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N°242 - du 24 au 30 novembre 2010 Tea Party : possible en France ?

Un Tea Party à la Française ?

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La présidentielle 2012 n'annonce-t-elle pas un ouragan électoral ?

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N°242 - du 24 au 30 novembre 2010

Tea Party : possible en France ?

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Tea Party : possible en France ?

Le 2 novembre 2010 a d’abord été l’acte de nais-sance aux Etats-Unis d’u-ne nouvelle génération de responsables politiques qui assument leur situa-tion de citoyens, impo-sent un nouveau style et un nouveau discours. La vie publique Française peut-elle connaître à son tour une nouvelle donne de ce type ? Progressivement, le discours sur la crise a engendré une crise du discours politique

Depuis 40 ans (le 1er choc pétrolier de 1973), la cri-se a envahi le discours politique. La crise expli-que tout, justifie tout et son contraire. Régulièrement, sur l’air du «c’est la faute à la cri-se», tous les hommes po-litiques, à gauche comme à droite, se retrouvent pour justifier leur impuis-

sance ou leur impopulari-té. Cette abondance a déna-turé le mot crise. Il est d e v e n u u n n o n -événement suscitant ni émotion ni réflexion. Ecran ou excuse, la réfé-rence à la crise dissimule l’échec ou les choix d’une politique. A force de parler ainsi de la crise, le discours politi-que est entré en crise. L’histoire nous apprend que le discours de crise acquiert sa propre identi-té. Il existe une veine du dis-cours politique de crise populaire et démagogique qui porte en lui l’affronte-ment. Ce discours là fait appel à des termes spéci-fiques. A grand renfort de caricatures et de formules vengeresses, il fait parler souvent la plus mauvaise part de l’homme et du ci-

toyen. Ce qui gêne le plus dans ce genre de dis-cours, c’est qu’il a la pré-tention de «dire tout haut ce que tout le monde

pense tout bas». Ce type de langage, avec ce qu’il a d’excessif et d’inquiétant, trouve une certaine audience parce qu’il tranche résolument sur les autres. Il laisse en route les nuances. Il «parle» directement. Il fut un temps où les po-liticiens (comme on disait alors) s’exprimaient dans un style lyrique et fleuri. Ce charme désuet a dis-paru. Pour décrire la crise ou tenter d’en définir l’issue, il n’existe pas toujours une parole de droite radi-calement différente d’une parole de gauche. La crise échappe, dans une certaine mesure, aux clivages idéologiques et condamne le discours po-litique à suivre la même

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Kristi Noem : la cam-pagne citoyenne la plus téméraire Kristi Noem devrait être parmi les prochains leaders de la Chambre des Représentants. Elle a cassé tous les codes des campagnes habituelles. Elle a même mis en ligne un bêtisier des séances d’enregistrements de ses clips vidéos … Sur cette photo, elle apprend à l’une de ses filles à jouer au base ball. Toute sa démarche a consisté à ouvrir un album de famille mais la famille d’une citoyenne comme les autres, parmi les autres.

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voie. L’idéologie est désacrali-sée. L’esprit partisan n’est plus de mise. Ils devien-nent la marque de la «politique politicienne» avec tout ce que ce néo-logisme peut comporter d’infamant… De tous les horizons poli-tiques, on s’élève pour dénoncer la «langue de bois» des ténors des grands partis. Cette accu-sation ne vise plus seule-ment l’usage abusif de la dialectique libérale ou marxiste, elle traduit l’u-sure et l’inadaptation d’un langage politique devenu anachronique. Le discours politique sous l’effet de la crise a donc été contraint de perdre de son abstraction et de s’ouvrir aux réalités concrètes. Le sempiternel refrain de la droite ou de la gauche ne fait plus recette. Le pragmatisme est de ri-gueur : il s’agit de choisir un objectif limité et de l’atteindre plutôt que de réformer la société en profondeur. Le langage se simplifie donc. Là où l’on recher-che pour chaque problè-me des solutions, les phrases ont un sujet, un verbe, un complément et les mots sont ceux de tous les jours.

La politique débarrassée de certains artifices du langage paraît plus vraie, plus sincère aux citoyens. Il faut voir dans ce pro-grès, certes, l’effet d’une nouvelle stratégie des spécialistes de la commu-nication politique, mais surtout, un effet des hommes politiques eux-mêmes pour parvenir à plus d’efficacité en paro-les comme en actes. La forme, aussi simple et concrète soit-elle, ne doit pas l’emporter sur le fond : le propre du dis-cours politique reste et doit rester d’être porteur d’un «message». C’est la construction de ce message qui est le vrai grand chantier des pro-

chains mois et l’enjeu dé-terminant des prochaines élections. La situation des Etats-Unis en novembre 2010 a montré combien l’opinion pouvait être en attente d’une nouvelle offre politi-que. La place d’un imaginai-re confortable mais tel-lement trompeur La réalité actuelle inquiè-te et perturbe, puisqu’elle est incertaine, changean-te, dérangeante et non négociable. L’imaginaire, lui, est confortable et rassurant. Insusceptible d’être sou-

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mis à l’épreuve de la contradiction, il se trouve en harmonie intime et na-turelle avec l’individu. On doit se contraindre à faire effort sur soi pour assu-mer le réel. La quête de celui-ci, c’est la fin des certitudes, l’effondrement des préjugés, la ruine des dogmes. L’imaginaire, en revanche, n’en exige pas autant. C’est pourquoi il est facile de s’y tenir inconsciem-ment, et de se l’appro-prier. Dès lors, la machi-ne à produire de l’illusion politique est en place et va tourner à plein régime. Elle fabriquera à bon compte des certitudes à bon marché. A cette dangereuse déri-ve, la société française s’adonne aujourd’hui sans retenue et, en quelque sorte, sans remord. Tout l’y pousse : la perte des repères, la peur de l’avenir, le sentiment de ne plus maîtriser son des-tin. Ne sachant à quel saint se vouer, elle se li-vre naturellement au dia-ble, celui des croyances rassurantes, qui lui susur-re que la France peut de-meurer une île à l’abri des tempêtes et qu’il suffit pour cela d’en décider ainsi. L’incapacité de notre pays à s’adapter aux évolutions du monde et cette réfé-rence incantatoire à on ne

sait quelle exception fran-çaise n’a pas d’autre ex-plication. Dans tous les domaines de la vie publique, la véri-té est occultée parce qu’elle est douloureuse à admettre, que l’électeur la refuse, et que l’âme de la France est devenue fai-ble. Alors on ferme les yeux et on s’enfonce dans son rê-ve, non sans d’ailleurs quelque inquiétude. La réalité s’efface devant l’illusion et l’illusion de-vient réalité. Merveilleuse thérapie col-lective sans doute, dont les politiques jouent sans pudeur ni remord. Mais thérapie sans issue, parce qu’elle est l’exact contraire de ce qu’exige notre temps. Le piège est là. Il se referme. La luci-dité des français en meurt et leur raison politique avec elle. De ces errements, les exemples abondent. La dette publique ? Elle est écrasante : si l’on tient compte des engagements de l’Etat liés aux retraites des fonctionnaires. Son seul service interdit à l’E-tat toute politique ambi-tieuse, faute de marges financières. Chacun le sait. Les chiffres sont pu-blics, incontestables, mille fois répétés. Mais nul n’en

Sarah Palin et le parti de l’Amérique d’en bas Sarah Palin est l’une des personnalités les plus controversées. Elle a marqué un territoire qu’elle occupe avec efficaci-té : l’Amérique d’en bas. Dès la présidentielle 2008 aux côtés de McCain, elle a su garder sa différence sur des dossiers majeurs dont l’éthique et la réforme des cercles de pouvoirs de Was-hington. Si bien que la défaite de no-vembre 2008 ne fut pas la sienne. Le pouvoir d’évocation de Reagan était bâti autour de deux valeurs essentielles : l’éthique et l’héroïsme. C’é-tait le John Wayne de la po-litique. Sarah Palin tente d’actuali-ser les repères et être l’héri-t i è r e d ’ un nouveau «patrimoine républicain» : l’éthique et l’exemple du quotidien. Sarah Palin a repris un vieux credo des campagnes de Reagan : pour gagner la Présidentielle, il ne suffit pas de quadriller le pays d’Etat en Etat, il faut d’a-bord et surtout gagner sur le terrain des idées. La base va passer le message d’un mouvement attendu par el-le. C’est clair, simple, effica-ce. A l’opposé de cette clarté simple, Obama parait com-pliqué, nuancé, mais surtout élitiste.

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Une évolution annoncée dès juin 2010

Dès juin 2010, notre lettre hebdomadai-re a été parmi les très rares publications à annoncer alors l’émergence d’une nou-velle génération de candidats (voir arti-cle ci-contre de notre lettre 224 du 15 juin 2010). Dès cette époque, nous présenté les candidats qui incarnaient cette nouvelle génération cassant les codes habituels à l’exemple de Nikki Haley désormais Gou-verneure de la Caroline du Sud. Six mois plus tard, les tendances produi-saient le résultat analysé dans cette let-tre. Des résultats qui ont été le produit d’une lame de fond qui était inscrite dès les premières enquêtes en avril 2009.

a cure, et l’on fait comme si de rien était. Les retraites ? La popula-tion vieillit, l’espérance de vie s’allonge, les actifs ne pourront bientôt plus as-surer le paiement des pensions. Qu’importe. On refuse d’en tirer les conséquences et 15 ans d’atermoiements n’abou-tissent qu’à des mesures très insuffisantes qui se-ront à revoir dans les 5 prochaines années. Les 35 heures ? Les sta-tistiques montrent que les pays dans lesquels la du-rée du travail est la plus longue sont précisément ceux dans lesquels le taux de chômage est le plus faible.

Les statistiques ? Lesquel-les ? On pousse des cris d’orfraie quand sont pro-duits des chiffres scélé-rats. Et chacun alors de pré-tendre qu’ils sont erronés, voire falsifiés. La Constitution Européen-ne ? Assassinée parce que prétendument libérale donc inacceptable aux yeux des bien pensants. Mais qui ose dire, à droite ou à gauche, que c’est en réalité le traité de Rome lui-même qui est libéral et que la Constitution ne fai-sait que reproduire mot pour mot un texte exis-tant depuis près d’un demi-siècle, dont nul ne propose l’abrogation, et

qui a été appliqué sans états d’âme depuis 1957 par tous les gouverne-ments sans exception. La sécurité sociale ? Son déficit est abyssal. Mais cela n’a aucune importan-ce. C’est la faute des autres et, de toutes façons, il faut s’en tenir au modèle social français, par princi-pe, même s’il ne fonction-ne plus. La recherche ? Elle consti-tue le véritable avenir de l’Europe. Pourtant, on la sacrifie tout en affirmant qu’on la préserve. On pourrait poursuivre ainsi longtemps. Il y a cent, il y a mille exemples

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cette négation des réali-tés les moins contesta-bles, au détriment des véritables intérêts de la France. Désormais systématiques, de telles pratiques ne re-lèvent plus de simples inadvertances. Elles deviennent chaque jour davantage un mode de pensée voulu, assumé et organisé, qui consiste à faire du mensonge délibé-ré ou de l’illusion instru-mentalisée un outil légiti-me du débat politique. Au sein de celui-ci, l’irra-tionnel est désormais chez lui. Dès lors qu’il constitue le fondement de toute pensée religieuse, force est donc de consta-ter que la pensée politi-que de la France fonction-ne aujourd’hui sur le mo-de religieux. La politique Française : une nouvelle religion avec ses grands prê-tres

Mais une pensée religieu-se ne s’épanouit pas si nul n’en prend en charge l’élaboration et la diffu-sion. Point de religion, fut-elle politique, sans clergé. Et clergé il y a, pléthori-que, cacophonique et suf-

fisant. Classe politique à la com-pétence et à l’honnêteté variables, experts arro-gants, intellectuels pé-remptoires à la pensée incertaine, syndicalistes fonctionnarisés qui font commerce de démagogie idéaliste, d’aveuglement idéologique ou de mau-vaise foi, représentants de collectifs de tous or-dres et d’intérêts de tou-tes sortes à l’affût des modes du moment, cons-tituent un aréopage bi-garré occupant les estra-des et s’efforçant de ven-dre d’improbables illu-sions qu’ils disent, parfois sincèrement, représenter le progrès. Tous y ont bien entendu un intérêt personnel, sou-vent matériel, et justi-fient leurs ostentatoires querelles par la nécessité de ne pas laisser le champ libre à des adver-saires supposés malfai-sants. Pontifes, grands prêtres, oracles ou prophètes, ces turiféraires de la politique imaginaire se donnent à l’unisson un rôle qu’ils jouent à merveille et avec un incontestable talent : celui de travestir la vérité en faisant croire qu’ils la servent. Pour peu que l’on fasse profession de cynisme, on peut les comprendre, et

les en excuser. Il convient pour eux d’évi-ter à tout prix que le ci-toyen puisse deviner que derrière leurs affirmations démagogiques se dissi-mulent des illusions cons-truites de toutes pièces dans lesquelles une rhé-torique mensongère tient lieu de réalisme. Pour cela, il n’est qu’un moyen : habiller l’imagi-naire politique qu’ils pro-duisent sous les habits de la raison, à la seule fin de le légitimer. Les citoyens sont installés dans l’erreur par ceux-là mêmes qui devraient les éclairer. Ainsi est devenue la pen-sée politique dans notre pays : l’amalgame de croyances omniprésentes portées par le refus assu-mé du véritable esprit cri-tique, la fuite devant les réalités, la réhabilitation de l’esprit dogmatique et finalement le triomphe de l’irrationnel. En somme, la définition même de l’obscurantis-me. La machine qui le fabri-que est infernale et la France est en train d’en mourir, parce que c’est la nature de l’obscurantisme que de chercher le para-dis et de trouver … l’en-fer.

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se alors de l’objective-ment possible au subjec-tivement certain. Un soupçon fondé sur des témoignages fragiles de-vient rumeur, puis convic-tion du public. C’est dans la droite ligne du Moyen-âge, où l’on soumettait l’inculpé au jugement de Dieu. Celui qui succom-bait était coupable parce que la société toute entiè-re ne doutait pas que Dieu venait au secours de l’innocent. Dans ces conditions, le réel importe peu. C’est ce que le groupe social pen-se et croit qui compte. C’est ce dernier volet qui est le volet le plus dange-reux de ce processus. Le corps social va sanction-ner et non pas construire. Il a besoin de revanche donc de coupables. 2012 sera une élection de crise. Le pays ne sera pas sorti de la crise mais an-cré dans la crise depuis plus de 40 mois. L’opinion se sent ignorée par les élites, démunie. La victoi-re appartiendra au moins coupable que les autres. C’est une course à l’élimi-nation qui va s’engager.

2012 et la course aux coupables Dans cette ambiance, l’é-lection présidentielle de 2012 s’annonce comme l’élection de tous les dan-gers. Le besoin de revanche de l’opinion commence à s’affirmer et d’une revan-che rapide, spectaculaire et sans faiblesse. Il lui faut des coupables. Coupables, le seront-ils ? Avec la culture du bouc-émissaire qui caractérise la France, l’opinion se fixera vite car s’est on ja-mais demandé si un bouc émissaire était innocent?

Il incarne le mal, parce qu’il porte les péchés du monde. Le bouc émissaire est toujours coupable pour qui l’a désigné. Il dispense chacun de l’é-thique du doute, fonde-ment même de la raison, et de celle du courage, qui n’est rien d’autre que le choix de la vérité plutôt que celui de l’approba-tion. C’est le prix à payer pour qu’il remplisse son rôle expiatoire. Au demeurant, il y a dans cela comme une cohéren-ce. Par un mécanisme psychologique dangereux parce qu’inavoué, on pas-

Editeur : Denis Bonzy Newday www.exprimeo.fr

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Le PS et la «lettre au Père Noël» 9

Avec son projet sur l’égalité réelle, le Parti Socialiste s’ins-crit-il dans une logique de gouvernance ou cède-t-il à des sirènes électoralistes sans len-demain ? Le même appareil peut-il en-core longtemps abriter une famille modérée et une famille protestataire qui est dans la culture du début des années 80 ? Le PS ne fait plus rêver mais peut-il être encore désiré ?

Parution le : 7 décembre 2010.