir ! Et quoi de mieux, pour cela, que de prendre un
train ? Alors, on embarque, fermeture des portes, c’est parti…
Publication autogérée par des habitants de la vallée de la Roya - www.la-marmotte-deroutee.fr - [email protected] - 07 68 05 65 34
Gardons notre train de vie!
[1] Fiction pessimiste (le contraire de l’utopie)
Je marche. Je pose une patte derrière l’autre et
j’avance. Avec la sensation d’un léger vertige, comme si
mes pattes bougeaient toutes seules sans que je comprenne
très bien comment elles font. Je me laisse porter, curieuse
de voir où elles m’achemineront. J’ai là, me dis-je, l’image
de toute mon aventure. Museau suivant le sens du vent, je
me laisse porter par les rencontres. Mon histoire se déroule
comme les anneaux d’une couleuvre : c’est les détours des
virages qui dessinent mon chemin. Je jubile.
Mes pattes avancent à une vitesse modérée et constante. Ce
sont ces barres grises et parallèles qui veulent ça. Elles sont
disposées à intervalles réguliers entre deux grosses barres
de fer dont je ne vois pas la fin. L’ensemble forme une sorte
d’échelle posée par terre, sur du gravier, courbée par en-
droits. Le chemin de fer, disent les Humains. Une route faite
pour une créature très spécifique, une longue chose froide
et brillante, aux formes mi-anguleuses mi-arrondies, un peu
comme les grosses bêtes-boites, mais beaucoup plus étirée.
Cette chose, comme les bêtes-boites (« voitures » ou
« camions »), sert aux Humains de moyen de transport (car,
vous l’aurez compris, ils ne se transportent presque plus
tous seuls et cherchent donc pour cela divers moyens). Ils
l’appellent « train ». En temps normal, je n’aurais jamais pu
faire ma promenade, parce que le train passe sur les barres
en fer où mes pattes cheminent. Et une Marmotte sous le
poids de cet énorme bestiau ne survit pas plus d’une secon-
de. Mais aujourd’hui, j’y marche parce que le train ne passe-
ra pas.
Je marche, mais je ne vais plus en ville. Pas pour le moment,
plus tard, sans doute. Je marche même dans la direction
contraire, jusqu’à un sous-terrain où je dois retrouver des
membres du RAR (cf. Parole de Marmotte 9 et 10), car la cel-
lule des formateurs m’a chargée d’une mission d’informa-
tion. « Fais vite, mais ne t’épuise pas sur le chemin », m’a or-
donné le loup mettant mes pattes en mouvement dont elles
gardent la cadence. Déroutée, je ne choisis plus ma voie.
Je trotte, barre après barre. L’échelle du chemin de fer défi-
le au rythme régulier de mes pattes rebelles. Bercée par
leur mouvement, je me laisse me perdre dans mes pensées.
Le RAR. Drôle d’impression. Je dois avouer que je m’en mé-
fie un peu. J’ignore par quel hasard ma route a croisé la leur
et pourquoi je les laisse prendre tant d’ascendant sur moi.
Surement parce que, s’ils ne m’avaient pas inscrite sur leur
liste des proies intouchables, cela ferait longtemps que je
me serais fait dévorer sur le chemin. Parce que, sans doute,
j’ai besoin de leurs conseils et de leur compréhension du
monde des Humains. Parce que, aussi, l’un des leurs m’avait
sauvé la vie. N’empêche, cela ne me suffit pas, et leur ten-
dance à me donner des ordres sans me laisser le choix com-
mence à me peser un peu. J’ai l’impression d’être prise dans
quelque chose qui me dépasse. Mais, direz-vous, cela fait
déjà longtemps.
Quoi qu’il en soit, je marche vers un souterrain, qui, m’ont-t-
ils dit, servait jadis aux Humains à trier et à stocker des mar-
chandises qu’ils transportaient par le train. « Ah, les fa-
meuses Tomates d’Espagne ? ». Non, ce n’était pas des Toma-
tes, mais peu importe : il y avait donc bien un moyen de
trimballer des choses autrement que dans le ventre des ca-
mions ! Le gros tunnel qu’ils sont en train de creuser en fai-
sant trembler la montagne n’était donc pas indispensable.
Mais le chemin de fer ne les satisfaisait pas. Peut-être parce
que, à force de ne pas s’en occuper, ils ont réduit la vitesse
avec laquelle y passait le train. Or, la vitesse semble être
pour eux une chose très importante. Pas que pour eux
d’ailleurs ! « Fais vite », m’a dit le Loup. Vite sans m’épuiser,
mais vite. Si les Humains se meuvent dans les bêtes-boites et
rentrent dans le ventre du train, c’est justement pour aller
vite sans s’épuiser. Vite. Plus vite. Très vite. Mais vite jus-
qu’à quel point ? A force de vouloir faire toujours croître leur
vitesse, ne deviennent-ils pas si dépendants de leurs
« moyens » qu’ils en viennent à perdre leur temps ?
Aujourd’hui, s’il n’y a plus de train, c’est parce que les Hu-
Page 2
Parole de Marmotte nº11Parole de Marmotte nº11Parole de Marmotte nº11
UNE ROUTE, DES CHEMINS...
Déroutée par sa crainte des bouleversements irréversibles que lui annoncent les travaux au col de Tende, la « petite
reine des tunnels », une marmotte des alpages de la Haute Roya, quitte son terrier et part découvrir le vaste monde à
la recherche d’une solution. « Parole de Marmotte » est son journal de bord. Elle y retrace sa quête et ses appren-
tissages du monde des Humains. Pour retrouver les précédents épisodes, lisez les pages 2 des anciens numéros.
La Marmotte déroutée
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
Marmotte dans le monde
Il existe 14 espèces de marmottes :
Marmota baibacina (Asie) ;
M a r m ot a boba k (p r ai r i e s
d’Eurasie) ; Marmota broweri
(Alaska) ; Marmota caligata
(marmotte des Rocheuses :
Canada, Alaska et nord des
Rocheuses aux États-Unis, c’est la
plus grosse des marmottes,
atteignant jusqu'à 13 kg) ; Marmota
camtschatica (marmotte à tête noire de Kamtchatka) ; Marmota
caudata (marmotte à longue queue d’Asie centrale) ; Marmota
flaviventris (marmotte à ventre fauve d’Amérique du Nord) ;
Marmota himalayana (marmotte de l'Himalaya) ; Marmota
marmota (Forêt noire, Alpes et Pyrénées) ; Marmota menzbieri
(Asie centrale) ; Marmota monax (marmotte commune d’Amérique
du Nord) ; Marmota olympus (marmotte de la péninsule
Olympique des États-Unis) ; Marmota sibirica (marmotte de
Sibérie) ; Marmota vancouverensis (marmotte de Vancouver).
A quelques détails près (taille, couleur de pelage…), ces 14
espèces se ressemblent beaucoup. Leur structure sociale varie
selon la dureté de leurs conditions de vie : les espèces
montagnardes ont adopté un mode de vie plus communautaire
que leurs cousines installées dans les plaines. Suivant le retrait des
glaciers à la fin de la dernière glaciation (Würm) et fuyant les
pressions humaines, elles se sont réparties dans les régions
froides ou montagneuses de l'hémisphère nord, jusqu’aux rives de
l'océan Arctique (2 espèces).
La marmotte des Alpes est divisée en deux races : Marmota
marmota marmota (en Allemagne, France et Suisse, sauf dans les
Monts Tatras) et Marmota marmota latirostris (la marmotte des
Tatras : dans les Monts Tatras et entre la Pologne et la Slovaquie).
Depuis le début du XXème siècle, les opérations de repeuplement
avec des animaux originaires des diverses vallées ont permis
d'accroître le nombre des marmottes européennes, qui était au
plus bas à la fin du XIXème siècle (réimplantations dans les
années 1950 aux Pyrénées, puis introductions dans le Massif
central, etc.) Certains repeuplements ont échoué (Vosges, Jura…).
Source : Wikipédia
La petite reine des tunnels
mains, lui préférant la grande Route, ont laissé sa petite voie
de fer vieillir et se détruire. Ils doivent donc la réparer.
Pourtant, ils aiment beaucoup le fer, au point de le voler au
gros tunnel qui maintenant risque de s’écrouler. Je me de-
mande si les morceaux de fer subtilisés là-haut pourraient
suffire à refaire la route du train. Et je me demande aussi
pourquoi ils aiment tellement leurs « petites » bêtes-boites
personnelles, où ils ont l’air de se sentir si seuls, alors que
dans le gros ventre du train ils pourraient rencontrer d’au-
tres Humains ?
La lumière change. A contrecœur, je lève les yeux de mes
pattes et du damier des barres et du gravier. Un frisson. Je
rentre dans un tunnel.
Les pattes continuent, bien que le reste de mon corps se fige
dans une tentative de fuite. Vite, pour en sortir plus tôt ? Je
cherche à m’occuper l’esprit et laisse mes pattes se concen-
trer sur la vitesse. Quelle est la bonne vitesse ? Chaque
espèce a la sienne, mais les plus rapides s’échappent ou rat-
trapent leurs proies plus facilement. « Deux choix : tu prends
ton adversaire de vitesse ou tu le surprends », ai-je entendu
répondre le Renard au Loup intéressé par ses techniques de
chasse. Quels avantages a la lenteur ? De nous laisser le
temps de regarder les choses qu’on croise sur notre chemin,
de les connaître, de ressentir, d’apprendre ? Un escargot
saurait sans doute m’éclairer dessus. Mais je n’en ai croisé
aucun dans le cercle du RAR. Les bêtes que j’ai vues sont
toutes plutôt rapides. Je me demande ce qu’elles pensent
des escargots.
Il fait noir, mais mes pattes poursuivent
leur route. Je sens que leur effort s’intensi-
fie. Je monte ? Je tourne ? Où est-ce que je
vais ? J’ai dû tourner, car la lumière
m’éblouit. Je sens un vent frais se perdre
dans mes moustaches. Bientôt, je suis de
nouveau à l’air libre, mais deux murs, un
de chaque côté, m’empêchent de voir le
paysage. L’Aigle m’a dit que le chemin du
train était de toute beauté. Moui, vue du ciel, surement, la
chose sur laquelle je marche doit avoir une allure intéressan-
te. Moi, le museau au ras du sol, je me contente de nouveau
des barres et du gravier. Quelques touffes d’herbe parfois.
Plus d’herbe. Un nouveau tunnel m’embarque dans sa spira-
le.
Page 3
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
Octobre-novembre 2017, nº11
Je me souviens de la Micheline crème et rouge.
Je me souviens des wagons enfumés et bondés
du dimanche soir…, mais quelle ambiance!
Je me souviens de la carrière qui rendait
blanc tout le paysage autour de Peille.
Je me souviens de l'arrivée à Nice où le
poinçonneur, assis dans sa guérite, récupérait
le ticket cartonné.
Je me souviens de la joie du vendredi soir et du
bus qui nous attendait à Breil pour monter dans
la vallée.
Je me souviens du 6 octobre 1979.
Pensées émues pour tous ceux qui ont travaillé
pendant des années à construire cette magnifique ligne de che-
min de fer et dont certains y ont même laissé la vie.
Honte à ceux d'aujourd'hui qui osent penser la rendre obsolète
et lui préférer l'automobile et les camions.
Honte à ceux d'aujourd'hui qui n'utilisent pas ce splendide ouv-
rage à sa juste valeur.
Prendre le TER Nice - Tende relève de nos jours de l'Aventure
des plus lamentables ... Qui aurait cru cela il y a 35 ans...?
D'abord, si on veut assurer son retour, il vaut mieux se rendre à
Breil en voiture que de prendre le rare train qui dessert le haut
de la vallée (aussi bien à l'aller qu'au retour).
Tout en tremblant d'incertitudes en arrivant dans le hall de la
gare de Breil, regard sur le tableau d'affichage : à l'heure, re-
tardé, annulé ? Ouf! À l'heure.
Prendre le billet au guichet : grève ou pas grève ? Ouf ! Pas de
grève aujourd'hui.
Une fois dans le wagon, départ et croisement, avé, le TER qui
monte, à l'heure ou pas à l'heure ? Ouf, il aproche !!!
Arrivée à l'heure à Nice… Ouf ! L'angoisse qui a duré une heure
commence à me quitter ..
Ouf! Aujourd'hui, je ne vais pas rater mon rendez-vous, mon
concours, mon Blabla car, mon entretien d'embauche, mon
avion ...
Une belle journée s'annonce, jusqu'à ce soir, pour le retour.
Train annulé ou pas ? Ouf ! N'est-ce pas fou tout ça ?
MM
Témoignage. Ouf! J'ai voyagé en TER sur la ligne Nice -Tende sans problème!
GGGARDONSARDONSARDONS LALALA LIGNELIGNELIGNE !!!
On ne sait toujours pas ce qu’en pense l’Escargot, mais une
Marmotte s’est glissée dans une voiture qui, le dimanche 1e
octobre dernier, avait pris part à une opération portant son
nom : « opération escargot », une invention humaine qui
consiste à rouler à vitesse réduite (20 km/h) et ralentir la
circulation pour des raisons diverses (par exemple, contre la
construction du double tunnel de Tende). Les trois Humains
à l’intérieur de la voiture dissertaient sur les vertus de la
lenteur. Voilà ce qu’ils ont pu énumérer : on peut admirer le
paysage (ils étaient tout contents de voir une otarie dans la
Roya !) ; la lenteur stimule la digestion, l’échange d’idées et
la créativité, puis, un effet de bord pas forcément désiré, fait
naître des idées folles et impossibles.
Page 4 Octobre-novembre 2017, nº11
La ligne Nice-Breil, longue de 44,1 km, com-
porte vingt-quatre tunnels et vingt ponts et
viaducs. Au départ de Nice-Ville, elle débute
en double voie en passant sous la colline de
Cimiez par le souterrain de Carabacel (662 m) pour rejoindre la gare de Nice-Saint-Roch.
Siège d’un dépôt, d’un triage, d’une gare à
marchandises et d’un faisceau de garages de
rames, cet établissement sert d’annexe à la
station principale de Nice-Ville. Cette gare est aujourd’hui fer-
mée et a été remplacée par la halte de Nice-Pont Michel où les
TER sont en correspondance avec les tramways niçois.
A partir de là, la voie unique dessert L’Ariane, La Trinité-Victor,
Drap-Cantaron et la nouvelle halte de Drap-Fontanil (Lycée Goscinny), qui marque la fin de la banlieue niçoise. Le tracé
remonte la rive gauche du Paillon de L’Escarène où les ram-
pes se raidissent à 25 mm/m. Il dessert les gares de Peillon,
Peille, L’Escarène tandis que les ouvrages d’art se multiplient,
tels que le tunnel de Thuet (348 m), le viaduc et le tunnel de la
Launa (100 et 309 m), le viaduc de L’Erbossiera (150 m en onze
arches), les tunnels de Santa-Augusta (754 m), du Brec (382 m)
et le viaduc de L’Escarène (230 m en onze arches). Après la
gare du même nom, le tunnel de Coalongia (528 m) donne ac-cès à l’étroit vallon de Touët où débute le souterrain du Col de
Braus (5939 m), un des plus longs de France. Parvenue à son
point culminant, la voie ferrée redescend vers le bassin de
Sospel où elle franchit les viaducs de la Bévéra et de la Bassera,
avant de pénétrer dans le tunnel du Mont-Grazian (3882 m). Celui-ci débouche dans la vallée de la Roya, où la ligne sur-
plombe en corniche celle arrivant de Vintimille. Le viaduc de
Bancao (110 m en huit arches) et les tunnels de Bancao (509 m)
et Caranca (915 m) précèdent l’arrivée à Breil-sur-Roya, où les trains venant de Nice rejoignent l’axe international Vintimille
- Coni.
Long de 99,4 km, celui-ci comporte soixante-dix-sept tunnels et
soixante-six ponts. Un peu plus de la moitié de ces ouvrages se
répartissent sur les 47 km qui se trouvent aujourd’hui en terri-toire français, formant une concentration de tunnels et de
boucles hélicoïdales unique en Europe. La voie unique, re-
montant la vallée de la Roya depuis Vintimille, dessert la halte
de Bevera, pénètre en France en amont de la station d’Olivetta-
San-Michele, à hauteur du hameau ligure de Fanghetto. Par une
suite de tunnels (Acrie 820 m, Arme 333 m et Fromentino 645
m), elle parvient à l’ancienne gare-frontière de Piène, peu
après laquel-le la ligne de Vintimille passe en contrebas de
celle arrivant de Nice. D’autres ouvrages, dont le viaduc des
Eboulis (270 m en dix-sept arches) et le tunnel de Gigne (1188
m), précèdent la jonction avec la ligne de Nice à l’entrée de la
gare de Breil-sur-Roya.
Au nord de Breil, la voie s’élève en rampe de 25 mm/m vers le
viaduc de la Maglia, les tunnels de Précipus (623 m) et du Four
-à-Plâtre (315 m), le pont de Saorge (une arche de 40 m) et le
tunnel de Saint-Roch (511 m), pour arriver en gare de Fontan-
Saorge. Le viaduc de Scarassouï (125 m) fait repasser le rail en
rive droite de la Roya où il décrit une boucle hélicoïdale dans
le tunnel de Berghe Inférieur (1885 m), gagnant ainsi 70 m de
dénivelé. Au niveau supérieur de la boucle, le tunnel de la Fron-
tière (743 m) marquait jusqu’en 1947 la fin du trajet français avant
d’entrer en Italie par le tunnel de Paganin (1702 m). A trois repri-
ses, le tracé en S saute d’une rive à l’autre entre les longs tunnels
de Porcarezzo (1249 m), de la Biogna (1154 m) puis, après l’an-
cienne gare internationale de Saint-Dalmas-de-Tende, ceux de Rioro au tracé hélicoïdal (1807 m) et de la Levenza (418 m).
Dans cette vallée affluente, la ligne dessert La Brigue, puis elle
retrouve la Roya par le tunnel de Bosseglia (1585 m) et franchit
un viaduc à douze arches à l’entrée de Tende. Une troisième bou-
cle hélicoïdale débute au-dessus du village par le tunnel de Cag-
nolina (1467 m), suivi de ceux de Rio-Freddo (376 m), Frera (498
m), Alimonda (380 m), Mezzora (351 m), Devenzo (732 m) et
Gaggeo (373 m). Le viaduc de la Chapelle précède le tunnel en fer à cheval de Branego (1273 m) qui débouche sur la petite ga-
re de Vievola, la plus haute des Alpes-Maritimes à 979 m d’al-
titude. La voie s’enfonce alors dans le tunnel international du Col
de Tende (8099 m), où le point culminant à 1040 m marque la
frontière, avant de plonger vers Limone et Coni.
(Extrait du LIVRE BLANC du chemin de fer Nice et Ventimi-
glia - Breil/Roya -Tende - Limone - Cuneo – Torino.
Version 2.0 du 28 avril 2017 coordonnée par Michel Bouc-
hard et Michel Braun, téléchargeable sur www.ecomusee-
breil.fr/LivreBlanc27-04-2017.pdf)
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
Devinette : quel est ce lieu un peu secret mais néanmoins
célèbre de Breil-sur-Roya, entre rails et passage à
niveau ? Vous aurez probablement reconnu l'Écomusée du
haut-pays et des transports situé dans l'ancien dépôt de
locomotives à proximité de la gare SNCF. Celui-ci présente
plusieurs locomotives, à vapeur ou électriques, des autorails, un
locotracteur, des tramways, des autobus et trolleybus, ainsi qu'un
réseau ferroviaire miniature à l'échelle reproduisant plusieurs
sites emblématiques de notre ligne de train. En savoir plus : www.ecomusee-breil.com - [email protected] -
téléphone: 0033 (0)4 93 04 42 75
Une ligne exceptionnelle
La Marmotte déroutée Page 5
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
La gare de Breil-sur-Roya
en 1928-1935
La gare de Breil-sur-Roya fut
inaugurée le 30 octobre 1928,
en même temps que les lignes de train Breil-Nice
et Coni-Vintimille (Cuneo-Ventimiglia en italien),
ligne italienne qui traversait une portion du terri-
toire français (19,1 km entre les gares de Saint-
Dalmas-de-Tende et de Piène). Les deux lignes
se rejoignaient à la gare de Breil (le plus grand
village de la partie française de la vallée de la
Roya au moment de la construction du chemin de
fer). Celle-ci a donc été conçue dès le départ
comme « nouvelle gare internationale d’embran-
chement ». Finalisée au printemps 1928, elle fut
dotée d'un bâtiment monumental pour les pas-
sagers, d'une salle de buffet, d'une buvette, d'une
cuisine, de locaux réservés aux douanes italienne
et française ainsi qu’à la Guardia di finanza. Elle
fut aussi pourvue de cinq voies, de trois quais
avec abris et d’un passage souterrain. Le service
de fret fut organisé en trois domaines : disserte
locale, import-export et transport d'animaux.
EEENNN IMAGESIMAGESIMAGES :::
30 octobre 1928. L'arrivée festive du
premier train de Cuneo à la gare de
Breil-sur-Roya. Carte postale tirée de la
collection de Gérard De Santos.
La gare internationale de Breil-sur-Roya
en 1930. Carte postale.
L’électrification
En avril 1935, la ligne électrique italienne est
prolongée jusqu’à la gare de Breil. L’électrifica-
tion du dernier tronçon sur la section Coni-
Vintimille (entre Saint-Dalmas-de-Tende et
Piène) est achevée (les sections Vintimille-Piène
et Saint-Dalmas-Coni étaient déjà en traction
électrique dès le 15 mai 1931). Autour de 1934 : la gare de Breil-sur-Roya en phase de transformation avec les poteaux
électriques italiens pour l’électrification de l’ensemble de la ligne Coni-Vintimille.
Carte postale.
La guerre
Puis, le vent tourne. L’Italie déclare la guerre à la Fran-
ce le 10 juin 1940. A l’aube, dès le lendemain, les che-
minots italiens quittent la gare de Breil en direction de
Piène. Juste après, le chef (français) de gare sabote les
voies le long de la frontière sud, coupe le courant élec-
trique dans la section française et, avec le reste du per-
sonnel de la SNCF, quitte Breil pour Nice. Le même
soir, l’armée française interrompt la ligne en faisant
sauter trois viaducs, à Saorge (ligne Coni-Vintimille) et
à Sospel (de Bassera et de Bevera, ligne Breil-Nice).
La circulation sur les deux lignes sera réactivée le 28
novembre 1940, après la reconstruction des viaducs
par les Italiens. Puis, suite à l’armistice italien du 8 sep-
tembre 1943, les forces armées italiennes abandon-
nent la Roya en faisant de nouveau sauter le viaduc de
Saorge. La liaison ferroviaire au nord de Breil est inter-
1945. Gare de Breil-sur-Roya détruite par les Allemands. Tout a dû être
reconstruit. Carte postale. Source : Archives Départementales des Alpes-
Maritimes
Page 6 Octobre-novembre 2017, nº11
rompue. La vallée de la
Roya est alors progressi-
vement occupée par les
Allemands qui recons-
truisent le viaduc et ré-
tablissent le trafic le 2
janvier 1944.
En juillet-août 1944, la
gare de Breil subit de
nombreux bombarde-
ments aériens de la part
des alliés. La ligne est aussi l’objet des
sabotages menés par la résistance. Puis,
entre septembre et octobre 1944, les Alle-
mands se retirent de la basse Roya et de
la Bevera, en détruisant les viaducs les
plus importants et les principaux tunnels
de la portion Breil-Vintimille. En avril
1945, les Allemands abandonnent l’ense-
mble de la vallée, en détruisant les ou-
vrages les plus importants entre Breil et le
col de Tende. Le viaduc de Saorge est
détruit pour la troisième fois.
Du fait de son importance en tant que
nœud ferroviaire stratégique, la gare de
Breil a été particulièrement visée. Les
voies, les échangeurs et les installations électriques
ont été systématiquement détruits, et la zone de la gare
transformée en un champ miné entouré de barbelés.
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
La reconstruction
Après la fin de la guerre, en 1947, la circulation est
brièvement rétablie entre Coni et Vievola par les FS
(Ferrovie dello Stato) et entre Nice et Breil par la
SNCF, après la reconstruction par la France des ou-
vrages détruits sur cette section. Mais, la même
année, les communes de Tende, de La Brigue et les
hameaux de Piène et de Libre sont cédés à la France
(traité de Paris), ce qui pousse les Italiens à abandon-
ner la ligne. Les FS limitent la desserte voyageurs y
compris sur le tronçon Limone-Vievola, pourtant en
bon état. Seuls y circuleront, de façon très épisodi-
que, des trains de marchandises et des navettes por-
te-autos (en 1964-1965).
Pendant plus de 30 ans, la ligne est laissée à l’aban-
don, seul le tronçon Nice-Breil restant desservi par
trois, puis quatre allers-retours par jour. La gare de
Breil est restaurée de façon sommaire.
En 1970, la France et l’Italie décident de reconstruire
la section Vintimille-Limone et signent une convention
selon laquelle l’Italie assume la majorité des frais. La
ligne Coni-Vintimille est de nouveau inaugurée solen-
nellement le 6 octobre 1979. La gare de Breil retrouve une partie de
sa splendeur d’antan, mais la ligne n’est pas re-électrifiée. La con-
vention de 1970 est toujours en vigueur et l’entretien de la ligne, fi-
nancé par l’Italie en vertu de celle-ci, pose toujours problème.
Le 3 septembre 2017, un rassemblent de soutien à la ligne a eu lieu
devant la gare de Breil-sur-Roya. A l’occasion de cet événement, à
l’initiative des Amis du rail, une plaque commémorative a été posée
pour rappeler que les amoureux du train ne laisseront pas la ligne
disparaitre.
1945. Gare de Breil-sur-Roya détruite par les Allemands. Tout a dû être reconstruit. Carte
postale. Source : Archives Départementales des Alpes-Maritimes
6 octobre 1979, l’inauguration des lignes reconstruites : l’arrivée du train
inaugural de Cuneo.
Sources :
Facebook du Comité franco-italien Cuneo-Nizza Unisce que nous remer-
cions pour ces photos. Vous pouvez les retrouver, ainsi que d’autres, sur :
www.facebook.com/LaCuneoNizzaUnisce/photos;
Un Tour a piccole tappe sulla ferrovia Cuneo-Ventimiglia (traduction) ;
LIVRE BLANC du chemin de fer Nice et Ventimiglia - Breil/Roya -Tende - Limone
- Cuneo – Torino. Version 2.0 du 28 avril 2017 coordonnée par Michel Bouchard
et Michel Braun.
La Marmotte déroutée Page 7
M : Merci d’accueillir la Marmotte chez toi, ce n’est pas
courant qu’un rongeur des Alpes rentre dans un apparte-
ment pour parler « train », mais l’époque est moderne n’est-
ce pas ? Pourrais-tu nous en dire plus sur ton engagement ?
J’avais sept ans quand j’ai fait ma première manif’ pour le
train. C’était en 1977, on se mobilisait à l’époque pour le train
des Pignes. On parlait déjà de la ligne de la vallée de la Roya,
qui était soutenue par les citoyens, les élus, mais aussi par
Fiat, qui voulait faire débarquer ses bagnoles des deux côtés
de la frontière, et par l’entreprise de plâtre de Borgo San Dal-
mazzo. Notre Comité de défense du train a été créé en 2013…
M : Hum, je suis un peu perdue. Tu peux me refaire un his-
torique, pour que j’y voie plus clair ?
La ligne existait déjà en 1928. La ligne italienne était électri-
fiée, alors qu’entre Breil et Nice, les trains roulaient au char-
bon. Quand ils ont compris qu’ils perdaient la guerre, les
Allemands ont détruit tout ce qu’ils pouvaient. Ce qui fait
qu’après-guerre déjà, les habitants, les élus, mais aussi les
industriels, se sont mobilisés pour que la ligne soit rétablie.
M : Donc la ligne a été construi-
te, détruite, reconstruite ?
Oui, c’est ça. Sauf qu’au moment
de la réouverture en 1979, elle est répartie sans électricité.
Une convention, signée en 1970, stipule que tous les frais in-
hérents à la ligne doivent être payés par l’Italie, qui a perdu la
guerre. Selon cette convention, la SNCF réseau, chargée de
l’entretien, devait envoyer la facture à l’Italie [1].
M : Qui gère la ligne actuellement ?
Le souci est aussi ici. A un moment donné, il a été décidé que
notre ligne internationale devenait régionale. Les politiques
de décentralisation ont délégué la gestion des lignes régiona-
les aux Régions. Pour notre ligne, c’est la Région PACA en
France et la Région Piémont en Italie, et, en vertu de la con-
vention de 1970, c’est le Piémont (et non plus RFI directement)
qui finance. Or, une Région n’est pas apte à recevoir des
fonds de l’Union européenne hors du cadre d’un Groupement
européen de coopération territoriale (GECT). Ici, il pourrait
exister par exemple un GECT réunissant les territoires d’Im-
peria, de Monaco et la Région PACA [NDLR : il existe depuis
2007 un projet de GECT « Eurorégion Alpes-Méditerranée »
entre les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes
en France, et les régions Piémont, Val d'Aoste, et Ligurie en Ita-
lie]. Mais pour l’instant, notre interlocuteur est la Région Pié-
mont, qui est surtout intéressée par notre ligne en hiver, pour
le ski et les fêtes à Turin, pas tout le long de l’année comme ça
pourrait être le cas pour la Ligurie. Mais la Ligurie ne peut pas
participer hors GECT. Monaco aussi pourrait mettre la main
au portefeuille, pour ses salariés qui habitent dans les vallées,
mais tout est bloqué parce que l’Italie a perdu la guerre !
Lors de la dernière tentative de réécriture de la convention,
les États italiens et français ont refusé la participation des Ré-
gions, alors que c’est la Région piémontaise qui doit budgéti-
ser les frais liés à l’entretien de la ligne. Mais sans accord,
l’argent est bloqué et, en attendant, il ne
sert à rien. Du coup, on a peur que cet
argent parte ailleurs.
M : C’est cet imbroglio administratif qui est à l’origine de
l’abandon de la ligne ?
Oui. Sans la renégociation de la convention de 1970 et sans
l’entretien de la ligne, la situation s’est dégradée. En juin
2013, nous avons découvert, en regardant la fiche horaire,
que les trains n’allaient plus à Cuneo et que la ligne italienne
allait même être fermée. Pour Tende, comme en réalité c’était
les trains italiens qui assuraient réellement la liaison avec le
littoral, c’était dramatique.
M : Comment vous avez réagi ?
Nous avons manifesté, en France et en Italie. Bilan : la ligne a
été maintenue, mais avec 4 allers-retours Breil-Tende par jour
seulement.
Le 15 décembre 2013, à Tende, nous avons apporté un cer-
cueil pour symboliser la mort de la ligne et nous avons créé le
Comité franco-italien. Nous avons toujours eu conscience que
les luttes sont longues et ont tendance à s’essouffler, qu’il fal-
lait donc élargir le plus possible. Dès le départ, dans notre
comité, en plus des usagers, il y avait aussi des cheminots
français et italiens.
Je me souviens d’un discours d’un contrôleur italien dont la
chaussure tenait avec une ficelle à la place d’un lacet. Il rap-
pelait que cette ligne, c’était les familles de ceux qui vivent ici
qui l’avaient construite, qui « sont mortes pour la construire ».
Et qu’il n’y avait pas, d’un côté, les Italiens et de l’autre, les
Français, mais qu’on « se sentait chez nous d’un bout à l’autre
de la ligne ». C’est le cœur de la chose : c’est notre ligne, faite
La Cuneo-Nizza unisce : Suivez l’actualité de notre ligne de
train et du Comité franco-italien qui se bat pour la défendre
sur www.facebook.com/pg/LaCuneoNizzaUnisce et nice-cuneo-
ventimiglia.blogspot.fr
Un livre blanc sur le train : à l’initiative du comité franco-
italien pour la défense de la ligne Nice-Vintimille-Cuneo, un
livre blanc de ceux qui se mobilisent pour cette ligne est en
cours de rédaction. L’idée était de faire un recueil des doléan-
ces et de montrer qu’il y a une vraie convergence entre de
nombreux acteurs : usagers, cheminots, syndicats, élus, associa-
tions diverses (comme par exemple l’APE du lycée de Fontanil),
transporteurs (Fédération des transporteurs routiers de la vallée
des Paillons, qui estiment par exemple que si les gens prenaient
plus le train, leurs conditions de travail – desserte locale – se-
raient bien meilleures et moins dangereuses).
« Le comité binational n’a que quatre ans d’existence, mais la lutte pour le train a commencé en 1977. Sans elle, la ligne serait fermée depuis longtemps. »
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
Depuis décembre 2013, le Comité franco-italien pour la sauvegarde de la ligne de train Nice-
Vintimille-Cuneo se bat pour que celle-ci reste une « ligne de vie », un trait d’union entre les villa-
ges, la montagne et le littoral, une ligne de train vivante, au service des habitants. La Marmotte est allée poser
quelques questions à l’une des personnes les plus actives du Comité.
« C’est toujours comme ça : ils te donnent un peu, la mobilisation s’essouffle, et puis un jour, baam, tu
fais pas gaffe et la ligne est fermée. »
OREILLES TENDUES
Page 8 La Marmotte déroutée
“Chaque fois q
u’on bouge v
rai-
ment, ça a ten
dance à march
er”
par nous ! On se bat par
amour pour elle et par
amour des trains qui
vont avec, pour la ma-
nière de penser les
transports en général,
pour une cohérence.
M : Tu peux nous en dire plus sur les
travaux en cours ?
Les travaux actuels se concentrent sur la
sécurisation de la ligne, notamment
dans les tunnels. Et ce n’est pas du luxe !
Les ballasts sont tellement vieux qu’il y
a un phénomène de boue qui se forme,
les rails sont sur de la boue. Dans les
tunnels hélicoïdaux, les trains sont en
freinage permanent. Le défaut d’entre-
tien était plus que problématique.
M : Donc, la ligne est actuellement en
cours d’entretien. La situation s’améli-
ore donc ?
Pas tout à fait. La catastrophe de Bréti-
gny [2] a prouvé ce qu’affirmaient les
ouvriers cheminots depuis des années,
c’est-à-dire le mauvais entretien des
infrastructures depuis la décentralisa-
tion ! Ici, il y a aussi eu un incident qui
aurait pu être très grave lorsqu’un train
italien et un train français se sont retrou-
vés face à face sur le viaduc de Tende.
Du coup, SNCF réseau, qui ne veut pas
être de nouveau mise en cause suite à
un accident, a été comme paralysée !
S’ensuit une certaine forme de laxisme
et de mauvaise volonté (mauvais entre-
tien, limitation de vitesse), qui a pour
conséquence de faire exploser encore
plus les montants nécessaires à notre
ligne : de 7 millions d’euros pour tous
les travaux, on est passé à plusieurs
tranches de travaux, dont la première
revient, à elle seule, à 29 millions ! Sans
aucune garantie, à la fin de ces travaux,
qu’on puisse de nouveau rouler à plus
de 40 km/h!
M : Comment vois-tu les choses pour
la suite ?
On ne se laissera pas faire, mais la situa-
tion n’est pas facile. Les dirigeants poli-
tiques, des deux côtés, se font
leur guerre d’égos, leur bras de
fer. En France, Christian Estrosi,
en tant que président de Région, veut
substituer le train par des bus (voir Mar-
motte n°5, p. 12). On dirait qu’il déteste
la SNCF. Les cheminots en ont marre.
Lors de la manif du 3 septembre, il y
avait beaucoup d’employés pour défen-
dre la ligne, pour défendre leurs em-
plois bien sûr, mais surtout leurs vies.
Aujourd’hui, eux savent bien quels ris-
ques ils prennent lors qu’ils travaillent
sur les lignes. A ce sujet, je te conseille
de voir un film : « La vérité sur la SNCF ».
M : Pourquoi pas le bus à la place du
train ?
Le train est sécurisé, confortable, il per-
met de transporter aussi des vélos, des
poussettes, des fauteuils roulants, des
chiens... Le bus est dangereux sur nos
routes de montagne. Même la nouvelle
députée LREM a affirmé après avoir fait
le trajet en train et en bus que notre lig-
ne ne pouvait pas rentrer dans le cadre
de la substituabilité des trains par les
bus de Macron, en raison de la dangero-
sité de la route. Et puis, on voit bien que
ça marche très mal, c’est un calvaire
pour les usagers (cf. p. 11) !
M : Tu peux revenir sur la problémati-
que du fret sur la ligne ?
Là aussi, les problèmes de mauvaise
entente entre les Italiens et les Français
posent des questions. Depuis six ans,
SNCF réseau ne donne plus d’autorisa-
tion aux entreprises italiennes de faire
circuler le fret sur la ligne. Le Parco
Roia [grande gare de triage à Vintimille,
ndlr] est en cours de démantèlement. La
gare de triage de Nice Saint Roch a été
requalifiée pour être dédiée à l’entre-
tien des TGV. Les choses s’enchaînent
ainsi et on n’est pas très optimistes…
Pourtant, en 1979, quand la ligne avait
rouvert, le courrier postal arrivait en
gare de Tende tous les matins par le
rail. Toutes les nuits, circulaient des
trains de marchandises. Quand il avait
un problème avec la route, on embar-
quait les camping-cars et les voitures
dans le train à Breil et les débarquait à
Tende ou à Limone. Il faut se souvenir
aussi que lorsque le tunnel routier n’é-
tait plus accessible, ce qui peut ré-
arriver, le tunnel ferroviaire permettait
de faire passer les véhicules dans des
wagons.
M : Alors, route ou rail ?
Il faut bien avoir en tête que les routes
de la vallée n’ont pas été conçues pour
recevoir autant de circulation. Lorsque
la route a été construite, elle a été pré-
vue pour fonctionner avec le train !
M : A qui sert aujourd’hui cette ligne
de train ?
Aujourd’hui, avec ce qui est fait sur no-
tre ligne, tout va très bien pour les touri-
stes, ce qui sauve les commerces dans
les villages, donc il faut dire « merci »,
restons polis ? Mais pour vivre, c’est
impossible. Nous, sur la portion Breil-
Tende, on n’est pas concernés par les
trains français : il n’y a que le train des
Merveilles qui fait fonctionner les com-
merces, mais les trains de la vie, pour
aller au lycée, à la fac, etc., étaient ita-
liens quand ça fonctionnait normale-
ment. A un moment, il y avait sur notre
ligne plus de 20 trains par jour ! Nous
étions une ligne internationale ! Il y avait
même un train pour Turin en semi-
direct, on pouvait faire le trajet de Nice
à Turin dans la journée. Il y avait beau-
coup de Niçois qui allaient à la fac à Tu-
rin [3]. Aujourd’hui, ces trains de la vie
quotidienne, on ne les a plus.
On voit bien ce qui s’est passé avec le
train des Pignes. Avant, c’était un train
pour les gens, pour vivre. Aujourd’hui, il
ne sert qu’aux touristes qui veulent aller
à la montagne. Les horaires ne convien-
nent qu’à eux. En plus, cette ligne de
train appartient en propre à la Région,
pas à la SNCF, c’est la Région qui paie le
personnel, etc. Ce train est super cher
et la carte Zou ne fonctionne pas dessus.
<<< DOSSIER >>> “Tu ne peux pas vivre au paradis si
tu prends ta voiture deux fois par
jour. Ce n’est plus le paradis !”
Octobre-novembre 2017, nº11 Page 9
Du coup, ce n’est plus qu’un train touristique, parce que c’est
ce qui rapporte !
Aujourd’hui, beaucoup de gens qui sont venus ici parce qu’il
y avait le train, ont mis leur maison en vente et sont partis. Les
gens d’ici s’en vont aussi parce que le train meurt… J’en con-
nais d’autres qui auraient bien voulu vivre à la montagne,
mais à condition de pouvoir se passer de voiture, en ayant
des transports pour pouvoir circuler pour le boulot, l’école,
etc. Le bus, ce n’est pas la solution. En termes de santé aussi !
La vallée du Paillon est déjà asphyxiée. Il faut voir la circula-
tion qu’il y a de 7h30 à 9h ou le soir.
Sais-tu, aussi, qu’il y a, sur notre ligne, un arrêt à l’intérieur
d’un lycée ? C’est l’arrêt « Halte de Fontanil », le dernier en
date à avoir été créé. Le lycée a été construit parce qu’il y
avait la ligne ! Mais sans le train, nos lycéens qui vivent au-
delà de Breil ne peuvent pas y accéder ! Pour eux, la seule
solution c’est l’internat, qui coûte très cher. Pourtant, le lycée
manque d’élèves! C’est absurde ! Y a aussi beaucoup de
jeunes au lycée agricole d’Antibes, eux non plus ne peuvent
pas rentrer. Aujourd’hui, on ne peut pas
rentrer à Tende après 17h20. Avec la réou-
verture de la ligne à la fin des travaux, on
aimerait qu’il y ait de nouveau un train tôt le
matin et un train qui rentre raisonnable-
ment tard le soir… L’obtiendra-t-on ?
M : question à tous, car, chers lecteurs,
cela dépend aussi de vous !
[1] En dépenses : l’entretien des infrastructures, les coûts d’exploitati-
on y compris ceux relatifs au matériel roulant (conduite, accompag-
nement, énergie, entretien,…) ; en recettes : les recettes encaissées
par les deux administrations pour le transport de voyageurs et des
marchandises, plus les recette accessoires (buffets de gare et autres).
[2] Le 12 juillet 2013, en gare de Brétigny (Essonne), à 28 km au sud
de Paris, plusieurs voitures d'un train de voyageurs ont déraillé suite
à une défaillance, entraînant la mort de sept personnes.
[3] voir le court-métrage "Sauvez la ligne Nice-Cuneo-
Ventimiglia" : https://youtu.be/6fmK3H34NzE. Toutes les vidéos du
collectif : tinyurl.com/niza-cuneo-videos
<<< DOSSIER >>>
Trois Marmottes
La mobilisation franco-italienne a pa-
yé. Une convention a été signée le 31
mars 2015 entre la Région Piémont,
RFI et SNCF Réseau pour financer la
première tranche des travaux tant at-
tendus de réhabilitation et modernisa-
tion de la ligne de train Vintimille-
Cuneo, sur la portion Breil-Limone.
Du 4 septembre 2017 au 28 avril 2018,
ce tronçon ferme donc pour réaliser
ces travaux [1], mais la gare de Breil-
sur-Roya restera ouverte pour les cir-
culations des trains Nice-Breil.
Les travaux principaux, sous maitrise d’ouvrage de SNCF Réseau,
consisteront à renouveler les composants de la voie, à mettre en
place des grillages de protection et des filets de détection en cas
de chute de rochers, ainsi qu’à réaliser les travaux de rénovation
de cinq ponts-rails. Une base travaux est installée à Breil, une
nouvelle voie en cours de mise en place permettra bientôt de
recevoir les locomotives et engins de chantier des entreprises,
des heurtoirs côté nord des trois voies de la gare de Breil et dans
le tunnel ferroviaire du Col de Tende isolant la zone en chantier.
Les travaux sous maîtrise d’ouvrage de RFI (Italie) consisteront à
sécuriser le tunnel ferroviaire de Tende et à déployer un système
de contrôle de la marche des trains (SCMT) pour la sécurisation
des trains italiens [2].
Cette première tranche de travaux ne permettra pas – hélas – le
rétablissement de 80 km/h, mais, tout au mieux, de 60 km/h (au
lieu de 40) sur plusieurs tronçons. Le directeur général délégué
de SNCF Réseau et le Préfet ont rendu public le rapport réalisé
par SNCF Réseau sur les chantiers futurs et les possibilités de
remonter progressivement la vitesse des trains entre Limone et
Piène-Basse de 40 à 60km/h.
Il faudra AUSSI être attentifs à ce que la ligne rouvre après les
travaux prévus ! Une plaque remémorant sa tant attendue restau-
ration a été installée devant la gare de Breil afin que personne ne
l’oublie, car après près de 8 mois de fermeture, pendant lesquels
les bus de la CARF (Transdev) ou de Veolia remplaceront les
trains, les bonnes habitudes peuvent facilement se perdre…
Le chantier en chiffres : 47 Km de ligne (section française) -
250 personnes mobilisées - 7 Km de rail à renouveler (avec
traverses et ballasts) - 9 filets de détection de chutes de rochers à
installer - 6 grillages de protection à poser sur les falaises - 5
ponts-rails à rénover - 2 tranches de travaux prévus.
Financements : Tranche de travaux en cours : 29 millions
d'euros dont 20,2 pour SNCF Réseau et 8,8 pour RFI (notamment
pour la sécurisation du tunnel ferroviaire du col de Tende et
travaux de sécurisation des voies dont 10 km de voies neuves) ;
Tranche de travaux à venir : 15 millions d’euros dont 5 par la
Région PACA, 5 millions par l'État français, 2 millions par le
département des Alpes-Maritimes et 3 millions dont les
financeurs restent à trouver.
Par ailleurs, SNCF Réseau a engagé 2 millions d’euros sur ses
fonds propres pour améliorer le système de arrêt automatique
des trains (DAAT))
POUR REMPLACER LES TRAINS : Entre Breil et Tende: Des bus
ont été affrétés pour assurer la substitution routière, accessibles
aux voyageurs munis d’un titre de transport SNCF ou de ticket de
bus de la CARF. Les trains italiens seront également substitués
pas des bus (bus italien 1). Le train des Merveilles sera terminus
Breil et les guides conférenciers feront visiter le village.
[1] Les travaux se dérouleront de jour de 8h à 17h du lundi matin au vendredi soir, ainsi que
quelques opérations ponctuelles de nuit et en week-end.
[2] Ce système consiste à actionner le freinage automatique du train en cas de franchissement d’un signal fermé. « Si les gens ne s’étaient pas
mobilisés, les Italiens auraient
fermé la ligne. En 2013, c’est ce
qu’ils ont failli faire. »
Sources : SNCF Réseau, nice-cuneo-ventimiglia.blogspot.fr
TRAVAUX EN COURS
Page 10 La Marmotte déroutée
Oreilles tendues à un proche de notre ligne de train JMM est à la fois conseiller municipal à
Breil et jeune retraité de la SNCF. Pen-
dant 37 ans, il a arpenté et entretenu les
infrastructures de la ligne Cuneo-
Vintimille. Il l’a fréquentée assez
longtemps pour connaître son histoire,
ses tourments, ses habitudes, mais aussi
pour mesurer sa valeur. La Marmotte,
qui raffole des histoires d’Hommes et de
leurs moyens de transport, lui a tendu
ses écouteurs.
M : Pour commencer, jetons une oreille
vers la mairie. Comment se positionne-t-
elle vis-à-vis de cette ligne ?
La mairie veut clairement que la ligne
continue à vivre, et non à « survivre »
comme en ce moment, pour qu’elle soit
exploitée selon les besoins de la vallée.
Ça revient à dire que, pour être viable,
elle doit retourner à la situation initiale en
termes de nombre de trains par jour, de
vitesse et d’investissements. Il faut par
exemple le retour des trains italiens Limo-
ne-Cuneo et Limone-Vintimille qui repré-
sentaient environ 12 Allers/Retours par
jour, soit 24 trains.
M : Quels sont les leviers de la mairie
pour réaliser ce projet ?
Malheureusement, ils sont assez maigres.
On peut essayer de faire bouger le Dé-
partement et la Région en se mobilisant,
en montrant qu’on se sent concerné com-
me par exemple le 3 septembre dernier,
quand les maires de la vallée, mais aussi
de la Bévéra, du Paillon et de quelques
communes italiennes se sont rassemblés
symboliquement devant la gare de Breil,
à l’initiative des Amis du Rail.
M : Pourquoi, selon toi, cette ligne im-
porte à la vallée ?
C’est tout simplement son cordon ombili-
cal. Sinon qu’avons-nous ? Des camions,
des bus ?
M : Pourquoi pas des bus pour rempla-
cer le train pour les voyageurs ?
La route n’est pas appropriée, ni en ter-
mes de temps de trajet, ni pour la sécurité
ou le confort. Note que je ne connais per-
sonne qui est malade en train. C’est sans
compter la pollution. Et le train, générale-
Près de la moitié des personnes interrogées font des allers-
retours pour le travail, de 2 à 6 jours par semaine (en particu-
lier entre les collèges et hôpitaux de Sospel et Breil et leurs
domiciles, ou entre Nice et les villages de la Roya). De nom-
breux étudiants prennent le train pour aller au lycée ou au
collège, en début et fin de semaine, ou, pour certains, quoti-
diennement. Les personnes âgées, entre autres, l’utilisent
pour leurs rendez-vous en ville (médicaux ou administratifs)
ou aller voir des amis ou la famille dans un village voisin ou en
ville. D’autres l’utilisent comme alternative au transport rou-
tier, ou pour profiter de la vue, pour voyager, partir randon-
ner ou faire un week-end ou des sorties et activités sur le
littoral ou à la montagne (1-3 fois par semaine). Les touristes
l’apprécient pour profiter des paysages et de la visite com-
mentée avec le train des Merveilles. Les habitants du bas de la
Roya (Fontan, Saorge, Breil) l’utilisent beaucoup pour descen-
dre à Nice.
Le train est presque unanimement vu comme le transport le
plus pratique. Il est moins fatiguant que la voiture et les
deux roues, on s’y sent plus en sécurité que sur la route
(surtout avec les camions) et plus tranquilles. Il est économi-
que, écologique, confortable, rapide, convivial, de grande
capacité et ne rend pas malade. Dans le train, on a du temps
pour travailler ou pour se reposer, lire, écrire, manger. On
peut y faire plusieurs choses en même temps, il n’y a pas de
virages ni de contrôles radars ! Certains usagers n’ont pas le
permis ou ont un seul véhicule dans le couple. Ceux qui dispo-
sent d’un abonnement ou pass voyagent plus librement. Le
bus, de son côté, emprunte une route sinueuse, étroite,
avec de nombreux camions et risques d’accident.
Le prix est souvent considéré comme correct et
honnête, surtout avec les réductions et abonnements (travail,
carte zen/Zou), mais trop cher par rapport au bus, en parti-
culier pour le billet à l’unité. La régularité et la fiabilité sont
considérées comme déplorables : beaucoup de retards et
de suppressions, horaires inadaptés, manque de rotation,
travaux, grèves fréquentes sans explications ni information,
manque de places aux heures de pointe. La faible fréquence
des trains sur la ligne, surtout au-dessus de Breil, est pénali-
sante pour le travail ou les études. Mais quelques personnes
l’estiment malgré tout correcte. Le confort est plutôt satisfai-
sant ou bon, mais beaucoup d’améliorations pourraient être
faites. Il y a trop de négligences vis-à-vis des usagers.
Pour qualifier notre ligne de train, les usagers choisissent les
adjectifs suivants : lente (5 avis), indispensable (4), peu fia-
ble (4), utile (2), pratique (2), économique (2), agréable (2),
facile, simple, sociale, commode, sympa, confortable, calme,
nécessaire, belle, touristique, grande, risquée, aérienne, rare,
bruyante, holomorphe, royale, retardée / retard, retard, re-
tard… Ils considèrent en outre qu’elle permet de désenclaver
la vallée (2), qu’elle reste un vecteur de développement et
de cohésion et représente un lien important entre la France
et l'Italie.
Pour la défendre, les usagers estiment qu’il faut se mobili-
ser, manifester et prendre régulièrement le train (6). Pour
terminer, l’avis d’un pessimiste : « A part s'enchaîner aux rails,
peu de choses restent à faire. »
OREILLES TENDUES DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
PAROLE AUX USAGERS ! Que pensez-vous du train?
Le mois dernier, notre ligne de vie, malade,
commençait une longue cure : 8 mois d’arrêt de
la circulation sur les tronçons Vintimille-Breil et
Tende-Limone pour entamer les travaux tant
attendus. La marmotte, admirative des ouvrages d’art de cette
ligne et contente qu’elle rejette moins de gaz toxiques que les
camions sur les graminées de nos montagnes, a enquêté auprès
des usagers des trains des vallées de la Roya, la Bevera et des
Paillons (30 personnes de tout âge). Son idée était de recueillir
vos impressions, ressentis et expériences liés à l’usage du train
dans votre quotidien. A compter du prochain numéro et pendant
toute la durée des travaux, nous publierons de courtes synthèses
de vos réponses aux 10 questions posées. En voici un premier
aperçu général (les réponses récurrentes apparaissent en gras).
AL. Merci à Gelsomina pour le questionnaire!
Octobre-novembre 2017, nº11 Page 11
- Euh, bonjour, vous êtes… le train ? (Un Monsieur, l’air
un peu perdu, monte dans le bus en gare de Fontan-
Saorge et dévisage le chauffeur).
- Eh, oui, je vais à Tende
- Pas à Breil ? J’ai un train à 16h50… (Il est 16h20).
- Si, je vais à Breil, mais après, vous pouvez monter.
- Mais je n’aurai pas mon train de 16h50 si vous devez
monter à Tende et revenir ? (le Monsieur, perplexe, re-
garde son ticket).
- Euh non, vous aurez le suivant !
A 18h04… Plus d’une heure de perdue et un tour de la val-
lée qui, après Saint Dalmas, La Brigue, Tende, puis La Bri-
gue et Saint Dalmas encore, fera de nouveau repasser notre
passager par la gare Saorge ! Au feu de Fontan, on croise le
bus de remplacement italien qui monte à Saorge, avant de
redescendre sur Breil. Le chauffeur de notre « bus-train »
n’était pas au courant…
***
« Le bus italien fait le trajet Vintimille-Cuneo, il part de Vin-
timille et tombe sur un bouchon : il y a plein de monde ! Il
prend du retard. Arrivé au tunnel de Tende, il prend 20 min
dans le meilleur des cas, sinon 40, ne peut pas tenir les ho-
raires. Les gens ne savent jamais s’il est passé ou pas, les
gens de la SNCF non plus. Et, lui au moins, il a une soute, les
skieurs, touristes, étudiants, lycéens peuvent monter. Les
bus français sont moins en retard, mais ils ne veulent pas de
vélos, ils ne peuvent prendre qu’une chaise roulante à la
fois et les parents doivent tenir les poussettes, pareil pour
les gros bagages ! Il n’y a pas de soute du tout. Si t’es char-
gé, si t’arrives pour deux semaines de vacances hivernales,
tu ne peux pas. Tu descends de ton train à Breil, tu as ton
billet qui va jusqu’à Tende, chouette, avec tes chiens qui ont
leurs tickets, mais tu ne peux pas ! Les chiens s’ils ne tien-
nent pas sur tes genoux dans un carton, ils ne les prennent
pas !!! »
CECI N’EST PAS UN TRAIN !
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
Pendant la durée des travaux, sur la portion Breil-
Tende, les trains ont été remplacés par des bus. Si les
trajets de la fiche horaire de la SNCF continuent à être
assurés, les usagers sont parfois confrontés à un vrai
parcours de combattant. La Marmotte a recueilli quel-
ques premiers témoignages. Merci au Comité de la
ligne !
ment, arrive en plein centre-ville.
M : En 37 ans de carrière [1979-2016] sur cette ligne, quelles
évolutions as-tu constaté ?
Il y a eu un délaissement de la ligne. A l’origine, le projet était
ambitieux : électrification, transport de marchandises. C’était
une ligne stratégique. Des trains internationaux y passaient, des
trains de fret. Mais peu à peu les budgets se sont étiolés, les
projets ont été abandonnés. A titre d’exemple, à mon arrivée,
nous étions 22 personnes à travailler sur cette section. A mon
départ, on était plus que 4 pour le même kilométrage. Pour
compenser, des entreprises privées de maintenance ferroviaire
viennent au coup par coup faire les gros travaux. A présent,
c’est clair que la SNCF fonctionne comme une entreprise
privée, avec les « carcans » d’une entreprise publique. Avant,
nous, salariés, on pouvait faire entendre notre voix. Aujour-
d’hui, si tu n’es pas content, on ne te garde pas.
M : Quelle est l’avenir de cette ligne selon
toi ?
Elle dépend totalement d’une volonté politi-
que. Des choix d’investissement. Est-ce
qu’on veut un transport ferroviaire de qualité
et sécurisé, quitte à y mettre le prix ? Ou
bien favoriser le tout routier, qu’il faudra
aussi payer car, pour commencer, qui va
payer les dégâts de la route dus au passage
des camions ? Est-ce qu’on veut de 10 000
poids lourds par jour ? La structure ferroviaire existe, il suffit de
la moderniser.
M : Comment peut-on décrire cette volonté politique ?
Je ne suis pas dans les hautes sphères, mais je peux dire qu’elle
ne favorise pas la continuité territoriale. Les budgets ne sont
pas suffisants, le service perd en qualité et la fréquentation
baisse. Déjà en 86, puis en 95, il avait fallu faire 1 mois de grève
pour défendre ces lignes « secondaires ». Petit à petit, avec Ma-
cron, ils y arrivent. Pour nous faire entendre, il faudrait que l’on
soit de plus en plus nombreux aux rassemblements !
Oreille tendue par LR
Petites histoires quotidiennes du calvaire des usagers des bus de remplacement
« Comment vont-ils faire pour les skieurs qui vont venir pour
les vacances d’hiver ? On ne sait pas. Les travaux se termine-
ront en avril. Si les skieurs ne peuvent pas venir cet hiver, nos
commerçants sont morts ! Les skieurs qui vont à Limone, ils
sont beaucoup à avoir des maisons de famille à Tende ou dans
le coin, ou à s’arrêter dans des gites de chez nous. Il y a des
gens qui viennent d’Antibes, de Cagnes-sur-Mer, etc., avec
toute leur famille, pour aller skier... Et en automne, on avait
plein de randonneurs en VTT. Et des randonneurs tout court, il
y a même un livre qui a été écrit sur les randonnées par rap-
port au train : « Le chemin de fer des Merveilles. En train et à
pied dans la vallée de la Roya », d’Albano Marcarini. Là non
plus, il ne faut plus compter dessus ! »
***
« Pour les bus qui remplacent les trains, la SNCF a fait une délé-
gation du pouvoir à la CARF. Comment on fait pour joindre la
CARF, pour lui faire part de tous les problèmes rencontrés ?
C’est le trou noir ! Pas de numéro pour les joindre, pas de site,
pas de compte Facebook où on pourrait dire par exemple que
les horaires changent, donner l’information... »
***
« Dans le train, tu peux travailler, faire tes devoirs, il y a des
tables et même des prises ! Et tu sais que tes parents se sentent
tranquilles parce que le contrôleur garde un œil sur toi. Dans le
bus ? Comment tu fais pour faire tes devoirs dans le bus ? En
hiver, sur du verglas ??? »
Oreille tendue par Andrea
Page 12 La Marmotte déroutée
Décryptage
Pourquoi nait ou
meurt une ligne de
chemin de fer ? Voilà
en quelque sorte la
question existentiel-
le qu’un amateur
attentionné pourrait se poser en regardant l’évolution des
infrastructures ferroviaires au travers du temps qu’on peut
constater sur les cartes ci-dessus ! Saviez-vous par exemple
qu’il était possible de rejoindre les vallées de la Tinée et de
la Vésubie par le rail ? Ou qu’il existait un tramway pour
aller jusqu’à Levens sur les collines niçoises?
Pourquoi les lignes naissent-elles donc ? Probablement es-
sentiellement pour des raisons commerciales : finalement,
que cela soit pour le transport de marchandises ou pour celui
des passagers, on crée les lignes de train parce qu’il existe
une demande, c’est-à-dire un intérêt pour des entreprises
d’acheminer soit des objets, soit des voyageurs-clients. On
peut aussi envisager que, parfois, l’État mette en place un ser-
vice de transport de passagers aux seules fins de service pu-
blic, bien que cela reste à prouver. Car quand bien même,
dans le temps, on permettait aux habitants de la Vésubie de
pouvoir accéder jusqu’à Nice ou Menton, la majeure partie de
la ligne a été construite par des entreprises privées. Il ne
s’agissait donc pas seulement du souci de l’État pour le bien-
être des populations locales ! L’actuelle entité « Groupe
SNCF », dont l’origine (SNCF) date de 1938, s’est construite
par étapes successives. La compagnie publique a petit à petit
incorporé à son capital des entreprises privées déficitaires ou
à la gestion trop hasardeuse, qui s’étaient lancées, dès ses
débuts, dans l’aventure ferroviaire. Il s’agit aujourd’hui d’une
entreprise commerciale formée de trois structures et de nom-
breuses filiales de droit public mais aussi privé. Actuellement,
sa stratégie peut être résumée ainsi : donner la priorité au
développement du transport de passagers à grande vitesse
entre Paris et les capitales régionales (SNCF TGV) ; laisser le
soin aux Régions d’optimiser le transport de passagers de
proximité (TER) tout en percevant les droits de péages (via
SNCF Réseau, ex-RFF)[1] et en les concurrençant au travers
de ses filiales d’autocars low-cost (Ouibus) ; mettre en concu-
rrence le fret ferroviaire et le fret routier (la SNCF est aussi le
plus gros transporteur de marchandises par la route : voir
l’encadré ci-contre). Où est le bien-être des populations ?
Pourquoi les lignes disparaissent ?
Probablement parce qu’elles ne sont plus utiles à ceux qui en
assument la charge : ce que l’on avait besoin de déplacer n’a
plus besoin de l’être. Ou encore, parce qu’une technologie
devient obsolète comme ce fut le cas du cheval avec l’inven-
tion du moteur à explosion. Nous en avons déjà parlé dans la
Marmotte [2], la déréglementation – comprendre « baisse des
coûts et privatisation » – des routes dans les années 1970 avait
de facto rendu plus concurrentiel le transport de marchandi-
ses par la route que par le rail. Des hommes et des marchan-
dises. Dans une certaine mesure, contempler la splendeur et
la décadence du réseau ferré, c’est regarder les cycles de
production d’un pays au travers des époques selon les priori-
tés d’alors…
Pourquoi les lignes sont sauvées ?
Les lignes de train sont sauvées parce que leurs usagers se
battent pour cela (cf. l’encadré « Autogestion?»). Parfois aussi
parce qu’un sursaut de raison semble habiter les décideurs.
Plus rarement, parce qu’une nouvelle fonction commerciale
est trouvée (comme celle de train touristique pour ce qui nous
concerne). Il y a une sorte d’ironie du sort derrière cela. Con-
sidérons qu’ici, lorsque la ligne de train a été construite, cette
nouvelle infrastructure n’a pas forcément été accueillie par
tous avec bienveillance. Comme cela fut le cas aux États-Unis
lorsque le rail traversait les territoires indiens. Car qui dit
« rail », dit « ouvriers » qui, souvent, viennent d’ailleurs, et qui,
souvent, s’installent à proximité des nouvelles gares. Les nou-
veaux arrivants modifient la culture du territoire. De rurale,
elle devient ouvrière par exemple. Les riverains du rail d’au-
Carte du réseau ferré des Alpes-Maritimes à son
extension maximum (1930)
La SNCF aime la route !
« La France compte plus d’un demi-million de poids lourds
(petits et grands), s’y ajoutent sur l’asphalte les camions étrangers… Dans l’Hexagone, c’est la SNCF qui chapeaute le
plus gros parc. Difficile de donner un chiffre, les sociétés de
transport sont toutes des filiales, sectorisées… Exemple :
Calberson Auvergne et Calberson Bretagne, et ainsi de suite… C’est le groupe Géodis (SNCF Logistics) qui supervise et
patronne l’ensemble des filiales régionales, nationales et
internationales. La SNCF est aussi fortement impliquée dans le
fret aérien et maritime (porte-conteneurs), avec en 2015, 445
filiales de transport de marchandises. […] [Elle] possède au bas mot plus de 10 000 PL (avec gestion satellitaire). […] Songeons
bien que l’État est le plus gros patron du transport de
marchandises qui sillonnent [nos] routes ! »
(Jano Celle, « SNCF, ou la reine du fret en son royaume absolu »,
Pour l’émancipation sociale N°036, juillet-août 2017, p. 12).
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
VIE ET MORT D’UNE LIGNE DE CHEMIN DE FER
Octobre-novembre 2017, nº11 Page 13
Jidé
jourd’hui sont les enfants de cette rencontre. Puis, après que
les paysans aient quitté leurs campagnes, les industries furent
à leur tour arrêtées ou délocalisées, et voilà qu’on envisage
désormais de sacrifier une nouvelle génération d’habitants en
favorisant cette fois la disparition du train au profit de la route
et de son lot de nuisances : pollution, accidents, bruit... Absur-
de modernité qui, pour un même besoin (franchir la montag-
ne), détruit l’existant (le rail) et préfère gaspiller temps, éner-
gie et argent pour créer du nouveau (en doublant le tunnel
routier de Tende).
Alors, ce n’est pas la faute de l’Europe ?
Oui et non. Si l’Europe fait souvent office de bouc émissaire
facile pour nos édiles, on ne peut oublier que ses décisions
ont pour origine l’ensemble des mécanismes de l’administra-
tion européenne et de ses institutions, qui sont composées –
physiquement - par nos représentants. L’Union européenne
(UE) n’est pas une abstraction et les orientations qu’elle donne
à ses États-membres ne sont pas désincarnées. Il y a des hom-
mes et des femmes derrière. L’UE a la charge de gérer la stra-
tégie d’interconnexion des réseaux de transport des États-
membres mais pas seulement. L’intégration doit être aussi
commerciale. Dès lors, au sein de chaque pays européen, les
entreprises de l’espace commun devraient être en capacité
d’exercer comme « chez elles » leurs activités : par exemple,
le Royaume-Uni, qui a déjà régularisé et libéralisé son marché
ferroviaire, souhaite que ses entreprises privées puissent fai-
re rouler leurs trains sur les rails français. Logique,
n’est-ce pas ? La Grande-Bretagne a d’ailleurs été
l’un des principaux artisans de l’ouverture à la
concurrence du rail au sein de l’UE. C’est afin de
suivre ces orientations de politique générale en
matière de transport que les décisions des trente
dernières années ont été prises dans le sens de la
libéralisation. Une certaine idée de la chose publi-
que… une certaine idée de l’aménagement du
territoire (voir l’encadré ci-contre). Et nous dans tout ça ?
Nous ? Nous payons les pots cassés, nous sommes
les variables d’ajustement. Lorsqu’une région s’est
peuplée autour de son axe de communication, que
celui-ci était une ligne de chemin de fer – une
« ligne de vie » - et que celle-ci meurt, c’est tout le
territoire qui est menacé. Après avoir parfois payé
de sa vie pour la construction, et pour la recons-
truction pour ce qui concerne notre ligne (cf. En
images, p. 5), parfois financièrement au travers
des deniers publics versés aux anciennes entre-
prises nationales, il ne reste plus qu’à s’adapter ou
disparaître. Ce qui revient parfois au même. Ceri-
se sur le gâteau : être quasi centenaire et avoir vu
apparaître dans sa jeunesse le tram à Nice sur
l’avenue Jean Médecin, le voir remplacé par les
voitures, puis de nouveau remis en service. Avoir
payé trois fois l’incurie de nos dirigeants qui de-
vraient peut-être d’avantage penser à la chose
publique, qui s’envisage sur le long terme, qu’à
leurs intérêts proches qui sont de l’ordre de
l’immédiat ou du court terme… S’ils ne savent pas
ou ne veulent pas le faire, pourquoi pas nous lais-
ser faire ?
Libéralisation et Dérégulation sont dans un train Au sein de l’Union européenne, en démantelant l’entreprise publique
British Rail dès 1994, la Grande-Bretagne a été précurseur en termes de
libéralisation et dérégulation du rail allant jusqu’à déléguer la gestion des
infrastructures et des voies ferrées à un groupe privé (Railtrack), avant de
la replacer sous contrôle public (en 2002), suite à de nombreux accidents
mortels. A cette époque, l’Union européenne avait déjà enclenché le
processus communautaire de libéralisation et de dérégulation du rail. Son
but à terme : ouvrir le secteur ferroviaire à la concurrence privée. 27 ans
après, 2 livre blancs, au moins 14 directives et 2 règlements (regroupés au
sein de « 4 paquets ferroviaires ») plus tard, le chemin s’est tracé sans
surprise : sous peu, tous les États membres devront rendre possible
l’ouverture complète du secteur ferroviaire à la concurrence privée, y
compris le transport de passagers. A terme, on peut facilement envisager
qu’un petit ensemble de grandes entreprises privées (anciennement
publiques pour certaines) se partage le juteux gâteau des lignes rentables,
laissant à l’abandon celles qui rapportent moins (comme la ligne Nice-Breil
-Vintimille-Cuneo-Turin). Conséquence ? Les usagers-clients n’auront
d’autre choix que d’accepter les priorités d’une entreprise privée : faire de
gros bénéfices et redistribuer un maximum de dividendes à ses
actionnaires. Ces gros opérateurs imposeront probablement leurs
exigences via des groupes d’intérêts (lobbying) à l’Agence de l'Union
européenne pour les chemins de fer (créée en 2004 afin de rendre
compatibles les différentes législations nationales entre elles, notamment
pour ce qui concerne les règles techniques et les normes de sécurité). Très
probablement, certaines activités non rentables, en faillite ou endettées,
nécessiteront finalement l’aide publique, c’est-à-dire notre argent…
Comme cela fut le cas au Royaume-Uni en 1994. Lorsque dérégulation et
libéralisation sont dans un train, c’est le train qui finit par tomber à l’eau…
Région PACA : tiens, voilà la concurrence ! En octobre 2016 déjà, C. Estrosi, en qualité de président de la Région
PACA, annonçait qu’une réflexion existait pour que l’ouverture à la
concurrence sur la ligne TER se fasse le plus rapidement possible afin de
palier la mauvaise qualité de service. Il semble que l’idée ait fait son
chemin. Désormais, la Région souhaite devenir la première à expérimenter
l’ouverture de ses lignes à la concurrence. Philippe Tabarot (vice-président
de la Région en charge des Transports) l’a confirmé à Elisabeth Borne
(ministre des Transports) lors d’une rencontre à Marseille en septembre
dernier. Voilà un sujet qui va faire débat ! (Source : 20minutes.fr Marseille,
« Paca : Faut-il ouvrir les TER à la concurrence ? », le 23/09/17)
[1] Pour notre ligne, cela fait environ 500.000 euros de
péages (Régions PACA et Région Piémont). Pour l'anecdote,
à un moment la SNCF percevait deux fois les péages des
trains italiens en transit qui étaient facturés à la Région Pié-
mont via RFI et à la Région PACA via la SNCF...
[2] La Marmotte nº9 « Franchir les Alpes, ... », p. 3.
Autogestion ? Citons par exemple le département du Lot, où une association
d’usagers et de cheminots forçaient systématiquement le train à
s’arrêter aux arrêts supprimés. Les fauteurs des troubles ont été
poursuivis en justice, mais certains arrêts ont ainsi pu être
rétablis. Des usagers peuvent aussi sauver leur ligne en prenant
en charge sa gestion. Puisque le rail s’ouvre à la concurrence,
pourquoi ne pas envisager des coopératives ou des structures
mixtes permettant aux usagers, aux travailleurs, voire à des sympathisants privés de gérer leur train ? C’est le cas de Go!
Cooperative Ltd [1] en Angleterre, qui devrait sous peu obtenir
l’autorisation et les financements lui permettant de relier par
train les villes de Taunton à Swindon, via Westbury. Cette
coopérative est détenue à 50% par ses utilisateurs et à 25% par
ses employés, le reste étant ouvert au public. Impossible de
rendre la même qualité de service qu’une « grosse »
entreprise ? En 2014, l’auteur d’une tribune publiée par le très
libéral journal anglais The Guardian [2] déplorait le fait que
« depuis des années, [les Britanniques] avaient constaté une
augmentation des prix des billets, un service mauvais, des
faillites, des procédures judiciaires ». Il envisageait comme
possible remède à ces maux une gestion coopérative de
certains tronçons en déshérence. Alors, si personne ne veut de
notre ligne, et qu’il est question d’ouvrir la gestion des TER à la
concurrence, pourquoi ne pas, nous aussi, tenter l’expérience ? [1] www.go-op.coop/train
[2] Model railways: how to make co-operative train travel a reality,
thegardian.com, 15/07/2014
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
Page 14 La Marmotte déroutée
IIIMAGINAIREMAGINAIREMAGINAIRE DUDUDU TRAINTRAINTRAIN Quand elles dépassent certains seuils, beaucoup de technologies conçues pour simplifier nos vies
deviennent contreproductives, voire monstrueuses. C’est une question de mesure. Ainsi, il y a trains
et trains : trains lents imaginaires des Péruviens (cf. l’édito), train « ligne de vie » de nos vallées,
mais aussi TGV ou TAV, trains à grande vitesse, dont les projets – que certains jugent imposés et
destructeurs - se trouvent à l’origine de puissants mouvements de résistance (comme à Valsusa en
Italie, cf. p.15). Finiront-ils, à leur tour, dans la désuétude, comme tout le reste ? Le moderne d’au-
jourd’hui est déjà le dépassé de demain, tel notre chemin de fer, qui fut tout un symbole du progrès d’une vieille époque.
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
En Train Ne Ment
Nous avons tous dans un coin de notre mémoire ce jeune
blondinet au regard éthéré qui aborde un aviateur perdu dans
le désert et lui demande : « S’il te plait, dessine-moi un mou-
ton ». L’histoire a fait le tour du monde. Imaginez maintenant
un garçonnet du même genre qui viendrait dans nos montag-
nes demander à une vache de lui dessiner un train : un effet
bœuf !
Et si vous demandiez à l’enfant que vous avez été de dessiner
son train idéal ? J’imagine déjà ceux de ma génération ressor-
tant de leurs souvenirs le « scalextric » aux Tchou Tchou enre-
gistrés serpentant entre les meubles en formica de la cuisine,
zigzaguant sur la moquette du salon, passant devant la télé
noir et blanc. Ah, qu’il était beau ce train-train de l’enfance !
Le train qui emportait nos rêves sur des rails démontables, qui
comptait un déraillement par minute sans blessé, qui ne com-
ptabilisait les retards seulement si nous voulions bien les lui
octroyer – après tout, c’était nous le chef de gare !
Où est-il, ce train qui nous a laissé sur le quai de l’enfance ?
Celui qui sentait bon le ballast chauffé d’huile et de soleil sur
le rail des vacances. Celui qui, à l’heure de l’aiguillage de
l’adolescence, nous emportait aux côtés de Phileas Fogg et
Passepartout dans une folle traversée des Amériques en
quatre-vingts pages. Le Brooklyn by the sea de Mort Shuman ;
l’Orient Express d’Agatha Christie ; des trains pas comme les
autres… Où l’on partage son odyssée entre une poule et une
chèvre, où votre voisin vous offre la moitié de son seul repas
de la journée, où, à la seule vue des noms des stations, votre
vie soudainement devient un atlas : Titicaca, Katmandu, Ma-
dras…
Des trains pas comme le mien… Gandhi et son tour de l’Inde
sur les toits bondés et blanchis d’écrasantes lourdeurs
épicées ; Vladimir Ilitch et son wagon plombé entre la noire
Némésis et les Russes blancs ; Les trains maudits de l’ordre
noir, 40 hommes, 8 chevaux terminus : Nacht und Nebbel.
Où sont passés les romans de gare ? Cette colonne de livres,
ce tourniquet, ce présentoir vers lequel on se précipitait pour
admirer les couvertures futuristes des Anticipation / Fleuve
Noir. Leurs titres étaient des promesses : les rails d’incertitu-
de, les wagons-mémoires…
Et nous adultes, quel est notre train idéal ? Un rapide encore
plus rapide ; un aux lignes épurées, aux acronymes évoca-
teurs, un Truc à Grosse Vitesse ? Une machine sans âme, où
tout le monde aurait une place côté fenêtre ; où l’on pourrait
voyager en étant sûrs que le siège d’à côté serait vide jus-
qu’au bout du trajet. Un train qui nous ferait oublier que l’es-
sentiel dans le voyage n’est pas le but, mais le voyage.
Saoirse
Qu'est notre imagination, comparée à celle d'un enfant qui veut faire un chemin de fer avec des asperges ? (Jules Renard).
Octobre-novembre 2017, nº11 Page 15
Monter dans un train, c’est pousser un soupir. Ou peut-être
deux. Le premier quand on s’assure, en un coup d’œil rapi-
de à l’écran des départs, qu’il sera à quai, à l’heure, et le
second quand on s’en approche. Le moment où j’avance et
que devant moi apparaissent le quai de la gare et, dans le
creux des rails, un train. Un train qui attend comme une
monture docile, au repos. Je choisis une place, j’étends mes
jambes et me laisser partir. Pour l’instant, le paysage ne
bouge pas, même les arbres semblent attendre.
Le chef de gare balaie le quai du regard et siffle un allez-y !
Le train s’ébroue et m’emporte avec lui. Il frôle la terre
avec l’assurance et la tranquillité de celui qui sait où il va.
Devant lui, les rails tracent une route immuable, dessinent
son mouvement de lignes et de courbes.
Entre ces deux lieux que je relie, il y a un moment de libre.
Un peu de vent et de vitesse pour étendre mes pensées et
les laisser sécher. L’espace est clos, le temps suspendu.
Mon corps immobile, propulsé dans les paysages, se dé-
tend. Autour de moi, quelques voyageurs organisent leur
oisiveté. Ils lisent, somnolent, discutent, ou pianotent sur
leur téléphone, et le wagon prend tout à coup des allures
de salon collectif. Les dialogues sont autant de petites
scènes de vie. Parfois une rencontre, un ami de trajet. Voy-
ager une heure ou bien dix, peu importe, nous ferons tou-
jours ces mêmes petites choses. Maintenant, il faut descen-
dre - redescendre - retourner dans la danse. Pour le voya-
geur comme pour le danseur, la pause fait partie de la musi-
que.
Depuis plus de cent cinquante ans, le train, instrument de
progrès et de conquête de territoire, fascine, et le train,
symbole de voyage et d’évasion, stimule l’imagination. Mais
n’oublions pas que cette « révolution » a aussi apporté son lot
de bouleversements, d’inquiétudes et de rejets. Modifications
du paysage, distorsion de la perception du temps, de l’espace et de soi-même. « Tout le système du chemin de fer est
destiné à des gens qui sont toujours pressés et donc peuvent
rien apprécier […]. Il transforme l'homme qui était un
voyageur en un paquet vivant. », écrit John Ruskin,
sociologue anglais (1819-1900). Enfin, courant XIXème siècle,
nombreux sont ceux qui le perçoivent comme dangereux, ou même mauvais pour la santé : « L'extrême rapidité des
voyages est une chose anti-médicale. Aller comme on le fait
en vingt heures de Paris à la Méditerranée en traversant
d'heure en heure des climats différents, c'est la chose la
plus imprudente pour une personne nerveuse ; elle arrive à
Marseille, pleine d'agitation, de vertige. » (Jules Michelet
dans « La Mer »,1861)
DOSSIER >>> GARDONS NOTRE TRAIN DE VIE
Prendre un train
D’un train (et d’un tunnel) à l’autre
NO TAV de Valsusa : la lutte vue d'ailleurs
Du 27 au 30 juillet der-
nier, à Venaus, tout
près de Susa, située
dans la vallée du
même nom, à quel-
ques dizaines de ki-
lomètres de la métro-
pole turinoise, s'est
tenue la deux-ième
édition du festival NO
TAV (Treno Alta Velo-
cità), opportunément
nommé festival Altà
Felicità (Grand Bon-
heur). Quatre jours de
stands associatifs, de
débats, de rencontres avec des auteurs et des opposants au
TAV, de concerts sur plusieurs scènes. Entrée gratuite, navet-
te gratuite, camping gratuit, aucun service de sécurité, nulle
part. Quelques milliers de festivaliers, avec en prime, orga-
nisées par des militants NO TAV, des visites du chantier de
l'improbable nouvelle ligne ferroviaire.
Rappel : le val de Susa est déjà traversé par une autoroute qui
mène au tunnel routier payant de Fréjus, permettant de pas-
ser la frontière alpine. Du lieu du festival, la vue est imprena-
ble sur plusieurs viaducs d'une centaine de mètres de
hauteur, soutenant l'axe routier, le tout, à 600 mètres d'altitu-
de, au sein d'un magnifique paysage de montagne.
Le projet de ligne de train à grande vitesse entre Lyon et Tu-
rin court depuis les années 1990. Ce projet pharaonique (270
km de voie ferrée) a subi plusieurs révisions et avance plutôt
à vitesse d’escargot. Le chantier contre lequel on se bat à
Valsusa, n’en est, comme le disent les opposants, qu’un « tout
petit morceau ». Et pourtant, il en impose ! L’idée, ici, est de
percer un tunnel de 57,5 kilomètres de long (vous avez bien
lu), en pleine montagne, pour relier Susa, en Italie, à Saint-
Jean-de-Maurienne en France. Ceux qui se battent contre ce
projet de tunnel affirment qu'il s'agit à la fois d'un gouffre et
d'un scandale économiques (notamment par le jeu d'entrepri-
ses de bâtiment qui seraient liées à l'État et/ou à la mafia) et
d'une atteinte inégalée à l'environnement, à la santé des habi-
tants (les roches de Valsusa sont riches en uranium) et à la vie
locale (Valsusa est une zone réputée de viticulture, où on cul-
tive encore des variétés anciennes). Le tout, évidemment,
sans aucun intérêt pour les habitants de la vallée. Il s'agit, en
Italie, de la lutte la plus importante et emblématique, parmi
tant d'autres, contre ce genre de grands projets d'infrastruc-
tures considérés par les soutiens de ce mouvement comme
inutiles et imposés.
Les militants NO TAV, qui n’hésitent pas à tenir tête aux forces
de l’ordre pour empêcher la conduite des travaux, sont nom-
breux à être poursuivis par la justice, pour des motifs divers.
On parle de plus de 1000 mises en examen et de plus d’une
Ellu
Page 16
ACTUALITÉS
Selon la presse italienne, la
reprise des travaux sera effec-
tive et « totale » d’ici la fin du
mois d’octobre au plus tard. Du moins, c’est ce qu’aurait affirmé
l’ANAS en présence des autorités piémontaises, de la sous-
préfète du 06 et du maire de Tende lors d’une réunion qui s’est
tenue à Cuneo le 10 octobre dernier. L’engagement serait pris de
ne plus « générer de retard supplémentaire » (Source : cuneocro-
naca.it, « A fine ottobre piena ripresa dei lavori per il Tenda bis »,
10/10/17).
La Marmotte déroutée [email protected]
www.la-marmotte-deroutee.fr
Tél. 07 68 05 65 34
centaine de condamnations. Un exemple non repré-
sentatif, parmi d'autres, est celui de l'écrivain Erri de
Lucca, poursuivi par le parquet de Turin pour
"incitation au sabotage du chantier".
Au moment du Festival, la lutte semblait presqu’être
gagnée : au bout de trente ans, face à l’ampleur de la
résistance, les seuls travaux que les entreprises ont
réussi à faire avancer (même s’ils sont loin d’être
terminés), sont ceux de l’excavation d’une galerie de
service (de 12 kilomètres, quand même !) jusqu’à
Susa, à partir de laquelle il est question de creuser le
fameux tunnel ferroviaire. L’excavation de ce dernier
n’a pu démarrer ni dans le village de Venaus, ni, plus
tard, directement à Susa, farouchement opposés au
projet. Une nouvelle venant de France avait aussi
donné beaucoup d’espoir au moment du festival : la
ministre déléguée aux Transports, Elisabeth Borne,
avait déclaré que la France souhaitait faire une « pau-
se » dans le projet de TGV Lyon-Turin. « C’est comme
dans les relations amoureuses », ironisait un militant, «
quand on veut pas dire je te quitte, on dit qu’on fait
une pause». Mais voilà que le vent tourne de nou-
veau : plus récemment, le gouvernement français a
réitéré son intérêt pour ce projet de TGV. On sait
quand on commence à se battre, on ne sait jamais
quand on pourra arrêter… VNA
Rencontre agricole et artisanale d'automne : « de la
terre à la table ! » Depuis 2009, la Fête de la Brebis
Brigasque réunit chaque année plus
d'une soixantaine d'exposants et
plusieurs milliers de visiteurs le
temps d'une journée dans le village de
La Brigue. Cette journée veut être un
point de rencontres et d'échanges
entre les artisans, les producteurs, les
associations, les habitants et les
visiteurs. Dimanche 15 Octobre 2017 à La
Brigue (accès possible par TER puis
bus de remplacement).
Lundi 2 octobre, Raphael, 19 ans, a été condamné
par le TGI de Nice à 3 mois de prison avec sursis
pour avoir voulu conduire quatre personnes (dont
trois demandeurs d'asile) depuis la gare de Saor-
ge, jusqu’au domicile de Cédric Herrou. La justice
frappe très fort, de plus en plus fort dans la Roya.
Dans d'autres vallées alpines, comme ailleurs en
France, les solidaires ne sont pas autant criminali-
sés pour les mêmes faits. Le 13 octubre dernier,
l'association Roya Citoyenne a comparu aussi de-
vant le TGI de Nice. L'Association Défendre la Ro-
ya, associée au candidat Front National M. Bettati
demande la dissolution de Roya Citoyenne pour
trouble à l'ordre public et soutien à des personnes
(possiblement terroristes) en situation irrégulière
sur le territoire. Le verdict est attendu pour le 9
novembre.
Cette version du numéro 11 n’est pas aussi complète qu’on
l’aurait voulu, mais on s’est dépêché de la finir pour la fête
de la Brebis, faisant l’impasse sur certains contenus et rédui-
sant d’autres. Désolés, amis lecteurs-contributeurs, si vos
envois n’y apparaissent pas tous. Pourquoi tant de hâte ?
Pour tenir le rythme d’un numéro par mois, bien sûr, mais aussi parce qu’il y a un an, pour la 8e fête de la Brebis bri-
gasque, nous imprimions une autre version incomplète, mal
montée et pleine de coquilles de la Marmotte déroutée
nº1. On ne pouvait pas manquer ce rendez-vous !
En un an, la Marmotte a fait un bon bout de chemin et vous
avez été nombreux-ses à suivre et même à participer à son
aventure. Comme toute parution bénévole (à 100%), elle a
traversé des hauts et des bas, et la faire paraître tous les
mois n’est pas toujours facile. Nous avons plus que jamais
besoin de vous : si nous sommes toujours ravis de recevoir
vos contributions écrites, ce qui nous fait surtout défaut au-
jourd’hui, ce sont des gens capables de faire des relectures
et des corrections (orthographe, syntaxe), des maquettistes, des traducteurs et des dessinateurs. Si vous voulez que la
Marmotte continue sa quête, aidez-la à la poursuivre !
Jeunes Marmottes d’un an à l’approche de l’hiver
Cette vallée est la nôtre, ce journal aussi!
Tunnel de Tende : reprise inminente des travaux
Criminalisation de la solidarité
RC
Jidé
Après avoir pris un arrêté in-
terdisant la traversée de leurs
communes aux poids lourds de
plus de 19 tonnes, après avoir
fait installer les panneaux d’in-
terdiction, les maires de la
vallée de la Roya cherchent à faire appliquer leur décision que la
préfecture considère comme illégale. Depuis la mi-octobre, ils
ont mené plusieurs opérations consistant à arrêter eux-mêmes
les poids lourds qui traversent les villages et à les faire verbali-
ser par la police municipale. Le jugement du tribunal administra-
tif aura lieu le 7 novembre prochain. Vigilance !
ÉVÈNEMENTS : 9ème FÊTE DE LA BREBIS BRIGASQUE
Arrêté 19 tonnes : ces maires qui arrêtent les camions
AD