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1Chapitre 1 Une forte croissance inégalement répartie Malgré tous les aléas conjonctu- rels, d’ordre socio-économique ou géopolitique, la fréquentation touristique internationale et, plus largement encore, les activités de vacances et de loisirs ne cessent de croître et de s’étendre. Toutefois, cela reste très étroitement lié à un «bouquet» de facteurs favorables encore très inégalement partagé selon les pays et les régions d’accueil dans le monde. 1. L’explosion touristique récente 1.1. Un rythme soutenu et rapide 1.2. Un « bouquet » de facteurs favorables 2. Une inégale répartition géographique 2.1. Au niveau des foyers et des flux émetteurs 2.2. Le cas particulier des croisières © 2003 Pearson Education France - Géographie du tourisme

Une forte croissance inégalement répartie18 Chapitre 1 – Une forte croissance inégalement répartie d’Européens du Nord et de l’Ouest (Wackermann G., 1973), le flux occi-

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1Chapitre 1

Une forte croissance inégalement répartie

Malgré tous les aléas conjonctu-rels, d’ordre socio-économique ougéopolitique, la fréquentationtouristique internationale et, pluslargement encore, les activités devacances et de loisirs ne cessent decroître et de s’étendre. Toutefois,cela reste très étroitement lié à un«bouquet» de facteurs favorablesencore très inégalement partagéselon les pays et les régionsd’accueil dans le monde.

1. L’explosion touristique récente

1.1. Un rythme soutenu et rapide

1.2. Un « bouquet » de facteurs favorables

2. Une inégale répartition géographique

2.1. Au niveau des foyers et des flux émetteurs

2.2. Le cas particulier des croisières

© 2003 Pearson Education France - Géographie du tourisme

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14 Chapitre 1 – Une forte croissance inégalement répartie

1. L’explosion touristique récente

Si le tourisme s’est spectaculairement développé au cours des dernièresdécennies, il n’en subsiste pas moins une forte inégalité quantitative etgéographique des flux émetteurs — c’est-à-dire des zones de départ. Onpeut le constater aux échelles planétaire, nationale, régionale et locale. Lacroissance reste soutenue malgré quelques ralentissements liés à desconjonctures générales plus ou moins favorables. Les déséquilibres socio-économiques et spatiaux restent importants.

1.1. Un rythme soutenu et rapideLe rythme de la croissance globale de la fréquentation touristique dans lemonde peut être comparé à celui de l’explosion démographique et dudéveloppement urbain du XXe siècle. Alors qu’on ne comptait pas plus de2 à 3 millions de villégiateurs privilégiés avant la Première Guerremondiale, on estimait déjà le nombre de touristes, c’est-à-dire de visi-teurs effectuant un déplacement nécessitant au moins une nuitée sur leurlieu de séjour touristique, à près de 50 millions au milieu du XXe siècle.L’accès aux vacances et aux loisirs, de plus en plus ouvert, en particulierdans les pays développés, a plus que décuplé le nombre de touristes dansle monde avec une spectaculaire accélération au cours de la décennie1990-2000, où l’on est passé de 461 117 000 à 697 400 000 arrivées pourle seul tourisme international (d’après l’O.M.T.).

En intégrant les touristes n’ayant effectué aucun déplacement en dehorsde leur pays de résidence, on peut évaluer à plus d’un milliard le nombretotal de touristes dans le monde en 2000. Si l’année 2001 a connu untassement exceptionnel — conséquence des attentats du 11 septembrecontre les États-Unis —, la barre des 700 millions d’arrivées internatio-nales a été franchie pour la première fois en 2002. Seules des crises excep-tionnelles et plus ou moins imprévisibles pourraient éventuellementcasser ou ralentir de façon significative l’explosion touristique en cours.

1.2. Un «bouquet» de facteurs favorablesCinq facteurs fondamentaux expliquent la croissance des loisirs touristi-ques (figure 2) :

• En premier lieu, il faut évoquer l’accès aux vacances et aux loisirs pour leplus grand nombre dans les pays les plus développés d’Europe, d’Améri-que du Nord, d’Asie (Japon, Taiwan) et d’Océanie (Australie, Nouvelle-

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Une inégale répartition géographique 15

Zélande). Ce qui, globalement, ne concerne pas plus d’un individu sursix dans le monde.

• L’augmentation du temps libre par rapport au temps de travail n’a faitque favoriser la multiplication des départs et des courts séjours. Parallè-lement, la diversification des pratiques de vacances et de loisirs a encou-ragé la recherche de nouvelles destinations.

• Les spectaculaires progrès techniques dans les transports et les infrastruc-tures de communication, conjugués à des offres aux prix de plus en plusattractifs, ont eu un impact déterminant sur la mondialisation de lafréquentation touristique.

• Le développement des structures d’accueil (hôtels, villages de vacances,campings…) représente plusieurs millions de lits dans le monde.

• Enfin, l’amélioration des conditions sanitaires et de la sécurité a été undes éléments essentiels au développement touristique.

Tous ces facteurs ont favorisé une véritable synergie de la croissance et dela mondialisation de la fréquentation touristique. Cependant, les progrèssocio-économiques et technologiques semblent avoir joué un rôle décisifdans l’augmentation du nombre des individus ayant accès aux loisirstouristiques et dans leur extension géographique.

2. Une inégale répartition géographique

Au-delà de la seule mondialisation des flux émetteurs, on constatetoujours l’inégalité de leur répartition géographique aussi bien au niveaudes foyers de départ que des flux d’arrivée. Les foyers et les flux majeurs

Figure 2 • Le «bouquet» des facteurs favorables au tourisme.

Accès auxvacances Temps libre

Progrèstechniques Hébergement

Conditionssanitaires

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sont toujours beaucoup plus concentrés que les foyers et les flux mineurs,parmi lesquels sont inclus les flux pionniers et marginaux.

2.1. Au niveau des foyers et des flux émetteursL’explosion de la fréquentation touristique ne saurait masquer l’inégale«mondialisation» des foyers et des flux émetteurs. Globalement, onobserve une forte concentration des foyers émetteurs à partir des centresurbains des pays comptant parmi les plus développés économiquement,socialement et techniquement. Les citadins représentent plus de 90 % destouristes, que ce soit à l’échelle nationale — on parle alors de tourismedomestique — ou à l’échelle internationale. Les grands foyers urbainsd’Europe et d’Amérique du Nord demeurent les principaux foyers émet-teurs, d’où sont partis plus des deux tiers des touristes en 2001. Plusprécisément encore, les grandes métropoles urbaines de l’Union euro-péenne, des États-Unis, du Canada et, dans une moindre mesure, duJapon, de Taiwan, de la Corée du sud, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande alimentent massivement et en permanence la plupart des fluxémetteurs touristiques mondiaux. Toutefois, on assiste à l’émergencerécente de nouveaux (et minoritaires) foyers émetteurs urbains dans despays actuellement en cours de développement comme la Chine et leBrésil, ou à partir des centres urbains localisés dans la partie européennede l’ex-bloc soviétique. Pour l’heure, les foyers émetteurs de la majoritédes pays en voie de développement ne contribuent que de façon margi-nale à l’émission de touristes, en complète contradiction avec leur poidsdémographique. La pérennité de la croissance de la fréquentation touris-tique mondiale dépendra certainement de l’accession plus ou moinsrapide aux activités touristiques des laissés-pour-compte de la société desloisirs.

En fonction du nombre et de l’origine géographique des touristes, il estpossible de distinguer au moins trois types de flux émetteurs (figure 3) :

• majeurs (de plus ou moins 10 millions par an) ;

• mineurs (de 1 à environ 5 millions par an) ;

• marginaux et pionniers (moins de 1 million par an).

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Une inégale répartition géographique 17

2.1.1. Les principaux flux émetteurs majeurs

Il s’agit des grands foyers émetteurs européens, qui représentaient plus dela moitié des départs à destinations touristiques dans le monde au débutdu XXIe siècle.

Soleil et merLes flux héliotropiques (vers le soleil) et balnéotropiques (en direction deslittoraux méditerranéens, atlantiques, de la Manche, ou encore des mers«froides» — mer du Nord et mer Baltique, Europe septentrionale) sonttrès largement majoritaires (Lozato Giotart J.-P., 2000). Chaque été, plusde 200 millions de vacanciers européens se précipitent vers les plages etles complexes balnéaires par divers moyens de transports, essentiellementterrestres, en empruntant souvent les mêmes axes et voies de communi-cation, plus ou moins encombrés lors des grands départs vacanciers esti-vaux. Parmi les principaux flux émetteurs majeurs, drainant plus de 10millions de touristes vers « l’or bleu», on distingue : le flux médian nord-sud (Rhin-Rhône-Méditerranée), par lequel transitent un grand nombre

Figure 3 • Répartition géographique des principaux flux émetteurs touristiques dans le monde en 2000 (sources : O.M.T. et O.N.T.T.).

AMÉRIQUE CENTRALEET CARAÏBES

AMÉRIQUE DU SUD

Patagonie, Antarctique

AlaskaScandinavie

Arctique

Russie, Cei

Asie,Polynésie

Méditerranéeoccidentale

Méditerranéeorientale

EUROPEASIE,

POLYNÉSIE

Polynésie

Amérique

Maghreb

Afrique

Flux-émetteur majeur (plus de 10 millions de touristes par an)

Flux-émetteur mineur (plus de 5 millions de touristes par an)

Flux-émetteur pionnier (0,1 à 1 millions de touristes par an)

EUROPEDE L'EST

Australie,Nouvelle-Zélande

UNIONEUROPÉENNEAMÉRIQUE

DU NORDASIE

(Toute l'Europe)

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d’Européens du Nord et de l’Ouest (Wackermann G., 1973), le flux occi-dental, entre les îles britanniques, le Bénélux et la péninsule ibérique enpassant plus ou moins par le carrefour parisien, et le flux oriental, par lavallée du Danube et les percées alpines, traversées principalement par lesAutrichiens et les Européens de l’Est à destination notamment des litto-raux adriatiques et des rivieras françaises et italiennes. Par rapport auxannées 80, le flux oriental s’est considérablement affaibli sur son flancsud, depuis l’effondrement du bloc soviétique, d’une part, et l’éclatementde l’ex-Yougoslavie, d’autre part. Les stations balnéaires du littoraldalmate, de la Mer Noire, de Roumanie et de Bulgarie sont presque sinis-trées, malgré la reprise partielle des activités touristiques en Croatie.

L’or blancParallèlement aux flux émetteurs majeurs, vers le soleil ou vers la mer, lesflux vers « l’or blanc» des montagnes ont véritablement explosé au coursdu dernier tiers du XXe siècle. Le spectaculaire et rapide aménagementdes stations alpines et, plus modestement, des stations pyrénéennes, agénéré d’importants flux émetteurs qui, chaque hiver, prennent le relaisdes flux émetteurs majeurs estivaux en empruntant pratiquement lesmêmes axes de transit. L’arc alpin, à lui seul, attire ainsi chaque hiver etchaque été près de 50 millions de skieurs et de touristes, ce qui en fait lapremière montagne touristique du monde. Le relatif et récent tassementdes flux vers « l’or blanc» semble dû à des hivers peu enneigés, à laconcurrence de destinations touristiques exotiques ensoleillées, aussibien qu’au vieillissement de la population européenne.

Flux urbainsEnfin, les flux émetteurs majeurs urbains, bien qu’anciens, sont en fortecroissance depuis une dizaine d’années. Depuis les premières analyses dutourisme en milieu urbain (Cazes G. ; Wall G. et Sinnott J., 1980 ; ValussiG. et Minca C., 1989), les villes, et plus particulièrement les grandes villes(Lozato Giotart J.-P., 2001), sont devenues des destinations touristiquesmajeures. À l’échelle mondiale, le tourisme urbain représenteaujourd’hui près du quart de la fréquentation touristique mondiale. Endeux décennies, ce taux a considérablement augmenté. Les métropolesurbaines les plus visitées sont finalement celles qui génèrent les plusimportants flux touristiques, qui sont étalés sur l’ensemble de l’année.Cependant, pendant les périodes de vacances, une partie de ces fluxprovient de pays tiers. Paris, premier pôle touristique urbain mondial, està l’origine d’un flux émetteur majeur drainant plus de 30 millions de visi-teurs en provenance du nord et, dans une moindre mesure, du sud du

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Une inégale répartition géographique 19

continent européen — Scandinaves, Allemands, Belges, Néerlandais,Britanniques, Tchèques, Polonais, Italiens, Espagnols et pratiquementtoutes les autres nationalités forment une sorte de flux émetteur continuà destination de la capitale française. Londres attire également plusieursdizaines de millions de touristes, selon un flux particulièrementconcentré sur le couloir maritime entre Douvres et la côte franco-belge.La rupture de charge maritime explique la concentration linéaire du fluxtouristique londonien, comparé à la dynamique nettement plus rapide duflux touristique parisien (figure 4).

Selon les conditions d’accessibilité et l’évolution du contexte socio-histo-rique, les flux émetteurs majeurs en direction des villes sont plus oumoins concentrés, plus ou moins linéaires et plus ou moins continus dansle temps et dans l’espace. Nous parlons ici des flux à destination deVenise, Rome, Vienne, Prague en Europe, de New York et San Franciscoen Amérique du Nord, de La Mecque et du Caire au Proche-Orient, deBangkok et Pékin en Asie. Toutes ces villes accueillent plus de 10 millionsde visiteurs chaque année. Le plus remarquable est que les flux émetteursmajeurs s’organisent entre les villes elles-mêmes. La concurrence entreces destinations passe de plus en plus par des stratégies de promotion etde marketing sur la plupart des marchés émetteurs urbains (figure 5).

Figure 4 • Types de flux émetteurs majeurs urbains (Paris, Londres).

Paris

Londres

Iles britanniques

Europe méridionale

Europe centrale

Côte

franc

o-be

lge

Europe septentrionale

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Certains flux émetteurs majeurs ont pour origine les plus importantsfoyers urbains des mégapoles nord-américaines (New York, Boston,Philadelphie), et la Californie (principalement Los Angeles et San Fran-cisco). Ces flux de touristes, plusieurs dizaines de millions étalés surl’ensemble de l’année, se dirigent soit vers les destinations balnéaires dela Floride et du golfe du Mexique, soit vers le Mexique, soit vers Hawaiiet l’Asie, soit, enfin, vers l’Europe par l’axe transatlantique. En Asie, denouveaux flux émetteurs de première importance sont apparus au coursde la dernière décennie du XXe siècle : à partir du Japon et, dans unpremier temps, en direction des destinations asiatiques «proches»,comme la Corée du Sud, Singapour et la Thaïlande, et, ensuite, versl’Europe, notamment vers Paris, Londres et Rome.

Le nouveau flux émetteur majeur japonais, qui n’était que marginal au début des années 80, est devenu le principal flux émetteur touristique depuis la mise en place, en 1987, du Tourism Action Program par le ministre des Transports et le vote de la diète japonaise, en 1990, réduisant le temps de travail (de 2 100 à 1 800 heures par an) et décrétant des congés annuels obligatoires. Plus des deux tiers des 20 millions de japonais sortant de leurs frontières choisissent prioritairement des destinations asiatiques, le tiers restant se partageant entre l’Europe et les États-Unis.

LosAngeles

Mexico

Montréal

New YorkSan

FranciscoNouvelle-Orléans

Miami

Boston

La Havane

Rio de Janeiro

Le CapBuenos Aires

Tokyo

Sydney

Pékin

ShangaïHongkong

Bangkok

Singapour

Manille

Londres

Rome

Stockholm

Paris

Le Caire

MadridLisbonne

Barcelone Athènes

Saint-Pétersbourg

BudapestIstanbul

PragueBerlin Moscou

+20

+50

+50

+150

Flux en millions de visiteurs pour l’année 2000

1 à 2 3 à 5 plus de 10 plus de 150+150

Figure 5 • Principaux flux touristiques des grandes villes dans le monde en 2000.

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Une inégale répartition géographique 21

2.1.2. Les flux émetteurs mineurs

Les flux émetteurs mineurs concentrent entre 1 et 5 millions depersonnes chaque année et se sont spectaculairement multipliés, contri-buant ainsi à la « mondialisation» du tourisme. La majorité d’entre euxsont issus des mêmes foyers émetteurs que la plupart des flux émetteursmajeurs. En Europe, on peut recenser des flux émetteurs mineurs entreles grands foyers émetteurs occidentaux et quelques destinations enEurope centrale (Prague et Budapest) et en Russie (Moscou et Saint-Pétersbourg). La rapide croissance des séjours touristiques en directiondes grandes villes d’art et d’histoire de l’ex-bloc soviétique semblepouvoir générer de nouveaux flux émetteurs majeurs européens infra-continentaux à très moyen terme. Des flux émetteurs mineurs, à partirdes grandes agglomérations, se développent au profit de destinationsproches, comme du bassin de Londres vers le sud de l’Angleterre ou de larégion parisienne vers le sud-est, l’ouest de la France et le Pays Basquefranco-espagnol. Les flux émetteurs mineurs peuvent également avoir desdestinations transfrontalières : c’est le cas des habitants des États-Unisqui se rendent au Mexique (Tijuana, Mexicali, Nogales, Ciudad Juarez,Nuevo Laredo) et des Chinois «d’outre-mer» ressortissants deHongkong, de Malaisie ou de Singapour qui vont en Chine. De l’Australieet de la Nouvelle-Zélande partent aussi des flux mineurs presque exclusi-vement dirigés vers les stations balnéaires «exotiques» des îles indoné-siennes (Bali) et thaïlandaises (Phuket). Des destinations prestigieuses,voire mythiques, telles que l’Égypte ou la Grèce, ne génèrent que des fluxémetteurs mineurs, comme le Maroc et la Tunisie. Cependant, on a purécemment constater une multiplication des flux émetteurs mineurs dansle monde, plus particulièrement à partir des grands centres urbains despays riches et de quelques centres urbains des pays en voie dedéveloppement : du Brésil et des villes du Rio de la Plata ou des grandesvilles sud-africaines vers les stations balnéaires voisines. Dans un mondede plus en plus sujet à de rapides et parfois spectaculaires changements,en fonction de nombreuses externalités géopolitiques et socio-économi-ques imprévisibles, la géographie des flux émetteurs peut enregistrerd’importantes variations. Par exemple, les guerres balkaniques desannées 90 et le conflit israélo-palestinien ont entraîné un tarissement desflux émetteurs vers les littoraux dalmate et israélien, de même que lesproblèmes politiques internes ont provoqué la réduction du nombre devisiteurs en Égypte (attentats) ou encore à Bali, à la suite des actes terro-ristes d’octobre 2002. Des régions réputées «calmes» peuvent soudaindevenir relativement «dangereuses» : toute projection des flux émetteursfuturs dans le monde exige donc une certaine prudence (y compris s’il

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s’agit de flux émetteurs majeurs, comme les flux émetteurs transatlanti-ques après la dramatique journée du 11 septembre 2001 à New York). Cesréserves faites, la tendance générale est donc à la multiplication des fluxémetteurs mineurs dans le monde, grâce aux nouvelles possibilitésd’accès aux destinations les plus variées, au moins pour les populationsqui en ont les moyens.

2.1.3. Les flux émetteurs marginaux et pionniers

Les flux émetteurs marginaux et pionniers rassemblent moins de1 million de touristes et, dans quelques cas exceptionnels, à peine quel-ques milliers. Ils se sont multipliés depuis quelques années. Seuls quel-ques exemples particulièrement remarquables illustrent les inégalités desflux émetteurs touristes à l’échelle mondiale. En Afrique noire, au sud duSahara, la plupart des tours-opérateurs, ou voyagistes, contrôlent des fluxémetteurs marginaux, d’origine essentiellement européenne, à destina-tion des réserves-safaris kenyanes ou sud-africaines. Il en est de mêmedans le monde indien, comme au Népal, et la Chine, en dehors des desti-nations principales. Sont aussi marginaux les flux émetteurs qui, à partirde l’Europe ou de l’Amérique du Nord, sont dirigés vers les îles «d’or»intertropicales comme la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, lesGrenades dans les Antilles, les Bahamas, la Jamaïque, Cuba dans lesCaraïbes, l’île Maurice, l’île de la Réunion, les Seychelles et les Maldivesdans l’océan Indien, ou encore Tahiti en Polynésie. La liste des flux émet-teurs marginaux ne cesse de s’allonger, témoignant de l’inexorable exten-sion du tourisme sur la planète.

Les flux émetteurs pionniers sont à la fois négligeables sur le plan quan-titatif et très limités sur le plan géographique. Globalement, il s’agitpresque toujours de flux quasi confidentiels, si l’on considère les quelquesmilliers de touristes qu’ils drainent, à partir de quelques grands centresurbains européens et nord-américains, et à destination essentiellementde lieux mythiques peu fréquentés et difficiles d’accès. La route de la soie,du Xinjiang chinois jusqu’à l’ancienne Perse, l’île de Pâques ou la croi-sière antarctique en sont les plus spectaculaires illustrations. D’autres«fronts touristiques pionniers» semblent capables de générer denouveaux flux en Amazonie, en Sibérie, dans le Grand Nord canadien, enLaponie et au Sahara. Il n’y a pas que le tourisme de « l’extrême» quialimente les flux émetteurs pionniers : c’est, parfois aussi, le cas de desti-nations qui s’ouvrent lentement au tourisme, comme le Yémen, le Qatar,la Birmanie, l’Arménie ou l’Ouzbékistan.

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Une inégale répartition géographique 23

2.2. Le cas particulier des croisières

2.2.1. L’explosion de la fréquentation

Si les grandes traversées transatlantiques, à bord du France ou du QueenElisabeth, ont longtemps été réservées à une élite sociale, les croisièresmaritimes uniquement touristiques sont en pleine expansion depuis unequinzaine d’années. Face à une demande massive, l’offre s’est multipliéegrâce à la construction de dizaines d’énormes navires, de 1 500 à près de3 000 places, sans compter l’équipage. Hôtels et parcs d’attraction flot-tants emportent toujours plus de touristes-croisiéristes vers des merstropicales et, dans une moindre mesure, vers quelques mers froides,polaires et subpolaires. On est passé de 200 000 croisiéristes dans lesannées 60 à plus de 10 millions de clients au début du XXIe siècle(figure 6).

Ce cycle de croissance explosif, entre 5 et 10 % selon les années, a entraînéla construction de navires toujours plus modernes et ludiques, tels que leSouverain des Mers. La clientèle plus aisée ou plus motivée par des croi-sières «sur mesure» préfère s’adresser aux armateurs propriétaires de

Antarctique

Pol

ynés

ieH

awai

i 7 millions

0,8 mi.

1 mi.

Arctique

Polynésie

Grandes croisières traditionnellesCroisières pionnièresCabotage touristique

Zones maritimes de forte concentrationnavale + problèmes d'environnement

0 4 000 km

Figure 6 • Les croisières maritimes dans le monde : flux et répartition géographique en 2000 (sources O.M.T. et Croisimer).

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24 Chapitre 1 – Une forte croissance inégalement répartie

navires plus petits, mais aux structures originales, comme les « voiliers»modernes (le Club Med II, par exemple). La diversification des types denavires est elle-même significative du fort et rapide développement descroisières maritimes à vocation touristique. Si rien ne vient compro-mettre cette évolution, le nombre de croisiéristes pourrait doubler dansles années 2010-2015. Dans cette perspective, des chantiers navals fran-çais (Saint-Nazaire, par exemple), italiens, scandinaves, coréens et japo-nais sont actuellement submergés de commandes de la part des plusgrands armateurs, tels que Carnival, Royal Caribbean Cruises et P&O.

2.2.2. Des flux émetteurs particuliers

Il semble a priori difficile de cerner avec exactitude la réalitégéographique des flux émetteurs relatifs aux croisières touristiques mari-times. En effet, les clients sont dispersés géographiquement et rejoignentles ports d’embarquement soit individuellement, soit par charters aériensaffrétés par les compagnies de croisières elles-mêmes, en accord avec destours-opérateurs qui en assurent la distribution commerciale. Les princi-paux flux émetteurs d’embarquement correspondent donc très étroite-ment à quelques grands ports en Floride (Miami), dans les Caraïbes(Nassau, Kingston) (Laxton L.J. et Butler R.N., 1987), en Méditerranée(Marseille, Gênes, Venise, Athènes), en Polynésie (Tahiti) et en Asie(Manille, Singapour, Hongkong).

Miami, par exemple, concentre près du tiers de l’effectif mondial descroisiéristes dont le flux émetteur n’est interrompu que pendant la saisondes pluies et des ouragans estivaux. Seules les contraintes climatiquesexpliquent l’interruption des croisières en milieu tropical ou en milieufroid. L’ambiguïté des flux émetteurs des croisières touristiques mari-times est liée à la nature même du «produit», qui est à la fois un moyende transport, un hôtel-restaurant et un «resort» ludique. La polyvalenceet l’autonomie dans ses déplacements rend difficile la comparaison d’unnavire de croisière avec les moyens de transports touristiques terrestres.On peut souligner une inégalité quantitative et géographique des flux decroisières entre l’aire Caraïbes (70 % de la fréquentation mondiale) et lesaires méditerranéennes (10 %) et asiatiques (20 %) (figure 6).

Cependant, la Méditerranée enregistre la plus forte croissance depuis1995, malgré la prééminence des Caraïbes favorisée par la proximité desgrands foyers émetteurs nord-américains et les chapelets insulaires desCaraïbes et des Antilles, plus nombreux et plus exotiques qu’en Médité-rranée. Les croisières maritimes « froides», vers les fjords scandinaves etl’Arctique, ne représentent que des flux émetteurs encore marginaux,

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Persistance des inégalités 25

malgré, tout de même, le million de croisiéristes embarqués pour ladécouverte de l’Alaska.

3. Persistance des inégalités

L’analyse des foyers et des flux émetteurs touristiques fait ressortir lespoints suivants :

• La majorité des foyers et des flux émetteurs touristiques sont localisésdans les pays riches d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Asie et d’Océanie.Il s’agit des sociétés libérales dont l’économie de masse permet au plusgrand nombre de profiter de la réduction de l’espace-temps et del’espace-coût. On peut même avancer idée que l’explosion de lafréquentation touristique correspond à une véritable révolution touris-tique, qui est peut-être une phase de transition vers la société des loisirspostindustrielle.

• Les grands foyers et les flux émetteurs touristiques majeurs dominants,malgré leur diversification et leur extension, sont demeurés relative-ment stables au niveau géographique, au profit des plus grands centresurbains. Le plus souvent, on retrouve les mêmes foyers émetteurs àl’origine de la plupart des flux émetteurs dans le monde. Les mêmestouristes effectuent plusieurs voyages, tant dans l’espace que dans letemps, d’où une «mondialisation» touristique beaucoup plus apparenteque réellement partagée entre pays riches et pays pauvres.

• On retrouve presque toujours l’influence des mythes et des espacesimaginés combinée à celle des conditions naturelles dans la justificationdu désir touristique. Balnéotropisme et héliotropisme, tourisme urbain(art, histoire, congrès, affaires) et croisières touristiques maritimes sonttoujours à l’origine de l’écrasante majorité des foyers émetteurs touris-tiques dans le monde. D’où la pérennité, encore aujourd’hui, des inéga-lités géographiques de la fréquentation touristique dans le monde.