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Pour citer cet article : Adergal, A. Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pour faute grave ? Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007 ARTICLE IN PRESS Modele + DDES-642; No. of Pages 4 Droit Déontologie & Soin xxx (2014) xxx–xxx Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Jurisprudence Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pour faute grave ? Anaïs Adergal 184, rue Ganbaldi, 69003 Lyon, France Résumé Alors même que la liberté de prescription est un pilier de la profession médicale, et le gage de son indépendance, un employeur prononce le licenciement d’un médecin salarié, et le qualifie de faute grave, privative des indemnités. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. Alors que la liberté de prescription est un pilier de la profession médicale, et le gage de son indépendance, un employeur peut-il prononcer le licenciement d’un médecin salarié pour une faute grave de prescription ? La question n’est pas évidente alors que l’employeur doit respecter cette liberté, et que de plus, il ne dispose pas de compétence médicale 1 . Pour autant, cette prérogative de l’employeur doit pouvoir s’exercer sur l’ensemble du personnel, y compris les médecins 2 et y compris s’agissant de la part purement médicale de leur exercice. Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 21 mai 2014 (n o 13-14635, non publié), confirmant la Cour de Nîmes (22 janvier 2013), valide le licenciement pour faute grave, sans qu’il ne soit besoin de recourir à une expertise. Adresse e-mail : [email protected] 1 Sur le régime de responsabilité civile des médecins salariés : Civ.1 , 9 nov. 2004, D. 2005, 253, note Chabas ; Resp. civ. et ass. 2004, comm. 364. Adde, Maud Asselin, Responsabilité des professionnels de santé salariés : changement de solution, ibid. 2005, Chr. 6. 2 Licenciement pour une faute d’ordre général, à savoir la remise de nourriture par l’établissement : Cass. Soc., 25 juin 2002, n o 00-40910, publié au bulletin. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007 1629-6583/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pour faute grave ?

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Pour citer cet article : Adergal, A. Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pourfaute grave ? Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007

ARTICLE IN PRESSModele +DDES-642; No. of Pages 4

Droit Déontologie & Soin xxx (2014) xxx–xxx

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Jurisprudence

Une faute de prescription peut-elle être une cause delicenciement pour faute grave ?

Anaïs Adergal184, rue Ganbaldi, 69003 Lyon, France

Résumé

Alors même que la liberté de prescription est un pilier de la profession médicale, et le gage de sonindépendance, un employeur prononce le licenciement d’un médecin salarié, et le qualifie de faute grave,privative des indemnités.

© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Alors que la liberté de prescription est un pilier de la profession médicale, et le gage de sonindépendance, un employeur peut-il prononcer le licenciement d’un médecin salarié pour une fautegrave de prescription ? La question n’est pas évidente alors que l’employeur doit respecter cetteliberté, et que de plus, il ne dispose pas de compétence médicale1. Pour autant, cette prérogativede l’employeur doit pouvoir s’exercer sur l’ensemble du personnel, y compris les médecins2 et ycompris s’agissant de la part purement médicale de leur exercice. Un arrêt de la chambre socialede la Cour de cassation du 21 mai 2014 (no 13-14635, non publié), confirmant la Cour de Nîmes(22 janvier 2013), valide le licenciement pour faute grave, sans qu’il ne soit besoin de recourir àune expertise.

Adresse e-mail : [email protected] Sur le régime de responsabilité civile des médecins salariés : Civ.1◦, 9 nov. 2004, D. 2005, 253, note Chabas ; Resp.

civ. et ass. 2004, comm. 364. Adde, Maud Asselin, Responsabilité des professionnels de santé salariés : changement desolution, ibid. 2005, Chr. 6.

2 Licenciement pour une faute d’ordre général, à savoir la remise de nourriture par l’établissement : Cass. Soc., 25 juin2002, no 00-40910, publié au bulletin.

http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.0071629-6583/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

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Pour citer cet article : Adergal, A. Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pourfaute grave ? Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007

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2 A. Adergal / Droit Déontologie & Soin xxx (2014) xxx–xxx

1. La faute grave

La faute du salarié est considérée comme grave lorsqu’elle provient d’un fait ou d’un ensemblede faits qui rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Ce ou ces faits doivent êtredirectement imputables au salarié (Cass. Soc. 27 septembre 2007, no 06-43867). La faute graveentraîne le départ immédiat du salarié.

La gravité de la faute est appréciée en fonction des circonstances propres à chaque fait. Lafaute grave peut être reconnue au regard d’un fait unique mais inacceptable. Un salarié peut êtrelicencié pour faute grave sans avoir jamais recu d’avertissement au préalable.

Le salarié licencié pour faute grave perd le bénéfice de l’indemnité de licenciement et n’a pasdroit à l’indemnité compensatrice de préavis.

2. Faits

Un médecin, engagé le 1er août 2006 en qualité de médecin généraliste par l’associationhospitalière Sainte-Marie, a été licencié pour faute grave par lettre du 20 mai 2010.

Il était reproché au praticien deux fautes touchant à sa pratique clinique :

• une augmentation inappropriée de dose médicamenteuse (Préviscan et Digoxine) à l’égardd’une patiente ;

• la non prise en charge d’un cas d’hypernatrémie d’une patiente qui a dû être hospitalisée.

Ces faits avaient été dénoncés le 26 mars 2010 à l’employeur par deux médecins coordonna-teurs :

« Je vous écris pour vous informer d’incidents concernant l’activité professionnelle duDocteur X. . . Ces incidents, erreurs de prescription ou négligences d’anomalie sur un bilan,auraient pu avoir des conséquences graves sur l’état de santé des patientes intéresséessans la vigilance d’autres personnels soignants qui ont pu mettre en œuvre des actions decorrection ».

3. Procédure de licenciement

L’article R. 4127-95 CSP, qui traite de l’exercice salarié de la médecine, rappelle dans lestermes suivants les devoirs de médecin exercant sous contrat de travail en ces termes :

« Le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ouun statut à un autre médecin, une administration, une collectivité ou tout autre organismepublic ou privé n’enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligationsconcernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions ».« En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dansson exercice médical de la part du médecin, de l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie.Il doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt de la santé publique et dans l’intérêt despersonnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce ».

Aussi, aucune disposition n’impose la saisine préalable par l’Ordre des Médecins dans le cadred’une procédure disciplinaire exercée par l’employeur à l’encontre d’un médecin salarié.

D’une manière générale, les droits et devoirs du médecin salarié restent constants :

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• il est tenu au secret professionnel notamment vis-à-vis de l’employeur ou de l’administration.Il doit veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée par son entourage au secret qui s’attache àsa correspondance professionnelle (CSP, Art. R. 4127-72) ;

• l’indépendance du médecin étant avant tout un droit du patient (CSP, art. R. 4127-5), le médecinsalarié ne peut accepter que ses avis, ses actes, ses prescriptions y compris la rédaction de sescertificats soient limités par des directives. Il en est le seul responsable. Il ne peut y avoir desubordination ou de dépendance, vis-à-vis de l’établissement, de l’organisme ou du confrèrequi emploie le médecin, qu’au point de vue administratif (horaires, organisation du service. . .).

4. Appréciation des fautes

4.1. Liberté de prescription

4.1.1. Argument du médecinLe médecin soutenait d’abord que ne constitue pas un motif de licenciement et a fortiori une

faute grave l’acte d’un médecin qui se rattache directement à sa liberté de prescription médicaleà l’égard d’un patient dans le respect des données acquises de la science.

D’après lui, son licenciement du médecin salarié était fondé sur une faute grave en raison desprescriptions prétendument erronées administrées par celui-ci à deux patientes, alors qu’il n’étaitpas prouvé que ces prescriptions fussent contraires aux données acquises de la science.

4.1.2. Réponse de la Cour4.1.2.1. Recours non justifié à l’expertise. Le médecin soutient que l’employeur aurait dû recourirà une expertise médicale pour établir la réalité des manquements ainsi reprochés.

Or, les éléments de preuve fournis par l’employeur suffisent à établir la réalité des fautesreprochées à l’intimé et ce dernier ne produit aucun élément de nature à contrarier l’avis des troispraticiens qui ont pointé ces erreurs. D’ailleurs, le médecin n’a pas produit ne serait-ce qu’uneconsultation de la part d’un autre praticien pour infirmer les propos qu’il dénoncait en vain.

4.1.2.2. Appréciation de la gravité. Ces fautes de nature professionnelle étaient susceptiblesd’engager la responsabilité de l’employeur vis-à-vis des patientes ainsi traitées et justifiaient lasanction ainsi prononcée.

Le fait que ces erreurs n’aient engendré aucune conséquence dommageable n’est pas de natureà exonérer le Docteur Xavier de ses fautes.

En outre, interpellé par une infirmière sur l’aberration des traitements ordonnés, le médecinn’avait pas réagi, amenant celles-ci à faire appel au cadre-médecin afin de rectifier cette erreur deposologie.

4.2. Insuffisance professionnelle et faute

4.2.1. Argument du médecinL’insuffisance professionnelle ne constitue pas une faute grave. En qualifiant en l’espèce les

faits reprochés au salarié de fautes professionnelles, constituées par des erreurs de prescrip-tions médicales à l’égard de deux patientes, la cour caractérisait nécessairement une insuffisanceprofessionnelle, tout en décidant que le licenciement est fondé sur une faute grave.

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4.2.2. Réponse de la CourLe licenciement n’est pas prononcé pour une insuffisance professionnelle, mais pour des erreurs

reprochées qui traduisent une grave négligence mettant en péril la santé de patients.

4.3. Faute mais absence de départ immédiat

4.3.1. Argument du médecinLa faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Or,

l’employeur s’était pas privé de la possibilité d’invoquer une faute grave en maintenant le salariédans ses fonctions et en le laissant continuer à assurer seul, pendant plus de quinze jours, desgardes au sein de la clinique, au cours desquelles il était susceptible d’engager la responsabilitéde cette dernière par ses actes.

4.3.2. Réponse de la CourL’employeur n’est pas tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d’engager la

procédure de licenciement pour faute grave d’autant que l’employeur devait s’assurer au préalablede la réalité et de la gravité des faits dénoncés et que le Docteur Xavier avait posé des congés du11 au 17 avril 2010.

Dans la mesure où les erreurs reprochées au praticien procédaient d’une grave négligencemettant en péril la santé de patientes, ce manquement aux obligations professionnelles constituaitune faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, peu important quecelui-ci n’ait pas fait l’objet d’une mesure de mise à pied. De plus, la procédure de licenciementa été engagée dès que l’employeur a été en mesure de connaître la réalité et la gravité des faits.