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N O 1 MARS 2007 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION Eine Welt Un solo mondo Un seul monde www.ddc.admin.ch La région des Grands Lacs va-t-elle vers des temps meilleurs ? La Sierra Leone, riche et pauvre à la fois Kenya : facteurs clés pour l’autosuffisance d’un projet

Un seul monde 1/2007 - eda.admin.ch · meilleurs? La Sierra Leone, riche ... subventions aux films du Sud et de l’Est, mais leur ... tion,les Africains devaient jus-

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NO 1MARS 2007LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENTET LA COOPÉRATION

Eine WeltUn solo mondoUn seul monde www.ddc.admin.ch

La région des Grands Lacs va-t-elle vers des temps meilleurs?La Sierra Leone, riche et pauvre à la fois Kenya: facteurs clés pour l’autosuffisance d’un projet

Sommaire

DOSSIER

DDC

HORIZONS

FORUM

Un seul monde No 1 / Mars 20072

LES GRANDS LACS Une région se prend à rêver d’un avenir commun Un optimisme prudent règne aujourd’hui dans les pays des Grands Lacs, ravagés par des années de crises et de guerres

6Les acteurs suisses font ménage à trois Trois instruments de la solidarité suisse sont mis en œuvresimultanément

12Ramener la paix, avant de punir les malfaiteursUn entretien avec Ibrahima Fall, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour la région des Grands Lacs

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Un pays riche, mais ruiné par l’instabilité et la violenceDix ans de guerre ont totalement paupérisé la Sierra Leone, qui possède pourtant un grand potentiel minier, agricole et touristique

16Le courage d’être irrespectueuxLa journaliste sierra-leonaise Williette John parle de sa profession

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Des jeunes privés de perspectivesLe directeur de la DDC Walter Fust évoque une génération qu’il s'agit de prendre au sérieux

21De maigres ressources à partager au Tchad La Suisse plaide pour que l’aide internationale auxSoudanais réfugiés dans l’est du Tchad profite égalementaux populations autochtones

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L’Afrique n’a pas besoin d’éléphants blancs Deux cas concrets illustrent les conditions à remplir pour qu’un projet continue à porter ses fruits après le retrait du donateur

26À qui appartient la mer? L’écrivaine vietnamienne Phan Thi Vang Anh évoque les différences de classes dans son pays

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Une fenêtre ouverte sur d’autres culturesVisions Sud Est ne se contente pas d’accorder dessubventions aux films du Sud et de l’Est, mais leurgarantit aussi d’être projetés en Suisse

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Éditorial 3Périscope 4DDC interne 25Au fait, qu’est-ce qu’un messageou un crédit de programme? 25Service 33Impressum 35

Un seul monde est édité par la Direction du développement et de lacoopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée auDépartement fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’estcependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinionsy sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pasobligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

Une adolescente qui fait bouger les chosesAu Népal, des enfants rédigent un journal mural et leurs articles produisent des effets étonnants

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CULTURE

Il reste huit ans pour atteindre les Objectifs du millénaire pour

le développement (OMD). En 2000, la communauté interna-

tionale s’est engagée à réduire de moitié la pauvreté dans le

monde d’ici 2015. Ce but ne peut être réalisé qu’en créant

une vaste alliance entre les hommes et les femmes de tous

les continents, quels que soient leur âge et leur profession.

Au sein de l’administration fédérale, les OMD mobilisent sur-

tout les collaborateurs et les collaboratrices de la DDC et de

la Coopération économique au développement du Seco.

Faisant partie du Département fédéral des affaires étrangères,

la DDC a été chargée par le Parlement et le Conseil fédéral

de coordonner les efforts de la Suisse officielle en matière de

coopération au développement et d’aide humanitaire. Nous

nous efforçons de bien remplir ce mandat. Nous coordon-

nons nos activités avec les autres pays donateurs, nos pays

partenaires, les instances de l’ONU, des organisations non

gouvernementales suisses et étrangères, ainsi qu’avec l’ad-

ministration fédérale. Bien entendu, il nous arrive aussi de

commettre des erreurs. Pour les éviter, nous soumettons tous

les cinq ans nos activités à un examen mené par d’autres

agences gouvernementales de coopération. De plus, le Par-

lement vérifie régulièrement nos finances et notre gestion.

Ces contrôles sont importants et indispensables. Nous

sommes heureux que la grande majorité d’entre eux débou-

chent sur des constats positifs. Ils attestent notre efficience,

notre compétence et la durabilité de notre travail.

L’impact de la coopération au développement est de plus en

plus débattu dans l’opinion publique, tant au niveau national

qu’international. C’est bien ainsi, car la mondialisation met

en évidence les interdépendances, les influences et les

conséquences des activités humaines sur tous les continents.

À l’intérieur du village planétaire, la coopération au dévelop-

pement et l’aide humanitaire de la Confédération s’efforcent

d’améliorer la vie des habitants dans les quartiers les plus

pauvres. Nous sommes persuadés que ces efforts contri-

buent également au bien-être futur de la Suisse.

Une fois n’est pas coutume, je termine par des remercie-

ments. Chères lectrices, chers lecteurs, nous espérons qu’Un

seul monde vous offre un bon aperçu de nos activités et de

la coopération au développement en général. Les articles

sont rédigés en premier lieu par Gabriela Neuhaus, Maria Ro-

selli et Jane-Lise Schneeberger, tandis que Beat Felber as-

sure la coordination rédactionnelle et la production. Comme

le confirment les nombreuses réactions que nous recevons

de l’extérieur, ces quatre journalistes font du très bon travail.

Ils parviennent à rendre clairs et intelligibles des thèmes ex-

trêmement complexes. Et ils assurent à notre magazine une

objectivité que nous, collaborateurs de la DDC, ne serions

pas à même de garantir, pour des raisons évidentes. C’est à

ces quatre personnes et aux autres auteurs externes que

nous voulons adresser – pour une fois publiquement – nos

chaleureux remerciements.

Harry Sivec

Chef médias et communication DDC

(De l’allemand)

Garder le cap

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Éditorial

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Renaissance de l’ananasghanéen(bf ) La culture de l’ananas aconnu récemment un véritableboom au Ghana. Ce succèsprofite aussi aux couches défa-vorisées de la population.Au début des années 80, les expor-tations vers l’Europe avoisinaient2000 tonnes par an. En 2006,elles ont dépassé 50000 tonnes.Il y a plusieurs années, la de-mande des supermarchés euro-péens s’est orientée vers la va-riété MD2, plus sucrée et plustendre que les ananas produitsau Ghana à l’époque. Le gouver-nement a alors lancé un pro-gramme de plus de 2 millions de dollars visant à promouvoir laculture du MD2. Parallèlement,il a mis sur pied une stratégie dedéveloppement du secteur privéet un plan d’action: tandis queles petits paysans recevaient descrédits pour remplacer leurs an-ciennes plantations, on amélio-rait les moyens de transport etd’entreposage. Étant donné que80% de la pauvreté se concentresur les zones rurales, le Ghana sedoit de moderniser son agricul-ture pour progresser sur la voiedu développement économique.

Lettre volante(bf ) Pour utiliser les nouvellestechnologies de la communica-tion, les Africains devaient jus-qu’ici posséder de solidesconnaissances des langues étran-

gères. Jugeant que l’Afriqueconstitue un marché promet-teur, les fabricants se mettent à « localiser» leurs logiciels, c’est-à-dire à les adapter aux langueset cultures locales. En 2004,Google a traduit son célèbremoteur de recherche en swahili,la principale langue véhiculairedu continent. Il a été imité l’an-née suivante par Microsoft, qui a « localisé» en swahili sa suitebureautique Office et son sys-tème d’exploitation Windows.Près de 100 millions d’utilisa-teurs potentiels, en Afrique centrale et orientale, pourrontlire des expressions comme barua pepe (lettre volante) pour «courriel» ou panya pour «sou-ris» dans les programmes et l’assistance en ligne. Microsoft adéjà entamé la localisation de ses programmes dans d’autreslangues africaines, notamment le

zoulou (Afrique du Sud), le wolof (Sénégal) et le haussa(Nigeria). Le leader de labranche informatique estimeque le marché africain est celuiqui croît le plus rapidement.L’an dernier, il a conclu descontrats de coopération avec dixgouvernements africains pourappuyer des écoles et des centresde formation.

Un émigré en Europe pourdix en Afrique( jls) Les migrations intrarégio-nales en Afrique de l’Ouest sont dix fois plus importantesque celles vers l’Europe: pour 770000 émigrés établis enEurope, on en recense 7,5 mil-lions qui ont choisi de s’installerdans un autre pays d’Afrique occidentale. Le phénomènes’explique par le fort accroisse-ment de la population. Celle-cia plus que triplé en 45 ans, attei-gnant 290 millions d’habitants.L’exode rural a décuplé lenombre de citadins. Les zonesdésertifiées du Sahel se sont vidées au profit des régions cô-tières. Cette grande mobilité despopulations a été facilitée par lalibre circulation des personnesau sein de la Communauté éco-nomique des États d’Afrique del’Ouest. Les flux migratoires nevont probablement pas se ralen-tir au cours des prochaines dé-cennies. Seule une infime mino-

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rité de migrants partiront pourl’Europe et l’Amérique. La plu-part s’installeront surtout dansles villes de la région, en parti-culier les villes secondaires, etdans les zones rurales peu peu-plées, comme celles où l’oncho-cercose a été récemment éradi-quée.

Du riz insubmersible(bf ) Le riz constitue l’aliment debase pour plus de trois milliardsd’êtres humains. Cette plantenécessite beaucoup d’eau, maisla plupart des variétés ne survi-vent généralement pas plus dequelques jours lorsqu’elles sonttotalement submergées. Lescrues et les inondations, qui necessent de se multiplier dans lemonde, engendrent dans les ri-zières des dommages estimés àun milliard de dollars par année.Ces dégâts touchent plus de 70millions de paysans, dont la plu-part vivent dans les pays en dé-

veloppement. Dans le cadre d’unprojet de recherche commun,des scientifiques de l’Institut in-ternational de recherche sur leriz (IRRI), aux Philippines, etde l’Université de Californie ontidentifié un gène qui permet auriz de supporter une immersionprolongée sans que la récolte ne

s’en ressente trop. Ce gène a en-suite été transmis par croisementau riz Swarna. Cette variété esttrès répandue, mais sensible auxinondations. Elle est cultivée enInde et au Bangladesh. Les pre-miers tests sont encourageants :les plants ont survécu à uneinondation de deux semaines, enconservant leur rendement élevéet leur qualité agronomique.

Une occasion historique (bf ) Selon de récentes données,88% des enfants dans les pays lesplus pauvres du monde sontscolarisés, alors que ce taux n’at-teignait que 50% en 1970. LeRapport sur le développement dansle monde 2007, publié par laBanque mondiale, montre parailleurs que la proportion dejeunes âgés de 15 à 24 ans a at-teint son niveau le plus élevé del’histoire. Le moment n’a doncjamais été aussi propice pour ar-racher les pays en développe-

Un seul monde No 1 / Mars 2007 5

Omnibus

ment à la pauvreté en investis-sant dans la nouvelle génération.Selon des calculs réalisés pour leKenya, un programme de for-mation sur 30 ans générerait desbénéfices de 2 à 3,5 fois supé-rieurs à ses coûts. En parallèle,les auteurs du rapport plaidentpour une libéralisation du com-merce et du marché du travail.Il faut inciter les jeunes et lesparents à investir eux-mêmesdans leur avenir. L’occasion quise présente aujourd’hui estunique, car la proportion dejeunes ne restera pas longtempsà un niveau record. Et les paysqui ne saisiront pas cette occa-sion risquent de rater le train dudéveloppement économique.

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Une région se prend à rêver

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Après avoir été secouée par des guerres et des crises, la région des Grands Lacs,au cœur de l’Afrique, est-elle sur la voie de l’apaisement? Divers signes laissentdu moins transparaître une volonté de résoudre ensemble les problèmes com-muns. Ils permettent d’espérer que la région échappera aux malheurs de la dé-cennie écoulée. De Peter Baumgartner*.

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Grands Lacs

d’un avenir commun

«Pas de guerre = paix». On a pu voir ce graffiti pâlir au fil des années sur une cabane en tôle, aubord de la route défoncée qui relie Bujumbura, lacapitale burundaise, à la petite ville congolaised’Uvira. Il fait penser aux slogans scandés au dé-but des années 80 dans les capitales européenneslors de manifestations géantes contre les armes

nucléaires, et qui disaient en substance: «L’absen-ce de guerre, ce n’est pas encore la paix.» La définition d’un terme dépend (entre autres) dela situation dans laquelle on se trouve. Dans lesGrands Lacs, des millions de gens s’estiment déjàheureux quand les armes se taisent. Au cours desquinze dernières années, aucune autre régiond’Afrique (voir carte p.9) n’a focalisé à ce point l’attention de l’opinion mondiale par ses conflits,suscité autant d’actions de secours et d’interven-tions onusiennes,ou fourni davantage d’argumentsaux «afropessimistes».Ses lacs, ses montagnes et sespaysages ondoyants parsemés de forêts, de villageset de bourgades, son climat tempéré par l’altitudeen font l’une des contrées les plus séduisantes detout le continent.

Lutte pour la suprématie régionaleDurant ces quinze années, les actes de violence etles conséquences indirectes des affrontements mi-litaires ont fait plus de morts dans les Grands Lacsque tous les conflits survenus en Afrique depuis lesindépendances,au début des années 60.Même avecune estimation prudente, on dépasse facilement labarre des cinq millions de victimes.Il ne faut pas chercher l’explication de cette tra-gédie transfrontalière uniquement dans les mou-vements d’expansion ethnique ayant suivi le gé-nocide de 1994 au Rwanda, qui s’est soldé par lemassacre de 800000 personnes appartenant à la mi-norité tutsie. Il ne faut pas non plus l’attribuer seu-lement à la convoitise suscitée par les richesses mi-nières congolaises ou à la paralysie du Zaïre en dé-liquescence – tel était le nom de la Républiquedémocratique du Congo (RDC) à l’époque dudictateur et kleptomane Mobutu Sese Seko. C’estplutôt la combinaison de ces trois facteurs,ainsi quela rivalité ougando-rwandaise pour la suprématierégionale,qui ont plongé dans une gigantesque cri-se la région des Grands Lacs, caractérisée par untissu dense et complexe de relations sociales, poli-tiques, économiques et ethniques.Les événementssurvenant dans l’un des pays impliqués ont imman-quablement des répercussions chez ses voisins ; desorte que seule l’approche régionale peut vérita-blement contribuer à la reconstruction et débou-cher sur une paix durable.

L’extension ethnique du conflit a étéconjuréeAujourd’hui, la région donne des signes manifestesde stabilisation et d’apaisement, même si l’on nesait pas encore comment les élites politiquescongolaises réagiront au résultat des élections pré-

Les plus célèbres tambours d’AfriqueLes Batimbos, illustrestambours du Burundi, sontles maîtres incontestés deleur art. On peut avoir lesoreilles qui bourdonnent enles écoutant, mais ils fasci-nent autant par l’agilité deleurs doigts sur les peauxtendues à l’extrême quepar la perfection des inter-mèdes acrobatiques quiaccompagnent leurs per-cussions. Ces instrumentssont un héritage culturelimportant du Burundi. Ilssont fabriqués dans dubois d’umuvugangoma, littéralement : l’arbre quiconfère au tambour sa ré-sonance. Ils avaient autre-fois un caractère sacré.Associés au roi en tant quesymbole de fertilité et deprospérité, ils éveillaientdes associations d’idéesen conséquence: la peaudu tambour évoquait leslanges du bébé, ses piedsles seins de la mère, tandisque le corps de l’instru-ment faisait penser à unventre. Depuis la fin de laguerre civile, les Batimbossymbolisent aussi l’unitédu Burundi. Quand cesmusiciens parcourent lepays en portant leur tam-bour sur la tête, à la ma-nière traditionnelle, ils sontsalués avec joie et respect.Comme des messagers depaix.

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sidentielles.Un indice est révélateur à cet égard: leRwanda a confirmé officiellement qu’il ne se sentplus menacé par les rebelles hutus basés dans lesprovinces congolaises du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.Après le génocide perpétré au Rwanda, environ700000 Hutus, craignant des représailles, ont fuidurant l’été 1994 vers le Zaïre voisin. Parmi euxse trouvaient des soldats de l’ancienne armée rwan-daise et quelques dizaines d’extrémistes appartenantaux Interahamwe, ces milices de sinistre mémoirequi ont joué un rôle central dans la tentative d’ex-termination des Tutsis.Très vite,des attaques cibléesont visé les Tutsis dans la zone frontalière du Congo.Puis les miliciens hutus ont porté leurs incursionssur les territoires du Rwanda et de l’Ouganda,don-nant ainsi une ampleur régionale au conflit ethni-que rwandais.Cette menace latente fut la cause immédiate de laguerre de 1996-1997 qui a conduit à chasser le ré-gime de Mobutu et aussi, jusqu’à un certain point,de la seconde rébellion (avortée) contre son suc-

cesseur Laurent Kabila en 1998. Ces deux opéra-tions ont été lancées à partir du Rwanda et del’Ouganda, qui avaient des visées sur les richessesminières du Congo. Selon un rapport de l’ONU,le Rwanda a financé la guerre et l’occupation desdeux Kivu par l’exploitation illégale du coltan (unminerai) au Congo, tandis que l’Ouganda privati-sait les pillages: les dirigeants de l’armée ougandaiseont accumulé des fortunes grâce aux mines d’or,de diamants et à l’abattage de bois précieux.

Rwanda et Burundi remontent la penteSi l’on songe aux atrocités de 1994, le Rwanda aremarquablement redressé la situation, et pas seu-lement sur le plan de la croissance économique (5,2pour cent en 2006).Ce pays s’emploie fermementà faire en sorte que la division ethnique entre Hu-tus et Tutsis soit effacée une fois pour toutes de laconscience collective. Le simple fait de mention-ner l’appartenance ethnique est désormais tabou.Il s’agit d’un délit de «divisionnisme», passibled’une sanction pénale. Mais dans la vie politique

L’argent des gorilles François est guide touris-tique au Parc national desvolcans, au Rwanda. Il saittout sur les gorilles. Quandil parle avec eux en émet-tant des sons gutturaux,quand les grands singes le regardent de leurs yeuxsombres, tout en sur-veillant leurs petits quigambadent entre les bam-bous, on saisit bien ce queFrançois veut dire par cesmots: «D’autres se sontoccupés des gens pen-dant la guerre ; moi,c’étaient les gorilles.»Après le génocide auRwanda, des groupes ar-més sillonnaient la chaînemontagneuse des Virunga,dans la zone frontalièreentre le Rwanda, le Congoet l’Ouganda. Leur pré-sence n’a fait qu’augmen-ter les craintes pour lesgorilles de montagne quipeuplent la région. Maisdes organisations interna-tionales de protection desanimaux ont continué d’ai-der et les villageois ontcombattu les braconniers.Ils en récoltent aujour-d’hui les fruits : les tou-ristes viennent observer lesprimates, selon des règlesstrictes et dans de bonnesconditions; cet affluxconstitue une source im-portante de revenus pourles villages avoisinants.Nouvelle réjouissante : lapopulation de gorilles aaugmenté dans les montsVirunga; elle atteint mainte-nant quelque 700 individus.

Les traces des conflits armés sont visibles par-tout : orphelins de guerreau Rwanda (à droite), miliciens en Républiquedémocratique du Congo(RDC) et réfugiés hutussur le chemin de retourvers le Rwanda

Un seul monde No 1 / Mars 2007 9

Grands Lacs

au quotidien, cette loi est de plus en plus utiliséecomme outil de répression contre les critiques durégime et les journalistes. Bien que le gouverne-ment bénéficie d’un large soutien public, on voitbien que les destinées du pays sont contrôlées parl’entourage du président Paul Kagame. Les Tutsisrevenus d’exil donnent le ton dans les activités éco-nomiques et font étalage de leur position domi-nante.La situation est analogue au Burundi, le petit paysvoisin. La répartition ethnique (85 pour cent deHutus et 14 pour cent de Tutsis) pose les mêmesproblèmes qu’au Rwanda.La guerre civile,qui avaitéclaté en 1993 et fait quelque 300000 victimes, aofficiellement pris fin en mars 2006.Le partage dupouvoir entre les deux ethnies répond à une clé derépartition subtile, qui tient compte de la positionmajoritaire des Hutus,mais aussi des besoins de sé-curité de la minorité tutsie. C’est une paix labile,menacée par les durs des deux camps. Cela n’a pasempêché les paysans de quitter les camps de réfu-giés pour revenir, pleins de confiance, dans leurs

collines. Depuis que les armes se sont tues, ils es-saient de reprendre une vie normale

Beaucoup d’habitants, peu de terres La question du développement démographique af-fecte de la même manière les deux pays. Mais ellen’est pas débattue publiquement, en raison de sesimplications ethniques. Le Rwanda est le pays leplus densément peuplé d’Afrique, avec 355 habi-tants/km2 (Suisse : 182). Il est suivi par le Burun-di. L’un et l’autre comptent près de 500 personnespar km2 dans les zones d’exploitation agricole in-tensive, un chiffre élevé pour des pays qui dépen-dent à presque 90 pour cent de l’agriculture.Le re-gard se porte automatiquement vers le Congo voi-sin, qui semble presque désert avec une densité de21 habitants/km2;de plus, les deux Kivu sont tour-nés économiquement (et jusqu’à un certain point,culturellement) vers le Rwanda et le Burundi,beaucoup plus que vers la partie occidentale duCongo. Par la force des choses : depuis le règne ruineux de Mobutu, les routes vers l’Ouest ont été

République démocratiquedu Congo

Tanzanie

Zambie

Ouganda

Kampala

Lac Victoria

Lac Albert

Lac Édouard

Lac Kivu

Lac Tanganyika

Lac Moero

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Bujumbura

Dar es Salaam

Kenya

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Rien ne vaut le matoke!En Ouganda, le meilleurrestaurant peut offrir lesplats les plus délicieux dumonde, et les accompa-gner de montagnes defrites, de riz ou de pâtes…Mais si le matoke ne figurepas sur la carte, l’auber-giste perd toute crédibilité.Cette banane plantain, fruitdu Musa paradisiaca, estun aliment de base aussipopulaire en Ouganda quel’ugali, une bouillie de maïs,dans le Kenya voisin. On en voit pousser quelquesplants devant presque cha-que maison ougandaise. Il peut se cuire à l’étuvée ou en purée (comme despommes de terre), rôti ougrillé. Un repas sans ma-toke n’est pas un vrai repasen Ouganda. Ce pays enrécolte annuellement 9,4millions de tonnes. La lé-gende veut que Kintu, lepremier habitant de la pla-nète, ait apporté avec lui lafameuse banane. Pas seu-lement en Ouganda, biensûr : dans le vaste bassindu fleuve Congo, ce platest connu sous le nom demakemba. L’hôte qui n’arien à offrir au visiteur sur-venant à l’improviste se rabat vite sur le matoke :quelques bananes grillées àla hâte feront un excellentaccueil.

Région des Grands Lacs

Burundi, Bujumbura8,1 millions d’habitants25650 km2

République démocratique du Congo (RDC), Kinshasa62,6 millions d’habitants2267600 km2

Rwanda, Kigali8,6 millions d’habitants 24948 km2

Tanzanie, Dar es Salaam37,4 millions d’habitants886037 km2

Ouganda, Kampala28,2 millions d’habitants199710 km2

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envahies par la brousse. Avec de la chance, il fautcompter un bon mois pour atteindre la capitaleKinshasa, située à 1200 km.Les colonialistes belges encourageaient déjà l’im-migration depuis le Rwanda et le Burundi. En1960,plus de la moitié des habitants du Nord-Kivuétaient d’origine rwandaise ; cette proportion étaitd’un quart dans le Sud-Kivu. L’afflux de réfugiésrwandais et burundais s’est accéléré au cours destrois décennies suivantes.Et même si les conflits ou-verts étaient rares,cette immigration provoquait dela méfiance à l’égard du Rwanda.Lorsque celui-cia déclenché la seconde rébellion au Congo en1998,cette fois contre Laurent Kabila,et qu’il a oc-cupé les deux Kivu, la population locale y a vu unetentative des Tutsis rwandais de rétablir leur ancienempire et de rattacher ces deux provinces au ter-ritoire du Rwanda.

Partenaires déchirés La deuxième guerre du Congo (1998-2003) aplongé les deux Kivu et l’Ituri dans la violence etl’anarchie. Par moments, plus d’une vingtaine defactions combattantes semaient le chaos et harce-laient la population civile.Tout le monde se battaitcontre tout le monde pour gagner en pouvoir eten influence, pour mettre la main sur des res-sources minières. La situation s’est encore aggra-vée avec la rupture de l’alliance entre le Rwandaet l’Ouganda. Non contentes de s’affronter sur lesol congolais, ces deux nations ont appuyé diffé-rents groupes rebelles, selon la devise « l’ennemi demon ennemi est mon ami». Elles continuent au-

jourd’hui d’entretenir ainsi le désordre en Ituri,touten protestant du contraire.Rien n’a changé dans l’extrême hostilité qui op-pose le président ougandais Yoweri Museveni à sonhomologue rwandais Paul Kagame. Il semble toutde même que le premier ait renoncé à ses plansd’expansion – contrecarrés par le second – dans larégion des Grands Lacs et qu’il se concentre sur sesproblèmes intérieurs.Le fait que des paysans com-mencent maintenant à quitter les camps de réfu-giés pour retrouver leurs villages dans le nord del’Ouganda peut être considéré comme un signed’espoir.

Acheter les opposantsDepuis les accords de paix et l’arrivée au pouvoiren juin 2003 du gouvernement de transition cha-peauté par le président Joseph Kabila, la RDCconnaît un essor remarquable.Hélas, la populationn’en profite guère jusqu’à présent. La croissanceéconomique d’environ 6 pour cent est due à lahausse des exportations de matières premières, quia fortement accru les recettes fiscales.L’est du Congo s’est considérablement apaisé cesderniers temps. Petit à petit, l’État central reprendpied dans les deux Kivu. Il s’efforce également deréaffirmer son autorité en Ituri, mais de manièremoins efficace.La présence des troupes onusiennesexplique en partie cette évolution, même s’il leura fallu quatre ans pour prendre vraiment au sérieuxleur mandat fondamental, à savoir protéger la po-pulation civile. Mais le principal facteur de pacifi-cation a été l’intégration des dirigeants rebelles et

Bête de somme à deux rouesSur les petites routes duKivu, dans l’est du Congo,on rencontre souvent desvéhicules qui feraient hon-neur à n’importe quel mu-sée d’art populaire ou destransports : de robustestrottinettes, construites entièrement en bois. Ellestémoignent d’une grandehabileté artisanale et del’inventivité humaine lors-qu’il s’agit de se faciliter letravail. Ces «mobylettes»,comme on les appelle auKivu, représentent le ca-mion à deux roues desgens modestes. Ellestransportent facilementdeux ou trois sacs depommes de terre oud’ignames, et circulentmême sur les pistes autre-fois carrossables qui sontdevenues d’étroits sentierspédestres par manqued’entretien. Elles ne sontpas faciles à piloter. Lacharge oblige à avancerlentement, le plus souventen marchant péniblementà côté du véhicule. Celadonne aux gamins l’occa-sion de gagner quelquessous: ils attendent au basdes pentes et aident lespropriétaires de mobylettesà pousser leur engin à lamontée.

La population des Grands Lacs regarde l’avenir avec un optimisme prudent. Lentement, la vie reprend ses droits et chacun vaque à ses occupa-tions, que ce soit la reconstruction de maisons, la lessive, le transport de bananes ou la recherche d’or.

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Grands Lacs

diale, il faudra cinquante ans au Congo pour re-trouver le niveau de développement qu’il avait en1960, l’année de l’indépendance.Trois projets de coopération régionale alimententdes espoirs prudents : la conférence internationaleconsacrée aux Grands Lacs ; la Commission tripar-tite, que la RDC, le Rwanda et l’Ouganda ontcréée afin de rétablir la confiance,et qui a été entre-temps élargie au Burundi ; enfin, l’accord des troispays pour combattre l’exploitation illégale des ri-chesses minières. Si la communauté internationa-le fournit vraiment l’aide promise, si elle est dé-terminée à contrôler sérieusement l’affectation desfonds destinés à la reconstruction, et si elle met unterme au comportement parfois délétère des grou-pes miniers occidentaux, cette belle contrée pour-rait se rétablir du désastre qu’elle a subi durant lesquinze dernières années. ■

* Peter Baumgartner est un journaliste suisse établi à Nairobi. De 1994 à 2004, il a été correspondant en Afrique du quotidien «Tages-Anzeiger» de Zurich.Depuis avril 2005, il publie le périodique «The Orga-nic Farmer», destiné aux petits paysans kenyans.

(De l’allemand)

autres chefs de bandes dans le gouvernement et lescadres de l’armée,une mesure qui leur a donné ac-cès aux ressources financières de l’État. On a doncacheté les leaders pour faire taire les armes.Ce fai-sant, on a aussi pris le risque que des cadres subal-ternes, repartis les mains vides, se mettent tout àcoup à sévir avec leurs propres groupes armés.C’estce qui se passe encore aujourd’hui en Ituri.Érigée en système sous le régime de Mobutu, l’ha-bitude d’acheter les opposants fait partie des insti-tutions congolaises, de même que l’État est consi-déré comme la propriété privée de ses dignitaires.Cela ne va sans doute pas changer si vite à l’ave-nir. Dans le cas de l’est congolais, c’est le prix àpayer pour une sorte de paix ou, plutôt, une situa-tion de non-guerre. Un prix élevé sur le plan fi-nancier,mais aussi politique:un État de droit dignede ce nom aurait poursuivi pour crimes de guerrequelques-uns des personnages qui ont ainsi obtenu– et vont encore obtenir – des postes,de l’influenceet un enrichissement personnel.

Efforts régionauxLes dernières élections ont transformé la RDC.LesCongolais et les Congolaises ont réalisé que lesarmes ne sont pas seules à pouvoir agir, que le bul-letin de vote a son importance, si ce n’est immé-diatement,du moins en l’espace de cinq ou dix ans.Quatre décennies sous le règne de Mobutu et cinqannées de guerre civile ne peuvent être effacées dujour au lendemain.Elles affecteront longtemps en-core les institutions politiques et la situation éco-nomique.Selon des estimations de la Banque mon-

Le fleuve Congo en vedetteC’est le film d’une région:avec Congo river, le ci-néaste belge Thierry Michelnous fait vivre un voyagefascinant de l’embouchureà la source du Congo, leplus grand bassin fluvial dumonde. Ce film sera diffuséen mars dans les cinémassuisses. Le spectateur ydécouvre la mythologie dufleuve, il se familiarise avectoutes les facettes de la viequotidienne au fil de l’eauet rencontre les figures lé-gendaires qui ont marquél’histoire au cœur del’Afrique: des explorateurscomme David Livingstoneet Sir Henry Morton Stanley,des rois de l’ère colonialeet des leaders africains telsque Lumumba, Mobutu etKabila. Les films de ThierryMichel sont une critiqueacerbe du colonialisme etmettent en évidence le ca-ractère relatif de notre per-ception du continent noir.Porté par le désir de com-prendre l’histoire et le des-tin de l’Afrique, le cinéastepoursuit sa quête en re-montant jusqu’à la sourcede ce fleuve de 4374 kilo-mètres. Dates de projection dansles cinémas: www.trigon-film.org

De jeunes Congolaises pêchent à l’aide de bouteilles et nettoient le poisson sur place

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L’Aide humanitaire de la DDC est active dans lesGrands Lacs depuis 1994. Elle a secouru les vic-times du génocide rwandais,puis celles des guerressurvenues au Burundi et en République démo-cratique du Congo (RDC). Son bureau de Bu-jumbura, au Burundi, gère aujourd’hui un pro-gramme régional qui porte sur l’aide aux victimesdes conflits, le retour des réfugiés et des personnesdéplacées, la sécurité alimentaire et la reconstruc-tion.Si de nombreuses populations dépendent en-core de l’aide humanitaire, le contexte actuel per-met d’enclencher la dynamique du développe-ment.Le domaine Coopération au développementde la DDC, qui a pu reprendre ses activités auRwanda en 1998 déjà, a décidé récemment dedonner une envergure régionale à ce programme,axé sur la santé, la gouvernance et le soutien à desinitiatives régionales.«Cette approche s’impose,carles conflits et les dynamiques de développementdépassent les frontières nationales.Maintenant quela situation s’est apaisée, nous allons pouvoir laconcrétiser»,explique Yvan Pasteur,chargé de pro-

gramme pour les Grands Lacs. La première étapese réalise dans la province de Ngozi, au Burundi :des projets d’appui à la santé de base ont débuté enaoût dernier. Si tout va bien, d’autres actions dé-marreront dans une province de l’est du Congo en2007.

Punir les crimes liés au conflitLa Suisse agit également au niveau politique pourpromouvoir la paix, les droits de l’homme et pré-venir de nouvelles flambées de violence. Le man-dat en incombe à la Division politique IV (DPIV)du Département fédéral des affaires étrangères,quirenforce son action dans la région. Marc George,conseiller pour les questions de sécurité humaine,est basé depuis septembre dernier à Bujumbura. Ilmet en œuvre le programme régional de la DPIV,qui se centre pour l’instant sur le Burundi : la Suis-se soutiendra notamment le désarmement des mi-lices, la collecte des armes légères détenues par descivils, ainsi que la création d’une Commission Vé-rité et Réconciliation. «Aucun processus de paix

Encouragée par les signes de normalisation dans les GrandsLacs, la Suisse va compléter son aide humanitaire en lançantdes programmes de développement à l’échelle régionale. Pa-rallèlement, elle intensifie ses actions de promotion de la paix.Trois instruments de la politique étrangère suisse seront ainsimis en œuvre simultanément dans cette région. De Jane-LiseSchneeberger.

Les acteurs suisses font ménage à trois

Engagement suisse en 2006Pour l’année 2006, laSuisse a octroyé une aided’environ 46 millions defrancs à la région desGrands Lacs. Près de lamoitié de cette somme représentait la contributionde la Confédération auxmissions internationales de maintien de la paix auBurundi et en RDC. L’aidehumanitaire a consacré15,2 millions de francs àses opérations au Burundi,en RDC et en Ouganda.Environ 9 millions defrancs ont été alloués àl’aide au développement,qui se concentre pourl’instant sur le Rwanda etle Burundi. Enfin, un mon-tant de 1,1 million defrancs a financé les mesu-res civiles de promotion de la paix, mises en œuvreau Burundi et en RDC parla Division politique IV –Sécurité humaine du DFAE.

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ne peut réussir sans un travail sur le passé.Au Bu-rundi, contrairement à ce qui s’est fait en Afriquedu Sud, ces démarches ne devraient pas se limiterau pardon et à la réconciliation.Les crimes de guer-re, contre l’humanité et de génocide devront êtrepunis»,explique Marc George.Par la suite, la DPIVappuiera également la justice de transition dans l’estdu Congo, région qui a été le théâtre d’innom-brables violations des droits de l’homme. En re-

vanche, elle ne prévoit pas d’appui aux gacacas, cesjuridictions traditionnelles qui jugent les respon-sables du génocide au Rwanda. La DDC a décidéen 2006 de stopper son aide à ce processus.

Pont vers le développement Un «cadre de coordination», formulé conjointe-ment en 2006,permet aux trois intervenants suissesde dégager des synergies, d’éviter des chevauche-ments et d’assurer la complémentarité de leursopérations. Il est plutôt rare que ces trois instru-ments du DFAE interviennent simultanément, demanière concertée et coordonnée. Pour RolandAnhorn, responsable de l’aide humanitaire dans lesGrands Lacs,une telle configuration est la seule ma-nière de contribuer efficacement à la solution du-rable des crises : «L’aide humanitaire porte secoursaux victimes et leur donne des outils pour redé-marrer une activité économique.Mais elle n’a guè-re d’influence sur ceux qui sont à l’origine de laguerre.Si les milieux politiques n’ont pas la volontéde trouver des solutions, les humanitaires seront en-

Triple soutien à la radio de la paix Durant les années deguerre, la radio était le seulmédia disponible dans l’estdu Congo. Parmi d’autresstations, Radio Okapi offrait la meilleure garantied’impartialité. Créé par la Mission de l’ONU auCongo (Monuc) et géré par la fondation suisseHirondelle, ce réseau deradios couvre l’ensembledu territoire congolais. Aucours des derniers mois, ils’est concentré sur le pro-cessus électoral. La Suisseverse à Radio Okapi unmillion de francs par an.Cette contribution est par-tagée entre trois acteurs du DFAE, dont l’appui estjustifié par leurs mandatsrespectifs. La Division politique IV soutient Okapiparce que cette radio apour vocation d’informersur le processus de transi-tion, la consolidation de lapaix et le déroulement desélections. Pour l’Aide hu-manitaire de la DDC, il estessentiel que les victimesd’une crise puissent rece-voir des informations surles questions liées à la sé-curité et aux secours. Ledomaine Coopération audéveloppement de la DDCestime qu’un émetteur in-dépendant est nécessairepour garantir un dialoguedémocratique. Il appuie lapérennisation de RadioOkapi après le départ de laMonuc et son intégrationdans le paysage média-tique congolais.

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Un seul monde No 1 / Mars 2007 13

core sur place dans dix ans.» Le retrait de l’aided’urgence se prépare déjà durant la phase de tran-sition entre la guerre et la paix. «Il est temps deconstruire un pont vers le développement», ajou-te M.Anhorn.

Poursuite de l’aide aux victimes de viols Sans être nécessairement présente dans les mêmesrégions que l’aide humanitaire, la coopération tra-

vaillera sur des problématiques similaires.Ainsi,ellereprendra plusieurs composantes du programmehumanitaire lancé en 2002 pour aider les femmeset les filles violées par des miliciens. À Ngozi, elleentend renforcer le système de santé, afin que ce-lui-ci ait les capacités de prendre en charge les vic-times sur le plan médical et psychosocial.Les composantes juridiques du programme huma-nitaire «Femmes et enfants victimes de violences»seront relayées tant par la coopération que par laDPIV, en fonction de leurs spécificités. Il s’agit enl’occurrence de financer des conseillers juridiquesqui aident les victimes à poursuivre pénalementleurs agresseurs, mais aussi d’exercer des pressionspolitiques pour que la législation reconnaisse le dé-lit de viol.Les capacités des tribunaux doivent éga-lement être renforcées. «La qualité de l’appareil ju-diciaire est un problème crucial», souligne YvanPasteur. «À quoi bon améliorer l’accès à une mau-vaise justice?» ■

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Un seul monde: Dans l’est de la Républiquedémocratique du Congo, de même qu’auBurundi, au Rwanda et en Ouganda, les genssont fatigués de la guerre. Leur espoir detemps meilleurs est-il justifié?

Ibrahima Fall : Oui. Premièrement, la commu-nauté internationale est disposée à soutenir tous lesefforts de paix. Et deuxièmement, ce qui me pa-raît encore plus important, ces efforts sont portéspar des organisations locales, par les présidents Kabila (Congo), Museveni (Ouganda) et Kagame(Rwanda), ainsi que par les pays voisins qui parti-cipent aux négociations.

Même s’il existe une hostilité d’ordre quasipersonnel entre les trois présidents?Ne vous laissez pas impressionner par des déclara-tions fracassantes. Certaines choses sont possiblesaujourd’hui, alors qu’elles étaient inimaginables il

y a encore cinq ans. Il existe dans la région une vo-lonté politique de coopérer par-delà les frontières.Beaucoup d’éléments dépendront de l’attitude quisera adoptée par la communauté internationale.

Il faudrait qu’elle s’engage et exerce unepression?Pression est un mot délicat. Mieux vaut parler depersévérance dans l’incitation à la coopération ré-gionale. Celle-ci est essentielle, notamment faceaux groupes de rebelles armés qui continuent desillonner l’est du Congo et représentent un dan-ger potentiel.

Mais les trois États instrumentalisent juste-ment des groupes rebelles, selon leurs pro-pres intérêts.Notre stratégie régionale ne mise pas uniquementsur les gouvernements centraux,mais également surla coopération transfrontalière de parlements,d’or-

Depuis juillet 2002, le Sénégalais Ibrahima Fall est représen-tant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour larégion des Grands Lacs. Il agit comme médiateur entre deshommes d’État, des dirigeants rebelles et des chefs de groupesarmés, qu’il s’efforce d’amener à une table de négociations.C’est là une tâche délicate qui demande autant de doigté quede persévérance. Entretien avec Peter Baumgartner.

Ramener la paix, avant de punir

Ibrahima Fall semblaitprédestiné, par sa forma-tion et son parcours, à lamission difficile dont ils’acquitte dans la régionen crise des Grands Lacs.Ce Sénégalais de 64 ansest un juriste chevronné,spécialiste du droit interna-tional public et des droitsde l’homme. Après avoiroccupé une chaire de pro-fesseur à l’UniversitéCheikh Anta Diop à Dakar,il a été de longues annéesministre des affaires étrangères du Sénégal.Directeur du Centre pourles droits de l’homme àGenève de 1992 à 1997, il a par la suite assumé les fonctions de sous-secrétaire général de l’ONUaux affaires politiques.Ibrahima Fall a participé àl’élaboration de la Charteafricaine des droits del’homme et des peuples,adoptée en 1981 parl’Organisation de l’unitéafricaine.

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ganisations de la société civile et d’ethnies, dontcertaines sont séparées par des frontières nationales.Nous devons construire des ponts en pratiquantune coopération régionale intense. Il faut que leshabitants des Grands Lacs se disent : «Si nous nousrapprochons les uns des autres, et si nous essayonsde résoudre ensemble les problèmes communs,celaira mieux pour nous, y compris sur le plan écono-mique.» Cela signifie qu’il faut rendre les dividen-

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jourd’hui à de hautes fonctions en RDC. Entant que spécialiste du droit international pu-blic, pouvez-vous admettre cela?Résoudre des conflits aussi complexes que celui duCongo oriental revient à trouver un délicat équi-libre entre le besoin de paix, la quête de justice etla réconciliation.L’essentiel, au départ, est de créerune situation qui offre aux gens la possibilité devivre dans la dignité;ce n’est pas le cas aujourd’hui.

les malfaiteurs

La présence des troupesonusiennes contribue à créer les conditions nécessaires pour que lapopulation de la RDCpuisse vivre dignement

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des de la paix aussi attrayants que possible. Pour yparvenir, les pays concernés doivent aussi faire desefforts.

En ont-ils les moyens financiers?Jusqu’à un certain point, sans doute. Cette régionest la leur, c’est à eux d’agir. Nous ne pouvons etne devons pas assumer toutes les tâches qui leur in-combent. Mais ils bénéficient aussi d’un soutien àcertaines conditions. Le Groupe des amis de la ré-gion des Grands Lacs, dont la Suisse fait partie, aassuré qu’il fournirait de l’aide.La communauté in-ternationale se doit elle aussi d’apporter sa contri-bution et elle le fera. Elle a intérêt à ce que la paixrègne dans cette vaste région africaine.

Vous parliez de conditionnalité...... attendez, laissez-moi dire quelque chose à ce su-jet. Il existe deux formes de conditionnalité, aussifausses l’une que l’autre. Soit les États occidentauxlient leur assistance à la condition que l’on achètechez eux et que l’on accorde des privilèges à leursmultinationales. Soit ils disent : «Vous n’aurez pasd’argent si vous ne faites pas ceci et cela.» Il s’agitde trouver un juste milieu entre ces deux positionsextrêmes. Nous ne devons pas perdre de vue l’ob-jectif essentiel : notre aide doit profiter à la popu-lation.Cela requiert logiquement que des mesuresde contrôle efficaces garantissent une affectation ju-dicieuse des fonds.

D’anciens seigneurs de la guerre, qui ontcommis des actes criminels, accèdent au-

Il sera toujours possible,plus tard,de poursuivre lesinjustices commises.Prenons l’exemple de l’ancienprésident libérien Charles Taylor : il avait fallu luiaccorder le droit de s’exiler au Nigeria pour ou-vrir la voie à une pacification du Liberia.Aujour-d’hui, quelques années après, on lui demande derépondre de ses actes.

La paix représente le principe suprême?C’est cela. Nous avons une grande responsabilitéen termes de justice.Mais nous devons donner unechance à la paix avant de demander des comptesaux malfaiteurs. Il faut commencer par rechercherune certaine stabilité. Je pense que les Congolaisont assez souffert.

De ce point de vue, la présence des troupesonusiennes dans l’est du Congo ne s’impo-se-t-elle pas pour quelques années encore?Certes,mais la décision ne m’appartient pas.Nousdevrions tirer les leçons des erreurs commises.Dans six pays sur dix déchirés par des conflits, denouvelles guerres ont éclaté après le départ pré-maturé des troupes de sécurité – pensons simple-ment au Timor oriental. Il serait certainement fauxde dire : nous pouvons maintenant quitter leCongo, puisque des élections ont eu lieu et que legouvernement bénéficie de la légitimité populai-re. Résoudre des conflits d’une telle ampleur etd’une telle complexité, cela exige du temps, de lapatience, de l’opiniâtreté. ■

(De l’anglais)

La Sierra Leone est un pays à part. Non seulement en raisonde ses mines de diamants ou de son attrait touristique. Il l’estégalement par son destin singulier. Cet ancien havre des es-claves affranchis a sombré, après l’indépendance, dans une in-stabilité politique chronique. Dix ans de guerre civile ont exa-cerbé la pauvreté. De Ibrahima Cissé*.

La Sierra Leone compte environ 25 ethnies diffé-rentes, qui représentent près de 90 pour cent deshabitants.À ces populations africaines s’ajoutent lescréoles, descendants des esclaves revenus d’Amé-rique au 18e siècle.Le nom de Freetown a été don-né à la capitale pour symboliser leur liberté re-trouvée.C’est à un explorateur portugais,Pedro daSintra, que l’on doit l’appellation de Sierra Leone.En 1460, il découvre la presqu’île rocailleuse oùsera bâtie Freetown. À cause de la ressemblance de cet endroit avec un lion couché, il lui donne le

nom espagnol de sierra (montagne, en espagnol) etde leone (lion, en italien), ce qui est devenu ainsi «Sierra Leone» (la montagne du lion).

Coups d’État en série Puis la Grande-Bretagne s’intéresse à cette région,qu’elle parvient à acheter aux chefs tribaux locaux.Progressivement, elle étend son influence au restedu pays.Avant l’abolition de la traite négrière, denombreux Britanniques y séjournent pour ache-ter des esclaves. En 1808, la Sierra Leone devient

Un pays riche, maisruiné par l’instabilité et la violence

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centaine de combattants, Sankoh attaque en 1991deux villages dans l’est de la Sierra Leone. Il dé-clenche ainsi une longue et impitoyable guerre quifinira par se retourner contre lui. Peu à peu, ilagrandit son armée, en recrutant de force des en-fants dans les villages.Endoctrinés,drogués,instruitsaux pires formes de cruauté humaine, ces enfants-soldats sèment la terreur.Ils ne tuent pas seulement.Ils mutilent un nombre indéterminé d’hommes,defemmes et d’enfants.Sous la menace de leurs armes,ils ordonnent aux civils de choisir le bras ou la jam-be à sacrifier,ainsi que l’endroit où ce membre seraamputé, selon la formule «manche longue oumanche courte».Les actions du RUF se multiplient.Le sort du paysbascule.Alors qu’elle était une terre d’accueil pourdes centaines de milliers de réfugiés libériens, laSierra Leone jette sur les routes de l’exil ses propresressortissants. Plus de 500000 hommes et femmes,de toutes les conditions sociales, fuient les razzias,les mutilations et autres exactions commises par lesrebelles.Les troupes gouvernementales sont chargées de te-nir tête au RUF. La mission est problématiquepour des soldats sans expérience, sous-équipés,malnourris,mal payés et très peu nombreux.En 1991,les chefs militaires vont tenter d’expliquer aux di-rigeants les conditions difficiles dans lesquelles opè-re la troupe. La démarche échoue. Les militairesprennent le pouvoir et le conservent jusqu’en mai1996.

officiellement une colonie britannique. C’est deFreetown que le gouverneur de Sa Majesté dirigeles autres colonies d’Afrique occidentale : Ghana,Nigeria et Gambie.Lors de son accession à l’indépendance, en 1961,la Sierra Leone hérite d’un État et d’une univer-sité qui fonctionnent sur le modèle européen.Maisce système ne survit pas aux clivages politiques etethniques. En moins d’une année, entre 1967 et1968, quatre coups d’État successifs se succèdentaprès l’élection de l’opposant Siaka Stevens, chefdu Congrès de tout le peuple (APC). David Ban-goura est l’auteur du quatrième putsch, qui per-met au chef de l’APC d’accéder au pouvoir. Plustard,Bangoura tente de renverser Siaka Stevens,maisil échoue et est exécuté. Le pays connaît ensuiteune relative stabilité politique, jusqu’au retrait vo-lontaire de Siaka Stevens en 1985. Joseph Momoh,qui le remplace, est renversé en 1991. Un groupemilitaire dirigé par un soldat de 27 ans,ValentineStrasser, prend le pouvoir.La guerre civile fait ragedans le sud-est de la Sierra Leone, près de la fron-tière libérienne.

Les cruautés des enfants-soldatsEn 1989,Foday Sankoh,ancien caporal de l’arméebritannique, crée le Front révolutionnaire uni(RUF). Il s’allie avec Charles Taylor, puissant sei-gneur de guerre au Liberia voisin. Objectif : occu-per les mines de diamants et d’or qui alimententles caisses de l’État sierra-leonais. À la tête d’une

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L’objet de tous lesjoursLe charbon de boisLa guerre civile a augmentéla pauvreté en Sierra Leone.Des centaines de milliers de réfugiés ont pu regagnerleurs foyers mais ils doiventlutter quotidiennement poursurvivre. Les femmes, enparticulier, dépendent depetites activités informellespour nourrir leur famille.Nombre d’entre elles trou-vent une source de revenusdans la vente de charbonde bois. À Freetown, jeunesfilles et femmes parcourentles rues à longueur de jour-née, en portant sur la têtedes paniers de charbon.Dans un pays où le gaz etl’électricité font défaut de-puis la guerre, les richescuisinent plutôt au charbonde bois et les pauvres utili-sent du bois mort. Entre 80et 95% des ménages de lacapitale recourent à l’un oul’autre de ces combus-tibles. Le charbon est pro-duit par des paysans quivont ramasser du bois ouabattre des arbres morts.Ils en font du charbon,qu’ils vendent à de richesnégociants venus des villes.

lieux sont traversés par un grand canal à ciel ou-vert, pour l’évacuation des eaux usées. Il est in-imaginable que des gens puissent occuper ces lieuxsales, non assainis et mal éclairés.Pourtant, la Sierra Leone regorge de ressources mi-nières, comme l’or, les diamants et la bauxite. Lesrégions côtières sont riches en produits de la mer.Les plages sablonneuses attirent les touristes.L’agri-culture est florissante. Il pleut en moyenne 3000mm par an.Malgré tout, c’est l’un des pays les pluspauvres du monde. Selon l’indicateur du dévelop-pement humain établi par le Programme des Na-tions Unies pour le développement (PNUD) en2003,la Sierra Leone était classée 176e sur 177 pays.Juste avant le Niger et derrière le Burkina Faso.L’espérance de vie à la naissance est de 40,8 ans.Leproduit intérieur brut par habitant se monte à 548dollars.Selon les statistiques de l’année 2000,le tauxd’analphabétisme atteignait 64 pour cent et le tauxde mortalité infantile 182 pour mille.En revanche,57 pour cent de la population avait accès à l’eaupotable.La lutte contre la corruption et le chômagedes jeunes,diplômés ou non,sont d’importants dé-fis pour ce pays, où le salaire minimum équivaut à5 dollars par mois. ■

* Ibrahima Cissé est un journaliste sénégalais. Basé àDakar, il est depuis une vingtaine d’années le corres-pondant en Afrique de l’Agence télégraphique suisse(ATS) et de l’Agence de presse internationale catholique(APIC), à Fribourg.

Interventions internationalesPendant ce temps, la rébellion a fini de plonger lepays dans la guerre, multipliant les atrocités. Ellecontrôle les mines de diamants et d’or. Grâce ausoutien de Charles Taylor,Foday Sankoh écoule cesressources à l’étranger pour s’approvisionner enarmes.Plusieurs pays africains sont suspectés de luifournir des armes. L’ONU adopte une résolutionqui interdit l’exportation de diamants du Liberia,par où transitent également ceux du RUF. Celui-ci est ainsi coupé de sa source de revenus. C’est ledébut de l’implication de l’ONU dans le conflit.La Mission des Nations Unies en Sierra Leone (Mi-nusil) est créée en 1999. Elle a pour tâche de su-perviser l’application d’un accord de paix signé enjuillet 1999 entre le gouvernement et la rébellion.Avec un effectif de 17000 hommes, la Minusil estla plus importante mission de paix onusienne dansle monde.Dans le même ordre d’idées, l’ONU dé-cide en 2000 de créer un tribunal international,quidoit juger Foday Sankoh pour crimes de guerre.Ce dernier est arrêté et incarcéré la même année.Il meurt en 2003, sans avoir été jugé. La Grande-Bretagne s’engage dans le pays, aux côtés des au-torités. Elle envoie 600 hommes de plusieurs uni-tés.

Plages, diamants et taudis Après une décennie de conflits (1991-2000), la paixest revenue, les plaies se cicatrisent.La majorité despopulations qui avaient dû fuir précipitamment ontretrouvé leurs foyers. Le pays et son économie sereconstruisent lentement.Mais les couches socialesvulnérables restent au bord du chemin.Dans les bi-donvilles de Freetown, le dénuement est total.Dans le secteur de Kroobay,au centre-ville,plus de4000 personnes vivent dans de véritables taudis.Les

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(bf) Le domaine Aide humanitaire et CSA de laDDC est intervenu en Sierra Leone pendant etaprès la guerre civile,qui a pris fin en 2002.Il a por-té secours aux réfugiés et aux personnes déplacées,accompagné la démobilisation des soldats. Puis il aconcentré ses activités sur la réintégration de ces di-verses catégories de population et sur la réconcilia-tion nationale.Au sein des groupes cibles, l’aide a accordé une at-tention particulière aux enfants et aux adolescents.La DDC a ainsi financé des projets et des pro-grammes portant sur la protection de l’enfance, laprévention de l’exploitation sexuelle, l’aide psy-chosociale et la réintégration. Des spécialistes duCorps suisse d’aide humanitaire (CSA) ont été misà la disposition du Haut Commissariat des NationsUnies pour les réfugiés, dans les services de pro-tection et comme personnel technique.La DDC a par ailleurs versé des montants substan-tiels à la Commission Vérité et Réconciliation dela Sierra Leone et à l’ONG internationale Searchfor Common Ground (recherche de points com-

muns), qui produit des émissions de radio infor-matives et équilibrées.La Suisse a également apportéson appui à des organismes internationaux actifs enSierra Leone, comme le Programme des NationsUnies pour le développement, le Programme ali-mentaire mondial, le CICR et plusieurs ONG in-ternationales.Le Pool suisse d’experts pour la promotion civilede la paix, de la Division politique IV du Départe-ment fédéral des affaires étrangères, a envoyé troisobservateurs sur place pour assurer le suivi des élec-tions de mai 2002. Depuis novembre 2002, deuxjuristes suisses collaborent avec le Tribunal spécialde Freetown.La conclusion d’un accord de paix a fait que le Liberia voisin a un grand besoin d’aide pour assu-rer le rapatriement des réfugiés et la reconstruction.En 2006, l’Aide humanitaire de la Confédération a donc déplacé ses priorités vers ce pays.Le soutienaccordé à la Sierra Leone sera réduit en conséquen-ce: il passera de 1,47 million de francs en 2006 à0,8 million en 2007.

Faits et chiffres

NomRépublique de Sierra Leone

CapitaleFreetown (env. 1 milliond’habitants)

Superficie71740 km2

Population6,5 millions d’habitants

Taux de pauvreté70%

Bilan de la guerrePlus de 20000 morts, 500000 réfugiés en Guinéeet au Liberia, 300000 per-sonnes déplacées, 100000autres contraintes à l’exil,10000 enfants recrutés deforce par le RUF

Composition ethniqueEnviron 25 ethnies, dont lesplus importantes sont lesMendé (30%) et les Themné(30%), suivis des groupeslimba, kuranko, kono, loko,sherbro, kissi, soussou, ma-ninka, etc. Les Krio ou créo-les, descendants d’esclaveslibérés, représentent 10%de la population.

LanguesAnglais (langue officielle) ; lekrio ou créole est comprispar 95% de la population

ReligionsIslam (60%), animisme(30%), christianisme (10%)

Principales productionsDiamants, or, bauxite, rutile,café, cacao

La Sierra Leone et la Suisse Priorité aux enfants et aux adolescents

Sierra Leone

Repères historiques

1787 D’anciens esclaves américains s’installent en Sierra Leone pour y fonder une province de laliberté.

1808 La province devient une colonie britannique.

1961 Le pays accède à l’indépendance et MiltonMargai en est le premier ministre.

1964 Décès de Milton Margai.Son frère Albert luisuccède.

1967-68 Le Congrès de tout le peuple (APC), di-rigé par Siaka Stevens, remporte les élections lé-gislatives. Mais des militaires organisent un putschpour empêcher son investiture. Deux autres coupsd’États sont perpétrés. À la faveur d’un quatrièmeputsch, Siaka Stevens prend ses fonctions de pre-mier ministre.

1971 Siaka Stevens proclame la République et sefait élire à la présidence.

1985 Le président Stevens se retire volontairementde la vie politique. Il désigne Joseph Momoh pourlui succéder.

1989 Foday Sankoh fonde le Front uni révolu-tionnaire (RUF).

1991 Les premières opérations militaires du RUFmarquent le début de la guerre civile. Les paysd’Afrique de l’Ouest envoient un Groupe d’ob-servateurs militaires (Ecomog). Un putsch dirigé

Océan Atlantique

Côted’Ivoire

SierraLeone

Mali

Freetown

Guinée

Liberia

par Valentine Strasser écarte Joseph Momoh.

1996 Le brigadier Julius Maada Bio renverse Valen-tine Strasser.Il organise des élections démocratiques,qui donnent la victoire à Ahmed Tejan Kabbah.Celui-ci signe un accord de paix avec le RUF.

1997 Le président Kabbah est renversé par le co-lonel Johnny Paul Koroma et s’exile en Guinée.Foday Sankoh est capturé au Nigeria. Les affron-tements reprennent entre le RUF et l’Ecomog.

1998 Les rebelles du RUF pénètrent dans Free-town.Après un mois de combats, l’Ecomog prendle contrôle de la capitale. Le président Ahmed Tejan Kabbah rentre au pays et il est rétabli dansses fonctions.

1999 Un accord de paix est signé à Lomé,au Togo.La Mission des Nations Unies en Sierra Leone (Mi-nusil) est chargée d’en superviser l’application.

2000 Le RUF tente de s’opposer au déploiementdes Casques bleus près des mines de diamants.L’ar-mée britannique intervient pour rapatrier les res-sortissants de l’Union européenne et du Com-monwealth. Foday Sankoh est à nouveau arrêté etemprisonné.

2002 Création d’un tribunal spécial chargé de pu-nir les crimes de guerre. Foday Sankoh,particuliè-rement visé par cette juridiction, meurt en déten-tion l’année suivante.

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Un seul monde No 1 / Mars 200720

Williette PrincessRansolina OluwakemiJohn, 28 ans, est direc-trice de l’information à lachaîne ABC Television-Africa, en Sierra Leone.Elle est titulaire d’un diplôme en communicationde masse, obtenu àl’Université Fourah Bay deFreetown, où elle donneaujourd’hui des cours danscette branche.

Le courage d’être irrespectueux

Sierra Leone

Il y a quelques années, l’opinion publique et les mé-dias ne faisaient pas bon ménage en Sierra Leone.La population avait rapidement perdu sa confian-ce dans le «quatrième pouvoir», après avoir réaliséque plusieurs journalistes ne cessaient de violer gra-vement les règles d’éthique professionnelle et leslois sur la presse.

À l’époque, j’étais à l’université et j’attendais avecimpatience la fin de mes études pour me lancerdans la pratique du journalisme. À mon avis, lesjournalistes n’avaient alors aucune notion de la dé-ontologie ni de la législation sur les médias. Je ré-fléchissais à la manière d’influencer profondémentcet aspect du travail de reportage. Mais un individupeut-il changer tout un système? Voilà une gran-de question, à laquelle je n’ai jamais pu répondre.Ma seule consolation était de me dire que si jen’étais pas capable de révolutionner le système, jepourrais au moins contribuer à le corriger. Le domaine qui m’intéressait le plus était celui de la presse écrite, car j’étais passionnée par l’écriture etj’adorais réviser des textes, sans savoir à quel pointcela peut être stressant.Aujourd’hui, puis-je enco-re affirmer fièrement que j’aime la révision?

Depuis que la guerre a fait place à la reconstruc-tion, le journalisme a fait de nets progrès. La cou-verture des événements et les méthodes de repor-tage ont évolué positivement.De nombreuses per-sonnes, qui décriaient auparavant les journauxlocaux, se sont mises à les lire pour s’informer. Lesmédias regagnent peu à peu la confiance du pu-

blic,parce que les journalistes sont passés de la mé-diocrité au professionnalisme. Par ailleurs, le faitqu’ils puissent critiquer les autorités montre à quelpoint les médias sont devenus déterminés et cou-rageux en Sierra Leone, surtout si l’on considèrela montagne de restrictions qui leur sont imposées.

À propos du «courage» des médias nationaux, jecrois que nombre de mes consœurs et confrères au-raient des histoires à raconter. Un jour, j’ai rédigéun article très critique sur l’état déplorable dans le-quel se trouvait le bureau du parti gouvernemen-tal.Après avoir lu mon texte, le rédacteur en chefm’a demandé si je souhaitais le publier sous unpseudonyme. Fraîche émoulue de l’université etpleine d’ardeur, j’ai trouvé l’idée ridicule et l’ai re-jetée tout net.Bref, l’article est paru et les réactionsne se sont pas fait attendre: les personnalités à quije m’en prenais m’ont officiellement classée parmiles journalistes « irrespectueux». Mais mon proposa plu à d’autres lecteurs. Mes collègues l’ont aussiapprécié,d’autant que la plupart d’entre eux avaientdéjà envisagé de traiter ce sujet.

Une autre fois, je me suis fâchée tout rouge. J’avaisenvoyé un reporter couvrir un événement officielauquel prenait part le président. Lorsque le jour-naliste s’est présenté sur place, les gardes du corpsdu président lui ont interdit l’accès des lieux, bienqu’il ait présenté sa carte de presse et son invita-tion. J’ai jugé qu’il s’agissait d’un grave affront faità mon institution.Durant le débat télévisé que nousdiffusions le soir même, je ne me suis pas privée derappeler aux fonctionnaires quels étaient leurs de-voirs.

En Sierra Leone, l’égalité des sexes progresse da-vantage dans le journalisme que dans n’importequelle autre branche.Les femmes sont toujours plusnombreuses à exercer ce métier et elles sont aussidynamiques que les hommes, sinon plus. Malgrétous les obstacles, certaines d’entre elles occupentdes postes à responsabilités dans des médias de gran-de diffusion. Nul n’ignore que de telles femmes attirent l’attention d’hommes beaux et riches.Qu’elles cèdent ou non à leurs avances, une fran-ge du public tend à qualifier de « légères» toutes lesfemmes qui se retrouvent sous les projecteurs.Pourquoi cela? Dieu seul le sait. ■

(De l’anglais)

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Un seul monde No 1 / Mars 2007 21

Environ 3,4 milliards d’êtres humains sont âgés demoins de 25 ans. Ils représentent 54 pour cent dela population mondiale. Quelque 2,9 milliardsd’entre eux habitent dans les pays en développe-ment. Ils aspirent avant tout à survivre. Leur prin-cipal souci est la survie immédiate, à court terme,presque impossible à planifier. L’insécurité est leurlot quotidien.L’alimentation et la santé ne vont pasde soi. Nombre d’entre eux n’ont aucune chancede fréquenter l’école, de suivre une formation etde trouver un emploi rémunéré.Bien que le tempss’écoule partout à la même vitesse,ces jeunes le res-sentent avec plus d’intensité que nous. Chaquejour, la survie est une course contre la montre. Ilest impossible de prévoir le lendemain et le sur-lendemain.

Un véritable fossé les sépare des jeunes vivant dansles pays industrialisés. À de rares exceptions près,ces derniers peuvent profiter pleinement de leurjeunesse. Les systèmes de formation leur ouvrentdes filières et des choix. La perspective de trouverun emploi et de toucher un salaire leur permetd’envisager l’avenir en toute sérénité.Avec de la vo-lonté, ils peuvent planifier leur destin, en structu-rer les différentes phases. Bien entendu, cela exigedes efforts, le succès ne tombe pas du ciel. Néan-moins, chacun a de fortes chances de mener uneexistence digne, librement choisie, avec ses obliga-tions et ses privilèges.Quelle aubaine! Quelle chan-ce d’être né ici et de pouvoir vivre dans des paysoù la vie offre des perspectives d’avenir, où mêmele choix de sa destinée est un acte de liberté.

Il en va tout autrement pour l’immense majoritédes jeunes dans le monde.Ils ne cessent de se heur-ter à des murs et finissent par renoncer à leur dé-

sir de changement, car toute leur énergie est ab-sorbée par la survie.L’incertitude permanente peutles amener à choisir des solutions de facilité, à setourner vers des groupes ou des idées fondamen-talistes. La communauté internationale doit com-prendre que la violence peut attirer des jeunes sansavenir, sans perspectives et sans espoir de mieux-être.

Toute société – au Nord,au Sud,à l’Est ou à l’Ouest– se doit d’offrir des perspectives à ses jeunes. Ils’agit là d’un investissement pour l’avenir.Nous fe-rions bien de prendre les jeunes au sérieux et demiser sur eux. Cela vaut également pour la co-opération au développement. Voilà pourquoi laDDC les considère certes comme un groupe ciblede ses activités, mais aussi comme des partenairesqui participent à la construction de l’avenir. Nousentendons collaborer avec les jeunes, en Suisse etdans les pays où nous intervenons, afin de leur of-frir le temps et l’espace dont ils ont besoin, afin decréer avec eux des conditions propices au déve-loppement.Tous les jeunes du monde ont droit àdes perspectives d’avenir. ■

Walter FustDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

Des jeunes privés de perspectives

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Un seul monde No 1 / Mars 200722

( jls) Quand le conflit au Darfour a éclaté, début2003, des civils soudanais ont commencé à fuirvers le Tchad voisin. Certains ont emmené leurstroupeaux.Au fil des mois, environ 220000 réfu-giés sont arrivés dans cette région saharienne, oùles habitants sont extrêmement pauvres. Cet af-flux a fait doubler la population. Les agences hu-manitaires ont mis en place un important dispo-sitif d’assistance et construit douze camps de ré-fugiés le long de la frontière. Au début, lesvillageois ont fait preuve d’une grande solidaritéà l’égard des réfugiés qui vivent,comme eux,prin-cipalement d’élevage et d’agriculture. Mais destensions sont peu à peu apparues, les deux com-munautés devant se partager des ressources très li-mitées en eau potable et en bois, ainsi que l’accèsaux rares pâturages.De surcroît, l’aide internatio-nale a engendré des inégalités entre réfugiés et au-tochtones.

Plaidoyer en faveur des autochtonesLes agences humanitaires ont assuré l’approvi-sionnement des camps et leur équipement en ser-vices de base. «Elles ont appliqué les critères usuelsqui correspondent à ce qu’un être humain doitavoir pour vivre dignement. Cependant, mêmeces normes minimales sont encore plus élevéesque le niveau de vie local. Il est inacceptable quel’aide soit une source de discrimination», expli-que Ségolène Adam, chargée de programme à ladivision Aide humanitaire de la DDC. La Suisse,qui est active dans la région depuis 1997, a pris ladéfense des populations autochtones. «Nous avonsdemandé aux acteurs humanitaires d’ajuster leursprogrammes pour que les importants flux d’aidegénérés par la crise contribuent aussi à alléger ladétresse des Tchadiens. » Sensibles à ce plaidoyer,les agences ont décidé d’allouer 10 pour cent deleur budget aux populations indigènes. Les sour-

De maigres ressources à partager

Dans l’est du Tchad, l’afflux massif de réfugiés du Darfour ac-centue la menace qui pèse sur les maigres ressources natu-relles. Les populations locales craignent de voir leur avenir du-rablement compromis. La Suisse plaide pour que l’aide inter-nationale profite également aux autochtones, qui sont toutaussi démunis que les victimes du conflit soudanais.

Insécurité croissanteDepuis fin 2005, l’insécuritéet la violence se répandentà l’est du Tchad, le long dela frontière avec le Soudan.Plusieurs groupes de re-belles tchadiens ont établileurs bases dans la région.Leurs offensives militairescontre l’armée gouverne-mentale font de nombreu-ses victimes parmi la popu-lation civile. Les milicesJanjawid, armées par legouvernement soudanais,multiplient les incursions en territoire tchadien. Ellespillent et tuent des villa-geois. Les rebelles souda-nais s’attaquent aux campsde réfugiés pour y recruterde force des hommes etdes enfants. En raison de ces troubles, plus de 50000 civils tchadiens ontfui leurs villages. La plupartvivent dans des camps depersonnes déplacées. Lepersonnel humanitaire subitégalement des agressionset des cambriolages. Desdizaines de véhicules ontété volés. À plusieurs re-prises, les agences d’aideont dû évacuer temporaire-ment certaines zonesproches de la frontière.

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Un seul monde No 1 / Mars 2007 23

Engagement de laSuisse au TchadL’aide suisse au Tchads’est montée à 14,4 mil-lions de francs en 2006.Environ 3,6 millions defrancs ont été consacrésaux opérations d’aide hu-manitaire. La Suisse sou-tient l’action du HautCommissariat des NationsUnies pour les réfugiés(HCR), du Programme ali-mentaire mondial (PAM) etdu Comité international dela Croix-Rouge (CICR). Elle met plusieurs experts à disposition du HCR.D’autre part, la DDC a al-loué 10,8 millions de francsen 2006 à ses activités dedéveloppement. Dans l’estdu pays, elle est la seuleagence de coopérationprésente sur le terrain. Sesprogrammes visent à ren-forcer et à diversifier l’éco-nomie rurale. La DDC sou-tient également les écolescommunautaires et contri-bue à l’amélioration desstructures de santé dansles districts.

au Tchad

vais côtés. «Toute crise est aussi une chance pourles populations locales.Après la phase d’urgence,l’aide humanitaire finance des programmes du-rables qui contribuent au développement de la ré-gion», indique Ségolène Adam. C’est ce que dé-montrent les mesures prises au Tchad pour le par-tage des ressources naturelles. Des experts suissesont procédé à un inventaire du bois, de l’eau etdes pâturages disponibles. Puis ils ont supervisé leforage de puits, organisé le ramassage du bois etintroduit de nouveaux fours, moins gourmands en combustible. Les villageois ont réfléchi auxmoyens de préserver l’environnement. Cela les aamenés, par exemple, à créer des pépinières et àreboiser certaines zones. «Même sans les réfugiés,la raréfaction des ressources aurait rapidementmenacé la survie des autochtones. La crise a ac-céléré la prise de conscience des enjeux. Elle acontraint la population à adapter ses pratiques »,relève Philippe Fayet.L’explosion des besoins en denrées alimentaires estun autre aspect positif de la crise pour les au-tochtones : les paysans et maraîchers peuventécouler davantage de marchandises et ils ont vuleurs revenus augmenter.Certains s’efforcent éga-lement de diversifier leur production, pour ap-provisionner tant les camps de réfugiés que lescentaines de travailleurs humanitaires opérantdans la région. ■

ces de tension n’ont toutefois pas totalement dis-paru.

Soins de santé et pistes rurales Les Tchadiens ne comprennent pas, par exemple,pourquoi les réfugiés reçoivent des soins gratuits,alors qu’eux-mêmes doivent payer les prestationsdes centres de santé. Le recouvrement des coûtsest conforme aux orientations du Tchad en ma-tière de santé publique. «Cette pratique se justi-fie pleinement dans une logique de développe-ment.Elle rend les communautés plus autonomes,plus responsables », souligne Philippe Fayet, res-ponsable du programme de développement de laDDC au Tchad. «D’un autre côté, il est normalde soigner gratuitement les réfugiés, puisqu’ilsn’ont pas de revenus. Nous devons donc trouverun mécanisme de régulation afin d’atténuer lesdéséquilibres engendrés par la coexistence de cesdeux systèmes. » La DDC prévoit de soutenir uncadre de concertation qui permettra aux agenceshumanitaires et aux autorités tchadiennes de ré-soudre ce problème de l’accès aux soins.L’utilisation des pistes rurales, construites avecl’aide de la Suisse, constitue une autre pomme dediscorde.Les villageois contribuent à la réparationde ces routes secondaires. Conformément à la loitchadienne, les usagers locaux doivent en outres’acquitter d’un droit de péage qui sert à financerles travaux d’entretien.Depuis 2003, les pistes ontété fortement détériorées par le va-et-vient descamions qui acheminent l’aide vers les camps deréfugiés. Or, les agences humanitaires sont exo-nérées des taxes, ce que les Tchadiens ressententcomme une injustice. La DDC a entamé des né-gociations avec les agences onusiennes sur cettequestion.

Changement de pratiques Mais la présence des réfugiés n’a pas que des mau-

Un seul monde No 1 / Mars 200724

Ranju est une jeune fille de 15 ans, qui habite lehameau de Kudar, près du village de Manthali. Delà, il faut compter huit heures de voiture pour allerjusqu’à la capitale,Katmandou,située à 200 km.Leshabitants de cette contrée rurale, dans le district deRamechhap, mènent une vie simple, souvent dansun grand dénuement. Cela ne veut pas dire qu’ilsignorent tout du reste du monde. Journaux, radioet télévision diffusent des nouvelles du Népal et detous les continents.La population locale est bien in-formée,notamment par Ranju qui écrit des articlesdepuis trois ans dans le cadre du projet de jeunesjournalistes, soutenu par la DDC. Une cinquantai-ne d’enfants et d’adolescents, âgés de 10 à 15 ans,participent à ce programme. Ils publient leur jour-nal mural six fois par année dans douze localités.Les 225000 habitants du district apprécient d’au-tant plus ces nouvelles qu’ils ont encore en mémoirele temps où l’information était soumise à la censu-re, sous le régime du roi Gyanendra.

Le goût d’apprendre et d’informer Ranju a appris à être attentive à tout ce qui l’en-toure: «Il faut raconter ce qui se passe et essayer defaire bouger les choses.» Elle sait de quoi elle par-

le. Quelques-uns de ses articles ont été primés lorsd’un concours destiné à la génération montante dejournalistes. L’adolescente y décrivait les dangersque couraient les habitants en traversant la rivièreTamakoshi située à proximité du village.Ces articlesont produit de l’effet,puisque les autorités ont alorsfait construire un pont suspendu.La jeune fille a également collaboré ces dernièresannées avec plusieurs journaux, corrigeant des ar-ticles et rédigeant des commentaires. Elle transmetdésormais ses expériences aux plus jeunes et formele prochain groupe d’enfants-journalistes. Son ob-jectif est très clair : «Je veux naturellement devenirjournaliste, écrire pour un grand journal ou fairede la radio», affirme-t-elle en riant. Et elle ajouteavec force:«Il faut raconter ce qui se passe dans toutle Népal!» ■

* Andreas Stauffer est porte-parole de l’Aide humanitai-re de la DDC;il a séjourné l’année passée au Népal dansle cadre d’une mission officielle de la DDC.

(De l’allemand)

De la gouvernance auxjournalistes en herbeEn collaboration avec laDivision politique IV duDFAE, la DDC travaille auNépal essentiellementdans les domaines sui-vants : gouvernance; pro-motion de la paix ; soutienà la décentralisation; pro-motion de la démocratie ;respect des droits del’homme; apaisement etdépassement des conflitspotentiels ; soutien d’activi-tés favorables à la paix. Le projet d’enfants-journa-listes fait partie du pro-gramme de constructionroutière District RoadsSupport Programme(DRSP), lancé en 1999. LeDRSP s’adresse surtoutaux couches les plus défa-vorisées de la population.Chaque année, il offre unemploi de courte durée àenviron 7500 personnes,qui peuvent ainsi accroîtreleurs revenus. Pour beau-coup de Népalais, ce tra-vail complémentaire est vital. En effet, les produitsagricoles qu’ils cultiventsur leurs modestes lopinsde terre ne couvrent sou-vent leurs besoins alimen-taires que durant un moistout au plus.

Une adolescente qui fait bouger les choses

Au Népal, des enfants rédigent leur propre journal mural avecl’appui de la Suisse. Ils développent ainsi leur maîtrise de lalangue et leur aptitude à s’exprimer. Mais ces articles produi-sent aussi des effets concrets, en incitant par exemple les au-torités à construire un pont suspendu. De Andreas Stauffer*.

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2007, année des messages(sia) En 2007, plusieurs messagesclés pour la DDC doivent êtretraités par le Conseil fédéral ou les Chambres fédérales. L’und’eux concerne la continuationde l’aide humanitaire de laConfédération pour une pé-riode minimale de quatre ans, de2007 à 2010. Ce message seraadressé au Parlement dans lecourant du premier semestre.Il décrit les défis humanitairesd’aujourd’hui et les engage-ments prévus pour les pro-chaines années. Il passe en revueles divers aspects de l’aide hu-manitaire ainsi que les partena-riats sur lesquels elle s’appuie.C’est aussi en 2007 que débu-tera la rédaction du message sur« la continuation de la coopéra-tion technique et de l’aide fi-nancière en faveur des pays endéveloppement 2008-2011».Compte tenu de l’évolution ducontexte international, ce docu-

ment devra répondre aux défissuivants : atteindre les Objectifsdu Millénaire pour le dévelop-pement et réduire la pauvreté;maîtriser les risques systémiquesde sécurité et favoriser unemondialisation propice au déve-loppement. La politique de dé-veloppement joue un rôle essentiel non seulement dans la lutte contre la pauvreté, maisaussi dans la recherche de solu-tions à des problématiques glo-bales, telles que les répercussionsdes changements climatiques, lesactes terroristes internationaux,la propagation de maladies trans-missibles, etc. Ce message devraitêtre traité par le Conseil fédéralvers la fin de l’année.Suite à l’acceptation par le peuple de la loi fédérale sur la coopération avec les Étatsd’Europe de l’Est, la DDC et le Seco finaliseront les messagesconcernant la poursuite de lacoopération traditionnelle avec

les pays de l’Est et la contribu-tion de la Suisse en faveur des dix nouveaux membres del’Union européenne. Le Conseilfédéral transmettra ces textes auxChambres fédérales lors des sessions de printemps et d’été.En 2007, le Seco sera égalementoccupé à la rédaction du mes-sage concernant les mesures depolitique économique et com-merciale au titre de la coopéra-tion au développement.

La Suisse examine l’aide du Canada(sia) Le Comité d’aide au déve-loppement (CAD) de l’Organi-sation de coopération et de développement économiques(OCDE) étudie périodiquementle système d’aide de ses mem-bres. Cette revue est confiée àdeux autres pays membres et ausecrétariat du CAD. La Suisse etla Belgique ont été désignéespour réaliser l’examen du

Canada, qui se déroulera en2007. Serge Chappatte, vice-directeur de la DDC, et AntonStadler, délégué de la Suisse au-près du CAD, représenteront laSuisse lors de cet exercice. Lesexaminateurs se rendront àOttawa pour étudier et discuterl’orientation stratégique et lefonctionnement de la coopéra-tion canadienne. Ils auront aussil’occasion d’observer la mise enœuvre concrète des programmesde développement en Haïti etau Mozambique. Ils présenterontleurs conclusions et recomman-dations dans un rapport final,qui sera débattu en automne àParis au siège de l’OCDE. Pourla DDC, la participation à cet «examen par les pairs» constitueune chance de confronter sespropres pratiques à celles d’autresagences de développement.

DDC interne

(dbr) Nombre de penseurs se sont penchés sur le sens du mot «message». Franz Kafka est l’un d’eux. Dans son récit Un messa-ge impérial, il écrit : «L’Empereur – dit-on – t’a envoyé, à toi enparticulier, à toi, sujet pitoyable, ombre devant le soleil impérialchétivement enfouie dans le plus lointain des lointains, à toi pré-cisément, l’Empereur de son lit de mort a envoyé un message.»Contrairement à celui de Kafka, un message du Conseil fédérals’adresse au Parlement, pour lui demander d’accorder des res-sources à l’administration. Derrière le mot évocateur de «mes-sage», on retrouve alors les finances. Il existe aussi des messagesoù il n’est pas question d’argent, mais ceux-là ne nous intéres-sent pas ici.L’activité de l’administration est soumise à des règlesstrictes : son travail se limite aux tâches que la législation et leParlement lui attribuent. En matière de coopération au déve-loppement, ses activités sont régies par la loi fédérale du 19 mars1976 sur la coopération au développement et l’aide humanitaireinternationales, ainsi que par les ordonnances y afférentes. Mais,pour agir, les dispositions légales ne suffisent pas. Il faut aussi del’argent. Afin de continuer son travail, la DDC demande donctous les quatre ans un nouveau crédit de programme (ou crédit-cadre), qui fera l’objet d’un arrêté fédéral. Le texte du messagemotive la requête et explique au Parlement à quoi ces ressourcesvont servir. Il s’agit d’un programme de travail pour les annéesà venir. Il a une valeur contraignante sur le plan politique. La

Au fait, qu’est-ce qu’un message ou un crédit de programme?

DDC travaille actuellement à la mise en œuvre ou à l’élabora-tion de plusieurs messages. Contrairement à ce que dépeint laparabole de Kafka,ceux-ci ne s’égarent toutefois pas dans les cou-loirs du palais et le dédale de la ville. Ils se concrétisent à traversles efforts que la Suisse déploie pour atténuer la pauvreté et pro-mouvoir l’équité.

25Un seul monde No 1 / Mars 2007

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Un seul monde No 1 / Mars 200726

Suisse n’y réalisait plus que des programmes ponc-tuels.Elle a définitivement fermé son bureau de co-opération à Nairobi en décembre dernier, après 36années d’activités.Que reste-t-il à présent de cette coopération? A-t-elle porté ses fruits? Ou bien l’argent investi n’a-t-il servi à rien, comme l’affirment souvent les dé-tracteurs de l’aideau développement? Au contrai-re, ces ressources ont beaucoup apporté au Kenya,affirme Ines Islamshah, dernière responsable ad-jointe du bureau de coopération à Nairobi. Parmiles nombreux projets achevés avec succès, elle citedeux cas exemplaires, qui sont vantés aujourd’huiencore dans toute l’Afrique pour leur durabilité :

Plages, soleil, safaris. Il y a trente ans, les Suissesconnaissaient à peine le Kenya,pays situé sur la côteorientale de l’Afrique.Aujourd’hui, c’est l’une deleurs destinations préférées. Les hôtels sont irré-prochables, l’infrastructure touristique de bonnequalité et la faune un véritable régal pour les yeux.Mais cette médaille a aussi son revers :un quart en-viron des habitants vivent actuellement en dessousdu seuil de pauvreté.Durant de longues années, le Kenya a dû se battrepour éliminer les séquelles de la colonisation bri-tannique. Il dépendait alors largement de l’aide in-ternationale. De 1970 à 1993, il a été l’un des paysprioritaires de la DDC. À la fin des années 90, la

L’Afrique n’a pas besoin d’éléphantsblancsEst-ce jeter de l’argent par les fenêtres que de contribuer audéveloppement de l’Afrique? Deux projets dans le domaine dela formation au Kenya, achevés de longue date, illustrent lesconditions à remplir pour qu’une action de coopération déploieses effets même après le retrait du donateur. De Maria Roselli.

De la sylviculture à laconstruction de routesDans les années qui ontsuivi l’accession à l’indé-pendance, le Kenya man-quait cruellement de spé-cialistes et de cadresindigènes. Le besoin nes’en faisait pas sentir seu-lement dans l’agriculture,la sylviculture, l’éducationet la santé. Il se manifestaitégalement et surtout dansle tourisme, les institutionssupérieures de formationet de recherche, ainsi quedans une série d’autresservices publics (entretiendu réseau routier, adduc-tion d’eau, assainissement,etc.). Les activités suissesse sont dès lors rapide-ment concentrées sur di-vers projets visant à formerdes cadres indigènes pourle tourisme, l’industrie ali-mentaire et l’entretien desroutes, un secteur qui doitcréer le plus d’emploispossible. La Suisse a éga-lement apporté son appuià la formation de diplo-mates et à divers pro-grammes de recherche(gestion de l’eau dans larégion du mont Kenya,maladies animales tropi-cales et lutte biologiquecontre les parasites).

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sés par le Kenya Polytechnic. Dès lors, quand legouvernement kenyan nous a demandé de soute-nir la création d’une école hôtelière, nous avonstrouvé que c’était une excellente idée», se souvientFrançois Rohner, ancien coordinateur de la DDCpour l’Afrique de l’Est au bureau de coopérationà Nairobi.Mais cette idée n’enchantait pas tout le monde: labranche touristique locale,en particulier,a émis desdoutes quant à la capacité des indigènes d’occuperrapidement des fonctions dirigeantes. Le KUC anéanmoins vu le jour, grâce à une collaborationétroite entre le ministère kenyan du tourisme et laDDC, qui a confié la régie du projet à la société-conseil Touristconsult, à Bâle. À partir de 1983, la

le Kenya Utalii College (KUC) et le Kisii TrainingCenter (KTC).

Former les indigènesLorsque l’on veut travailler dans la branche tou-ristique au Kenya, la voie à suivre est toute tracée:le Kenya Utalii College compte parmi les écoleshôtelières africaines les plus connues au niveau in-ternational. Depuis son inauguration, en 1976,quelque 25000 étudiants y ont obtenu un certifi-cat.De tous les employés du secteur – gérants d’hô-tels, cuisiniers, réceptionnistes, sommeliers ouagents touristiques – environ 20 pour cent sont pas-sés par le KUC. Entre 1983 et 2001, la DDC a fi-nancé un programme de bourses qui a permis à

Un seul monde No 1 / Mars 2007 27

Facteurs de succèsVoici les principaux facteursqui ont conduit au succèsdes projets du Kenya UtaliiCollege (KUC) et du KisiiTraining Center (KTC) :• Conception précise avec

la participation des parte-naires locaux

• Activités prévues sur unelongue période

• Développement massif des capacités des res-sources humaines (direc-tion et enseignants)

• Collaboration étroite avecles services gouverne-mentaux compétents

• Participation d’autres pays donateurs et du secteur privé

• Accompagnement souple après le retrait du projet

quelque 1300 professionnels de quinze pays d’ac-quérir une formation dans cette école renommée,contribuant ainsi à son «internationalisation».Maiscomment se fait-il que la DDC ait mis sur pied uneécole hôtelière au Kenya?Après l’accession à l’indépendance,en 1963,des in-térêts européens ont continué pendant longtempsde contrôler l’économie kenyane,y compris le flo-rissant secteur touristique.«Nous nous demandionscomment contribuer à former des indigènes entant que spécialistes ou cadres de cette branche,pour qu’ils puissent accéder à un marché de l’em-ploi très prometteur. À cette époque, la Suisse fi-nançait déjà des cours de gestion hôtelière propo-

gestion de l’école a été transférée en mains ke-nyanes.

Construire des routes pour créer des emploisLe Kisii Training Center (KTC), centre de forma-tion à la construction et à l’entretien de routes,peutse targuer d’un succès tout aussi éclatant.Fondé en1984 et remis aux Kenyans en 2000, il s’est déve-loppé à partir d’une petite école de contremaîtresen génie civil. Le KTC enseigne des technologiesqui recourent à l’engagement massif de main-d’œuvre,favorisant ainsi la création d’emplois.Grâ-ce à l’appui constant de la DDC, il jouit aujour-

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d’hui d’une renommée internationale en Afrique,souligne Andreas Beusch, ancien responsable de ceprojet mis en œuvre par Helvetas pour le comptede la DDC.Entre 1984 et 1999,les diplômés du KTC – de l’in-génieur au simple ouvrier – ont construit plus de4200 kilomètres de routes, avec le concours mas-sif des forces de travail locales. Depuis lors, ils en-tretiennent quelque 12000 kilomètres de pistes ru-rales. Pour la seule période allant de 1984 à 1995,ces activités ont généré 23 millions de journées detravail, soit l’équivalent de 10000 emplois.Avec le recul,Andreas Beusch, de la société IntechBeusch & Co., estime que trois éléments ont étéparticulièrement importants pour assurer la dura-bilité du Kisii Training Center.Tout d’abord, l’éco-le a été d’emblée une institution kenyane, intégréedans l’administration nationale.«Malgré tous les in-convénients bureaucratiques qu’une telle situationpeut impliquer, les avantages ont été prépondérantslors du transfert de la gestion, car le financementet le fonctionnement de l’institution étaient déjàréglés et bien rodés.» L’expert ajoute qu’un autre facteur a été détermi-nant : la souplesse, qui fut de mise tout au long duprojet. «Par exemple, quand nous avons constatéque le Minor Roads Programm – auquel le KTCétait subordonné – présentait des lacunes au niveauadministratif, nous avons également pu le souteniret consolider ainsi l’ensemble.» Enfin, le projet avaitété conçu pour une longue période. Ce choix aaussi contribué à son succès. Il a permis à la DDCde se retirer seulement une fois que la relève a étévéritablement assurée.

La «kenyanisation», un élément cléPour l’école hôtelière Utalii, François Rohner re-lève des facteurs de succès similaires. Première-

ment, il souligne le soin apporté à la planification.Toutes les dispositions ont été prises pour créer unebonne institution, capable de balayer rapidementle scepticisme de la branche hôtelière dominée parles Européens. La «kenyanisation» a été le deuxiè-me élément clé : «Depuis le début, nous avons tra-vaillé dans l’idée de transmettre dès que possibleles rênes d’Utalii aux Kenyans. C’est pourquoinous avons encouragé des diplômés de l’école à aller se perfectionner à l’étranger, afin d’acquérirtoutes les connaissances et les expériences néces-saires.»Il fallait par ailleurs assurer le financement duKUC. Ce fut une entreprise délicate, à laquelle les responsables du projet se sont également attelésdès le départ. À cet effet, le gouvernement kenyana décidé de prélever une taxe sur le tourisme: la ca-tering levy se monte à 2 pour cent de toutes les fac-tures d’hôtel et de restaurant établies dans le pays.Parmi les facteurs de succès, Ines Islamshah tientaussi à mentionner la collaboration étroite,quoiquepas toujours facile, avec le secteur privé: «Des re-présentants de l’industrie privée siégeaient auconseil d’administration, de sorte que les besoinsde ce secteur étaient pris en considération.»Reste à savoir si ces facteurs sont toujours garantsde succès. Il paraît surtout essentiel qu’un projet dedéveloppement soit planifié en collaboration avecles partenaires sur place et qu’il réponde à leurs besoins. Car s’il est une chose dont l’Afrique n’avraiment pas besoin, ce sont des «éléphants blancs»concoctés par des coopérants sans la moindre consul-tation des partenaires locaux. ■

(De l’allemand)

Le poids du tourismeQuelque 10% des recettesde l’État kenyan provien-nent du tourisme. Cettebranche emploie 500000personnes. Elle représenteenviron 10% du produit in-térieur brut (PIB) et environ20% des recettes en de-vises. L’agriculture restecependant le principal sec-teur économique: deuxtiers des habitants vivent àla campagne et contribuentpour 25% au PIB. Bien quele Kenya soit le pays le plusdéveloppé de la région surle plan industriel, la part del’industrie dans le PIB ne sesitue qu’entre 17 et 19%.De plus, près d’un quart de la population vit en des-sous du seuil de pauvreté.

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Emploi du temps de Mme

Nuong:

Matin- Cuisson de la pâtée pour

les porcs- Marché - Jardinage- Cueillette des légumes,

préparation du déjeuner- Donner la pâtée aux porcs

et les laver

Après-midi- Sieste - Ménage. Ramassage du

bois- Cuisine- Pâtée pour les porcs

Soir- Dîner- Télévision

Mme Nuong vit à Hoi-An, aubord de la mer. Mais la baignadene figure pas dans son emploi dutemps. Il en va de même pour laplupart de ses voisins. «Quelgaspillage!», déplorent les inves-tisseurs qui prospectent à Hoi-An. «Des plages aussi superbessont faites pour le tourisme.»

Depuis le passage des investis-seurs, tout est suspendu: pluspersonne n’entreprend uneconstruction nouvelle, plus per-sonne ne songe à rénover samaison. Pensez donc: les étran-gers construiront un complexehôtelier… Alors, on attend. Ona vu venir des arpenteurs, puisdes géomètres-métreurs. Les pê-cheurs se verront attribuer unlopin de terre, plus loin, à l’inté-rieur du pays. Ils recevront uneindemnité.Avec cet argent, ilspourront construire une maisondans la zone urbaine et entamerune nouvelle vie, une vie de ci-tadins.

Et si on préfère rester au bordde la mer? Même les enfantsconnaissent la réponse par cœur:

«Impossible. Le plan d’occupa-tion des sols a été définitivementadopté. La côte est réservée autourisme.» Hoi-An est saisid’une véritable fièvre. C’est àqui plantera le plus de man-guiers. Les indemnisations serontcalculées, dit-on, en fonction du nombre d’arbres abattus.Pendant ce temps, les «rupins»se réunissent chaque soir pourdiscuter : que se passera-t-il sinous refusons de partir?Devrons-nous aller devant lestribunaux pour défendre nosdroits?

Hoi-An est un gros bourg bientranquille. Les vieilles maisons ysont entourées de rizières, de ca-naux et d’arroyos. C’est l’un desplus beaux sites naturels du Viêt-nam. Des gens de la ville ontacheté des terrains en bord demer pour y construire leursmaisons. Ce sont eux que, dansles hameaux de pêcheurs, on ap-pelle « les rupins». Mais plus leton monte dans les discussions,plus ces derniers sont écœurés.Écœurés par les investisseurs qui, parce qu’ils sont plus richesqu’eux, vont les contraindre àpartir. Écœurés par la passivitédes pêcheurs qui vivent de lamer – sans même s’y baigner ! –et qui pourtant acceptent sansbroncher d’aller s’enfermer dansdes zones urbaines. Écœurés parle gouvernement qui ne pensequ’à l’intérêt des investisseurs.

On songe aux habitants qui,comme Mme Nuong, vont de-voir vivre désormais dans desmaisons au sol recouvert de carreaux de toutes les couleurs,avec des guirlandes électriquespartout. Plus de porcs à nourrir.Plus de légumes à arroser. Ils seront condamnés à tourner enrond pour tuer le temps. L’après-midi, les enfants de Mme Nuongont l’habitude de jouer sur laplage; désormais, ils iront dilapi-der leur argent dans les bars.

Leurs journées étaient rythméespar un emploi du temps qu’ilsimaginaient immuable. De ce quiétait « leur» terre vont bientôtsortir des hôtels et autres resorts.Ces lieux resteront déserts durant les longs mois d’hiver,attendant désespérément l’arrivéede la belle saison avec ses hordesde touristes, lesquels, d’ailleurs,ne feront que passer, déçus de ne trouver ici ni casinos niprostituées.

Et lorsqu’il ne restera plus quedes plages privées, réservées auxclients des hôtels, où les citoyensde Hoi-An iront-ils se baigner?Tant pis pour les pauvres ! Ilsn’auront qu’à se contenter desgrèves publiques. «Mais nous,alors? Nous qui ne sommes nil’un ni l’autre?», se demandentles rupins. Dans un pays pauvrecomme le Viêt-nam, il n’y auraitdonc que deux classes d’indivi-dus : les pauvres, que l’on entassesur un bout de plage publique,et les nantis, qui contemplentbéatement le coucher du soleilsous le parasol d’un palace? ■

(Du vietnamien)

À qui appartient la mer?

Carte blanche

Phan Thi Vang Anh est néeà Hanoi en 1968. Après uneformation de cardiologue, elletravaille aujourd’hui commeécrivaine, lectrice dans unemaison d’édition et chroni-queuse pour divers journauxet magazines. Également réa-lisatrice de films documentai-res, elle vit entre Hanoi et Ho Chi Minh-Ville. Dans lesannées 90, son livre Quandon est jeune a marqué touteune génération et est devenuun best-seller au Viêt-nam.Cet ouvrage a été traduit enfrançais (éditions Picquier) eten suédois. Le plus grandsuccès récent de Phan ThiVang Anh est un recueil dechroniques, qui n’est pourl’heure disponible qu’en viet-namien.

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mistes, ce film a suscité un véri-table concert d’éloges enOccident. En 2006, il a remportéle prix du public au Festival in-ternational de films de Fribourg.Depuis, Dunia a été présentédans d’autres festivals et diffusédans les cinémas.Le fonds Visions Sud Est a ac-cordé à Dunia une aide de 20000 francs. Il a dû envoyerl’argent directement au labora-toire, afin d’assurer l’achèvementde cette coproduction libano-égypto-française, dont le budget

total a dépassé 2 millions defrancs. Le laboratoire avait en ef-fet refusé de poursuivre le travailjusqu’à l’arrivée de ressourcescomplémentaires.Un autre film a été sauvé in extremis grâce au soutien queVisions Sud Est a accordé à sa finition: Opéra Jawa, du réalisa-teur indonésien Garin Nugroho.Cette comédie musicale s’inspired’un épisode du Ramayana, épo-pée légendaire indienne. Elle adéjà été projetée dans divers fes-tivals, dont celui de Venise, et la

Deux fois par année, en octobreet en mai, des messagers deDHL, Fedex,TNT ou autrestransporteurs de courrier ex-press, se pressent au Limmatau-weg, à Ennetbaden (AG), siègede Visions Sud Est. Ils apportentdes enveloppes et des paquetsvenus d’Amérique latine,d’Afrique, d’Asie et d’Europe del’Est. Si ceux-ci diffèrent par leurforme, leur poids et leur allure,ils ont toutefois une chose encommun: chacun des quelque80 envois contient un projet de

film et une demande d’aide fi-nancière.

À la dernière minuteDunia, un long métrage aussipoétique que courageux, estl’une des premières productionsà avoir bénéficié de l’aide dufonds en 2005. La cinéasteJocelyne Saab, née au Liban,y aborde des sujets sensiblescomme l’excision et le rôle de la femme dans la ville du Caireaujourd’hui. Controversé enÉgypte et décrié par les isla-

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Une fenêtre ouverte surd’autres cultures

Depuis des années, la promotion culturelle de la DDC réserve aux films une pla-ce toute particulière. Le fonds suisse Visions Sud Est, qu’elle cofinance, ne secontente pas d’accorder des subventions à la création d’œuvres audiovisuelles,il garantit aussi leur projection en Suisse dans des festivals, des cinémas et desécoles. De Gabriela Neuhaus.

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critique l’a saluée comme «lepremier film d’opéra d’Asie».Pourtant, l’œuvre a failli ne ja-mais voir le jour: «Dans ce cas,notre intervention a été décisive»,déclare Walter Ruggle, directeurde Visions Sud Est. «Sans notresoutien, le film n’aurait pas puêtre terminé à temps.»

Des critères clairement définisLe fonds, créé en 2004, est enmajeure partie financé par laDDC. En 2006, celle-ci a allouéun montant total de 370000francs à la promotion de films duSud et de l’Est. Pour pouvoirsolliciter de Visions Sud Est unsoutien à la production ou à lapostproduction, un projet esttenu de respecter des critères trèsprécis : la réalisatrice ou le réali-

sateur doit être originaire d’unpays du Sud ou de l’Est, ou alorsla demande de financement doitprovenir d’une société de pro-duction sise dans l’une de cesparties du monde. Par ailleurs, ladurée minimale de l’œuvre pré-vue est fixée à 70 minutes. Le ju-ry suisse fixe également d’autresexigences qui s’appliquent àtoute production destinée à êtrediffusée dans les salles de cinéma.Des films, comme ceux qui bé-néficient d’une aide de VisionsSud Est, sont produits pour lemarché international. À cetégard, la scène cinématogra-phique est relativement dyna-mique en Europe. De nombreuxfestivals, studios et plateformess’intéressent aux productions in-dépendantes provenant de paysen développement ou en transi-

tion. La majeure partie des filmssoutenus par Visions Sud Estvoient donc le jour dans le cadrede collaborations avec d’autressociétés de coproduction et do-nateurs occidentaux. Les réalisa-teurs naviguent souvent entredeux mondes. On les rencontreplus facilement à Paris ou àLondres qu’au Liban ou en Inde.Malgré tout, l’objectif primordialdu fonds est de promouvoir l’in-dustrie cinématographique del’Est et du Sud (dans la mesureoù elle existe), en appuyant desprojets de qualité provenant deces pays.

Exigence de professionna-lisme Le délai pour déposer une de-mande échoit deux fois l’an, à finoctobre et à fin mai. Parmi la

multitude de projets qui lui sontsoumis, le fonds en sélectionnequatre à six. Il accorde une sub-vention maximale de 50000francs aux longs métrages et de20000 francs aux documentaires.Le choix des bénéficiaires sefonde sur divers critères. PourWalter Ruggle, il est essentielque le projet soit cohérent etpris en charge par des sociétés deproduction capables de garantirprofessionnalisme et continuité:«Nous ne voulons pas financertotalement un projet. Maislorsque nous sommes en mesured’accorder une contribution im-portante, nous préférons choisirun film qui ne nous donne pasl’impression d’être déjà entière-ment financé par d’autres, quellesque soient ses qualités.»Les éléments pris en compte

Dunia

Opéra Jawa

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varient d’ailleurs d’un projet àl’autre.Au printemps 2006, OlgaNakkas a présenté à Visions SudEst son projet de film documen-taire Lebanon Year Zero. En ra-contant le destin de plusieursfemmes, elle voulait illustrer l’espoir qui sous-tendait la re-construction du Liban. «Lorsquenous avons examiné ce projet enété 2006, le Liban était à nou-veau en guerre. La destructiondu pays a réduit à néant la raisond’être du film», se souvientWalter Ruggle. La réalisatrice aalors réécrit son scénario pour yintégrer les derniers événements.«Un projet passionnant que nousavons tout de suite décidé desoutenir», raconte Walter Ruggle.Il espère que la première deLebanon Year Zero sera présentée à Nyon, durant le festival Visions

du Réel 2007. Son vœu pourraitêtre exaucé, à condition que lefilm soit achevé d’ici là.

Un média universelLe fonds ne se contente pas d’of-frir aux films un appui financier.Il leur garantit aussi d’être proje-tés en Suisse. Les trois fondateurset membres du jury s’en portentgarants. Chacun d’entre eux re-présente une institution qui s’estdonné pour tâche de diffuser des films du Sud et de l’Est: leresponsable du fonds,WalterRuggle, dirige aussi Trigon-Film,qui distribue depuis 19 ans desfilms du Sud et de l’Est en Suisseet en Europe; Martial Knaebelest le directeur artistique duFestival international de films deFribourg, une manifestation ex-clusivement dédiée à des films

qui traitent de thèmes liés auSud et à l’Est; Jean Perret dirigele festival Visions du Réel, àNyon.Tout comme Visions SudEst, ces trois institutions sont cofinancées par la DDC.Parmi les demandes de soutienadressées jusqu’ici à Visions SudEst, une grande partie sont ve-nues d’Amérique latine, uncontinent qui possède depuislongtemps sa propre culture cinématographique. Depuis lacréation du fonds jusqu’à l’au-tomne 2006, dix longs métrageset quatre documentaires ont reçuun appui financier.Tournés enArgentine, au Chili, en Chine, auKirghizistan ou en Afrique duSud, ces films parlent des gensqui vivent dans ces pays.Lorsqu’on évalue un projet, laquestion n’est pas de savoir s’il

est «eurocompatible», souligneWalter Ruggle. «Pour moi, le cinéma est un média universel.Si quelqu’un a quelque chose àraconter et qu’il maîtrise quelquepeu l’art du récit, son film fonc-tionnera partout et sera comprispartout.»Parce que les films interpellentdirectement le spectateur sur leplan visuel et auditif, ils suscitent,plus que tout autre média, desréactions aussi bien émotion-nelles qu’intellectuelles.Voilàpourquoi la DDC est persuadéeque les films sont un moyenidéal pour jeter des ponts, révélerl’humanité des hommes et favo-riser la compréhension d’autrescultures. ■

(De l’allemand)

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Salsa stimulante(er) Dans leur studio de NewYork, les producteurs BoncanaMaïga (Mali) et Ibrahima Sylla(Côte d’Ivoire) ont créé en1992, avec des musiciensd’Afrique occidentale et desCaraïbes, le groupe afro-latinoAfricando («Afrique unie» enwolof, «africaniser» en espa-gnol). Leur musique fait mainte-nant danser les amateurs de salsadu monde entier. À travers desconcerts et plus de deux mil-lions d’albums vendus, elle in-carne désormais l’afro-salsa.C’est un mélange re-africaniséde groove latino (rumba, son,timba, charanga, conjuntolibre…), avec une touche duswing urbain propre à la salsa.Les ingrédients : pulsations de lasection rythmique, accents sub-tils des instruments à cordes,perles de piano, majesté cha-toyante des cuivres et – en soloou en chœur – sonores voixd’hommes aux inflexions ro-mantiques. Le septième CD dugroupe, Ketukuba, est un hom-mage à Gnonnas Pedro, décédéen 2004. Le chanteur béninois a été un des piliers d’Africandopendant près de dix ans. Cet album, qui signe l’arrivée d’unenouvelle génération d’inter-prètes, séduira les « salsaholics» et autres passionnés.Africando: «Ketukuba»(Syllart/RecRec)

Tableaux sonores de Curaçao(er) Curaçao, une île des Antillesnéerlandaises située au large dela côte vénézuélienne, est un

creuset où se fondent les cul-tures africaines, européennes etantillaises. Cela transparaît danssa musique, que l’on n’entendd’ailleurs pas souvent en Europe.C’est là que la chanteuse IzalineCalister a ses racines. Domiciliéeaujourd’hui aux Pays-Bas, elleest connue pour avoir succédé àAngélique Kidjo dans le groupePili Pili et en tant que membredu groupe culte Dissidenten.Elle présente, avec son groupe et des musiciens invités, des ta-bleaux sonores de sa terre natale.Salsa antiyana, tumba, zouk, me-rengue, calypso carnavalesque,valses ou ballades antillaises sontinterprétés tantôt avec une vir-tuosité échevelée, tantôt avecune douceur tout aussi impres-sionnante. Joyeux ou mélanco-lique, chaque thème est déve-loppé par le timbre cristallind’une voix aux subtiles nuances.Et on se laisse emporter par le «Kanta Helele» (chante avecmoi, réjouis-toi) auquel nous invite l’artiste.Izaline Calister :«Kanta Helele»(Network/Musikvertrieb)

Rites dédiés au dieu Pan (er) Ces couleurs polytonalessont au premier abord presquetrop bariolées pour des oreilleshabituées aux belles harmonies.On subit pourtant la fascinationdes vagues successives de tam-bourinements sombres et sourds,tandis que les sons chauds de laflûte de bambou ou les envoléesvibrantes des bois s’entremêlentavec des changements de tempoet des finales suspendues dans le

temps. Cette magie anarchiqueet hypnotique vient d’un villagede 500 âmes, dans le massif duRif, au nord du Maroc. Mais lesMaster Musicians of Joujoukane sont pas un orchestre villa-geois. Ils appartiennent à l’élitedes interprètes de musiques ri-tuelles. Leurs ancêtres, venus dePerse aux 9e et 10e siècles,étaient les musiciens de cour des sultans marocains. Ce jeuenvoûtant du mysticisme soufi a séduit quantité d’écrivains et d’expérimentateurs sonores – notamment William S.Burroughs, Brian Jones ouOrnette Coleman. Peut-être a-t-il aussi une facette païenne.Toujours est-il que le groupeactuel célèbre Boujeloud, déitéde la fertilité, mi-chèvre mi-homme, qui correspond au dieuPan de l’Antiquité.The Master Musicians of Joujouka:«Boujeloud» (Sub Rosa/RecRec)

Films de fiction pour lesécolesLa fondation trigon-film ne faitpas que distribuer d’excellentsdocumentaires du Sud et del’Est dans les cinémas et surDVD. À titre d’essai, elle a égale-ment choisi de présenter surDVD trois films de fiction, as-sortis de commentaires didac-tiques.Trigon-film facilite ainsile travail des enseignants et lesincite à recourir également aucinéma dans leur enseignement.Beijing Bicycle, du Chinois WangXiaoshuai, Una casa con vista almar, du Vénézuélien AlbertoArvelo, et Dôlè, du GabonaisImunga Ivanga, sont les troispremiers titres accompagnésd’un abondant matériel pédago-gique à l’intention des écoles.On y découvre la Chine et laville olympique de 2008 vuespar deux adolescents du pays,puis les rudes conditions de viedes paysans dans les Andes véné-zuéliennes, au cours d’un voyagequi soulève des questions sur la

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propriété foncière; enfin, on faitun détour par Libreville poursuivre un groupe de garçons qui se livrent à une petite délin-quance assez naïve, parfoismême drôle. Ces trois films ontété sélectionnés par des ensei-gnants dans la collection de tri-gon-film. Une pédagogue a éta-bli la documentation destinéeaux écoles.Renseignements et commandes :tél. 056 430 12 30 ou www.trigon-film.org

Réfléchir et agir (dg) La 15e édition des Journéesdu film Nord-Sud se dérouledès fin février à Lucerne, Bâle,Zurich, Berne, Nyon et Thusis.Le service Films pour un seulmonde présente dans les sallesprévues dix nouveaux docu-mentaires et films de fiction,

des chances pour les filles estune clé essentielle de la luttecontre la pauvreté et du déve-loppement durable.Lieux et programme:www.filmeeinewelt.ch

Périple d’un tee-shirt(bf ) Quel est l’itinéraire d’untee-shirt jusqu’au moment où ilest mis en vente dans un maga-sin? Que devient-il après avoirété jeté dans un conteneur devêtements usagés? Pietra Rivoli,professeure en économie, a faitce voyage avec son tee-shirt,depuis les champs de coton duTexas jusqu’aux marchés auxpuces tanzaniens, en passant parles fabriques de textiles deShanghai. Son livre passionnant– qui n’est pas traduit en français– met en lumière la complexitédu commerce mondial. Il décritcomment les planteurs de cotonaméricains se défendent contreles importations massives enprovenance de la Chine, com-ment les tee-shirts de Shanghaiarrivent tout de même dans lesports des États-Unis. Il montreégalement dans quelles condi-tions – mais aussi pour quellesnouvelles libertés – des femmestravaillent dans les usines textileschinoises. En introduction, l’au-teure promet d’expliquer l’éco-nomie mondiale en prenantl’exemple d’un produit d’usagecourant. Et elle tient parole. Sonouvrage décrit de manière trèsvivante les différents acteurs etfournit des informations aisé-ment compréhensibles, depuisl’histoire de l’économie jusqu’auprocessus de mondialisation.Pietra Rivoli : «The Travels of a T-Shirt in the Global Economy»,John Wiley & Sons, 2005

Le travail des femmes (bf ) Porteuses de fagots enThaïlande, potières en Inde oucommerçantes sur les marchésdu Ghana… Dans les pays endéveloppement, les femmes ne

sont pas seulement responsablesdu ménage, des contacts sociauxet de l’éducation des enfants.Nombre d’entre elles travaillentquotidiennement aux champs,sur les marchés ou en usine.Robert Schmid leur consacre un album de photos, intituléFrauenarbeit in der Dritten Welt (letravail des femmes dans le tiersmonde). Géographe spécialisédans les questions économiques,professeur de gymnase et photo-graphe, Robert Schmid a égale-ment travaillé au Népal et auxPhilippines en tant qu’expert dela DDC. Il a étudié en profon-deur la problématique du travaildans les pays en développement.Les 195 photos en couleurs decet ouvrage, publié à compted’auteur, illustrent la vie desfemmes sous l’aspect du labeur.Elles sont entremêlées de textesracontant 19 destins particuliers.Robert Schmid: «Frauenarbeit inder Dritten Welt». Commandes :3wimage edition, Erzbergweg 13,5018 Erlinsbach,tél. 062 844 33 67,[email protected]

«Gazer» ou étudier?(bf ) On oublie trop souvent quel’Afrique, ce n’est pas seulementla pauvreté, la famine, le sida etla guerre. Ce continent connaîtaussi une réalité quotidiennetout à fait normale. La bandedessinée Aya de Yopougon nousparle justement de la vie de tous

les jours, avec ses amours, sesamitiés, ses problèmes de forma-tion, etc. L’histoire se situe enCôte d’Ivoire à la fin des années70, un pays de contrastes entreriches et pauvres, un pays oùune jeune fille comme Aya apeu de chances de réaliser sesrêves.Âgée de 19 ans,Aya vit dans lequartier tranquille de Yopougonà Abidjan. Contrairement à sesdeux copines, qui préfèrent «gazer» (faire la noce) dans lesbars branchés, elle se consacre à ses études ; elle veut devenirmédecin. Cette histoire pleined’ambiance et d’humour a été écrite par l’IvoirienneMarguerite Abouet et illustréepar le Français ClémentOubrerie. Elle a reçu en 2006 le prix du meilleur premier album au Festival de la BDd’Angoulême.Marguerite Abouet et ClémentOubrerie : «Aya de Yopougon»,Éditions Gallimard, 2005

La vie est un rêve(gn) John Ampan a mis cinq anspour arriver en Europe depuisson Ghana natal. Il a été dé-porté, dévalisé, abandonné dansun désert, jeté en prison. Cela se passait dans les années 90. Levoyage des migrants est devenuaujourd’hui encore plus dange-reux et plus difficile. Cela ne dé-courage pourtant pas les milliersd’Africains qui prennent le che-min de l’Europe. Qu’est-ce quiles pousse? Que laissent-ils der-rière eux, que peuvent-ils espé-rer? C’est à ces questions quetente de répondre le journalisteallemand Klaus Brinkbäumer,dans son ouvrage Der Traum vomLeben (en allemand seulement).L’auteur et un photographe ont d’abord accompagné JohnAmpan à Accra, où celui-ci a retrouvé sa femme et ses troisenfants, qu’il n’avait pas vus depuis quatorze ans.Après cettebrève et émouvante rencontre,

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recommandés pour leur valeurdidactique: ils favorisent uneperspective globale, incitent àune réflexion en réseau et en-couragent à agir. Ces films évo-quent notamment l’intégrationen Suisse, une réussite due aumicrocrédit au Bangladesh, lalutte pour légaliser le travail desenfants au Pérou ou le quoti-dien familial peu spectaculaireen Haïti et au Cambodge. Leprogramme comporte deuxfilms inédits, O grande bazar etNima. Le premier raconte aveclégèreté la vie quotidienne auMozambique; on est impres-sionné par la créativité des deuxgarçons qui en sont les acteursprincipaux. Le second film estconsacré à Nima, une adoles-cente somalienne pleine de vi-vacité ; il montre que l’égalité

les trois hommes ont suivi l’iti-néraire principal des réfugiésvers le Nord, à travers sept paysafricains. Klaus Brinkbäumerdécrit des situations et des desti-nées bouleversantes, qui soulè-vent bien des questions. Ce pas-sionnant récit de voyage, écritdans un style alerte, parle d’es-poir mais aussi de désespoir. Illivre quelques aperçus révéla-teurs de la mentalité africaine et de la politique européenne.Klaus Brinkbäumer : «Der Traumvom Leben. Eine afrikanischeOdyssee», S. Fischer Verlag GmbH,Francfort, 2006

Voix de Tchétchénie (bf ) Cela fait douze ans que laTchétchénie est en guerre etpersonne ne s’y intéresse. C’estdu moins ce que ressentent lesauteurs qui évoquent ce conflitocculté dans l’anthologie Desnouvelles de Tchétchénie. Des écrivains tchétchènes et russes,connus ou non, décrivent lesmultiples formes de violenceengendrées par cette guerreépouvantable : villages entiers assiégés, dégradation des mœurs,affaires louches, menace de génocide, viols, pillages. Lesthèmes abordés sont très variés.Ils vont de la souffrance collec-tive, qui met en cause les rela-tions avec les Russes et laRussie, aux moments d’intimitéqui voient fleurir des sentimentstendres au milieu de l’horreuromniprésente. Ce livre coura-geux donne une voix aux au-teurs, qui sortent ainsi del’ombre de la guerre. Les textes

montrent qu’une cohabitationserait tout à fait possible entreRusses et Tchétchènes.«Des nouvelles de Tchétchénie»,Éditions Paris-Méditerranée, 2005

La montée des eaux ( jls) Tandis que des ouvriers chinois se relayaient nuit et jourpour ériger un gigantesque murde béton sur le fleuve Yangtsé,d’autres démolissaient les mil-liers d’immeubles situés enamont. Entre 2003 et 2006, lephotographe jurassien PierreMontavon a visité le chantier du barrage des Trois-Gorges etles localités destinées à êtreinondées. Son reportage vientde paraître, sous le titre Le fleuvemuré. La première partie de l’ouvrage illustre la présencemassive de ce gigantesque ouvrage hydraulique. Unedeuxième série de clichés té-moigne des bouleversements humains et sociaux engendréspar le remplissage du bassin deretenue: la démolition de tousles bâtiments situés au-dessousdu niveau futur de l’eau et ledéplacement de 2 millions depersonnes, dont bon nombre se-ront contraintes à l’exil. D’autres

images montrent les villes nou-velles, construites en très peu de temps pour reloger une par-tie de la population. Les photossont accompagnées de textesécrits par le journaliste FrédéricKoller, qui aborde la questionpar le biais historique, politique,social et écologique.Pierre Montavon et Frédéric Koller :«Le fleuve muré», Cadrat Éditions,Genève, 2006

La révolution industrielle chinoise (bf ) Actuellement, la Chine re-présente le marché dynamiquepar excellence. Elle apparaîtcomme la nouvelle superpuis-sance. Il est impossible d’ignorerles effets de cette évolution surl’économie mondiale et sur l’en-vironnement. L’album China,d’Edward Burtynsky, illustre demanière impressionnante l’essorde l’Empire du Milieu. Ce pho-tographe canadien d’origineukrainienne a visité les lieux oùnaissent les produits chinois quipartent à l’assaut du marchémondial. Ses photos, tout à lafois fascinantes et inquiétantes,témoignent d’un bouleverse-ment aux proportions gigan-tesques. Edward Burtynsky aégalement photographié le bar-rage des Trois-Gorges, le plusgrand chantier du monde. Il avisité des villages dédiés exclusi-vement au recyclage de déchetsélectroniques, de plastique et devieux métaux. D’autres clichésmontrent d’immenses halles defabrication, où des dizaines demilliers d’ouvriers produisent de

la quincaillerie, des chaussuresde sport, ou conditionnent de la viande de poulet. Les œuvresde Burtynsky sont exposées dans nombre de collections etde musées importants à travers le monde.Edward Burtynsky: «China»,Verlag Steidl, 2006

Les spécialistes du DFAEviennent à vousSouhaitez-vous obtenir des in-formations de première main surla politique étrangère? Les spé-cialistes du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)sont à la disposition des écoles,des associations et des institu-tions, pour présenter des exposéset animer des débats sur denombreux sujets de la politiqueétrangère. Le service de confé-rences est gratuit. Il ne peut tou-tefois offrir ses prestations qu’enSuisse et 30 personnes au moinsdoivent participer à la manifesta-tion.Informations : Service de conférencesdu DFAE, Service d’information,Palais fédéral ouest, 3003 Berne;tél. 031 322 31 53 ou 031 322 35 80,fax 031 324 90 47/48,[email protected]

Un seul monde No 1 / Mars 2007 35

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Impressum«Un seul monde» paraît quatre fois par année, en français, en allemand et en italien.

Editeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Harry Sivec (responsable) Catherine Vuffray (coordination globale) (vuc) Joachim Ahrens (ahj) Thomas Jenatsch (jtm)Jean-Philippe Jutzi (juj)

Antonella Simonetti (sia)Andreas Stauffer (sfx)Beat Felber (bf)

Rédaction :Beat Felber (bf–production)Gabriela Neuhaus (gn) Maria Roselli (mr)Jane-Lise Schneeberger (jls) Ernst Rieben (er)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho : Mermod SA, Lausanne

Impression : Vogt-Schild Druck AG,Derendingen

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’unexemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de: DDC,Médias et communication, 3003 Berne,Tél. 031322 44 12Fax 031324 13 48E-mail : [email protected]

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Tirage total : 55500

Couverture : Kinshasa, République démocratique du Congo; Torfinn / laif

ISSN 1661-1675

Red

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Dans le prochain numéro:

Développement et culture: ces deux domaines connexes sont aussi multiples et imprévisibles l’un que l’autre. Notre dossier présente le rôle de la culture, au sens large, dans la coopération au développement. Les activités incluent la sensibilisation au sida par le théâtre, la promotion de culturesindépendantes et le soutien au dialogue interculturel.