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ÉDITORIAL - COLLABORATION SPÉCIALE Un message du rédacteur en chef invité Ron Lindstrom, PhD, FCCLS, est le directeur du Centre pour le leadership en santé et en recherche, professeur à la faculté des études sur le leadership et chercheur attaché à la recherche à la chaire Henri M. Toupin en leadership des systèmes de santé à l'Université Royal Roads C est un privilège que dêtre invité à collaborer à ce numéro spécial de Forum Gestion des soins de santé qui porte sur les réseaux, plus précisément les réseaux interorganisationnels. En termes simples, les réseaux interorganisationnels sont des organisations qui se réunissent, souvent de manière volontaire, pour effectuer des travaux collectifs et coopératifs impossibles à réaliser à léchelle organisationnelle. Ils ne remplacent pas les organisations hiérarchiques, mais les complètent. Le présent numéro spécial vise à nous sensibiliser davantage et à approfondir nos connaissances sur cette forme et cette fonction organisationnelle, particulièrement au sein du système de santé canadien. Des réseaux sont créés un peu partout dans le système de santé, parfois sans trop dindications pour déterminer sils correspondent à la structure recherchée. Ces indications incluent des étapes comme lexploration du meilleur moyen daborder la planication et la création dun réseau, den déterminer le meilleur modèle de gouvernance et de gestion den évaluer le mode de fonctionnement et, surtout, détablir sil fonctionne comme prévu. Ce nest pas parce quon nomme une entité « réseau » que cen est un. Dans certains cas, le réseau nest pas la forme organisationnelle à privilégier. De plus en plus de publications (scientiques ou non publiées) portent sur la science des réseaux, mais on ne sait pas si, en réalité, ces ressources orientent la pratique des réseaux. Cette situation ne se limite sûrement pas aux réseaux, mais attire lattention sur la nécessité dune intégration plus active de la recherche et de la pratique. Cest un problème persistant qui fait lobjet de vives discussions dans dautres secteurs de prestation des soins. Ce numéro spécial, de conception éclectique, contient six perspectives différentes andoffrir un point de vue plus vaste et plus approfondi sur le monde des réseaux, toujours axé sur les réseaux interorganisationnels dans le milieu de la santé. Dabord, Tholl décrit lévolution du Réseau canadien pour le leadership en santé (CHLNet), issu en 2009 des frustrations des leaders et de leur organisation qui tentaient de sattaquer aux complexités liées au leadership du XXI e siècle. Sur le plan pratique, il décrit le passage du « réseau de valeurs » du concept à la réalité. Le CHLNet cherche à accroître sa capacité de leadership en santé an de favoriser à la fois le rendement organisationnel et systémique. Dans lenvironnement complexe du système de santé canadien, le leadership est dune importance cruciale. Tholl souligne trois phases de lévolution du CHLNet : le démarrage, la création des valeurs et le regroupement de la valeur ajoutée. Le concept de « leadership sans propriété » est une devise qui appuie le succès du CHLNet, lequel compte actuellement sur quelque 40 partenaires du réseau organisationnel. Willis, Riley, Taylor et Best décrivent ensuite le rôle fondamental de la recherche appliquée pour mobiliser laction dans les réseaux interorganisationnels, surtout lorsque de multiples secteurs sont en cause, dans la publication et la sphère publique, par exemple. Ces auteurs font ressortir le rôle des réseaux interorganisationnels pour établir des passerelles entre la recherche, les politiques et la pratique. Ils décrivent lutilité dun programme de recherche appliquée pour examiner le rendement dun réseau de prévention des maladies chroniques, les principes pour orienter ce type de recherche appliquée hautement participative, maintenant et à lavenir, et les problèmes qui pourraient nuire à la maturation des réseaux, et ils proposent des solutions pratiques pour régler ces problèmes. Sintéressant à une récente expérience au Québec, Roy, Litvak et Paccaud décrivent la genèse, en 2003, dune stratégie provinciale pour optimiser la réponse aux besoins du système de santé par des réseaux de santé responsables de leur population. Ils analysent dix ans dexpérience et présentent les avantages dun réseau, les problèmes survenus et les leçons tirées de cette expérience. Ces auteurs démontrent que lalliance de la vision, des objectifs et de la responsabilité grâce à des partenariats et à la conance rendent la coopération possible et favorisent lefcacité des réseaux à respecter les besoins de santé locaux et à atteindre les buts du Triple objectif. Christenson décrit le processus de création dun réseau andaméliorer les soins durgence en Colombie-Britannique. Ce processus aidera les praticiens de lurgence des milieux tertiaires ou éloignés à donner constamment des soins exemplaires au moyen dune approche axée sur le patient. Cette démarche respecte la tendance plus vaste à une intégration plus complète du travail universitaire (y compris la recherche) au travail clinique. Lauteur décrit lapproche privilégiée, les objectifs, les partenaires, la mise en œuvre et les considérations en matière dévaluation, les avantages, les problèmes et les leçons tirées. Healthcare Management Forum Forum Gestion des soins de santé Fall/Automne 2014 116

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ÉDITORIAL - COLLABORATION SPÉCIALE

Un message du rédacteur en chef invitéRon Lindstrom, PhD, FCCLS, est le directeur du Centre pour le leadership en santé et en recherche, professeur à la facultédes études sur le leadership et chercheur attaché à la recherche à la chaire Henri M. Toupin en leadership des systèmes desanté à l'Université Royal Roads

’est un privilège que d’être invité à collaborer à ce numéro spécial de Forum Gestion des soins de santé qui porte sur

Cles réseaux, plus précisément les réseaux interorganisationnels. En termes simples, les réseaux interorganisationnelssont des organisations qui se réunissent, souvent de manière volontaire, pour effectuer des travaux collectifs et

coopératifs impossibles à réaliser à l’échelle organisationnelle. Ils ne remplacent pas les organisations hiérarchiques, maisles complètent. Le présent numéro spécial vise à nous sensibiliser davantage et à approfondir nos connaissances sur cetteforme et cette fonction organisationnelle, particulièrement au sein du système de santé canadien. Des réseaux sont créésun peu partout dans le système de santé, parfois sans trop d’indications pour déterminer s’ils correspondent à la structurerecherchée. Ces indications incluent des étapes comme l’exploration du meilleur moyen d’aborder la planification et lacréation d’un réseau, d’en déterminer le meilleur modèle de gouvernance et de gestion d’en évaluer le mode defonctionnement et, surtout, d’établir s’il fonctionne comme prévu. Ce n’est pas parce qu’on nomme une entité « réseau »que c’en est un. Dans certains cas, le réseau n’est pas la forme organisationnelle à privilégier. De plus en plus depublications (scientifiques ou non publiées) portent sur la science des réseaux, mais on ne sait pas si, en réalité, cesressources orientent la pratique des réseaux. Cette situation ne se limite sûrement pas aux réseaux, mais attire l’attentionsur la nécessité d’une intégration plus active de la recherche et de la pratique. C’est un problème persistant qui fait l’objetde vives discussions dans d’autres secteurs de prestation des soins. Ce numéro spécial, de conception éclectique, contientsix perspectives différentes afin d’offrir un point de vue plus vaste et plus approfondi sur le monde des réseaux, toujoursaxé sur les réseaux interorganisationnels dans le milieu de la santé.

D’abord, Tholl décrit l’évolution du Réseau canadien pour le leadership en santé (CHLNet), issu en 2009 des frustrations desleaders et de leur organisation qui tentaient de s’attaquer aux complexités liées au leadership du XXIe siècle. Sur le plan pratique,il décrit le passage du « réseau de valeurs » du concept à la réalité. Le CHLNet cherche à accroître sa capacité de leadership ensanté afin de favoriser à la fois le rendement organisationnel et systémique. Dans l’environnement complexe du système desanté canadien, le leadership est d’une importance cruciale. Tholl souligne trois phases de l’évolution du CHLNet : le démarrage,la création des valeurs et le regroupement de la valeur ajoutée. Le concept de « leadership sans propriété » est une devise quiappuie le succès du CHLNet, lequel compte actuellement sur quelque 40 partenaires du réseau organisationnel.

Willis, Riley, Taylor et Best décrivent ensuite le rôle fondamental de la recherche appliquée pour mobiliser l’action dansles réseaux interorganisationnels, surtout lorsque de multiples secteurs sont en cause, dans la publication et la sphèrepublique, par exemple. Ces auteurs font ressortir le rôle des réseaux interorganisationnels pour établir des passerelles entrela recherche, les politiques et la pratique. Ils décrivent l’utilité d’un programme de recherche appliquée pour examiner lerendement d’un réseau de prévention des maladies chroniques, les principes pour orienter ce type de recherche appliquéehautement participative, maintenant et à l’avenir, et les problèmes qui pourraient nuire à la maturation des réseaux, et ilsproposent des solutions pratiques pour régler ces problèmes.

S’intéressant à une récente expérience au Québec, Roy, Litvak et Paccaud décrivent la genèse, en 2003, d’une stratégieprovinciale pour optimiser la réponse aux besoins du système de santé par des réseaux de santé responsables de leurpopulation. Ils analysent dix ans d’expérience et présentent les avantages d’un réseau, les problèmes survenus et les leçonstirées de cette expérience. Ces auteurs démontrent que l’alliance de la vision, des objectifs et de la responsabilité grâce àdes partenariats et à la confiance rendent la coopération possible et favorisent l’efficacité des réseaux à respecter lesbesoins de santé locaux et à atteindre les buts du Triple objectif.

Christenson décrit le processus de création d’un réseau afin d’améliorer les soins d’urgence en Colombie-Britannique. Ceprocessus aidera les praticiens de l’urgence des milieux tertiaires ou éloignés à donner constamment des soins exemplairesau moyen d’une approche axée sur le patient. Cette démarche respecte la tendance plus vaste à une intégration pluscomplète du travail universitaire (y compris la recherche) au travail clinique. L’auteur décrit l’approche privilégiée, lesobjectifs, les partenaires, la mise en œuvre et les considérations en matière d’évaluation, les avantages, les problèmes et lesleçons tirées.

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ÉDITORIAL - COLLABORATION SPÉCIALE

Milward nous fait découvrir le monde des « réseaux sombres » et nous invite à réfléchir aux réseaux autrement, non passous forme de consensus, mais plutôt de ce qu’il décrit comme un « conflit existentiel avec un opposant ». Il soulignel’importance d’une proposition de valeur et remarque que les réseaux ne constituent pas une forme d’organisationsupérieure. Les réseaux devraient plutôt être utilisés dans les situations où les marchés ou les organisations uniqueséchoueraient à régler les problèmes et qui dépassent la capacité d’une organisation ou d’un système de libre marché à yfaire face avec efficacité. En soulevant les exemples du Congrès national africain, d’Al-Qaïda, des cartels mexicains de ladrogue et des Forces armées révolutionnaires de Colombie, il aborde la notion de « dilemme terroriste » et de son lien avecla résilience des réseaux. Il décrit deux caractéristiques importantes de la résilience : la survie à long terme et les réponses àl’organisation ou à la réorganisation pour modifier les conditions. Ces deux aspects s’appliquent aux « réseaux légers »comme ceux du système de la santé. L’auteur en invoque la légitimité, la capacité, la résilience, l’adaptation structurelle et lapertinence organisationnelle.

Étant donné la croissance considérable des réseaux au sein du système de la santé, il est opportun de réfléchir aux lignesdirectrices et aux normes du réseau lui-même, au travail qu’effectuent les réseaux et à leurs répercussions sur la populationdesservie. Dans ce contexte, Mitchell, Nicklin et MacDonald décrivent les travaux et les principes d’Agrément Canada. Sonprogramme Qmentum adopte la perspective d’un système pendant l'agrément et intègre les réseaux interorganisationnelsau processus. Les auteurs s’attardent sur le programme de distinction, qui est à la fois rigoureux et hautement spécialisé. Ilsprésentent deux exemples : le programme de distinction des accidents cérébrovasculaires (élaboré conjointement avec leRéseau canadien contre les accidents cérébrovasculaires) et le nouveau Programme de distinction en traumatologie, quientrera en vigueur en septembre 2014. Ils exposent plusieurs avantages du réseau dans la prestation des services du pointde vue de l’agrément.

Je tiens à profiter de l’occasion pour remercier chacun des auteurs pour leur excellente collaboration à cette éditionspéciale. Ils ont donné divers points de vue des réseaux interorganisationnels, comme ils étaient invités à le faire, mais ilspartagent tous une « philosophie des réseaux », qui caractérise ceux qui choisissent d’étudier, de travailler et d’apprendredans ce domaine. Je m’en voudrais si je ne remerciais pas avec gratitude l’immense apport de si nombreux collègues àl’étude et à la pratique des réseaux, mais malheureusement, seuls quelques articles pouvaient être publiés, faute d'espacealloué.

Il y a de plus en plus de publications sur les réseaux et les sujets connexes. Je vous invite à les explorer, surtout si vousenvisagez travailler dans un réseau interorganisationnel ou si vous le faites déjà. De plus, j’invite les praticiens des réseaux àenvisager de publier leurs travaux, même aux étapes de planification et de mise en œuvre, afin de transmettre leursconnaissances, leurs expériences, leurs réussites, leurs problèmes et, oui, même leurs échecs. Ils contribueront énormémentà notre apprentissage.

Pour terminer, et sur le sujet de l’apprentissage, les mots généralement attribués à Michel-Ange (à l’âge vénérable de87 ans, en 1562) me viennent à l’esprti : Ancora imparo (je n’ai pas fini d’apprendre). Après des décennies de travaux et derecherches dans le milieu des réseaux, je n’ai vraiment pas fini d’apprendre! La notion des réseaux a une affinité naturelleavec celle de l’apprentissage. En effet, les réseaux et les personnes qui y travaillent fonctionnent dans les « interstices »entre les cases des structures organisationnelles officielles et de multiples organisations. Ils tiennent compte de réalitéscomplexes, auxquelles ils adhèrent, respectent de multiples visions du monde, valeurs, croyances et déséquilibres depouvoir et sont pleinement conscients de l’autonomie individuelle dans le contexte de l’interdépendance collective. Pourbien y réussir, il faut compter sur un apprentissage sincère, actif, individuel et collectif. Je suis convaincu que cette séried’articles vous permettra de mieux comprendre les réseaux interorganisationnels et leur importance pour régler des enjeuxde plus en plus complexes au sein du système de santé.

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