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PIERRE LEGRAND

Une sacrée garce

BeQ

Pierre Legrand

Diane la belle aventurière # NS-10

Une sacrée garceroman

La Bibliothèque électronique du QuébecCollection Littérature québécoise

Volume 541 : version 1.0

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Une sacrée garce

Collection Diane la belle aventurièregracieuseté de Jean Layette

http ://www.editions-police-journal.besaba.com/

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Caractères principaux de ce récit à l’intention de nos nouveaux lecteurs

DIANE ROY : Jeune et jolie journaliste dont l’abondante chevelure rousse, la taille svelte, et la beauté plastique font depuis longtemps tournoyer les cœurs amoureux de Michel Dupuis et Yvan Pascal. Orpheline, Diane fut adoptée légalement par Ben Laurie, un ami de son père. Devenue journaliste, elle n’a pas son pareil pour damer le pion à ses camarades. Douée d’un cœur d’aventurière, Diane aime le danger et chaque minute de sa vie est remplie d’aventures qu’elle adore.

MICHEL DUPUIS : Autrefois journaliste de métier, maintenant riche et investigateur privé, Michel Dupuis est bel homme et surtout amoureux fou de Diane Roy, son ancienne compagne de travail. Malgré son amour profond pour la belle journaliste, Michel est parfois

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volage. Il a la faiblesse de tomber amoureux de toutes les jolies filles qui se trouvent sur son chemin.

Personnages épisodiques

YVAN PASCAL : Lieutenant de la police de la sûreté municipale de la cité de Montréal, Yvan Pascal possède un corps d’athlète, un cœur d’or et un courage à toute épreuve. Son idéal serait d’épouser Diane, obtenir une promotion et élever une grosse famille en compagnie de la journaliste de ses rêves. Les péripéties aventureuses de la jeune fille l’énervent constamment et lui causent parfois beaucoup d’ennuis. Sous cette carcasse rude, le jeune policier possède un tendre cœur qui bat uniquement pour Diane Roy.

ARCHIBALD COOPER : Propriétaire du journal La Trompette. Très riche, il adore Diane qui lui a parfois causé beaucoup de soucis. Quelques malentendus sont survenus et il a perdu les

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services de Diane qui est cependant demeurer une amie. Elle est toujours journaliste de métier et Archie, comme l’appellent ses intimes, bénéficie des scoops que la belle aventurière lui apporte.

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I

Diane, après un sommeil réparateur, se préparait à honorer un déjeuner gargantuesque, lorsque le téléphone fit entendre son grésillement désagréable dans la pièce d’à côté. Elle se leva en soupirant, se rendit dans le vivoir mais se réjouit en reconnaissant la voix chaude à l’appareil.

– C’est toi, Yvan, fit-elle de sa voix chantante. Je te croyais mort. Depuis le temps qu’on s’est vu. Toujours célibataire ?

– Oui, toujours et tu sais qu’il ne dépend que de toi pour combler cette lacune. Qu’est-ce que tu deviens ?

– Je me momifie, mon cher, très exactement.. Il n’y a rien à faire au journal, que des reportages ennuyeux cadrant avec la saison estivale. Montréal n’est plus Montréal ; on ne se tue plus. Bref c’est l’ennui le plus profond. Et toi ?

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– Oh ! moi, je travaille sur des affaires harassantes avec la moitié du personnel ; l’autre moitié étant régulièrement en vacances. Tu as vu, Michel Dupuis ?

– Il vient faire son tour au journal. Il est très pris, lui pour faire exception. Enquêtes pour causes de divorce, surveillances de magasins et de manufactures, le petit boulot quoi. Non mais vraiment Yvan, tu n’as pas une bonne petite affaire à me mettre sous la dent.

– Justement, peut-être, fit le policier. Et c’est à ce sujet que je te téléphone. J’ai un travail particulier, très délicat à faire faire et je ne sais vraiment pas à qui le confier. Dis donc, on pourrait peut-être se voir aujourd’hui ?

– Bien sûr, quelle heure ?– Disons une heure, cet après-midi.– Je serai là.– Je t’attends. Salut.– À tantôt, Yvan.Diane accrocha et, dédaignant son déjeuner à

présent, se jeta sous la douche. Puis elle se vêtit

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d’un tailleur vert nil, donna un coup de peigne à sa rutilante chevelure rousse, quitta l’appartement, se rendit chez Dupuis Frères faire des emplettes au comptoir de la lingerie, dîna d’une pizza-maison chez Da Giovanni et se présenta finalement à une heure tapant au bureau du lieutenant Yvan Pascal.

– Assieds-toi, j’en ai tout juste pour un moment. Tu es ravissante comme toujours. C’est vraiment de la folie que de rester célibataire lorsqu’on est muni des atouts qui sont les tiens. Pense à l’homme qui hériterait de tout ça !

Après cette brutale et directe entrée en matière, le policier décrocha le combiné et se mit à parler de choses obscures à voix basse. Puis il accrocha, sourit et demanda :

– Qu’est-ce que tu dirais de t’occuper pour moi d’une affaire... heu... qui sort un peu des cadres, qui n’est pas officielle et que je ne puis confier à un flic régulier.

– Ça m’intéresserait peut-être... de quoi s’agit-il au juste ?

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– Il s’agirait d’entrer dans l’intimité d’un personnage important de la cité pour découvrir pourquoi il a besoin d’un tueur à gages.

– Est-ce que j’ai bien compris ? demanda l’aventurière incrédule.

– Tu as parfaitement compris. Admets que ce n’est pas un boulot que l’on peut se payer tous les jours. La façon dont cette affaire m’est parvenue est singulière aussi. Au cours d’une rafle dans une maison de jeu, les agents, qui faisaient le raid, mirent la main sur un personnage important.

– Qui ?– Tim Howler.– Connais pas, fit Diane.– Moi je ne le connais que trop, grogna le

limier. Tim Howler est un tueur à gages qui possède son domicile à New-York. Pourquoi est-il venu à Montréal, cherche. Il a été soupçonné d’avoir descendu une bonne demi-douzaine de monsieurs devenus subitement indésirables mais sans pour cela que nous arrivions à lui faire coller une accusation sur le dos. On savait que c’était

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lui qui tuait, tu comprends, mais on n’avait aucune preuve pour étayer ce soupçon. Seulement sa façon de travailler qui nous est connue nous faisait penser à lui. Il joue du couteau, tu comprends. Trois petits coups dans le dos, jamais moins que trois et l’on rayait le client de la liste des vivants.

– Joli personnage.Pascal écrasa sa cigarette dans un cendrier de

verre et enchaîna :– Alors voilà donc que Howler se fait attraper

dans une innocente descente dans une barbotte. Je n’aurais probablement jamais été prévenu de la chose sans la carte d’affaire que l’on a trouvée dans ses poches. Tiens, regarde toi-même.

Et le policier tendit une carte maculée à l’aventurière.

– Louis Dumoulin, import-export, lut la jeune femme.

– Ça te dit quelque chose ? questionna Pascal.– Mais non...– Alors laisse-moi te mettre à la page.

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Dumoulin n’est pas seulement un importateur, il est également un citoyen éminent. En plus d’être immensément riche, il appartient à une foule de clubs et organisations, fait de la politique d’une façon active ; il a même été approché pour se présenter à la mairie. Outre sa maison d’importation, il est le propriétaire d’un petit bar exclusif pour les gens qui aiment les bateaux. Le Bar Nautique que ça s’appelle. Rien d’irrégulier de ce côté-là. Chaque année il fait des dons généreux aux œuvres de charité, il siège même au conseil d’un petit hôpital et je sais qu’il fait partie du cabinet de direction d’une bonne demi-douzaine d’entreprises florissantes. Tu vois le genre ?

– Un peu, oui, fit l’aventurière en hochant la tête.

– Et voilà le coup de tonnerre dans un beau ciel de juillet. Dans la poche d’un tueur à gages on trouve la carte d’affaire de cet éminent personnage. Avoue qu’il y a de quoi faire perdre le souffle. Tout de suite la question se pose : Howler a-t-il été engagé pour tuer Dumoulin ? Ce

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qui paraît invraisemblable ; je ne crois pas que les héritiers de Dumoulin soient à ce point affamés. À moins que l’on fasse fausse route et que c’est plutôt Dumoulin qui ait engagé Howler pour le débarrasser d’un gêneur. Cela non plus ne tient pas debout : Comment un homme de la qualité de monsieur Dumoulin serait-il venu en contact avec un type du calibre de Howler. Et puis, de qui Dumoulin voudrait-il être débarrassé ; il n’a que des relations mondaines ou financières du plus haut standing. Tu vois, c’est à y perdre la raison.

– C’est étrange en effet.– À cause de la personnalité de Dumoulin, j’ai

reçu l’ordre de pallier aux plus urgents ; en d’autres termes on me demande d’éviter la tragédie. C’est extrêmement difficile puisque je ne sais absolument rien. Tu penses que Howler n’a pas été bavard malgré l’interrogatoire serré qu’on lui a fait subir. Donc...

Et il répéta :– Donc, Diane, c’est à ce point que tu entres

dans le décor. Dumoulin marié, père de deux enfants, ne crache pas sur un morceau de choix à

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ce qu’on me dit. L’affaire était traitée secrètement, cela va de soi. Je voudrais...

– Tu voudrais que j’aille au Bar Nautique ou ailleurs, que je fasse la connaissance de Dumoulin et que je découvre à quoi rime cette histoire de cartes d’affaires dans la poche d’un tueur à gages.

– Et de prévenir le pire, oui, c’est cela. Tu comprends à présent pourquoi je ne puis confier l’affaire à une femme police : Dumoulin est trop intelligent, il ne tomberait jamais dans un panneau aussi grossier. Non, ce qu’il faut c’est une femme pour laquelle il s’emballerait. Je crois t’avoir dit à plusieurs reprises, Diane, que tu as un sex-appeal capable de dégeler un mammouth pris dans un bloc de glace depuis les temps préhistoriques.

– Merci.– Et je te sais assez intelligente et rusée pour

ne pas mettre ta jolie peau en danger.– Je l’espère.– Cela veut-il dire que tu acceptes ?

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– En principe oui. Tu as une photo de Dumoulin ?

– J’ai mieux que ça : une photo de Dumoulin et une autre de Howler.

Diane regarda le visage impavide du tueur et frissonna :

– Rien qu’à le voir, j’en ai la chair de poule.Mais elle rangea les deux photos dans son sac

de cuir.– Comment espères-tu entrer en contact avec

Dumoulin ? demanda Yvan Pascal.– Par le truchement de mon métier, répondit

l’aventurière. Je vais aller faire un reportage sur le Club Nautique, Cela ne manquera sûrement pas de plaire à Dumoulin. Après cela...

– C’est épatant. J’aurais du mal à trouver mieux, s’exclama le limier. Quand comptes-tu t’y rendre ?

– Ce soir vers neuf heures. Yvan... tu ne m’as pas parlé de la famille de Dumoulin ?

– Est-ce important ? Dumoulin est marié à une

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jolie femme dont la photo paraît régulièrement dans la section féminine des grands quotidiens. Tu vois le genre, hein ? Femme riche, esseulée, qui s’active dans diverses organisations. Petit bal par ici, grand bal par là au profit de l’association des femmes qui n’ont péché qu’une fois. Il a deux enfants, un garçon et une fille. De la fille je sais rien, le garçon est un sportsman et un yatchman de grande classe, un fils de millionnaire comme ils le sont tous.

– Oui.– Dumoulin les comble et ils n’ont pas besoin

de leur héritage.– Ah !Pascal n’avait plus rien à ajouter. Une affaire

le réclamant il congédia l’aventurière sur un petit geste accompagné d’un sourire. Diane quitta la sûreté, se rendit au journal où elle tomba sur Michel qui essayait de la contacter depuis le matin.

– J’aurais besoin de toi ma petite Didi, fit le détective privé. Tu es libre ?

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– Non... malheureusement.– Cooper me dit que tu n’as rien à faire par ces

temps-ci.– Au contraire, je viens justement d’accepter

de travailler à une affaire pour Yvan.– Yvan ! grogna le détective privé. Quand est-

ce qu’il va apprendre à faire son boulot tout seul celui-là ?

– Le même jour que toi, Michel, rétorqua l’aventurière en riant.

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II

Louis Dumoulin était un homme aux cheveux gris et aux yeux bleus étonnamment purs. Sanglé dans un complet de ville, le port altier, il pouvait à la rigueur accuser une cinquantaine d’années mais Diane savait qu’il avait franchi le cap de la soixantaine. Pour le moment il regardait avec intérêt la jeune femme qui lui avait appris son intention de faire un reportage sur le Club Nautique.

Il n’y avait à cette heure-là que peu de clients dans le petit bar sélect. Le barman fixait un drink avec mélancolie tandis que le juke-box émettait une rumba lente, lamentable.

Appuyé du coude au comptoir, le buste légèrement penché vers son interlocutrice, le yatchman détaillait avec intérêt le corps moulé dans le tailleur pâle, la poitrine généreuse, la taille pincée juste comme il se doit.

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– Comment vous est venue cette idée ? demanda-t-il de sa voix grave.

– Un reportage de fin de saison, répondit Diane. Vous ne voyez pas d’inconvénients j’espère.

– Mais non, pas du tout... au contraire..Puis se tournant vers le barman, il commanda :– La même chose.Puis, pour Diane :– Si vous veniez dans mon bureau, nous

serions plus à l’aise pour causer.– Volontiers.Le bureau était meublé archi-moderne : table

en arc de noyer américain, éclairage indirect, immense sofa crème occupant tout un pan de mur.

– Vous avez votre carte de journaliste ? Pardonnez-moi cette exigence mais vous ne savez pas combien il y a de gens pour me relancer chaque jour.

Diane avait tendu sa carte de presse. Il

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l’examina d’un coup d’œil bref et la remit à sa propriétaire.

– Excusez-moi encore une fois... Maintenant que puis-je faire pour vous être agréable ?

– Vous pouvez me dire quand le club a été fondé, quels sont les principaux membres et quels sont vos objectifs. Puis elle ajouta :

– Je sais déjà que le bar n’est qu’un lieu de rencontre et que le club Nautique est une organisation très active qui s’occupe à des projets très précis.

– Et vous avez parfaitement raison. Le club a pour objet de grouper les vrais yatchmen du pays pour leur intérêt commun. L’an dernier, le rassemblement eut lieu à Haïti. Nous n’acceptons que des propriétaires dont les embarcations peuvent tenir la mer. Il se fait un choix très serré aussi quant à la qualité du membre, n’est-ce pas. Notre idéal est...

Un léger frappement à la porte obligea Louis Dumoulin à s’interrompre.

– Excusez-moi, fit-il.

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Puis il sortit du bureau. Lorsqu’il revint une demi-heure plus tard il paraissait soucieux.

– Je n’ai pas compris votre nom, dit-il en s’assoyant lourdement derrière le bureau. Vous êtes mademoiselle ?

– Diane Roy.– J’aurais dû savoir. Votre nom ne m’est pas

inconnu. J’ai lu tous vos reportages qui sont à vrai dire plus sensationnels les uns que les autres. Mais comment se fait-il qu’une journaliste de votre calibre s’intéresse à une organisation aussi... heu... pacifique que le Cluc Nautique que je dirige ?

– Disons que les grandes affaires se font rares par les temps qui courent.

– Oui, oui... bien sûr...Mais il semblait fortement contrarié et Diane

se demanda si en sortant du bureau plus tôt, il n’était pas allé au-devant d’une nouvelle désagréable.

Il revint sur terre.– Mademoiselle Roy, une idée bizarre vient de

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me frapper. J’aurais peut-être une faveur à vous demander.

– À moi ? lança l’aventurière, surprise.– Oui, à vous justement, parce que vous êtes

ce que vous êtes : Diane Roy. Il y aurait une affaire dont j’aimerais vous charger.

– Mais... je ne comprends pas.– Je vous paierais bien. Il s’agirait de retrouver

quelqu’un.– Et vous ne pouvez pas vous adresser à la

police ?– Non, justement.Et en guise d’explication, Dumoulin ajouta :– C’est une affaire assez particulière.La situation avait son piquant. Diane, chargée

d’enquêter sur la personne du yatchman, voyait celui-ci lui proposer également une enquête. Mais y avait-il un joint entre les deux ? Elle se promit, en battant des paupières, de laisser Dumoulin aller jusqu’au bout.

– Je ne puis pas vous parler ici, fit le

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yatchman. Peut-être accepteriez-vous de venir chez moi. Disons... demain.

– Bien sûr. Je puis confier mon reportage à un autre journaliste ?

– Naturellement. Qu’il vienne me voir demain et je lui dirai tout ce qu’il voudra savoir. Vraiment, vous acceptez de m’aider ?

– Mais bien sûr.– Sortons, voulez-vous.Mais sur le seuil du bar, Dumoulin s’arrêta en

étreignant le bras de sa compagne, et il dit d’une voix triste :

– J’aurais aimé que vous fassiez connaissance avec mon fils d’une autre façon.

Un jeune homme, que Diane jugea fort beau, argumentait avec le barman et il était en apparence ivre-mort.

– Assoyez-vous là un tout petit instant, je vais voir ce que je puis faire.

Il traversa le bar et alla toucher à l’épaule de son fils.

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– Marc, il faudrait penser à rentrer.– Fous-moi la paix, fit l’autre d’une voix

pâteuse.– Tu as assez bu. Viens.– Fous-moi la paix.– Henri, aide-le jusqu’à ma voiture, je vais le

raccompagner.– Bien, fit le barman.Le jeune homme, étrangement, se laissa

amener. Dumoulin revint auprès de Diane avec un air navré.

– Il faut que je m’occupe de mon fils. Il ne sait pas boire. Je dois aller le conduire. Vous me pardonnerez ce retard, n’est-ce pas ? Nous nous reverrons demain. Donnez-moi votre numéro de téléphone, je vous appellerai.

Diane s’exécuta, Dumoulin fourra le papier dans sa poche, s’excusa une seconde fois et sortit du bar.

Comme le barman était absent et qu’il n’y avait pas de garçons de table, Diane décida de

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jouer le tout pour le tout. Elle pouvait se faufiler dans le bureau de Dumoulin avant le retour du waiter. Dans le bureau, une porte latérale devait donner sur le parc de voitures qu’elle avait remarqué à la droite du bar, et en cas de surprise, elle pouvait toujours filer par là. D’ailleurs c’était justement dans ce parc qu’elle avait garé sa propre voiture.

Elle se leva et se dirigea en apparence vers les toilettes mais une fois sortie du bar elle fila droit au bureau de Dumoulin dont elle referma la porte derrière elle.

Pour quiconque a le métier d’enquêteur ou de détective privé, un bureau ne peut être qu’un objet affolant. Tous ses tiroirs et toutes les choses que les gens peuvent fourrer dans un tiroir. Par exemple, Diane en ouvrant le premier fut confrontée avec un colt .45 chargé. Qu’est-ce que Dumoulin pouvait avoir besoin d’un Colt ? Méthodiquement, lentement, elle fouillait chaque tiroir, remettant chaque chose à sa place, si bien que Dumoulin serait à un mille de découvrir que l’aventurière avait fait une perquisition en règle

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chez lui. Un cahier attira son attention qu’elle fourra dans son grand sac de cuir. Il ne contenait que des dates accompagnées du montant des sommes d’argent assez intéressantes. 3 juin : $25,000. 6 juillet : $30,000, etc., etc. Elle referma le dernier tiroir en poussant un soupir. À présent, c’était le temps de filer.

Elle allait le faire par la porte latérale lorsque trois petits coups frappés à celle-ci lui envoyèrent le cœur dans les talons.

Elle était coincée. Elle ne pouvait quitter le bar par la salle car le barman l’aurait vue et aurait rapporté la chose à Dumoulin. Et elle ne pouvait franchir la porte latérale à cause de l’inconnu qui y frappait.

Elle résolut d’ouvrir. Elle fournirait une explication quelconque et filerait.

Elle ouvrit, resta pétrifiée. L’homme qui se tenait sur le seuil était Tim Howler.

Le tueur.

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III

Si pour le lieutenant Pascal voir un tueur passait comme du petit lait, pour Diane cela la mettait dans des transes. Haletante, elle détaillait Tim Howler, qui, immobile, se tenait toujours sur le seuil de la porte. Le tueur allongeait sur six pieds une maigreur squelettique qu’un vêtement ample n’arrivait pas à dissimuler. Son teint était comateux, ses yeux chassieux et striés de jaune. Il devait souffrir du foie. Sa main droite était dangereusement enfouie dans la poche de son veston.

Howler s’était livré également à un examen détaillé de Diane mais son visage demeurait inexpressif.

Il demanda d’une voix gutturale :– Qu’est-ce que vous faites là ?– Je m’apprêtais justement à sortir, répondit

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l’aventurière d’une voix mal affermie.– Dumoulin n’est pas là ?– Non, il...– Qu’est-ce que vous faites dans son bureau

alors ?– J’étais venue reprendre mon sac que j’avais

oublié. Je partais justement.– Je n’aime pas ça, énonça le tueur. Nous

allons attendre Dumoulin.– Vous... vous risquez d’attendre longtemps

car il vient à peine de partir avec son fils qui en avait un peu trop dans les voiles, vous comprenez.

Si Howler comprenait, cela ne se voyait pas !Pour toute réponse, il extirpa sa main droite de

son veston, une main armée d’un revolver de petit calibre.

– Nous attendrons son retour ensemble, alors.– Mais il peut bien ne pas revenir.– Nous verrons bien. Reculez.

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Diane obéit et recula jusqu’au bureau. Le meuble contenait toujours le Colt .45 mais comment arriver à s’en servir. Il fallait qu’elle sorte de cette position fâcheuse. Qu’est-ce que dirait Dumoulin en apprenant de la bouche même de son tueur engagé qu’elle avait été prise furetant dans ses affaires ? Puis elle se rappela les paroles d’Yvan. Dumoulin n’avait peut-être pas engagé Howler. Peut-être alors était-il venu pour le descendre. Non, cela ne tenait plus à présent. La façon désinvolte dont se conduisait le tueur démontrait qu’il avait été en contact avec l’importateur auparavant. Il connaissait les airs. Dumoulin l’avait bel et bien engagé pour le débarrasser d’un encombrant.

Le barman sauva la situation en venant frapper à la porte.

– Il y a quelqu’un ? demanda-t-il d’une voix éraillée.

Howler avait immédiatement fait disparaître son arme, Diane en profita pour s’emparer du Colt.

– Ne bougez pas, ne faites rien, décréta-t-elle.

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Je vous laisse avec lui, s’il entre. À la prochaine.Elle se glissa hors du bureau par la porte

latérale, et descendit dans le parc où elle avait garé sa voiture.

Pour demain les explications. Elle inventerait une histoire pour Dumoulin. Le vieil homme après tout pouvait lui faire confiance. D’autant plus qu’il avait voulu lui confier une affaire.

Rendue chez elle, elle se jeta sous la douche. Rien de tel pour dissiper les restes d’émotions. Demain... demain il serait toujours temps d’aviser. Le sommeil la conquit rapidement et elle voguait dans un cauchemar affreux lorsque la sonnerie du téléphone la tira du lit.

C’était Dumoulin. Sa voix était transformée, faible et petite comme si elle passait à travers un écran de ouate.

– Mademoiselle Roy... venez vite... suppliait le propriétaire du Bar Nautique. Je me meurs. Je vous en supplie, venez vite.

– Monsieur Dumoulin, qu’est-ce qui se passe ?– Il faut que vous m’aidiez, venez...

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– Vous êtes chez vous ?– Oui.– J’arrive. Donnez-moi votre adresse.Elle conduisit à tombeau ouvert jusqu’à la

demeure princière de l’importateur. Tout était éteint sauf pour un carré de lumière laiteuse parvenant du premier. Elle activa le heurtoir avec frénésie. La porte s’ouvrit finalement sur un beau ténébreux, le fils même de Dumoulin, le garçon même qu’elle avait vu sortir du bar en tanguant dangereusement.

– Où est votre père ? demanda-t-elle en le poussant dans la poitrine pour se faire un chemin à l’intérieur.

– Mon père ? Mais il est couché. Mais qu’est-ce que vous venez faire à une heure pareille !

– Vous ne l’avez pas vu ?– Il est couché que je vous dis. Écoutez

mademoiselle, c’est votre petite folie que de venir réveiller les gens à une heure du matin ?

– Ôtez-vous. Conduisez-moi plutôt à sa chambre.

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– Je ne ferai rien de tel, pas avant du moins que vous vous soyez expliquée.

– Alors, puisqu’il faut prendre les grands moyens, fit Diane en faisant jaillir le Colt de son sac.

– Mais...– Je suis Diane Roy...– La journaliste ?– Exactement. Votre père voulait me confier

une affaire urgente. Il m’a téléphoné il y a une heure pour me dire qu’on l’assassinait.

– Quoi ! fit le jeune homme en chancelant.– C’est la vérité. Conduisez-moi auprès de lui.– Il est dans sa chambre, je vous le répète.– Il peut me téléphoner de là ?– Oui, il y a un appareil.– Alors, allons vite.La porte était fermée à clef et de l’intérieur.

Diane frappa dedans à grands coups de crosse. Son tintamarre amena une jeune fille dans le

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couloir.– Marc, qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-

elle d’une voix effrayée.– Je ne sais pas, répondit le garçon.– Il y a un verrou à l’intérieur ? demanda

Diane.– Oui.– Alors, il faut faire sauter la porte. Allez

chercher un tournevis.Lorsque Marc Dumoulin fut revenu, Diane lui

désigna les charnières fixant la porte au chambranle.

– Et faites vite, Seigneur.La porte roula bientôt hors de ses gonds.

Diane était arrivée trop tard. Dumoulin reposait sur le tapis dans une nappe de sang. Un poignard blanc ressortait d’entre ses omoplates enfoncé jusqu’à la garde.

– Il a dû passer par la fenêtre...Mais on était au deuxième et la surface du mur

était lisse comme un miroir. Il n’y avait pas de

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balcon et aucune branche d’arbre n’offrait un chemin possible à l’assassin. De plus, la fenêtre était verrouillée de l’intérieur et les carreaux étaient intacts.

– Mais comment a-t-il pu entrer ?Un cri de femme stria l’air déjà lourd du

drame. Se retournant, Diane aperçut une femme écrasée sur le chambranle de la porte.

– Maman ne reste pas là, dit Marc d’une voix blanche. Il est arrivé quelque chose à papa.

Par-dessus l’épaule de la femme, on pouvait voir la jeune fille qui était demeurée dans le couloir.

– Conduisez-les toutes les deux en bas, demanda Diane. Laissez-moi un instant ici.

Marc Dumoulin obéit. Seul devant le cadavre de l’homme qu’elle avait eu pour mission de protéger, Diane essaya de résoudre le problème de la chambre fermée. Car, comment l’assassin avait-il pu pénétrer jusqu’auprès de la victime ? Au bout d’un quart d’heure cependant, elle dut admettre que le problème, le mystère, demeurait

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entier. Elle se pencha sur le corps de la victime. Dumoulin avait été poignardé à trois reprises. Elle fouilla rapidement ses poches. Rien. Elle se releva en soupirant. À présent, il fallait s’occuper des autres. Elle descendit au rez-de-chaussée et trouva le trio figé dans la bibliothèque.

Marc Dumoulin se leva à son approche.– Il ne reste plus qu’à téléphoner à la police,

lui dit Diane.La femme échappa un sanglot. Elle n’accusait

pas son âge et le déshabillé bleu qu’elle portait contribuait encore plus à la rajeunir.

– Je suis désolée, lui dit Diane. Votre mari... m’a téléphoné cette nuit.

– Cette nuit ? fit la femme les yeux perdus.– Il voulait me confier une affaire. Je ne sais

pas de quoi il s’agit. Peut-être...– Non, je ne sais rien, répondit la femme.Les poings fermés sur ses genoux, la jeune

fille ne trouvait rien à dire. Elle ne pleurait pas mais ses yeux exorbités parlaient du drame intérieur qui la tenaillait.

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– Il y a un téléphone ? demanda Diane.– Suivez-moi, fit le garçon.Il conduisit Diane dans la pièce voisine, un

petit bureau et l’aventurière téléphona au domicile de Yvan Pascal.

– Oui, allô, fit celui-ci d’une voix pâteuse.– Yvan, c’est Diane. Viens me rejoindre

immédiatement : Louis Dumoulin est mort.– Quoi ?– Il a été assassiné il y a moins d’une heure.

D’une façon impossible...– Impossible, mais que veux-tu dire ? Et puis

comment se fait-il que tu saches ? Je t’avais demandé d’approcher Dumoulin en douceur.

– Je t’expliquerai quand tu seras là. Amène-toi vite.

– Bon, c’est bon, grogna le limier.Lorsqu’elle eut accroché et qu’elle se fut

retournée vers Marc Dumoulin, celui-ci demanda :

– À présent mademoiselle, il serait bon que

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vous nous expliquiez votre présence ici. Vous dites que mon père vous avait chargé d’une affaire ?

– Voulait me charger, rectifia l’aventurière. Malheureusement, je ne sais rien. Je croyais plutôt pouvoir obtenir des renseignements de vous.

– Mais je ne sais rien non plus. Vous me trouvez stupéfié et je ne puis m’expliquer ce qui se passe.

– Comment votre père vous a-t-il paru ces derniers jours ?

– Tendu, je dois le dire. Mais on peut attribuer ça à son travail.

– Il s’occupait encore d’investissements ?– Plus que jamais et il fouettait d’autres chats

en plus. Il s’intéressait tout particulièrement à la politique... et...

Mais il s’interrompit.– Nous entrons dans des détails superflus pour

le moment, fit-il d’une voix sèche. Je préfère attendre l’arrivée de la police officielle.

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– Comme vous voudrez. Vous travaillez avec votre père ?

– Un peu.Cela voulait dire : pas du tout. Diane n’avait

pas mis longtemps à cataloguer le jeune homme comme un fils à papa, vivant largement de la fortune de son père et dans la plus complète des inactivités.

– Qu’est-ce qu’il y a dans ce coffre ?– Des papiers.– Vous pouvez l’ouvrir ?– Oui mais je préfère...– Attendre l’arrivée de la police officielle, oui

je sais. Mais ce sera tout comme puisque je travaille avec le lieutenant Pascal.

– Je croyais que mon père vous avait embauchée.

– Ce serait trop long à expliquer. Ouvrez le coffre.

Subjugué par les événements et un peu par la voix autoritaire de l’aventurière, le garçon obéit.

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Diane se pencha sur le coffre. Outre les livres de comptabilité soigneusement rangés sur l’étagère du haut, elle trouva une petite valise noire fermée à clef.

– Vous n’allez pas... je vous interdis ! cria le garçon.

Mais Diane avait déjà fait sauter la fermeture. Le jeu en valait la chandelle. La valise était bourrée de billets de banque soigneusement rangés par paquets de même dénomination.

– Il y a une fortune ici. Votre père avait l’habitude de garder un tel capital sous la main.

– Mais je ne comprends rien. Cet argent n’était pas là il y a deux jours. Mon père a lui-même ouvert le coffre devant moi.

– Vous reconnaissez la valise ?– Je l’ai vue quelques fois dans les mains de

mon père, oui.– Mais vous étiez loin à en deviner le contenu,

n’est-ce pas ?– Oui.

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– Surtout lorsqu’il s’agit de faux billets.– Quoi !– Bien sûr. Il n’y a qu’à regarder le matricule.

Il est affiché dans tous les commerces. Je ne me trompe pas.

– Vous dites qu’il s’agit de faux billets ?– Je le certifie.– Mais c’est impossible !Diane fit un geste qui amena son visage du

côté de la fenêtre.Et alors, elle poussa un long cri.

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IV

– Vous avez vu ? haleta-t-elle.– Oui, fit Marc Dumoulin qui chancelait.Superposé sur le carreau, comme dans un truc

photographique, l’aventurière et le fils de la victime avaient vu un court instant, un visage d’homme épouvantable.

– Qui est-il ? cria Dumoulin d’une voix rauque.

Mais Diane avait ouvert la fenêtre. L’homme devenu une ombre, fuyait, péniblement, sembla-t-il à l’aventurière.

– Arrêtez, cria-t-elle, mais avec le sentiment que son appel serait nul. Arrêtez !

L’ombre allait se confondre avec la nuit. Elle visa soigneusement.

– Vous n’allez pas... gémit Dumoulin.

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Elle tira. La détonation fut suivie d’un long cri.

– Je l’ai eu ! Il ne reste plus qu’à aller le récupérer. Peut-être ne serons-nous pas longs à éclaircir le mystère qui entoure la mort de votre père.

– Il est peut-être armé, fit Dumoulin.– Vous avez peur ?– Non, bien sûr.– Prenez la droite de la terrasse, je prendrai la

gauche et nous nous rejoindrons au centre. Il a dû rester là où il est tombé.

Mais Diane n’avait pas vu tomber l’horrible individu, elle n’avait perçu que le cri. Mais il était blessé, de cela au moins elle était sûre.

Sur la terrasse, elle avança précautionneusement, fouillant chaque pouce carré du sol sous une lune propice. Dumoulin était au rendez-vous.

– Je ne l’ai pas vu, dit-il.– Moi non plus, répondit Diane. Il faut bien

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qu’il soit quelque part.– Il n’a pu sortir de la terrasse car nous aurions

entendu grincer la grille.– Reprenons.Mais ils se retrouvèrent sous le porche sans

plus de résultat.– C’est incroyable.– Tout comme le crime dont votre père a été la

victime.Deux pinceaux lumineux balayaient la façade

de la maison puis un instant après une radio-police stationnait dans le drive-way circulaire.

– Voici le lieutenant Pascal, fit Diane. La police officielle que vous espériez.

Elle se pencha à la portière. Pascal avait cru bon de se faire accompagner de deux agents.

– Fais-leur fouiller la terrasse et les alentours, dit-elle : j’ai blessé un fuyard.

– L’assassin ? demanda le policier avec espoir.– C’est possible. Un détail, il a un visage de

monstre.

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– De monstre ? Qu’est-ce que tu veux dire ? L’obscurité joue peut-être des tours ?

– Non, je l’ai vu, fit Dumoulin et il est horrible. Après avoir donné des instructions aux deux agents qui l’accompagnaient, Pascal pénétra dans la maison, à la suite de Diane.

– Le cadavre ? demanda-t-il.– Au premier, viens, mais je te réserve une

petite surprise.– Qu’est-ce qui est arrivé à la porte ? demanda

le limier parvenu au faîte de l’escalier.Elle était verrouillée de l’intérieur, alors nous

avons dû la faire sauter.– L’assassin serait alors entré par la fenêtre ?

demanda le détective avec incrédulité.– Non plus.– Mais alors ?– On se croirait en plein cinéma.Pascal accorda un bref regard à la victime et

marcha immédiatement vers la fenêtre dont il examina scrupuleusement la fermeture et les

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carreaux.– Intouchée.– Comme j’avais le plaisir de te faire

remarquer.– Mais comment a-t-il pu pénétrer auprès de la

victime ?– Ça, fit Diane.– À moins que Dumoulin se soit suicidé.– Tu débloques ? À la rigueur, on peut

supposer que Dumoulin se soit laissé tomber sur un poignard pour une raison étrange, mais pas trois fois. Dumoulin a reçu au moins trois coups de poignard.

– L’assassin l’attendait peut-être dans la chambre.

– Et il serait ressorti et il aurait poussé le verrou, de l’intérieur ?

– Il y a une explication, lança alors le policier avec force.

– Trouve-la, rétorqua Diane, pour le moment c’est tout ce que je te demande.

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– Et, l’autre ? fit alors le policier pour changer le mal de tête de place.

– Ça, il faudrait le demander à tes agents.Ils descendirent au rez-de-chaussée. Sur la

terrasse il retrouvèrent les policiers qui, eux, n’avaient rien trouvé.

– C’est impossible, murmura Diane, abattue par le mystère qui entourait l’étrange disparition, énigme aussi complète que celle enveloppant le meurtre au premier. Je suis sûre que je l’ai touché ; je l’ai entendu crier. Et il n’y a même pas de sang ?

– Oh ! pour le sang, il y en a, fit l’un des agents.

– Et où conduit-il ?– À la remise. Mais la remise ne comprend pas

de seconde issue. Normalement, nous aurions dû le trouver coincé là-dedans.

– Allons voir.La remise était intégralement vide. Parce

qu’elle s’appuyait à la maison, Diane voulut grimper sur le toit.

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– Tu dérailles, fit le policier. Je croyais t’avoir entendue dire que tu l’avais blessé.

– C’est exact.– Alors, comment aurait-il eu la force de se

hisser jusque-là.– Je veux simplement voir. Prête ton dos.Yvan plia l’échine en grognant. Lorsqu’elle

eut la tête à la hauteur du toit, l’aventurière poussa un petit cri de victoire.

– Il y a du sang.– Bon. Alors monte là-dessus et je te rejoins,

fit Pascal.– Regarde.Pascal qui venait de prendre pied sur le toit de

la remise, hocha la tête. Pas d’erreur possible, c’était bien du sang.

– Et cette fenêtre ?Une fenêtre du premier, Diane se pencha sur le

carreau.– Elle donne dans la chambre de bain. Mais

elle est fermée de l’intérieur.

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Pascal haussa les épaules et dit :– Nous ne sommes pas à un mystère près. Elle

était peut-être ouverte et il l’aura refermée après avoir passé.

– Quelle précaution et cela tout simplement pour nous donner un mal de tête de plus.

– Peut-être... fit Diane. Recule un peu.D’un coup de crosse, elle fit voler un carreau

puis elle passa le bras à l’intérieur et débloqua la fermeture.

– J’entre.Dans la chambre de bain, elle trouva une

serviette souillée de sang puis elle sortit dans le couloir et s’arrêta stupéfaite. Elle était en face de la chambre de Dumoulin.

– Regarde, nous tombons sur le lieu du crime, dit-elle à Yvan qui venait de la rejoindre,

– L’explication est peut-être là... rétorqua le policier.

– Quelle explication ! Ce que nous venons de découvrir n’explique en rien le mystère de la

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chambre fermée de l’intérieur.– Non, mais...– Même que nous venons tout simplement

d’ajouter un autre casse-tête à notre collection. Pourquoi cet homme à visage inhumain est-il venu se réfugier dans la maison ? Devons-nous croire qu’il a un complice ?

– Peut-être... mais peut-être n’a-t-il pas voulu venir ici, aussi. Il faut pas former des conclusions trop hâtives. Tu le blesses, il fuit vers la remise. Se sentant coincé, il l’escalade. Il trouve une fenêtre ouverte alors il entre. Les choses ont très bien pu se passer ainsi.

– Sans oublier qu’il a refermé la fenêtre derrière lui.

– Qu’est-ce que ça change puisque nous avons de toute façon affaire à un fantôme ?

– Allons rejoindre les autres, dit Diane avec lassitude. Dans l’escalier, Diane expliqua l’étonnante découverte faite dans le coffre de Dumoulin.

– Des faux billets ?

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– En quantité.– Ça se complique.– Ou ça s’explique. Mais nous sommes loin

encore d’avoir trouvé le fil conducteur, tu peux prendre ma parole.

La jeune fille n’avait pas bougé dans la bibliothèque mais sa mère était absente.

À la question posée par Pascal, elle répondit que sa mère était allée se reposer car elle avait été prise d’une faiblesse.

– En haut ? demanda le policier car il pensait au maraudeur.

– Non, dans la pièce d’à côté.– Ah... bon.Les policiers attendaient dans le hall. Pascal

leur donna l’ordre de fouiller la maison de fond en comble et ils se dirigèrent vers l’escalier.

– Viens me montrer les faux billets, demanda le policier à sa compagne.

En face de la petite fortune, il laissa tomber :– Sais-tu ce que je pense, Diane ?

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– Qu’est-ce que tu penses ?– Que Dumoulin n’est pas l’innocent

personnage dont je t’ai fait l’image dans mon bureau.

– Ce sont les billets qui te font penser ça ?–Oui.– Moi, j’avais cette petite idée depuis un bon

moment déjà.– Ah ?– Oui. Ce ne sont pas les bons et paisibles

citoyens qui ressentent le besoin d’engager un tueur à gages.

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V

Le médecin-légiste était sur les lieux et précisait la mort à une heure et trente du matin.

Les agents revenus bredouilles de leurs recherches par toute la maison, montaient la garde, l’un devant la bibliothèque, l’autre à l’entrée et il était clair qu’ils étaient absolument stupéfiés par le peu qu’ils savaient de l’affaire.

La famille était momifiée dans la bibliothèque attendant le bon plaisir de Pascal qui semblait prendre un plaisir malin à retarder leur interrogatoire.

Comme Pascal quittait le médecin-légiste, il fut appelé par l’agent en faction sous le porche.

– Lieutenant, il y a une voiture qui passe et repasse devant la maison.

– Ah ?– Je suis sûr de ne pas me tromper, il y a une

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vingtaine de minutes que j’observe le manège.– Tu as pu l’identifier ?– Non, vu la distance mais c’est une voiture

pâle de modèle récent.– Vous sentez-vous de taille pour aller la

cueillir ?– Bien sûr, lieutenant, fit le policier en se

rengorgeant, donnez-moi simplement mon copain et la patrouille.

– Non, pas la patrouille. Vous allez prendre une des voitures de la maison. Je ne crois pas que Marc Dumoulin fasse objections, après ce que nous avons appris sur son père.

– Quoi donc lieutenant ?– Non, ça me regarde. Allez rejoindre

Dumoulin dans la bibliothèque et faites-vous donner les clefs d’une bagnole. Il y en a deux.

Mais c’était au tour du policier devant la porte de la bibliothèque à réclamer le lieutenant.

– Le téléphone, lieutenant.– Bon Dieu ! fit Pascal en se dirigeant vers la

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pièce. La voix inconnue lui rappelait cependant le ton sec et rocailleux des truands.

– Allô ?– Allô... allô, je voudrais parler à Louis

Dumoulin.– Lui-même, fit Pascal en espérant que ça

passerait.– Je veux dire le père, fit l’autre qui par

conséquent connaissait la voix du mort.– Mon père n’est pas là, il y a un message, fit

Pascal de sa voix polie.– Dites-lui qu’il me rappelle sitôt qu’il le

pourra.– Votre nom ?– Pas besoin.Il ne fallait pas être sorcier ou psychologue

pour identifier par le langage et le ton, le gangster au bout du fil.

Comme il accrochait, Diane pénétrait dans la pièce.

– Et alors ?

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– Absolument rien, fit l’aventurière qui s’était donnée comme tâche personnelle de fouiller tout le premier étage de la maison.

– Il faut croire alors que nous avons affaire à un fantôme. Bon, nous verrons cela plus tard. Viens, j’ai à te causer.

Mais le téléphone sonna de nouveau, le retenant dans la bibliothèque.

– Allô, lieutenant ?– Oui, ici Pascal.C’étaient les agents. Ils tenaient les occupants

de l’auto pâle.– Ils ont ouvert le feu, nous avons blessé le

conducteur de la voiture.– Gravement ?– Du plomb dans l’aile.– Tant mieux, ramenez-les ici. Le docteur

Duvivier s’occupera de lui. Et faites vite bon Dieu, j’ai hâte de comprendre quelque chose dans cette affaire.

Une vingtaine de minutes plus tard, il

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accueillait, flanqués des policiers exultants, deux individus à mine patibulaire.

– Frankie ! s’écria-t-il en s’approchant d’un individu qui lui jeta un regard torve. Comme on se retrouve. Qu’est-ce que tu deviens ? Et surtout qu’est-ce que tu fais ici ?

– Salut lieutenant, fit l’autre. Ce que je deviens ? Victime de la justice. Vos clics nous ont donné la chasse, on se demande encore pourquoi.

– Bien sûr, bien sûr. Allons, venez qu’on vienne faire un brin de causette. Dommage que je n’aie pas ton dossier devant moi. Qui c’est l’autre ?

– Nick Boudreau, un copain.– Boudreau... Boudreau, fit le policier en se

grattant la tête. Non ça ne me revient pas. Par ici.Dans le petit bureau annexé à la bibliothèque :– Videz-moi vos poches.– Vous avez pas le droit lieutenant. C’est une

violation des droits...

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– De l’homme. Vu mais ça m’indiffère. Allons plus vite que ça.

Les truands vidaient leurs poches sur le bureau. Pascal rafla les deux revolvers en demandant :

– Vos permis sont en règle ?– Lieutenant, fit le dénommé Frankie, vous

n’allez pas nous embarquer pour une petite négligence comme celle-là. Qu’est-ce qu’on deviendrait nous deux sans nos pétards ? Il faut qu’on se protège, pas vrai ?

Mais Pascal à présent en était aux portefeuilles.

– Doux Jésus, quelle jolie collection. Il tripotait les billets de dix.

– Et faux en plus.Frankie hurla :– Faux ! Mais vous êtes complètement

matraque, lieutenant. Je les ai eus de ma banque ce matin.

– Et tu en as refilé la moitié à ton compagnon,

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hein ?– Je lui devais de l’argent.Pascal se pencha sur le coffre, sortit la malle

noire et l’ouvrant, dit :– C’est ça, ta banque ?Frankie qui avait pâli, décréta :– Moi, je ne parle plus.– Ça, c’est ce que tu dis. Mais attends que j’en

aie fini avec toi. Tu sais ce que tu risques. Il y a un mort ici.

– Lieutenant, protesta l’autre. Vous me connaissez ! Vous savez que je ne suis pas le genre.

– Même pas si le type se nomme Louis Dumoulin.

Le truand accusa le coup.– Oui, exactement mon cher, Dumoulin a été

poignardé cette nuit. Dis-moi donc ce que tu as comme alibi ?

– Lieutenant, gémit le dénommé Frankie, je n’ai jamais tué personne.

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– Il y a un commencement à tout, non.Diane venait de pénétrer dans le bureau.– Garde-moi ces deux oiseaux, je reviens à

l’instant.Il s’éclipsa, le temps de dire à ses policiers de

reprendre leurs fouilles, puis il revint.– L’histoire est simple, fit-il. Louis Dumoulin

trafiquait les faux billets. Aussi incroyable que cela puisse sembler. Devant tous, il était un personnage intouchable, un notable de la cité, mais derrière il avait son petit négoce. Alors il s’est produit quelque chose, quelque chose que j’ignore encore mais qui nécessita pour Dumoulin l’embauchage d’un tueur à gages. Mais trop tard, vous êtes arrivés à lui avant que le tueur arrive à vous. C’est ça ?

– Non, ce n’est pas ça, fit l’autre d’un ton qui indiquait la sincérité. Nous n’avons pas tué Dumoulin.

– Mais vous faisiez le négoce des faux billets avec lui.

– Même pas.

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– Alors qu’est-ce que vous faites dans le patelin à passer devant la maison de Dumoulin à heure fixe ?

– On se baladait, c’est tout.– Tu veux que je te colle le meurtre sur le

dos ?– J’ai un alibi.– Ouais.– J’ai quitté une fille, il y a une heure à peine.– Si tu crois que ça va tenir.– Il faudra bien que ça tienne, lieutenant,

puisque c’est la vérité. Je n’ai pas descendu Dumoulin.

– Nous verrons à la sûreté.– Vous n’allez pas nous embarquer tout de

même ; puisque je vous dis que nous n’avons rien fait.

– Tel que je te connais, enchaîna le policier faisant la sourde oreille aux supplications de l’autre, tu n’as pas le cerveau assez grand pour conduire tout seul Une affaire de cette envergure.

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Ma question revient alors à celle-ci : pour qui tu travailles ?

– Pour personne.– De quoi vis-tu ?– Je vous l’ai dit, je tripote un peu dans les

faux billets.– Et Dumoulin ?– Il me pourvoyait.– C’est lui qui te repassait l’argent ?– Oui.– Et lui, il la tenait de qui ?– Sais pas.– Vas-tu parler animal ?Arrogant, Frankie éjecta :– Non et vous savez que j’ai la tête dure. Votre

histoire de meurtre, pour moi c’est du bidon : je n’ai pas tué et vous pourrez pas me coller ça sur le dos. J’étais avec une fille, une fille bien qui pourra le jurer.

– Ouais.

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– Enfin, lieutenant puisque c’est la vérité.On frappa à la porte et Pascal ouvrit à un agent

excité.– On l’a trouvé lieutenant, on l’a trouvé.– Quoi !– Sous les combles, on pouvait pas le voir à

cause qu’il n’y avait pas de lumière mais c’était plein de sang, alors...

– Bon Dieu. Garde-moi ces deux voyous, il faut que j’aille voir.

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VI

– Il est mort.L’homme avait trouvé refuge sur des sacs de

couchage et la lune l’éclairant en plein laissait voir, dans un éclairage de cauchemar, son visage de monstre.

– Qu’est-ce qui a bien pu lui arriver pour qu’il ait la face comme ça ? souffla l’un des agents.

Il était vêtu d’un vieux manteau et ses pantalons étaient rongés au revers.

– C’est le feu qui a fait ça, fit Pascal. Fouillez-le, tâchez d’amener son portefeuille.

Il en avait un, dans lequel Pascal trouva des papiers au nom de Jean Bédard.

– C’est drôle, fit-il, mais ce nom me dit quelque chose. Jean Bédard... Jean Bédard. Allez chercher le médecin-légiste. Aussi bien qu’il s’occupe de lui aussi.

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Le médecin-légiste qui était à panser le truand, fut long à venir.

– Encore un autre, fit-il en se penchant sur le cadavre. J’ai une nuit plutôt mouvementée. Mon Dieu, qu’est-ce qu’il a au visage ?

– Le feu, expliqua Pascal et ça doit faire une mèche. Dites donc, Jean Bédard ça vous dit quelque chose.

– Je pense bien, répondit le docteur Duvivier. Si l’on pense à l’autre mort...

– Que voulez-vous dire ?– On voit bien que vous ne lisez pas les potins

financiers, lieutenant. Jean Bédard était autrefois le partenaire de Louis Dumoulin. J’ai déjà placé de l’argent dans leur entreprise. Mais Bédard a trouvé la mort dans un accident, je ne me souviens plus de quelle nature.

– Il faudra que vous révisiez vos positions, docteur, car l’homme que vous avez devant vous est Jean Bédard.

– Mais c’est impossible ça, Bédard est mort il y a plus de cinq ans.

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– Alors cet homme est un imposteur. Reste à voir pourquoi il aurait pris l’identité de Bédard. Non, je crois ne pas me tromper : c’est bien Jean Bédard que vous avez devant vous. Moi, j’ai besoin de l’aide de la famille à présent pour débrouiller tout ça. Excusez-moi docteur mais je vous reverrai plus tard.

– C’est ça.Et le lieutenant redescendit au rez-de-

chaussée, toujours accompagné par les policiers. Avant de se rendre auprès des membres de la famille, il passa dans le bureau où Diane gardait toujours les deux gangsters en joue. Alors s’adressant aux agents, il ordonna :

– Conduisez-moi ces deux anges aux cellules.– Vous commettez une grave erreur lieutenant,

fit Frankie plein de majesté.– Si c’est le cas, j’aurai toujours le loisir de

m’excuser, rétorqua Pascal, en voiture.Puis, accompagné de Diane, il réintégra la

bibliothèque. La famille était au complet à présent. S’adressant à Marc Dumoulin, il

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demanda brutalement :– Le nom de Jean Bédard vous dit quelque

chose ?– Bien sûr, c’était l’associé de mon père.– C’était ? demanda Pascal jouant la comédie.– Oui, il est mort il y a cinq ans dans un

terrible accident. Mais pourquoi ?...– Quel genre d’accident ?– Il était sur le lac et le moteur du canot

automobile a explosé.– Il a dû être brûlé alors.– Il a dû.– Et son corps ?– Il n’a jamais été repêché.– Dans un lac ? s’étonna le policier. C’est

plutôt rare.– Mais c’est comme ça.– Vous vous souvenez de lui ?– Bien sûr. C’était un homme charmant. Lui et

mon père s’entendaient à merveille.

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– Je vois. Il avait de la famille ?– Non, il était célibataire.– Dites donc, au bureau de votre père, c’est

toujours le même personnel ?– Mais oui...– Depuis cinq ans, je veux dire.– Oui, à peu près. Mais encore une fois

pourquoi toutes ces questions ?– Je vous expliquerai plus tard. J’ai encore

beaucoup de questions à vous poser. Vous étiez avec votre père cette nuit ?

– Ce soir plutôt, répondit le garçon. Nous nous sommes rencontrés au bar Nautique. J’avais un peu bu et il me ramena ici.

– Il vous a parlé dans la voiture ?– Non.– Et il s’est couché ?– À peu près une heure plus tard.– Et vous ?– Moi, j’ai dormi comme une bûche.

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– Où est votre chambre ?– À la droite de celle de mon père.– Et qui couche de l’autre côté ?– Ma sœur, Nadine.Alors Pascal se retourna vers la jeune fille.– Vous avez bien dormi, mademoiselle ?– Oui...– Vous avez entendu rentrer votre père et

votre frère ?– Oui.– Avez-vous entendu autre chose ?– J’ai entendu mon père qui entrait dans sa

chambre. Puis il est ressorti pour aller dans la chambre de bains.

– Quelle heure était-il ? cria Diane.– Il dépassait un peu une heure.– Et voilà, cria l’aventurière victorieusement.– Comment voilà ? Qu’est-ce que tu veux

dire ? demanda Pascal.– C’est là qu’il a été tué.

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– Où ?– Tiens, tiens, tiens...– Tu crois...– Bien sûr, puisqu’il n’a pu être tué dans sa

chambre.– Tu as peut-être raison.– Oui, je suis sûr. L’assassin, l’homme au

visage brûlé, avait fait le même chemin pour rejoindre Dumoulin que celui qu’il a utilisé dans sa fuite.

– C’est possible, émit le policier.– Il a poignardé Dumoulin dans la chambre de

bains mais ce dernier a eu la force de gagner sa chambre. Il a cru un moment pouvoir s’en tirer et c’est pourquoi il a refermé la porte derrière lui. Mais plus tard, réalisant qu’il n’en avait plus pour longtemps à vivre, il m’a téléphoné.

– Ça se tient, fit Pascal.– Une chose est certaine, déclara alors

l’aventurière.– Quoi ?

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– Cet homme se promenait trop librement dans la maison pour ne pas y avoir un complice.

– Comment ! hurla Marc Dumoulin. Mais...– Vous, taisez-vous, éjecta le policier. Je

trouve que cette petite a entièrement raison. Quelqu’un ici avait intérêt à voir Louis Dumoulin disparaître et il s’est servi du désir de vengeance de Louis Bédard, qui attendait depuis cinq ans le moment de tuer son associé.

– Ce qui nous ramène à se demander pourquoi Bédard en voulait à Dumoulin, fit Diane.

– Bédard après tout a bien pu ne pas être victime d’un accident.

– Quoi ! hurla de nouveau Dumoulin.– L’accident dont il a été victime a bien pu

être préparé.– Je vous interdis...– Votre père barbotait dans la fausse monnaie,

Bédard a pu s’en apercevoir et comme il était honnête, lui...

– Oh !...

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– Oui, à présent je suis sûr que les choses se sont passées ainsi. Nous avons fait du beau travail, ajouta-t-il en regardant Diane.

– Le meurtre de Dumoulin est éclairci, fit alors cette dernière, et nous tenons l’assassin dans la personne de Jean Bédard.

– Oui, je crois qu’il serait temps pour nous d’aller nous coucher.

Puis il ajouta :– Reprise demain après-midi, avec les mêmes

personnages. Je serai ici à deux heures.Depuis longtemps on avait descendu les morts,

qui, allongés sur des civières, dans le hall, attendaient leur dernier voyage.

Diane et Pascal rentrèrent ensemble et ils prirent rendez-vous pour le lendemain matin.

À dix heures, le lendemain, ils se rencontraient à la porte du Louis Dumoulin import-export.

La secrétaire avait dû être informée de la mort de son patron car elle pâlit lorsque Pascal lui montra son insigne.

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– Il y a longtemps que vous travaillez ici mademoiselle ?

– Huit ans, répondit-elle.– Vous devez être au courant de bien des

choses.– Mais non, je ne sais rien, répondit-elle en

s’effrayant.– Vous avez connu Bédard ?– Mais oui.– Comment s’entendait-il avec votre patron ?– Très bien...– Nous voulons la vérité.– Je suis sûre que tout allait bien entre eux.– Pourtant Bédard est mort dans un accident

provoqué par Dumoulin.– Non, c’est faux ! C’est faux !– Tiens, tiens, tiens...L’idée que Bédard avait été assassiné n’était

pas étrangère à la jolie secrétaire. Regardant le policier dans les yeux, elle dit :

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– Monsieur Dumoulin n’aurait pu faire une chose pareille.

– Mais en avait-il des raisons pour voir disparaître Bédard ?

La secrétaire baissa la tête en rougissant :– Dans le temps, des bruits couraient. Mais il

faut pas se fier aux racontars n’est-ce pas ?– Dites toujours, nous ferons le partage... des

choses.– Bien on disait que Bédard était l’amoureux

de madame Dumoulin.– Ah... on disait ça...– Mais c’est faux, archi-faux.– Ça, mon petit, tu n’en sais rien.– Monsieur Bédard était un homme honnête

et...– Un honnête homme est toujours ce qu’il y a

de pire, tu ne sais pas encore ça ?Elle ne répondit pas.– N’est-ce pas ? insista Pascal.

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– Tout ce que je sais est que moi je n’ai rien vu de répréhensible jamais.

– Peut-être, peut-être mais ça ne prouve rien. À présent, ouvrez-moi le coffre-fort.

– Mais je n’y suis pas autorisée.– Je vous autorise, moi.La jeune fille hésita quelques instants puis

ouvrit la marche jusqu’au coffre installé dans un coin.

Quelques minutes plus tard, Pascal avoua avec écœurement.

– Ça prendrait un expert pour se retrouver dans ces papiers légaux.

– Tiens, un compte de banque personnel, fit Diane.

– Ah...– Il n’affiche que des retraits réguliers de mille

dollars par moi. Je me demande où allait cet argent.

– C’est à retenir. On demandera à la famille.– Oui. Nous y allons toujours cet après-midi à

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deux heures ?– Oui.Ils dînèrent ensemble devisant de l’affaire et à

deux heures précises se présentaient à la demeure de Louis Dumoulin.

– Madame Dumoulin, demanda Pascal avec autorité.

La femme les rejoignit dans la bibliothèque.– Je ne vous mâcherai pas les mots, dit le

policier. Je vous accuse d’être la complice de Louis Bédard dont vous étiez autrefois la maîtresse.

Très calme, la femme répondit :– Vous n’avez pas mis de temps à découvrir la

chose.

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VII

– Vous reconnaissez avoir revu Bédard.– Il m’est inutile de le nier.–Quand ?– Il y a deux ans.– Quoi !– Il vaudrait mieux que je vous explique.

J’avais épousé Dumoulin contre mon choix et malgré les enfants je n’avais jamais réussi à l’aimer. Bédard, au contraire, me semblait l’homme idéal pour moi. Les choses étant ce quelles sont, Bédard devint vite mon amant.

– Et la chose dura ?– Oh... sept ans.– Sept ans ! Et votre mari ne soupçonnait pas ?– Soupçonner ? Il savait.– Et il laissait faire.

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– Vous ne connaissiez pas mon mari, personne ne le connaissait dans le fond. Personne pouvait deviner le monstre qu’il était. Il me laissait libre d’agir à ma guise avec Bédard car cela arrangeait ses affaires. Il tenait Bédard qui à cause de moi ne pouvait le quitter. D’ailleurs Bédard avait remis ses capitaux entre les mains de mon mari qui pouvait le ruiner au moment voulu.

– Ensuite ?– Il y a cinq ans, Bédard découvrit le pot aux

roses.– Qu’entendez-vous par là ?– Que mon mari trafiquait les faux billets.– Il le lui a dit ?– Bien sûr et en échange de son silence, il

demanda ma liberté.– Dumoulin refusa.– Au contraire, il accepta. Mais durant la fin

de semaine qui suivit, Bédard eut l’accident que vous savez. Accident est un mot trop vaste. Disons que mon mari avait fait un mélange explosif d’essence et d’huile.

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– Et comme le corps ne fut pas retrouvé et que par ailleurs Bédard ne donna pas signe de vie...

– On le crut mort.– Oui.– Mais pourquoi n’est-il pas revenu ?– Avec la face qu’il avait !– Oui, je comprends.– Mais il y a deux ans, je reçus un appel de lui.

En entendant la voix, je crus devenir folle. Car pour moi, il était bien mort n’est-ce pas.

– Oui.– Il quittait un hôpital américain, sans le sou et

sans espoir. Il me supplia de l’aider. Il voulait de l’argent pour aller se cacher dans un trou perdu. Je voulus le revoir mais il me parla de son visage. Enfin, je promis de l’aider.

– Comment ?– En lui donnant de l’argent.– Combien ?– Mille dollars par mois.

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– Voilà qui explique le compte de banque personnel, émit Diane.

– Je ne sais pas de quoi vous parlez mais je dis à Bédard qu’il pouvait faire chanter mon mari.

– Quoi !– C’est la chose la plus simple du monde. Il

n’avait qu’à lui dire la vérité et à réclamer une pension de mille dollars par mois, sinon il informerait la police du trafic d’argent. Mon mari accepta sans plus et il paya. Bédard aurait pu d’ailleurs faire tenir une accusation de meurtre.

– Je vois. Et votre mari paya ?– Oui.– Sans jamais manquer ?– Sans jamais manquer.– Mais vous avez vu Bédard ?– Une seule fois, fit la femme en frissonnant.

Il allait de mal en pis. Il était condamné à cause de blessures internes et il résolut de se venger une fois pour toute.

– En tuant votre mari ?

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– Oui.– Il vous en avait parlé ?– Oui... mais je ne l’ai pas cru.– Durant ce temps, enchaîna Diane, votre mari

se préparait à faire tuer Bédard par un tueur à gages.

– Je ne savais pas cela, fit la femme sans manifester la moindre émotion.

– Oui... mais Bédard a eu votre mari avant. Cette nuit...

– Oui.– Vous avez introduit votre ancien amant dans

la maison ?– Oui.– Pourquoi ?– Il voulait voir mon mari.– Mais pourquoi ?– Il disait ne pas avoir reçu son argent. Moi, je

ne pouvais pas contrôler. Alors je l’ai cru.– Oui, oui.

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– Il attendit dans une chambre vide du premier puis comme mon mari ne rentrait pas, il a dit qu’il reviendrait.

– Il avait déjà son idée, fit Diane. Il est sorti de la maison mais est revenu par le chemin du toit de la remise et il a attendu Dumoulin pour le tuer.

– Cela je l’ai deviné après, dit la femme. Mais je ne pouvais soupçonner n’est-ce pas. Je suis rigoureusement innocente de la mort de mon mari.

– Ouais ! fit Pascal.– C’est la vérité.– Moi, je vous crois, dit Diane.– Allons bon et maintenant pour la suite ?– La suite... vous avez blessé à mort Bédard

qui est allé se réfugier sous les combles.– Avec votre aide ?– Non. D’ailleurs comment aurais-je pu

l’aider ? Je n’ai quitté la bibliothèque que pour aller me reposer dans le bureau.

– C’est exact, fit Pascal pour Diane, j’ai

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contrôlé.– Mais vous êtes coupable dans une complicité

de chantage...– Auprès de mon propre mari, allez donc faire

avaler ça à des jurés.– Ouais.– Je vous en défie.La femme avait raison et Pascal voyait le

poisson lui filer des mains. Mais il n’en gardait pas rancune, les crimes s’expliquant d’eux-mêmes et surtout ne voyant pas ce qu’il gagnait à tyranniser la pauvre femme, qui en avait assez vu.

– Que savez-vous du trafic d’argent dont votre mari tirait des fortunes ?

– J’étais au courant c’est tout, fit madame Dumoulin.

– Vous en avez parlé à votre mari ?– Jamais.– Et lui ?– Il me tenait rigoureusement hors de ses

affaires.

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– Et votre fils ?– La même chose.– C’est difficile à croire... votre fils devait

savoir. On ne vit pas au côté de son père sans tout apprendre de lui.

D’une voix dure, madame Dumoulin expliqua :

– Mon fils est un bon à rien qui ne s’occupe rigoureusement de rien.

– Ça, j’ai cru le deviner, fit Diane.– Vous l’avez vu ailleurs n’est-ce pas ?– Oui.– Alors vous devez savoir que c’est un ivrogne

et un coureur qui ne fait jamais rien d’utile.– Il ne faut pas exagérer tout de même, déclara

Diane, qui se sentait de la sympathie malgré tout pour le bon jeune homme. On est pas fils de millionnaire sans problème.

Pascal grogna :– Il faut que je retourne au bureau, je n’ai plus

rien à faire ici.

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VIII

Yvan exultait :– Le meurtre est enfin résolu et le mystère de

la chambre fermée également. Il ne reste plus qu’à s’occuper de Howler.

– Lui ? fit Diane avec surprise.– Bien sûr...– Mais il n’a rien fait.– À la rigueur, peut-être, mais je m’en fous ; je

veux le voir réintégrer New-York au plus sacrant.– Il sait par les journaux que Dumoulin est

mort, il ne tardera pas à filer.– Je l’espère. Il y a aussi mes deux

bonhommes... Frank et l’autre. Ils sont toujours aux cellules, je crois que je vais les faire monter.

Pascal fit venir le compagnon de Frank, Nick Boudreau.

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Ce dernier était affolé.– Dites, c’est pas vrai lieutenant que vous allez

nous coller le meurtre de Dumoulin sur le dos ?– C’est au contraire, exact.– Mais ce n’est pas nous !– Ça, je m’en fous : il me faut un coupable.– Et si je vous raconte tout...– Je te laisserai filer et accablerai Frank.– Je veux parler.– Tu n’as qu’à ouvrir la bouche.– Notre lieu de rencontre était le Bar Nautique.

Dumoulin nous passait les faux dix que nous écoulions dans les endroits publics.

– Et lui, il recevait l’argent.– De Naples.– Je vais communiquer avec l’Interpol, dit

Pascal. Mais vous avez bien un patron ?– Oui, il se nomme Girard... Louis Girard.– C’est sans doute lui qui m’a téléphoné chez

Dumoulin et qui voulait parler à ce dernier.

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– C’est vrai que vous allez me libérer ?– Après que tu auras signé un aveu.– J’ai tué personne moi.– Je te ficherai la paix mais il faut que tu

signes.Pour le lieutenant, l’affaire se terminait en

beauté. Le crime était résolu et il tenait les trafiquants. Il n’y avait que Tim Howler qui manquait au tableau d’honneur.

Convaincue qu’il ne le trouverait pas, Diane en informa le lieutenant puis elle prit congé.

Elle ne tenait plus sur ses jambes après les fortes émotions des deux jours passés. Elle rêvait d’un bon bain chaud et d’une longue nuit entre des draps frais tout en ouvrant la porte de son appartement lorsqu’elle sentit la pointe acérée d’un poignard dans son dos.

– Howler, souffla-t-elle.– C’est exact, fit le tueur.– Qu’est-ce que vous me voulez ?– Un brin de causette.

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– Je ne suis pas bavarde.– Tu le deviendras sacrée garce, éjecta le tueur

en enfonçant son couteau plus profondément.Diane gémit. Elle était faite et refaite. Pas

moyen de s’en tirer. Elle ne pourrait lutter contre le tueur car elle était épuisée.

– Qu’est-ce que vous me voulez ? demanda-t-elle une fois que la porte de l’appartement fut refermée.

– Te faire payer...– Comment me faire payer ?– Tu crois que je vais pouvoir m’en tirer

comme ça ?– Mais de quoi parlez-vous ?– Du meurtre...– Mais on ne vous soupçonne pas, on a le

coupable.– C’est à voir. Les policiers sont malins. Je

sais qu’ils veulent ma peau à tout prix. Je les soupçonne de m’avoir tendu un piège.

– Mais non...

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– Et si je dois payer, je veux que tu me précèdes en enfer.

– Écoutez...L’homme marchait sur Diane.– Tu vas m’accompagner. Nous allons faire

une courte ballade. Lorsque j’en aurai fini avec toi, tu reposeras au fond d’un lac bien profond.

Diane eut un éclair de génie.– Tu veux me tuer et me faire disparaître tout

comme tu as tué ce pauvre Bédard.– Je ne sais pas de quoi tu parles.– Mais bien sûr, Dumoulin t’avait embauché il

y a cinq ans. C’est toi qui as préparé la mort de Bédard, en mêlant le carburant.

– Idiote.– Tu peux bien avouer puisque tu vas me tuer.– Eh bien, oui, c’est vrai, c’est moi. Comme tu

dis, ça importe peu que je parle à présent. Puisque tu vas mourir de la même façon.

– J’ai une petite nouvelle pour toi.

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– J’aime les confidences.– Tu avais raté Bédard et c’est lui finalement

qui a tué Dumoulin.– Tu me prends pour un cave ?– Je te dis la vérité. C’est Bédard qui a tué

Dumoulin.– Qui est-ce que tu crois prendre avec ton

roman pour Cinémascope ? Allons passe devant.– Non.– Je peux aussi bien te tuer ici mais j’aurais un

problème pour le transport du cadavre. Passe devant où je te tue lentement et laisse durer l’agonie. Je m’y connais tu sais. Même que j’aimerais te voir au bout de mon poignard que je t’enfoncerais lentement dans le ventre. Tu passes devant ou pas.

Diane obéit, la tête en feu. Il fallait qu’elle trouve un moyen pour en sortir mais elle ne voyait pas. Le tueur marchait tout près d’elle. Un geste et il l’égorgeait.

Dans la rue, il dit :

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– Nous prenons ta voiture.– Et où allons-nous ?– Prends le volant... je t’expliquerai en cours

de route.Diane s’installa au volant, le tueur, sur la

banquette, près d’elle.– Où allons-nous ?– Prends le chemin du fleuve.Diane frémit. Combien de cadavres pêchait-on

dans le fleuve par an. Elle frissonna ; Howler essuyait avec amour son couteau sicilien.

Diane traversa la ville comme dans un rêve. Pour s’en tirer, il ne fallait pas qu’elle quitte la voiture. À chaque coin de rue, elle cherchait un agent avec frénésie. Elle vira sur Saint-Hubert. Elle savait qu’il y avait un policier près du boulevard Saint-Joseph... Si celui-là était là, elle pourrait probablement s’en tirer.

Bonheur parfait, l’agent était à son poste. Alors, elle appuya à fond sur l’accélérateur et jeta la voiture contre un arbre.

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Il eut un crash terrible tandis que Howler était précipité contre le pare-brise. Le poignard avait roulé sur le plancher, alors que le tueur le laissait tomber pour parer à son visage.

Diane avait mal à la poitrine où le volant s’était brutalement enfoncé. L’agent survenait.

– Emparez-vous de lui, hurla-t-elle, il a voulu me tuer.

Miracle. L’agent reconnut l’aventurière. Il se précipita sur l’assassin qui essayait vainement d’ouvrir la portière qui s’était coincée, et lui colla son revolver sous le nez.

L’autre n’insista pas.– Conduisez-le à la sûreté, je vous

accompagne, dit Diane.– Bien mademoiselle.Et alors, Diane fit lentement le contact tout en

remerciant sainte Diane de l’avoir protégée encore une autre fois.

– Tenez bon car j’aurai encore besoin de vous, dit-elle à sa patronne dans une ardente supplication.

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*

– Quel beau coup de filet tout de même...– Oui, fit Diane.– Ils sont tous dans le bain.– Oui...– Qu’est-ce que tu as ?Inquiet de la mine de sa camarade, le policier

se penchait sur elle avec sollicitude.– Je suis à bout, expliqua-t-elle.– Et ça se comprend. Viens, on va se payer un

petit remontant.Ils quittèrent la sûreté, mirent les voiles vers

un petit bar discret de la rue Notre-Dame.Attablée à une table minuscule, Diane dit :– Tu sais comment c’est...– Oui, ça te reprend à chaque fin d’enquête ; tu

voudrais t’éloigner, aller vivre sur une île déserte où il se passe strictement rien.

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– Oh... j’en suis un peu revenue. Il se passe toujours quelque chose où il y a des hommes. Prends Caïn et Abel, ils n’étaient que deux... et pourtant.

– Oui, oui. Bois.Diane vida son verre.– Et puis, c’est toujours pareil. Lorsque je

termine une affaire j’ai toujours goût de retourner en arrière, à l’époque où je ne m’occupais pas encore de choses criminelles.

– Je sais...– Et où je n’avais besoin que d’une belle

épaule masculine.– Je puis te prêter, la mienne.– Penses-tu, il y a un revolver en-dessous.– Je suis désolé, Diane, mais c’est comme ça

et on eut pas se refaire.– Embrasse-moi. Je sais que ta bouche est

bonne, je m’en souviens.Pascal se pencha sur l’aventurière. Peut-être

qu’un jour, il triompherait finalement, Diane

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deviendrait son épouse et ne s’occuperait plus que de leur marmaille.

Mais ça, il le savait, ce n’était pas pour demain.

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Cet ouvrage est le 541e publiédans la collection Littérature québécoise

par la Bibliothèque électronique du Québec.

La Bibliothèque électronique du Québecest la propriété exclusive de

Jean-Yves Dupuis.

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