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Une Seconde Chance (French Edition) - Créer un blog …ekladata.com/WBM-75ND_Qr0iKppYNB2ZYRQQSI/Une_seconde... · 2016-07-07 · aussi roses ni aussi rebondies qu’avant, et même

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UneSecondeChanceUnroman

derêvesbrisés

d’ElodieNowodazkijTraduitparEdithGirval

Parfois,lesuccèsesttrompeur.Parfois,l’amournousdonneunesecondechance.

EmiliaMoretti,jeunedanseuseétoilededix-septans,n’enpeutplusd’êtrel’éternelleseconde.Etellevaprouveraumondeentier

qu’elleestlameilleure.Elleestbiendécidéeàdécrocherlapremièreplacedansleprochainspectacledel’ÉcoledesArtsdelaScène.Dansleregarddesesparentsbiologiques.Etdanslecœurdeceluiqu’elleaime.Ellerépètesansrelâche.Ellevaréussir,ellelesait.Sa

vieentièrevachanger.Maisriennesepassecommeprévuetelledoitserendreàl’évidence:cen’estpastoujoursfaciled’êtrelameilleure.

NickGrawski,dix-huitans,adécidédeneplussuivrelesrèglesarbitrairesimposéesparsonpère.Ilvaluiprouverqu’ilestfaitpourêtredanseuretnonavocat.Etilesthorsdequestionqu’ilarrêtedevoirEmpoursatisfaireauxexigencesdesonpère.Ilfautqu’ilmontreàEmquecettefois-ci,ellepeutcomptersurlui,qu’ilnevapasluibriserlecœurunesecondefois.MêmequandEmvoittoutsonuniverss’écrouler.Mêmequandilserendcomptequesonpèreessayaitpeut-êtreseulementdeleprotéger.Mêmesic’estparfoisplusfacilede

tomberamoureuxqued’êtreprésentdanslesmomentsdifficiles.

UNESECONDECHANCEestunromanquiparled’espoir,depeines,etderêvesbrisés.C’estuneleçond’amour,etuneleçondevie.Parfois,leplusimportant,cen’estpasd’êtrelemeilleur.

UNESECONDECHANCECopyright©2016ElodieNowodazkij

Tousdroitsréservés.Celivrenepeutêtrereproduitentotalitéouenpartie,dequelquemanièrequecesoit,sanslapermissionécritedel’auteur,àl’exceptiondebrèvescitationsàdesfinsdecommentairedansdesarticlesoudescomptesrendus.

Celivreestuneœuvredefiction.Lesnoms,lespersonnages,lesentreprises,institutions,lieuxetévénementsquiysontdécritssont

lefruitdel’imaginationdel’auteurousontutilisésdemanièrefictive.Touteressemblanceavecdespersonnesvivantesouayantexisté,desévénementsoudeslieuxestentièrementfortuite.

Pourtouteinformation,contactezl’auteuràl’adresse:[email protected]:

www.elodienowodazkij.com

Miseenformeetcouverture:ElodieNowodazkij

DÉDICACE

CHAPITRE1–EM

CHAPITRE2-NICK

CHAPITRE3-EM

CHAPITRE4-NICK

CHAPITRE5-EM

CHAPITRE6-NICK

CHAPITRE7-EM

CHAPITRE8-NICK

CHAPITRE9-EM

CHAPITRE10-NICK

CHAPITRE11-EM

CHAPITRE12-NICK

CHAPITRE13–EM

CHAPITRE14-NICK

CHAPITRE15-EM

CHAPITRE16–NICK

CHAPITRE17-EM

CHAPITRE18-NICK

CHAPITRE19-EM

CHAPITRE20-NICK

CHAPITRE21-EM

CHAPITRE22-NICK

CHAPITRE23-EM

CHAPITRE24-NICK

CHAPITRE25-EM

CHAPITRE26-NICK

CHAPITRE27-EM

CHAPITRE28-NICK

CHAPITRE29–EM

CHAPITRE30-NICK

CHAPITRE31–EM

CHAPITRE32–NICK

CHAPITRE33–EM

CHAPITRE34-NICK

CHAPITRE35-EM

CHAPITRE36-NICK

CHAPITRE37-EM

CHAPITRE38-NICK

CHAPITRE39-EM

CHAPITRE40–NICK

CHAPITRE41–EM

CHAPITRE42-NICK

CHAPITRE43–EM

CHAPITRE44-NICK

CHAPITRE45–EM

CHAPITRE46–NICK

CHAPITRE47-EM

CHAPITRE48-EM

CHAPITRE49–NICK

CHAPITRE50-EM

CHAPITRE51–NICK

CHAPITRE52-EM

REMERCIEMENTS

ÀPROPOSDEL’AUTEUR

ÀPROPOSDELATRADUCTRICE

DÉDICACE

Jedédiecelivreàmesparents,messœurs,nièces,neveux,cousins,onclesettantes,grands-mèresetgrands-pères–àtoutemafamille…

Onditsouventqu’onnepeutpaschoisirsafamille,maisjevousauraischoisisentremille.Etàmonmari:nousnoussommeschoisis,etnouscontinuonsdenouschoisirchaquejour.Merci.Je

t’aime.

CHAPITRE1–EM

J’auraisdûresteràl’ÉcoledesArtsdelaScèneceweek-end.J’auraisdûpasserplusdetempsàmepréparer pour la grande audition du gala de fin d’année. J’aurais dû répéter chaque mouvementjusqu’àlaperfection…

Jenevaisjamaisêtreprête.Jesensmagorgeseserrer.J’aibesoindeplusd’heures,plusdejours,plusdetemps.«Tuneveuxpasreprendreunpeudelasagnes?»medemandemagrand-mèreNonna.Ses

cheveuxgrissontcoupéscourts,etmêmesisesridessesontcreusées,mêmesisesjouesnesontplusaussirosesniaussirebondiesqu’avant,etmêmesiellesefatigueplusvite,elleatoujourslesourireleplusrayonnantdeNewYork.«Ouunpeuplusdesalade?»Ellemélangeànouveaulasaladedetomates etmozzarella.Elle fait pousser le basilic elle-même, et elle est persuadée qu’elle pourraitcréerunmenuentieravecdesrecettesaubasilic–dessteaksaupestojusqu’ausorbetdebasilic.

«D’accord,unpeudesalade.»Jeluitendsmonassiette.D’habitude,lerestaurantdeNonnaestpleindelumière,debruit,degensetdeserveursquiessaientdenepasserentrerdedans,maiscesoir, iln’yaqu’elleetmoi.Ledimanche,Nonnaouvrelerestaurantseulementlemidi,etgardesasoiréelibre.

«Tiens,moncœur.»Elleboit sonverred’eauàpetitesgorgées.«Tonpèreétait tellementmignonquand il était petit.Un jour, il a coupé toutes les roses du jardin et ilm’en a fait un grosbouquet.Jen’aipaseulecouragedelegronder.J’enaimêmegardéunepoursonlivredesouvenirsd’enfance»,dit-elleenprenantunegrande inspiration,commesielleétaitessoufflée.Ellepasse lamainsurlanapperouge,commepourladéfroisser.Cesoir,elleamisdesbougiessurlapetitetable,etmêmedelamusiqueitalienneenfond,carelleadécrétéqu’onallaitfaireunesoiréeromantiquetouteslesdeux.

Mêmesiçaauraitétéplusraisonnablederesteràl’écolepourrépéter,jenepouvaispasluidirenon.Jenevoulaispasluidirenon.Etpasseulementparcequ’ellefaitlesmeilleureslasagnesdetoutNewYork.

«Jeparle,jeparle,maisjesaisqu’ilfautquetut’enailles»,dit-elleenselevant.Elles’appuiesurledossierdelachaise.

«Non,non,jepeuxresterunpeu»,jeluiréponds.«C’esttrèsgentil,mapuce,maisjevoisbienquetucommencesàtetortillersurtachaise,et

jesaisqueçaveutdirequetuesdéjàenretard.»Etmince. Je nem’étais pas rendu compte que jeme tortillais. « Le dîner était absolument

délicieux.Merci,Nonna.»Jecommenceàdébarrasserlatable,maisellemeprendlesassiettesdes

mains.«Laisseça,jem’enoccupe.Allez,allez,dépêche-toidepartir.»Son regard est si tendre que j’aimerais pouvoir garder à tout jamais le sentiment qui

m’envahit,pourpouvoirmeremonterlemorallesjoursdedéprime,ouquandjecroiselechemindeNick–l’amourdemavie,lemeilleuramidemonfrère,maisaussiceluiquim’abrisélecœurl’étédernier.JeprendsNonnaparlebrasetnousavançonsjusqu’àlaported’entrée.Unedélicieuseodeurdepainfrais,d’ailetdebasilicflottedanslerestaurant.Çamerappelletouslesmomentsheureuxquej’aipassés,enfant,danslacuisineavecelleetPoppa.

Toutétaittellementplussimple,àcetteépoque.J’attrape mon manteau, en faisant attention de ne pas faire tomber les photos qui sont

accrochées auxmurs. Son «mur de lamémoire », comme elle le surnomme. Plein de photos dePoppa,demonpèreetdetoutemafamille,etdesphotosd’Italie.Ilyapeu,elleaaccrochéunephotodeMr.Edwards,l’hommequiluifaitlacourdepuismaintenantprèsd’unan.

«Ciao,Bellisima»,medit-elleenmefaisantungrosbisousurlajoue.«Mercid’êtrevenuepasserunpeudetempsavectavieillegrand-mère.»Ellemefaitunclind’œil.

«Tun’espasvieille.-C’estvrai,tuasraison.Jesuisuneantiquité.»Elleéclatederireetmeprendànouveaudans

ses bras. Je sens son parfum, le parfumquemaman lui offre à chaque noël, et d’autres souvenirsheureuxmereviennentàl’esprit.Ellesemetàtousserets’appuiecontrelemur.«Jesaisquetuétaiscensée rester à l’école ceweek-end, alorsmerci encore. »Et avant que j’aie pu répondre, ellemepoussehorsdurestaurant.«Allez,va-t’en.Netemetspasenretard.»

«Jet’aime»,luidis-je.Jemetsmonmanteauetmonécharpe.«Jet’aimeaussi,Bellisima.»Aprèsuninstant,elleajoute:«EtsalueNicholasdemapart.»Nicholas.Nick. Jeme forceà esquisserun sourire, j’essaiedenepaspenser àNick. Jeme

forceàdire«aurevoir»delamainàNonna.«Jerevienstevoirlasemaineprochaine.»Jeluilanceundernierregard,puisjememetsàmarchertoutdoucementverslemétro.Avant,

j’adorais rentrer à l’école le dimanche soir. J’attendaisNick au coin de notre rue, et on faisait lecheminensemble.Onseracontaitnotreweek-end.Ilmefaisaitrire, ilmeparlaitdesesparents,denotredernièreaudition,dujeuvidéoqu’ilavaitréussiàseprocureravant lasortieofficielleparcequ’ilvoulaitabsolumentyjoueretqu’ilconnaissaituntypequiétaitdanslemilieu.Pendanttoutcetemps,etj’essayaisdenepasregarderseslèvresd’unairbéat.

Maisça,c’étaitavant.Maintenant,jeprendslemétrodepuisBrooklyn,oùmafamilleadéménagéaprèsquelepère

deNickalicenciélemien.Jefaisletrajetseule.C’estfini letempsoùj’essayaisdepasserchaquesecondeavecNick,oùjeluienvoyaisdes

textosàn’importequelleheuredujouretdelanuitjustepourlefairerire.Letempsoùjenepouvaism’empêcherdesourireàchaquefoisquejelevoyais.

Maintenant,jel’éviteautantquejepeux,etjeluiaimêmeracontéquejesortaisavecunmecquej’avaisrencontréaurestaurantdeNonna.

Jeremontelabretelledemonsacsurmonépauleetjeregardelecielgrisau-dessusdemoi.NewYorkaeusonlotdeneige,defroidetdetrottoirsverglacés,maisilsembleraitqueçan’estpasfini,mêmesionestdéjàenmars.Danslaruejusteavantlemétro,ilyaunpetitcafénichéentredeuxgrandsimmeubles.Ilyatoujoursdumonde,etjesuistentéedepousserlaporteetdememettredanslafiled’attente.Demecacherlàetd’oublierlaréalité.D’oublierl’École.

Mais je ne rentre pas dans le café, je continue mon chemin. Je passe à côté d’un grouped’étudiants qui sont en train de parler d’une soirée incroyable à laquelle ils étaient la veille, et je

manquerentrerdansuncouplequiestenpleineséancede tripotage.J’entendsd’icimonfrère leurdiredesechercherunhôtel.Jetrouveuneplacevidedanslemétroetjem’assois.

Etmonespritsemetunefoisdeplusàvagabonder.Silatroisièmepersonneàentrerdanslewagonestunefemme,jevaisparleravecNick.Jevaisluiparlersérieusement.Jeluiavouequejenesorsavecpersonne.

Lapremièrepersonnequientredanslemétroestunefemmeauxcheveuxmi-longs,avecungrand sourirequi laisse entrevoirdesdentsdubonheur.Elle tient lamaind’uneautre femme,unebrune. Cela fait donc deux personnes. La première femme embrasse l’autre sur la bouche, et luimurmure quelque chose à l’oreille. Elles éclatent de rire. Une troisième personne entre dans lewagon:c’estunhomme.Ilneportepasdemanteaumalgrélefroidglacial.SonT-shirtHugoBossmoulesespectorauxetsonjeandoitcoûterpluscherqu’unsemestreentieràl’ÉcoledesArtsdelaScène.Vuleprixdesatenue,cen’estcertainementpasparmanquedemoyensqu’ilneportepasdemanteau.Çadoitêtreunequestiondestyle.C’estunchoixrisqué,vulestempératuresambiantes.

Peut-être que je pourrais compter le couple comme une seule personne ?Et si le prochainpassagerestunefemme,jevaisparleràNick.

Ungrouped’hommesentredanslarame.Jemeratatinedansmonfauteuil.L’universaparlé.JeneparleraipasàNickaujourd’hui.Mon téléphonesemetàvibrer. Je l’attrapedans lapochearrièredemonpantalon.C’estun

textodemonfrère–pasdeNick.Désolédenepasêtrepasséàlamaisonceweek-end,jebossecommeuntaré

sur mon expérience. Je suis mort. Enfin, j’espère qu’elle va pas me faire mourir

pourdevrai,fautfairegaffequandonfaitjoujouavecdesvirus.

Je souris.Roberto aparfois tendanceà êtreunpeudramatique,mais c’estunvraigénie enphysiqueetenmathématique–unvraigéniedanstoutcequ’iltouche.Ilvafinirsalicenceavecdeuxansd’avance.Etensuiteilvasauverlemonde.

Jeluiréponds:Faisattentionàtoi.Toujours.

Jem’enfoncedansmonsiège.J’essaiedenepaspenseràcequem’aditRobertosurtouslesvirusetlesbactériesqu’ontrouvedanslestransportsencommun.Àquelquesmètresdemoi,ilyaunmecquiesttraindemangerdeschickenwings,etl’odeurenvahitpeuàpeulewagon.Jen’aipasfaim(impossibled’avoirfaimaprèsunplatdelasagnesdeNonna)maiscetteodeurmerappelleunesoiréequ’onavaitpasséeavecNicksur la terrassedesamaison, ilyadeuxans,pendant lesvacancesdeThanksgiving. On était tellement heureux et insouciants. Nos familles s’entendaient encore bien àcetteépoque.Onavaitdécidédes’échapperdurepastraditionnelhyperguindéetdefuirnosparentsetleursamisultra-chicspourmontersurletoitetcommanderunKFC.Onétaitrestésàparlersurletoittoutelanuit,touslestrois–Nick,Robertoetmoi.

Unepetite fille trisomiqueauxcheveuxbrunset raidesetauxyeuxenamandeentredans lewagonavecsamaman.Elleaungrandsourireauxlèvres.Ellemontredudoigtlesiègeenfacedumien.«Onpeuts’asseoir,maman?»Samèreacquiesce.

Elles s’assoient en face de moi, et la petite fille se blottit contre sa mère. Elles ont desmanteauxviolets assortis, avecunpetit bonhommedeneige sur lapoche avant.La fillette regardeautourd’elle,puiselleselèvepourtouchermonsac.

« Lola », lui lance samère, et la fillette se rassoit. Elle continue à regardermon sac avecintérêt.

Soudain, son visage s’éclaire et son sourire s’agrandit encore. Elle me fait penser à unepublicitépourla«marchepourladifférence»quiaeulieuilyadeuxsemainespourinformersurlatrisomie21.

«Vousêtesunedanseuseétoile?»medemande-t-elled’unevoix toutegaie,enmontrant ledessinquiornemonsac:despointesetunedanseuseentutu.

Je lui réponds : « Oui, je suis une danseuse », mais je sens aussitôt un étrange malaisem’envahir.Jenesaispasd’oùvientcesentiment,maiscen’estpasagréable.J’ail’impressiond’avoirperdul’étincelledejoiequis’allumaitenmoiquandjeparlaisdeladanse.

« Je suis trisomique », me dit-elle alors, d’un ton très factuel, et avant que j’aie pu luirépondre,ellepoursuit:«Maisjevaisêtrebasketteuseprofessionnelle.»Samèrel’embrassesurlefront.

«C’est vrai que c’est déjà une excellente basketteuse. » Lamamanme lance un clin d’œil.«Mais elle veut aussi êtrepatineuse artistique, fairedu lacrosse, et devenir championnedegym–seloncequ’ellevoità la télé.»Ellerit.Et jesensunsouriredansersurmes lèvres.Ellesont l’airtellementheureuses.

«Jesuissûrequetuferasdesmerveilles»,luidis-je.Elleacquiesced’unairtrèssérieux.Jeluidit«aurevoir»delamain.«Jedescendsàcettestation.»

Ellemefait«aurevoir»delamainelleaussi.«Toiaussi,tuvasfairedesmerveilles!»Etsoncomplimentfaitbienpluschaudaucœurquelederniermotd’encouragementquej’aireçud’unedemesprofesseurs.Peut-êtreparcequ’ellesembletellementycroire,alorsquemaprofavaitunairdepitiésurlevisage,commesielleétaitentraindepenser«Ilfautbienquejet’encourageunpeu,maisenfait,jenetetrouvespasgéniale.»

L’auditionestdanstroisjours.TROISJOURS.Jesaisquejepeuxyarriver.Jesaisquejesuisassezbonne.NotaBene:Travaillerencoreplus.

CHAPITRE2-NICK

Notre cuisinierm’a fait une tarte aux pommes hier soir, et une délicieuse odeur de cannelle et decaramelflotteencoredanslamaisonquandjemeréveille.Jecroisqu’ilaeupitiédemoiquandmesparentsontannuléledînerenfamillequenousavionsprévu,etquejemesuisretrouvéàmangertoutseuletàjouerauxjeuxvidéotoutelasoirée.Ilsaitquelatarteauxpommesmeringuéeestundemesdessertspréférés.Jenedispasmonpréféré,carcesontlescannoliqu’Emm’afaitcetété.Lescannoliqu’onamangéensemble justeavantde s’embrasser.Ses lèvresavaientencore legoûtde lacrèmeitalienne.

JenedevraispaspenseràEm,àsesbaisersquimefontbrûlerdedésir,àlamanièredontelles’abandonnaitdansmesbras.Parcequeçacommenceàm’exciter,toutça.Etmesparentssontjusteàcôté.Jen’aiaucuneenviequ’ilss’enrendentcompte.Ilyademeilleuresmanièresdefinirleweek-end.

Je danse d’un pied sur l’autre, j’attrape mon sac, et je m’apprête à partir sans dire « aurevoir».Jeleurenveuxencoreunpeudem’avoirlaissétombéhiersoir.Laplupartdemescopainstrouventçatropcoolquandleursparentsnesontpaslà,maisleschosessontunpeudifférentesquandpasserdutempsavecsesparentsest l’exceptionà larègle.Moi,çanemedérangeraitpasquelquesdînersenfamille.Qu’ilsmeposentdesquestionssurmesétudes,surmavie.Qu’ilss’intéressentàmoid’unemanièreoud’uneautre.

«Tut’envasdéjà?»meditmamanensortantprécipitammentdusalon,oùelleétaitentraindepasserdescoupsdefilspourungaladecharitéqu’elleorganisedansdeuxmois.Ellen’estplusaussitristequ’avant,maiselleatoujoursl’airunpeuabsentequandelleestàlamaison.Lesséancesde psy auxquelles ils me traînent une fois par mois aident un peu.Mais j’ai l’impression que sapriorité,c’estd’arrangerleschosesavecmonpère,etqueçalapréoccupetellementqu’ellenesaitpastropquefaireavecmoi.Jesensqueparfois,ellefaitdesefforts,qu’elleprendunpeudetempsdanssonemploidutempssurchargépourmeparler.Maissouvent,onnesecroisepasduweek-end.

«Ilesttard»,jeluiréponds,etmepassantlamainsurlanuque.Jesuisbeaucoupplusgrandqu’elle,maisparfois,ilsuffitqu’ellemeregardeavecunpeudetendresseetj’ail’impressiond’êtredenouveauunpetitgarçondecinqansaccroàsamaman.Direqu’à l’époque j’étaispersuadéquemesparents étaientparfaits. Jeme trouve ridiculed’avoirpucroire ça.N’importequoi.Ouvre lesyeux,Nick.

«Jesuisdésolée,onétaitvraimentdébordésceweek-end,maisjeteprometsquelasemaineprochaineonferaquelquechosedechouetteensemble,justetoietmoi.»

«Ok.»Jen’ycroispasuninstant.«CommentvaEmilia?»medemande-t-elleenmescrutantduregard,commesielleessayait

dedevinerlavérité.«Ellevatrèsbien».J’essaied’avoirl’airleplusdétachépossible,maisrienqued’entendrele

prénom d’Emilia, j’ai l’impression de recevoir un coup de poing dans le ventre. J’ai vraimentdéconné. J’ai tout foutu en l’air etmaintenant je ne sais pas comment arranger les choses. Simarelationavecmamanétaitplusnormale,sipapanes’obstinaitpasàm’interdiredesortiravecEm,peut-êtrequejepourraisluidemanderconseil.Emditqu’ellesortavecquelqu’un.Maisjen’ycroispas…Nonpasquejesoisirremplaçable,maisjevoisbienqu’ellen’apasl’airheureuse.Sielleétaitvraimentpasséeàautrechose,elleauraitl’airheureuse.Non,jemetrompe?

«Jesuisheureused’entendreça»,répondmamère,toutenréarrangeantlégèrementunvasequeluiaoffertlafemmedel’anciengouverneurdeNewYork.Elleledéplacejusqu’àcequ’ilsoitexactement aumilieu du petit guéridon sur lequel il trône. Je serre les poings. Et jememets à laregarderàmontour.Elleserreleslèvrescommesielleseretenaitdedirequelquechoseetjevoisquesesmainstremblentunpeu–jelaconnais,çaveutdirequequelquechoselatracasse.

«Je…»Mavoixsebrisecommesij’étaisungamindetreizeansentraindemuer.Sesdoigtsglissent sur levase. Ils suivent les contoursde la fleurbleuequiorne son flanc.

«Celafaittrèslongtempsquenousnel’avonspasvue»,dit-elle.Jeserrelespoingsencoreunpeuplusfort,jepousseungrandsoupirpouressayerd’allégerlepoidsquimepèsesurlapoitrine.Mamèrecommenceàpeineàallermieux, jen’aipasenviedemettreenpéril saconvalescence.Jeneveux pas l’empêcher de remonter la pente, nous empêcher de remonter la pente, en lui posant laquestionquimebrûlelalangue.Est-cequetuétaisaucourant?Jehurleintérieurement,jelasuppliedeliredansmespensées.Est-cequetuétaisaucourantquepapam’aforcéàquitterEmiliaetàsortiravecd’autresfilles,aveclesfillesdesespotes,pourremporteruncontrat?

Ellepencheunpeulatêtesurlecôté.«Çafaitlongtempsqu’onn’apasvuRoberto,nonplus.-Ilsontbeaucoupdeboulot.Toutlemondeabeaucoupdeboulotencemoment.»Montonest

plus sec que je ne le voudrais. « Enfin, bref, faut que j’y aille.Mais je reviens vendredi soir ousamedi.»Jemeforceàesquisserunsourire.Lacolèrequejesensmonterenmoin’arienàvoiravecmamère.C’estmafaute,c’estmoiquisuisuncouard.

Chaque semaine, je me dis que je vais trouver le courage d’affronter mon père. Chaquesemaine,jerassemblemesforcespourluidirequejeneluiobéiraiplus,quejenecèderaiplusàseschantages.Quec’est fini.Que jene sortiraiplus avecdes fillespour lui faireplaisir.Mais chaquesemaine,c’est lamêmechose, je reculeauderniermoment.Jen’yarrivepas.Soit iln’estpasà lamaison, soit il est avecmamanet jen’aipasenviequ’ellepaye lespotscassés.Ellea l’airencoretellementfragile,j’ail’impressionqu’àlamoindrecontrariété,elleseraitcapabledes’enalleretdenejamaisrevenir.

Son portable sonne, et elle lève un doigt : « Attends une seconde », me dit-elle avant dedécrocher. C’est encore pour son gala de charité. Son attitude change du tout au tout : elle faitsemblantquetoutvapourlemieuxdanslemeilleurdesmondes.Savoixestplusassurée,maispasplusheureuse.Jesuisquasicertainqu’aucunedeses«copines»n’estaucourantdesesproblèmes.

Mesparentsmetraînentchezlepsyaveceux,«pourlebiendetoutelafamille».Jemetsunpointd’honneur à râlerpendant tout le chemin,mais j’avouequecen’estpas simal.Maman s’estexcuséeden’avoirpasété làquandellea fait sesvalisesetqu’elleestpartie« réfléchir»dansuncentrederemiseenformependanttroismois.Ellem’aditqueçan’avaitrienàvoiravecmoi,maisce n’est pas vraiment le sentiment que j’ai eu. Je suis allé lui rendre visite là-bas pour sonanniversaire,maindans lamain avecEm.Mon anniversaire àmoi était en octobre, et elle nem’amême pas appelé. Je lui ai dit que çam’avait blessé qu’elle oublie. Elle a pleuré et j’ai senti ma

poitrineseserrertellementfortquej’aicruquejenepourraisplusjamaisrespirernormalement.« Que voulez-vous, Nicholas ? » m’a demandé le psy, le Dr. Grahams, au cours d’une

éprouvanteséanceentêteàtêtequechacundenoustroisadûendureràsontouravantlaséanceenfamille. Je n’ai pas répondu, et il a griffonné quelque chose dans son carnet. «Votre désir d’êtreacceptéparvotrepèrenedevraitpasvousfaireoubliervospropresbesoins,nivouspousseràvousoubliervous-même»,m’a-t-ildit,etilm’ademandédegardercelaàl’esprit.

C’estcequej’essaiedefaire.«Maisbiensûr,Laura.Tuseras lapremièreaucourant»,ditmamantoutenmelançantun

regarddedénégation.«Écoute,jedoistelaisser.Nickvapartirpourl’École.»Jecontinuedelaregarder,toutenchangeantmonsacd’épaule.Jeneveuxpasdemanderàmamansielleétaitaucourantdeschantagesdepapa.Jepréfère

faire comme si elle ne savait pas. J’ai besoin de croire qu’au moins un de mes deux parents necherchepasàm’utiliser.

Elleraccroche.«Dis“bonjour”àEmiliademapart»,dit-elle.Jefaisunegrimace.Etbim,tuviensdemetuersansmêmet’enrendrecompte,maman.«Jen’ymanqueraipas»,jeréponds.J’aiditàEmquej’étaisdésoléqueleschosessesoient

terminéesdecettemanièrel’étédernier.Maisjeneluiaijamaisditpourquoi.Jeneluiaijamaisditàquelpointj’auraisaiméqueleschosessepassentautrement.Àquelpointjevoudraisqu’onsoitdenouveauensemble.

Lepsynousaaussiparlédel’importancededirepardon,ilnousaassuréqu’onsesentiraitlibérésunefoisqu’onseseraitditlavérité.

S’illedit.Rienqued’imaginerdemanderàmamère si elleest aucourantdeschantagesdepapa, j’ai

plusletracquepourmesauditionsdecettesemaine.QuantàcequiestdetoutraconteràEm…J’ail’impressionquedirelavérité,c’estencoreplusdurquederéussirunbutterfly–quidemandequandmêmedes’élancerleplushautpossibleau-dessusdusol,deréaliserunerotationetd’atterrirjambefléchie.

Sahaine,jepeuxvivreavec.Maisjenesupporteplusdevoirdanssesyeuxtouteladouleuretledégoûtquej’aicausés.

Mamanmelanceunpetitbisoudeloin,etmêmesiellenevapasencorejusqu’àm’embrasservraimentsurlajoue,elleposetoutdemêmesamainsurmonépaule.Elledevientunpeuplustactiledepuisqu’onacommencéàvoirlepsy.«Jesaisquetuasunesemainechargéeavectesauditions.Etjesaisaussiquetuaimeraisquetonpèretesoutienneunpeuplus.

-C’estl’euphémismedel’année,ça.»Jelaissetombermonsacparterreetjecroiselesbrassurmapoitrine.Pourquoiêtes-voustoujourssurladéfensive,Nick?diraitnotrepsy.J’hésiteentreluifaireundoigtd’honneurmentalementpouravoirosés’immiscerdansmespensées,oujustehausserlesépaulesparcequ’aufond,ilaraison.

«Laisse-luiunpeudetemps.Ças’amélioretoutdoucement.»C’est vrai. Même avec moi, les choses vont mieux. Cela fait trois mois qu’il ne m’a pas

demandédesortiravecunefillepourarrangersesaffaires.Ilestplusattentifquandonestensemble,ilparlebeaucoupmoinsaussi,ilestmoinsinsistant,moinsagaçant,moinscontrariant,moinstout.Iln’enestpasencoreàm’apporterunsoutiensansfaille,maisaumoinsiln’estplusaussidestructeur.

«Tuvasvoir.Çavaêtreuneannéeformidablepourtoi.Pournoustous.Pournotrefamille.»Elleposeànouveausamainsurmonépaule.Songesteestunpeumaladroit,maisjesensqu’ellefaitdesefforts.

«Ok,maman.Onsevoitleweek-endprochain.»Etjefaisquelquechosequejen’aipasfaitdepuisdeslustres.Jemepencheetjel’embrassesurlajoue.«Jet’aime,maman».

Elleposesamainsursajoueetunsourireilluminesonvisage.Cettefois-cicen’estpasunsourirehypocrite.«Jet’aime,moncœur.»

Je ne rappellemême plus depuis quand elle neme l’avait pas dit. Je suis à deux doigts detournerson«jet’aime»endérision–jecroisquejeseraiscapabledefairen’importequoipournepluslaissernaîtreunespoirenmoitellementj’aipeurd’êtredéçuetdesouffrirànouveau.Maisjelaregardeetjevoisqu’elleymettoutsoncœur.Ellefaitdeseffortspourêtreplusouverte,etelleestvraimententraindefaireuntravailsurelle-même.

Unsouriresedessinesurmeslèvres.Paslesourirehabitueldesfinsdeweek-ends,quiveutdire«jesuiscontentdemebarrerdecetendroit».

Non.Là,c’estunvraisourire,sansarrière-pensée.

CHAPITRE3-EM

Jeprends la sortiequidonnesurCentralPark,et j’échappeenfinà lachaleurétouffantedumétro.L’air froid qui s’engouffre dans les escaliers me prend par surprise. Je memets à frissonner. Jeresserremon écharpe et je metsmon bonnet. Nick a exactement le même. Il y a notre nom écritdessus. C’est Nonna qui nous les offerts pour noël, on était super gênés quand Nick a ouvert lepaquet-cadeau. Il était venu passer la soirée de noël avec nous. Ses parents étaient partis faire unethérapiedecoupleetl’avaientlaisséseulpourlesfêtes,alorsRobertoavaitsuppliépapadel’inviteràlamaison.Papan’auraitjamaisacceptésansl’interventiondemaman.

J’aifaitsemblantd’avoirunrendez-vousavecmonprétendupetitcopainlejourdenoëlpourl’éviter.Jevoulaisqu’ilcroiequej’étaispasséeàautrechose.Jenevoulaispasqu’ilsachequeçamebrisaitlecœurdelevoirtriste.

Jepassemontempsàfairesemblant,depuisl’étédernier.J’entre dans l’École des Arts de la Scène. Je dis « bonsoir » à la jeune réceptionniste qui

travaillelàleweek-end.Ellelèvelesyeuxdesonmagazineetmefaitunpetitsignedelamain.Elleestlàdepuislemoisdefévrier.Ilparaîtqu’elleestenmasteràNYUetquec’estsonjobd’étudiante.Lehalld’entréeimmaculé,avecsespostersetsesdépliantsdel’École,donnesurd’étroitscouloirsquimènentaupensionnat.Jemedirigeversmachambre.Beaucoupd’étudiantsrentrentchezeuxleweek-end,surtoutceuxdontlafamillehabiteàproximité,commemoi,maismacoloc,Natalya,n’estpasrentréechezsesparentsdepuisdessemaines.Elleestcenséeretournerchezelle,dansleMaine,justeaprèslesauditions.

«Salut»,jeluilanceenentrantdansnotrepetitechambre.Jeposeavecsoinmonsacsurlapetitechaiseàcôtédemonbureau.Leschambresdupensionnatsonttrèsspartiates:iln’yapasdetélé, justedeux lits superposés,deuxbureauxetungrandplacard.Etcommed’habitude, lecôtédeNata est un vrai bazar alors que mes affaires sont impeccablement rangées. Nata est en train deregarderdesphotos,toutenécoutantdelamusiquesursoniPod.Elleenlèvesesécouteursetmefaitungrandsourire.

«Salut.Comments’estpassétonweek-end?»Sescheveuxsonttoujoursrelevésenunequeuedechevalfaiteàlava-vite,maissurelle,çaal’airsublime.

«Çaallait.J’avaisl’intentionderentrerplustôtpourrépéter,maisj’aieuenviederesterunpeuavecmaNonna.

«Jecomprends.Jeregrettedenepasavoirpupasserplusdetempsavecmababouchka.»Nataal’airtellementtristeendisantça.Jemesensnulledeluiavoirrappelécemauvaissouvenir,j’aurais

pulafermer.Elleaperdusagrand-mèreenjanvier,etçaaététrèsdurpourelle.JepenseàNonna.Jelarevoisentrainderire,jemesouviensdesescâlins,desamanièrede

me dire qu’elle croit enmoi, et jem’accroche à ses images pour essayer de repousser la visiond’horreurque j’aieuen janvier,quand je l’aivusur son litd’hôpital, après sonattaque.Elleavaitl’airminuscule, tellementminuscule.Et tellement fragile. Pour chasser ces pensées demon esprit,j’entreprendsdeviderlelingesaledemonsacdanslepanieràlinge.J’auraisdûfairemalessiveàlamaison,maisc’étaitplusimportantdepasserdutempsavecNonna.

«Çateditdevenirmangerquelquechoseàlacafètavecmoi?»meproposeNata.Parfois,jeluirapportedespetitsplatsdurestaurantdeNonna,maisellefaittrèsattentionàcequ’ellemange.Jedevraisfairepareil.

«Nonmerci,j’aideuxoutroistrucsàfaire»,jeluiréponds,enmontrantmonordinateur.«Ilfautquej’aidessupernotesaumoinsdansquelquescours,aucasoùjemeplanteàl’auditionetquejen’aipasderôledanslespectacle.

-Net’inquiètepas,tuvasavoirunrôle.Etpasunpetitrôle»,merépondNata.Elleneditpaslemeilleur rôleparceque,quandonvise lapremièreplaceonnepeutpas la souhaiterauxautres.«Est-cequetuveuxquejeterapportequelquechosedelacafèt?

-Non,c’estbon.J’aimangétoutunplatdelasagneschezNonna,maismerci,c’estgentil.-Derien.Jerevienstoutdesuite.»Elleregardeautourd’elle.«Jerangetoutçadèsqueje

remonte,promis.»Jeluisourisd’unairincrédule.Cen’estpasgrave.«Maisoui.Biensûr.- Si, je te promets, je vais tout ranger. J’ai dû beaucoup répéter ceweek-end. Je n’arrivais

même pas à sauter assez haut pour un simple grand jeté. » Elle pousse un soupir. « J’avais beauessayer,moncorpsnevoulaitrienentendre.

-Maisjesuissûrequetuasfiniparyarriver.-Àpeuprès,maiscen’étaitpasparfait.»Elleesquisseunpetitsourire.«Pasencoreparfait.»

Elle sort et referme la porte derrière elle.Non seulementNata est une fillemagnifique,mais elles’apprête aussi à devenir la première élève qui ne soit pas en dernière année à décrocher le rôleprincipaldanslespectacledel’École.Cen’estjamaisarrivé.

Jeramasseundeseslivresetjelerangesursatabledenuit,enpoussantunpeulaphotod’elleetdesameilleurecopinesurlecôté.Ellessontentraindesauterdansunlacmaindanslamain,enriantauxéclats.

Àl’École,elleestbeaucoupplusréservée.Certainsélèvespensentqu’elleesttimide,d’autrescroientqu’elleestprétentieuseàcausedesabeautéetdesontalent.Mais laplupartvoudraientêtrecommeelle,ouessaientd’êtreamisavecelle.Elleadelongscheveuxblondsquiluidescendentendessousdesépaules,d’immensesyeuxbleus,etdèsqu’elleposeunpiedsurscène,onnevoitplusqu’elle.Ça fait trois ansqueNata etmoipartageons lamêmechambre, et c’est unedemes seulesamiesici.Maismêmemoi,jenesaispascequiluiarriveencemoment,nipourquoiellen’apasl’airbien.

Jem’assoisàmonbureau.Peut-êtreque j’auraisdûdescendreà lacafètavecNatapour luitenircompagnie.Maisunedesraisonspourlesquellesons’entendbienaprèstroisansdecoloc,c’estqu’onn’estpastoujoursfourréesensemble.

Jerespireungrandcoup, jecompte jusqu’à troiset jecliquesurundocumentquis’appelle«Lettre_brouilllon4».Çafait troissemainesque j’essaiede l’écrire,et jen’ai toujourspas fini. Ilfautquejetrouvelesmotsjustes.Cen’estpasunedissertpourl’École.

C’estunelettrepourmamèrebiologique.ChèreClaire,

J’espèrequeçanevousdérangepasquejevousappelleClaire.Jem’appelleEmilia,c’estleprénomquem’ontdonnémesparents.Jenesaispastroppourquoijevousécriscettelettre.

Jenesuismêmepassûrequevouslalisiez.Maisjevoulaisvousraconterunehistoire.Monhistoire.Etj’espèrequevousaccepterezpeut-êtredemerencontrer,unjour.

Jevoudraisjustecomprendre.J’efface«Jevoudraisjustecomprendre».J’effacelespremièreslignes.Jen’aipasbesoinde

luidiremonnom.Ellesaitquijesuis,ellesaitcommentjem’appelle.Elleconnaîttoutemafamille.C’étaitquandmêmelasecrétairedemonpère.

Je relis la lettre àvoixhaute.Lentement.Mavoix est tropmécanique, détachée, et lesmotssonnentfaux.Jenetrouvepasdemotsassezforts.Jen’arrivepasàdirelevidequejeressensenmoidepuisqu’ellem’aclaquélaporteaunez.

J’avaistoujoursimaginéquelejouroùjerencontreraismamèrebiologique,toutsepasseraitbien.Qu’onsesourirait,qu’ontomberaitdanslesbrasl’unedel’autre,qu’onparleraitetqu’onriraitensemblependantdesheures.

Mais au lieu de ça,mon cœur s’est brisé enmillemorceaux, et je crois que je n’arriveraijamais à les recoller.Elle s’est littéralement enfuie en courant quand j’ai essayéde lui parler l’étédernier,etelleaclaquélaportièredesavoitureavectellementdeviolencequ’elleafaillilacasser.

Etmoi,jemesuisécroulée.Jetapotesurmonbureau,jemelève,jemerassois,jeregardel’écran.Les souvenirs de l’été dernier me reviennent par vagues. Papa qui en a marre de mes

recherches,demesquestions.Papaquimebriselecœurenmedisantenfinlavérité,enm’avouantqu’ilm’amentipendanttoutescesannées.Jenemesuistoujourspasremisedesesrévélations.Ilm’aracontéquemamèrebiologiquevoulaitmevendreauplusoffrant.Quandjepensequ’ilm’amentipendanttoutescesannées.

Jeréduislafenêtre,etj’ouvreledossierquej’aiappelé«Dossiervérité».Nick et moi avons fait des recherches tout l’été, et nous n’avons presque rien trouvé sur

Claire.Maisilasuffid’unpeud’argentpourobtenirenfindesinfos.Onn’imaginepaslenombredesitesquicollectentdes informations sur lesgens.Etdisonsqueçam’abienaidédedécouvrir sonnumérodesécuritésocialedanslesvieuxpapiersdepapa.

Jerelisledocument.Sesparentssontmortsdansunaccidentdevoiturequandelleétaitjeune.Elle a fait plein de petits boulots pour payer ses études et celles de sa petite sœur. Puis, aprèsl’université,sacarrièreaenfindécollé.

L’alarme demon portableme fait sursauter. Elle est là pourme rappeler que je dois fairequelquesétirements. Je ferme ledocument surClaire,puis ledossier.Mesdoigtshésitentquelquessecondesavantdefermerlalettre.Jenesauvegardemêmepasleschangementsquejeviensdefaire.Çanesertàriend’envoyercettelettredetoutefaçon.Ceseraitridicule.Ellesenttropledésespoir.Ilfautquej’arriveàécrirequelquechosequipuisselaconvaincredemeparler.

Monalarmesonneànouveau,etjeregardemonportable.Ilestpresquevingtheures,Natavabientôtrevenir.Nickdoitdéjàêtredanssachambre.Àmoinsqu’ilnesoitencoreavecunenouvellefille.Pourchanger.

J’ai un nœud dans l’estomac rien qu’en pensant à lui. C’est toujours aussi douloureux quelorsquejel’aivupourlapremièrefoisaprèsnotrerupture.

Cejour-là,j’étaisenretard.Pourlapremièrefoisdemavieentière.Jecouraispouralleràlapremièreréuniondel’année,etaudétourd’uncouloir,jemesuisretrouvéenezànezavecNick.Ilétaitadosséàunmur,etJenétaitdanssesbras.Jemesuisretenuedecrier,maisj’aisentileslarmesmemonterauxyeux.

Deuxsemainesavantça,c’étaitmoiqu’ilembrassait,moiqu’ilprenaitdanslesbras,moidontilcaressaitdoucementledos.

Ilsn’étaientpasentraindes’embrasser,maisc’étaitclairqu’ilsétaientdenouveauensemble.J’avaisentendudesrumeurs, j’avaisvupasserquelques tweets,mais jenevoulaispasycroire.Ons’étaitpourtantmisd’accord:notrehistoirenedevaitdurerqu’unété,unétéquiauraitdûseterminersanscomplications.Aprèstout,ilavaitététrèsclair:ilnevoulaitpasavoirdecopineunefoisquelescoursauraientcommencéparcequ’ilvoulaitseconcentrersursacarrière.Etentrenosparentsquines’entendaientplusetmonfrèrequiveillaitaugrain,jecomprendsqu’ilaitpréféréposerdeslimitesànotrerelation.

Je n’étais pas censée tomber encore plus amoureuse de lui. Je n’étais pas censéeme fairebriserlecœur.Jen’étaispascenséeespérerqu’iloublieraitladated’expirationdenotrerelation,etqu’oncontinueraitjusteàêtreensemble.

Tout s’estécrouléaussivitequ’undanseurqui rate sonsaut.Mais jegardaisencoreespoir.J’imaginaisqu’ilallaitvenirfrapperàmaportepourmedirequ’ilétaitdésolé,qu’ilallaitsebattrequ’onresteensemble.

Notabene:Ilfautquej’arrêtedemefairedesillusions.Mais revenons au couloir. Jen, un immense sourire de triomphe aux lèvres, m’avait dit

«Salut!»enmefaisantungrandcoucoudelamain.Nickavaitouvertlabouchecommepourparler,maisiln’avaitpasditunmot.Ons’étaitregardés.Surlemoment, j’avaiseul’impressiondevoirduregretdanssesyeux,

maisjecroisquec’étaitjustequ’ilplissaitlesyeuxpourvoirsij’étaisencolèreoupas.J’avaisravalémadouleuretmafiertéetjelesavaissaluésdelamain.Commesiderienn’était.Commesiçanem’avaitpasplantéuncoupdepoignarddanslecœur,delesvoirensemble.

Enfin bref.Ça fait huitmois. Je devrais être passée à autre chose. Etmême si ce n’est pasencore tout à fait le cas, je sais que je ne laisserais plus quelqu’un me faire souffrir comme ça,aujourd’hui.

Maissijeveuxsortirdecettehistoirelatêtehaute,ilmefautdécrocherlerôleprincipaldansle spectacle de cette année. J’ai imaginé mille fois comment ça se passerait. Je décroche le rôleprincipal,etj’envoieuneautrelettreàmamèrebiologique,etelleesttellementfièrequ’ellevientmevoir.Nickserendenfincomptequ’onestfaitsl’unpourl’autre.MesparentsmeregardentenfinavecautantdefiertéquelorsqueRobertoleuraannoncéqu’ilavaitdécrochéuneboursepourpasserl’étéprochainauMIT.

Jeregardel’écrannoirdemonordinateur.Jevoismonavenir.Jevoiscequejeveux,cedontj’aibesoin.Jemelève.Etjecommencemesétirements,avecplusdedéterminationquejamais.Jevaisdécrochercerôleprincipalcoûtequecoûte.

CHAPITRE4-NICK

Je prends une rafale de vent en plein visage, et je frissonne. C’est censé être le printemps dansquelquesjours,maisçafaitdessemainesquecetempsdégueucontinue.Jesorsmonbonnetdemapoche.C’estceluiqueNonnam’aoffertpournoël.Jesaisqu’elleessayaitd’arrangerleschosesentreEmetmoi.Maisvasavoircequ’enapenséEm.Elleadûsedirequecommel’hiverétaitrude,Nonnaavaitpenséqu’onauraittouslesdeuxbesoindebonnets.Desbonnetsassortis.

J’auraispudemander ànotre chauffeurdeme reconduire à l’École.L’andernier, jene l’aijamaisfait,parcequeçamepermettaitdepasserdutempsavecEm.C’étaitencorel’époqueoùtoutétaitsimpleentrenous–avantnotreété,avantquejemerendecomptequ’elleétaitplusqu’uneamiepourmoi.

Etmaintenant, jen’aipasenvied’utiliser lechauffeurparceque jevoudraisprouveràmonpèrequejen’aipasbesoindesonargent.

Je passe devant la maison d’Em. C’est toujours le même portier, et il me salue avant desoufflerdanssesmainsglacées.Jelesalueàmontour,enmedisantquej’auraisdûpenseràprendredesgants.Laneigetombedru.

Ematoujoursadorélaneige.ElleadoraitfairedesbonhommesdeneigedansCentralPark.Touslesans,onallaitfairedupatinàglaceaveclestouristes.Onsetenaitparlamain,eton

faisaitsemblantquec’étaitjusteungesteanodin,ungested’amisquis’amusent.Maisj’enaimarredefairesemblant.Jedonneuncoupdepieddansuncaillouquitraînesurletrottoir.Jen’aipasparléauDr.Grahamsdeschantagesdemonpère.Maisonaparléd’Em,unjour.Je

nesaispascommentmonpèreafait,maisilaréussiàseretenirdedirecequ’ilpensaitd’Emetdesafamille–àsavoirqu’ilsnesontpasassezbienpournous.

J’entre dans l’École desArts de la Scène. Sansmêmem’en rendre compte, jeme retrouvedevant la porte de la chambre d’Em. J’ai envie de frapper. J’ai envie de lui parler. J’aibesoin deparleravecelle,deluiparlerdemesparents,del’École,desdernièressériestéléquej’aienregistréespourqu’onpuisselesregarderensemblequandonauradenouveauunpeudetemps.Jevoudraisluidireencoreunefoiscombienjesuisdésolépourcequis’estpassé,luidirequej’espèrequecen’estpastroptard,lasupplierdemelaisserunedernièrechance.

Je suis tenté d’appeler Rob pour lui demander conseil, mais de toute façon il m’enverraitbaladerenmedisantdemedébrouillertoutseul,qu’Emestsasœuretqu’ilneveutpassemêlerdenoshistoires–saufsijelafaisencoresouffrir,auquelcasilmecasseraitlafigure.Etjesaisqu’illeferait.Jecroisquejenemedéfendraismêmepas,parcequ’ilauraitraison.Jeneveuxplus jamais

fairesouffrirEm.Jeme rappelle le jour de la rentrée, quand j’ai revuEmpour la première fois après notre

rupture.Jen’oublieraijamaislatristesse,ledésarroi,lacolère,quej’ailussursonvisagecejour-là.Je n’avais qu’une envie, c’était de la prendre dans mes bras, de lui demander pardon, de

l’embrasseretdesécherseslarmes.Maisaulieudefrapperàlaporte,jesecouelatêteetjemedépêchederejoindremachambre.

Je jettemonsac sur le lit.Moncolocn’estpas là, ildoit êtreà lacafètouen trainde répéter.Sesaffairessontlà,et lepostergéantdesonpetitcopain,unancienétudiantdel’École,estdenouveauaccrochéaumur.Lasemainedernière, il l’avaitdécrochéaprèsunedispute,endisantquetoutétaitfinientreeux.

Ilsembleraitqu’ilssesoientréconciliés.Jedescendsàlacafèt,etj’aperçoislacolocd’Em.Difficiledenepaslavoir,avecseslongs

cheveuxblondsultra-brillants.C’estlegenredepersonnequ’onremarquetoutdesuite.«SalutNata»,jeluilance.Ellehésiteentrelepoissondujouretlasalade.Maisellefinitpar

prendreunyaourtetunepomme.«Hello»,merépond-elle.«Comments’estpassétonweek-end?»Elleattrapeunecuillèreet

unebouteilled’eau.« J’ai rien fait de spécial. J’ai joué aux jeux vidéo, et j’ai essayé de bosser pour un exam

d’histoire qu’on amardi. J’arrivemême pas à croire qu’ils nous collent un exam la semaine desauditions.

-Nous,c’estencorepire,onadesexamspourlecontrôlecontinujusqu’enavril.-Génial.»Elles’installeàunetableetjem’assoisenfaced’elle.«CommentvaEm?»jelui

demande tout en me passant nerveusement la main sur la nuque. Je me sens tout d’un coupaffreusementtimide.

«Çaal’aird’aller.Elleestunpeustressée,maisbon,çava.»Elleprendunegorgéed’eau.«Pourquoituneluidemandespastoi-même?Jecroyaisquevousaviezrecommencéàvousparler,touslesdeux.

-Oui,oui,onarecommencéàseparler.»Etc’estlavérité.Uneespècedetrêves’estétablieentrenous.Maisc’estencoreplusdouloureuxqu’avant:plusjepassedetempsavecelle,plusellememanque,etmoinsj’arriveàluiparler.

«Hmm.»Natacroquedanssapomme.Ellerestesilencieuse.JenesaispassiEmluiaparlédenotrehistoireàduréelimitéedecetété.Etjeneveuxpassavoirsiellel’afait.SiEmaenviedeparleravecNata,elleenatoutàfaitledroit.Maisjenevaispasmerisqueràlancerdesrumeurs,ouàdiredeschosesqu’Emn’apasenviededévoileràtoutlemonde.

Nataal’airperduedanssespensées.Seslongscheveuxblondsretombentsursesépaules.Elletape du pied, probablement sans même s’en rendre compte. Elle doit être en train de répéter unechorégraphiedanssatête.

Jem’éclaircislavoix.«Est-cequ’Emadit…»Maisjem’arrêteenpleinmilieudemaphrase.Çaneparaîtpasunebonneidée,enfait,dedemanderdeschosessurEmàNata.«Non,rien,laissetomber.»

Natahochelatête,commesielleavaitentendumonpetitmonologueintérieuretqu’elleétaitd’accord.Ellemeregarde.«Cequejesais,c’estque tu luimanquesbeaucoup»,murmure-t-elleàvoixsibasseque jenesuismêmepassûrd’avoirbienentendu.Maiselleesquisseunpetit sourireencourageant.«Jenesaispascequis’estpasséentrevousdeux,maisjesuispresquecertainequeçapeuts’arranger.»

Jevoudraisprotester,maiselleselève.«Jesaisqueçanemeregardepas,maispourqueças’arrange,ilfaudraitpeut-êtrequevousparliez.Aulieudevoustournerautourcommesivousétiez

en traindedanser leLacdescygnes.»Elle réfléchitun instantavantde reprendre :«En touscas,essaie de ne rien faire qui la perturbe avant les auditions. C’est super important pour elle. C’estimportantpourtoutlemonde,ici.

-Jesais.Elleacquiesceànouveau.Puis,ellesortdelacafètd’unpastranquille,leportaltier.Jerespireungrandcoup.Moncorpsentiertrembleàlaseuleidéedecequim’attend.Maisje

saisquej’ensuiscapable.Jesuiscapabled’affronterEm,d’affrontermesparents,etdefairefaceàmesdémons.

CHAPITRE5-EM

J’aimebienrangermesaffaires(etparfoismêmecellesdeNatalya),çamecalmetoujours.Maiscesoir,j’auraiscarrémentbesoindepétrirdelapâteàgâteau,delapâtepourcannoliouquelquechosecomme ça, pour arriver àme calmer. Je suis trop sur les nerfs pour pouvoir trouver le sommeil.Mêmeuneheureentièrederépètn’apasréussiàfaireretombercetteexcitation.

Maispourquoijemesenscommeça?Àcausedel’audition?DeNick?Ilmetardedelevoir.Ah, lesvieilleshabitudesont laviedure, commedisaitRoberto en allumantunecigarette après ledépartdeGiovannienoctobre.Jeluiairéponduqu’ildisaitvraimentn’importequoi.Tuparlesd’unfumeur:çafaisaittroisansqu’iln’avaitpasalluméunecigarette–enfaitiln’afuméquependantsixmoisquandilavaitquinzeans,jusqu’àcequepapalesurprenneetl’envoiefairedubénévolatdansuncentrepourcancéreux.D’ailleurs,c’estcommeçaqueRobertoacommencéàs’intéresservraimentauxsciences.

Nataentredanslachambre,etselaissetombersurlelit.«J’aivuNickàlacafèt»,medit-elleenobservantmaréaction.Natanevitquepourleballet.D’habitude,ellenes’intéressepasauxragotsdel’École,etellenem’ajamaisdemandécequis’étaitpasséavecNick.Jamais.«Ilvoulaitmeposerdesquestionssurtoi,dit-elle.

-Ilvoulaitouill’afait?»jeluirépondsenlevantunsourcil.«Tusaisquejesuisnullepourtoutça…jenesaisabsolumentpascommentaiderlesgens,je

nesaisjamaisquoidirequandils’agitdeparlerd’autrechosequededanse.Jem’yprendscommeunmanche.Maiscequejevoulaistedire,c’estquetuluimanquesetqu’iltemanque.Ettuasbeaudireque tu veux te concentrer sur les auditions, si tu danses La Belle au bois dormant en étantprofondémentmalheureuse,lejuryvas’enrendrecompte.»

Jem’enfonce dansma chaise. D’habitude, Nata etmoi, on ne parle que des cours et de ladanse. Et parfois un peu de notre famille. Je sais qu’en ce moment c’est dur avec ses parents, etqu’elleasupermalvéculamortdesagrand-mère–sansparlerdufaitqu’elletravaillecommeunedingue.Elleestsousl’eau.

J’attrape mon ordi, je vais m’asseoir à côté d’elle, et je lui donne un petit coup d’épaule.«Merci», luidis-je.«Est-cequeçateditderegarderdedocumentairesurMistyCopelandquiestpassésurCBS?Ilsontdûlemettreenligne.

-Ondevraitplutôtsecoucher»,répondNata.Elles’étireetsourit.«Maisbon…regarderunedanseuse étoile, c’est presque comme si on répétait. » Elle se laisse glisser sur le lit, et s’installeconfortablement contre lemur. «Une demi-heuremaxi », dit-elle avec un sourire. Et on finit parregarderl’émissionjusqu’aubout.

Ledeuxièmecoursdedansedelajournéeestloind’êtremonpréféré,etc’estencoreplusdurdeseconcentreraprèsunenuitsanssommeil.CommeNatam’aditqu’elleavaitvuNick,etqu’ellepensaitqu’il voulait lui parler demoi, je croyais qu’il allaitm’envoyer un texto oum’appeler, oumêmepassermevoir.

Maisnon.Et je n’arrête pas de penser à cette lettre pourmamère biologique. Qu’est-ce que je dois

faire? Je luienaidéjàenvoyéune,etçan’a riendonné. Il fautdirequecettepremière lettreétaitnulle, et elle l’a sans doute déchirée. Ça m’a aussi valu une engueulade avec mon père, qui mereprochait de ne pas respecter la vie privée des gens, et de faire de la peine àmaman. Jem’étire,j’essaiedemeconcentrersurleprésent,d’oublierletourbillondepenséesquim’assaillit.

L’ambianceestélectriquedanslasalledecours.Toutlemondeestfébrile:onsentunmélangedepeuretd’excitation,undésirderéussir.Lessouriressonttendus,lesmotsd’encouragementrares,ettoutlemondesembleprêterplusd’attentionàsaposturequed’habitude.

Cequin’étaitquedelaroutine,desexercicesobligatoiresetrépétitifs,devienttoutàcoupunenouvelleoccasiondebriller,desefaireremarquerparlesprofesseurs,deleurmontrerqu’onestlaperlerare.

Tout lemonde est ultra concentré sur sesmouvements. Tout lemonde se prépare pour lesauditionsquiontlieudanstroisjours.Ilsonttousl’airtellementsûrsd’eux.

Saufmoi.Jemesensmaladroite,jenesaispasoùplacermesmains.Au-dessusdelatête?Oupasencore?Quelleposturejedoisadopterpourmontreràmaprofetaumondeentierquejesuisunedanseuseétoile?

Jesuisdanslafile,j’attendsmontourpourfairelachorégraphiedevantlaprofetdevantlaclassetoutentière.J’essaiedemeconcentreràfond,devisualiserchaquemouvement.Maismesyeuxn’arrêtentpasdevagabonderversl’autrecôtédelapièce,oùNickattendsontourendiscutantavecKayodeetCarla.Ilsrigolentcommesitoutallaitpourlemieuxdanslemeilleurdesmondes.Peut-êtrequedanssonmondeàlui,c’estlecas.Maispourmoinon.

Ilmemanquetellementquej’enaimal.Etpourquoifaut-ilqu’ilsoitaussibeau?Sesbrassontplusmusclésquejamais,et jecroisqu’ilaencoregrandi.Jemerappellecommec’étaitbond’êtredans ses bras, comment il embrasait toutmon corps. Jeme rappelle quemon cœur battait si fortqu’onauraitditqu’ilvoulaitsauterdanslapoitrinedeNickpoursecreuserunepetiteplaceauprèsdusien.

Jesecoue la tête, jemeforceà regarderNataàquiSvetlanaademandédenousmontrer lachorégraphie.

NotaBene:Trouverunmoyendesecalmer.ArrêterdepenserauxbaisersdeNick.NotaBene:Arrêterdesefairedesillusions.

J’essaiededétendreunpeumesépaules,jerespireungrandcoup.Je regarde comment Nata positionne ses bras au-dessus de la tête, comment elle atteint la

perfectionabsoluelorsqu’elles’élanceengrandjeté.Çasembletellementfacilequandonlaregarde.Tellementbeauetémouvant.Jepinceleslèvres.J’ail’estomacquisenoue,etj’aidesfrissonsdanstoutlecorps.Nickest

entraindemeregarder.Ilmefaitunpetitsignedelatête,notrecodesecretpours’encourager.Maisjene lui répondspas.Je tourne lesyeux.J’aimeraisparaîtrepluscalmeque jamais.J’aimeraisqueNickremarquequejeporte toujours lebraceletqu’ilm’aoffertpourmonanniversaire ilyadeuxans.Maisilfautquej’arrêted’espérer,quej’arrêtedepenseràlui.Ilfautquejetiremaleçondel’été

dernier et de toutesmes souffrances. Je ne peux pas continuer à espérer qu’on se remette un jourensemble.

Svetlana, notre prof, m’appelle. « Emilia. Peux-tu venir ici un instant ? » Au lieu de sonsourirehabituel,ellefroncelessourcilsd’unairsérieux.

Je jette unœil autourdemoi.Tout lemondeme regarde. J’ai le ventrenoué,mais je tented’esquisser un sourire. De faire comme si j’étais parfaitement détendue. Mais j’en ai marre detoujoursfairesemblant.JepassedevantJen,quimemurmure,enbonnehypocrite«oooh,j’espèrequeçavaaller…»,d’untonquiveutplutôtdire«j’espèrequetuvastecasserunejambe.»

Espècedepeste.Iln’yapasd’autremot.ElleestsortieavecNickjusteaprèsnotrehistoiredecetété,etellea

étésupercontrariéequand il l’aquittée troissemainesplus tard. Ilva lui falloircombiende tempspourcomprendre?Ellene se rappellepasquec’est exactementcequi lui était arrivéenpremièreannée?Nickestsortiavecellependantdeuxlonguessemainesavantdelaquitter.Etdepuiscejour,ellemedéteste.Commesic’étaitmafaute.

Àl’époque,Nickchangeaitdecopineplusvitequ’ilnefaisaitunepirouette.Jenmeregarded’unairrenfrogné,avantdesetournerversNick,quinelavoitmêmepas.Ce

n’estpaspossibled’êtreaussinaïve.Ilyavraimentdesgensquin’apprennentjamaisdeleurserreurs.Jesenscommeuncoupdecouteaudanslecœur.Non,jenesuispascommeça.J’aicrumourirdechagrin,maisj’aicomprislaleçon.

«Emilia,tuasl’airdistraite.Toutvabien?»Svetlanaposegentimentsamainsurmonépaule.Elle a l’air inquiète.C’est le genre de prof qu’on a envie d’impressionner, qui donne envie de sedépasser,dedonnerlemeilleurdesoi.Onaenviequ’ellesoitfièredenous.

«Non,non,çava.C’estlatensionquimonte,c’esttout»,jeréponds,etjeremarqueducoinde l’œil que Nick est en train de s’approcher. « Je vais me remettre dans la file », dis-je enmarmonnant.

«Tuescertaine?Tuasassezmangé?» insisteSvetlana,enposantsamainsurmonfront.«Tuessûrequetutesensbien?Tuestouterouge.

-Non,çava.Vraiment,nevousinquiétezpas.»Jeluisouris.C’estlesourireleplusratédel’histoire,mais je n’attendsmême pas de voir si Svetlana est dupe. Jeme dépêche de tourner lestalons et de reprendrema place dans la file. Je frôleNick au passage, et j’ai l’impression que lemondetournesoudainauralenti–saufmoncœurquibatàcentàl’heure,etmesmainsmoitesquisemettentàtrembler.C’estridicule.Nicketmoiétionstellementamis,lesmeilleursamisqu’onpuisseimaginer.Onparlait, on se chamaillait et on riait pendantdesheures.On s’embrassait pendantdesheures.Pendantuninstant, jesuis tentéedemeretournerpourvoirs’ilmeregardeoupas,mais jeprendsunegrandeinspirationetjecontinueàmarcher.

Etsansquej’aieletempsd’ypenser,c’estdéjàmontour.Jemefaisviolencepourdonnerlemeilleurdemoi-même,pourimpressionnerSvetlana,pour

impressionnertoutlemonde.Ilfautquejedécrochelerôleprincipal,cetteannée.Ilyabeaucoupdeconcurrence,maisj’aibossécommeunedingue.Jen’aifaitqueça.

Etmaprestation est parfaite. Je lève les bras, je tends les jambes, je saute, j’atterris sur unpied,j’exécuteunepirouette.Jedanse.

Maislecœurn’yestpas.Etçasevoit.

CHAPITRE6-NICK

Sonsourireestforcé;sapostureetsacambruresontpeut-êtreprochesdelaperfection,maisonnesentaucuneémotion.Cettescèneestcenséeinspireruneprofondetristesse,maisjeconnaisEm.Ellenelaisserapaséchapperuneoncedetristesse,parcequ’elleapeurdenepluspourvoirs’arrêter,des’effondrer sur scène, de ne plus pouvoir faire semblant. Natalya la regarde elle aussi, les lèvrespincées.Ellevoitlamêmechosequemoi:unetechniqueimpeccable,maisaucunepassion.Danscemétier, si on n’a pas de passion, on ne va pas très loin. On s’épuise à essayer, essayer encore etencoresansjamaisyarriver.

«Çava?»jedemandeàEmquandelleafini.Ellehochelatête,etmarmonneun«oui,oui,çava» très peu convaincant.Et s’il y a quelqu’unqu’elle ne peut pas duper, c’estmoi. Je la connaismieuxquemoi-même.Jeconnaistouteslesnuancesdesonsourireetdesavoix,jeconnaislegoûtdeseslèvres.

Jenepeuxpasinsister.Pasmaintenant.Pasenpleincours.Pasici.Onatrouvéunsemblantd’équilibre,encoreinstable,toujoursprêtàserompre–etjeneveux

pasrisquerdetoutfoutreenl’air.Sielleestvraimentpasséeàautrechose,jerespecteraisonchoix.Jem’envoudraipourlerestedemaviedel’avoirperdue,maissielleestheureuse,c’esttoutcequim’importe.Saufqu’ellen’apasl’airheureuse,etjen’aijamaisvul’ombredupetitamiaveclequelelleditavoirpassénoël.Ceneseraitpaslapremièrefoisqu’ellefaitsemblantd’allerbien.

«Nicholas!»J’entendsSvetlanadiremonnom,etilsembleçafaitunboutdetempsqu’ellem’appelleparcequ’elleestentraindetaperdanssesmains,commequandelleessaied’attirernotreattention.

J’essaiedemeconcentrer ; jeveuxsauter leplushautpossible, jeveuxquechacundemesmusclessoittendu.J’aibesoind’Em,maisj’aiaussibesoinderéussirl’audition.C’estl’occasionoujamaisdedécrocherundesrôlesprincipaux.Cequimepermettraitdeclouerlebecàmonpèreunebonnefoispourtoutes,maisaussid’avoirunechanced’êtrerepéré,etpeut-êtremêmed’intégrerunecompagnieprestigieuseetderéalisermonrêve.

«Bravo,Nick,c’estdubontravail»,meditSvetlanaquandj’aifini.Jenseglisseprèsdemoietvientposersamainsurmonbrascommesinousétionsintimes.C’étaitpeut-êtrelecasavant.Ilyatrès longtemps.Mais je ne lui ai jamais fait de promesses que je nepouvais pas tenir. Je ne lui aijamaisditqu’onseraitensemblepourlavieentière.

«Est-cequetuauraisunpeudetempspourm’aidercesoir?»Jenprendunevoixcharmeuse,elleparle tellementbasque je l’entendsàpeine.Avant, jemeseraispenchépour l’écouter,mais je

saisquec’estqu’elleattend.Etcesdernierstemps,j’essaiedeluifairecomprendremeslimites.Monpères’estservidemoi,ilestalléjusqu’àmedemanderdeséduirelesfillesdesesplusgrosclients.Monpèreestpersuadéquesiellessontcontentesetqu’elless’envantentauprèsdeleursparents,çaluidonneunavantageavecsesclients.Jenn’estqu’unedecesfilles.Ellen’estriend’autrepourmoi.

«Nick?meredemandeJen.-Jenesaispasencore», je répondsd’un tonsec.Jemesensaussitôtcoupablede luiavoir

parlécommeça.Elleneméritepasça.Cen’estpassafautesiellen’estpasEmilia.Elle sursaute et fait unpas en arrière.Elle essaiedegarder le sourire,mais jevoisqu’elle

détourneleregard,etjesaisquejeluiaifaitdelapeine.Etcen’estpaslapremièrefois.Jesoupire.«Ok.Onn’aqu’àvoirs’ilyaunesallede librecesoir»,dis-je,et jevoisson

visages’illuminer.Sesyeuxsontpleinsd’espoir,alorsjemedépêched’ajouter:«Unedemi-heuremaximum.»

Elleacquiesceetquandjemeretourne,jemerendscomptequ’Emestentraindemeregarder.Elleal’airdéçue.

C’estpaspossible,quoiquejefasse,J’ail’impressionquejefaistoujourscequinefautpas.

CHAPITRE7-EM

Lafindescoursestunedélivrance.Jesaisquejenedevraispasêtreaussisensible,maisjen’yarrivepas.JerevoisJensepencherversNicketluicaresserlebras;jerepenseàsonsouriredetriomphequand elle est venue m’annoncer qu’ils avaient rendez-vous ce soir. Après tout, c’est moi qui aiproposéàNickunerelation«àduréedéterminée»,unpetitarrangemententreamispourquelquessemainesseulement.C’estmoiquiluiaiditqu’ondevraitarrêterdesevoir.C’estencoremoiquiaidécrété qu’on avait besoin de prendre de la distance quand les cours ont recommencé, parce qu’ilfallaitqu’onseconcentresurleplusimportant:ladanse.

Etmaintenant,c’estmoiquifaissemblantquetoutvabien–etquivaisjusqu’àm’inventerunpetitcopainimaginaire.

Je glisse sur le trottoir verglacé, et je me rattrape in extremis à un lampadaire. La neigen’arrêtepasdetomber,etlespassantsmarchentd’unairdécidé,penchésenavant,commesiriennepouvait les arrêter.Certains se plaignent de cettemétéo délirante pour unmois demars, grognentqu’il est temps que l’hiver s’arrête.D’autres, au contraire, semblent apprécier la neige.Un coupletientunepetite fillepar lamain, ils rient auxéclats.Leclichéde la familleheureuse. Je sensmoncœur se serrer,mêmesi c’estmoinsdouloureuxdepenseràmamèrebiologiquequeçane l’étaitl’étédernier,justeaprèsqu’ellem’aclaquéaunezlaportièredesavoiture.

Jelèvelevisageverslecielet je laisselesfloconsdeneiges’écrasersurmeslèvresetsurmesjoues.Jeprendsunegrandeinspiration.Lesoircommenceàtombersurlavilleetcommetousles jours, je vais faire un tour àCentral Park. Je croyais que ce serait douloureux de retourner àl’endroitoùNickm’aembrasséepourlapremièrefoisilyahuitmois,maisnon.C’estunendroitoùjepeuxm’asseoirtranquillementetappelerNonna,oùjepeuxlaissercoulermeslarmes,oùjepeuxêtremoi-mêmesansretenue.

Laneigearecouvertlapelouse,etlafontaineestarrêtée.Jemeblottisdansmongrosmanteaud’hiver,etjem’adosseàunarbre.Jesorsmontéléphoneetj’appelleNonna.

«Bonsoir,Bellisima,commentvas-tu?Encoremercid’êtrepasséehier,meditNonnad’unevoixbeaucouptropfaible.

-Jepasseraidenouveauceweek-end.Promis.J’aimeraispouvoirpasserpendantlasemaine,maisonal’auditiondanstroisjours,ettusaiscommentc’est.

- Tu vas être incroyable, je le sais. Ça m’aurait fait très plaisir de te voir avant, mais jecomprendstoutàfait.»Savoixestgaie,maisondiraitqu’elleadumalàrespirer.L’attaquequ’elleaeueilyacinqmoisl’abeaucoupaffectée.Mêmesiellerefusedel’admettre.Ellesemetà tousser.

« Roberto broie du noir à cause de ce garçon italien qui est rentré dans son pays, et il travaillebeaucoup tropcesderniers temps. Ilpassemefaireunbisou tous lessoirs,mais ilne reste jamaislongtemps.

-Jesais,Nonna.Maismamanestavectoi.»Jerespireungrandcoup.Àchaquefoisquejepensequ’ilpourraitarriverquelquechoseàNonna,jesensqueleslarmesmemontentauxyeux,quemoncœurseserre,etquej’aidumalàrespirer.

«Tamamanestunange,Bellisima.Unange»,ditNonnaetunsourirememonteauxlèvres.Malgré toutcequis’estpasséavecmesparentscesderniers temps, ilsont toujoursété làpourmesoutenir.Surtoutmaman.

«CommentvaM.Edwards?»Jesaisquec’estunsujetquivaredonnerlesourireàNonna.IlssesontrencontrésàpeuprèsaumomentoùNicketmoiavonscommencénotre…relation,sionpeutappelerçacommeça.Maiseux,contrairementànous,n’avaientpasfixédedatedepéremptionàleurrelation.

«Benvatrèsbien.Ilm’aapportédesfleursaujourd’hui,etilm’apromisdemedonnerdestomatesdesonjardincetété.Ilm’aditquesonjardinétaitleplusbeaudeNewYork,merépond-elle.Etjelecrois.

-Est-cequ’ilt’aencoredemandéenmariage?»Nonna pouffe de rire. « Oui. Et je lui ai encore dit non. Mais il réessaiera la semaine

prochaine. Jene saispas s’il avraiment envieque je luidiseoui.Çagâcherait tout leplaisir si jedisaisoui.

- Je t’aime,Nonna », lui dis-je en serrantmon téléphone un peu plus fort. «On se voit ceweek-end,d’accord?»Jen’aipasenviederaccrocher,maisilfautquejerentreàl’École,etquejemecouchetôt.Sijenedorspasassez,jeneseraipasenforme.Etsijenesuispasenforme,jenedanserai pas assez bien – comme aujourd’hui. Et si je ne fais pas mieux qu’aujourd’hui, je suiscondamnéeàêtrel’éternelleseconde.

Jemedépêchederentreraupensionnat,etjem’installeàmonbureau.Natan’estpasencorerentrée.Elledoitêtreentrainderépéter,oudepasseruncoupdefilàsesparents.

Jeprendsunefeuilledepapieràentêtedel’École,et jememetsàécrire.J’essaiedenepasréfléchir,jemelaisseporterparmessentiments.

ChèreClaire,Jesuisdésoléed’êtrevenuevousvoirsansprévenirl’étédernier.Jesaisquej’auraisdûvous

direquelquechose,nepasvousprendreparsurprise,maisj’avaispeurquevousneveuillezpasmerencontrer.

Jevousaidéjàécritunelettre,maisjenesuispassûrequevousl’ayezreçueetdetoutefaçon,ellen’étaitpasgéniale.Jenedispasquecelle-ciestmieux.Maisjefaisdemonmieux.

Jesuisheureuse.Enfin, laplupartdu temps.Je faisde ladanse.De ladanseclassique.J’aitoujoursvouluêtredanseuse–depuis lemomentoù j’aidécouvertquemamèrebiologiquem’avaitenveloppéedansunepetitecouvertureroseavecunedanseuseétoiledessus.Jemesuisditquevousseriezcontentedesavoirça.Mesparentsadoptifssontmerveilleux.Enfin,vouslesconnaissez.Jelesaime.

J’aimeraiscomprendrecequis’estpassé.Jevoudraissavoircequivousapousséàessayerdemevendreauplusoffrant,pourquoivousn’avezpasvouludemoi.J’aimeraisaussiensavoirunpeuplus sur votre famille. Tout ce que j’ai pu savoir, c’est que vos parents avaient été tués dans unaccidentdevoiture,etquevousaviezunesœurplusjeuneetdesenfants.Sijeveuxtellementsavoirtoutça,c’estparcequeparfois,jenepeuxm’empêcherdemedemanders’ilyaquelquechosedevousenmoi.Jenepeuxm’empêcherdemedemanderquijesuis.

Jenedispasquevousaveztouteslesréponses.Jesaisquevousn’avezaucuneobligationde

meraconterquoiquecesoit.Jeveuxjustequevoussachiezquej’aimeraisvousrencontrerànouveau,ouvousparler.Autéléphone,parcourrierouenpersonne,commevouspréférez.Jevousensupplie.EmiliaJenerelismêmepaslalettre.JesaisqueNataatoujoursdesenveloppesetdestimbres–quandsagrand-mèreétaitencore

envie,elle luiécrivaitpresquetoutes lessemaines.Jefouilledanssonbazar,enmesentantunpeucoupable.Et je finispar les trouveràcôtédesapilede lingesale.L’endroit idéalpour ranger sesenveloppes.

Je colle un timbre sur l’enveloppe, j’écris l’adresse de Claire Carter, mais au lieu d’allerdirectementposterlalettre,jemeretrouveàprendrelecouloirquimèneàlachambredeNick.Lui,ilcomprendraitpourquoij’écrisuneautrelettre.Çafaitdessemainesquejeluttepournepasl’appeler.Jesaisqu’ilnecroitpasàmonhistoiredepetitcopainbidon.Ilnevapasbeaucoupsurlesréseauxsociaux,maisquandmême,iln’estpasidiot:iln’yaaucunetracedecesoi-disantcopain.Ets’ilaposélaquestionàmonfrère,jesuispresquesûrequeRobertoluiaditquejeviscommeunereclusedepuislemoisd’août.

Nickaessayédemeparler,demefairedesexcuses.Ilavraimentessayé.Deuxfois.Maisiln’ajamaisditlesmotsquej’avaisbesoind’entendre.

J’imaginelascène.Jefrappeàsaporte.Ilm’ouvreetilm’attireàl’intérieur,ilmeprenddanssesbrasetm’embrassesansmelaisserfinirmaphrase.Alorsonsemetàrire,ilprendmamaindanslasienneetilmeditàquelpointilestdésoléqueleschosessesoientterminéesdecettemanière.Etpuisonsemetàparler.Onparletoutelanuit.

Unsourirememonteauxlèvres.J’aicommedesfrissons,despapillonsquimedansentsurtoutlecorps.

Jetournedanssoncouloiretmoncœurs’arrête.Je n’arrive plus à respirer, j’ai l’impression que je viens d’éclater comme un ballon qui

explose.Ilestentrainderentrerdanssachambre.AvecJen.

CHAPITRE8-NICK

Jenn’aaucunbesoindemonaide,elleestparfaitementpréparée.Jelasoulèvedanslesairs,etjesenslasueurperlersurmonfront.Elletendlajambeetlebrasdroits.Çaparaîttellementfacilequandonlavoit,alorsqu’enfaitc’estsuperdur.Ilfautmobilisertoutsoncorpsettoutsonespritpourréussiruntelmouvement.

Jetournedoucementetjelarattrapedansmesbras.Ellecambrelesreins,etencoreunefois,songesteestexécutéàlaperfection.

Dèsquesespiedstouchentlesol,ellemesauteaucouetmelance«Merci!Situdécrocheslerôle, et moi aussi, on va être incroyables. » Elle se colle encore un peu plus à moi. Elle faitdoucementglissersamainlelongdemondos–c’estmoiquiaiinventécegeste.

Jemeraclelagorge.«Tuvaslesimpressionner.»Jemeretournepourattrapermonsweat,etjel’enfile.«Ondevraitretourneraupensionnat.J’aiencoredestrucsàfaire,etilcommenceàêtretard.

-Onpourraitpasserunpeudetempsensemble,répond-elle.Çafaitsuperlongtempsqu’onnesevoitpas.»Elleserapprocheànouveaudemoi.

Monvisageseferme.Jesecouelatête,etj’essayedenepasprendreuntontropsec.Jen’aipasenvied’êtreblessant,vraiment.«J’aitropdeboulot.Etonsaittrèsbientouslesdeuxquec’estfini,l’époqueoùonpassaitdutempsensemble.»

Elleouvrelaboucheuninstant,puis larefermesansriendire.Elleseredresse,etredevientinatteignable.«Onyva.»Elleboudeunpeu.Ellepassedevantmoietgardesesdistancesjusqu’àcequ’onarrivedanslecouloirdemachambre.

Jem’apprêteàluidireaurevoirquandtoutd’uncoup,elles’arrête.«Est-cequejepourraist’emprunterunedetesvidéos?medemande-t-elle.

-Laquelle?»Jeregardeànouveaul’heuresurmonportable.Çafaitdéjàpresqueuneheurequejesuisavecelle.

«Celledesauditionsdel’andernier.-Tunel’aspas?Jecroyaisqu’ilsl’avaientmisesurleserveur?-Jenecaptepasbien,lewifidéconnedansmachambre.»Elleinclinelégèrementlatête,et

melancequelquesbattementsdecils–çaneluiressemblepas.«S’ilteplaît,çam’aideraittrop.Ilfautquejevoiecommentjepeuxm’améliorer.»Savoixestpresquesuppliante,etellesemblesipeusûred’elle.Alorsqued’habitude,ellenelaissejamaisvoirsesfaiblesses.

Jepousseunsoupir.«Ok,entre.Maisjusteuneseconde.»J’ouvrelaporte.Elleentrederrière

moi,etsalueKayode,moncoloc.Kayodeest en trainde skyperavec sonpetit copain,quihabiteenCalifornie. Ilmontre son

ordi,etnousdit:«Markvouspasselebonjour.»Onn’entendpastrèsbiencequeditMark,maisilal’air d’avoir un ton joyeux. Il a un an de plus queKayode, et il a eu son diplômede l’École l’andernier.Kayodeespèreêtre recrutédansunecompagniepas loinde la sienne.Et sinon, ilditqu’ilessaiera de trouver du boulot comme danseur dans des clips, ou peut-être comme acteur àHollywood.

Jel’envie.Jena lesyeux fixés surmonbureau,ellea l’airabasourdie. Je suis son regard :elleesten

traind’observerlecollagequ’Emm’afaitpourmonanniversaireilyadeuxans.Etjusteàcôté,ilyaunselfied’Emetmoiqu’onapriscetété.Emesttoutcontremoi,ellem’embrassesurlajoue,etmoij’ai un sourire béat aux lèvres.Le sourire dequelqu’unqui n’arrivepas à croire qu’il a autant dechance.Jecroisquepersonned’autrenem’ajamaisfaitsourirecommeça.

«Tiens,lavidéo.»JeluitendsunecléUSBdanslaquellej’airassemblétouteslesvidéosdesspectaclesdestroisdernièresannées.Jelestéléchargetoujoursdèsqu’ilslesmettentsurleserveur.Jesuis surpris que Jen n’ait pas fait pareil. Ou peut-être qu’elle l’a fait, mais que c’est encore unemanigancedesapartpourqu’onpassedutempsensemble.

«Merci»,medit-elle,lesyeuxtoujoursfixéssurlaphoto.KayodeéclatederireavecMark.« Je dois y aller », ajoute Jen. Je lui ouvre la porte, mais avant que j’aie le temps de la

refermer,ellemepasselesbrasautourducou.«Encoremerci.»Ellerestependueàmoncou,etjesuisobligéedelarepousser.

«Arrête,Jen», jemarmonne.Ellesereculeunpeu,maiselleestencore tellementprèsquenoscorpssetouchentpresque.Samainest toujoursposéesurmonépaule,etellepencheunpeulatêtecommesielleattendaitquejel’embrasse.Maisçanevapasarriver.

«C’estjusteque…»Ellehésiteuninstant.«Non,laissetomber.»EllememontrelaclefUSB.«Mercipourlavidéo.Onsevoitdemain.»Elles’éclaircitlavoix.«Emestuneimbécile.Enfinbon,visiblementmoiaussi.Maiselleestencorepirequemoi.Moi,jenetelaisseraisjamaispartir.»

Jesecouelatêteetjelaregardedisparaîtredanslecouloir.Ellen’ariencompris.Cen’estpasEmquiatoutgâché.C’estmoi.

Jemelaissetombersurlelit.«Tuasl’airexplosé»,melanceKayode.Ilpianotesursontéléphoneenmeparlant–ilest

passédeSkypeàG-chatavecMark.«Qu’est-cequis’estpassé?»«Rien.EncoreJen.»Kayoderigole.«Oh,pauvreNick.Toutescesfillesquisejettentàtoncou.Çadoitêtredur…

Etcen’estpasseulementlesfilles,lesmecsaussi.JemerappellequeMarkavaitungrosfaiblepourtoi–avantqu’ilserendecomptequej’étaisl’hommedesavie,biensûr.»Ilmeregardedelatêteauxpieds.«Jecomprends.T’essupersexy.»Ilmefaitunsourire.«Brun, lesyeuxverts,uncorpsderêve,etjedoisdirequetonsourireestassezsexyaussi.

-Hmmh.Merci?dis-jeenlevantunsourcil.-Etjesaisqu’elless’imaginaienttoutesqu’ellesallaienttefairechanger,quetuallaistomber

amoureuxd’ellesetoublier touteslesautres.Enmêmetemps,pourbosserdanslespectacle,onestobligédecroireauxcontesdefées.

-Tuexagères,j’étaispassihorrible.-Oh que si.Mais par contre, qu’est-ce qui t’arrive depuis janvier ?T’es devenumoine ou

quoi?Jecroisqueçalesrendencoreplusdinguesdetoi.Tuasjamaisétéunsalaud,maislà,tuescarrémentdevenu le fruit interdit.Quiarriveraà lui redonner le sourire?Ellespensent toutesquec’estelles.

-N’importequoi.Et toi ?Avantque tu sortesavecMark, tudisaisque tunevoulaispasderelationsérieuse.

-C’estparcequejenesavaispascequec’étaitquel’amour,répond-il.Etpuis,j’étaisleseulblackdel’école,ilfallaitmemériter.

-Maisn’importequoi.»Montéléphonesemetàvibrer.«Tuasbriséplusdecœursquemoi.»Kayodehausselesépaules.«Peut-être,maismoiaumoins,cen’étaitpasparpeurd’êtreavec

l’amourdemavie.Dèsquej’aicommencéàsortiravecMark,j’aiarrêtélesconneries.Tunepeuxpasendireautant.»Ilmelanceunsourire,commepouradoucirunpeusesparoles,etilsepencheànouveausursonordi.

Monportablevibreunenouvellefois,etjeregardemesmessages.C’estuntextodeRoberto:CommentvaEm?Ilsaitqu’Emetmoisommesunpeuenfroiddepuiscetété.Ons’adresselaparole,onreste

courtois,maisonnepasseplusdesheuresàdiscuteretonévitedeseretrouverentête-à-tête.Onn’apasjouéauxjeuxvidéoensembledepuisoctobre,etencore,cettefois-là,c’estparcequeRobnousaforcéàjoueraveclui.

Jeluiréponds.Nick:Ellen’apasl’airdanssonassiette.Rob:EllesefaitdusoucipourNonna.Tupeuxgarderunœilsurelle?Jelèvelesyeuxauciel.Nick:Jecroyaisquetuétaisfâchéàmortcontremoipouravoirfaitdumalà

Emcetété–etapparemmentànoëlaussi.

Rob:Nemerappellepaslesmauvaissouvenirs.Montéléphonesonne.Robatoujourspréféréappelerqu’envoyerdestextos.«Jecroyaisque

tudétestaislestextos»,jeluilanceendécrochant.Robpousseunsoupir.«Çac’étaitavant.Maismaintenant,avecGiovanni,onenestréduitsaux

textos(etauxsextos).Onn’apastroplechoix.-Commentva-t-il?»jeluidemande.Giovanniestlapluslonguerelationqu’aiteueRoberto,

et ils ne se sont vus que trois fois depuis août dernier. Giovanni est venu en octobre pour uneconférence,puisendécembrepournoël,etRobertoestalléenItalieilyaquelquessemaines.Ilyestrestéseulementcinqjours.Etilaéconomisétoutel’annéepourcevoyage.

«Ilvabien.Sij’arrivaisàleconvaincredefairesoncomingoutauprèsdesesparents,çairaitencoremieux.

-Mince,çacraint.-Jecroyaisqueleseuropéensétaientcensésêtreplusouvertssurcegenredetrucs.Jeveux

dire,même l’Irlande a légalisé lemariagepour tous avant nous.Mais bon, apparemment, l’Églisecatholiqueestencorediviséesurl’idéed’amour.Bref.Moi,jesuisathée,maisc’estimportantpourGiovanni.»Ilrespireungrandcoup.«Mercidemedemanderdesnouvelles,entouscas.Maisc’estd’Emque je voulais te parler.Depuis queNonna a eu son attaque, elle n’arrête pas de se faire dusouci,mêmesilesmédecinsdisentqueNonnaasuperbienrécupéré,etqu’ellevabeaucoupmieux.

-Jesuiscontentqu’elleaillemieux.-Merci.Enplusdeça,Emapas lemoralencemoment.Elleadéjàécritune lettreàcette

femme, et je suis sûr qu’elle va lui écrire aumoins une autre. »Rob n’aime pas appeler lamère

biologiqued’Emparsonnom.Illuienveutencored’avoirtraitéEmcommeellel’afaitenaoût.Je suis en train de comprendre ce qu’il vient deme dire. « Attends, elle lui a envoyé une

lettre?»Çame faitde lapeinequ’elleneme l’aitmêmepasdit. J’étaisavecellequandelle luiarenduvisitepourlapremièrefois.

-Oui.Etellel’aditàmesparents,etmonpères’estmisdansunecolèrenoire.Ilétaitfurax.-C’étaitquand?-Ilyadeuxsemaines.-Tonpèreestvenuvoirmonpèreilyadeuxsemaines.-Ilssereparlent?»J’acquiesce.Moi aussi j’étais surpris. Depuis quemon père a viré le père d’Em, ils ne se

voyaientplus.«Ondiraitqueoui.Écoute,jevaisessayerdeparleravecEm.-Prendssoind’elle.Dis-luiquetueslàpourelle.Jesaisquetuluimanques.»Robseraclela

gorge.«Etçametuededireça,maisjedoisdirequetuluifaisaisdubien.Enfin,ilauraitjustefalluquetuneluibrisespaslecœur.

-Jet’aidéjàditàquelpointj’étaisdésolé»,jeluiréponds.Etc’estvrai.Emetmoi,ons’étaitmis d’accord pour que notre histoire ne dure qu’un été, mais j’aurais voulu tellement plus.Maisquandmonpèrem’ademandédesortiravecJen,jen’aipaspudirenon.Ilm’afaitduchantage.IlamenacédeseretirerdelaFondationdel’ÉcoledesArtsdelaScène,maissurtout,ilm’apromisdemedonnerdesinformationssurlamèrebiologiqued’Emsijemettaisuntermeànotrerelation,sijemerésignais.Ilasuivitoutleprocessusd’adoption,c’estluiquiafaittouslespapiers–ilétaitdanslaconfidence.Ilétaitaucourantdetout.

Jemepasselamainsurlanuque.«Sijepouvaisrevenirenarrière,tusaisquejeneferaispaslesmêmeserreurs.»L’étédernier, jemesuisconvaincuquec’était laseulesolution,quecen’étaitpasbonpourEmdetoutefaçon.Qu’onnepouvaitpasêtreensemble.Queceseraituneerreurd’êtreensemble.Maisl’erreur,c’étaitdelaquitter.Denepasluiavoirditlavérité.Denepasavoirtenutêteàmonpère.C’étaitça,l’erreur.

Robtousse,puisrespireungrandcoup.«Jesaisquetuesdésolé.Sicen’étaitpaslecas,jenetedemanderaispastonaide.Maisnedéconnepasunedeuxièmefois.

-J’essaievraimentdefairedemonmieux.-Bon,sinon,tuesprêtpourdemain?-Oui,jecrois.-Tuvasdéchirer.Tuvasvoir.-Sic’estlecas,ilfautqu’onsortefêterça,oualorsquetuvienneschezmoietqu’onsefasse

unepartiedunouveauSoccerWorldquiestsortilasemainedernière.-Deal.Onfaitça»,merépond-il.Jeme racle la gorge. «Dis, cemecdontEmm’aparlé à noël…Andrew. Ils sont toujours

ensemble?C’estsérieuxentreeux?-C’estpasmesaffaires,mec.SituveuxparleràEm,tuluiposeslaquestiondirectement,mais

jenevaispasm’amuseràêtretonespionoutonindic.Oublietoutdesuite.»Ilbaille.«Ilfautpasquejetardeàmecoucher.Çafaitunesemainequejesuismort.Uneespècedevirusquiveutpaspasser.Maisessaiedeprendresoind’elle.Jecomptesurtoi.Vraiment,merci.»Ilraccrocheavantquej’aieletempsderépondre.

Kayode est assis sur son lit. Il se racle la gorge bruyamment. « Il faut que je te dise autrechose, et, non, ce n’est pas que je souhaite queRob décide de devenir danseur à la place d’Em etdeviennemonnouveaucoloc.C’estvraiqueRobertoestcanon.Maiscen’estpaslesujet.»Kayodemarmonne,puispousseungrandbâillement.«Tun’aspeut-êtrepasenvied’entendrecequej’aiàtedire.

-Qu’est-cequetuasàmedire?-Ilfautquetutemettesuncoupdepiedauculetquetuparlesàcettefille.Ellenevapaste

mordre.Etmêmesielletemordait,jesuissûrquetuaimeraisça.-Depuisquandtufaisdelathérapiedecouple?-DepuisquejesorsaveclefuturdanseurstarduballetdeCalifornie.Jeviensd’avoirunmail

deMark.Ilaeusonsolo!»Iltapedanslesmainsetjesouris.« Impressionnant ! Félicitations ! » Je le serre dans mes bras. Mark et Kayode sont bien

ensemble.«Merci,maisn’essaiepasdechangerdesujet.-J’aidéjàessayédeluiparler.-Non.Tuasessayédesortiraveclaseuleamiequ’elleaici,àlafêtedunouvelan.-Non,cen’estpasvrai…çanes’estpaspassécommeça.-Ok,tunel’aspasfait,maiscen’estpascequepenseEm.ToutlemonderacontequeNataet

toi,vousavezbaisécommedeslapinsdansleplacarddesmanteaux.MêmesionvoitàdixkilomètresqueNatalyan’ajamaiscouchéavecpersonne,maisbon.Tuasdelachancequej’aieungrandcœur,etquejedétestevousvoirtouslesdeuxaussidéprimés.J’aiditàEmqu’ilnes’étaitrienpassé…maisquandmême.

-Jenm’ademandésionavaitcouchéensembleetjeluiaiditquenon.Çafaitdesmoisquejen’aicouchéavecpersonne.Jene l’aimêmepasembrassée. Jen’ai rien fait.Emvenait justedemedirequ’elleavaitunnouveaupetitcopain,alorsquejepensaisvraimentqu’onétaitsurlabonnevoietouslesdeux.Jecroyaisvraimentqu’onallaitseremettreensemblependantlesvacancesdenoël.

-Quec’estmignon,ilcroitencoreaupèrenoël.TudevraisdireçaàEm.Mêmesijenecroispasquecesoitlegenredechosesquilafasserevenir.TuessortiavecJenjusteaprèselle,puisavecTashaetSandra.

-Tasha,çaaseulementduréunesemaine.EtjenesuispasvraimentsortiavecSandra.Jel’aijusteaccompagnéeàungala.

-LegaladontEmparlaitdepuisdessemaines.»Commesijenemesentaispasdéjàassezmal.«Valuiparler»,meditKayode.«Situnelefaispastuvasleregretter.»Jevoudraisluiparler,toutluiraconter,maisjesuismortdetrouilleàl’idéequ’ellemerejette,

etc’esttellementplusfaciledenepasessayerquederisquerqueçaarrive.MaisKayodearaison.Jehochelatête,jeprendsmontéléphoneetjeluienvoieuntexto:«Jet’enverraiunmessagedemainmatinpourêtresûrquetut’esréveillée.»Jefaisaissouventçal’andernier.Ellen’estpasdumatinetelleatoujourstendanceàêtreàlatraînelematin,alorsjeluienvoyaisuneimagerigolotepartextopourêtresûrequ’ellesoitdebout.«Peut-êtrequ’onpourraitsevoiraprèslescours,enfind’aprèm.Justetoietmoi.»

Unedemi-heureplustard,toujourspasderéponse.

CHAPITRE9-EM

J’ai l’impression que mon cœur s’est arrêté. J’ai fait un bond en apercevant Jen et Nick dans lecouloir, et je suis alléemecacher. J’enaimarrede souffrir.Maispourquoi est-ceque j’ai attenduqu’elle ressorte de sa chambre ?Pourquoi est-ce que jem’obstine àme faire dumal commeça ?Quandelleestsortie,quelquesminutesseulementaprèsêtrerentrée,ilssesontprisdanslesbras,etjecroisbienqu’ilssesontembrassés.Jen’aipasvouluvoirlasuite.Jemesuisenfuieleplusvitequej’aipu,parcequejesentaisquej’allaism’évanouir.

Ça faithuitmoisqu’onn’estplusensemble. Jedevraisêtrepasséeàautrechose. Jedevraisl’avoir oublié.Mais comment faire pour oublier sonpremier amour ?Comment faire quandon aperdusonmeilleurami?

Onsevoitencoretropsouventpourquej’arriveàl’oublier.Jesaistrèsbienquejenepeuxrien exiger de lui, il ne me doit absolument rien. Il croit sans doute encore que je sors avec cetAndrewquej’aiinventé.Maisquandmême…pourquoiJen?

J’aidumalàretenirmeslarmes.Jecroyaisqu’iln’étaitplusavecJen.Quec’étaitfinientreeux.J’enfoncelatêtesousmonoreiller.

Etce textoqu’ilm’aenvoyé ilyaplusd’uneheure?Commesi toutétait redevenunormalentrenous,commesionétaitencoreauprintempsdernier,queriennes’étaitpassé,commes’ilnem’avaitpasbrisélecœur?

J’aienviedehurler.Oudepleurer.Oulesdeuxàlafois.Peut-êtrequ’ilestdéjàendormi.Ilcommenceàêtretard.Maisjenepeuxpasm’empêcherde

relireencoreetencoresontexto,sanstrouverlecouraged’yrépondre.Em.Jen’aipasbesoinquetumeréveillesdemain.Çaira.Nick.Tuessûre?Ilm’aréponduimmédiatement,commes’ilattendaitmaréponse.Em.Sûreetcertaine.«Bonnenuit»,meditNata.Ellen’apasremarquéàquelpointj’étaismalcesoir.Maisilfaut

direquejesuispasséemaîtredansl’artdecachermesémotions.«Bonnenuit»,jeluiréponds.Elleéteintsa lumièremais j’entendsqu’ellenedortpas–elledoitêtreen traindepenserà

l’auditionquiestmaintenantdansdeuxjours.Moiaussi,c’estàçaquejedevraispenser.Jenepeuxpastoutgâchermaintenant,j’aitravaillétropdurpourcetteaudition.Ilfautqueje

laréussisse.Parcequesijemeplante,qu’est-cequevaisfaire?«Nata»,jemurmure,maisellenemerépondpas.Peut-êtrequ’elleécoutesoniPod.Quand

ellen’arrivepasàdormir,elleécouteduChopin.Elleditqueçalafaitdormircommeunbébé.Moi,parcontre,jen’arrêtepasdetourneretretournerdansmonlit.Je regarde leplafond.Jememetsàcompter les fissures.Sic’estunnombrepair, j’aurai le

rôle.Sic’estunnombreimpair,jenel’auraipas.J’arriveraiencoredeuxième.Je plisse les yeux. Est-ce qu’il y en a vingt, ou vingt-et-une ? Je n’arrive pas à voir si la

dernièreestunefissureoujusteunetache.Jesecouelatête.Ilfautquej’arrête.Jemepencheversmalampeetjememetsàexaminerles

fourchesdemescheveux.Lescouloirssontsilencieux,onn’entendpasunrire,pasunétudiantn’atentédefairelemurcesoir.Est-cequetoutlemondedort?Commentest-cequ’ilsarriventàtrouverlesommeilàdeuxjoursdel’audition?

JeroulesurlecôtéetjeregardesiNatadorten-dessousdemoi.Ellealesyeuxfermés,doncelleestaumoinsentraind’essayer.

Etjedevraisfairepareil.Je n’ai jamais demandé àNata ce qui s’était passé à la soirée du nouvel an.Cette fameuse

soirée dont toute l’École a parlé pendant des semaines.Cette soirée où, si l’on en croit la rumeurlancéeparJen,NicketNataseraientsortisensemble–etmêmeplus.Jen’yai jamaiscru,et jen’ycroistoujourspas.C’étaitjusteaprèsquej’aiditàNickquejesortaisaveccefameuxAndrewquin’ajamais existé. Je savais que ça allait lui faire de la peine, mais qu’est-ce qu’il s’imaginait ? Quej’allaisl’attendreéternellement?Ok,jen’avaispasdepetitcopain,maissiçaavaitétélecas?

Je suis sûre que Nick l’a un peu draguée. Je pense même qu’il a peut-être essayé del’embrasser,maisjesaisqu’ilnes’estrienpasséaufinal.JelesaisparcequeKayodem’aracontécequis’étaitvraimentpassécesoir-là.Nickétaitdéprimé,ilbuvaittropetdansaitcommeunfou,etjecrois qu’il s’est accroché à Nata parce qu’il pensait qu’elle avait peut-être des réponses à sesquestions.Maisilsnesesontpasembrassés.Ilnes’estrienpasséentreeux.EtJenestunevraiepeste.

Maisqu’est-cequim’aprisdevouloirallerlevoir?Etmaintenantjemedemandecequ’ilveutmedire.Il va sans doute me redire qu’il est désolé. Mais même s’il me disait qu’il veut qu’on se

remetteensemble,qu’onsedonneuneautrechance,qu’est-cequ’ilveutquejeluiréponde?«Oui,biensûr,queldommagequeçan’aitpasmarchéavec toutescesautres filles !»Jeme tourneversl’autrecôtédu lit,et jeprendsdansmesbras lacouverturerosedans laquellemamèrebiologiquem’avaitenveloppée.

Quand j’aurai envoyé la lettre, il faudra que je me résigne à accepter sa décision, quellequ’ellesoit.Jenepeuxpaslaforceràmevoir,àmeconnaître.Maissijeréussisàdécrocherunrôleprincipal, je luienverraiuneinvitation,etceseramadernièretentative.Papaditqu’ellevoulaitmevendre au plus offrant, mais en faisant mes recherches, je n’ai pas trouvé trace de problèmesd’argent,etjenesuisplustrèscertainedecroiremonpère.Ilm’adéjàmentiparlepassé.Ouc’estjustequej’aidumalàaccepterquemapropremèreaitétécapabledemevendre.

Jemeretourneencore,etj’attrapemontéléphonesurlapetiteétagèredemonlit.Etalorsquejem’étaisjurédeneplusjamaisfaireça,jememetsàregarderlesvieillesphotosdemesspectaclesdedanse,del’hiver,denotregrandnoëlenfamille,deRobertoetGiovannipendanthalloween,etjem’arrêtesurunselfiedeNicketmoilesoirdu4juillet.Jedevaisdéjàêtreunpeupompettequandona pris cette photo, parce que je ne m’en souvenais absolument pas, et je l’ai découverte il y aseulementquelquessemaines.

Ilmetientdanssesbras.Ondiraitqu’ilmeretientdetomber.Jen’aiquedevaguessouvenirsdecettesoirée,maisjemerappellequ’ilaprissoindemoi,qu’ilamêmeessuyémaboucheaprèsque j’aivomi–beurk–etqu’ona ripendantdesheures. Ilm’achangé les idéesàunmomentoù

j’étaisobsédéeparmesrecherchessurmamèrebiologique,toutenétantlàpourmoiquandj’enavaisbesoin.

Jeregardelaphotouninstantdeplus,puisj’éteinsl’écrandemonportable.Cetteépoqueestterminée.Onneseraplusjamaisheureuxcommeça.

Enme réveillant, je trouveun textodeNick :c’est laphotod’unécureuilquivoledans lesairs.«Bonjour,bonjour!C’estl’heuredeselever!»Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.Unjour,quand on avait une douzaine d’années, on était dansCentral Park et il y avait un petit garçon quilançaitdespierressurunécureuil.Lepauvreanimals’étaitréfugiédansunarbre,maisjem’étaismisdanslatêtequ’ilvoulaitdescendre.Jem’étaisfaittoutunfilmcommequoisafamilleavaitbesoindelui, qu’il fallait absolument qu’il rentre chez lui, et je disais au petit garçon d’arrêter, mais il nem’écoutaitpas.AlorsNickluiavaitfaitpeuretavaitréussiàlefairepartir.JenesuispassûrequeNicks’ensouvienne,maissonpetitécureuilm’aredonnélesourire.

J’hésite un peu, les doigts au-dessus de l’écran, puis je me mets à écrire. Je voudrais luidemandercequis’estpasséhiersoir,j’aimillequestionsquimebrûlentlalangue.

Maisjemecontented’un«Merci»,etjemeprépareàsortirdelachambre.Natalyaestdéjàpartie. Elle doit m’aider à répéter ce matin, mais elle a dû vouloir bosser un peu avant qu’oncommence.

J’attrapemabrosseàdentsetmeshabits–quej’aisoigneusementpliéssurmachaise,etnonlaissésentasparterre–etjesorssansmepresser.J’aibesoind’uncafé,maisjen’aipasletemps.

Bienqu’ilsoitencoretôt,ilyadéjàdelaqueuedevantlasalledebainsdesfilles.L’Écoleaagrandi le pensionnat l’an dernier, mais il manque encore quelques salles de bains. Je m’appuiecontrelemur.J’aidesfourmisdanslesmains,etj’aidumalàrespirer.

Un petit groupe de filles est en train de papoter de l’autre côté du couloir. Un groupe degarçonsarrive–Nickestparmieux.

Ilsnouslancentun«Salut!»etcontinuentleurcheminverslasalledebainsdesgarçonsquiestàgaucheauboutducouloir.Tous,saufNick,quis’arrêteàcôtédenous.Jesenssonregardmedéshabillerdespiedsàlatête,etj’ail’impressionderetournerdanslepassé,deretrouverleregardqu’ilavaitcetété,unregardquimecrieJ’aienviedetoi.Jesensmonvisages’enflammer–etmoncorpsentiers’embrase.

Ilfautquejem’éloignedelui.Jesuppliemespiedsdebouger,maisc’estcommes’ilsnem’obéissaientplus.Notreregardse

croise.Jevoudraisdirequelquechose,n’importequoi.Ilattend;j’ail’impressionqu’ilessaiedemelaisserletempsdontj’aibesoin,maisjesensqu’ilattendquejedisequelquechose.

«Àplus»,dis-jed’unevoixcassée,etjemedétourne.Jeméritedesclaques.

CHAPITRE10-NICK

J’aisentiqu’ilsepassaitquelquechoseentrenous.J’aibienvulamanièredontellemeregardaitdanslecouloir.Cen’étaitpasanodin.Maisilfautquejeluiprouvequecettefois-cijesuissérieux,quejenevaispas la fairesouffrirànouveau.J’ai toujourssuqu’elleavaitunfaiblepourmoi.Et jedoisavouerquemoiaussij’aitoujourseuunfaiblepourelle.Quandonétaitplusjeunes,jen’arrêtaispasdelataquiner.Jusqu’aujouroùjel’aitfaitpleurerenfaisantsemblantdemenoyer.Elles’étaitjetéeàl’eaupourmesauver,complètementpaniquée,alorsqu’elleavaitpeurdenager.

Jel’avaisprisedansmesbrasetjel’avaisramenéejusqu’àlaplage.Jel’avaisallongéesurlesablechaud,etj’avaisdumefaireviolencepournepasl’embrasseretsécherseslarmesàcoupsdebaiser.Jen’avaisjamaisembrasséunefilledemavie.Çaauraitétélapremièrefois.Maisellem’avaitgiflé.Pas fort,mais c’était quandmêmeunegifle.Et ellem’avait dit que jen’avaisplus jamais ledroitdeluifaireaussipeur.

Jen’aijamaisrecommencédepuis,etjen’aipasl’intentiondelefaire.Elleseretourneetseprécipiteverslasalledebains.L’espaced’uninstant,jesuistentédela

rattraper,delaretenir,deluidemandercequinevapas,etdelacouvrirdebaiserspourlaconsoler.Maiscen’estpassifacile.Çan’ajamaisétéfacile.

Alors,aulieudeça,jemedépêched’allermepréparer,demebrosserlesdents,etjemontelesvieuxescaliersjusqu’audeuxièmeétageoùjem’engouffredansunedessallesderépètquisonttoujoursvides.

J’ai besoin de danser. J’ai besoin de laisser sortir tout le stress, toute la colère et tous lesdoutesensautant leplushautpossible,enbandant tousmesmuscles,en tournant tellementvitequej’enoubliequijesuis.

Une répétition de plus. Seul. Sans personne qui me regarde. Sans essayer d’impressionnermonpère,nipersonned’autre.

Justepourmoi.Çafaitunmomentquejen’aipasdansépourleseulplaisirdedanser.Jenemetsmêmepasdemusique.Jetapedupiedsurleplancherdebois,puisjecommenceà

tourner lentement, je fais une pirouette et jem’élance dans les airs en jetant une jambe en arrièreavantderetombersurlesdeuxpieds.Jetapeànouveaudupiedsurlesol,plusfortcette-fois-ci,etjemelaisseporterparlacolère.

J’essaie dem’imaginer dans dix ans, en tournée avec une compagnie de danse.Et… je n’yarrivepas.Jem’élanceànouveaudanslesairs,lespoingsserrésderage.

J’atterris sur un pied, je me retourne. J’ai travaillé tellement dur pour cette carrière de

danseur, j’étais prêt à tout sacrifier. C’est mon avenir. Être l’étoile montante d’une compagnieprestigieuse,avoirlemondeentieràmespieds.

Etpourtant,aujourd’hui,j’ail’impressionqueçan’arriverajamais.

CHAPITRE11-EM

Lajournéeestpasséeàtoutevitesse.C’estunedecesjournéesoùjen’arrivepasàmerappelercequej’ai fait. J’ai l’impression que tout va trop vite, jeme sens absente. Je suis lemouvement, je faiscomme les autres.Etmaintenant, tout lemonde est dans la cafèt. Il y a une agitation, unbrouhahainhabituel,toutlemondeparlededemain.

J’aimeraistellementqu’ilssetaisent.Est-cequ’onpeutarrêterdefairecommesic’étaitlafindumonde?Jesuistellementstressée

quejenesaismêmepassijevaispouvoiravaleruneseulebouchée.Maisilfautquejemange.J’aibesoindeprendredesforcespourêtreenforme.Nickestassisànotretable,etjesensmoncorpstoutentierréagiràsaprésence,commesionétaitconnectés.Jeprendsunecuillèredebouillondepoulet,jelaporteàmeslèvres–etjemanquelarenverserquandjevoisJens’approcherdenous.

Jenemesenspasd’humeuràfairesemblant.MaisNickluilanceunregardglacial,etellefaitdemi-tour.«Tiens,c’est fini? jecroyaisquec’était l’amourfou…» jemarmonne,sansquepersonne

m’entende.MaisNick tourne lesyeuxversmoi. Il semblevouloirdirequelquechose,mais jen’aiaucuneenvied’avoircegenredediscussion.Paslaveilledemonaudition.

JemetourneversNatalya,quiestentraindemangersasaladeàpetitesbouchées.«TuaseudesnouvellesdetacopineBecca,finalement?»jeluidemande.J’aijusteenviedechangerdesujet.

Natafait«non»delatête.«Non,rien.Jeréessaieraidemain…après…»Aprèscetteauditionquipourraitchangerlecoursdenotreannée,denotrecarrière,denotrevietoutentière.

Pasdepression.Nicksepasselamainsurlanuque,ets’éclaircitlavoix.«Çatediraitderépéterunedernière

foistachoréavecmoi?»Oui,j’aienvie.Enplusj’enaibesoin.MaisavecNick?Danser?…quetouslesdeux?Rien

qu’enpensantàsesabdos,jesensdéjàleplanfoireux…JemetourneversNata.«Tuviensavecnous?»Onentendlapaniquedansmavoix.Comme

sijen’étaispascapabledesurvivreàuneoudeuxheuresentêteàtêteavecNick.Cen’estpasquejen’ensoispascapable.C’estjustequejeneveuxpas.

Natalyareprendunepetitegorgéed’eau.«Jeveuxappelermesparentscesoir,ettuconnaismeshabitudes.»

Oh,oui,jelesconnaistrèsbien.«Tuveuxvisualiserunedernièrefoistoutelachorégraphiecesoir,etfaireunedernièrerépétdemainmatin.»

Natalya acquiesce. « Exactement. Allez-y, tous les deux.On se retrouve au pensionnat plus

tard.»Ellefinitsonverred’eauetselève.Ellevadéposersonplateau.Mêmequandellemarche,ondiraitqu’elledanse;elleal’allured’unefuturedanseuseétoile,onvoitqu’elleestfaitepourça.

Ellesortdelacafèt.Traître.Ok, elle n’est pas censée savoir ce qui s’est passé entre Nick et moi. Mais elle a deviné,

commebeaucoupd’autres.Jen’airienditàpersonne.Monfrèreestleseulquiestcourant.Enfin,luietGiovanni.EtaussiKayode,quiatoutdesuitecompris.Etpuislesmorceauxdelapetitecouverturerosedonnéeparmamèrebiologiqueetmonjournalintimeauxquelsj’aiconfiémespeinesdetempsàautres.Maispersonnenesaitàquelpointjesouffredelevoirtouslesjours,àquelpointj’aimeraisrevenirenarrièrepoureffacercequis’estpassécetété.Oupourenrevivrechaqueminute.

Jem’éclaircislavoix.«Bon,ben,onyvaalors.»Nosbrassefrôlentetjemesensdéfaillir.Maisj’arriveàcachermontrouble.Etj’essaiedemepersuaderquejen’aipasenviedeluiconfiermespeurs,quejeneveuxpas

l’embêteravecmesangoisses.Maisaufond,jesaisquej’enmeursd’envie,parcequejesaisqu’ilmecomprendrait.Qu’il

m’atoujourscomprise.

CHAPITRE12-NICK

Lesgenssortentpeuàpeuduréfectoirepourrejoindrelepensionnat.J’enentendsquelquesunsdirequ’ils vont aller àCentralPark jusqu’au couvre-feupour se détendreunpeu.Mais la plupart vontchercherunpetitcoinpourrépéterunedernièrefois,ouretourneraupensionnatoùilspeinerontsansdoute à trouver le sommeil, à la veille de ces quelquesminutes d’audition qui peuvent changer lecoursdenotrevie.

Moiaussi,jepenseàl’audition,maismagrandepréoccupation,cesoir,c’estderedonnerlesourireàEm,deluidemandercequinevapas.Avant,jepouvaisyallercash,jeluiauraisjusteposélaquestion,sansprendredepincettes.Maisleschosesontchangé,c’estplusdifficiledeparleravecelle–jesensqu’ellemetientàdistance.Jenesuismêmepassûrqu’elles’enrendecompte,maisjesensquecen’estpluspareil.

«Tuveuxqu’onsemetteoù?dis-jeenluitenantlaporte.-Peut-êtrelasalleD,audeuxièmeétage…Tuenpensesquoi?Vuqu’elleesthyperpetite,il

n’yajamaispersonne,maiselleesttoujoursouverte.-Tesdésirssontdesordres.-Oh, arrête »,me répond-elle. Son visage ne laisse transparaître aucune émotion.C’est un

masquefigé–pasdesourire,pasdemoue.Rien.Maisdeprofondscernescreusentsesyeux,ellealeslèvresserrées,et jedevinequ’ellebrûled’enviedemereprocherquelquechose.Lescouloirssontpleinsdemonde,etilyaunbrouhahaincessant.Unefillemeregardepasserd’unairbéat.C’estunepremièreannéequiadesétoilesdanslesyeux–etellecroitquej’ensuisune.Pasétonnant,aveclaréputationquej’ai:meilleurdanseurdel’École,donjuanquienchaînelesfilles.Unedesescopinesluimurmurequelquechoseàl’oreille,etellepouffederireetdevientrougecommeunetomate.

«C’estridicule»,marmonneEm.Etmêmesielleal’airénervée,jesuiscontentqu’ellemediseenfinquelquechose.J’aimeencoremieuxunedisputequecemurdesilence.

«Quoi?Mapopularité?»Jeluidonneunpetitcoupdecoude,etellehésiteentresourireoufroncerlessourcils.

«Peut-êtrequetudevraisprévenirChloéquetut’esremisavecJen.-Maisqu’est-cequeturacontes?-J’aivuJensortirdetachambrehiersoir.»Etmerde.Jemepasselamainsurlanuquetoutenmontantlesvieuxescaliersquimènentàlapetitesalle

désertedudeuxièmeétage.«Jenvoulaitquejel’aideavec…

-Tun’aspasbesoindetejustifier»,merépondEm,maisjevoisbienqu’elleveutsavoir.«Ellevoulaitquejel’aideàrépéter.Etensuite,elleavouluquejeluipassemacléUSBoù

j’ailesvidéosdesspectaclesdesannéesprécédentes.Voilà,c’esttout.-Maisbiensûr,toutlemondesaitquetueslegenredemecquipassedutempsentêteàtête

avecunefillesansrienfaire.»Elles’éloigne.Oh,cesfesses…ceslonguesjambes…Ilfautquejemecalme.Quej’arrêtede

lesimaginerautourdemataille…Elleouvrelaporte,etlaclaquederrièreelle.Je rentre dans la salle à mon tour, en poussant un soupir. « Pourquoi tu ne veux pas me

croire?Avantonpouvaitpasserdesheuresàparlerensemble,desheuresànerienfaire.-Oui,maisonafaitlaconneriedesortirensemble.»Jelèveunsourcil.«Ahbon?Maintenant,tuveuxqu’onparledecequis’estpassé?Çafait

desmoisquetuéviteslesujet.-On s’embrassait.Onparlait pendant des heures.Et tout ça c’est fini. »Elle s’approchede

moi.Sesgrandsyeuxbrunshésitententrelacolèreetladouleur,etj’aienviedelaprendredansmesbrasetdelaconsoler.Maiselleal’airàvif.Elleestsiforteetsifragileàlafois.«Çafaitdesmoisqu’onneseparleplus,etonnevapassemettreàparlermaintenant.Jenevaispasmeconfieràtoi,jenevaispaspleurerdanstesbras.Onvadanser.C’esttout.

-Tusaisquejesuislàsituasbesoindemoi,luidis-jedelavoixlaplusfermepossible.Tulesais.Tupeuxmedemandern’importequoi.Jesuislà.»

Je sens ses épaules se relâcher un peu.Mais presque aussitôt, la colère reprend le dessus.«CommetueslàpourJen.

- Jen et moi, on n’est pas ensemble », je répète en me rapprochant d’elle. Sa respirations’accélère, et elle se passe la langue sur les lèvres. Je crois qu’elle ne se rendmême pas comptequ’ellefaitça.«Jesaisquetuesencolère,etçamerendtriste.Maisçafaitplusdedixansquejesuislàpourtoi.Jet’aiservidepunching-ball,j’aiséchéteslarmes,onarietonaparléensemblependantdesheures.Etçametuedevoirquejet’aifaitdumal, tun’asmêmepasidée.J’aimeraistellementavoiragidifféremment.»Jesensquemavoixdérape.Jememetsàmarcherdanslapièce.«Maisjeveuxquetusachesquemalgrétoutcequis’estpassé,tupeuxtoujourscomptersurmoi.Etcen’estpas seulementparceque j’ai encore le souvenirde tes lèvres sur lesmiennes.» Je lui faisunclind’œil,pouressayerdedétendreunpeul’atmosphère.«Allez,Em,onnepeutpascontinuercommeça.Onnepeutpluscontinueràfairesemblantquetoutvabien.»J’aiuntondésespéré.Peut-êtrequeje le suis,désespéré. Jevoudrais tellementqu’elleme laisseunesecondechance.Mais surtout, j’aitellementpeurdelaperdre.

Emfaitunpasenarrière,etpencheunpeulatête.Ellemedévisage,elleessaiededécryptermesémotions.«Sic’estimportant,situasbesoindeparleravecquelqu’un,jeseraitoujourslàpourtoi.Mais…»Elleprendunegrandeinspiration,commesiellecherchaitàretrouversoncalme.«Jeneveuxpasquetumeprennespouruneidiote.C’esttout.

-Jenet’aijamaisprisepouruneidiote.-Situledis»,merépond-elle,etjesaisquelaconversationestclose.Jemetslamusique.Emcommencesesétirements.Ellelèveunejambeetlaposesurlemiroir,

puisellesepencheenavant,etlaisselepoidsdesoncorpsfairepressionsursajambe.Jememetsàcôtéd’elleetjefaisdemême.Onchangedejambe.Onselancedesregardsdanslemiroir.

«Demain,lejuryveutvoirtatechnique(quiestparfaite),maisaussidel’émotion.»J’attrapelatélécommandedelachaîneetjemetsLaBelleauboisdormant.

Jem’approched’elleetjel’attireàmoi.«Tusaisquetatechniqueestparfaite.Maintenant,jeveuxtevoirtomberamoureuse.

-Pa…Pardon?

-Aurore…Audébutduballet,elletombeamoureuse.»Emdéglutit,puismeregardedanslefonddesyeux,unsourcillevé,del’airdedireAttention,

ilfautêtredeuxpourjoueràcejeu.«D’accord»,merépond-elled’unevoixrauque.Etrienqu’auregardqu’ellemelance,jesensqu’ellerisquedegagnercepetitjeu...

« Il faut que tu laisses tes émotions s’exprimer, qu’on sente la passion dans chacun de tesgestes,qu’onlasentejusqu’aufonddetesyeux.»

Emsemetenposition,unbraslevéetl’autredansledos.Elleplacesonpied,etcommenceàdanser.Jemelaisseenvahirparsesmouvements,parelle.Unepirouette,unsaut,unpasdedeux…Elleme regarde, comme si j’étais son point focal, comme s’il n’y avait plus quemoi aumonde,commesielleétaitfollementamoureusedemoi.

J’aienviedeprendresamaindanslamienne,del’attirerversmoi.J’aitellementenvied’elle.Maisjesaisquesijefaislemoindregeste,elleserefermeracommeunehuître.Alorsjemecontentededanseràsescôtés.Commeuneréponseàsesquestionssilencieuses.

Commepourluidonnercequ’ellen’osemedemander.Etquandvientlafindumorceau,ellemeregarde,horsd’haleine,etelledéposeunbaisersur

majoueavantdemetournerledos.Cen’estpasgrandchose,maisc’estdéjàundébut.

CHAPITRE13–EM

Çayest.Lejourdel’auditionestarrivé.Unjourquipourraitchangermavieentière.Jesuisprête.Jenepourraispasêtremieuxpréparée.Mesmouvementssontparfaits,matechniqueestparfaite.Jesaisquej’aimachance.

J’aileventrenoué,j’ail’impressiond’avoirenvied’allerauxtoilettesenpermanence,alorsquejesaisquejen’enaipasbesoin.Jenemesenspasbien,j’ailanausée.

Aupetitdéjeuner,jen’adresselaparoleàpersonne,pournepasmedéconcentrer.Maispourçailfaudraitdéjàquejesoisconcentrée.Jenecomprendspaspourquoijedétesteautantlesauditions.Jesuisloindelavisionqu’enaSvetlana,quinousaditunjourquec’était«unebonnechosed’avoirletrac»,queçadonnaitun«bonrushd’adrénaline».Pourmoi,ceseraitplutôt«jesuismortedetrouille,pourquoiest-cequejem’infligeça?».

Jenedevraispasêtreaussiangoissée.Jenedevraispasm’inquiéterautant.Jefaislescentpasdanslecouloirenattendantmontour.C’estNatalyaquiestentraindepasser.Biensûr,ilfallaitqueçatombe surmoi.Que je passe après la star de l’École.C’est comme si le sort s’acharnait surmoi,commesil’universavaitdécidédecontrecarrermesplans.

Jefaisdemi-tour,jecontinueàmarcher.Peud’étudiantsserisquentàpasserdevantlasalled’audition.Onditqueçaportemalchance

de venir trop très de la salle avant son heure de passage. La légende dit qu’il y a vingt ans, unedanseuse est morte pendant son audition et que son fantôme s’est glissé dans le corps de laconcurrentequiattendaitsontourdevantlasalle.

Jenecroispasàcettehistoire.Etmêmesic’étaitvrai,ceneseraitpeut-êtrepasunemauvaisechosequequelqu’unseglissedansmoncorpspendantquelquestemps.

«N’oubliepasderespirer»,murmureunevoixprèsdemoi.Jesursaute.C’est justeNick.Mêmesi jenecroispasàcettehistoirededanseusefantôme, ilm’aquand

mêmefoutulatrouille.«Mercipourcesparolesdesagesse.»Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.Ilmesourità

son tour, et jeme demande ce que son sourire veut dire : est-ce que c’est un sourire heureux, unsourireconfiant,unsourireforcé?

Ilseraclelagorgeets’inclinedevantmoi.«C’estmoileplussagedesdeux.-Àquitutecompares?- Je parle de toi etmoi »,me répond-t-il, et sesmots résonnent dansmon esprit, viennent

enlacermoncœur.«Toietmoi».«Moiettoi».Ilfautquej’arrête,j’ail’impressiond’êtreentrain

d’écrireunechansonkitsch.«Unsage?Moncul…»jeluiréponds.Iléclatederire,etjesensmesjambesflageoler.«Tuveuxvraimentlanceruneconversationsurtoncul?»dit-ilenmescrutantduregard.La

dernièrefoisqu’iladitça,c’étaitl’étédernieretonavaitfinipars’embrasser,aprèss’êtrecherchéspendantquelquesjours.

J’avalemasalive.Maisjenedétournepasleregard.Ils’approchedemoi.OndiraitvraimentlePrinceCharmantdeLaBelleauboisdormant.Mêmesijetrouvequ’ilestencoreplusbeauquandilporteunjeanetsonT-shirtMarioBros.Çamemanquedejouerauxvidéosaveclui,depouvoirluiparlerdetoutetderien,depouvoirmeconfieràlui.Ilmemanque.

Jepencheunpeulatête.Jemeursd’enviedeluicaresserlebras,dem’approcherdelui.«Net’inquiètepas,jerespireencore.Àpeine.Maisjetejurequejerespire»,jeluiréponds.«Àquelleheuretupasses?

- À trois heures, mais je me suis dit qu’en attendant j’allais en profiter pour répéter encostume.Ils’arrêteuninstantdeparler,avantdereprendre.«Etpuis,j’avaisenviedetevoir.»

Jenerépondspas.Ilcontinued’untonhésitant.Jen’aipassouventvuNickhésiter.«Tuvasêtregéniale.Ilsvontt’adorer.Tuveuxbienmepromettrequelquechose?

-Quoi?»,jeréponds,engardantunecertainedistanceentrenous.Jen’arriveplusàpenserclairementquandilesttropprèsdemoi.

«Utilisetesémotions.Ilfautqueturessenteschaquemouvement,chaquegeste.Mêmesituesterrorisée.

-Jen’aijamaispeur.»Ilsecouelatête.«Tuaspeur.Maiscen’estpasgrave.Utilisetapeurpourleurmontrerquitu

es.»Merde.Jesensmagorgeseserrer.Jefaisunpasenavantetjelèvelesyeuxverslui.Ilpose

doucementsamainsurmonvisage.«Jemesenstellementperdue.J’ail’impressionquesijen’aipasle rôle principal, ma vie va s’écrouler. Que je vais perdre ce que je n’ai même pas encore », jemurmure. Et soudain, les mots se mettent à sortir tout seuls. « J’ai tellement travaillé pour cetteaudition.Maismalgrétouteslesheuresderépétition,malgrétouteslesampoules,lesblessuresetlesnuitssanssommeil,jen’aitoujourspasavancé.Jenesaistoujourspaspourquoimamèrebiologiquemedéteste.Jenesaistoujourspasquijesuis.»

Nicksepencheversmoi,sonvisageestsiprèsdumienquej’aienviedefermerlesyeux,j’aienvie de sentir à nouveau ses lèvres sur lesmiennes, de sentir ses brasm’enlacer. «Tu esEmiliaMoretti.TueslameilleureàMarioBros.Tuesgentilleetforteàlafois.Tuestêtueettalentueuse.Tuesdrôleettuespersuadéed’êtremaladroiteaveclesgens.Tuessexy,ettuesfabuleuse.»Ildéposeunbaiserjustederrièremonoreille,etjefrissonneaucontactdeseslèvres.«Montre-leurquitues»,redit-il,etcettefois-cij’acquiesce.

«Tuvasyarriver»,melance-t-ilavantdes’enallerbrusquement.Jenesaispastropcequ’ilafait,maisjemesensmieux.Jesuiscontentedel’avoirdansmavie.Malgrétoutcequis’estpassé.Lesportesdelasalled’auditions’ouvrent,etjesensmoncœurfaireunbond.Jenepeuxpas

tripotermesfourches,puisquemescheveuxsontrelevésenunchignonultraserrésur ledessusdematête,alorsjememetsàrongermescuticules.

L’étrange calme que je ressentais quand Nick était là a disparu. Natalya sort de la salle etmanquemerentrerdedans.

«Ças’estsuperbienpassé,jeparie.Jen’arrivepasàcroirequejedoivepasserjusteaprèstoi.Justeaprèslameilleureélèvedel’École.Jesuisfoutue!»dis-jeenpoussantunsoupir.JepassejusteaprèsNatalya,etjusteavantJen.Natalyafroncelessourcils,alorsjemedépêched’ajouter:«Jesuis

contentepourtoi.»Jemeretourne,etjemurmure:«Jeveuxêtrelameilleure,pourunefois.»Natalyas’éclaircitlavoix.«Çavatrèsbiensepasser»,medit-elle.«Tuvasêtreincroyable.

S’ilyauneconcurrentequimefaitpeur,c’esttoi.»J’aienviedelacroire.J’aitellementenviedelacroire.

Ellemeprendlamain.«Regarde-moi.»Jelaregardedroitdanslesyeux.«Tuastravaillédurpourcetteaudition.Tuasétéparfaiteàlarépètd’hier.Laisse-toialler.

-Qu’est-cequetuveuxdire?-Arrêtedepenseràlachoré.Vis-la.Senschaquemouvement.Dansecommesitudansaispour

Nicketpourluiseul.-Nick?Tuasvraimentenviequejemeplante,non?»jeluirépondsenriant.J’essaiedene

pasluimontrercequejeressens,jeneveuxpasqu’ellevoiequ’elleatapédanslemille.DanserpourNick…SiNickétaitdans lapièce,s’iln’yavaitque lui, j’auraisenviededanserpour lui,et jemelaisseraisenfinaller.

«Tu as envie qu’il vienne te réveiller en déposant un baiser sur tes lèvres. Tu as envie deprofiter de chaque seconde de ce baiser, tu as envie que le monde entier ressente ce que tu sens.Montre-leurcequeturessens!»LesgrandsyeuxbleusdeNatalyascrutentmonregard.

«Emilia»,meditSvetlana.Etsoudain,letempssembleralentirautourdemoi.«Jesaisquetupeuxyarriver.Etjenedispasçapourtefaireplaisir.Est-cequetuveuxqueje

t’attendedanslecouloir?»medemandeNatalya.Jesecouelatête.J’ailesjambesencoton,j’aidesfourmisdanslesbras,jenesensplusrien

quede lapeur. «Non.Tupeuxy aller.Çavaaller.Merci. » Je redresse les épaules et je relève lementon,etjemarcheverslasalled’audition,dontlaporteestouverte.

«Merde!»melanceNatalya.Maisj’entredanslasallesansmeretourner.

Quandj’entredanslasalle,Svetlanamelanceunsourirerassurant.«Çavabiensepasser»,memurmure-t-elle.J’acquiescemaisjesensquemoncorpsentieresttendu,etj’ail’impressionquemonchampdevisions’estsubitementrétréci.Jenevoisplusquelevisagedesjurés,leursyeuxquime regardent. Ils sont assis en rang d’oignon sur des chaises en face de la scène. Je les vois sepencherlesunsverslesautresetjelesentendsmurmurer«fantastique»et«Natalya»plusieursfois,etl’und’euxsouritcommes’ilavaittrouvédel’eauenpleindésert.Bienévidemment,Natalyalesaimpressionnés.Jelesavais.Nataestlameilleuredanseusedel’École.Maisj’ailefolespoird’avoirpeut-êtreatteintlemêmeniveauqu’elle,oupeut-êtrequej’attendsqu’unmiracleseproduise.

Jedevraisarrêterdecroireauxcontesdefées.«Bienvenue,EmiliaMoretti»,meditledirecteurdel’École,etjefaisunsourireauxjurés.La

salleparaît étrangementplusgrandequed’habitude, et enmême temps, jem’y sensplusà l’étroit.C’estpeut-êtreparceque jesens leur regardsurmoi.Oupeut-êtrequec’estàcausede lamanièredontilsmesourient.Unedesjurées,anciennedanseuseétoiledel’AmericanBalletCompany,mefaitunpetitsignedelatête,maisellepincetellementleslèvresqu’ellesembledire«j’aideschosesbienplusimportantesàfairequed’êtreici»ou«onadéjàvulameilleure,àquoiboncontinuer.»

J’essaiedemeconcentrer.Jen’ensuispasàmapremièreaudition.Jenevaispasm’amuseràlesimaginertoutnus,niàfairecommes’ilsn’étaientpaslà.Jevaistoutdonner,jevaisfairedemonmieux,etleurmontrerdequoijesuiscapable.

Nous sommes les premières à passer, et la salle a cette odeur familière qu’elle a tous lesmatins,unmélangedeboisetdeproduitpournettoyerlesvitres.

Desimagesdel’étéderniermereviennentàl’esprit:jemerappellecommentmoncorpsne

faisait plus qu’un avec la musique, comment j’avais fini par baisser la garde. Je me rappelle ladouleur que j’ai ressentie quand ma mère biologique m’a rejetée, mais aussi le bonheur quim’envahissaitàchaquefoisquej’étaisavecNick.Jemerappelleàquelpointjemesentaisbien.Jem’accrocheàcesémotionsaulieudelesrepoussercommejelefaisd’habitude.Jevaism’ancrersurcesémotions.

«Êtes-vousprête?-Oui»,jeleurréponds.Etjesuisprête.Jemelaisseenvahirparlamusiqueetjecommenceunepirouette.Jem’autoriseàdevenirla

BelleauBoisdormant.Jem’autoriseàcroireànouveau.

CHAPITRE14-NICK

Ças’esttropbienpassé.J’airéussimonaudition.J’aisautéplushautqu’àmadernièrerépèt,etmêmes’il m’a manqué la moitié d’un tour dans une pirouette, j’ai quand même assuré. Ma premièreréaction est d’appelerEm,mais elle ne répondpas.Peut-être qu’elle a décidéde rentrer chez elle.Aveclesauditions,onn’apasdecoursdetoutefaçon.Oupeut-êtrequ’elleestalléevoirNonna,etpasserunpeudetempsaurestaurant.Rienquedepenseraurestaurant,j’aipleindebeauxsouvenirsquimeviennentàl’esprit,etjepousseunsoupir.

Montéléphonesonne.«Salutmaman!-Coucoumoncœur,commentçava?-Trèsbien»jeluiréponds.«Tonpère etmoi,onadécidéd’essayerunnouveau restaurant ce soir, tuveuxvenir avec

nous?-Maman?-Oui?»Jesecouelatête.Biensûr,elleneserappellepas.Maissoudain,ellepouffederire.«Ças’est

passécomment?-Quoi?- Ton audition. Je t’ai promis de revoir mes priorités. Et tu es une des choses les plus

importantesdansmavie.»Bizarrement, ilsnesesontpasrappelécesbonnesrésolutionsquandilsm’ontlaissétoutseullesoirdenoël.Enfin,bref.

« Papa a promis la même chose au psy, et il m’a quand même envoyé un mail sur lesinscriptionsenfacdedroitenmedisantqu’ilpouvaitfairemarchersescontactspourmoi.

-Tuconnaistonpère.Maisassezparlédelui.Raconte-moicommentças’estpassé.-J’aidéchiré.Jepensequejevaisavoirlerôle.-Bravo,jesavaisquetupouvaisyarriver.EtEm,ças’estbienpassépourelle?»Mamèreet

lamèred’Emétaientsupercopines,avant.Avantquemonpèrevireceluid’Eml’andernier.«Jenesaispas,jenel’aipasencorevue.-J’aiparléavecAmandaaujourd’hui»,dit-elle.Jenepeuxm’empêcherd’êtresurpris.Jene

me rappellemêmepas de quand datait leur dernière conversation. «Ellem’a dit que le restaurantmarchaitbienmaisquelamèredeDinoavaitétémalade.

-Oui,Nonnaafaituneattaque.-Çam’a brisé le cœur qu’elleme dise ça. Pourquoi n’invites-tu pasEm à dîner un de ces

soirs?ElleetRob?»Elle insistebeaucoupcesderniers temps.C’est ladeuxièmefoisqu’ellemeparledeça,cettesemaine.

J’ail’impressiond’êtredansununiversparallèle,d’avoirététransportédansundemesjeuxvidéo.«Jenesuispassûrquepapasoitd’accord.»

Lavoixdemamanchangetoutàcoup,elleprenduntonplussérieux.«Tonpèreetmoiavonsparlédeça.Nousavonsparlédebeaucoupdechoses.»

Jeregardelecollagequ’Emafaitpourmonanniversaire.Etjerepenseàcequemonpèrem’ademandédefaire.Auchantagequ’ilm’afaitpourquejesorteavecJenl’étédernier.Jenesuispassûrqu’ilaitparlédeçaàmaman.

«Super,maman.Jesuissupercontentquevousparliez,touslesdeux.»Ellevabeaucoupmieuxdepuisqu’elleestrentréedesonséjourdansuncentrederemiseen

forme–quiaquandmêmedurépresquetroismois.Monpèreneveutpaslaperdre,ça,c’estclair,etilafaittoutcequ’elledemandait:iltravaillemoins,ilvoitunconseillerconjugalavecelledeuxfoisparmois,etvientchezlepsyunefoisparmoispourlathérapiefamiliale.

«Cen’estque ledébut»,soupire-t-elle.«Enfin,bref.Jedois te laisser,mais je t’aime,byebye.»Je l’imagineentraindelancerunepetitebisevers lecombinédetéléphone.Onaencoreducheminàfaireavantd’êtreaussisoudésquelafamilled’Em.

Montéléphonesonne;cettefois-ci,c’estuntextod’Em.«Viensmeretrouverdanslasallederépèt,j’aibesoindetoi.»Laphotodesoncontactesttoujourscellequej’avaismisel’étédernier.

Ellen’apasbesoindemelediredeuxfois.

Elle est déjà là quand j’arrive.Elle n’est pas en train dedanser.Elle nebougepas.Elle estappuyéecontrelemiroir,lesyeuxfermés.Etsesmainstremblentunpeu.

«Qu’est-cequinevapas?»J’essaiedegarderunevoixcalmeetforte,poséeetrassurante,maisjen’arrivepasàmasquermoninquiétude–montonestpresquepaniqué.Normalement,Emnelaissejamaisvoirsesfaiblesses.

«J’aicomplètementratémonaudition.J’aitotalementmerdé.»Elleadeslarmesdanslavoix,et jesensmoncœurseserreren lavoyantcommeça.Kayodediraitqu’Emmefait tourner la tête.Maisjem’enfous.Ilaraison.Iln’yariendepirequed’aimerquelqu’un,desavoirqu’onpourraitêtretellementbienaveccettepersonne,etdetoutgâcherpourunrêve,unmensonge.

Elleselaisseglisserparterre.Elles’assoit,etlèvelesyeuxversmoi.«Jemesuisabandonnéedans l’instantprésent,mais résultat, j’aiàmoitié ratéma troisièmepirouette,monfouettéétaitunecatastrophe,etjen’étaispasbienalignéepourl’arabesque.Jesaislaseulechosequimedistinguedesautres,cequipeutmefaireavoirunrôle,c’estmatechnique.D’habitude,elleestparfaite.Jesaisquemonstylen’estpasassezexpressif,maistechniquement,c’estparfait.Maisaujourd’hui?Mêmematechniqueétaitpourrie!»Ellerenifle.«Jeneseraijamaislameilleure…

-Maisqu’est-cequeturacontes?»Jem’assoisàcôtéd’elle.- Jene ferai jamaispartiedesmeilleurs. »Elle secoue la tête. « Je croyaisvraimentque je

pouvaisyarriver.Jesuisvraimenttropbête.-Tun’espasbête.Aucontraire.»Jeposemonbrassursesépaules,etellevientappuyersa

têtesurmoi.-Ilsvontmefilerundecespetitsrôlesridicules.Undecesrôlesoùturestesàl’arrière-plan,

etoùtunefaisriend’autrequetebalancerd’uncôtéàl’autre.- Premièrement, ces rôles sont surtout pour les première année, et tu le sais très bien. Et

deuxièmement,tunepeuxpassavoirquelrôletuvasavoir.Parfois,lapassionestplusimportantequelatechnique.»

Ellegrogne.«Jedétestequandtuestropoptimiste.-Jesuisjusteréaliste.Parcontre,toi,ilvafalloirquetuarrêtesdet’apitoyersurtonsort.»Je

melève,etjevoisqu’elleouvregrandlesyeux.«Allez,viensdanser.-J’ailaisséunmotàNatapourluidirequej’allaisrépéter,maisc’estladernièrechoseque

j’aienviedefaire,là.-Allez,fermelesyeux,etoublietoutlereste.-Tuastoujoursététrèsdouépourmefairetoutoublier»,murmure-t-elle.Ellerougitsifort

quejedevinequ’ellen’avaitpasl’intentiondedireçaàvoixhaute.«Je…Jeveuxdire…»bégaie-t-elle.

-Allez, lève-toi», luidis-jeunenouvelle fois.«Je tedéfiede te lever.»Je lui faisunclind’œil,etjesaisquejel’aidanslapoche.Jemetslamusiqueaumaximumdevolume,pourqu’ellenepuisseplusécoutersespenséesnoires,etjel’attireversmoi.Cettefois-ci,onnedansepasl’unàcôtéde l’autre, on danse ensemble, nos corps se fondent. On ne dit pas un mot, mais mes mainsvagabondentjusqu’enbasdesondos,etjelasoulèveparlataille.Ellesetientàmesépaules,etelletendlesjambesenungrandbattement,puisjelaramèneversmoi.Ellelèvelesbras,cambreledos,etjelafaistournerjusqu’auvertige.Ellemesourit.Maissoudain,sonvisageseferme;elleserappellesansdoutequ’ellem’enveut,qu’elleenveutaumondeentier.

Çafaitsilongtemps–depuiscetété–quejen’avaispassentisoncorpscontrelemien.Jelareposedoucementsurlesol.Etlesmotssortenttoutseulsdemabouche.«Peut-êtrequetoietmoi,ondevraitsedonnerunesecondechance.

-Pardon?dit-elle,lesoufflecoupé.-Toietmoi.Ilyaunegêneentrenousdepuiscetété.Onaessayédefairecommesirienne

s’étaitpassé,etc’estjusteunecatastrophe.-Jenevoispasdequoituparles,toutvatrèsbien.Etdetoutefaçon,jesuisavecAndrew»,me

répond-elle, lementonrelevéd’unairdedéfi.Aumoins,ellenepenseplusà l’audition,etelleestprêteàmecontredirejusqu’àlamort.

«Est-ceque cemecexiste, seulement ?» je lui réplique. J’en aimarredemarcher surdesœufs.Tantpis.

«Çanaaucuneimportance!-Maisbiensûrquesi!- J’aimerais qu’il existe », me répond-elle. Maintenant j’en suis certain. Il n’y a personne

d’autre.«ÀproposdeJen…Decetété.»Soncorpsentierseraidit.«Jeneveuxpassavoir!-On avait dit que notre relation s’arrêtait à la fin de l’été. » Intérieurement, je comprends

pourquoielleestencolère,maisenmêmetemps,ons’étaitquandmêmemisd’accordsurcesrèglesdébiles,etenplusellem’amentienmedisantqu’ellesortaitaveccetAndrew.

Elleouvredegrandsyeux,ona l’impressionque je lui aidonnéuncoupdepoingdans leventre.

«Allez,écoute-moi.Tum’asditque tuvoulais teconcentrersur ladanse,etc’estceque jeveuxaussi,mais…»

Elle neme laisse pas terminer.Elle semet à crier : «Tu avais raison.Toi etmoi…Çanemarcherajamais!

-C’est des conneries, et tu le sais très bien. J’avais tort. » Je respire un grand coup. Il y atellement de choses que je voudrais lui dire. « Je pense tout le temps à toi. » Je vois qu’elle est

surprise.«J’aienviedet’embrasser.Dis-moiquetuneveuxpasqueje t’embrasseet jeneleferaipas.».Jenebougepasd’uncil.Jeveuxlalaisserdécider,jeveuxsavoirqu’elleenaenvieelleaussi.Ontrouveraunmoyenpourqueçamarcheentrenous,cettefois-ci.Jesaisquejepeuxyarriver.Jesaisqu’elle lepeutaussi.Ellemontesur lapointedespieds,et jeposedoucementunemainsursajoue,tandisquel’autres’enrouleautourdesataille.Ellemelanceunregarddedéfi.«Tumerendsfou»,luidis-je.

Nos lèvresse touchent,et je sensmoncorpss’embraser. Je l’embrasseavecencoreplusdefougue,d’urgence–çafaithuitmoisquej’enmeursd’envie.Jesaisquejenedevraispas,maisjenepeuxplusvivresanselle.

Elles’écartedemoi,maispresqueaussitôt,ellemereprenddanssesbras.«Tun’imaginespasàquelpointtum’asmanqué»,murmure-t-elleavantdem’embrasserànouveau.

Ilvafalloirquejeluidiselavérité.Ilvafalloirquej’affrontemonpère.Maislà,toutdesuite,laseulechosedontj’aienvie,c’estdesentirsoncorpscontrelemien,de

sentirànouveaulegoûtdeseslèvres.

CHAPITRE15-EM

Ilm’embrasseetj’oublietout,jemelaisseemporterparsonbaiser,jesenssesbrasm’envelopper,jesensquemoncorpsvoudraitfusionneraveclesien.

Ilposedoucementunemainsurmonvisage.Jesautedanssesbras,etj’enroulemesjambesautourdesataille.Ilresserresonétreinte,etjel’embrasseavecencoreplusdefougue.Jevoudraisqueçanes’arrêtejamais.

«Em.»Savoixestrauque.Ilavanceverslemiroir,jusqu’àcequemondosvienneseplaquercontrelaglace,mesjambestoujoursenrouléesautourdesataille.

Ses lèvres descendent doucement de mon visage jusqu’à mon cou, il attrape mes mainsagrippéesautourdesoncouetillèvemesbrasau-dessusdematête.

Jesenssoncorps,jelesenslui,toutentier.«Tum’asmanqué.»Lui aussi, il m’amanqué. Tellementmanqué. La raisonme crie d’arrêter, maismon cœur

hésite.Qu’est-cequejesuisentraindefaire?Qu’est-cequ’onestentraindefairetouslesdeux?Onestentraindesejeterdanslagueuleduloup.Oncourtàl’échec.

«Jedoisyaller»,dis-jed’unevoixtremblante.«Jedoisyaller.»Nickmereposedoucementsurlesol,ets’écarteunpeu.

«Qu’est-cequeturacontes?»Ilesthorsd’haleine.«Jedoisyaller.»Ilnefautpasquejeleregardedanslesyeux,sinonjen’arriveraijamaisà

partir.Jesorsdelasalleencourant,enlaissantderrièremoimoncœuretmessentiments.

Nataestlàquandjerentredanslachambre.Ellelèvelesyeuxversmoietmeregarded’unairétonné. Je dois être rouge comme une tomate, et mes cheveux sont encore plus décoiffés qued’habitude.Jepourraisluiracontercequivientdesepasser,maisjesensmagorgeseserrer,et jesaisquejesuisàdeuxdoigtsd’éclaterensanglots.Jebatsdespaupièrespourempêcherleslarmesdecouler.

«Çava?»medemandeNataenpenchantunpeulatête,commesiellesedemandaitsielledevraitessayerdemeparlerousi,aucontraire,elledevraitmelaissertranquille.

Jesuisàvif.Entrel’audition–qu’ellearéussiealorsquejemesuisplantée–etNickquisejettesurmoi,jemesenscomplètementperdue.

Alors jepréfère luimentir.«Trèsbien,çava trèsbien.» J’accompagnecemensonged’un

petit geste des épaules qui se voudrait rassurant,mais qui est bien plutôt pitoyable. Jeme force àsourire.«Jesuiscrevée,c’esttout.Àquelleheuretuparsdemain?

-Jeparssupertôt,monvolestlematin.- Je suis épuisée, je vais pas tarder à me coucher, moi non plus. » Je pousse un grand

bâillement, commepourme justifier. J’attrapema troussede toilette,ma serviettebleuvif, etmonpyjama. Mon regard s’arrête sur les posters de danseuses que Nata a affichés de son côté de lachambre.«Parfois, jemedemandesi jesuisfaitepourtoutça», jenepeuxm’empêcherdedireàvoixhaute.«JesuisplusheureusedanslerestaurantdemaNonnaqu’ici.Maisjesuisdouéepourladansequandmême,non?

-Tues fabuleuse»,merépondNataen tripotantsoncollier.Ellemeregardedroitdans lesyeux.«Maisçadevraitterendreheureusededanser.

- Jene saispascequime rendheureuse.» J’essaiede rire,maisc’estun rire sansvie,quisonnefaux.Jerepousseunemèchedecheveuxquimetombesurlevisage.«Ilfautquej’arrêtedemeregarderlenombril.Bon,jereviens.»

Jesorset jerefermelaportederrièremoi.Peut-êtreque jedevrais toutraconteràNata, luidemander ce qu’elle en pense. Peut-être que pour une fois, on pourrait oublier un peu la danse etparler,parlerdetoutetderienjusqu’àl’aube.Peut-êtrequeçaferaitdubienàNataaussidepenseràautre chose, pour une fois. J’ai l’impression que quelque chose la tracasse. Et que, si elle nemedemandepascequim’arrive,c’estpeut-êtreparcequ’elleessaiedeseprotéger,denepasrévélersespropressentiments.Elledétestedemanderdel’aideouavoir l’airvulnérable,mais jesaisquec’estdifficileavecsesparentsencemoment– ilsn’arrêtentpasdesedisputer–etqueça lapréoccupebeaucoup.

Je vais lui demander comment elle va. Je veuxqu’elle sachequ’elle peut compter surmoi,qu’ellepeutmedemanderdel’aide,queçanefaitpasd’elleunefaible.Maisd’abord,ilfautquejereprenneunpeumesesprits.

Quandjeretournedanslachambreaprèsunelonguedouche,elleestdéjàendormie.

CHAPITRE16–NICK

«Em!»jeluicrie.Maisjeneluicourspasaprès.Elleabesoinquejegardemesdistances,etmoij’ai besoin de temps pour penser à nouveau rationnellement. Là, je serais prêt à la supplier, à luipromettremontsetmerveilles. Ilyavaitdanssesyeux tellementd’inquiétude,dedoute,depaniquemême.Etunefoisdeplus,jem’enveuxtellementdecequej’aifait.

C’estnormalqu’ellesoitinquiète.C’estnormalqu’ellesedemandedansquoionestentraindes’embarquer.Qu’ellehésite.

Jerespireungrandcoup.Jel’appellerai,jeparleraiavecellecesoiroudemain.Onvatrouverunmoyendefairemarchercetterelation.Etjevaisallerchezmesparents,pouravoirunevraieconversationavecmonpère.Peuimportelesrésultatsdel’audition,peuimporteladécisiond’Emilia,peuimportecequi

vasepasserdanslessemainesàvenir,jenepeuxplusfermerlesyeuxsurlepassé,ilfautquejedisemesquatrevéritésàmonpère.

Ilestgrandtempsquejelefasse.

CHAPITRE17-EM

C’esttellementapaisantdeplongerlesmainsdanslaviandehachée,depétrir.Jesuisentraindefairedespolpette.Nonnas’arrangetoujourspourquecesboulettesdeviandesoientaumenudurestaurantaumoinsunefoisparsemaine,etàchaquefois,ellevavoirlesclientsàleurtable,etelleprendletemps de leur expliquer ce que sont les polpette, pourquoi ça n’a rien à voir avec lesmeatballsaméricaines.Je roule lapréparationentremesdoigtspour formerunepetiteboule.Pendant tout leweek-end,jen’aipascesséderepenseràcequis’étaitpasséàl’École.Jemesuisrepasséenbouclel’audition,lebaiserdeNick–unbaiserdigneduGuinnessdesrecordsdelasensualité–lamanièredontjemesuisenfuieaprèscebaiser.

Ilaessayédem’appeler.Cinqfois.IlaaussiappeléRobertopourluidemandersij’allaisbien.Etlaréponseest«oui».Jevaisbien.C’estjustequej’aitellementpeurdesouffrirànouveau.

Tellementpeurdeluiouvrirànouveaumoncœur,etqu’ildiseencorequ’ilfautqu’onarrête,qu’ildoit se concentrer sur sa carrièrededanseur,qu’onpeut faireunessaidequelques semainespourvoircommentçasepasse.

Jenepeuxpasm’infligerçaànouveau.Onditqu’ilfautvivre,aimer…etapprendredeseserreurs.Dansmoncas,çaadonné:vivre,aimer,etpleurertouteslesnuitspendantdeuxsemaines,puisfairesemblantquemonmeilleuramin’existeplus,queçanemedérangepasdutoutqu’ilsorteavecd’autresfilles,etenfin,remonterlapentetoutdoucement.

Mais je repense à ses bras autour dema taille, au goût de ses lèvres, à tout ce que laissaitentrevoircebaiser.

J’ai toujours rêvé queNick quema première fois se passe avecNick – avantmême qu’ons’embrassepourlapremièrefois.Etmaintenant?Jerisquededevoirresterviergepourlerestedemaviesijenepeuxpasl’avoir.

J’aiembrassédeuxautregarçonsavantNick :monsieur«Slurp-la-limace» (c’estmoi,paslui,quisuislacausedecesurnom)quinem’ajamaisrappelé,etmonsieur«Trop-beau-pour-être-vrai », quand j’ai commencé l’École des Arts de la Scène. Le dernier des deux a fini par quitterl’Écoleetabandonnerlesétudes.Ilétaitvraimenttropbeaupourêtrevrai–ilfautdirequ’ilavaitunpetitproblèmedecocaïne.Etmêmeungros.

Jemelavelesmains.«Soittuesamoureuse,soittuesentraindefaireunAVC»,melanceNonnaenpouffantde

rire.«C’estpasdrôle»,jeluiréponds.Ellemeprenddanssesbras.«Simêmemoijenepeuxpasenrire,quilefera?répond-elle.

-Personne.Tunedevraispasplaisantersurça,personnenedevraitplaisantersurça.-Jepréfèrepasserlesquelquesannées(oupeut-êtremois,ousemaines)quimerestentàvivre

àriredelamortquis’approcheplutôtqued’avoirpeurdelaregarderdanslesyeux,Bellisima.»Ellejetteunœilsurlespolpettequisontentraindemijoterdansunegrandecasserole.«Est-cequetuasmangé?

-Non,pasencore.Ellesneserontpasprêtesavantunebonnedemi-heure.- Alors assieds-toi avec moi, et ensuite on mangera ensemble », me dit-elle. Nous nous

installonsàunetablequ’elleainstalléedansuncoindelacuisine.Elleposesamainsurlamienne.«Çafaittrèspeurd’aimer.Maisparfois,çavautlapeinede

souffrir. J’aibeaucoup souffertquand tonPoppaestmort.Etquand j’aiperdu ta tante.Elle était sipetite…Maisjeneregrettepasdelesavoiraimés,cen’estpasdeleurfautesij’aisouffert.Jenelesaipasaimésenmedemandants’ilétaientmauvaispourmoi,maisenpensantàtoutlebonheurqu’ilsmedonnaient.»Ellereprendsonsouffle.«Situaspeurdesouffrir,ilyadegrandeschancesqu’ilenvaillelapeine.Maissitusaisquetuvassouffrirsansraison,ilneméritenitontemps,nitonamour.

-Ets’ilm’adéjàfaitdelapeine?-Peut-êtrequecen’étaitpaslebonmoment–pourtouslesdeux.»Ellesepencheversmoi.

«Tun’espaslaseuleàavoirsouffertcetété,Bellisima.Nicholasaussiabeaucoupsouffert.»Envoyantmonair surpris,elle semetà rire.«Jesuispeut-êtrevieille,mais jenesuispas

encoreaveugle.Maintenant,dis-moiquellerecettetuasutiliséepourlespolpette.»Je luiexpliqueque j’ai légèrementmodifiésarecetteenm’inspirantd’uneautreque j’avais

trouvéesurinternet,etquej’aiajoutéquelquesherbesaromatiques.Etpendantlademi-heurequisuit,onparledecuisineetellemeracontecommentc’étaitquandPoppaetelleontouvertlerestaurantilyapresquequaranteans.

«Çayest,ledînerestprêt.Ettuasbesoindemanger.»Elleselèveetmetenduneassiette.«Jen’aipasenviequetudeviennescommecesdanseusesquej’aivuesdanslesfilmsdeLifetime.Oucommecesautresdanseursdonttum’asparlé.Aucunartneméritequ’onsesacrifie.»

Je prends l’assiette et jem’assois en face d’elle. «Comment on sait qu’on prend la bonnedécision,Nonna?»Jem’éclaircislavoix.«Commentest-cequetuassu,toi?J’ail’impressionquetuasgagnélegroslotdeuxfois,d’abordavecPoppa,etmaintenantavecM.Edwards.»

Ellesemetàrire.«Pourtoi,onatoujoursétéPoppaetNonna,Bellisima.Onnet’ajamaislaissé voir les difficultés et les désaccords. Je ne t’ai jamais dit qu’on avait failli se séparer à unmomentdonné.Aprèsdesannéesà se courtiser et à s’aimerpassionnément, et après tout cequ’onavaitvécuensemble,onn’étaitplussûrsderien.L’amour,c’estfacileetdifficileàlafois.L’amour,çapeuttefairepleureretçapeuttemettredelajoieaucœur.Maisilfautquetusachessilapersonnemériteque tuprennescerisque,sielleenvaut lapeine. Il fautquevouspuissiezêtreamis,amantset…»Elleessuieunelarme.«Tongrand-pèrememanquetouslesjours.Touslesjoursjemedisquej’aimerais pouvoir lui parler, plaisanter avec lui. Ça a été le grand amour de ma vie. Ben – M.Edwards–estmerveilleux,maisc’estunamourdifférent.

-C’estvraiquevousavezfaillivousséparer,Poppaettoi?-Quand il est rentréde laguerre, c’était difficile.Maispour rienaumonde jenevoudrais

effacer une seule journée que nous avons passée ensemble.Ce sont lesmoments difficiles qui ontrendu lesmoments faciles encore plus beaux. Et on a beaucoup appris l’un de l’autre.On amûriensemble.»Elleprendunegorgéedevin–ceverredevinrougequ’elleseserttouslessoirs.«Ilnefautpascroireauxcontesdefées,Bellisima,ilfautlesfaireexister.»Ellefaittournersafourchettedanssonassiette.«Mangeavantqueçarefroidisse.J’aipromisàtamèrequejetemettraisàlaporteavantdix-septheurespourquetusoisrentréeavantlanuit.»

Je n’essaiemême pas de la contredire.Maman dit qu’il faut qu’elle se repose, et elle veut

passerluifaireunevisitesurprisepourvérifierqu’ellen’enfaitpastrop,c’estpourçaquejedoispartiràdix-septheures.Nonnamefaitunpetitclind’œiltoutenmangeant,etjemedisqu’ellen’estsansdoutepasdupedenotrepetitjeu,maisqu’ellefaitsemblantparamourpournous.

Jequittelerestaurantàdix-septheuresprécises.Dehors,ilyaduventetlaneigenesemblepasvouloirs’arrêterdetomber.J’ail’espritenébullition,jen’arrêtepasderepenserauxconseilsdemaNonna.Montéléphonesonne,c’estencoreNick.Cettefois-ci,jeréponds.

«Jesuisdésoléedenepast’avoirdonnédenouvellescesderniersjours.-Etmoi,jesuisdésoléed’avoirétéaussinul.J’aibeaucoupdechosesàtedire.-J’aibesoindetedemander:est-cequetuesprêtàenvisagerunevraierelation?Àvoirce

queçadonne?»Moncœurs’arrêtedebattreenattendantsaréponse.Ets’ildisaitnon?«J’aienviededireoui…-Mais?»Jebouillonnedepeur.Nonnaaraison,jenevaispasmelancerdanscettehistoiresi

jesaisquejevaissouffrirparcequ’ilestincapabledetenirtêteàsonpère,ouparcequ’ilapeurquenotrerelationsoitmauvaisepoursacarrière.Nonmerci,j’aidéjàdonné.

«Maisilfautquejetedisequelquechose.Cesoir,quandjerentre.J’arriveraispeut-êtreunpeutard.Maisattends-moi,d’accord?

-Etaprès?-Après,tuprendrastadécision.-Est-cequetuterendscomptequejenesuispaslameilleuredanseusedel’École?Quejene

vaissansdoutepasdécrocherlerôle?Cequiveutdire,sij’aibiencompristonplandecarrière,quejerisqued’êtreunegênepourtoi.

-Cequim’empêchedemeconcentrer,c’estdenepasêtreavectoi.-Oh.»Jenesaispasquoirépondredeplus.«Essaiedenepast’endormiràhuitheuresetdemiecommeçat’arriveparfois.-Jetravaillecommeunefolle,jesuiscrevée.»Ilrigole.«Ilmetardedeteretrouver.»Jemedépêchederentreràl’École.Quandj’arrivedansmachambre,Natalyan’estpasencorerentréeduMaine.Sonvoladûêtre

retardé.Aveclaneigequin’arrêtepasdetomber,ceneseraitpasétonnant.Jemesensunpeupluscalme.Çam’afaitbeaucoupdebiendepasserleweek-endchezNonna,jemesensmoinsstresséeet

moinsangoisséeparlesrésultatsdel’audition.Sij’obtiensunrôlecorrect,jeseraicontente.Jen’aijustepasenvied’avoirunpetitrôlepourricetteannée.

IlmetardederetrouverNick.J’aihâtedesavoircequ’ilaàmedire.J’aihâtedevoirsionpeutarriveràdépassernosblessures,àdépasserlagênequis’estinstalléeentrenous.

J’ouvre mon tiroir et j’en sors les morceaux de la petite couverture dans laquelle j’étaisenveloppéequandmonpèrem’aachetée.Jel’aidécoupéeaprèsavoirapprislavérité.Maisj’aigardélesmorceaux.

Ilm’aachetée. J’aiencoredumalà l’accepter,malgré lesnombreuses séancesde thérapiesfamilialesauxquellesonestallés.Sur lacouverture, ilyaunepetitedanseuse rose,et il estécrit :«J’aimeladanse.»

Etaufonddemoi,jesaisquemêmesij’arriveàarrangermarelationavecNick,ilyaunepartie demoi qui aura toujours besoin de prouver àmamère biologique qu’elle a eu tort demeclaquerlaporteaunez,qu’elleadequoiêtrefièredemoi,quejeméritesonamour.

Siellenerépondpasàmalettre,jel’appellerai.J’irailavoir.Jeveuxjustequ’ellemedonneuneautrechance.

CHAPITRE18-NICK

«Nick ! »Mon pèrem’appelle depuis le salon.Maman et lui ont décidé qu’ils avaient besoin depasseraumoinstrenteminutesensembletouslessoirs,sansdistractiond’aucunesorte–cequiveutdirequemonpèren’apasledroitdeliresonWallStreetJournaloudepianotersursonBlackberry,etquemamandoitfaireuneffortpournepasêtreperduedanssespensées.

Alors,ilsparlent.Parfois,ilssedisputent.Jelesaimêmevuss’embrasser,unsoir.J’enarriveàcroirequeçapourraitpeut-êtrevraiments’arrangerentreeux.«Nick!»crieànouveaumonpère.Iln’apasl’aircontent.Maisalorspasdutout.J’attrapemonsac,etjevaisleretrouverdanslesalon.«J’arrive.»Je passe la tête dans l’encadrure de la porte.Mon père est assis sur le canapé en cuir, un

martiniàlamain.Mamèren’estpaslà.Bizarre.«JevoudraisquetuaccompagnesLizàungaladecharitélasemaineprochaine.»Lesnouvellesvontvitedanslemondedesaffaires.Çapasserapeut-êtreauxinfoscesoir.«Le

filsd’ungrandPDGditenfinnonauxmanigancesdesonpère.»Jem’éclaircis lavoix,et je regardemonpèredroitdans lesyeux.«Non.Jenesortiraipas

avecLiz.-Etpourquoidonc?-Parcequejen’aipasenvie.-Ondiraitungamindecinqans.-On dirait surtout que tu n’as pas écouté ce que j’ai dit. Je ne sortirai pas avec elle. Point

final.»Monpèreselèveetnousnousretrouvonsfaceàface.Çafaitdesannéesquej’auraisdûfaire

ça.Maisjesuisuncouard.C’esttellementplusfaciledefaireçamaintenantquemadernièreannéed’Écoleestpayée,etquej’aimoiaussidequoifairepressionsurlui.

«Jepeuxdétruiretacarrière.-Moi aussi je peux détruire ta carrière », je lui réponds. « Que penseraient les gens s’ils

savaient que tu as forcé ton fils à sortir avec des filles, tu ne crois pas que ça risquerait de faireplongerlecoursdetaboîte?Alors,c’esttoi,oumoiquirisqueleplusgros?

-Tunesaisabsolumentpasdequoituparles.»Maisjesensqu’ilnemefaitplusaussipeurqu’avant.Qu’ilmesemblemoinsgrandqu’avant.

« Je refuse de jouer ce petit jeu plus longtemps. Tu as de la chance que je n’aie rien dit à

maman.Jenesuispassûrqueçaluiplairait.-Laissetamèreendehorsdetoutça.Surtoutencemoment.-Alorslaisse-moiendehorsdetoutça.J’aipresquedix-huitans.-Commesiçachangeaitquelquechose.Çanechangeabsolument rien.Si tuavaisenviede

partir,tul’auraisdéjàfait.Etjeterappellequetunet’esjamaisplaint,jusqu’àcetété.Toutça,c’estàcaused’Em,n’est-cepas?

-LaisseEmendehorsdeça.-Tuestellementnaïf.Tellementnaïf.Jet’aidéjàditdeneplusfréquenterlesMoretti.Ilfaut

quetugardestesdistancesaveceux!-Lepèred’Emiliaestvenutevoirilyadeuxsemaines.-Onavaitdeschosesàrégler.-Pourquoitunepeuxpasêtreunpeupluscommelui?»Monpèrefaitunpasenarrière,puisilsemetàsecouerlatête.«Tunecomprendsvraiment

rien.Pourquoicrois-tuquejel’airenvoyé?-Parcequ’ilrefusaitdefairedeschosesmalhonnêtes.-Non.Parcequ’ilétaitmalhonnête.-Ilétaitmalhonnête?»jerépète.Jenecroispasunmotdecequeracontemonpère,leroides

affairesdouteuses.C’estquandmêmequelqu’unquiaétécapabledevendreàdesretraitéstoutuntasd’actionsàpeinelégales.

Ilflirteaveclaprisonàchaquescandale.«Nemecroispassi tuveux, jem’enmoque.Parcontre,s’ilyaunechosequim’importe,

c’estquetuarrêtesdevoirEmilia.EtRoberto.Jeneveuxplusquetutraînesdansleurrestaurant.Tuneveuxplusm’aider?trèsbien.Maistudevraism’écoutersurlereste.

-Pourquoi?-Parcequejeteledis.-Çan’aaucunsens.»Jecroiselesbrassurmapoitrine,etjeleregarde.Ilfroncelessourcils

etpousseungrandsoupir,maisjenebaissepaslesyeux.Cettefois-cijenemelaisseraipasfaire.«Tun’entendspascequejetedisouquoi?»Ils’appuiesursonbureau.«Tun’entendspas

unmotdecequejetedis.-Ettoi,est-cequetum’entends?Tuasdéconné,papa.Tuasdéconnésurtellementdechoses.

Ettoutçapourquoi?-J’aiessayédeprotégermafamille.J’aifaitdemonmieuxpourvousprotéger.»Jem’avanceverslui.Noussommesfaceàface,maintenant.Maisjenevaispaséleverlavoix.

Jevaismeservirdelavoixd’acier,decettevoixqu’ilmaniesibien.«Tuasétéàdeuxdoigtsdenousperdre.Mamanafaillitequitter.Moi,jepassaisplusdetempschezlesMorettiqu’ici.Laseulechosequit’intéressait,c’étaitleboulot.Aumoins,chezlesMoretti…»

Ilm’arrêtedelamain.«Neparlepasdecequetunesaispas.- Je sais très bien de quoi je parle. J’ai passé des vacances avec eux. J’ai passé je ne sais

combiendedimanches,desoiréesetdedînersaveceux.»Enfin,jusqu’aujouroùlepèred’Emm’afaitcomprendrequejen’étaispluslebienvenu,etques’ilmetolérait,c’étaitseulementàcausedesafamille.

«Ettudoisarrêterd’yaller.IlfautquetuoublieslesMoretti.Concentre-toisurta«carrière»,sionpeutappelerçacommeça.

- Alors donne-moi une bonne raison de les oublier. » Je veux le pousser dans sesretranchements.

«Jen’aipasàtedonnerderaison.Jesuistonpère.- Seulement quand ça t’arrange. » Je hausse les épaules. Je sais très bien à quel point ça

l’énerveque je fasse ce geste. Il trouveque ça fait je-m’en-foutiste, alors que j’essaie juste demeprotéger.

«Tunesaispaslamoitiédecequej’aifait.-Jesaisquetuasmenti.Quetum’asmanipulé.Quetut’esservidemoi.Quetuasfaitpleurer

mamanetquej’ensuisaupointoùparfoisjerêved’avoirétéadopté.»Ilblêmit,etsespoingsseserrent.«Ilvafalloirquetutecalmes,Nick.»Jerigole.«Etpourquoi?Tunepeuxpasmevirer,moi.Etjen’aipaspeurdetoi.»Ilprendunegrandeinspiration,puisexpirebruyamment.«Jevaistelerépéterunedernière

fois:net’approcheplusd’eux.C’estsidifficileàcomprendre?-Situnemedonnespasplusderaisonsqueça,alorsoui,c’estduràcomprendre.-Tuveuxdesraisons?Jevais t’endonner!»Monpères’estmisàcrier.Ilnecriejamais,

normalement. Il est d’un calme légendaire, ça fait partie de lui, de sa personnalité. « Toute cettehistoire de l’adoption d’Em est une vaste blague. Claire n’a jamais essayé de la vendre, c’est desconneries.Et jevais tedire autre chose.C’est lepèred’Emqui a falsifié lesdocumentsdanscettehistoired’actions, et j’aibien faillime fairevirer à causedeça.Et jene tedispas tous les autresproblèmesqu’ila.»Ilregardesesmainspendantquelquesinstantsavantdeleverlesyeuxversmoi.« Jeneveuxpasque tu traînesaveceux.Tuméritesbeaucoupmieuxqueça.Et cen’estpasparcequ’ilsn’ontplusd’argent.QuandDinoaescroquécespauvresgens,qu’illeuravoléleurretraite,ilaperdutoutmonrespect.»

Jen’arrivepasàycroire.«Qu’est-cequeturacontes?luidis-je.Qu’est-cequeturacontes?-Cequej’essaiedetedire,c’estqu’ilyatoujoursplusieursversionsdelamêmehistoire.Et

pourcequiestdel’adoptiond’Em,ilfautquevousarrêtiezdevousobstiner.Lepèred’Emiliaafaitdeschosestrèsgravesl’andernier,etc’estpourçaquej’aidûlerenvoyer.Amandanesaitriendetoutça.Personnenesaitrien,sauftamèreetmoi.

-Pourquoitun’asrienditsurl’adoptiond’Em?Pourquoitunem’asrienraconté?-Parcequecen’estpasàmoidelefaire»,merépond-il.Maisjenelelâchepasduregard.Je

nelaisseraipastomberavantd’avoirobtenucequejeveux.« Papa. » Je ne dis rien d’autre. Il me regarde pendant quelques instants, puis il se laisse

tombersursonfauteuilencuir.«Ok.Parcequecen’estpasàmoidelefaireetparcequeDinoetmoionavaitplusoumoins

passéunaccordquandjel’avaisaidéàfairetouslespapiers.Disonsqu’àl’époque,ilm’avaitaidéàgagner un peu plus d’argent sur un contrat grâce à des infos confidentielles qu’il avait obtenuespendantuneréunion.Maisc’étaitilyalongtemps.Jen’aijamaisrefaitdeschosescommeça.

-Jenetecroispas.Tun’aspasdecœur.Tun’aspasdecœur,putain.Empensequesamèreaessayédelavendre,etc’esthyperdurpourelle,ellefaitdespiedsetdesmainspourimpressionnersamèrebiologique,pourimpressionnersesparents,pourm’impressionnermoi.»Jesensmavoixsebriserendisant lederniermot.Jemeracle lagorge.«Jenevouscomprendspas.Est-cequevouscroyezquec’estunjeu?Iln’yaquel’argentquivousimporte?»

Monpèrecourbeunpeuledos.Ilaperdusabelleallureéléganteetsonaird’autorité.Ilal’airfatigué,etilparaîtsoudainplusâgé.«C’estvraiqu’àuneépoque,jenepensaisqu’àl’argent.Jusqu’àcequetamèremeposeunultimatum.Jefaisvraimentdesefforts,Nick.Maisjenepeuxpasaccepterquetutecompromettesenfréquentantcettefamille.Pasquandçametendangertoutcequej’aipassémavieàconstruire.Pasquandçarisquededétruirenotrevie.

-JenevoispascommentmarelationavecEmpourraitavoirdetellesconséquences.-Jet’assurequeçaenaura.Ellevaêtreunfreinpourtoi.Etlepèred’Emnetelaisserapas

sortiravecelle.

-Pourquoi?-Parcequ’iln’apasenviequ’elledécouvrecequejeviensdeteraconter.-Maisilfautqu’ellesache.Elletravailletellementdur.-Ilnelaisserapasarriverunechosepareille.Etmoinonplus.Tupeuxmetraiterdecon,ou

detouslesnomsquetuveux,maisjenetelaisseraipasperdretontempsettonénergieavecelle.Ellen’est pas faite pour toi. Sa famille croule sous les dettes, ils croulent sous les problèmes.Le pèred’Emessaiederetrouverunpostedansnotreboîte,mais jenepeuxpas le laisser faire.Et jene lelaisseraipasseservirdetoi.

-Toutlemonden’estpasobsédéparl’argent.Toutlemondenerêvepasd’êtrecommetoi.-MaisDinosi!Tun’imaginesmêmepas.Jenetelaisseraipast’abaissercommeça.Tuvaste

trouver une copine qui soit dumêmemilieu que nous.Qu’est-ce qui va se passer quand tu vas terendrecomptequeladansenetemèneàrien?Quandtuvasterendrecomptequetufaisçaseulementpourmecontrarier?Crois-moi,Nicholas,çatepassera,cetteenviedecontrariertonpère.Jelesaisparexpérience.»Iltourneleregardverslesportraitsdefamillequitrônentsurlacheminée.«Nefaispaslesmêmesconneriesquemoi,Nicholas.Apprendsdemeserreurs.

-N’importequoi.Tut’esmariéavecmaman.Ettun’avaisaucunargentcomparéàelle.Aucunargent.

-Etest-cequ’onestheureux?»Iltousse.«Etc’étaitdifférent.Jevenaisd’unebonnefamille.C’estvraiquenousn’étionspasaussi richesque la famillede tamère,maison faisaitpartiede lahautesociété,etj’avaisunbondiplôme,j’avaisunavenir.Etnecommencepasàpenseraumariage,Nicholas.Tun’asquedix-septans.Ilfautquetuexplorestoutestespossibilités.

-Qu’est-cequetuvasfairesijedécidederesteravecEm?-Est-cequetusaisquipayel’Écolededansed’Em,encemoment?-Sesparents », je réponds engrimaçant. Je sais où il veut envenir,mais je n’arrivepas à

croirequ’ilmettraitsesmenacesàexécution.«Non.C’estmoi.-Tuneferaispasça.-Tuseraisprêtàprendrelerisque?»Je le regarde.Je le regardevraiment.Etmalgré lacolèreque jesensmonterenmoi, jeme

rappellecommentilsuppliaitmamèredenepaslequitter,jemerappellecomment,ilyatroisans,àun gala de charité, il avait donné son manteau et ses chaussures à un SDF que les organisateursrefusaientde laisserentrerparcequ’iln’étaitpasassezbienhabillépour lescamérasde la téléquiétaient là. Je le revois en train de rire avecmoi à une demes fêtes d’anniversaire. J’étais un peumalade,etilétaitrestéavecmoiàlamaison–ilavaitmanquétouteunejournéedetravail.Quandleschoses ont-elles changé ?Depuis quand est-il devenu tellement dur qu’il ne s’en rendmême pluscompte?

Ilpousseunsoupir.«Nicholas,serais-tuprêtàprendrecerisque?»JenesuisprêtàprendreaucunrisquepourEm.Ilesthorsdequestionquejemettesonavenir

endanger.Mais iln’apasbesoindesavoirque jebluffe. Iln’apasbesoindesavoirque jesuisentrain de luimentir, parce que de toute façon, s’ilmenace vraiment – ne serait-ce que de loin – decouperlesvivresàEm,jeferaiimmédiatementcequ’ilveut.Jeleferai.Pourelle.

Maisilfautquejecroiequ’ilneferapasçaàEmilia.Ilnepeutpasêtredevenuunmonstrepareil.C’estuncon,ilnemecomprendpas,ilsesertdemoi,maisilnepeutpasêtreaussiméchant.

«Nicholas?»Savoixetfermeetassurée,maisaufonddemoijesaisqu’ilment.C’estpeut-êtrelamanièredontildétournelesyeux,oulefaitqu’ils’estpassélamainderrièrelanuque–unefois.

Jedécidede tenter le toutpour le tout.« Je suisprêt àprendrece risque.»Et je croise les

doigtspourqu’ilnevoiepasàquelpointj’aipeur.Ilpousseunsoupir.«Ilfutuneépoqueoùjebluffaistrèsbien.Maisilsembleraitquecene

soitpluslecas.Jet’auraiscoupélesvivressanshésiter.MaisjeneferaijamaisrienàEmilia.Elleestinnocentedanstoutça.»Ilsouritetm’ébouriffelescheveux,commeillefaisaitsouventquandj’étaispetit. L’espace d’un instant, j’imagine comment ce serait si on s’entendait bien à nouveau. Je nousimagineavoirunevie,ouquelquechosequiyressemblerait.Maisilreprendaussitôtsontonsérieux.«Faiscommetuveux.Maisjepréfèreteprévenir.Dinonevapasêtrecontent.

-Cen’estpasàluidedécidernonplus»,jeluirépondsd’untonferme.Etquandjequittelamaison,j’ail’impressiond’êtremillefoisplusgrandqu’avant.

CHAPITRE19-EM

J’essaiedésespérémentdegarder lesyeuxouverts : je faisdes étirements, j’écoutemaplaylistdesannées80surPandora.Cetteplaylistmerappelletoujourslesbonssouvenirsdel’étédernier,quandjem’amusaisàdansersurlavieillecollectiondedisquesdeMadonnademaman.J’essaied’imaginerun nouveau dessert pour le restaurant deNonna.Quelque chose avec du chocolat. Il n’y a rien demieuxquelechocolat.

Jeregardemontéléphonetouteslesdeuxsecondes,jecherchelesfourchesdansmescheveux,jeregardeverslebureaudeNata,commesielleallaitapparaîtreparmagie.Sonvoladûêtreannulé.Elleestsuperenretard,etelledoitstresseràmort.Jeluienvoieuntextomaisellenemerépondpas.

Je brûle d’envie d’appeler Nick, mais je m’en empêche. Je ne veux pas lui courir après.Encoreunefois.

Oùest-il?J’essaiederegarderunfilmsurmonordi,maisjen’arrivepasàmeconcentrer.Soudain,quelqu’unfrappeàmaporte.«Nick?»jedemande,maisc’estJenquiouvrelaporte.«Qu’est-cequetuveux?»Jen’arrivemêmeplusàgarderuntonpoliavecelle.«JevoulaisparleràNatalya,ellenerépondpassursontéléphone.-Depuis quand tuparles avecNata ? Jene savaismêmepasque tu avais sonnuméro. » Je

l’observeattentivement.Àquoiellejouemaintenant?« Eh bien, il faut croire que tu ne sais pas tout.Natalya était censéem’aider pour un truc.

Enfin,bref.Tuasdesnouvellesd’elle?»Ellecroiselesbrassursapoitrine.«Jepensequesonvoladûêtreretardé,ellen’estpasencorerentrée.»Jen tend le cou comme pour voir si jementais. « J’ai entendu dire que tu avais beaucoup

impressionnélejuryàl’audition.»Bizarrement,ellen’apasl’airtrèssurprise.«Jesuissûrqu’ilsdisentçadetoutlemonde»jeluiréponds.Jen’aiabsolumentaucuneenvie

defairelaconversationavecelle.PasquandNickestcenséarriverd’uneminuteàl’autre.Pasquandonestenfincensésparlerdecequis’estpassé.Pasquandjepensequ’onvapeut-être–etjedisbienpeut-être–enfinsedonnerunevraiechanced’êtreensemble.

Ilyadubruitdanslecouloir,etonentendNickéclaterderire.Ilestentraindeparleravecsoncoloc,jecroisqu’ilfaituneplaisanteriesurlefaitderevenirplustard.

Jenmet unemain sur sa hanche. « Il a l’air en forme, ce soir. Je crois que tu nous as vusl’autresoir?

-Tuveuxdirelesoiroùilt’aaidéavectachoré,etoùtuasessayédel’embrasser?Oui,j’ai

vuça.Jenecomprendspaspourquoitut’accroches.-Jeteretournelaquestion.»Jel’aimérité.«Parceque,quandonavaitquatorzeans,etqueMattm’alarguédevanttoutela

classeendisantquej’embrassaiscommeunelimace,j’aipleurépendantdesheures.MaisNickaditàtoutlemondequ’onsortaitensembleetquec’étaitpourçaquej’avaisquittéMatt.»Jesourisenmerappelant cette histoire. « Parce que, quelques semaines plus tard, il a convaincu Roberto de melaisserjoueraveceux,alorsquejevenaisdemedisputeravecmameilleureamieetquejen’avaispersonneavecquitraîner.Parceque,deuxansaprès,onapasséunétéentierdanslesHamptonsàriretoutelajournéeetàparlertoutelanuit.»

Jelavoisblêmir.Nickestpresquearrivédevantmaporte,etilfroncelessourcilsenvoyantJen.Maisjehausselesépaulesetjelaregarde.«Parcequel’étédernieraétélemeilleuretlepireétédemavie,etquej’enaimarred’avoirpeur.»

Jenricane.«Jolidiscours.Maistuoubliesquelquechose:Nickabeaucoupd’ambition.Tunevoudraispasl’empêcherderéussir.»Elletournelestalons,etpendantuninstant,jecroispresquequecequejeluiaiditl’alaisséedemarbre,maisjeremarquequ’ellecourbelesépaules.D’habitude,Jense tient toujours très droite. Elle est comme ça. Malgré tout ce qui s’est passé, et malgré sesmesquineries,çamefaitquandmêmedelapeinedelavoircommeça.Nonnaditqu’ilyadeuxsortesdegensméchants:ceuxquiprennentduplaisiràfairedumal,etceuxqueleurpropreméchancetérongeetdétruitdel’intérieur,maisquin’arriventpass’arrêter.J’aienviedecroirequeJenfaitpartiedelasecondecatégorie.

Jerestedansl’embrasuredelaporte,et jen’arrivepasàdétacherlesyeuxdeNick.Ilporteencoresonmanteauetsonbonnet,etsesbottessonttrempées.Ilestpluscraquantquejamais.

Ilaunpetitsourireaucoindeslèvresetàpeineest-ilfaceàmoiqu’ilm’attireversl’intérieurde la chambre, à l’abri des regards indiscrets. Le couvre-feu est dans deux heures, et si un desprofesseursassistantsoudessurveillantsquifontlesrondeslevoientici,çapourrait luivaloirpasmald’ennuis.

«Tuesglacée»,medit-ilenm’embrassantsurlenez.- Et toi tu es un vrai bonhomme de neige », je lui réponds à voix basse,même s’il n’y a

personned’autredanslachambre.Noussommesenfinseuls.« J’ai tellement de choses à te dire.Tellement de choses, dit-il. Je ne peux pas t’embrasser

avantdet’avoirtoutraconté.»Moncœurseserre.«Laisse-moiteposertroisquestions,etensuiteonverrasions’embrasse

avantouaprèsavoirparlé.»Ilrigole.«Quelleorganisation.-Ilfautbienqu’undenousdeuxsoitorganisé.Premièrequestion:est-cequetuasenviede

m’embrasser?-Tusaistrèsbienqueoui.-Deuxièmequestion:est-cequetuveuxqu’onsoitensemble?-Tusaistrèsbienqueoui.- Troisième question : est-ce que tu veux qu’on essaie d’avoir une histoire sérieuse ? Sans

déconner?-Tusaistrèsbienqueoui.»Moncœurestauborddel’explosion.Jel’attireversmoi.Jen’enairienàfairequ’ilsoitgelé.

Cettefois-ci,quandnoslèvressetouchent,lapassionesttellementfortequej’ail’impressiondemeconsumer.

Chaque geste est si naturel, sans hésitation.Une de sesmains se pose surmes reins, et seslèvres viennent m’embrasser au creux du cou, dans cet endroit qu’il connaît si bien. « Tu m’as

manqué»,dit-il.«Tum’astellementmanqué.»Jepencheunpeulatêtepourm’offrirtoutentièreàsesbaisers,jeveuxlesentirencoreplus

prèsdemoi.Qu’onnefasseplusqu’un.Maisquelqu’unfrappeàlaporte,etonsefigetouslesdeux.«Sic’estencoreJen,jelatue.-Ilfautencorequ’onparle,murmureNick.-Emilia.Emilia,c’estSvetlana.Es-tulà?-Qu’est-cequ’ellefaitici?»Jesecouelatête.«Uninstant,j’arrive.»-SituesinquièteparcequeNickestavectoi,lecouvre-feun’apasencorecommencé,doncje

nevienspaspourvousembêter.»J’ouvrelaporte.«Ilfautqu’onparle,moncœur.»D’habitude,Svetlanaesttoujourssuperbienhabillée,trèssoignée,maiscesoirelleporteun

pantalon de jogging et un immense sweat sur lequel est écritNew YorkCity. Elle n’a pasmis seslentillesdecontact,elleadegrosseslunettesàlaplace,etsescheveuxbrunssontenbataille.Jesenslapeurmeprendreauventre.

Svetlanaclignedespaupières,commesielleessayaitderetenirseslarmes.«Natalyaaeuunaccident.Sonpèreestmort,etelleestdanslecoma.»

CHAPITRE20-NICK

MERDE.Jepasseunbrasautourdesépaulesd’Emquis’estmiseà trembler. Jenesaispassic’està

cause du froid glacial que j’ai fait entrer dans la chambre, ou si c’est à cause des nouvelles deNatalya.

Emtourne la têteversmoi,ellemeregardeavecdesyeux immenses,etmeditd’unepetitevoix:«Cen’estpaspossible.Natavatrèsbien.»ElleseretourneversSvetlana.«Dites-moiqueNatavabien.»Elleades larmesdans lavoix, jemesenscommeanesthésié. J’aivuNatavendredi.Onsavaittousquec’étaitellequiavaitleplusdechancesdedécrocherlerôleprincipaldanslespectacledefind’année.Onsavaittousqu’elleallaitêtrerepérée–sicen’étaitpasdéjàlecas–etqu’elleallaitpeut-êtrecommencer sacarrièreavantnous.Onsavait tousqueNataétait faitepourêtredanseuse,qu’ellenevivaitquepourça,qu’elleétaitprêteàtoutpouryarriver.

Svetlanaeffleuredoucementmamain,avantdeprendreEmiliadanssesbras.Elles’estmiseàpleurer,etsavoixsebrise:«L’accidentétaittrèsgrave.Sononclenousaappelés.Sonpèren’apassurvécu,etelleadetrèsgrossesfractures,lesmédecinsnesaventpasencoresiellepourraremarcherunjour–alorsneparlonspasdedanser…»

EmiliarestedanslesbrasdeSvetlanasansriendire,pendantquelquessecondes.«Qu’est-cequejepeuxfaire?»demande-t-elle.«Ondoitpouvoirfairequelquechose.Elleaimaittellementsonpère.Jenecomprendspas,cen’estpaspossible»,répète-t-elle.Ellesetourneversmoi.Emiliaesttellementsensible.Elleatellementd’empathie,pourtoutlemonde.Elledétestelemontrer,maisjelaconnais bien. Même quand on était petits, si un élève se faisait embêter par les autres, elle étaittoujourslàpourledéfendre;pourlaSaintvalentin,ellefaisaittoujoursunecarted’amitiépourceuxquin’avaientpasd’amis.Etencemomentmême,jesuissûrqu’elleestentraindepenseràsagrand-mère,auchagrinqu’elleaeuquandelleafaillilaperdre.ElleneveutpasqueNataaitàpasserparlàelleaussi.

«L’Écolevafaireuneannoncedemain.Maisjevoulaisteprévenirmoi-mêmepourquetuneledécouvrespasàlaréuniondedemain.

-Laréuniondel’Écoleestmaintenue?- Oui, demain matin, on devrait en savoir plus sur l’état de Natalya, et on prendra notre

décisionàcemoment-là.-Lespectaclecontinue…»dis-je,etjesensungoûtamerdansmabouche.«Ilfautquevous

laissiezunechanceàNata.-Elleestgrièvementblessée,commejetel’aiexpliqué.

-Siellenepeutpasdanser,ellen’auraplusderaisondevivre»,murmureEm.«Plusrien.»Jeserresamainunpeuplusfort.

«Jesais»,répondSvetlanaetjemerappellequeSvetlanaconnaîtlamèredeNata,etqu’elleatoujours été très protectrice envers Nata. Elle ne ferait jamais quelque chose qui aille contre lesintérêts deNata, àmoins d’y être vraiment obligée.Ce n’est pas elle qui a décidé demaintenir laréunion.Ladécisiondoitvenird’enhaut.

Cesonttoujourslesdirigeantsquiontlederniermot.Svetlanaessuieseslarmes.«Elleestforte.Natalyaestforte,etonnesaitpascequeluiréserve

l’avenir, tout reste possible. Peut-être que les docteurs se trompent et qu’elle sera sur pied trèsrapidement. »Elle secoue la tête. «On est bien peu de choses…»,murmure-t-elle et elle prend ànouveau Em dans ses bras. Cette fois-ci, elle ne s’attarde pas. C’est comme si elle essayait deretrouver sesesprits,demettrede ladistanceentreelleet lesévénements,presquecommesi ça latouchaitdetropprès.

« Ne dis rien à personne pour le moment, s’il te plaît. Je voulais vraiment que tu sois lapremièreàlesavoir,mais…»Elleregardesamontre,puisrelèvelesyeux.«Maiscertainsn’étaientpasd’accordpourquetuaiesuntraitementdefaveur.

-Defaveur?»Jen’arrivepasàycroire.Quellesconneries.-Ilfautquej’yaille,àdemain,touslesdeux.»Ellenousobservetouslesdeuxetelleajoute,

lentement,commesiellevoulaitêtresûrequ’oncomprenne:«Voussavezqu’après lecouvre-feu,vousn’êtespascensésêtredanslamêmechambre,compris?

-Oui,oui,onsait»,jeluiréponds.Svetlanahochelatêteetsortdelachambre.Jeprendslevisaged’Emdansmesmains,jeluicaressedoucementlajoueavecmonpouce.«Jen’arrivepasàycroire»dit-elle.«Quand jepenseque j’étaisen traindemefairedes

nœudsaucerveauenpensantàtoietmoi,enmedemandantcommentj’allaisbienpouvoirtedirequejevoulaisqu’onsoitensemble,quecesoitunevraiehistoire…etpendantcetemps,Natalyaestdansunlitd’hôpital.Etsonpèreestmort!»Elleouvredegrandyeuxetj’entendsdelapaniquedanssavoix.Jenesaispasquoifaire.Ilyatellementdechosesquejevoudraisluidire,tellementdechosesquejedoisluiraconter.Jepourraisattendre–attendreunmeilleurmoment,unmomentoùelleestplussereine,maisjesensquejedoislefairemaintenant.

Jeneveuxpascommencercetterelationsansluiavoirdittoutelavérité.Jemepasselamainsurlanuque,etjelasensseraidirdansmesbras.

«Qu’est-cequinevapas?demande-t-elle.-Qu’est-cequetuveuxdire?-Ilyaquelquechosequitetracasse.Tuastoujourscetairquandtudoisdirequelquechose

quirisquedemefairedelapeine.»Savoixestfatiguée,commesilanouvelledel’accidentl’avaitlaisséevide,épuisée.

«Tuneveuxpast’asseoir?»Ellelèveunsourcil–c’estmoiquiluiaiapprisàcegeste,maisjedétestequandellemele

fait.«Pourquoitunemedispastoutsimplementcequisepasse?-C’estmonpère.J’aibeaucoupdechosesàteraconter.Beaucoup,beaucoupdechoses.Mais

cesoir,iladitquelquechosesurtamèrebiologique.-SurClaire?-Ilm’aditquecen’étaitpasaussisimplequecequ’onpensait,quetunesavaispasencore

toutel’histoire.»Jegardepourmoicequ’ilm’aracontésursonpère–jenesuispassûrquemontrèscherpèrem’aitdittoutelavéritésurcesujet.Çaal’aird’êtreunniddevipères,leursaffaires…J’ail’impressionqu’aucundesdeuxn’esttoutàfaitinnocent.Emrestesilencieuse.«Em?

-Qu’est-cequeçaveutdire?

-Iladitqu’onn’étaitpasaucourantdetoutel’histoire.Apparemment,tamèren’apasessayédetevendre,commetel’aracontétonpère.Ilm’aditquec’étaitunmensonge.»

JevoisEmclignerdesyeux,etleslarmessemettentàcoulersursesjoues.Jelaserrecontremoi. Elle ne dit toujours rien, et ça commence à m’inquiéter. Entre Natalya, les auditions etmaintenantça,elledoitsesentirvraimentmal.

Ellevientseblottirdanslecreuxdemoncou,jesenssonsoufflesurmapeau,ellerespiretrèslentement,commepouressayerdesecalmer.Auboutdequelquessecondes,ellerelèvelatêteetmeregarde.«Quoid’autre?Qu’est-cequetusaisd’autre?Est-cequeçapeutêtreencorepire?Est-cequetusaiscommentjemesuissentiequandClairearefusédemevoirl’étédernier?»

Je resserre un peu mon étreinte, en espérant que mes bras puissent lui donner un peu deréconfort,enespérantquejepuisseallégerunpeulapeinequej’entendsdanssavoix,etqu’ensemblenoussoyonsplusforts.

Ellepencheunpeulatêteenarrièreetmeregardedroitdanslesyeux.«J’aieul’impressionque je ne valais rien. Que j’étais la plus grosse erreur de sa vie. J’ai eu l’impression qu’ellemedétestait.»Elles’arrêteun instantdeparler.«J’ai faitassezde recherchessur lesujetpoursavoirqu’ilyadesmèresbiologiquesquineveulentabsolumentpasentendreparlerdeleursenfants,maissitusavaisleregardqu’ellem’alancé–onauraitditquej’avaisdétruitsavie.Çam’atellementfaitmal.D’unecertainemanière,desavoirqu’onneconnaîtpastoutel’histoire,jemedisqueçapeutêtreunsoulagement,parcequeçapourraitexpliquersonattitude,maisçamefaitaussiterriblementpeur,parcequeçapourraitêtreencorepire.»Ellese laisse tombersur le lit,etellemefaitm’asseoiràcôtéd’elle.«Etcommentjevaissavoircequis’estpassé?Ellerefusedemeparler.Tonpèrenenousditpasgrandchosenonplus.Et jenesaispluscommentparleràmonpère. Ilest tellementdistantdepuiscetété.Robertot’adit?

-Quoi?-Mon père n’est jamais à la maison. Il sort beaucoup. Surtout le soir. Il travaille comme

conseillerfinancierdansunepetiteboîte,doncçanepeutpasêtredesréunionsquis’éternisentavecdesgrosclients,commequandilbossaitpourtonpère.

-Peut-êtrequec’estquandmêmepourletravail.Est-cequ’ilvousparlebeaucoupduboulot?-Non,etsessorties,c’estsurtoutdepuisqueNonnaaeusonattaque.Jenesaisvraimentpasce

quisepasse.»Robnem’a riendit, et jen’arrivepasàcroirequ’Emne soitpasvenuem’enparler avant.

«Pourquoitunem’asriendit?- Parce qu’on a passé un mois entier sans se parler ou presque, puis trois mois à faire

semblantdeseparlerànouveau,etensuite,ona justecontinuénosvies l’unàcôtéde l’autresansvraimentsevoir.Jenesavaispluscommentteparler

-Etmaintenant?- Mais ce n’est pas parce que je n’arrivais pas à te parler que je n’en avais pas envie…

murmure-t-elle.QuandNonnaaeusonattaque,c’esttoiquej’aieuenvied’appelerenpremier.-Ettum’asappelé.-Jesais,ettuasétélàpourmoi.Tum’asécouté,tum’aslaissépleurer,ettunem’aspasdit

quetoutallaitbiensepasser,parcequetusavaisqu’onn’étaitsûrsderien.-Etlelendemain,tuasfaitcommesijen’existaispas.-Jenesavaispascommentmecomporteravectoi.»Jeprendssamainetj’entremêlemesdoigtsaveclessiens.«J’aitellementdechosesàtedire,

tellementdechosesàt’expliquer.»Elleposesatêtesurmonépaule.«Maispasmaintenant.»Elleal’airtristeetfatiguée.«Non,pasmaintenant.»

Etnous restons enlacésdans lesbras l’unde l’autre jusqu’aucouvre-feu, sans s’embrasser,commepourreprendredesforcesensemble.

CHAPITRE21-EM

Nickabeauavoirquittémachambrejusteavantlecouvre-feu,çanenousapasempêchédecontinuernotreconversation–ons’estenvoyédestextospresquetoutelanuit.C’étaitcommesionessayaitderattrapertouscesmoisdeperdus,oùonses’approchaitpasàplusd’unearabesquel’undel’autre.

Jecroisquejen’étaispasprêteàcemoment-là–j’étaistropbouleverséeparlefaitquemamèrebiologiquem’aitrejetéeaussiviolemment.EtNickétaittroppréoccupéluiaussi,parquoi?Jeme le demande… J’ai envie de savoir, j’ai envie d’entendre ses explications, mais je ne suis pasidiote ; jesaisqu’ons’est tout lesdeuxfaitdumal, l’étédernier. Ilm’abrisé lecœur,mais jesuiscertainequeçan’apasétéfacilepourluinonplus.

Maishiersoir,cen’étaitpasçaleplusimportant.Cen’étaitpasnotrerelation,cen’étaitpasClaireCarter,nitouslesmensonges.Hiersoir,l’importantc’étaitNatalyaetsonaccident.Onaessayéde comprendre ce qui s’était passé, mais on n’a rien trouvé de concret. Un seul petit article surl’accident–etquineparlequedudécèsdesonpère.Jesensmapoitrineseserrer,j’ail’impressiondenepluspouvoirrespirer.

Jen’arrêtepasderegardersoncôtédelachambre.Jen’arrêtepasdemedemandercommentelleva,qu’est-cequ’elleressent,qu’est-cequ’elleestentraindefaire,etcommentjepourraisl’aider.

Jemepréparepluslentementqued’habitude.JesaisquetoutlemondevamedemanderoùestNatalya,etjen’aiaucuneenvied’avoiràrépondre.

Je sais que tout lemondevaprendre son regarddepitié et je n’ai aucune enviedevoir çaparcequ’ellen’estpaslà,parcequ’ellenevapasavoirlerôlequ’elleauraitdûavoir.

Je descends prendremon petit déjeuner, en évitant soigneusement de croiser le regard desgens,maisJenm’arrête.«Tuescourant?»Iln’yapasdetriomphedanssavoix,seulementdelapeuretdelatristesse.Pasdepitiénonplus.JenetNatalyan’ontjamaisététrèsproches,maisjesaisqueJenademandéuneoudeuxfoisàNatalyaderépéterensemble.EllefaisaitcommesiçapouvaitêtreutileàNata,alorsqueclairement,c’estellequiauraitapprisquelquechose.Peut-êtrequec’étaitçaqu’ellesavaientprévudefairehiersoir.

«Jesuisaucourant.Etj’imaginequetoutel’Écoleaussi.-C’est horrible.Putain, c’est horrible», dit-elle. Jen’en croispasmesoreilles : Jennedit

jamaisdegrosmots.Vraimentjamais.«Jesais.- On devrait faire quelque chose. On devrait leur demander de repousser les résultats de

l’auditionjusqu’àcequ’onensacheunpeuplussursonétatdesanté–peut-êtrequ’ellevapouvoirreveniravantlespectacle…

-Pourquoiest-cequetuferaisçapourelle?-Parcequ’ellenevitquepourça.Commemoi.Parcequesiçam’arrivait, jenesaispasce

quejeferais.»Ellepencheunpeulatêtesurlecôté,commepourmejauger.«Tusaispourquoijetedéteste,parfois?

-Parfois?»Jensecouelatête.«Çan’arienàvoiravecNick.Çan’arienàvoiraveclui»,répète-t-elleen

mevoyantfairelagrimace.«C’esttoi.Tunedansespaspourlesbonnesraisons.-Pardon?-Çafaitdesannéesqu’onestdanslamêmeÉcole.Jet’aivudanser,jet’aivurépéter.Tues

incroyablementdouée,ettut’enfous.Tuneressensrienquandtufaisunportdebras,tuneressensrienquandtuescenséetelaisserporterparlamusique.Tunedansespasavectoncœur,etçamerenddingue,parcequejetueraispouravoirtatechnique.»

J’ai l’impression quemonmonde vient de basculer. Il faut que j’appelle Roberto pour luidemander s’il y a eu un bouleversement dans l’univers qui pourrait expliquer ce qui vient de sepasser.

«J’adoredanser.»JevoislevisagedeJensefermer.«Tunecomprendsvraimentpas.Ladanse,c’esttoutema

vie.CommeNatalya.Tunepeuxpas comprendre. »Et elle s’enva avant que j’aie le tempsde luirépondre. Jem’assois à une table, seule. Elle a tort. Elle ne peut pas avoir raison. J’adore danser.Vraiment.C’estcequejefaistouslesjours.C’estcequejesuis.Parcequesiellearaison,qu’est-cequejefouslà?

Tous les étudiants sont au courant de l’accident de Natalya avantmême que la réunion aitcommencé.Onentendunmurmuredanslasalle.BeaucoupplaignentNatalya,certainssepréoccupentsurtoutdesavoircequivasepasserpourlespectacle.

ToutlemondeestpersuadéqueJenvaavoirlerôle,maisunefilles’approchedemoipourmedirequ’elleespèrequecesoitmoi.

Demoncôté,jemedemandecommentjepourraisjoindreNatalya,commentjepourraisfairepourquel’Écoleattendeavantdedonnerlesrésultatsdel’audition,qu’ilsn’attribuentpassonrôleàquelqu’und’autre.

Ils sont censés afficher le casting à dix-huit heures dans l’entrée principale, juste après lecoursd’histoire.

Nickm’attendàlasortieducours.«Toutlemondeestentraindepéterunplomb»,dit-ilenmeprenant lamain. Ilvientdemeprendre lamaindevant tout lemonde. Iln’ena rienà fairequetoutel’Écolenousvoit,rienàfairequeçapuisseremonterauxoreillesdesesparents,desmiens,demonfrère.Jeregardenosmainsenlacées.Çamerendtellementheureuse.L’étédernier,pendantnotre«relationàduréedéterminée»,ilnemeprenaitjamaislamainenpublic.Parfois,c’étaitexcitantdesevoirensecret,maislaplupartdutemps,c’étaitsurtoutoppressant.

Ilsepencheversmoi.«Tuaspeur?»J’ail’impressionquejevaisvomir,etjenesaispassic’estàcausedesrésultatsetdufaitque

Natalyaneserapassurla listecommeelleauraitdûl’être,ousic’estparcequejesaisquejevaisdevoirparleravecmonpèreauplusvite.

«TuasparléavecRob?-Pasencore.Ilestsuperoccupéencemoment,ilentraindemonterundossierpourpostuler

àunpriximportant.Sonprofveutqu’ilseprésenteauPrixGreenberg,c’estunerécompensepourles

jeunesphysiciens.»Kayode vient donner une petite tape sur l’épaule de Nick. « Ouh la la… Je rêve ou Nick

Grawskitientunefilleparlamain??-Jesaisqueturêvessecrètementd’êtreàsaplace»,luirépondNickenriant,maisKayodea

parlétellementfortqueplusieurspersonnesseretournent,parmilesquellesJen.Ellelanceunregardversnosmainsmaiselleneditpasunmot,ets’envapourvoirlepanneaud’affichage.

Deplusenplusdegensnousregardent.Jen’aipasenviedemefairedesillusions.Jen’aipasenviederêver.Jen’aipasenviedemedirequepeut-être–seulementpeut-être–Nickaraison,etquej’aurai

lerôle.CeseraituniquementparcequeNataaeuunaccident,etj’ail’impressionqueceneseraitpasjuste.

Maisaufonddemoi,jegardeuntoutpetitespoirquecesoitmoi,queNicketmoiayonslesdeuxrôlesprincipaux,quetoutlemondesoitfierdemoi,quepourunefoisj’ail’impressiond’êtreàmaplace.

Maissoudainj’entendsJencrier«Oui!»,etjelavoisleverlepoingversleciel.Tousmesespoirss’écroulentenuninstant,etjesensunebouleauventre.Jenesuispasassezbonne.Jenesuistoutsimplementpasassezbonne.J’entends lesgensmurmurerautourdenous.LamaindeNickse resserresur lamienne.Je

parcours la liste des yeux, et je suis heureuse quand je vois qu’il a décroché le rôle du Princecharmant.Çamerendheureuse.

Maisjen’aperçoismonnomnullepart.Dumoinspasenhautdelaliste.Je sens qu’il va être tout en bas. Je n’aimême pas réussi à décrocher un rôle correct. J’ai

travaillétellementdur.Jenecomprendspas.MaisNickmemontreànouveaulehautdelaliste.DoubluredeLaBelleauboisdormant–EmiliaMoretti.JevaisdevoirapprendreauxcôtésdeJen.

CHAPITRE22-NICK

Elleresteplantéelà,complètementfigée.Ellenesouritpas.Ellesetourneversmoietmemurmure:«Etmaintenant,qu’est-cequejefais?

-Maintenant,toietmoi,onvamontreràtoutlemondeàquelpointtuesgéniale.»Ellemontredudoigtlaligneoùapparaîtsonnom.«Jenecomprendspas,dit-elle.Pourquoi

est-cequ’ilfautquejesoisladoubluredeJen?»Emiliaseraidit.Jesaisquecen’estpascedontellerêvait,maisçaveutquandmêmedireque

lesprofsdel’Écoleluifontassezconfiance,qu’ilscroientassezensontalentpourenvisagerqu’ellepuisseavoirlerôleprincipals’ilarrivaitquoiquecesoitàJen.Êtreunedoublurequandonn’estpasencoreendernièreannéecommeelle,çaveutclairementdirequ’ilsontl’intentiondeluidonnerungrandrôlel’anprochain.

Elle baisse les épaules un instant,mais elle se redresse aussitôt. «Nonna va être tellementdéçue.Etmesparents.Ilsdépensentdesmilliersdedollarspourquejepuisseétudierici,danscetteÉcole,etc’estcommeçaquejelesremercie…»Ellepousseunsoupir.Vulenombredepersonnesquisontautourdenous,cen’estclairementpaslemomentdeluidirequecenesontpassesparentsquipayentsascolarité.«Jesuisheureusepourtoi»,ajoute-elle,avecunsouriresincère.Elleprendmamain dans la sienne, et tout devient soudain plus réel : elle,moi, nous, le rôle. « Tu vas êtregénial.»Jel’entraînehorsdelafoule.

«Qu’est-cequinevapas?»jeluidemande.Ellesevexe.«Rien.-Quandtuserresleslèvrescommeça,jesaisqu’ilyaquelquechosequit’embête.Quandtu

faisça,c’estquetuescontrariée,maisquetuneledispas.Dis-moicequisepasse.- C’est juste que… Je veux dire, je comprendrais si tu n’as pas le temps pour… pour… »

marmonne-t-elle.Etellepousseungrandsoupir.«Pournous.Situdécidesquetun’asplusdetempspournous.

-C’estuneblague?-Elleneseraitpastrèsdrôle.-Jen’enairienàfairequetusoispremièreoudernièredanscetteliste.Tueshyperdouée,

maistuestellementd’autreschosespourmoi.»Jecaressedoucementsajoue.«Cequej’aime,cheztoi,c’esttonempathieettagentillesse,c’estlefaitquetutrouvestoujoursuneraisondesourire.Cequej’aime,c’estlamanièredontjemesensavectoi.

-Ettutesenscomment?-J’ail’impressiond’êtreleroidumonde.»

Ellesourit,etj’aivraimentl’impressiond’êtreleroidumonde.«Jen’arrivepasàcroirequetucitesTitanic.Tuastoujoursditquecefilmétaitleplusidiotdel’histoireducinéma,qu’ilsauraientpumontertouslesdeuxsurceradeau.»

Jeluifaisunclind’œil.«Cen’estpasunemauvaisechosed’êtredoublure»,luidis-jed’untonplussérieux.Jecaressedoucementsonbras.Ellesepencheversmoi.«S’ilst’ontdonnélerôlededoublure,çaveutdirequ’ilscroiententoi,qu’ilsveulenttedonnerlerôleprincipall’anprochain.

- Je saisque tu as raison,mais jem’étais fait toutun filmdansma tête, jem’étais imaginépleindechoses:quej’allaisêtrelameilleure,quetoutlemondeallaitenfinpouvoirêtrefierdemoi.

-Ilfautd’abordquetoi,tusoisfièredetoi»,jeluiréponds.Elle lève un sourcil. « Tu devrais t’écouter de temps en temps, tu donnes plutôt des bons

conseils.-J’essaie,crois-moi.»Ellemedonneunpetitcoupdecoude.«Bravo,pourlerôleprincipal.Jesavaisquetuallais

l’avoir.»Ellebaisseleregard,puislèveànouveaulesyeuxversmoi.Ilyatellementdechosesdanssonregard–desquestions,dudésir.«Alors…Toietmoi?»

Jemepencheverselleetjel’embrasse.Cen’estpaslebaiserprofondettorridequej’auraisenviedeluidonner,maisc’estdéjàça.J’entendsdesgenssifflerderrièrenous,maisjem’enmoque,etelleaussiapparemment–jelasenssourirecontremeslèvres.«Tuadoresrépondreauxquestionspardesactes,etjedoisdirequej’aimeça.»Ellesemordunpeulalèvre.«Jen’arrivetoujourspasàcroirequeNatan’estpassurlaliste.Jen’arrivepasàcroirequ’elleneserapaslàpourlespectacle.J’aiessayéd’appelersamèremaisellenem’apasrépondu.Jen’aipaslenumérodesononcle,etjenesaispascommentfairepouravoirdesnouvellesd’elle.

-OndemanderaàSvetlana,jesuissûrqu’ellesaitquelquechose.MaisSvetlananesaitrien.Personnenesaitrien.IlyenaquidisentquelepèredeNatalyaétait

dépressif,etqu’enfait,cen’étaitpeut-êtrepasunaccident.MaisEmdéfendNatalya, elle rappelle à tout lemonde combienNatalya voulait ce rôle, et

qu’ilsnedevraientpasdiredeschosecommeça,alorsqu’ilsnesaventabsolumentrien.Etellelaisseunautremessagevocalquiresterasansréponse.

CHAPITRE23-EM

Jen’arrivepasàycroire.

Jen’arrivepasàcroirequejesoisladoubluredurôleprincipal.Cen’estpaslerôlequejevoulais,etcen’estpasnonpluslerôlequivafairechangerleregarddesgenssurmoi,maisc’estquandmême incroyable. Jene suispas encore endernière année– jen’avaispratiquement aucunechanced’avoirunrôlepareil.Jedevraismesentirheureuse.Etpourtant,toutcequejeressens,c’estdel’anxiété–aupointquej’enailesmainsmoitesetlagorgeserrée.

Jen’aimêmepasencoreappelémesparents.Jedevrais le faire. Il fautque j’appelleNonnaaussi.Ilfautquejeleurannoncelanouvelleàtous.

Jejetteunœilautourdemoi.LesaffairesdeNatasontpartoutdanslachambre.Sesphotos,seshabits,etlespetitescartesqu’elleaaffichéessursacommodepoursemotiver.

IlyenaunequiestunecitationdeMistyCopeland:J’essaiedevoirchaqueentréeenscènecommesic’étaitlapremièreetladernièrefoisquejedansais.C’estexactementcequefaitNata.

Jeregardesesphotos.Lesphotosdesamère,quandelleétaitdanseuseàSanFrancisco.Les photos de sa meilleure amie, Becca. Elles s’appelaient tout le temps, avant, mais ces

dernierstemps,elless’étaientéloignées.Elleauraitdûavoir lepremier rôle.Elleauraitdûêtreheureuseaujourd’hui.Elleauraitdû

êtrefolledejoie.Nickaappelésamèrepourluiannoncerlabonnenouvelle,etjel’entendaispousserdespetits

crisdejoieautéléphone.Jen’avaisjamaisentendusamèrepousseruncridejoie.Jepeuxyarriver.Ilfautquej’yarrive.J’attrapemontéléphoneetj’appelleNonnaenpremier.«Bellisima!»Jeprendsunegrandeinspiration.«Salut!J’aieulesrésultatsdemonaudition.-Situn’aspaseulerôleprincipal,cen’estpasgrave.Etcesontdesimbéciles.Nesoispas

triste.-Non,jesuisdéçue,c’esttout.Jenel’aipaseu!-Oh,Bellisima,çavaaller.Jesaisquetuvoulaisvraimentdécrochercerôle.Tuastravaillé

tellementdurpouryarriver.»Elleal’airencoreplusfatiguéequeladernièrefoisquej’aiparléavecelle.

-Jen’aipaseulerôleprincipal,maisjesuissadoublure.C’esttrèsformateur,commerôle»,je lui réponds, et je me crispe rien qu’à l’idée de devoir travailler avec Jen. Il va falloir que je

regardeJendanseravecNicktouslesjours.« Félicitations, Bellisima. Je suis très fière de toi. » Une quinte de toux la prend, et elle

n’arriveplusàs’arrêter.«Nonna!»Jepanique.Pourquoiest-cequ’elletousseautant?Qu’est-cequisepasse?Sarespirationestsifflante.«Çavaaller.Çava.»Jenelacroispas.«Jepeuxvenirtevoircesoir.-Maisnon,Bellisima.Resteaupensionnat,tusaisbienquetuasbesoindetereposer.Jesuis

sûrequetuaspleind’entraînementsdeprévusdanslesjoursquiviennent.-Toiaussi,tuasbesoinderepos.Jevaisessayerdevenirtevoiravantleweek-end.-Jet’aime,Bellisima.Avecousanscerôle,tucomprends?»J’ai l’impression qu’elle me prend dans ses bras en me disant ça. Comme si elle savait

exactementcequej’avaisbesoind’entendre.«Jet’aimeaussi,Nonna.»Jeraccrocheetjerestequelquesinstantsàregardermontéléphone.Ilfautquej’appellemes

parents,pourquel’und’euxaillevérifierqueNonnavabien.Maisjen’arriveraipasàneriendiresurClaireCarter.Jelesais.

J’appellemamère.Elledécrocheàlapremièresonnerie.«Alors?Cerôle,tul’aseu?»Ilyatellement d’espoir dans sa voix, et soudain jeme rappelle pourquoi je voulais absolument être lameilleure.

«Jenel’aipaseu.- Oh. » Elle s’arrête de parler un instant, puis reprend. « Tu as encore une chance l’an

prochain,non?-Oui.Ilrestetoujoursl’anprochain.»Jerespiredoucement,j’essaiederetrouvermoncalme.

«Maisjesuisladoublure.-C’estunebonnechose,non?Jeveuxdire,ilsdoiventvoirquelquechoseentoi,moncœur,

s’ilst’ontdonnécerôle.»Jesaisqu’elleneditpasçapourmefairedelapeine.Mamann’apasuneoncedeméchanceté

enelle,c’estlapersonnelaplusadorablequejeconnaisse,maissesmotsmefontl’effetd’uncoupdepoignard.Jemerappelleque,quandj’avaishuitans,ellem’avaitracontéqu’elleavaittoujoursrêvéd’êtredanseuse,qu’elles’étaittoujoursditqu’elleadoreraitdanser,etellem’avaitditqu’ilfallaitquejefassedumieuxpossible.EtpuisjepenseàClaire.Clairequim’aenveloppéedanscettecouverturededanseuse,quim’ahabilléed’unpyjamaàpetitesdanseuses.Etmonpère,quim’adittellementdefois qu’il fallait vraiment que je me bouge parce qu’ils n’ont presque plus d’argent et que mascolaritéleurcoûteunefortune.Jemedemandecequ’ilvadire.

«Moncœur?C’esttrèsbien.Tuasbientravaillé.»Sontonseveutrassurant,maintenant,ondiraitqu’ellechercheàs’excuser.

«C’estdéjàunprogrès.-EtNatalya,ças’estbienpassépourelle?»JeluiracontecequiestarrivéàNata,puisjeluidisqueNickaeulerôleprincipal.Elleest

toutecontentepourlui,ellemeditquel’anprochain,ceseramontour,etjen’aimêmepaslecouragedeluidirequejesuismêmeplussûrequeladansemerendeheureuse.

«Ilfautquetudisesàtonpèrequetuaseulerôlededoublure.Ilvaêtretellementfierdetoi.-S’iln’apasletemps,c’estpasgrave…-Pasletempspoursapetitefillechérie?»Elleéclatederire.«Jenecroispas.Ilestentrain

deregarderlatélé.Ilvaêtretellementfier.Attendsuneseconde,jevaisl’appeler.-D’accord.Et,maman?-Ouimapuce?-Est-cequetupourraisprendredesnouvellesdeNonna?Ellen’avaitpasl’airbien.

-Biensûr,jevaisl’appeler.Dino?»Elleappellemonpère.Papaétaitmonhéros,maisdepuisqu’ils’estfaitvireretqu’ilacommencésonnouveautravail,ilestdeplusenplusaigrietintolérant.

«Salut»,medit-ild’unevoixdure.«Jesaiscequetuvasmedire.-Quoi?-Jesaiscequetuvasmedireetjeneveuxpasl’entendre.»Jenecomprendspas.«Commenttusais?Mamant’adéjàraconté?-Lepèredetonpetitcopainm’aappelépourmedirequ’ilavaitfaitunspeechàsonvaurien

defils.-Pardon?»Jen’arrivepasàcroirequ’ilparlecommeça.Jen’arrivepasàcroirequ’ilsoit

autant en colère. Je n’arrive pas à croire que ce soit lemêmehommeque celui qui, il y a encorequelquesmois,chantaitdeschantsdenoëlenfamille.

«JeneveuxpasquetuvoiesNicholas.-Etjeveuxquetumediseslavéritésurmonadoption,jeveuxsavoirpourquoitumeparles

commeça.Tum’asditquemamèreavaitessayédemevendre.Est-cequetoutcequetum’asracontéétaitunmensonge?Quandtum’asditquejecomptaisautantpourtoiqueRoberto,est-cequec’étaitunmensongeaussi?»Jerespireungrandcoup.Cecoupdegueulem’avidée.

«Jenecomprendspaspourquoi tuasbesoindesavoir toutça.Onnet’aimepas?Onnetesuffitpas?

«Dino,qu’est-cequisepasse?»J’entendsmamèreenfond,ets’ilyabienunepersonneàquijeneveuxpasfairedumal,c’estelle.Elleatoujoursétélàpourmoi,danstoutescesdifficultésetcesépreuves.C’estNonnaquinous tient toussoudés,maismamanest le rocquinousdonnenotrestabilité.Elleestlaseulequisaitparleràpapa.

«Rien,chérie.-Tamèrenerépondpasautéléphone,jevaisallerlavoir,pourvérifierquetoutvabien.Dis

encoreàEmquejesuistrèsfièred’elle.»Le téléphone grésille un instant, puis papa reprend la ligne. « Il paraît que tu mérites des

félicitations. » Sa voix est beaucoup plus douce. Il semble redevenu lui-même. Peut-être que maréussitecompensemesquestions.

«Papa,j’aibesoindesavoir.»Il pousse un soupir. « Non, tu n’as pas besoin de savoir. Il faut que tu arrêtes avec cette

histoire.S’ilteplait.-Est-cequeClaireestvraimentmamère?Tunem’apaseue…jenesaispas–illégalement?

Jecomprendraissic’étaitlecas.Jecomprendrais,jetepromets.-Jevaisraccrocher,Emilia.Jerefusedeparleravectoiquandtuescommeça.Etlaisse-moi

te dire autre chose : tu vas arrêter de voir Nick immédiatement. Son père n’est pas une bonneinfluence.Etleschiensnefontpasdeschats.

-Etjenesaispascequis’estpassé!Jeveuxsavoir!- Etmoi je veux que tu arrêtes de parler de ça.Arrête de penser à ça. Et je n’ai pas envie

d’apprendreparRobertoouparquelqu’und’autrequetucontinuesdevoirNick.-Parcequesinon,quoi?Qu’est-cequetuvasfaire,papa?Tunepeuxrienfaire!Tuneveux

pasmedirecequisepasse,tuneveuxpasmedirelavérité.Turefusesd’assumercequetuasfait!»Ilraccrocheavantquejepuissecontinuermatirade.Alorsquandmontéléphonesonneànouveauunedemi-heureplustard,etquejevoisquec’est

lefixedemesparents,j’aiunebouleauventre,etjerépondsd’untonsec.«Jen’arrêteraipasdevoirNick!»dis-jeimmédiatement.

«Oh,Emilia,mapuce.»Lavoixdemamanmetranspercelecœur.Elleestentraindepleurer,etjel’entendssangloter.«Oh,machérie,jesuisdésolée.Jesuistellementdésolée.

- Qu’est-ce qui se passe ? » Je parle presque à voix basse et mon corps entier se met àtrembler.Rienqu’àsavoix,jesaisdéjà.Aufonddemoi,jesaisdéjàcequ’ellevamedire,maisjeneveuxpasycroire.Jeneveuxpasl’entendre.

Jefermelesyeux.«C’estNonna,mapuce.Elle…ellenousaquittés.»J’enfoncematêtedansmesgenoux,etjelaissetomberletéléphonesurlesol.Jecroisquej’ai

crié. Je crois quedes larmes se sontmises à couler surmonvisage. Je crois quemoncœurvientd’êtremutiléàjamais.

Touts’arrête.Toutestflou.Lemondeentierdevraits’arrêter,sicen’estpasdéjàlecas.Moncœurestdébordedetristesseetderegret.

Je ramassemon téléphone. Je le porte àmon oreille, et j’entends la voix demaman. «Mapuce?»Jemerendscomptequeçafaitplusieursminutesquejeneparlepas.

«Mmmhmm.»Jenepeuxpasdireunmot.Jesaisquemavoixsebriserait.«Ilfautqueturentresàlamaison,monbébé.-Elleestvraimentmorte,maman?»Unsentimentdeterreurm’envahit.- Oui, bébé. Elle nous a quittés. »Maman a lemême ton que la première fois que je suis

tombéedevélo,quelapremièrefoisquelesautresenfantssesontmoquésdemoiparcequej’étaisadoptée,quelapremièrefoisquej’aivuNickembrasseruneautrefille.

Maisjenesavaispascequ’étaitlatristessejusqu’àaujourd’hui.Jenesavaispascequec’estdeserendrecomptequejenevaisplusjamaislavoir,quejenevaisplusjamaisentendresavoixgaieenentrantdanssonrestaurant.Jenevaisplusjamaisl’appeleretl’entendrerire.

«Est-cequetuveuxquejeviennetechercher?-Non.Non.Jeviendraiplustard.J’aibesoin…J’aibesoind’unpeudetemps.»Mêmesij’ai

envied’êtreavecpapaetmaman, j’aiaussibesoinderester icisansbouger,depouvoirpleurer.Jesaisquemamanseferaitdusoucisiellemevoyaitaussieffondrée,etj’aienvied’êtrelàpourelleaussi.

«Est-cequeRobertoestaucourant?-Tonpèrel’aappelé.-Ok.Maman?-Oui,moncœur?»J’ai des sanglots dans la voix. « Un jour, Nonnam’a dit… » Je perds mes mots, alors je

m’arrêteuninstantpourretrouverunpeumoncalme.«Ellem’aditquetuétaisfabuleuse.Elleaditqu’onavaittousdelachancedet’avoir.»

Mamanrenifle.«Merci.»Ellerestesilencieuseuninstant.«Jet’aime,moncœur.Rentreàlamaisonquandtupeux.»

Onraccrocheet jem’allongesurmonlit.Toutmoncorpsestsecouédesanglots.Et j’aidumalàrespirer.Ellenepeutpasêtremorte.Ellenepeutpasêtremorte.Cen’estpaspossible.

Le temps passe sans que jem’en rende compte. Il faut que jeme lève et que je rentre à lamaison.

Il fait sombredansmachambre et dehors la nuit est tombée.Quelqu’un frappe àmaporte.Robertoentreetjedescendsàgrandpeinedulitsuperposé.

Robertotraverselachambreendeuxenjambées,aulieudesquatrehabituelles.Ilestentraindepleurer.Ilsecouelatêteetouvregrandsesbrasversmoi.Jemejettedanssesbras.«J’étaiscensél’appeler,dit-il.J’étaiscensél’appelerhieretjenel’aipasfait.J’étaistellementconcentrésurmon

expériencequejen’aipasvupasserletemps,etquandj’aifiniilétaittroptard.-Ellesait…»Jemereprends.«Ellesavaitàquelpointtesétudescomptentpourtoi.Ellele

savait.-Maiselleétaitplusimportante.Elleétaitplusimportantequemesétudes.»Je le serre dans mes bras jusqu’à ce qu’il ait pleuré toutes les larmes de son corps. Puis

j’appellemamanpourluidirequ’onnevapastarderàpartirdel’École.Ellenousditdenepasnouspresser,qu’ilssontdanslespapiersjusqu’aucou,etqu’ilssontentraind’appelerlafamille,etquemaintenantqu’ellesaitqu’onestensemble,Robertoetmoi,elleauramoinsdemalàseconcentrersurtoutcequ’elledoitfaire.«Commentvapapa?»jeluidemande.

«Ilest restéavecelle leplus longtempspossible, répond-elle. Ilesten traindemarmonnertoutseul,jecroisqu’illuiparle.Àmoitiéenitalienetàmoitiéenanglais.Jenel’aijamaisvucommeça.»Elles’arrêteuninstant,puisajoute:«Prenezvotretemps,lesenfants.Jevousaimefort.

-Nousaussiont’aime,mamounette.»Çafaittellementlongtempsquejenel’aipasappeléemamounette.

Robertomoirestonsallongésl’unàcôtédel’autresurlesol.«Quandjeluiaiditquej’étaishomo,ellem’aditdetrouverquelqu’unquimefassesourire,quimerendeheureux,etquimefassevibrer d’amour. Et puis elle m’a dit, s’il faut que ce quelqu’un ait un bidule-chose pour que çamarche, eh bien, ainsi soit-il. Tout ce que je veux, c’est que tu sois heureux. » Roberto rigole.«QuandellearencontréGiovanni,ellem’aprisàpartetellem’aditdebienletraiter,parcequ’ilnefallaitpasquejelaisses’échapperquelqu’unquimefaisaitautantsourire.»Aprèsuninstant,ilajoute«Ellem’aaussiditdetelaissertranquilleavecNick.

-Elleavait toujoursraison.»Jerassembletoutemonénergiepourmereleveretm’asseoir.«C’estcommesicen’étaitpasvrai,j’ail’impressionquejevaisl’appeleretqu’ellevamedirequec’étaitencorecette«stupidemédecinemoderne»quis’étaittrompée,commeelledisait.Qu’ellevamedirequ’ellevabien,qu’ilnes’estrienpassé.

-Jemerappellequ’aprèssonattaque,ellem’afaitpromettreque,quandellemourrait,mêmesi on était tristes, on essaye aussi d’être heureux.Qu’il fallait qu’on soit heureux pour elle, parcequ’ellecroyaitqu’ilyavaitquelquechoseaprèslamort.Ellecroyaitqu’elleallaitretrouverPoppaettousceuxquiétaientpartistroptôt,tropjeunes.

Je renifle, et jem’essuie lenez sur lamanche.«Papadoit êtredansunétat…Ona euunegrossedisputeaujourd’hui,etpendantqu’onsedisputait,Nonnaétaitentraindemourir.

-Moiaussijemesuisdisputéavecpapa…Hier.Onnes’entendsurrien.Jenecomprendspascequiluiarrive.Vraiment,jenecomprendspas…Çafaisaitunesemainequ’iln’étaitpaspassévoirNonna,alorsqu’ilsétaientvoisins.C’estmamanquifaittout.Elles’occupedetout.

-LepèredeNickaditquel’histoiredemonadoptionétaitbienpluscompliquéequecequ’onpensait.»

Roberto soupire. « Je suis désolé. Je te demande pardon pour tout ça.On n’en a pas parlédepuistrèslongtemps,maisjesaisquej’aicomplètementmerdé.

-Quand?-Quandtuascommencéàcherchertafamillebiologique…Parfois,j’avaisl’impressionque

tupensaisqu’onn’étaitpassuffisants.Oudumoins,c’estcequejem’imaginais,jusqu’àcequejemerendecompteàquelpointçadevaitêtredurpourtoi.

-Quoi?»Robertomeregardedanslesyeux.«D’essayerdecomblerlesattentesdetoutlemonde.»Jemeraclelagorgeetjedétourneleregard.«Cen’estpasvraimentdecomblerlesattentes

desgensquiestdur.C’estplutôtd’essayerdelesrendrefiersdemoi.Jenesaispas,c’estcommesijen’avaispasencoretrouvémaplace.

-EtNick?-Quoi,Nick?-Est-ceque…jeveuxdire…Est-cequevousêtesdenouveauensemble?-Tuveuxvraimentsavoir?-Oui.-Alorsoui.Onestensemble.Papaneveutpasquejelevoie,etavecNonnaettoutlereste,je

nesaispastropcequivasepasser.»Robertomeprendparlementon,etilplongesesgrandsyeuxnoirsdanslesmiens.Jenel’ai

jamaisentenduparlerd’untonaussisérieux.«Tusaisquejesuisplusâgéquetoi.-Pasdebeaucoup.Etsurtout,tun’espasbeaucoupplusmûr.-Nonnaavaitraisonquandelledisaitqu’ondevaitêtreavecunepersonnequinousfasserire,

fassenoussentirvivants,etquandelledisaitqueleplusimportantc’étaitd’êtredansleprésent.Nicktefaitdubien.Vousêtesbienensemble–entouscasmaintenant.Ceserapeut-êtreencorelecasdansunan,oudansdeuxans.Nelaissepaspapagâcherça.NelaissepaslepèredeNickgâcherça.Et…»Ilhésiteuninstant.«Nemelaissepasgâcherçanonplus.»

Mesémotionsjouentauxmontagnesrusses;jepassedelagratitude,àlatristesse,delajoieaudésespoird’unesecondeàl’autre.

«Jen’aipaseulepremierrôledanslespectacledefind’année.-Ons’enfout.Jenesuismêmepassûrquetuleveuilles.-Biensûrquesi.»Ilsecoue la tête.«Ok.Jegardemescommentairessurçapourunautre jour.»Ilpasseson

brasautourdemesépaules.«Viens,onrentreàlamaison.»

CHAPITRE24-NICK

Emn’estpasàl’Écolelelendemainmatin.Évidemment,toutlemondeestdéjàaucourantdudécèsdesagrand-mère,maiscertainsaffirmentqu’ellenevajamaisrevenirparcequ’elleapétélesplombsquandelleavuqu’elleétaitladoubluredeJen.

On penserait qu’après des heures de répétition, ils devraient être épuisés,mais non, ils ontencoredel’énergiepourlesragots.

Justeaprèsmoncoursdemaths,j’aimapremièrerépètofficielle.Lespectacleestdanstroismois,etmêmesiontravailleplusoumoinsdesscènesdepuisseptmois,c’estlapremièrefoisquejesuisofficiellementlePrinceCharmant.

Etjedoisdirequec’estassezagréable.Jenserueversmoidèsqu’ellem’aperçoit.Elleaunimmensesourireauxlèvres,etmêmesi

sesgrandsyeuxbrunssontunpeutropmaquillésaujourd’hui,elleestmagnifique,commetoujours.Samèreestnoireet sonpèreasiatique,etelleades jambes interminables,et jedoisdireque je latrouvais attirante la première fois qu’on est sortis ensemble.Maisonn’avait pasgrand chose à sedire,etrapidement,lamagiedesdébutss’estévaporée.

«Salut.»Ellemedonneunpetitcoupdecoude.«Jesavaisqu’onyarriverait.-Félicitations»,jeluiréponds.Sonsourires’efface.«JesaisquejeneseraispaslàsiNatalyan’avaitpaseucetaccidentde

voiture.Ilsm’auraientsansdoutemisecommedoublure,çaauraitététellementhumiliant.»Jelèveunsourcil.Elle continue à blablater. «Parce que je suis endernière année,moi. »Elle jette un regard

autourd’elle.«D’ailleurs,j’arrivepasàcroirequ’ellenesoitpaslàpourlapremièrerépèt.-Etpourquoi tun’arrivespasàycroire?Sagrand-mèrevientdemourir,qu’est-ceque tu

voulaisqu’ellefasse?»Jeluiparled’untonsec,maisjenepeuxpasmeretenir.«Jenesavaispas.-Tuesbienlaseuledanscetteécole»,jemarmonne.« Je te jure que je ne savais pas. J’ai décidé deme déconnecter complètement des réseaux

sociauxjusqu’aujour«J».Jen’aipasenviedelirelesremarquesméchantesdesgens.»Jelèveunsourcil.« Je suisvraimentdésoléepour lagrand-mèred’Em.»Elleavraiment l’air triste.Maisun

quart de seconde plus tard, elle pose samain surmon bras : «Est-ce que vous deux c’est…c’estsérieux?

-Oui»,jeluiréponds.«C’estsérieux.Cettefois-cionestvraimentensemble.»Etj’essaiede

faireensortequ’ellecomprennelemessage.Elle recule un peu,mais presque aussitôt, elle se remet à sourire. «On verra bien. Tu vas

passerbeaucoupdetempsavecmoi.»Jepousseunsoupir.«Cequej’essaiedetefairecomprendre,c’estquetoietmoi,onnese

remettrajamaisensemble.Tuesunechouettefille,mais…-C’estbon, jesais.Jesuisunechouettefille,maisçavapaslefaire.J’aidéjàentenduça.»

Elleseretourne.«Enfin,bref,onadupainsurlaplanche.»Elleparled’unevoixmécanique,commesimesmotsl’avaientblessée.Jamaisjen’aipenséunesecondequ’ellepouvaitvouloirautrechose.Ellen’a jamais riendit,ellenes’est jamaisplainteque jenesoispas trèsprésentquandonsortaitensemble.

Jecroyaisqueçane luiposait aucunproblème,qu’on se servait l’unde l’autreetpasplus.Maisvisiblementjemesuistrompé.Etj’ail’impressiond’êtreunsalaud.

Jelarattrape.«Jen,tusaisque…»Ellem’arrêtedelamain.«Jeneveuxmêmepasentendre.Çavaêtretristeetpathétique,ettu

vasavoirl’aird’unsalaud,etmoid’uneidiotequis’accroche.Bref.Entouscas,j’aicompris.»Ellese retourne. « Mais honnêtement, Em et toi, vous n’avez pas intérêt à déconner. Parce que,premièrement…»Ellesemetàcomptersursesdoigts.«Tun’asaucuneidéedelachancequevousavezd’êtreensemble,etc,etc.Etdeuxièmement…»Ellelèveunautredoigt.«Cespectacle,c’estlachancedemavie,c’estl’occasiondemontrerauxgensquej’aiméritécerôle.Qu’ilétaitfaitpourmoi.Etçanemarcherapassitunetedonnespasàfond.»

Ellem’observe.J’ail’impressionquesesgrandsyeuxbrunssondentlestréfondsdemonâme.«Jenevaispasdéconner.Jenevaispastoutfoutreenl’air.»

Elle fait une petitemoue, pas vraiment un sourire,mais presque. « Je ne t’en demande pasautant.Jetedemandeseulementdefairedeuxchosescorrectement–tufaiscequetuveuxpourtoutlereste.»Ellesedépêched’alleraucentredelapièce.Svetlananousattend.

Lespectaclecontinue.

CHAPITRE25-EM

Il faitun froidglacialdans l’Église. Il fallait s’yattendre : le temps s’estunpeu radouci,mais lestempératureshésitenttoujoursentreunhiveréterneletdesespoirsdeprintemps.

Ilfaitfroiddansl’église,etNonnadétestaitavoirfroid.Elleadoraitregarderlaneigetomberetvoir tout lequartier secouvrirdeneigecommeunvillagedecontede fées (c’était l’expressionqu’elleutilisait)maisilfallaitqu’ellesoitbienàl’abrietbienauchaudàl’intérieurdesamaison.

Ilfaitfroiddansl’église,etlestensionsauseindenotrefamillerendentl’atmosphèreencoreplusglaciale.

Robertopassesonbrassurmesépaules.L’égliseestpleine,etpapaetmamansontentraindeparler avec le prêtre pour régler les derniers détails. C’est surtout maman qui parle. Depuis queNonna estmorte, Papa est dans sonmonde.Maman lui apporte àmanger quand il refuse de venirs’asseoirà tableavecnous,c’estellequi s’occupede tous lespapiers,ellequia toutorganisé.Ondiraitpresquequ’ilneserendpascomptedecequisepasse.

«Toutesnoscondoléances.»UnedameentailleurChanel–lemêmequeceluiquemamanadonnéàungaladecharité l’andernier–meposelamainsur l’épaule.«Votregrand-mèreétait lapersonnelaplusdouceetgaiequej’aiejamaisrencontrée.»Ellesouritetmeregardedesesgrandsyeux gris. « Elle disait que vous étiez comme elle. Elle vous adorait tous les deux », dit-elle enregardantaussiRoberto.

«Merci»,on répondenchœur,et elle se retourneetva s’asseoir toutau fond.L’égliseestpleine à craquer. Tout le monde adorait le restaurant de Nonna, et il semblerait que les gens duquartieraienttoustenuàvenirluirendreundernierhommage.

M.Edwardsestassisàcôtédemoi.Et les larmesquicoulentensilencesursesjouesvalentplusquetoutlessanglotsethurlementsdumonde.Ilmurmurequelquechose.Jenesaispastrops’ilestentraindeprieroudedireunderniermotàNonna.

Robertofrissonneàcôtédemoi.Jemetourneverslui.«Çava?Tuestoutblanc.»Il tousse.«T’inquiète, çava. Jemesensbarbouillédepuisquelques jours, et j’ai attrapéun

rhume.»Aprèsuninstant,ilajoute:«Nickn’estpasvenu?»Jen’aimêmepasbesoindescruterlafoulepoursavoirlaréponse.«Si,biensûr.Ettoi?Tu

aseudesnouvellesdeGiovanni?- Il aurait aimé venir,mais les vols sont beaucoup trop cher en cemoment. Il est en train

d’économiserpourpouvoirsepayerlebillet.»Ilprendunegrandeinspiration,etfaitunegrimace.«Ilaquandmêmecommandédesfleurs,lesorchidées.»Ilfaitunpetitsignedelatêteverspapa.«Jesuisdésoléquepapasecomportecommeuncon.

-Net’inquiètepas.Papaabiend’autressujetsdepréoccupationencemoment.- Depuis quand es-tu devenue aussi sage ? » me demande-t-il, en toussant à nouveau. Sa

respirationdevientsifflante.«Jecroisquetudevraisallervoirundocteur.-Arrête,ondiraitGiovanni,iln’arrêtepasdemedirelamêmechose.-Ah, je savais que c’était unmec bien. » Je lui donne un petit coupde coude. «Non, sans

blague,tun’asvraimentpasl’airbien.»Ilpousseungrandsoupir.«Çavaaller.Jesuislemieuxplacépourlesavoir,non?»En temps normal, je lui aurais sans doute fait les gros yeux, mais pas aujourd’hui.

Aujourd’hui,jemecontentedeposermatêtesursonépaule.«Prendssoindetoi.-Promisjuré.»Papaetmamanserrentlamainduprêtreetretournents’asseoir.Mamanàcôtédemoi,etpapa

àcôtédeRoberto.Jeremarquequelesépaulesdemamantremblentunpeu,commesielleessayaitderetenirtoutesatristesseàl’intérieur,maisqu’ellen’yarrivaitpascomplètement.Papa,lui,neditpasunmot.Ilsecontentederegarderdroitdevantlui,danslevide.

Quandlecercueilentredansl’église,portéparlesemployésdespompesfunèbres,jesensuntelpoidss’écrasersurmapoitrine,quej’ail’impressionqu’ellevas’ouvrirendeux.Jen’arrivepasàcroire queNonna soit là-dedans, que je ne la reverrai jamais. Je respire un grand coup etmamanglissesamaindanslamienne.Àmontour,jeprendslamaindeRoberto.Nonnadisaittoujoursquenotreplusgrandeforce,c’estlafamille,qu’onnedevraitjamaisoublierquelafamillepassetoujours

enpremier.

Ilyad’abordl’église.Pendanttoutleservice,j’essaiedemeconvaincrequetoutçaestbienréel,quecen’estpasuncauchemar.

Puislecimetière.Quandlapierretombales’abatsurlecercueil,jesensunenouvellevaguedetristessem’envahir.J’essaiederesterdroite,denepasm’écrouler;j’essaiederesterfortepourmesparentsetpourRoberto…

Puis vient le restaurant. Les gens ont apporté de la nourriture, ils sont venus pour nousapporter leur soutien,nousdirequelquesmotsde réconfort,pourpleureravecnous,échangerdessouvenirsgaisoutristes…

Aprèstoutça,jem’enfuis.JeparsmecacherdanslepetitcouloirderrièrelachambredeNonna.C’estlàquejem’étais

réfugiéepourbouderunjouroùmesparentsavaientrefusédem’acheterunepoupéequicoûtaitunefortune. Ilsm’avaientditquecen’étaitpasparcequ’onavaitde l’argentque j’allaisavoir tous lesjouets hors de prix que je voulais.Nonnam’avait trouvée au fond dema cachette, et ellem’avaitcaressédoucementlescheveux.Puisellem’avaitditàvoixbasse:«Situveuxvraimentcettepoupée,jetel’offrirai.»Maisjeluiavaisréponduquenon,jenemesentaispascapablededésobéiràmesparents,etaufonddemoi,j’avaisdéjàcomprisqu’ellen’avaitpasautantd’argentquenous.Quandj’avais secoué la têtepourdirenon, ellem’avaitprisedans sesbras sans riendire, et ellem’avaitsouri. « Tu sais, on pourrait fabriquer une poupée toutes les deux.Va vite demander pardon à tesparents,etensuitejet’apprendraiàfairedeshabitspourtespoupées.»

Jerenifleenrepensantàtoutça.Jedevraisretournerdanslerestaurant,auprèsdemesparents,deRobertoetdetousnosamis.

Maisjemesenstroptriste.Troptristepourvoirdesgens.Troptristepourfairesemblantquetoutvabien.Toutsimplementtroptriste.

J’entends des pas s’approcher dans le couloir. J’ai presque l’impression que Nonna vaapparaîtrecommeparmagie,etéclaterderireenmetrouvantici.

Maiscen’estpaslasilhouettefrêledeNonnaquiapparaîtdanslecouloir.C’estNickquiestlà,faceàmoi.Ilporteuncostumegrisfoncéquisouligneseslargesépaules.Jelevoistirersursachemise,etjemerappellequ’ilm’aditunjourqu’ilavaittoujoursl’impressiond’étoufferquandilportaitunecravate.

«Salut»,meditNickd’unevoixdouceetbienveillante.C’estlamêmevoixquelejouroùilaessayédesauverunchaterrant.Ilresteunpeuàdistance,commes’ilsavaitquejenesupporteraispasqu’onmetoucheencemomentprécis,quej’aibesoind’êtrecellequiinitielecontact.

«Salut»,jeluiréponds.«TaNonnam’aditunjourdecontinueràmebattrepourtoi.»Jelèveunsourcil,jem’appuiecontrelemurpourleregarder.«Quandest-cequ’ellet’adit

ça?-Ànoël,merépond-il. J’essayaisdésespérémentde tedireàquelpoint j’étaisdésolé,de te

direàquelpointtucomptaispourmoi,maisturefusaisdem’écouter,etpuistum’asditquetusortaisavecquelqu’un.Maisaprèsledessert,taNonnaestvenuemevoir,elles’estassiseàcôtédemoisurle canapé, et elle a posé sa main sur ma jambe. Elle s’est penchée vers moi et elle m’a dit :“Nicholas.”»Ils’arrêteuninstant,etj’esquisseunsourire.Elleadoraitl’appelerNicholasouNicos.«“Nicos,”ellem’adit,“Jesaisquetupeuxtraitermapetite-filletrèsbien.Jesaisquetuasfaitdeserreurs,etquetulesregrettes.Ilfautquetuleluidises,ilfautquetuluilaissestoutletempsdontelle

aurabesoin,maisilfautquetucontinuesàêtrelàpourelle.Ellefiniraparouvrirlesyeux.”Ensuite,ellem’aembrassésurlajoue,etelleafiniendisant:“Tuesunbongarçon.Fais-ensorted’êtreunhommeencoremeilleur,unjour.”

-Çaluiressemble.»Jepousseunsoupir.«Mais,clairement,tunel’aspasécouté–tuesalléàlasoiréedunouvelanet tuas failliembrasserNata.»Mavoixsebriseendisantça,çam’énerve,maisçafaitvraimenttropdechosesàgérer.Tropd’émotions.Toutcequej’aigardéenmoisemetsoudainàdéborder:lepassé,lerôleprincipalquejen’aipaseu,lamortdeNonna.«Tum’asrejetée.Et Nonna… Nonna ne savait pas tout. Peut-être que si elle avait su, elle n’aurait pas été aussienthousiastesurl’avenirdenotrerelation,peut-êtrequ’ellem’auraitditdepasseràautrechose,etàtoiaussi.

-C’estvraimentcequetupenses?»Ilcontinueàparlerd’untonrassurant,maisjebousdecolère,et jemesenscomplètementperdueetdésespérée.«Lesoirdunouvelan, jem’étaisditquej’allaisenfint’avouerlavérité.Quej’allaisenfintedireàquelpointtum’avaismanqué.Maisquandjesuisarrivé,onm’aditquetuétaisvenueaveccemec.

-Cen’étaitpasvrai!-Maisjenelesavaispas.Ettum’avaisditquetusortaisavecquelqu’undonttuétaisvraiment

amoureuse.-C’était n’importe quoi, il n’y a jamais eupersonne.Si tu veux savoir la vérité, je ne suis

sortieavecpersonnedepuisl’étédernier.Alorsquedetoncôté,tunet’espasgênépoursortiravecpleindefilles.TuessortiavecJen,puisSandra,etjenesaisquid’autreencore.»Mavoixdevientstridente.«EtNonnan’estpluslàpourmedirequetoutvas’arranger.

-Jen’aipaschoisidesortiravecelles.»Ilsepasselamainsurlanuque,etsavoixsenoue.Ilserapprocheunpeudemoi.«C’étaitmonpère.C’étaitmonpèrequimedemandaitdesortiravecelles.

-N’importequoi.- J’aimeraisquece soitn’importequoi. Je seraisun salaud,maisaumoinsmonpèrene se

seraitpasservidemoi.Çaauraitétémonchoixetpaslesien.Tun’imaginespasàquelpointc’estdifficilequandonteforceàêtreunsalaud.»

J’ailatêtequitourneetmoncœurbatàcentàl’heure.«Jenecomprendspas.»Ilnedétournepasleregard,etjelevoisfaireunegrimace.«Depuisàpeuprèsdeuxans,mon

très cher père me demande régulièrement de l’aider dans ses affaires : il me demande d’allerchercher des documents, d’assister à des galas de charité ou à des enchères débiles pour desorganisationscaritatives,maisaussidesortiraveclesfillesdesesclients.

-Maisçan’aaucunsens.-Jecommenceàcroirequec’étaitplusunmoyendem’éloignerdetoiqu’autrechose.-Maispourquoituasaccepté?Pourquoi?Pourquoiaprèscetété?-JeluiaipromisdepasserunesoiréeavecJenaprèscetétéenéchangedel’adressedeClaire

Carter.-Oh.-Jen’avaisaucuneenviedelefaire.Jetejurequejenevoulaispas.Maisplusj’ypenseetplus

jemedisqu’àchaquefoisqu’ilmedemandaitdesortiraveclafilled’undesesclients,c’étaitàunmomentoùonserapprochait,toietmoi.Tuterappelleslesvacancesdenoël,ilyadeuxans?»

Je hoche la tête.Cet hiver-là,Nick etmoi passions tous nos après-midis ensemble. Parfoischez lui, parfois chezmoi. Parfois, Roberto se joignait à nous, mais la plupart du temps, il étaitplongé dans ses articles scientifiques, à essayer de trouver le meilleur projet pour une fête de laphysiqueàlaquelleilvoulaitparticiper.Unjour, lepèredeNickétaitrentrédanssachambrealorsqu’onétaitensemble.Onnefaisaitriendeparticulier…J’espéraissecrètementqu’ilallaitmeprendre

lamain,onétaiten trainde regarderTitanic à la télé.Et iln’arrêtaitpasdesemoquerdu film. Jesentais déjà que mon corps était étrangement attiré par le sien. J’imaginais notre premier baiser,j’imaginaismamaindanslasienne.J’imaginaiscommentceseraitdemarchercôteàcôtedanslarue.

«Tuterappellescommentmonpèreapétélesplombs?»Je hoche à nouveau la tête. Son père a ouvert la porte, et il nous a dit que si on voulait

regarderlatélé,ondevaitallerenbas,etqu’onn’avaitpasledroitderesterseulsdanslachambre.«Troisjoursaprèsça,ilm’ademandédesortiravecSina.J’avaisquinzeansetj’étaisunpeu

dans une phase de rébellion.Mais ilm’a dit que si je refusais, il arrêterait de payerma scolarité.Alorsjel’aifait.»Ils’arrêteuninstant.«Etilfautdirequej’avaisquinzeans.JenetrouvaispasçasiterriblededevoirsortiravecSina.»

Saremarquemefaittiquer,etjecroisqu’ils’enrendcompteparcequ’ilsedépêched’ajouter,enbafouillantàmoitié:«Cequejeveuxdire,c’estquej’avaisquinzeans,etj’aijustepenséquemonpèreétaituncon,commed’habitude.Maiscegenredetrucn’arrivaitquequandilnousvoyaitnousrapprocher.Àchaquefoisquejedisaisquej’aimaisquelquechoseentoi…»Ilsetait.

Jeme rapprochede lui.«Pourquoiest-ceque tunem’aspas raconté toutçaavant?Onsedisaittout.

-Parceque j’avaispeurque tume trouvesnul.Qu’est-ceque tu auraispenséd’unmecquiobéitsansbroncheràtoutcequeluidemandesonpapa?

-Direnonàsesparents,c’estcequ’ilyadeplusfacileetdeplusdifficiledanslavied’unadolescent. »Mavoix semet à trembler en repensant au soir oùmagrand-mèrem’adit ça, aprèsm’avoirpréparéunebonnetassedethé.«C’estNonnaquim’aditça.

-C’étaitquelqu’undemerveilleux»,ditNick.Jeprendsdoucementsamaindanslamienne,etjel’approchedemonvisage.Illaposesurmajoueetjem’abandonneàsescaresses.«Ellet’aimaittellement.»Ilm’embrassesur lefront,sur lesyeux,sur lenez…«Je…Jet’aime»,murmure-t-il.J’aidumalàrespirer.Lesdoigtstremblants,jeposemamainsursonbras.«Jet’aime»,répète-t-il.Etilm’embrasse.C’estunbaisertendreetpassionné.Unbaiserpleind’espoiretdedésespoir.

J’oublie tout, jene sensplusque ses lèvres sur lesmiennes. Je sens leurgoût. Je sensmoncorpsentierréagirausien,àsesbrasquienlacentmataille.

« Qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? Vous vous croyez où ? » nous interromptbrutalementlavoixdemonpère.

CHAPITRE26-NICK

Emfaitunbond.Ellen’enestpasaupointdesecacher,maisellen’enmènepaslargenonplus.Sonregardvadesonpèreàmoi.

Jerestelà,jen’aipasenviedefaireunescène,maisjesensquejesuisentraindem’énerver,jesensdespetitesvaguesd’agacementsediffuserenmoicommequandjefaisaisdesricochetssurlamerdanslesHamptons.Lespetitscaillouxcoulaientaprèsquelquesrebonds,etjesensque,commeeux,macolères’enfoncejusqu’aufonddemesveines.

«Qu’est-cequevousêtesentraindefaire?demandeànouveaumonpère.-Jesuisdésoléesiçaapuvousparaîtredéplacé,monsieur,ousilemomentétaitmalchoisi.

Mais je ne suis absolument pas désolé d’avoir embrassé votre fille,monsieur. » Je ne l’ai jamaisappelé«monsieur»auparavant,maisçasonneplutôtjustedanscetteoccasion.

«Emilia,jecroisquej’aiétéclair.Jet’aidéjàditquejenevoulaispasquetulevoies.»Emiliaprendmamaindanslasienne,etelleserapprochedemoi.«Etjet’aiditquejen’en

avaisrienàfaire.-Cen’estnil’endroitnilemomentdeparlerdeça.Etencoremoinsdefaireunescène.-C’esttoiquiesentraindefaireunescène,pasmoi.»Emessaiedeprendreunairassuré,

mais sa voix estmoins ferme que tout à l’heure, et demon côté je n’ai aucune envie de faire unscandalelejourdel’enterrementdeNonna.Jedoisreconnaîtrequepourunefois,undespréceptesdemonpères’avèreassezutile:parfoisilvautmieuxsetaire.

Enplus,jenesaistoujourspasvraimentcequis’estpasséentreeuxautravail.J’aibienl’impressionquej’auraistoutintérêtàmetaire,maisjeneveuxpasnonpluslaisser

Emiliafairefaceàlacolèredesonpèretouteseule.Dinomemontredudoigt. « Je t’interdis de t’approcherdema fille.Elle n’apasbesoinde

quelqu’uncommetoidanssavie.Quelqu’unquiobéitaudoigtetà l’œilàsonpapa,sansenavoirrienàfairedebriserlecœurdemafille.»Sontonmonteàchaquemot.«Etellen’apasbesoindequelqu’undontlepèreestunescrocquin’hésitepasàenfreindrelaloi.Quiviresonamietassociédèsqueleschosessecompliquentunpeu.Tusaiscequ’ondit:unchiennefaitpasunchat.»

J’embrasseEmsurlajoue,etjeluimurmure:«Jet’appelleplustard.»Maisellenelâchepasmamain.Ellevientseplanterdevantmoi,commepourmeprotégerdesonpère,alorsque jesuisbienplusgrandetfortquelui.«Jen’arrivepasàcroirequetuluiparlescommeça.Jen’arrivepasàcroirequetutecomportescommeça.Àunmomentpareil.

-Etmoijen’arrivepasàcroirequetuaieschoisiprécisémentcejourpourtecomporterde

cettefaçon!»mehurle-t-il.Jeregardeverslesescaliers.Lesgensdoiventl’entendre,enbas,danslerestaurant.

«Viens,onyva»,dis-jeàEmenessayantdelafairevenirversl’escalier,maisellenebougepasd’unpouce.

-Tudisqueleschiensnefontpasdeschats?Ehbienjepeuxtedirequepourtantaujourd’hui,on a du mal à croire que tu sois le fils de Nonna. Qu’est-ce que tu crois qu’elle dirait de toncomportement aujourd’hui ? Nonna n’aurait jamais traité personne comme tu traites Nick. Ellen’aurait jamais…»Elleprendunegrandeinspiration,et jelavoisbattredespaupières.Elleretientses larmes.Elle essaiedenepas se laisserdémonterdevant sonpère.Elle essaiede retrouver soncalme,deretrouveruncertainsentimentdejustice.

Dinoouvrelabouche,maislarefermesansriendire.Puisilfondenlarmes.Soncorpsentierestsecouédesanglots.Ils’accrocheàEm,quileprenddanssesbraspourleconsoler.

Parcequemalgrétoutcequis’estpassé,elleestincapabledelerejeter.Ilresteratoujourssonpère,malgrétout.Etaujourd’hui,ilssouffrenttouslesdeux.

Ellemeregarde,etmelanceunpetitsourire.Jehochelatêteetjeleslaissetousdeuxàleurchagrin.

CHAPITRE27-EM

Je suis tellement en colère contre mon père, je lui en veux tellement. Mais on est tous les deuxtellementtristesdelamortdeNonnaqu’onseserrel’uncontrel’autre,commesionétaitincapablesd’êtreseulspluslongtemps.Jeleserredansmesbrasetjelecouvredelarmes,ils’effondreluiaussi.Jenesaispasquepenserdetoutça.Est-cequ’onestenfinentraindeseretrouver?Est-cequeleschosesvontredevenircommeavant?

Mais en se reculant, il évite mon regard. Et je m’en moque, parce que je suis encorebouillonnantedecolère.Onnes’adressepaslaparoledurestedelajournée.Detoutleweek-end,àvrai dire.Maman fait des efforts désespérés pour alléger l’atmosphère, mais c’est comme si ellen’étaitpas là.Et je suiscertainequ’ellen’estpasdupe,qu’ellese rendcompteque tout sonne fauxpendantledîner–lesdemi-sourires,lesconversationsdesurface,etlesmainsquifontsemblantdesetoucherpourseréconforter.

Je n’ai pas faim. Je sens la tristesse s’installer en moi, me serrer la poitrine et me nouerl’estomac.Nonna ne prendra plus jamais place à table avec nous, et je ne passerai plus jamais dedimanchesoiravecelle.Jemeraclelagorge.Çafaitbiencinqminutesquepersonnen’aditunmot.« Il faut que je parte avant dix-sept heures, je dois rentrer à l’heure. J’ai beaucoup de cours àrattraper.»

Robertosemetàtousser.Iltoussetellementfortqu’ilestobligédeseteniràsachaise.«Etmoiilfautquejerentreàl’université.Ilfautquej’utilisemachambredetempsentemps,parcequej’aibienpeurqu’ilarrêtentdemelapayersinon.

-Non,cedonttuasbesoin,c’estderesterici,etdetereposerunpeu»,luiditmaman.«Tuasl’airdeplusenplusmalenpoint.

-J’aiunpeumalaudos,c’estjusteunmauvaisrhume.»Ilselèveetmefaitunepetitecaressesurlatête.«Jet’appellecesoir»,medit-il.Jenesaispassic’estparcequ’ilabesoindeparlerous’ilsaitquemoi,j’aibesoindeparler.J’aibesoindeluidemanderconseilausujetdepapa,jenesaispasquoifaire,etjemedemandesijedevraisenparleràmaman.

-Tuveuxquejerentreenmétroavectoi?-Tuplaisantes?Çateprendraitdesheures.Net’inquiètepas.»Ilprendsonsacdansl’entrée.

Maman se lève et le suit.Papanedit pasunmot.Mêmepas« au revoir », «bonne semaine», ou«soigne-toibien».

Ilfixesonassiette.Puisilselèveetsortdelacuisine.Quandmamanrevient,jel’aideàdébarrasserlatableensilence.Ilyavaitdesrestesdetous

lesplatsquenousavaientpréparéslesgens,maisaucundenousn’avaitfaim.Jesuissûrequenouspensions tous à Nonna. La semaine dernière, j’étais avec elle, on mangeait, on riait, et je luidemandaisdesconseilssurNick.Quandelleaterminédedébarrasserlesassiettes,mamanselavelesmainsetpousseunsoupir.«Çafiniraparluipasser,net’inquiètepas.C’estdurpourtonpèreencemoment,tusais.

-Jesaisquec’estdurpourlui.Maismaman...»Jejetteunœilverselle.Elleal’airtellementfatiguée,tellementépuiséeettriste.«Non,rien.»

Ellem’embrassesurlajoue.«Jesaisquec’estdurpourtoiaussi.JesaisàquelpointtuaimaisNonna.Tudoistesentircomplètementdésemparée.PourcequiestdeNick,ilfautquetulaissesunpeudetempsàtonpère.

- Je ne le comprends pas. J’ai dix-sept ans. L’an prochain j’aurai dix-huit ans. Je suisresponsable,jesuislà,jefaisdemonmieux.

-Oui,jesais.Maisjustement,tun’asquedix-septans.-L’anprochainjeseraimajeure,jepourraivoter.Maispapaestimequejenesuispascapable

dechoisirmoi-mêmemonpetitcopain?-Quandj’aieudix-huitans,mamèrem’aditqu’ilsn’allaientpasarrêterd’êtremesparentsdu

jourau lendemain. Jenepensaispasavoirà tedireçaun jour.»Ellea l’air fatiguée, et j’hésiteàcontinuerlaconversation,carjen’aiaucuneenviedemedisputeravecelle.Ellemeprenddanssesbras.«Jevaisparleravectonpère.

-Maman?-Oui,moncœur?-Jet’aime»,luidis-je,parcequec’estlaseulechosequejepeuxdire.Jenevaispasluiparler

depapa,cen’estpaslebonmoment.Cen’estpaslebonmomentnonpluspourmejustifier,nipourluiexpliquerpourquoijecroisquepapaatort.

«Jet’aimeaussi,»répond-elle,maisjelèvelesyeuxverselleetmêmesiellesourit,jevoisquesonvisageestemplidetristesse.

À l’École, j’évite lesgens,et jevaisdirectementdansmachambre. Jen’aiaucuneenviededevoirfairelaconversationavecquelqu’un.J’aienviedeparleravecRoberto,d’appelerNickpeut-être,etd’allerdormir.Ouplutôtessayerdedormir.Jen’aipaseudenouvellesdeNatalya,jenesaisabsolumentpascommentellevadepuisl’accident,bienquej’aieappelésamèreàplusieursreprises.

Je me dépêche de traverser le couloir, et je rentre en vitesse dans ma chambre. Je laissetombermonsacaumêmeendroitqued’habitude–saufqu’ilyadéjàunsacàcetendroit.

C’estquoi,cebordel?Jeme retourne, et jevois Jenassise sur cequi était jusqu’alors le lit deNatalya.Ses longs

cheveux noirs sont un peu en bataille, ce qui est inhabituel chez elle. Elle porte un pantalon dejogging,etungrandT-shirtsurlequelestécrit«IloveParis».Etelleamêmeunboutonsurlajoue.Jecroisquelemondevas’écrouler.Ellenesouritpas,maisellenefaitpaslagueulenonplus.Jenel’aijamaisvueavecuneexpressionaussineutre.

«Qu’est-cequetufaislà?»Jesuistellementsurprisequemontonn’estmêmepasméchant.C’estdéjàça.

« Je n’ai aucune envie d’être icimoi non plus,mais apparemment, c’est bon pour nous departagerunechambre,vuquetuesmadoublure.»Elleinsistesurlemot«doublure»,maisjecroisquecen’estmêmepasvolontaire.Çaadûsortirtoutseul.

«Maisc’estn’importequoi.

-Jenetelefaispasdire.»Ellepousseunsoupiretselève.«Premièrement,jemeretrouveencolocavecunetroisièmeannéealorsquemoi,jesuisendernièreannée.Deuxièmement,cen’estpasn’importe quelle troisième année, il faut que ce soit toi.Et troisièmement, je n’ai aucune envie dedormirdanslelitdeNatalya.

-Oùsontpasséestoutessesaffaires?»Toutadisparu:leposterdeladanseuseenpleinsaut,lesromansdeTolstoïqu’elleahéritésdesagrand-mère,sesphotos.

C’est commesi ellen’avait jamais été là.Commesi ellen’avait jamais étémacoloc.C’estcommesitoutcequ’elleavaitaccompliiciavaitétéraséenl’espaced’uninstant.

«Jen’yaipastouché,sic’estcequetupenses.»JesensqueJenretientsacolère.Bienvenueauclub.

«Cen’estpascequej’aidit.-Sononcleestvenutoutrécupérer,répond-elle.-Est-cequ’elleestréveillée?Est-cequ’ellevabien?Ilt’aditquelquechose?»Mespensées

filentàcentàl’heure.Jen’aieuaucunenouvelled’elle,etsononcleaseulementlaisséunmessagesurmonrépondeurendisantqu’ilmetiendraitaucourant,maisilnem’apasrappelé.

-Oui,elleestréveillée.»Jesensunpoidss’enleverdemapoitrine.«Elleestconsciente.»Auboutdequelquessecondes,elleajoute:«Sononcleétaitdésoléde

nepasnousavoirdonnédenouvellesplustôt.Apparemment,ellevoudraitremontersurscèneleplustôtpossible,maissononclem’aditqu’elleallaitdevoirfaireplusieursmoisderééducation.Ilavaitl’air tellement triste. Ilm’a donné le nouveau numéro de lamère deNatalya. » Ellemordille sonpouce–c’estleseuldétailquitrahitsoninquiétudeetsatristesse.D’habitude,Jennemontrejamaissesémotions.«Iladitqu’onpouvaitl’appelersionvoulaitcontacterNatalya.»Elleparleplusbas,etjenesaisplustropsielles’adresseàmoiousielleseparleàelle-même.«Jen’imaginemêmepasàquelpointçadoitêtredurpourelle.

-Ondevraitessayerdefairequelquechose.- Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait lui remonter le moral – mis à part danser à

nouveau. » Jen se ronge l’index, puis ellemet lamain derrière son dos. « Je suis désolée pour tagrand-mère.»

Jeregardeautourdemoi.«MaNonnamediraitsansdoutequed’êtreencolocensembleestl’occasionrêvéepourserendrecomptequ’onn’estpassidifférentesqueça,enfait.

-TaNonnaauraiteutortsurcecoup.»Jensemordlalèvre.«Jesuisvraimentdésolée.J’aientendudirequevousétieztrèsproches.»

Etelleal’airsincèreendisantça.Iln’ypasuneoncedesarcasme,pasuneonced’ironiedanssesmots.«Merci.»

Elle hausse les épaules et fait un petit signe de lamain. « Il va falloir qu’on définisse desrègles.Premièrement,Nicknepeutpaspassersontempsici.Ceseraitsuperbizarre,parcequetusaisque je l’aiembrassémoiaussi. Jenesaispassi tu te rendscompte,maisnos lèvresont touché leslèvresdumêmemec.C’estpratiquementcommesions’étaitembrassées.

-Jenem’étaisjamaisrenducomptequetuparlaisautant.-Jen’avais jamaiseubesoinde teparler.»Aprèsun instant,elle reprend.«Bref.C’était la

première règle.Deuxième règle : j’ai besoin de calme.Donc pas de conversations qui durent desheures.Etjen’aipasbesoind’amis.

-Tun’aspasbesoind’amis?- Les amis, c’est trop compliqué, niveau sentiments. Je n’ai pas envie de commencer à te

trouversympaetàteplaindre,jen’aipasenviequeçamedéconcentre.-Euh,tuasdéjàlerôle,tuesaucourant?

-Etvoilà,c’estexactementcequejeveuxdire…Avectesyeuxdechienbattu,jesensdéjàqueje vais tomber dans le panneau. Je sais que j’ai eu le rôle, et je lemérite. Pour toi, la danse c’estcommeunpasse-temps,tunecomprendspasàquelpointc’estimportant.Pourmoic’estlachoselaplusimportantedemavieentière.»Elleseretourneverssonbureau,commesilaconversationétaitterminée,maistoutd’uncoup,ellepousseunsoupir.«Troisièmerègle:situnetesensvraimentpasbien,tupeuxmeparler.Jenedispasquejerépondrai,maistupeuxmeparler.»

Je lèveunsourciletelle se retourneversmoi justeàcemoment.«Ok,c’est juste flippant.Nickettoi,vousavezdéjàlesmêmesexpressions.»

Saremarquemefaitsourire,etellehausseuneépaule.«J’aimisunephotodeNataettoisurtonlit.Sononcleaditquetupouvaislagarder.»Elleattrapedeshabitsdanssonarmoire.«Voilà.Onadéjà tropparlépouraujourd’hui. Jevaisallerprendreunedoucheetquand je reviens,on faitdenouveaucommesionn’existaitpas.Aumoinspendantquelquesheures.

-Çamarche»,jeréponds,etmêmesicetteconversationétaitunedesplusbizarresquej’aiejamaiseues,çam’aquandmêmepermisdevoirJend’und’œildifférent.

Peut-êtrequeNonnaauraiteuraison.Peut-êtrequeJenetmoi,onpourraitêtreamies,aprèstout.

CHAPITRE28-NICK

“Emilia:recommence!»crieSvetlana.Emestàboutdesouffle,maisellelèvelesbrasau-dessusdelatête.«Plusdegrâce,Emilia.Ilfautquetusenteslemouvementjusqu’auboutdetesdoigts.»Embaisselesbras,puisleslèveànouveau.Elleessaietellementdefairebienquesonmouvementn’estpasnaturel.

«Non!»luilanceSvetlana,àboutdenerfs.«Emilia,recommencedepuisledébut.»Emserreleslèvres,maiselleneditrienetseremetenposition.Jenseraclelagorge.«Jesaisquetuesenpleinelunedemiel,maisonestcensésrépéternous

aussi. Eduardo a dit que notre second acte était, je cite « le plus merdique qu’il ait vu de sa vieentière.»Auboutdequelquessecondes,elleajoute:«Iln’avaitpasl’airderigoler.Jenepeuxpasmepermettredefoutreenl’aircetteopportunité.

-Moi non plus, je ne peux pas me le permettre. »Mes yeux vagabondent à nouveau versl’autreboutdelasalle,oùSvetlanaestmaintenantentraindedemanderàEmdefaireunearabesque.Emiliasemetenposition,etSvetlanatiresonpiedverslehaut.

«Tu n’es pas censée bouger. Ton corps doit suivre lemouvement, et il faut que tu arrêtesd’avoircetteminesérieusetoutletemps.Tuesentraindetomberamoureuse,tonhistoirevientjustedecommencer.»

Jenclaquedesdoigts.«Allez,Nick.Eduardonousadonnéunedemi-heurepour répéter lachorégraphiedumariage.Ilm’aditqu’ilfallaitquejem’améliore,etqu’iln’avaitpasenviequeçaressembleàunenterrement.

Svetlanahausselavoix.«Ok,çasuffitpouraujourd’hui.Tuasbesoindet’aérerl’esprit,pourreveniravecplusdeforceetdedéterminationdemain.

-JedevraisresterpourregarderJen.»Svetlanapousseun soupir exaspéré.Ellene s’énervepas souvent,maisquandça lui arrive,

elle faitpeur.Elleessaiederetrouversoncalme.«Jecroisqu’ilvautmieuxque tu tecontentesdevisionnerquelquesvidéosetquetut’yremettesdemain.

-D’accord»,ditEm,d’unevoixbrisée.Ellepassedevantnous,latêtehaute,sansnousjeterunregard.Maisjevoisbienquesonmentontrembleunpeuetqu’ellealeslarmesauxyeux.

Jefaisunpasverselle,maisJenmeretient.«Écoute,jesaisquec’estdurpourelle.Etmoiaussi, je laplains.Mais il fautqu’onrépète.Si tu trouvesqueSvetlanan’apasété tendreavecelle,imagine-toiSvetlanaetEduardoensembleentraindenouscrierdessus,etdenousdirequ’onvautmoinsquelepapiersurlequelleprogrammeestimprimé.Ellemeregarded’unairsérieux.«C’est

notredernièrechancedeprouveraumondeentierqu’onestvraimentbons.»Jeregardelaporteencoreuninstant,puisjemeretourneversJen.«Ok.Onrépète.Maistuas

intérêtàdonnertoutcequetuas.-Commetoujours,répond-elle.»Onsemetàdanser.Onenchaînelessauts,lesglissés,lespirouettes.QuandEduardorevient,ilnousobserve.Iln’esttoujourspassatisfait.Ilditqu’onnecroitpas

assezenl’histoire.Aulieudefinirlarépètàdix-neufheures,onfinitàvingt-et-uneheures.J’ailecorpstoutendolori.Jenal’airépuisé.«Jevaisresterencoreunpeu»,dit-elle,etSvetlanahochelatête.Eduardos’envasansnousjeterunregard.MaisSvetlanapenchelatêtesurlecôté.«Jesais

quecen’estpasfacile.Maisvousaveztouslesdeuxdutalent.N’oubliezjamaisça.»Etelles’enva.« Je vais passer voir Em. Tu ne crois pas que tu devrais quand même aller manger un

morceau?-Non, pasmaintenant. Il faut que je pratiquemon relevé. Je n’y arrive pas, il n’est jamais

parfait.»Jenevoisaucunproblèmeavecsonrelevé,maisjeconnaisassezJenpoursavoirquejenela

feraipaschangerd’avis.Jesorsdelasallederépèt,etj’envoieuntextoàEm.Çava?Tuveuxqu’onsevoie?Il

fautquejeprenneunedoucheetquejemangequelquechose.

Em:Çava.Tudoisêtreépuisé.Onseverrademain.Jet’aime.

Nick:Tuessûre?

Em: Oui, oui. Je suis en train de regarder les vidéos du spectacle de l’an

dernier, et celle de la répèt de la semaine dernière. Et toi, tu devrais aller te

coucher.Jesaisquetuesépuisé.

Jesuistellementmortquej’aidumalàmarcher,maisjenen’aipasenviequ’ellesecoucheenétanttriste.

Monportablevibreunenouvellefois.Em:Jetejurequeçava.Onsevoitdemain.<3Nick:Ok.Onsevoitaupetitdéj.Jet’aime.

CHAPITRE29–EM

Àchaquefoisquejevoisun«jet’aime»deNicksurmonportable,çamefaitquelquechose.Parcequejesaisqu’illepensevraiment.Parcequemoiaussi,jel’aime.Parcequemêmequandjepasseunejournéedemerde,ilarrivetoujoursàmeredonnerlesourire.

J’appuiesurpause,etlavidéoduspectacledel’anderniers’arrête.J’aiapprisunechoseenregardantça:j’aiencoredupainsurlaplanche.

Svetlanaveutque jedeviennemeilleure,c’estpourçaqu’ellemepousse.Maisest-ceque jesuisencorecapabledem’améliorer?Ouest-cequej’aiatteintmeslimites?

Jem’étire.Ilfaitsombredanslachambre.Jemefrottelesyeux.Jenn’estpasencorerentrée,peut-êtrequ’elleestencoreentrainderépéter.Sijepouvaisvoircommentellecréedesémotions,çam’aideraitsansdoute.

Jeremetsmescollantsdedanseetunpetitdébardeur,j’attrapelesacdanslequeljerangemespointes, et je sors de la chambre. J’ai une mission à accomplir. Et cette mission, c’est de ne paséchouermisérablementalorsque tout lemondeattend tellementdemoi,alorsquemesparentsontinvestitellementd’argentdansmonéducationetqu’ilyatantdegensquicroientenmoi.

J’ouvrelaportedelasallederépèt.Jenestaumilieudelapièce,ellerefaitencoreetencorelamêmepirouettesuivied’unrelevé.Elles’arrêteetsetourneversmoi.«Qu’est-cequetufaislà?

-Jemesuisditquej’allaisvenirteregarderrépéter,pouressayerd’améliorermapremièrechoré.»

Jenbaisse lesbras.Ellemelanceunregarddubitatif, toutensemordillant ledoigt.«Tuessérieuse?

-Ilfautvraimentquejem’améliore.-Bienvenueauclub.»Jenpousseunsoupir.«Maisn’oubliepasqu’ilnet’ontpasdonnéle

rôlededoublurepourrien.-Ilsonteupitié?-Tuplaisantes?Çan’arrivepas,danslemilieudeladanse.Onnefaitpasdecharité.»Elle

avanced’unpas.«S’ils t’ontchoisie,c’estparcequetuétais l’élèvelaplusprometteuse.Ets’ils tetrouventprometteuse,c’estparceque tuas réussià fairepasserdesémotionsendansant.Mêmesi,auxdernièresrépèts,onaplutôt l’impressionquechaque tour,chaquefouettéetchaquegrand jeté,c’estlafindumondepourtoi.Tun’espascenséeêtreEmiliaMorettiquandtudanses.

-Jesais.-Jet’aidéjàditquejepensequetunedansespaspourlesbonnesraisons.Maishonnêtement,

situeslà,autanttoutdonneretfairedetonmieux,non?»Ellehausselesépaulescommesiellese

faisaitcediscoursàelle-mêmetouslesjours.«Allez,viens,onvatravaillersurtachoré.-Pourquoituferaisça?-Parcequ’encemoment,j’ail’impressionquejeperdslespédales,etjemedisquederépéter

avectoi,çapeutpeut-êtrem’aider.Onnesaitjamais…Etsituracontesàquelqu’unquejet’aiditça,jenieraienbloc,maisjemedisquetupeuxpeut-êtrem’apprendrequelquestrucs.»

Jelèveunsourciletelleéclatederire.«Toutestpossible.»J’enfilemeschaussonsetjemontesurmespointes.«Ok,onyva.»Et pendant les deux heures qui suivent, on s’entraîne côte à côte, en n’échangeant presque

aucunmot,saufpoursedirecequ’onpourraitaméliorer,etcomment.On n’est peut-être pas encore meilleures amies, mais en quittant la salle de répèt, j’ai

l’impressionqu’uncertainrespectestentraindenaîtreentrenous.

CHAPITRE30-NICK

Les répétitions n’ont pas arrêté, cette semaine. Etmême si, au début, Jen avait l’air optimiste, lescritiquesd’Eduardol’ontbeaucoupaffectée.Alorsqu’Emdansedemieuxenmieux,Jenfaitdeplusenplusd’erreurs.

Maisj’ail’impressionqu’Emseforceàaimerladanse.Ellenesouritpasquandelleréussitunechoréentièresansfaired’erreur.EllenesouritpasquandSvetlana lui faitdescompliments,etellenesouritpasnonplusquandsamèrel’appellepourprendredesnouvelles.Parfois,sonregardseperddans le lointain, comme si elle était en train de se parler à elle-même.Et je sais que c’est samanièreàelled’êtreavecsaNonna,depenseràcequ’elleluidirait,deluidemanderconseil.

Je saisqueça faitaumoinsdix joursqu’ellen’apasparléà sonpère.Ellen’estmêmepasrentréechezelleleweek-enddernier.Aujourd’hui,ellerépèteaveclerestedelatroupe,pendantqueJenetmoi,onadroitàunesessionprivéeavecEduardoetSvetlana.

«Encoreunefois»,ditEduardo.Jen’aieuquedeuxcoursaveclui,etilm’atoujoursparuattentifauxélèves,maisaujourd’hui,ondiraitplutôtunmilitaireentraindedirigersessoldats.

Jenreprendsonsouffle«Ok.»Çafaitplusdedeuxheuresqu’onrépète,maiscen’estpasencoresuffisant.Onn’apasencore

atteintlaperfection.Loindelà.Onreprendencoreunefois lachoré.Jecroise leregarddeSvetlana ;ellesecouela tête,et

pince les lèvres. Eduardo et elle échangent quelques mots à voix basse. « Bon, ça suffit pouraujourd’hui, il est déjà tard.Mais je veux vous voir tous les deux dimanche après-midi. Toute lasemaine prochaine, on a les répétitions communes,mais vous n’êtes pas encore au point, tous lesdeux.»

Ilsquittent lasalle,etmêmes’ilsneclaquentpas laportederrièreeux, ilsnesautentpasdejoie.

«Il fautque tugardes lesbrasen l’airunesecondedeplus»,dis-jeàJenpour lamillièmefois.

-Non,merépond-elle.-Si.Pourquoituneveuxpasm’écouter?»Jenepeuxpasm’empêcherd’êtreunpeuagressif.«Maisqu’est-cequetuas?»medemande-t-elleens’approchantdemoi.«Tuessurlesnerfs

depuisledébutdelasemaine.Etfranchement,jecommenceàenavoirmarre.-Situécoutaiscequej’essaiedetedire,jeneseraispassurlesnerfs.-Jet’écoute.»Ellelèvelesbrasenl’air.«Maistoi,est-cequetufaisattentionàcequetudis?

Tumedisdefaireuntruc,etcinqminutesplustard,tuchangesd’avis.Svetlana…

-Cen’estpasSvetlanaquivaécrireunarticlesurlespectacledansleNewYorkTimes.-C’estvrai.Maispensequandmêmequ’ellesaitdequoielleparle.-Pourquoiilfauttoujoursquetucherchesladispute?-Ettoi,pourquoituveuxtoujoursavoirraison?JemedemandefaitEmpournepastetuer.-Onrefaittoutelascène.Unedernièrefois.-Non,répond-elle,etelleseretourne.-Pardon?-J’aiditnon!»Savoixseradoucit.«Cequejeveuxdire,c’estqu’ondevraitfaireunepause,

peut-êtremêmeallerdehorsmarchercinqminutes.-Sijeratecespectacle,monpèrevamecouperlesvivres.-J’enairaslebol»,dit-elleensoufflant.«Qu’est-cequetuveux?»Ellemedonneuncoup

decoude.«Qu’est-cequetuveuxàlafin?-Ettoi,qu’est-cequetuveux?Tudansescommesitun’ycroyaispas.Tudansescommeun

putainderobot,sansaucuneémotion!»Jeregretteimmédiatementd’avoirditça.Elleenalesoufflecoupé.Puisellesemetàsecouer

latête.«Ok,Nicholas.C’estcequetupenses,vraiment?Jedansecommeunrobotsansémotions?

Ettoitudansescommesituvoulaisfaireplaisiràtoutlemondesauftoi!-Jeteretournelecompliment.-Bravo,t’aspastrouvémieux?»Onseregardedroitdanslesyeux.Jenebaisseraipasleregardlepremier.Jenedétournerai

paslesyeux.«JecomprendsmêmepaspourquoituasintégrécetteÉcole.-Parcequejesuisdouée.Parcequeçameplaît.Parcequejesuisfaitepourça.-Oui,maisçanesertàriensitun’aspasunvraidésirdedanser»,jeréponds.Ementredans

la salle à cemomentprécis.Elle nousobserveun instant, et fronce les sourcils.Mais jeme rendscomptequec’estàmoiqu’ellefaitlesgrosyeux,etjemesensunpeudéstabilisé.Justeunpeu.

«Jesuisrentréeàl’Écoleparcequejenesavaispasquoifaired’autre.Jenesaisrienfaired’autrequedanser.C’esttoutemavie,ladanse.Jevispourladanse.C’estladansequimefaitexister.Sijenedansepas,personnenemevoit,personnenemeregarde,personnen’enarienàfairedemoi.Maiscen’estpasçaleplusimportant.Leplusimportant,c’estqueçamerendheureusededanser,etquejepeuxrendrelesautresgensheureuxendansant.Maistoi,pourquoitudanses?MisàpartpourflirteravecEm.»Elletousse.«Désolée,cen’estpascontretoi,Em.»

-Pasdesouci»,répondEm,avantdemejeterunregardfurax.Jecomprendsquej’aiététroploin.

Jelesais,Jennedevraitpasavoiràsubirmesaccèsdecolère.Elletravailledur.Ontravailletoustrèsdur.Jem’avanced’unpas.«Jesuisdésolé.C’estlestress.

-Onest tous stressés, et je saisque jedoisvraimentm’améliorer,parceque sinon ilsvontdemanderàEmdemeremplacer,etceseraitlepirejourdemavie.»Elletousseànouveau.«Encoreunefois,cen’estpascontretoi,Em.

-Pasdesouci.Jesaisquetuasdumalàexprimertessentiments.»Emfaitunpetitgestedelamaincommepourdirequecen’estpasgrave.

«Pourquoitunefaispasunepause?»dis-jeàJen.Elleacquiesce,etjeremarquequ’undesespiedssaignetellementqu’ilyadusangsurleplancher.«Çava?

-Çava.Mesorteilsmefontmal,maiscen’estriendegrave.»Ensortantdelasalle,ellemelance:«Onsevoitdemainmatinàlapremièreheure.

-Demainc’estsamedi!-Tuasditquetuavaisbesoinderépéter,ettuasraison.Et,Em?Tun’oubliespasnotrerègle

numéroun.-T’inquiète,jen’oubliepas.Àtoutàl’heure,Jen.»Jensortenboitillant,etrefermelaportederrièreelle.Emseretourneversmoi,lesmainssur

leshanches.«Ilvafalloirquetutecalmes.-Jesuissurlesnerfs.-Cen’estpasuneexcuse,onesttoussurlesnerfs.Tun’aspasàparleràJencommeça.-Jen’auraisjamaiscruquetuprendraisunjoursadéfense.- Je sais, dit-elle en poussant un soupir. On a un peu parlé, toutes les deux. Elle n’est pas

entièrementmauvaise.»Jem’approched’Emetjel’embrasse.ElleporteunjeanetunT-shirtcolenVquilaissevoir

lesbretellesdesonsoutien-gorge.Ilestnoir,ettoutd’uncoup,jen’enaiplusgrandchoseàfairedeJen.J’embrasseEmunpeuplusfort,jel’embrassejusqu’àcequejelasentefondredansmesbras.«Viens,onsort»,jem’écriebrusquement.Elleal’airsurprise.

«Tuveuxalleroù?-Chezmoi,pourjouerauxjeuxvidéo,ouàCentralPark,oupeut-êtrequ’onpourraitallerau

cinémaouquelquechosecommeça.- Tu n’es pas censé faire quelque chose avec Rob ce soir ? me demande-t-elle en

m’embrassantdanslecou.-Si,tuasraison.Maisjesuiscertainqueçaneledérangerapasquetuviennesavecnous.-Tuassansdouteraison,maisj’aipromisàmamanderentrerdîneràlamaison.-Jeteproposeraisbiendet’accompagnermaisj’imaginequelaréponseestnon.- Disons que c’est mon premier dîner à la maison depuis l’enterrement de Nonna, et la

premièrefoisquejerevoismonpère.»Jel’embrasseànouveau.«Tunousappelles,moiouRob,situasbesoindequoiquecesoit,

promis?- Promis », répond-elle. Je prends sa main dans la mienne, et on sort de la salle. J’ai

l’impressionqu’ensemble,onestplusfort.

CHAPITRE31–EM

À chaque fois qu’on se dit au revoir, avec Nick, ça prend des heures. Ça neme dérange pas, aucontraire–cesontdesheuresdebonheur,etjevoudraisqueçanes’arrêtejamais.Maisjenepeuxpasmepermettred’arriverenretardchezmesparents.Jeremontedansmachambreaupensionnat.Jenacommencéàdécorersoncoin,commesiellecommençaitàsesentirunpeupluschezelle,maisellen’atoujourspasaffichéuneseulephoto.Elleamisquelquespetitscoussinsqu’elleavaitramenésdesonanciennechambre.Etelleaaccrochédeuxpostersaumur:undeParislanuit,etunautresurlequel on peut voir les pieds d’une danseuse chaussés de pointes et en train de saigner. Ça paraîtapproprié, vu ce qui lui est arrivé aujourd’hui.On échange quelquesmots surNatalya.Aucune denousdeuxn’aréussiàluiparler.

Je sais qu’elle a vu les messages que je lui ai envoyés sur Facebook, mais elle n’a pasrépondu.

J’aijustebesoindeprendremonsac,etjem’envaisdel’École.Mamanvientdem’envoyerànouveauuntextopourmerappelerledînerdecesoir.Commesijerevenaisàlamaisonaprèsdesannéesd’absence.Commesiçafaisaitdesannéesqu’onnes’étaitpasvus.Commesionétaitdevenusdesétrangers.

Jenestquelqu’undetrèssoigné,iln’yajamaisrienquitraînedanslachambre,etjeremarquetoutdesuitel’enveloppequiestposéesurmonbureau.

NotaBene:Nepassefairetropd’illusions.Çapourraitêtreunelettred’unedemesgrand-tantesquihabitentdanslesud,oujusteunepub

ouunprospectus.C’estpeut-êtrepourJen.C’estpeut-êtreriendutout.Maisçapourraitaussiêtrelalettrelaplusimportantedemavie.

Je prends doucement la lettre sur le bureau. Je ne reconnais pas l’écriture. J’ai lamain quitrembleenl’ouvrant.

ChèreEmilia,Jesuisdésoléedenepast’avoirréponduplustôt.Etjesuisvraimentdésoléed’avoiraussimal

réagienaoût.J’aibienreçutesdeuxlettresetjenetrouvequemaintenantlecouragedeterépondre.Je veux seulement que tu saches que ça n’a pas été une décision facile de te donner en

adoption,etquelasituationétaitcompliquée.Nouspourrionspeut-êtrecontinuerànousécriredeslettres.Jenesuispascenséeparleravec

toi,niterendrevisite,niavoiraucuneautreformedecontact.Maissachequej’étaislàl’andernierpourtonspectacledefind’année,etquejeseraiànouveaulàcetteannée.J’aisuivitouttonparcours

de loin, etmême c’est douloureux pourmoi de te voir et de savoir que tu doisme détester, çameremplitdejoiedesavoirquetuesheureuse.Vraiment.

Jetesouhaitetoutcequ’ilyademeilleur,Encoreunefois,désolée,Claire.Jeserrelalettredansmamain;j’ail’impressiondeneplusrespirer.Elleaécritsonnuméro

detéléphoneaubasdelalettre.Est-ceque jedevrais l’appeler?Ouest-cequ’ilvautmieuxque j’attende?Qu’est-ceque je

vaisluidire?Lasonneriedemontéléphonemetiredemespensées.Jeréponds.«Salutmaman.-Tuesenchemin?Jevoulaisjustetedirequejet’avaispréparéunfondantauchocolat.»Elle

hésiteuninstant,puisajoute:«Enfin,jenel’aipasfaitmoi-même,jel’aiacheté.Maislevendeurm’aditquec’était lemeilleurdetoutBrooklyn.Enfin,peut-êtrequetunepeuxpasmangerdegâteauàcausedetesrépétitions,jecomprendraistrèsbien.

-Ilmetardedegoûteràcefondant,maman.-Alors,tuarrivesbientôt?-Oui,biensûr.Jepars.- D’accord,mon cœur. » Elle a l’air soulagée. Je range soigneusement la lettre dansmon

portefeuille,etjesorsdelachambre.Jen’aijamaiseuaussipeuenvied’allerdînerchezmesparents.

J’entredanslamaison,jefaisuncâlinàmaman,etons’assoit.Mamanamistroisassiettes,maispapan’estpaslà.

Ilyauneodeurdebrûlédanslesalon.Mamann’ajamaisététrèsdouéepourlacuisine,etelleatoujoursditqu’elleétaitraviequeNonnaaitunrestaurant.Elleadegroscernessouslesyeux,etavecsarobenoire,elleal’airencorepluspâlequed’habitude.

«Tonpèreestautravail»,dit-elle.Mais jesaisqu’ellen’ycroitpas.Jemerappelle,quandnousavionscinqousixans,Robertoetmoiavionsbouchélestoilettesavecdespapiersdebonbons,eton luisoutenaitquecen’étaitpasnous.Aujourd’hui,enparlantdemonpère,ellea lemêmeairincrédulequecejour-là.

«Iltravaillebeaucoup.-Ilpassebeaucoupdetempsdehors.Jecroisquec’estsamanièreàluidefairesondeuil.»

Elles’installeàtableetmepasselepainauxfinesherbes.«Commenttesens-tu?-Çava.JepassebeaucoupdetempsavecNick,etJenn’estpassihorrible,enfait.-Super.Çame faitplaisirde savoirque tuesbienentourée.»Mamans’éclaircit lavoixet

regardelachaisevidedepapa.Jeme sens tellement coupable de ne pas être venue la voir la semaine dernière. « Je peux

passertefaireuncoucoumardi,situveux.J’aiunpeuplusdetempslemardi.-Jesaisquetuesdébordée,machérie.Net’inquiètepas,jevaistrèsbien.Vraiment.TaNonna

memanque,c’esttout.C’étaitunepersonnemerveilleuseetadmirable.»Mamansemordlalèvre.Sespropresparentssontmortsilyatrèslongtemps,etelleatoujoursditàNonnaqu’elleétaitheureused’avoirtrouvéunesecondefamille.

«Alors,dis-moi,est-cequetuvasrouvrirlerestaurantouquoi?- Je ne sais pas encore. Je n’ai encore rien décidé. » Elle essaie de sourire. « Enfin bref.

Raconte-moicequetufaisàl’École,commenttutepréparespourlespectacle.Jesuistellementfièredetoi,tuastravaillésidur.

-Cen’estvraimentpasfacile,etjenecroisquevousn’allezpasbeaucoupmevoirpendantlespectaclecetteannée.Jecomprendraisquevousneveniezpas.

-Tuplaisantes ?Bien sûrqu’onviendra. »Ellem’observeun instant. «Tu saisque je suisfièredetoi,hein?

-Mmmhmm.-Cen’estpasuneréponse,ce“hmm”.Onestfiersdetoi.Parcequetuastravaillétrèsdur,

maisaussiparcequetuesentraindedevenirunepersonnemerveilleuse.Tuesàl’écoutedesautres,ettuessaiestoujoursdefairedetonmieux.

-Maisjenesuisjamaislameilleure.-Maissi.Tueslameilleure.Tuaurastoujourslapremièreplacedanslecœurdesgens,ettu

devrais essayer de te voir comme les autres te voient. » Elle prend une bouchée de son gratin demacaronistoutbrûlé,etellefaitunegrimace.«Beurk,c’estvraimentdégoûtant.Jepeuxcommanderunepizzasituveux.

-Maisnon,jesuissûrequecen’estpassimauvaisqueça.»Jeluisouris,etcettefois-ci,c’estplusfacile.Mamanm’aimetellement.Elleestfièredemoi.Etjedevraisessayerd’êtrefièredemoiaussi.Mêmesijenesuispaslameilleureentout.

CHAPITRE32–NICK

Robarrivechezmesparentsavecdixminutesderetard.Çanemedérangepas–moi,j’aitoujoursaumoinsunquartd’heurederetard.Maisd’habitude,Robest toujoursenavance.C’estd’ailleursunedes seules choses qui le dérangent chez Giovanni. Giovanni est absolument incapable d’arriver àl’heure.

« Salut », dit Rob. Il n’a vraiment pas l’air en forme. Il est tout blanc, il a les cheveux enbataille,etilmarchecommes’ilavaitmalpartout.

-Çava?Tun’aspasl’airbien.-Non,non,çava.» Il frissonne.« Je traîneencorecetespècedegros rhume.» Il s’appuie

contrelemur.«Jedélireoutoutestentraindebougerautourdemoi?»Il glisse contre le mur, comme s’il allait s’évanouir, et je sens mon cœur s’accélérer. Je

m’accroupisàsescôtés.«Rob,qu’est-cequisepasse?»Ilnerépondpas.Jemerelève.«Maman?»jecried’unevoixstridente.Monpèresortlatêtedesonbureauquidonnesurl’entrée.

«ElleestalléevoirMeaghan.Qu’est-cequisepasse?»Génial.Rob est en train de tomber dans les pommes, etmaman est partie chez une copine.

Qu’est-cequemonpèrevafaire?MedirequeRobn’arienàfaireici?«Qu’est-ce queRob fait ici ? » demande-t-il. Il a l’air plus surpris qu’en colère. Peut-être

parcequeRobestallongéparterre.«Jecroisqu’ilnesesentpastrèsbien.- Non, non, ça va » dit Rob, mais aussitôt une quinte de toux le prend, et il ne peut plus

s’arrêter.Papas’approcheimmédiatement.Onestunvendredisoir,etilestentraindetravailler.Maisil

n’apasratéunseulrendez-vouschezleDrGrahams,doncj’imaginequelathérapiemarchequandmêmeunpeu.

«Tun’aspas l’airbiendu tout.»Monpèreposesamainsur le frontdeRob,et je levoisfroncerencorepluslessourcils.

Rob ne tient pas debout, et des gouttes de sueur perlent sur son visage. Il a les mains quitremblent.

Papasetourneversmoi.«Appellelessecours.Toutdesuite.JevaisappelerleDr.Wickspourqu’ilnousretrouveimmédiatementàl’hôpital.

- Je peux pas. J’ai pas…pas d’assurance. »Rob arrive à peine à parler, et son état sembleempirerd’uneminuteàl’autre.

Mon cœur bat à tout rompre, je sens le stressm’envahir. J’appelle les secours pendant que

monpèresoutientRobetluiparledesescours,deGiovanni,d’Emilia.Robnerépondpas.Ilhochelatêtedetempsentemps,maissonregardestperdudanslevague.

«Urgencesmédicales,jevousécoute.-Monamiestmalade,eteuh…ondiraitqu’ilestentraindes’évanouir.»Papamefaitsigne

de lui passer le téléphone, et pour une fois, je suis content qu’il veuille toujours tout prendre encharge.Jeluidonneletéléphone.Etjem’assoisàcôtédeRob.Jenel’aijamaisvuaussimal,jen’aijamaisvuquelqu’undansuntelétat.«Net’inquiètepas,çavaaller»,jeluimurmure.Maisaufonddemoi,j’entendsunepetitevoixmesusurrer:etsic’étaitgrave?J’essaiedelafairetaire,maisçanefaitquelarenforcer,alorsjemeconcentresurcequemonpèreestentraindedire.

«C’estunjeunehommededix-huitans.Ilsembleraitqu’ilaitétémaladecesdernierstemps,etilestentraindeperdreconnaissance.Iladumalàrespirer.»

Papa jette un œil vers moi et pose sa main sur mon épaule un instant, comme pour merassurer. Jesenssoudain la terreurmonterenmoi.Qu’est-cequ’il raconte?Robn’apasdemalàrespirer.

«Rob?»dis-je.MaisRobnemerépondpas.«Allez,Rob,nejouepasaucon.»Papa secoue la tête, et me dit doucement : « Ça va aller, ne t’inquiète pas. Les secours

arrivent.»Puisilreprendletéléphone.«Jenesaispass’ilaprisquelquechose.»Ildonnenotreadresse

à l’opérateur, et hoche la tête en écoutant les instructions qu’on lui donne. «Très, bien, on attend.Oui.»

Quelques secondes plus tard seulement, on entend la sirène de l’ambulance, et la ported’entrées’ouvre.L’équipemédicaleentredanslamaisonetprendlasituationenmain.Ilsmettentunmasque à oxygène sur le visage de Rob. « Est-ce qu’il va s’en sortir ? Dites-moi qu’il va s’ensortir?»

«Voulez-vousl’accompagneràl’hôpital?»demandeunefemmeàmonpère,etmonpèrefaitsignequeoui,enmeprenantparlebras.

«Nousvenonstouslesdeux.»Sonportableprofessionnelsemetàsonner,etpourlapremièrefoisdepuisdesannées,ilne

décrochepas.Aulieudeça,ilprendsoniPhonepersonnel.«Salut.OnseraàHospitalNorthdansenviron

deuxminutes.IlssontentraindemettreRobsousrespirateur,etilsdisentquesoncorpsestenétatdechoc.Jenesaispasdutoutcequ’ila,nicequiestentraindesepasser.Oui, l’équipeest là,onvarentrerdansl’ambulance.Merci,David.»

JemetourneversRob.Ilalesyeuxfermés.Ilestentourédemédecinsetd’infirmiers,ilaunmasque sur le visage, et des perfusionsdans chaquebras.On aurait dûprendreunhélicoptère, onauraitdûfairequelquechose,réagirplustôt.

«Çavaaller,Rob»,jemurmure.Monpèreposeànouveausamainsurmonépaule.-Ilestentredebonnesmains.»JenepeuxdétachermonregardduvisagedeRob,quiestdevenugriscommelacendre.Les

machinessemettentàbipperdeplusenplusfort.«Ilnevapasmourir,hein?»jedemandeàmonpèresansleregarder.«Ilsfonttoutcequ’ilpeuventpourlesauver.Robestjeune.»Monpèreaprisuntondétaché

etfactuel,letonqu’ilemploied’habitudepourévaluerunesituationentouteobjectivité,maissamainesttoujourssurmonépaule,etillaserrefort.«Ilvontfairetoutcequ’ilpeuvent»,répète-t-il.

Mespoingsseserrent.Iln’apasréponduàmaquestion.Robnepeutpasmourir.Ilnepeutpasmourir.

CHAPITRE33–EM

Aprèsledîneravecmaman,jerentreaupensionnat.JesuispresquesurprisedenepasytrouverNicketRobentraindem’attendrepourmeproposerdemejoindreàeux,commeilslefaisaientsouventl’an dernier. Il n’y a personne. Jen n’est pas là non plus. Je prends la lettre de Claire dans monportefeuille, et je la relis. Encore une fois. Peut-être que je devrais l’appeler.Mais pas avant d’enavoirparléavecpapaetmaman.Jen’aipaspulefairecesoir.Mamanesttropfragileencemoment,etpapaesttropabsent.

Montéléphonesonne,etjesourisenvoyantlenumérodeNicks’affichersurl’écran.«Jetemanquedéjà?dis-jeenplaisantant.

-Ilfautquetuviennesàl’hôpital.Tesparentssontenchemin.Monpèrelesaappelés.-Qu’est-cequeturacontes?-C’estRob.»Je ne comprends pas.Mon cerveau refuse de comprendre. Rob va très bien. «Rob va très

bien»,jerépèteàvoixhaute.«Vousêtesentraindejouerauxjeuxvidéoensemble.Ilvatrèsbien.-Quandilestarrivéàlamaison,ils’esteffondré,ilaperduconnaissance.Lesmédecinsont

ditqu’ilavaitfaitunarrêtrespiratoire.-OhmonDieu!Vousêtesoù?dis-jed’unevoixstridente.- À North Hospital », me répond Nick. Je me dépêche de sortir de ma chambre, tout en

continuantàparleraveclui.«Monpèret’aenvoyésonchauffeur.Ilt’attenddevantl’École.-Commentvontfairemesparentspourvenirjusquelà-bas?-Illeuraenvoyéuneautrevoiture.-Ok.Ok.»J’aperçoislaberlinenoiredupèredeNick,cellequiétaitvenuenouschercherle

soirduquatrejuillet.Lechauffeurvientm’ouvrirlaportière.Ilnesouritpas.Est-cequ’ilsaitcequis’est passé ? Ou est-ce que c’est juste son expression habituelle ? Je voudrais déjà être arrivée àl’hôpital…

«Em?»meditNickd’un tonunpeu insistant, commes’il essayaitd’attirermonattentiondepuisunmoment.«Tuestoujourslà?

-Jesuisdanslavoiture.Quedisentlesdocteurs?Qu’est-cequis’estpassé?»Jevoisbienquejesuisentraindepaniquer,mais jen’arrivepasàmecontrôler.JenepeuxpasperdreRob.OnnepeutpasperdreRob.Ilvaallerbien.Ilvainventerdestraitementspourdesmaladiesincurables,ilvasemarieretadopterunoudeuxenfants.C’estcequ’ilveutavoiraccomplipoursestrenteans.C’estson«plandécennal»,commeill’appelle.Ilvaallermieux.

«Monpèreestentraindeparleravecunamiàluiquiestmédecin,maisjen’ensaispaspluspourlemoment.

-Neraccrochepas,s’ilteplait.-Non,non,net’inquiètepas,jesuislà.»Etilresteautéléphoneavecmoijusqu’àcequele

chauffeurmedéposedevantl’hôpital.

Quandjesorsdelavoiture,moncœurbatàcentàl’heure,etj’aidumalàrespirer.Nickestdevantl’entrée,etjetombedanssesbras.«Oùest-il?Quedisentlesmédecins?-Ilestensoinsintensifs»merépondNick.Ilparletropvite.Ilmeserreunpeuplusfortdans

sesbras,commepourserassurer.«Ilestvenuàlamaisonpourjouerauxjeuxvidéocesoir,maisilétaittellementmaladequ’onl’aemmenéici.

-Ilfautquejelevoie»,jemurmure.«Ilfautquejelevoie.»Nicks’écarteunpeu,maisilmeprendparlamain,etnousnousdépêchonsd’entrerdansl’hôpital.

Il m’explique que les médecins ne laissent personne le voir. Mes parents sont en chemin.Brooklynestunpeuplusloin,c’estpourçaqueçaleurprendunpeuplusdetemps.L’hôpitalestpleindemonde.Quandonpassede lapremièresalled’attenteà laseconde, je remarqueplusde larmes,plus d’anxiété ; et à la manière dont les gens se serrent dans les bras et courbent le dos sur lesinconfortableschaisesgrises,onsentimmédiatementleurdésarroi.

LepèredeNickestentraindeparleràungrandhommemaigreenblouseblanche.Ilsepasselamainsurlanuque.C’estlemêmegestequesonfils.EtcommechezNick,çaveutdirequequelquechosenevapas.

Moncœurseserreunpeuplusencore,etmesmainsdeviennentmoites.«Qu’est-cequisepasse?»Jem’approchedupèredeNick,etilseretourneversmoi.Ilouvre

labouche,maispasunmotne sort. Jene l’ai jamaisvu aussi abasourdi. Il pose samain surmonépaule,etmeprenddanssesbras.J’ail’impressionquequelquechosed’irréversibleestentraindesepasser.

Unsentimentdepaniquem’envahit.Unepaniqueincontrôlableetdévastatrice.«Qu’est-cequisepasse?»jedemandeàvoixbasse.

«Nousdevonsattendretesparents»,merépond-il,toutenrelâchantdoucementsonétreinte.Ilgardeunemainsurmonépaule,commepourmerassurer.«JeteprésenteleDr.Wicks.C’estuntrèsbonamiàmoi.Ilconnaîtaussitonpère.Tonfrèreestentredebonnesmains,crois-moi.

-Jeveuxlevoir.-Jesuisdésolé,tunepeuxpasencorelevoir.Etencoreunefois,ilfautquetuattendesquetes

parentsarrivent.-Maisjesuissasœur!»Jeregardemespieds,puisjeregardeànouveaulemédecin.Etje

répète,presqueàvoixbasse:«Jesuissasœur».Etsoudain,c’estcommeunerévélation.Jeprendsconsciencede ceque cesmots veulent dire : je suis sa sœur.Et riennepourra jamais changer ça.J’espèrequeRoblesait,j’espèrequej’aiétéassezclaire,etqu’ilnepensepasqu’iln’estpasassezbien.

LepèredeNickmeditd’unevoixtrèsposée–unevoixquiseveutrassurante:«Tudevraist’asseoiravecNickenattendantquetesparentsarrivent.»

Jen’aiaucuneenviedem’asseoir.Maissoudain,onentendunbruitdel’autrecôtédelapièce,uneéquipemédicalepousselesportesbattantesets’engouffredansl’unitédesoinsintensifsavecunblessé.LeDr.Wicksfroncelessourcils.«Jedoisyaller.Maisjerevienstoutàl’heure.Jeteprometsquejevaisfairetoutmonpossiblepourtonfrère.»Etilsedépêchederejoindrelessallesd’urgence.

Le père de Nick enlève sa main de mon épaule, mais il se penche vers moi. Il est grand,commeNick,etilalesmêmesyeuxbleuocéanquelui.Saufquelessienssontpleinsd’orages.«Jetepromets,Emilia. Jevais tout fairepourqueRoberto reçoive lesmeilleurs soinspossibles. Je te lepromets.

-Etpourquoivousferiezça?»jeluidemanded’untonunpeusceptique.Jen’aipasenviedepasserpouruneingrate,maisonnepeutpasdirequelepèredeNickaitététrèssympathiqueavecnouscesderniersmois.«Jenesupporteraispasdeleperdre,luiaussi»dis-jed’unepetitevoix.Jenesuismêmepassûrequ’ilaitentendulafindemaphrase.

«Jesais.»Ilsepasselamainsurlanuqueunenouvellefois.«Jesuisdésoléesijet’ai…sinous…si tu t’es retrouvéeprise aumilieude nos histoires. Je sais que ce n’est pas ta faute.C’estseulementque…lesparentsveulenttoujourscequ’ilyademieuxpourleursenfants.»

Etjenesuispascequ’ilyademieuxpoursonfils.Jemedétourne.Jen’enpeuxplus.C’esttropàlafois–c’esttropdur,tropdouloureux,trop

effrayant.Jesensleslarmescoulersurmonvisage.J’aimeraistellementpouvoirlesretenir,lesgarder

toutaufonddemoi,maisjen’yarrivepas.Toutdevientflou,jen’entendspluscequeditlepèredeNick,nipersonned’autre.Jeveuxmonfrère.Jeveuxmagrand-mère.Jeveuxpouvoirleurparler,jeveuxquemonfrère

pousselaportedecettesalled’attenteetmedisequec’étaitjusteunemauvaiseblague,quetoutvatrèsbien.JevoudraisqueNonnavienneàl’hôpitallesbraschargésdebonspetitsplats,parcequec’estcequ’elleauraitfait.Elledisaittoujoursquelesbonspetitsplatsarrangenttout.

«Emilia…»m’appellelepèredeNick,pourladeuxièmeoutroisièmefois.«Jesuisdésolé.Pourtout.»

CHAPITRE34-NICK

Letéléphonedemonpèresonneetcettefois-ci,ilfautqu’ilréponde.Ilmepressel’épaulepuissortdelapièce.

Jeprendslamaind’Emdanslamienne.Elleesttoutefroide.Emnemeregardepas.Elleestentraindepleurer,etj’aienviedehurler.Jevoudraisquelemondes’arrêteetqu’onpuisserevenirenarrière, revenir jusqu’au jour où on a remarqué pour la première fois que Rob était malade. Jevoudraispouvoirl’emmenerchezledocteuràcemoment-là.Jevoudraisqu’ilaillemieux

Robestmonmeilleurami.Emserremamain,etjeserrelasienneàmontour.Je ravalemes larmes. Jeme sens tellement perdu, tellement impuissant – tellement jeune et

tellementvieuxàlafois.

CHAPITRE35-EM

«Oùest-il?»Mamanditmamanenseprécipitantdanslasalled’attente,lescheveuxenbataille,unairhagardsurlevisage.«Oùest-il?»répète-t-elle.Elleportetoujourslarobenoirequ’elleavaitaudîner,maiselleestmaintenanttoutefroissée.

Monpèreestjustederrièreelle.Ilparcourtduregardlasalled’attente,etilaperçoitNick.«Qu’est-cequetuluiasfait?»hurle-t-il.Toutlemondeseretourne.Unedamequipleuraiten

silencesurunedeschaisess’arrêtenet,etlèvelesyeuxversmonpère.«Dino»,ditmaman,maisilestpartidanssondélire,riennepeutplusl’arrêter.Ils’avanceversNickd’unpasmenaçant.«Oùestmonfils?»Nickselèveetposedoucementunemainsurlebrasdemonpère,cequinefaitquel’enrager

encoreplus.«Nemetouchepas.Tusalistoutcequetutouches.Commetonpère»hurle-t-il.Ilserreles

poings.Jemelèvepourm’interposer,maismamanmeretient.«Dino,laisseNicktranquille»,dit-elleànouveau.Deuxinfirmièress’approchent,unairde

désapprobationsurlevisage.Nickouvre la bouche comme s’il voulait dire quelque chose,mais il croisemon regard et

s’éloigne.Ils’éloignedemonpère,detoutecettesituation,detoutcedrame.« Écoute-moi quand je te parle.Ne sois pas un couard. Ton pèrem’a tout pris. Tout !Ma

carrière,mavie.Tout!Jenetelaisseraipasprendreaussimafilleetmonfils!»Quiestcethomme?Quiestcethommequiboutdecolère,quin’enarienàfairedefairedu

malauxgens?« Je vais vous demander de sortir,monsieur », lui dit une des infirmières.C’est une petite

damenoiretoutemenue,maisvuleregardqu’ellelanceàmonpère,elleneplaisantepas.«Jenevaispasvouslaisserdérangerlesgensquiattendentici,nilespatients.Sivouscherchezlabagarre,vousallezdehors.»

Lacolèredemonpèresedégonfleaussitôt,et ilse laisse tomberunechaise, ledoscourbé.«Commentvamonfils?Jeveuxvoirmonfils.»

Maman passe son bras autour demes épaules, et nous nous approchons demon père. Elles’assoitàcôtédeluisansdireunmot.

L’infirmièreposeunemainpleinedecompassionsursonépaule.«Ledocteurvavenirvousvoirtoutdesuite.»

Mamanaleslèvresquitremblent,maisellegardelatêtehaute,etacquiesce.Commesiellene

pouvaitpassepermettredecraqueraprèscequevientdefairemonpère.JevaisvoirNicket je leprendsdansmesbras.«Peut-êtrequ’ilvaudraitmieuxque tu t’en

ailles», jeluidis.Mêmesij’aibesoindelui.Mêmes’ilmedonnedelaforce.Mêmesi j’aimoinspeurquandilestàmescôtés.«Jen’aipasenviequemonpèrepassesesnerfssurtoi.Jeneveuxpasquetuaiesàsubirça,etjesaisquecen’estpascequeRobvoudrait.Jeneveuxpasquemonpèredisequelquechosequ’ilvaregretter,quelquechosequ’ilnepourrapasretirer.

-Tum’appelles dès que tu sais quelque chose, d’accord ? »murmure-t-il enm’embrassantdanslescheveux.Jehochelatête,etilresserresonétreinte.«Robestunbattant.Ilvas’ensortir.»

Etjenesaispass’ilditçapourmerassureroupourserassurerlui-même.

CHAPITRE36-NICK

Jenemesuisjamaissentieaussiimpuissantdemavieentière.J’aipeur,jesuisencolère,j’aienviededonnerdescoupsdepoingsàquelqu’un.

Je pourrais rentrer à la maison. Je pourrais essayer de parler à nouveau à mon père. Jepourraisleremercierd’avoirprissoindeRob,d’avoirfaittoutcequ’ilpouvaitpourqu’ilreçoivelesmeilleurssoinspossibles.

Maisjenemesenspascapabledefairecequetoutlemondeattenddemoi.Pastoutdesuiteentoutcas.

Sansquejem’enrendecompte,mespasm’ontramenéjusqu’àl’ÉcoledesArtsdelaScène.Etjemonte directement à la salle de répétition du second étage. J’entends de lamusique derrière laporte. Jen est en train de répéter. Elle refait le même mouvement encore et encore. Mais avectellementdepassionetdedévouement.

Jerestedansl’embrasuredelaporte,àlaregarder,jusqu’àcequelamusiques’arrête.Ellesetourneversmoi,elleestàboutdesouffle.«Jenepensaispasquequelqu’unpuisseêtreaussifouquemoi. Il est presque onze heures, un vendredi soir – tu n’es pas plutôt censé être avec ta petitecopine?»Elleal’airvraimentcurieusedesavoirpourquoijesuislà.

«Àuneépoque,jerépétaistouslessoirs,moiaussi.-Jesais.Maisça,c’étaitparcequetuavaisbesoindeprouverquelquechoseàquelqu’un.Moi,

je n’ai rien à prouver à personne, sauf àmoi-même. »Elle hausse les épaules. «La seule quimecomprenait, c’était Natalya. On n’a jamais beaucoup parlé, mais je savais exactement ce qu’elleressentait.

-Ladanse,c’estmavie.-Oui,maiscen’estpas ta seuleetunique raisondevivre,de respirer,de te lever lematin.

C’esttapassion.Jelevois,jevoisàquelpointtuaimesdanser,etjesaisquetuvasavoirunecarrièrebrillante,maisceneserapaspluspourtoi.»

J’aimeraisprotester,maisjesaisqu’ellearaison.C’estmapassion.Jel’aidanslesang.C’estunegrandepartiedemavie,maiscen’estpaslaseule.

Jenseglissehorsdelasalle.«Laplaceestlibre.»J’attrapemoniPod,etjemetsunmorceautrèsrécent,plusmoderne.J’enlèvemeschaussures

etmonsweat,etjemelaisseentraînerparlamusique.Jedanse.

Jedansependantdesheures,jusqu’àcequemonespritentiersefondedanslamusique,dansl’histoire,danslesémotions.Jusqu’àcequejesoisentièrementabsorbéparladanse.

Maisdèsquelamusiques’arrête,etquel’illusionsebrise,laréalitémeheurtedepleinfouet.Robestàl’hôpital.Jem’essuielefrontetjeprendsunegrandeinspiration.

Jemeprécipitesurmontéléphone.Emnem’apasappelé,maisellem’aenvoyéuntexto.LeDr.WicksnousaditqueRobavaitfaituneappendiciteaiguë.Jeluiréponds:Jepenseàtoi.Appelle-moidèsquetuensaisplus.Jeprendsunedoucherapideetjeregardeànouveaumontéléphone.Toujoursrien.J’aienvie

del’appeler,maisjesaisquelesportablessontinterditsdanslasalled’attentedel’hôpital.J’écris un texto àmon père. Jeme rends compte que le dernier texto que je lui ai envoyé

remonteàsonanniversaire,ilyacinqmois.Ilnem’avaitjamaisrépondu.Jen’arrivepasàjoindreEm.TuasdesnouvellesdeRob?

Ilmerépond immédiatement.« Ilssonten traind’essayerde lestabiliser,etensuite ilsvontdevoirl’opérer.Ilafaitunepéritonite.Jesuisdanslacafétériaaveclepèred’Em.»Pourquoiest-cequ’ilssontdenouveauensemble?C’estdrôle,parcequ’ilsrefusenttouslesdeuxqu’onsefréquentemais ils sont toujours fourrésensemble–presqueplusqu’à l’époqueoù ils travaillaientensemble.Montéléphonevibreànouveau.Emestavecsamère,ellessonttoujoursdanslasalled’attente.Jetetiensaucourant.

Jenepeuxrienfairedeplus.Saufattendre.

CHAPITRE37-EM

Chaqueminutemeparaîtuneéternité.Commelesheuresavantuneaudition.Letempspassebeaucouptroplentement.LedocteurnousaexpliquéqueRobertoavaitfaitunesepticémiedueàunerupturedel’appendice.Justeaprèsça,papaestalléà lacafétériaavec lepèredeNick,et ilsysont restésunedemi-heure.Quandilssontrevenus,lepèredeNickavaitl’airencorepluspréoccupé,etpapaencoreplusrenfrogné.

Papaetmamann’ontpaséchangéunmotdepuisquepapaahurlésurNick,maisilssesontpris dans les bras quand le docteur est venu leur parler. Il a dit qu’il viendrait nous donner desnouvellesleplussouventpossible.

Jemetortilleunpeusurmachaise,etjeregardelepanneauquiindiquelestoilettes,maisjenebougepas.Aulieudeça,jememetsàobserverlesgensquisontavecnousdanslasalled’attente.

Depuisqu’onestlà,ilyenaquisontpartis,etd’autresquisontarrivés.Ladamequiétaitentraindepleurerestpartieaveclesourire,maisd’autresgensquiétaientsouriantssontmaintenantenpleurs.

Jenesaispastropquepenser,etjen’osepasespérer.J’aipeurqueçaluiportemalheur.J’aipeurdedemanderunefaveuràundieuenqui jenesuismêmepassûredecroire.J’aipeurque ledocteurrevienne,etj’aipeurqu’ilnereviennepas.

Lesinfirmièressontderrièrelebureaud’accueil,ellesdiscutentdeleursenfants.Cellequiestintervenuequandmonpèreapétélesplombsracontequesonpetitgarçonvadormirchezsamèrecesoir.Toutenpapotant,ellescontinuentàaccueillir lesnouveauxarrivantsetà regarderde tempsàautrecequisepassederrièrelesportesdel’unitédesoinsintensifs.Jemedemandecommentellesfont.Toutelajournée,ellesprennentsoindeleurspatientsauxurgences,ellesvoientdéfilertoutelatristesseet lemalheurdesfamilles,desamisetdesprochesetellescontinuentmalgréçaàprendresoindesautresquandellesrentrentchezelles.

«Jevaisdemanderoùilsensont»,finitpardiremaman.Elleselèved’unbond,relèvesescheveuxenqueuedechevalet sans jeterun regardàmonpère, elle sedirigevers les infirmières.«Lemédecinnousaditqu’ilallait revenirnousdonnerdesnouvelles.Maisça faitdéjàuneheurequ’ilnousaditça.Est-cequevoussavezsinotrefilsesttoujoursaubloc?

- Je vais me renseigner, lui répond une infirmière prénomméeMandy, si l’on en croit sablouse.

-Merci,vraimentmerci.»Elledécrochesontéléphone,etaprèsquelque«oui,docteur»entrecoupésdehochementsde

tête,sonvisageseferme.«LeDr.Wicksestvraimentdésolédevousavoirlaisséssilongtempssans

nouvelles.Vousvoulezbienveniravecmoi,vousetvotrefamille?»Mamanmeprendparlamainetfaitsigneàpapadeselever.«Oui,biensûr.»L’infirmièreouvrelesportesavecsonbadge,etonlasuitjusqu’àunepetitepièce.Ilyades

patientsallongésdansdeslitsetilyauneporteaufondducouloirquidoitêtrel’entréedubloc.LeDr.Wicksarrivequelquessecondesaprès.Ilal’airplusinquietqueladernièrefoisqu’on

l’avu,moinssûrdelui.«M.etMmeMoretti,comme jevous l’aidit,Robertoa faitunesepticémie.Sivosamisne

l’avaientpasamenéauxurgences,iln’auraitpassurvécu.»Mamanalesoufflecoupé,etpapaestobligédes’appuyercontrelemur.LeDrWicksseracle

lagorge,etjesensl’angoissem’envahir–jesensquenousn’avonspasentendulafindel’histoire.«Ilaunetrèsgraveinfection,lesbactériesonttouchésespoumonsmaisaussisesreins.On

est en train de faire tout notre possible pour les sauver,mais il est possible qu’il ait besoin d’unegreffederein.

Papaserelèvesursachaise.«Onpeutseproposercommedonneurs,n’est-cepas?Entantqueparents,onpeut,n’est-cepas?

-Siceladevenaitnécessaire,oui,vousseriezdesdonneurspotentiels.»Paparespireavecdifficulté,etmamanestentraindepleurer.Papalaregardeuninstant,puisil

demandeaumédecin:«S’ilabesoind’unegreffe,etquenousnesommespascompatibles,quesepasserait-il?

-Ilpourraitsurvivrependantquelquestempsavecdesdialyses.Etnouslemettrionssurunelisted’attentepourungreffon.

- Il a un voyage très important de prévu. Pour recevoir un prix. Il va aller en Europe – àGenèveetàLondres,ildoitrencontrerlesmeilleursspécialistesdesadiscipline.

- Ilvadevoir ralentirunpeu le rythmependantquelques temps.Toutdépend sionarriveàjugulerl’infectionrapidement,etilfaudraaussivoircommentilsupporteletraitement.Sesreinssontabîmés,maisonn’enarriverapeut-êtrepasà lagreffe.Lesprochainesquarante-huitheures serontcruciales»,expliqueledocteur.

Papadétournesonregarddumien,ilsetourneversmamanetmurmure,enlaregardantdanslesyeux:«Jesuisdésolé.»Puisilajoute.«IlfauttesterEmiliaaussi.»

J’acquiesce.Même siRoberto etmoin’avonspasde liende sang, jeveuxmettre toutes leschancesdesoncôté,onnesaitjamais,jesuisprêteàtoutessayer.

«J’aicrucomprendrequ’Emiliaavaitétéadoptée.Biensûr,nouspouvonslatester,maisc’estunpeupluscompliquéétantdonnéqu’elleestmineure,etqu’ilyadetoutefaçontrèspeudechancesqu’ellesoitcompatible.

-Vousnecomprenezpas.Ilfautquevouslatestiez.IlfautqueRobertos’ensorte.Etjem’enfous si je dois perdre tout ce que j’ai. Si je dois perdre tous ceux que j’aime. Je ne veux pas queRobertoperdedesmoisentiersdesavieàcausedemoi.»Savoixsebriseaufuretàmesurequ’ilparle.Ilfermelesyeux.«IlfauttesterEmilia.Parcequec’estaussimafille.C’estlademi-sœurdeRoberto.»

Lapiècedevienttoutàcoupsilencieuse.Jenesaispassitoutlemondes’estarrêtédeparlerousic’estmoiquinelesentendsplus.Jeregardemonpère,puismamère.Elleestchoquée.

Çanepeutpasêtrevrai.

Maman devient encore plus blanche. Elle s’agrippe tellement fort à mon épaule que jegrimace.«Robertoestnotrefils.EtEmiliaaétéadoptée.Çanepeutpasêtresademi-sœur.C’estsa

sœur.Sasœuradoptive.Maispassademi-sœur.»Ellesetourneverspapa.Samainlâchemonépaule,maisellemeprendlamain,etellelaserresifortqu’ondiraitqu’elleapeurquejedisparaisse.

«C’estsademi-sœur»,répètemonpère,immobile,leregarddanslevide.«Jenecomprendspas»,dis-je.Jen’arrivepasàcomprendresesmots.Çanerentrepasdans

moncerveau.« Qu’est-ce que tu racontes », crie maman d’une voix aiguë. « Ça n’a aucun sens. » Elle

regardemamaindanslasienne.Puisellelèvelesyeuxverspapa.«Qu’est-cequeturacontes,Dino?-C’étaitunehistoired’unsoir.Uneerreur.Laseulefoisquej’aifaituneconnerie.Etquand

ellem’aditqu’elleétait enceinte…»Papaessaiedes’excuser, il regarde leplancher,puis jetteunregardtellementdésespéréversmamanquej’aipresquedelapeinepourlui.

Mamansemetàhurler.«C’estmafille.Jen’enairienàfoutredeteshistoires.Pourquoitunousasfaitça?Tunousasmenti!Tum’asmenti,tuluiasmenti!Tuasmentiàtoutlemonde!»Ellerespireungrandcoup.Samainserrelamienneunpeuplusfort,etellesetourneversmoi.Elleales larmesauxyeux.«Ne t’inquiètepasmoncœur,çavaaller.Toutçan’a rienàvoiravec toi. Jet’aime.»Savoixtrembleunpeu.

Jehochelatête.Jemesenscommeanesthésiée.Jeneveuxpasqu’ellepleure.Jeneveuxpasqu’ellesoittriste.J’aicommeungoûtamerdanslabouche.

«Tu…tuesmonpère.»Mavoixsonnecreux,etjesensungrandvidedansmapoitrine.Ledocteurs’éclaircitlavoix.Ilyadelapitiédanssonregard.J’avaisoubliéqu’ilétaitlà.«Je

peuxrevenirunpeuplustard.-Vousavezditqueletempsétaitcompté»,jeréponds.«Est-cequevouspouvezlatesteraussi?»demandemonpèreaudocteur.Savoixestàlafois

tristeetpleined’espoir.«Oui,biensûr,nouslatesterons–siaucundevousdeuxn’estcompatible,etsiceladevient

nécessaire.Nous sommesen traind’essayerde sauver ses reins. Il est toujours aublocopératoire.Vouspouvezattendreicisivousvoulez.Ilyaundistributeurdanslecouloir,sivousavezbesoindegrignoterquelquechose.

- Jenepeuxpas resterdans lamêmepièceque lui, ditmamanen se levant. Jenepeuxpasrester dans lamêmepièce. Je ne peux pas le regarder. »Elle a la voix qui tremble, lesmains quitremblent,lecorpsentierquitremble.

Etjenesaispasquoifaire.Jenesaispasquoidire.Jenesaispasoùposermonregard,niquisuivre,etjemedemandesij’aivraimententenducequej’aientendu.

Cen’estpaspossible.Cen’estpaspossiblequemavieentièresoitunmensonge.C’estcommesilesmotsdemon

pèrecommençaienttoutdoucementàpénétrerdansmonesprit.Jesuislademi-sœurdeRoberto.Papaestmonpèrebiologique.

Ledocteurfaitunpasenavant.Franchement,ilmériteunOscar.Ilestcalmeetposé,commes’ilvoyaitçatouslesjours.

«Vouspouvezattendredansuneautrepièce.Laissez-moivousyconduire.Sachezquejefaistoutcequiestenmonpouvoirpourvotrefilsetfrère.

-Emilia,viensavecmoi»,ditmamèreentendantlamainversmoi.«Enfin,si tuveux.Tupeuxrestericipourparleravectonpère,situpréfères.Jecomprendrais.»Ellerespiretrèslentementet trèsprofondément,commesiellecomptaitdanssa tête,commepouressayerdesecalmer.Papas’esteffondrésurunechaise.

«Papa?»Il se cache le visage dans lesmains. Comme s’il n’arrivait pas à croire ce qui vient de se

passer.

Jen’arrivepasàycroiremoinonplus.«Pourquoi?»Mavoixestétonnammentclaireetassurée.«Pourquoitunenousasriendit?

Pourquoitun’asrienditl’étédernier?Pourtouttedire,çam’atraversél’esprit,maisjemesuisditquecen’étaitpaspossible, jemesuisditquemonpèrenementirait jamaisàmamèrecommeça.Qu’ilnenousferaitjamaissubirça.»J’attendssaréponse.Maisilrestesilencieux.«Jenesaisplusquoipenser,papa.Et tu saisquoi?Leplusdrôle,dans toutça,c’estque j’étaispersuadéeque toutserait plus simple une fois que je saurais d’où je viens.Mais c’est l’inverse. Je neme suis jamaissentieaussimalquemaintenant.

-Emilia,murmuremonpère.Emilia,jesuisdésolé.-Jecroisquetudevraisdireçaàmamanaussi.»Mamanesttoujourslà.Ellesembleprêteàbondirentrenousdeuxpourmeprotéger.Il jetteunœilverselle,puis il semetà regarder leplafond.«C’était tellementstressant, tu

n’aspasidée.Ilyaeutellementdefoisoùj’aieuenviedetouttedire.»Ilparletropvite.«J’aiétéviréparcequej’aidétournédel’argent.Parcequej’aifaitdeschosesquejen’étaispascenséfaire.»

Mamanestsouslechoc.«Cen’estpastout.J’aiencorequelquechoseàtedire.»Ils’affaisseencoreplussursachaise.

Ilsembleperdudanssespensées.«Puisquemaintenant,voussavezlavérité,puisqueiln’yaplusderetourenarrièrepossible.Puisquej’aidéjàperdutoutcequej’avaisetcequej’aimais.»

Je pousse un soupir. J’ai envie de prendremaman par lamain, et de sortir de la pièce encourant.Maisj’aiaussienviedem’asseoiràcôtédelui,pourqu’ilmedisequecen’estpasvrai.Ousi ça l’est, je voudrais le regarder, chercher nos ressemblances dans son visage. On a la mêmecouleurdepeau,même si je suisunpetit peuplus foncée, commePoppa.Onn’apasgrandchosed’autre en commun… sauf nos yeux. On a les même yeux marrons assez banals. Il murmure ànouveau:«J’aitoutperdu.»

Jem’accroupisprèsdelui.«Unechosequej’aiapprise,c’estqu’onperdseulementsionnesebatpas.Nonnaledisaitsouvent,etelleavaitraison.»

Ilmeregardedroitdanslesyeux.«Tuasunesœurjumelle.»

CHAPITRE38-NICK

Jen’aitoujourspasdenouvellesd’Emilia.Etmonpèrem’aditqueçafaisaitplusieursheuresqu’ilnel’avaitpasvue.Apparemment,sesparentsetelleseseraientdisputésàl’hôpital,maismonpèren’arienvoulumediredeplus.

Kayodem’aserrédanssesbrasquand je suisentrédans lachambre,et iln’apasditgrandchosedetoutelasoirée.Commes’ilsavaitquej’aibesoind’êtretranquille.Çafaitplusd’uneheurequ’ils’estcouché.

Ilfaisaitenfinbeaudepuisdeuxjours,maisils’estremisàpleuvoirdescordes.Lesgouttesqui s’écrasent sur les fenêtres de notre chambre font un bruit effroyable, mais ça n’empêche pasKayodededormiràpoingsfermés–jel’entendsmêmeronflertoutdoucement.

Jetourneetmeretournedansmonlit,maiscen’estpasàcausedelapluie.JemefaisdusoucipourRob.JemefaisdusoucipourEm.Etjemefaisdusoucipourmoi.Jepenseauxdécisionsquej’aiprises,àcettemaniequej’ai

detoujoursm’engueuleravecmonpère.C’étaitpresquetropfacilequandilsecontentaitdecritiquertous mes choix. Au moins, je savais exactement comment réagir – je le contredisaissystématiquement.Jeneveuxpasêtreavocat,ça, j’ensuiscertain.Et jesaisquejeveuxfairedeladanse.

Maisjenesuispassûrdevouloirentrerdansunecompagnie.Dumoinspastoutdesuite.Jecrois que j’ai envie d’aider les autres, pour commencer, avant deme lancer dans une carrière dedanseur.Jepourraispeut-êtreentrerdansuneécolededanseprestigieuse toutenfaisantdesétudespourdevenirprof.Entouscas,jedevraismerenseignersurça.Çam’avraimentpludemontreràEmcomment faire passer ses émotions. Et pas seulement parce que ça nous a rapprochés. C’étaittellementgratifiantdevoiràquelpointelleétaitheureusequandelleyestarrivée.

Jemeretourneencoreunefoisdansmonlit.Çafaitquinzeansquejemebatspourdevenirdanseur.C’estmonseulobjectifdepuislejour

oùmamèrearéussiàconvaincremonpèredemelaisserassisteràuncoursdedansed’uneécoledemon quartier. Ce jour-là, j’ai eu l’impression que je pouvais conquérir le monde d’une simplepirouette.Maismonpèreatoujoursconsidéréladansecommeunpasse-tempssansimportance.

Alors, si je n’atteins pas mon objectif, est-ce que c’est un échec ? Ou est-ce que qu’aucontraire,çapeutêtrequelquechosedepositif?

Jecroyaisqu’endisant«non»àmonpère,toutseraitplusfacile.J’entendsquelqu’unfrapper toutdoucementà laporte.Sidoucementque lesronflementsde

Kayodem’empêchentpresquedel’entendre.Sidoucementquejemedemandesic’estmonimaginationquimejouedestours.Maisonfrappeànouveau.«Onsaittouslesdeuxquec’estpourtoi»,grogneKayode.«Alors,bougetesjoliespetites

fesses,etouvrecettefichueporte,histoirequejepuisseessayerdedormirquelquesheuresavantquelejourselève.

-J’yvais,j’yvais.»Jesautedulit,etj’ouvrelaporte.Emmetombedanslesbras.Jel’entendsrenifler,maisellenepleurepas.Jenesaispassic’est

parcequ’elleadéjàpleurétoutesleslarmesdesoncorps,ousielleessaiejusted’êtreforte.Jelagardedansmesbraspendantquelquesinstants,jusqu’àcequeKayodedisetouthautce

quejepensetoutbas:«Mondieu,Em,c’estRoberto?Ilvabien?»Em,toujoursblottiecontremoi,hochelatête.Puiselles’écarteunpeuetrépond:«Ilvabien.

Ilestsortidubloc,ilestensallederéveil.Ilspensentquec’estbon,qu’ilsontmaîtrisél’infection,maisilsnepeuventpasencoreseprononceraveccertitude.Ilsdisentqueçadépenddecommentsoncorpsvaréagir,etqu’ilfautvoircommentçaévoluedanslesprochainesquarante-huitheures.»

Kayode se racle la gorge. «Quand il se réveillera, tu lui diras… tu lui diras que je penseencoreàlui,parfois.

-Quoi?»JesavaisqueKayodeavait toujourseuunfaiblepourRoberto,maisjenesavaispasqu’ilss’étaitpasséquelquechoseentreeux.

«Jeluidirai.-Dis-luiaussiquejesuisheureuxetqu’ilavaitraison.-D’accord, je lui dirai, promis. »Elle s’écarte demoi pour aller faire un câlin àKayode,

commesic’étaitluiquiavaitbesoind’êtreconsolé.Etpaselle.« Je crois que je vais aller faireunpetit tour à l’infirmerie. Je reviensdemainmatin», dit

KayodeaprèsavoirembrasséEmsurlajoue,etm’avoirlancéunregardinsistant.Jenesaispastropcommentinterpréterceregard.

Ilrefermelaportederrièrelui.Emrespireungrandcoupetselaissetombersurunechaise,àcôtédenotrebureaupleindebordel.D’habitude,ellenepeutpass’empêcherdeleranger,c’estunedesespetitesmanies.Maisaujourd’hui,ellesecontentedeleregarderd’unœilvide,sansrienfaire,sansmêmefaireuneremarque.Ellelèvelesyeuxversmoi.Ellenepleurepas,maisjevoisqu’ellesouffre.«Monpèreestvraimentmonpère.»Ellerestesilencieuseun instant,avantdereprendre :«C’est surréaliste, j’ai l’impressiond’êtredansStarWars. J’ai l’impressionqu’unevoixvenuedenullepartva semettreàm’expliquer le sensde toutça.Parceque je t’avoueque jen’arrivepasàcomprendre. Je n’y arrivepas. Je ne sais pasquoi faire, ni quoi dire. J’enpeuxplusde toutes cesconneries.»Àchaquemot,savoixsechargeunpeuplusd’émotion.Elleselèveetsemetàfairelescentpasdanslapetitechambre.EllebalanceuncoupdepieddansunT-shirtquitraîneparterre.«Jenesaispasquoifaire.Nonnaauraitsumeconseiller.Pourquoiest-cequ’iln’ariendit?

-Attends…Attends…Tonpèreest…»Jesecouelatêteetjerépètecequ’ellevientdedire,endétachantchaquesyllabe:«C’esttonpèrebiologique?

-Ouaip.C’estlui.C’estmonpère.-Alors…Il…»J’aidumalàtrouvermesmots.Jen’arrivepasàpenserclairement.«C’est

vraimenttonpère–tonpèrebiologique?-Leseuletl’unique.Pourquoiest-cequ’ilnemel’apasditavant?Ilvoyaitbienqueçame

rendaitmaladedenepassavoir…Pourquoiest-cequ’ilainventétouscesmensonges?-Peut-êtrequ’ilavaitpeur.-Peut-êtrequec’estjusteuncon.-C’est difficile dedéfendre tonpère,mais je pensequ’il s’est retrouvé embourbédans ses

mensonges,qu’ilnesavaitpluscommentensortir.-Ilauraitsuffiqu’ildiselavérité!Aulieudenepenserqu’àlui.-Jesuissûrquec’estcequ’ilvoulaitfaire,maisiln’apasdûyarriver.»Jenesaispastrop

pourquoijedéfendssonpère.Maisjesensqu’ilnefautpasquej’enrajoute,qu’Emnepourraitpassupporterdeluienvouloirencoreplus.

Toutàcoup,elle s’arrêteaumilieude lapièce, lesyeux fixés sur leplancher.«Et j’aiunesœur.»Cettefois-ci,elleadeslarmesdanslavoix.«Etjenesaismêmepascommentelles’appelle.Je ne sais même pas pourquoi il ne l’a pas adoptée, elle. Mais pourquoi je n’ai pas pensé à luidemander?Putain. Il fallait…Il fallaitque jem’enaille… jenepouvaispas rester avec lui. Jenesavaispluscequejefaisais.J’étaisperdue.»Unfrissonluiparcourtlesépaules.Elles’avanceversmoi. Elle a les cheveux sur les yeux, et ses lèvres tremblent un peu. Elleme serre dans ses bras,enfonce sa têtedansmapoitrine, et seblottit contremoi commesi j’étais ladernière chosequi laraccrochaitàlavie.

Entre deux sanglots, elleme répète ce que lui a dit son père. Ellem’avoue qu’elle a peurd’annoncertoutçaàRobquandilseréveillera,qu’elleapeurquelechocsoittropfort,danssonétatdesanté.

« Je veux la rencontrer »,murmure-t-elle. «On est jumelles.Ondoit se ressembler. Jemedemandesionestdesvraiesjumelles?Etpourquoijenem’ensuisjamaisdoutée?Danscegenredesituation,lesgensdisenttoujoursqu’ilslesavaientdepuislongtemps.Moijen’aijamaisriensenti.Jenemedoutaisvraimentderien.

«Passisûr.-Pourquoitudisça?-Tuterappelles,jecroisquec’étaitilyadeuxans,quandtuavaismalaupied?Tudisaisque

tuavaismal,maisiln’yavaitrienàlaradio.-Oui,jemerappellequeRobm’avaitmêmeditquec’étaitjustepourqu’ons’occupedemoi.

Mêmes’ilavaitquandmêmel’airinquiet.-Peut-êtrequeçaaunrapportavectasœur.»Ellemeregarded’unairembêté.«Jenecroispas.Disonsquec’étaitpeut-êtrepourattirerton

attention.-Non,tuasfaitça?-Ben,commetum’aidaisàmarcher, jesentaisqu’onserapprochait,et jen’avaispasenvie

queças’arrête.Alors,mêmequandçanem’aplusfaitmal,j’aifaitsemblantpendantquelquestempspourqueçacontinue…

-T’inquiète, jesavais», je lui réponds,et jevoissesyeuxs’agrandir.Elle rougitmêmeunpeu.J’aienviedel’embrasser,deluifairetoutoublier,maisjemecontentedelaprendreparlamainpourqu’elle s’assoieprèsdemoi sur le lit.Nous sommes côte à côte, complètement enharmoniesansmêmes’embrasser,sansmêmesetoucher.Jeprendsunegrandeinspirationpourmecalmerunpeu,pourarrêterdepenseràtouteslesimagesquimetraversentl’esprit–sapeau,meslèvresquiseposentsursapeau,sapeaunue.

Jeme racle la gorge. «Enfin, bref.Même si tu as fait semblant pendant quelques jours, tuavaisréellementmalaudébut.Etpourcequiestdetonpère,jenesaispastropcequiapusepasser.Jenecomprendspascommentilapucontinueràmentirpendantaussilongtemps.Maisaufond,j’aifaitpareil.Jenet’aipasditquejesortaisaveccesfillespourpouvoirresteràl’École,pourquemonpèrecontinueàpayermascolarité.

-Cen’estpaspareil.-Jen’ensuispassisûr.»Etc’estvrai,jemedemandevraimentsisesmensongessontbien

piresquelesmiens.Quipeutledire?Emfaitnondelatête.«Aufond,tonpèreessayaitjustedeteprotéger.Ilétaitcomplètementà

côtédelaplaque,maissonintentionn’étaitpasdetefairedumal.Parcontremonpère,lui,atrahimamère,ilm’atrahie,ilatrahitonpère.Ilatrompétoutlemonde.Etjenecomprendspaspourquoiilafaitça.

-Peut-êtrequ’ilessayaitjusted’êtrequelqu’unqu’iln’estpas.-Peut-être.Mais jenevoisvraimentpascomment leschosespeuvent s’arranger. Jene suis

mêmepassûrequemamère luiadresseànouveau laparoleun jour.Ellemeditque tout irabien.Maisjeneveuxmêmepasimaginercommentelledoitsesentir.»

Jepassemamaindanssescheveux.Ilssonttellementdoux.Elleseblottittoutcontremoi,etjesenssonsouffledansmoncou,sonsouffletiède…etjem’enflamme.

« Les choses finiront par s’arranger d’une manière ou d’une autre. Je sais que ta mèretrouveraunesolution,elleferaensortequetouts’arrange.»

Ellebougeunpeu,etrapprochesonvisagedumien.Ellem’embrassedoucementsurlajoue,puissurleslèvres.«Merci.Mercid’êtrelà.

-Jenevoudraisêtrenullepartailleurs.»

CHAPITRE39-EM

JemeréveilledanslesbrasdeNick.Jemesensbien,réconfortée.Ilbougeunpeu,encoreendormi,puis il ouvre les yeux. Il me sourit et me serre contre lui, m’embrasse dans le cou, timidementd’abord,puisavectellementdepassionquejesensaussitôtmoncorpss’embraser.

«Ilyadepiresmanièresdeseréveiller»murmure-t-il.J’aiperdulaparole–etjesensquejeperdslatête.Latristesseetlapeursonttoujourslà,maismaintenantquejesuisdanslesbrasdeNick,j’ail’impressionquetoutvas’arranger.J’ail’impressionqu’ilmerendplusforte.Etenmêmetempsjen’aipaspeurdeluimontrermesfaiblesses.

Sarespirations’accélèreetsonregardcherchelemien.J’essaiedeluisourire,maissesmainss’arrêtentdecaressermondos,etilpousseungrandsoupir.«Bonjour»,medit-il,etilm’embrassetoutdoucement.

«Pourquoitut’arrêtes?-Parcequejevoudraisqu’iln’yaitpasdetristessedanstesyeuxquandonferal’amourpour

lapremièrefois.»Jepouffederire.Jen’arrivepasàmeretenir.«Tuasdit“fairel’amour”?-J’aifaillidire“coucherensemble”,maisçasonnaitbizarre.Cen’estpaslebonmot,pasavec

toi.»Ilrigole.«Çafaisaitunpeurépliquedefilm,maisc’étaitvraimentçaquejevoulaisdire.-Jesais.»Jel’embrasse,lecœurgrosetlégeràlafois,pleind’amouretdetristesse.Jesens

qu’ilbat àcentà l’heure, commequand jem’apprêteàentreren scène,commequand jem’élancedans les airs pour un saut, comme avant notre premier baiser. « Je t’aime », je murmure, et ilm’embrasseànouveau,lentement,enprenantsontemps.

«Jet’aimeaussi»,répond-ilenm’embrassantdanslecou.Ilplongesonregarddanslemien,et j’essaie de faire disparaître toute tracede tristessedemesyeux, parceque je sais que ceque jeressenspourluin’arienàvoiravecmeslarmes.

IlglissesesmainssousmonT-shirt,jesensleurdoucechaleurcontremapeau.Soudain,laportes’ouvreengrand.«Jesavaisquej’auraisdûfrapper»,ditKayodeenriant.

«Jeneregardepas,promisjuré,maisj’aicoursdansquaranteminutesetilfautaumoinsquejemechange.»Ilmetsamaindevantlesyeux.

J’embrasseNicksurlajoueetjem’assois,enmanquantmecognersurlelitdudessus.«Jevaisretourneràl’hôpital.

-Attends,jevaisdireàmonpèred’appelerledocteur.-Waouh,vousêtesdouéspourpasserducoqàl’âne,vous.Ilyadeuxsecondesvousétiezen

traindevoustripoter.»Ilnousfaitunpetitclind’œil.«Tuasquandmêmel’airmieuxqu’hiersoir,

Em.Mêmesijedoistedirequelessuçons,c’estcomplètementhasbeen.»Jeportelamainàmoncou,effarée.JerepenseauxlèvresdeNicksurmapeau.Àsescaresses.

Àsoncorpscontrelemien.Jesensmesjouess’enflammer.Kayodepouffederire.«Vulatêtequetufais,Em,cesuçonenvalaitlapeine.»Ilprenddes

habitsdansl’armoire,etlesjettesursonlit.Nickmecaressel’épaule,etmurmure«C’estclairqueçaenvalaitlapeine…»Etlà,jedevienscarrémentrougetomate.Nickm’embrassesurlajoueetselèvepourattrapersontéléphone.Ilcomposeunnuméro,et

à peine deux secondes plus tard, on entend la voix de son père à l’autre bout. Il lui demande s’ilpourraitessayerd’avoirdesnouvellesdeRobpournous,ous’ilsaitdéjàquelquechose.Puisilfaitquelquechosequ’iln’apasfaitdepuistrèslongtemps–etjenepeuxm’empêcherdemedemandersij’enseraisdenouveauunjouràcestade-làavecmonpère: ilsouritetil luidit«Merci.Vraimentmerci.»Etilajoute:«Papa.»

Jesaisquecemotreprésentebeaucouppourtouslesdeux.Etçametued’entendrecemot.

CHAPITRE40–NICK

Monpèrem’aditquejen’étaispasobligéd’alleràl’Écoleceweek-end,malgrélesrépétitions.Jenelui avais rien demandé,mais c’était quandmême chouette d’avoir son feu vert. Je suis retourné àl’hôpitalavecEm,mais ilétait toujours impossibledevoirRob,et sesparentsn’étaientnullepart.Peut-êtrequ’ilssontentraindeparler,oudesedisputer.Entouscas,Emn’apasbesoindecestresssupplémentaire.

«Tuessûrequetuveuxresterlàtouteseule?»jeluidemandepourladixièmefois.«Jecroisquetuasbesoindeparleravectonpère.C’estlemomentoujamais.Ilyabeaucoup

dechosesquisontentraindebouger,lavéritéfaitsurface,c’estlemomentdeparlersérieusementaveclui,dit-elle.EtjeveuxêtrelàquandRobseréveille,etquandmamanrevient.Ilsontbesoindemoi.Elleadûallerchercheruncafé.

Lamèred’Ementredanslasalled’attenteàcemomentprécis.Elleaàlamainunebouteilled’eauetquelquesfriandises,parmilesquellesj’aperçoisdesTwizzlers.Cesontlesbonbonspréférésd’Em.«Bonjour»,dit-elleenluitendantunTwizzler.Emleprendetsejettedanslesbrasdesamère,quiluifaitungroscâlin.«Jet’aiditquetoutallaits’arranger,moncœur.Çavaaller.

-Jesuistellementdésolée»,ditEmetsapetitevoixtristemebriselecœur.Ondiraitqu’ellesecroitresponsabledetoutcequis’estpasséalorsqu’ellen’yestpourrien.Ellen’apaschoisicettesituation.Ellen’arienfait.

Samèrel’embrassesurlatête.«Tun’aspasàêtredésolée.Tun’espasresponsabledesactesdetonpèreettunel’asjamaisété.Onvatrouverunmoyend’arrangerleschoses.Ensemble.»Ellemesourit.«Jesuisdésoléequetuteretrouvesaumilieudetoutça,Nick.Maismercid’êtrelà.

-Vousn’avezpasbesoindemeremercier»jerépondsendansantd’unpiedsurl’autre.-Maissi,jeveuxtediremerci.Jesaisquetuesdébordé,etquetuaspleinderépétitions.Etje

saisquec’estdifficileavectesparents.»Aprèsuninstant,ellereprend:«J’aiparléavectamèrehiersoir.Noussommestouteslesdeuxd’accordsurlefaitquenitoiniEmnedevriezavoiràsouffrirdetoutça».ElletourneleregardversEm,quisemblechercherquelqu’undesyeux.Ellen’arrêtepasderegarderlaporte.«Tamamanal’aird’allerbien.Ellem’aditqu’elleallaitfairedubénévolatdansunrefugepoursans-abri,qu’elleavaitbesoindeseconsacrerunpeuauxautres.

-Elleessaiedechangerleschoses.»Emseraclelagorge.«Papaestlà?-Papan’habiteplusàlamaisondepuishiersoir.»Elleal’airtellementtriste.«Ilcontinueraà

êtredanstavie,promis.Onsedébrouillera.Maisilvaaussifalloirqu’onréfléchisseànotrecouple.Etjenesuispascertainedepouvoirluipardonner.

-Àcausedemoi?demandeEm.-Àcausedecequ’ilafait.Pasàcausedetoi.Riendetoutçan’esttafaute,jet’assure.»J’ail’impressionquejen’airienàfairelà,quejedevraisleslaisseravoircetteconversation

tranquilles.Jedansed’unpiedsurl’autre,jemeraclelagorge.Jemepasselamainsurlanuque.«Jevaisallervoirmonpèreàlamaison,etensuitejereviens.»

Em lâche la main de sa mère et passe ses bras autour de mon cou. Je la retiens quelquesinstantscontremoi.«Tum’appellessituasbesoindequoiquecesoit,promis?»

«Promisjuré»,merépond-elle.Jel’embrassesurlajoue.J’espèrequ’ellesaitquejesuisassezfortpourl’aider,qu’ellen’estpastouteseule.

CHAPITRE41–EM

Jeregardemaman.Ellealestraitstirés,etdegroscernessouslesyeux.Jecherchelesmotsjustes–maisiln’yenapas.«Vousenêtesoùavecpapa?»

Mamanmepassedoucement lamaindans lescheveux.«C’estcompliqué,machérie.»Ellepousseungrand soupir. « Jene croispasque je sois capabledepardonner suffisamment tonpèrepourlelaisserunjourrevenirdansmavie.

-C’estmafaute.-Non.Cen’estpastafaute.Ilm’atrompéeavecuneautrefemme,ilm’amenti.Ilt’amenti.Et

ça fait un an qu’il nous ment en faisant semblant d’aller au travail tous les jours, alors qu’il adémissionnédesonpostedeconseillerfinancier.Jenesaismêmepasàquoiilpassaitsontemps.Ilneme dit jamais la vérité. Seulement des mensonges, des petits autant que des gros. Ton père a unproblème…etilfautquejemeprotège.»

Elleal’airprofondémenttriste,maisdéterminée.«Etilfautquejevousprotège,toietRob.Etquejeprotègelerestaurantdetagrand-mère.-Quoi?-Tagrand-mèrem’aléguésonrestaurant.Ondiraitpresquequ’elleensavaitplussurDino

qu’ellenelemontrait.-Tuvaslegarder?-J’aimerais.Etjevoudraisqueturéfléchissesàquelquechose.-Quoi?-Réfléchisàcequetuveux.Essaiederéfléchiràcequiterendvraimentheureuse,mapuce.

Parcequ’aucunerelationnepeuttecomblerentièrement,aucunepersonnenepeutsuffireàterendreheureuse.J’enaifaitl’expérience.Ilfautquetufassesquelquechosepourtoi.

-C’estcequejefais.J’ailadanse.-Maisest-cequec’estvraimentcequetuveux?Ladernièrefoisquejet’aivueheureuse–

vraimentheureuse–c’étaitquandtucuisinaisavecNonna.Penses-y.»Ellemefaitunbisousurlajoueet,latêtehaute,ellequittel’hôpital.

CHAPITRE42-NICK

Çanemeprendpastrèslongtempsderentreràlamaison.Mamanestrentréedurefugedesans-abri.Papaetellesontdans lesalon, ilssontentraindeparler.Mais toutd’uncoup, jemerendscomptequ’ilyaunetroisièmevoix:Dinoestaveceux.Lepèred’Emestlà.

J’entreàgrandspasdanslesalon.«Papa,est-cequejepeuxteparler?»Dinoselève.Ilsentl’alcool,etvisiblement,çafaitplusieursjoursqu’ilnes’estpasdouché.

«Est-cequetul’asvue?TuasvuEm?-Elleestàl’hôpitalavecsamère.-J’aitoutfoutuenl’air»,dit-il,etmamansecouelatête.«Allez,Dino.Prendsunverred’eau,mangequelquechose,etaprèsonparlera.»Elleaunton

rassurantettranquille,ondiraitquecen’estpaslapremièrefoisqu’elleditça.«Papa?»jerépète.«Allonsdanslebureau»,dit-il.Je lesuis,enrepassantdansmatêtecequejevais luidire.

Papas’assoitdanslegrandfauteuil,derrièresonbureau.Ilsetientdroit,pleind’assurance,commequandils’apprêteànégocieruncontrat.Maiscettefois-ci,jenevaispaslelaisserfaire.

Je m’installe dans le confortable fauteuil en cuir en face de lui. Je passe le doigt surl’accoudoir en chênemassif, et jem’éclaircis la gorge. Il attend que je parle en premier, c’est sastratégie.Maiscettefois-ci, jesuisprêt.Cettefois-ci jenesuispaslàseulementpourlecontredire.Cettefois-ci,jesaiscequejeveux.

«Pourquoiest-cequetum’asdemandédesortiraveccesfilles?-Jenepensaispasqueçaposeraitunproblème.-Pourquoi?-Parcequejecroyaist’avoirapprisàdirenonsituneveuxvraimentpasfairequelquechose.

Tum’astenutêtesurabsolumenttoutlereste:l’École,lesMoretti.-TuaimaisbienlesMoretti,àuneépoque.-C’estvrai.Etc’esttoujourslecas.-Tu savais que je ne voulais pas sortir avec ces filles. Pourquoi tum’as forcé à le faire ?

Pourquoitum’asfaittoutcechantage?-Premièrement,jet’aiseulementdemandédelesaccompagneràdessoirées,jenet’aijamais

demandéderéellementsortiravecelles.-Arrêtelacomédie,papa.»Ilessaiedefairediversion.Encoreunedesestechniques.«Jene

veuxpascrier.Jen’aiaucuneenviedemedisputeravectoi.Jeveuxjustecomprendre.-Jet’aidemandédepasserdutempsaveccesfillesquandilestdevenuévidentqueDinoavait

unproblème.Jesavaisquecettehistoired’adoptionallaitrefairesurfaceunjouroul’autre.Ilamentiàsafemmeetàsafille,etilm’amentiàmoi.Cesretraitésquiontperduleurargent,cen’étaitpasdemafaute.C’estluiquiestresponsable.

-Pourquoitunemel’aspasdit,alors?-Parcequejenesuispasunsaint.»Illanceunregardautourdelui,danslapièce.«Toutce

que tu vois ici, je ne l’ai pas obtenu qu’en jouant fair play. J’ai appris àme servir du système, àmanipulerlesgens.»Ilmeregardedroitdanslesyeux.«J’aiapprisàtemanipuler.

-Ahbon,etladansealors?-Jerestepersuadéquetunepourras jamaisenvivre.Jenecroispasquecesoit lacarrière

qu’iltefaut.Etjetecouperailesvivressitut’obstinesàsuivrecettevoiesanstetrouverunpetitjobpourparticiperauxfraisaumoinsdemanièresymbolique.»

Ilal’airsérieuxendisantça,etilsembleyavoirbeaucoupréfléchi.«Ok.Alorsdis-moicequetupensesdeça:etsij’essayaisdedevenirprofdedanse,touten

continuantmacarrièrededanseur,maispasforcémentdansunegrandecompagnie?-Est-cequetuesentraindemedemandermonapprobation?-Jenesaispas.Peut-être.»Jenesaispastropcequej’aienvied’entendre,cequejevoudrais

qu’ilmeréponde.Ilattrapeuneplaqueofferteparl’HospitalNorthquitrônesursonbureau,etsurlaquelleilest

écrit : «Tous nos remerciements àGrawski&Fils pour leur généreuse donation. »Elle lui a étéremiseilyaquelquessemainesseulement.Elleestvenues’ajouteràsonimpressionnantecollectiondeplaquesettrophéesqueluiontvalusesdonsàdesœuvrescaritatives.

«J’auraisvouluquetureprennesl’entreprisequenotrefamilleaconstruite.C’esttoujoursceque je veux. Il est encore tempsde changer devoie.Tes notes ne sont pasmauvaises et en faisantmarchermescontacts,jepourraistefaireentrerdansunebonneuniversité.»

Jeleregardeattentivement.J’observelesridesqu’ilaautourdesyeux,cettemaniequ’iladeposer le menton sur ses deux mains jointes, sa manière de me regarder, de me dévisager, dem’intimider.Maiscettefois-ci,çanemarcherapas–jenemelaisseraipasfaire.

«Cen’estpascequejeveux.Jetrouveçaunpeuinjustedetapartdemedemanderquelquechosecommeça,alorsquecen’estpasnécessaire.Cen’estpascommesic’étaitvitalquejeprennetasuccession.»Etjenepeuxpasm’empêcherd’ajouter–ilfautdirequeçanefaitpaslongtempsqu’onafaitlapaix:«Onnepeutpasdirequetusoisunmodèleàsuivredetoutefaçon.»

Ilrigole.«Jemedemandaissituallaisessayerdemordre.-C’estfini,jen’accepteraiplusdesortiravecdesfilles(oude«passerdutemps»avecelles,

comme tu dis) seulement pour te faire plaisir. Ou parce que tu me fais du chantage. Et je vaiscontinueràsortiravecEm.Jesuisprêtàmebattrepourêtreavecelle.Etjesuisprêtàmebattrepourcequejeveux.

-Maisest-ceque tusaisceque tuveux,aumoins?» Ilhausse le tonetprendcetteattitudeglacialequime terrorisaitquand j’étais enfant, etquimemettaithorsdemoi il y a encorepeudetemps.Maisplusmaintenant.

«Jeveuxêtredanseur.Etprofdedanse.JeveuxêtreavecEm.»Ilsouffled’unairexaspéré,ets’enfoncedanssonfauteuil.Tiens,c’estnouveaucegeste.«Je

net’aideraipaspourladanse.Jerefusedet’aider.Monpèrenem’ajamaisaidé.-Quandonvoitlerésultat...»jemarmonne,etmonpèrelèveunsourcil.Merde.C’estdelui

quej’aihéritécetic?Iléclated’unrirefranc,commesiçaluiavaitéchappé.«Çanechangerarienaufaitquejene

t’aideraipas.Jeveuxquetutrouvestoutseulunmoyend’atteindretonbut.Parceque,regardonsleschosesenface.Situessortiaveccesfilles,c’estaussiparcequetuavaispeurquej’arrêtedepayerta

scolarité.Tun’asjamaisessayédemeconvaincreautrementqu’enmemontrantàquelpointtuétaisdoué.Tun’aspasessayédetrouverunautremoyendepayertesétudes,oudedécrocherunebourse.Tut’imaginaisquetunepouvaisrienfaire,quec’étaituneconfrontationentretoietmoi–maistutetrompais.»Ilreposelaplaquehonorifiquesursonbureau,derrièreletéléphone.«Aujourd’hui,pourlapremièrefoisdetavie,tum’asnonseulementtenutête,maistum’asaussiparlé,vraimentparlé.»

J’aimeraispouvoirlecontredire,luidirequ’ilatort.J’aienviedehurleretd’énervercontrelui.Mais jesaisqu’iln’apasentièrement tort. Ilemploiepeut-êtredesméthodesdouteuses–voirecarrémentinadmissibles,maisc’estvraiquejusqu’àmaintenant,jen’avaisjamaischerchéuneautresolutionpourarriveràmesfins.

Sonsourires’agrandit.«LeDrGrahamsseraittrèsfierdenous.»Cettefois-ci,jeluirendssonsourire.Jen’ensuispasencoreàluipardonnercomplètement,

maisjemedisqu’onpeutessayerd’arrangerleschoses.Maissoudain,jelevoisfroncerlessourcilsetbaisserlementon.«Jen’aipasétéuntrèsbon

père. Je n’ai pas été un très bonmari nonplus. Pour être sincère, on ne peut pas dire que j’ai étéquelqu’undebienjusqu’àprésent.Maisj’essaiedechanger,dedevenirmeilleur.Pourtamère,pourtoi–etpourmoi.

- Je sais.Moi aussi j’écoute, pendant les séances de psy. » Après un instant, je demande :«Qu’est-cequisepasseaveclepèred’Em?

-Dinoetmoi,çafaittrèslongtempsqu’onseconnaît.Çadated’avantqu’onaitdesenfants,avantqu’onsoitmariés,avantqu’onaitfaitfortune.Jenevaispaslelaissertomber.Jeneveuxpasqu’il s’approche de toi, parce que je sais que c’est unemauvaise influence, et qu’il faudrait qu’ilchangeradicalement,maisjenevaispaslelaissertomber.»

VoilàquiexpliquepourquoiDinovienttoujoursdemanderdel’aideàmonpèremêmequandils sontcensésêtrebrouillés.Etaussipourquoimonpèrepaye la scolaritéd’Em.Et jemedisqueparfois,jepeuxquandmêmeêtrefierdemonpère.

«Viens,retournonsvoirtamère,avantqu’elles’imaginequ’ons’estentretués.»Ilfaitunpetitsignedumentonendirectionduportraitdesonpèrequiestaccrochéaumur.«Monpèreestmortdanslatristesseetdanslasolitudelaplusabsolue.Jen’aipasenviedefinircommelui.Etjen’aipasenviequetudeviennescommelui.»

Jeregardeleportraitdemongrand-père.Ilalevisageferméetleslèvrespincées,ilregardedroitdevantlui,sanspassion,commesilemondeluidevaittout.Iln’apasl’airheureux.

Et,pourlatroisièmefoisenmoinsd’unesemaine,jesuisd’accordavecmonpère.

CHAPITRE43–EM

Papaestàunboutdelasalled’attente.Mamanetmoiàl’autrebout.L’odeurd’hôpitalcommenceàdevenirplusfamilièreetrassurante,etmoinseffrayante.Robertoesttiréd’affaire.Ils’estréveillé,etilsont réussi à sauver ses reins. Ilva falloirqu’il suiveun régimestrict, et ilva resterhospitaliséencoredeuxsemainesauminimum,maisiln’estplusendanger.

« M. et Mme Moretti, Roberto est prêt à recevoir des visiteurs. Mais pas plus de cinqminutes.»

Nousnouslevonstouslestroisd’unbond,etnoussuivonsl’infirmière.Ellenousdonnedesinstructionsetdes informationssur l’étatdeRoberto.Papaetmamanmarchentcôteàcôte.Mamanm’aditdeneriendireàRobertopourlemoment.D’attendrequ’ilsoitsortidel’hôpital.Qu’ilnefautpasrisquerdemettresaguérisonenpéril.

Jesuisd’accordavecelle,maisjecroisaussiques’ilsneveulentriendire,c’estparcequ’ilsnesaventpascommentluiannoncertoutça.Jecroisqu’ilsnesaventpasquoifaire.

En entrant dans la pièce, mes parents se frôlent, et ils se regardent dans les yeux pendantquelques longuessecondesavantdeseséparer.C’estunregardchargéd’émotions :dedouleur,detrahison,maisaussi…d’unpeudetendresse.Cequimeparaîttellementbizarre.Parcequejesaisquemamanavomitroisfoislanuitdernière,etqu’elleapleurétoutesleslarmesdesoncorps.«Salut»,ditRoberto.Enlevoyant,jemarqueuntempsd’arrêt.Ilal’airsifragiledanssagrandesachemised’hôpital,danssonlitmédicaliséavectouscestuyauxdanslenezetcesperfusionsdanslesbras.Ilestsipâleetfaiblequejeréalisetoutàcoupqu’onavraimentfaillileperdre.OnafailliperdreRoberto.

NotaBene:Neplusjamaispenserqu’onestimmortel.NotaBene:Nepaspleurer.Rectificatif:Nepastroppleurer.«Ondiraitquetuviensdevoirunfantôme»,ditRobertod’unevoixtoutefaible.Maisilale

sourire.«Lesinfirmièresm’ontditquelachemised’hôpitalm’allaittropbien.Vousenpensezquoi?-Çanetevapasmal.»Jelisseunpeuledrap.«Tun’aspasintérêtàmerefaireunefrayeur

pareille.-Plusjamais,promis.»Papaetmamanontleslarmesauxyeux.Paparepoussedoucementunemèchedecheveuxqui

tombesurlesyeuxdeRoberto.«Ilvafalloirquetuteménages.-Oui,promis.Arrêtezd’avoirl’airtristes,commeça.Jevaisfaireattention,promis.Fautpas

fairecestêtesd’enterrement.Jesuislà.Etvousn’êtespasprèsdevousdébarrasserdemoi.»Il ferme les yeux pendant quelques secondes. « Je suis encore fatigué, quand même. J’ai

l’impressiond’avoirtoujoursenviededormir.-Jecroisquetudevraistereposer,ditmaman.Maissachequ’onestlà.Ledocteuraditqueje

pouvaisresteravectoi.»Elleluicaresselefront.«Etmoijereviendraiunpeuplustard.»Papal’embrassesurlajoue.«Moiaussi.»Jeprendssamaindanslamienne.Entempsnormal,Robertoferaituneblaguepourdétendrel’atmosphère.Maisaulieudeça,il

refermelesyeuxetmurmure:«Jevousaime.»

Papapassedevantmoicommesijen’existaispas.Iln’esttoujourspasvenumeparler.Maisjenem’attendaispasàcequ’illefasse.Jenesaismêmepasoùilloge,cequ’ilfaitdesesjournées.Ilfautquejeluiparle.J’aibesoindesavoir.«Papa.»Mamaineffleuresonbras.«Onpeutparler?»

Ilsetourneversmoi.«Dequoi?-Jeveuxsavoircequis’estpassé.J’aibesoindesavoir.Tunepeuxpasmedirequelquechose

d’aussibouleversantett’imaginerquejenevaispasteposerdequestions.-Jenevoulaispasquetuapprennesçadecettemanière.Jepensaisvraimentquej’emporterais

cesecretdansmatombe.»Ilmefaitsignedelesuivredanslacafétériadel’hôpital.Ilnemarchepluslatêtehaute,commeavant.Ilaperdusadémarcheassurée.Onnediraitplus

l’hommequej’aiconnu,onnediraitplusmonpère.Lacafétériaestpresquevide.Nousnousasseyonsdansunpetitcoin tranquille,àcôtéd’une

fenêtrequidonnesurleparking.«J’auraistellementvouluqueleschosessepassentautrement.-Cen’estpascequejetedemande.Jeveuxsavoircequis’estpassé.Jeveuxensavoirplus

surmasœur.Jeveuxsavoirpourquoitun’aspasvoulud’elle.-Jenesavaispasquetuavaisunesœurjusqu’àilyaquelquesannées.Claireetmoi…Claire

etmoi,cen’étaitpasqu’unehistoired’unsoir.Ons’estvuspendantquelquestemps.Tamèreetmoi,onaeuunepériodetrèsdifficilequandonn’arrivaitpasàavoirundeuxièmeenfant.EtClaireétaitlà,ellemecomprenait…etj’aidéconné.

-Tuasencorementiàmaman.Jen’arrivepasàcroirequetuaiesencorementi.Tunousasditquec’étaitunehistoired’unsoir.

- J’aiparléavec tamère.Ellesait tout.Claireadécouvertqu’elleétaitenceinteaprèsqu’ons’est séparés. Et elle pensait qu’on allait se remettre ensemble.Maismoi je ne voulais pas. Je nevoulaispasperdretamère.EtClaireacomplètementdisjoncté.

-Qu’est-cequeçaveutdire?-Elleétaitfollederage.Ellem’amenacédetoutraconterauxgens,deledireàtamère.J’ai

achetésonsilence.-Elleaacceptédesetairepourdel’argent?-J’étaisquelqu’und’importantàl’époque.J’étaistrèspersuasif.J’étaissonpatron.Etjeluiai

juréquejeladétruiraissielleessayaitdefairequoiquecesoitcontremoi.Quejeladétruiraissanshésiter.»

Jeleregarde.Jen’arrivepasàcomprendrecommentcethomme,enfacedemoi,peutêtrelamêmepersonnequemonpère–celuiquijouaitavecnous,quinousfaisaitdescâlins,quisedéguisaitenpèrenoëlchaqueannée.

Ilsecouelatête.«Maisc’estellequim’adétruit,aufinal.Onatravaillécôteàcôtetouslesjourspendantpresquehuitansaprèslafindenotreliaison.

- Huit ans ? » Je ne peux pas m’empêcher d’avoir un mouvement de surprise. Ça paraît

affreusementlongdedevoirtravaillerautantdetempsensembleaprèscequis’étaitpasséentreeux.-Oui, huit ans.Elle avait besoinde ce travail.Etmoi je voulais garder la face.C’était une

vraie torture. Puis elle a fini par démissionner. Et un jour, il y a quatre ans, elle m’a appelé.Apparemment,elleavaitcommencéàvoirunpsydepuisquelques temps,etsonmari insistaitpourqu’ellemediselavérité–c’estcequ’ellem’aditentouscas.»Sesmainssemettentàtrembler.«Ellem’a dit que tu avais une sœur jumelle, qu’elle m’avait volontairement caché son existence parcequ’elle voulait se venger, mais aussi pour garder quelque chose de moi. Elle m’a demandé si jevoulaislarencontrer.Sijevoulaissavoirsonnom.Sijevoulaisqu’ellemeparled’elle.»Ilsepasselalanguesurleslèvres,etdétournelesyeux.

Jesensuncreuxseformerdansmonestomac.Uncratèremême–aussiprofondqueceluiduvolcanqueRobertoavaitconstruitpourunefêtedelasciencequandilavaitseptans.«Qu’est-cequetuluiasrépondu?Commentelles’appelle?

-Jeluiairéponduquejenevoulaispassavoir.Jeluiaiditquecetteépoquedemavieétaitterminée.Etjeluiaidemandédeneplusjamaism’appeler.»Savoixsemetàtrembler.«J’aieupeur.

-Tuaseupeur!»Jemelèvesibrusquementquejerenversemachaise.Jelaramasse,etjeleregardedroitdans lesyeux.Ilest restéassis, ilnebougepas, ilgarde lesyeuxbaissés.«C’estmasœur.C’esttafille.Tunousasmentiàtouspendanttellementd’années.

-Jepensaisquejepouvaisenterrertoutçadanslepassé.J’aimetamère.Jel’aimetellement.Etvousdeuxaussi,jevousaimetant.Ilfautquetuessaiesdecomprendre.J’aifaitdumieuxquej’aipu.Etj’aitoutperdu.Mafamille,montravail,mamère.»

Leslarmesmemontentauxyeux,jen’yvoisplusrien.Jeclignedesyeux.«Jenesaispasquete dire. Pourquoi ne m’as-tu pas dit la vérité cet été ? Pourquoi ? Tu voyais à quel point j’étaismalheureuse,ettun’asriendit.

-Jenesavaispascommentfaire.J’aimentipendanttellementd’années,quej’enétaispresquevenuàcroireàmesmensonges.»Aprèsuninstant,ilajoute:«Ilfautquetum’aides.Parleavectamère.Dis-luidemedonnerunesecondechance.»

J’aiunmouvementderecul.«Nemedemandepasça.Jeneveuxpasêtreentrevousdeux.Jen’arrivemêmepasàmerendrecompteque tuesmonpère.Quandjepensequependant toutescesannées,jemedemandaisoùétaitmonpère,ettuétaisjustelà.

-Jedoisyaller.»Ilselève.Sesmainstremblentencoreplusmaintenant.«Tusaislavérité.Etregardelerésultat:çaatoutfoutuenl’air.»Etens’éloignant,ilrépèted’unevoixplusforte:«Çaatoutfoutuenl’air».Ondiraitunfou.

Jenereconnaisplusmonpère.Je suis tellement secouée que je reste assise dans la cafétéria pendant un bonquart d’heure

avantdetrouverlecouragedepartir.Jemesensàlafoistristeetencolère–uninstantjesuisauborddeslarmes,etlesuivantj’aienviedehurler.

Jesors.Unefilleentutusehâtedevantmoi.Ceslongscheveuxnoirsetraides,cegrandsacaveclelogodel’ÉcoledesArtsdelaScène…Jen!Quefait-elleici?

«Jen!»Jel’appelleetelleseretourne.Elleaunsouriretristeauxlèvres.«Qu’est-cequetufaisici?»

Elle se racle lagorge,dansed’unpied sur l’autre– rienàvoir avec la Jenque je connais.«Rien»,merépond-elle.

«Ahbon.Etçat’arrivesouventdetebaladerdansdeshôpitauxentutu?-Masœurestdanscethôpital.Elleacinqans,etelleestgravementmalade.Alorsunefoispar

semainejeviensdanserpourlesenfantsquisonthospitalisésici.»Elleal’aird’êtreauborddeslarmes–iln’yaplusunetracedesonallurearrogante,deson

côtégrandegueule,desonsouriredemademoiselleje-sais-tout.

«Jesuisdésolée,jenesavaispas.-Jen’enaiparléàpersonne.»Ellehausselesépaules.«Ilfautquejepréservemonimage.»

Ellesemetàrire,d’unrireamer.«Etjen’aiaucuneenvied’enparler,parcequ’àchaquefoisquej’ypense, j’aienviedepleurer, j’aienviedehurler, j’aienviededisparaîtresous terre. Iln’yaque ladansequimefassemesentirunpeumieux.

-Oh.»Ellesecouelatête.«Oui,“oh”.Jesaisquejenesuispastoujourstrèssympa.Etparfoisjele

regrette,et j’aimeraispouvoirm’excuser.Maisilyadesmomentsoùjemedisquecen’estpassimal.Silesgensnemetrouventpassympa,c’estjusteparcequejedislavéritéàceuxquineveulentpasl’entendre.»Ellehésiteuninstant.«Commemaintenant.Tuvasmetrouverpassympaparcequejevaisêtrefrancheavectoi.

-Vas-y.»Ellesouffleungrandcoup.«Ilfautquetuarrêtesdetevoilerlaface,etqueturéfléchisses

unebonnefoispourtoutesàcequetuveuxvraimentdanslavie.Parcequ’ilyadesgensquin’ontmêmepaslechoix.Masœurvamourir.Ettoi,tuperdstontempsàessayerderendretoutlemondeheureuxsauftoi.Etçamerenddingue.»Elles’estmiseàpleurer,alorsjelaprendsdansmesbras.Ellerenifle.«Ettumeprendsdanstesbras.Ilfallaitquejem’yattende,tuesbiencegenredefille.»Ellepleuretoutesleslarmesdesoncorps,blottiecontremonépaule.

Etjesaisqu’ellearaison.

CHAPITRE44-NICK

Le jour suivant, à l’École, je redouble d’efforts, j’essaie d’être dans le présent, jeme concentre àfond.Mêmesimonespritn’arrêtepasdevagabonder–jerevoisEmentraindepleurer,Roballongédanslehalldelamaison.

Jemeforceàcontinuercommesiderienn’était.«Svetlana?»,dis-jeàlafinducours.Elleestentraindeprendredesnotesdanssoncahier,et

quandellemevoitarriver,ellesemetàmordillersoncrayon.«Toutvabien?»Jenel’aijamaisvueaussifatiguée.«Oui,oui,çava.Jemedemandaissil’Écoleavaituneformationpourdevenirprofdedanse,

ou si vous preniez des professeurs stagiaires, ou bénévoles. J’aimerais faire une année de césurequandjeterminemoncursus.

-Uneannéedecésure.Maislespectacledefind’annéevat’ouvrirlesportesdescompagniesles plus prestigieuses. » Elle recommence àmordiller son crayon, puis elle le pose sur la chaisederrière elle. « Je suis désolée, c’est unevilainemanie que j’ai.Avant, jeme rongeais les ongles,mais j’ai acheté ce vernis amer spécial, et j’ai réussi à arrêter. »Elle secoue la tête. «Enfin bref.Pourquoiveux-tufaireuneannéedecésure?

-J’adoredanser.-Jesais.Et tuesextrêmementdoué.Tuesundesdanseurs lesplus talentueuxque j’aievus

passerparl’Écoledepuisdesannées,etjenedispasçaàlalégère.-Merci»,jeréponds,enmepassantlamainderrièrelanuque.«C’estvraiquej’adoredanser,

maisjenesuispassûrdevouloirentrerdansunecompagnie,dedevoirsuivreleschorégraphiesdesautresetvoyagerenpermanence– jenesaispassi jeveuxquemaviese réduiseentièrementà ladanse.

-Cen’estpasnécessairementcommeça.-C’est justeque…J’ai fait tellementd’effortspourprouveràmonpèreque jevoulaisêtre

danseur,etquej’étaisassezbonpourledevenir,quej’aifiniparoubliercequimemotivaitaudépart.Jesensquej’aibesoind’unpeudetempspourtrouvermavoie.

-Tuvoudraisêtrebénévoleici?- Je me disais que peut-être… si je pouvais continuer à vivre au pensionnat, et être votre

assistantpourlescours…ceseraitsuper.-Monassistant?»Ellesegratte lamain,etcommenceàse rongerunongle.«Ah, j’avais

oubliécefichuvernis.»Ellefaitunegrimace.«Écoute.Jevaisenparleraudirecteurdel’École,etje

tetiensaucourant.»Auboutdequelquessecondes,elleajoute:«MaisNick,jetrouveçatrèsmûrdetapartdevouloirbienréfléchiraulieudetelancertêtebaissée.Tesparentsdoiventêtretrèsfiersdetoi.

-Jenesaispas.Onverrabien.Çanevousembêtepassijeresterépéterunpetitmoment?-Maispasdutout,biensûr.»Je me remets à danser. Je répète les mêmes mouvements des milliers de fois. Mais

bizarrement,mêmesijesuisépuisé,j’appréciechaqueinstant,jemesensheureux.

AvantqueRob fasse sa septicémie, ladernière foisque j’étaisalléà l’hôpital, c’étaitquandmongrand-pèreétaitmort.Jemerappelleencorequandilarendusonderniersouffle.J’avaisseizeans, et je n’avais aucune envie d’être là.L’odeur de javel et demaladiemedonnait la nausée.Dessemaines après sa mort, l’image de mon grand-père tout gris et ratatiné sur son lit d’hôpital mehantaitencore.Jen’étaispasprochedemongrand-père.C’étaitlepèredemonpère,etilnecachaitpasqu’iltrouvaitmonpèredécevant.Cejour-là,àl’hôpital,c’estlaseulefoisdemaviequej’aimonpèresetortillersursachaiseetmanquerd’assurance.

J’arrive devant le bureau des infirmières et je leurmontrema carte d’identité. J’ai dix-huitans,etj’aidoncledroitdevenirseul.C’estladeuxièmechambreàdroite.Laporteestouverte.Robestentrainderigoler,etjen’auraisjamaisimaginéqu’unjourjeseraisaussiheureuxd’entendrecerire.

Ilestautéléphone.Jem’assoissurlachaiseàcôtédesonlit.«Tuluiasditquoi?»demande-t-ilenriant.«Non,maisn’importequoi.Ellevaêtrefolle.Tut’esmisdansunsacrépétrin!»Ilmefaitunpetitcoucou.«Giovanni,jeterappelleplustard.»Ilacquiesce,puismurmurequelquechosequiressemblepasmalàun«jet’aime»enitalien.

Puisilsetourneversmoi.«J’aientendudirequetum’avaissauvélavie.Jepensequec’estgrâceànotrepratiqueintensivedesjeuxvidéoquetuassuavoirlesbonnesréactions»,dit-ilavecunpetitairtaquin.

«Çadoitêtreça.Toi,parcontre, tuescenséêtreungénie,et tun’espasfoutudeterendrecomptequandtudoisallerchezlemédecinetarrêterdefairelecon?

-Arrêterdefairelecon?Dansquelsens?Parcequejetiensàtedirequejemesuisconvertiàlamonogamie.»Aprèsuntempsd’hésitation,ilajoute:«Ettoiaussi,j’espère?Parceque,bon,tusorsavecmasœur,quandmême.»Onseregardedanslesyeuxuninstant.Puisonéclatederiretouslesdeux.Aussitôt,uneinfirmièreentredanslachambre.

«Ilvafalloirquevousvouscalmiezunpeutouslesdeux,ilyadespatientsquiessaientdesereposer.

-Désolé»,jerépondsetRobertofermelesyeux.Peut-êtrequeçal’afatiguéderirecommeça.Peut-êtrequ’ilnesesentpasbien.»

Il réouvre unœil. «Giovanni s’est fait un sang d’encre. Ilm’a envoyé plusieursmessagesquandiln’arrivaitplusàmejoindre,etensuiteilaessayédecontacterEmilia.

-Elleluiarépondu,non?-Oui,maisseulementauboutdevingt-quatreheures.Doncjenetedismêmepascommentila

flippé.»Ilresteuninstantsilencieux.«Tusais,jel’aimevraiment,vraimentbeaucoup,cemec.-Jesais.-Maisqu’est-cequivasepassers’ilnefaitjamaissoncomingout,s’iln’arrivejamaisàdire

àsafamillequ’ilesthomo?Pourquoic’estsidurpourlui?-Jen’enaiaucuneidée.»Robm’aditqu’ilétaithomoquandonétaitencoreaucollège.Juste

aprèsm’avoirdéfenducontreungroupedepetitscaïds.Jem’étaisfaitmettreuneracléeparcequejefaisaisdeladanse,etque,commeilsledisaient«ilfallaitvraimentêtreunetapettepourfairedeladanse.»Ill’avaitditàsesparentspaslongtempsaprès,etçan’avaitpaseul’airdelesaffecteroutre-mesure.Toutcequ’ilsvoulaient,c’étaitqu’ilsoitheureux.

Rob se racle la gorge. «MaNonna l’aimait beaucoup aussi. Ellememanque.Merci d’êtrevenuàl’enterrement.

-Tum’asdéjàditmerci.Etcen’estvraimentpaslapeine.-Est-cequetupeuxdiremerciàtonpèredemapart?Iln’estpasvenumevoir,etjesaisqu’il

afaitdespiedsetdesmainspourmoi.-Jeluidirai.»Onsetournetouslesdeuxverslatéléenmêmetemps–ilyaundocumentaire

surleComic-Con.Onseregarde,etonallumelatélé.Parfois,toutparaîttellementfacile.Maiscen’estqu’uneillusion.Robaencorel’airtrèsmalade,etsaconvalescenceseralongue.Ilnesaittoujoursriendece

quis’estpasséentreEmetsonpère,maiscen’estpasàmoideleluiraconter.

CHAPITRE45–EM

Onestsamedi.Leventn’estplusaussifort,etlesoleilpercedetempsentempsàtraverslesnuages.Jeregardemontéléphoneavantdesortir,maisNatalyan’atoujourspasréponduàmestextos.Ilfautquejedemandeàsamèrel’adresseducentrederééducation,pouraller lavoir.Jenepeuxpasmecontenterdeluienvoyerdesfleursetunecarte.Etmêmesijecomprendsqu’elleaitbesoindetemps,jecroisqueçaluiferaaussidubiendesavoirquejesuislà,qu’onesttouslàpourelle.

Jeprends le joliplantdebasilicdeNonnasurunedes fenêtresdu restaurant,et je ferme laported’unpetitcoupdehanche.

M.Edwardsn’habitepastrèsloin.Àpeinedixminutesplustard,jegravislesescaliersdesapetitemaison.Jecoincelebasilicentremesbrasetmapoitrineetj’appuiesurlasonnette.

J’entendsunchienaboyerderrièrelaporte.«Çasuffit,Vendredi!»Puisj’entendsunbruitdepas.«J’arrive!»Ilouvrelaporteetsonvisages’illumine.«Emilia,quelplaisirdetevoir!

- Je suisdésoléedevenirà l’improviste, jeneveuxpasvousdéranger. J’ai essayédevousappeler.

-Cepetitmonstremeprendtoutmontemps»,dit-ilenmontrantunlabradorjaunequiremuelaqueuederrièreunebarrière.«Jel’aiadoptélasemainedernière.Jemesuisdit…»Sonsouriresefaitunpeutristeetilcourbelesépaules.«Jemesuisditqueçameferaitdubiend’avoirunchien,dedevoirprendresoindelui.Jepeuxencoremarcher.Ilestvieux,commemoi.Lerefugem’aditquepersonnen’envoulaitàcausedesonâge,justement.Jecomprendstrèsbien.»Ilrit,puismefaitsigned’entrer.«Nerestepasdehors.

- Je vous ai apporté quelque chose. » Je lui tends le basilic. «C’était l’aromate préféré deNonna,etelleadoraitceplanttoutparticulièrement.Ellem’aracontéqu’ellel’avaitplantéquandvousvousêtesrencontrés,etjemesuisdit…jemesuisditquepeut-êtrevousauriezenviedel’avoir.»

Ilmet samain sur le cœur. «C’est très gentil. » Le chien aboie à nouveau, etM.Edwardsrépète un peu plus fort : «Vraiment très gentil. » Il prend le plant de basilic, et il le sent pendantquelquessecondes.«TaNonnaest…»Ilseraclelagorge.«C’étaitunefemmemerveilleuse.»

Jedansed’unpiedsurl’autre.«Ellevousaimaitbeaucoup.»J’imagineNonnaentraindemedonneruncoupdecoude.Jecontinue :«Etnousaussionvousaimebeaucoup.Mamanetmoi,onvoudraitvousinviteràdînerlasemaineprochaine.

-Avecgrandplaisir.Tuveuxboirequelquechose?-Jeveuxbien.-Jepeuxnousfaireduthé.Vendredivanoustenircompagnie.C’estungentilchien.Ilaboie

beaucoupmaisc’estunbonchien.

-Super,j’adorelethé.»Etjelesuisdanssonpetitsalon.Ilestpleindepeinturesetdephotos.Vendredimelèchelamainenpassantprèsdemoi,etilvas’installerconfortablementsouslatable,surletapisrougefoncé.«C’estvousquiavezpriscesphotos?»JeluimontreunephotodelatourEiffel.

«Ouic’estmoi.Aprèslaguerre.Maisjenevaispast’embêteravecceshistoires.-Pasdutout,aucontraire!Racontez-moi.»Etjevoissonregardsechargerdetendresse.«Tagrand-mèreavaitraison.Tuesunejeune

femmepascommelesautres,Emilia.»Enentendantça,j’aiunebouledanslagorge.Jemesensenvahieparunevagued’émotions,je

nesaispasquefaire.Alorsjem’approchedeM.Edwards,etjeleserredansmesbrasunbrefinstantavantdem’asseoiràtable.«Qu’est-cequevousavezcommethé?»

Ilrigole.«Laisse-moivoir.Jerevienstoutdesuite.»Lechienlesuitdanslacuisine.Chaquephotolaisseentrevoiruneémotion,c’estpresquecommedeladanse.Puis,àgauche

delapièce,prèsd’unelampe,j’aperçoisunephotodeNonna.Elleestentrainderire.Jemelèveetjem’approche,toutdoucement,commesilaphotoallaitprendrevie,commesiNonnaallaitsemettreàparler.

Ilnesepasseriendetoutça,biensûr,maiscettephotoavraimentcapturésajoiedevivre.Elleest dans la cuisine du restaurant, et on dirait qu’elle vient de se retourner. Elle regarde droit dansl’objectif.

Vendredi s’approche de moi et me lèche à nouveau la main. Comme s’il devinait ce dontj’avaisbesoin.M.Edwardsest justederrièrelui.«Jepeuxt’enfairefaireuntirage,si tuveux.»Ilposeplusieursboîtesdethésurlatable.«Elleétaittellementbelle.

-Oui.Etcen’étaitpasseulementunebeautéphysique,c’étaitaussiunebeautéintérieure.»Jeremetslecadreàsaplace,àcôtédelalampe.«Maiselledétestaitqu’onlaprenneenphoto.Alorsjesuiscertainequ’ilyaunebellehistoirederrièrececlichéaussi.»Ilserassoitetsourit.

S’il y aquelque choseque j’ai appris cette année– cette année et toutemavie, grâce àmamèrequim’achoisieetaiméecommepersonneaumonde,etgrâceàmafamillequinesavaitpasquej’étaisvraimentunedes leurs–c’estque lafamille,cen’estpasseulementdes liensdesang,çaseconstruit.EtM.Edwardsfaitdésormaispartiedelanôtre.Ilestimpensablequ’onlelaisseseul.

AprèsmavisiteàM.Edwards,lerestedemasemainesuitsaroutine.JerendsvisiteàRobertoaprèslescours.Parfois,Nickm’accompagne.Parfois,mamanestlà.Parfois,c’estpapa.

Aujourd’hui, nous sommes tous réunis dans la petite chambre – tous sauf Nick – etl’atmosphèreesttendue.Pesante.

«Ok,qu’est-cequisepasse?-Qu’est-cequetuveuxdire?»répondmaman,enlevantlesyeuxduromanqu’elleapporteà

chaquevisite(etquiluisertd’écranpouréviterdeparleravecmonpère).«Jenesuispeut-êtrepasenformeencemoment,maisjenesuispasidiot.-Onenparleraquandtuserassortidel’hôpital.-Qu’afaitpapa?»demande-t-ilenmeregardantavecinsistance,commes’ilsavaitquej’étais

laseulequipouvaitpeut-êtreluidirelavérité.Papaselève.«Jesuisvraimentdésolé,Rob.Pourtout.-Ons’étaitmisd’accordpourattendre»,luiditmamand’unevoixcinglante.-Clairement, çanemarchepas,Amanda.Riende tout çanemarche.»Son tonmonted’un

cran,et ila lesépaulesqui tremblent.Il respireungrandcoup.«Jesuisdésolé.»Ilse tournevers

moi.«Jet’aime,Emilia.Tulesais.»Oui,malgrétoutcequiestarrivé,jesaisqu’ilm’aime.Mêmes’ils’estcomportécommeun

contoutecettedernièreannée,etqu’ilm’amentipendantdix-septans,jesaisqu’ilm’aime.«Est-cequel’und’entrevouspourraitm’expliquercequisepasse?»LavoixdeRobertoa

reprisdelaforcedepuislasemainedernière.«Sivousnemeditespascequisepasse,jevousjurequejevaismemettreàhurler.

-Trèsmûr,commeréaction.Tusaisquetun’asplusneufans?»luidis-jeenrepensantauxcrisesqu’ilfaisait,enfant,quandiln’obtenaitpascequ’ilvoulait.

«Ahah.N’essaiepasdechangerdesujet.Papaetmamans’adressentàpeinelaparoleetnes’approchentpasàmoinsd’unmètrel’undel’autre.Ettuévitespapaduregardquandilessaiedeteparler.Alors,oui,jesensbienqu’ilyaquelquechosequinevavraimentpas.»Ilesthorsd’haleineàlafindecepetitdiscours.Maisilajoute:«Emilia,pourquoitunemedispascequisepasse?

-Jenecroispas…»dis-je,maisilm’interromptenmefusillantduregard.« Je suis à l’hôpital, au calme, avec des tonnes de docteurs pourme soigner.Vous croyez

vraimentquelameilleuresolutionc’estd’attendrequejesoissortipourmedirecequevousavezàmedire?»Ilsecouelatête.«Jesuispresquecertainquec’estpapaquiafaitunegrosseconnerie.Cequiveutdirequec’estàproposdel’adoptiond’Em.

- C’est mon vrai père », je ne peuxm’empêcher de dire.Maman enfonce la tête dans sesmains,pendantquepaparestelà,debout,sansriendire,àattendrelaréactiondeRob.

«Merde»,ditRob.«Répèteunpeuça?»Papaluiexpliqueendeuxmotscequis’estpassé,etlevisagedeRobseferme.«Vat’en.Sors

immédiatementd’ici.-Laisse-moit’expliquer»,ditpapa,maisRobertofaitunegrimacededouleuretpapafronce

les sourcils, comme s’il ressentait lui aussi sadouleur. « Je suis tellementdésolé», dit-il avantdesortir.Jecroisqu’ilestentraindepleurer.Etçamebriselecœur.

«Jen’arrivepasàycroire»,ditRoberto.«Jen’arrivepasàycroire.-Tun’espasleseul.»J’essaiederire,maisçaéchouelamentablement.Robertomefaitsigne

devenirsurlelit,etjevaism’allongeràcôtédelui.Mamanselèveetvientnousembrassertouslesdeuxsurlefront.

«Jevousaimetouslesdeux»,dit-elle.«Jevousaimeautantl’unquel’autre.»Robertoregardefixementleplafond.Puisilsetourneversmoi.«Tuastoujoursétémasœur,

doncçanechangerienpourmoi.Laseuledifférence,c’estquesiunjourtuasbesoind’unrein,tupeuxcomptersurmoi.»

Jeleserrefortdansmesbras,sifortquelesmachinessemettentàbipper.

CHAPITRE46–NICK

Les répèts se sont un peu mieux passées qu’hier. Il faut dire qu’hier l’ambiance était aux cris etpresqueauxlarmes.Aujourd’hui,enrevanche,toutlemondesouritetapplaudit.Onaréussiàfairemonter leniveaud’uncran.Et jecroisque tout lemondes’enest renducompte,parce l’ambianceétaitvraimentplusdétendue.Emiliaestvenueauxrépèts,maisonvoyaitbienqu’ellen’avaitpas lecœuràça.ElleestentraindeparleravecJen,maintenant.Jenn’arrêtepasdesourireetd’acquiescer,etçamefaitencorebizarredelesvoiraussicopines.

Siellesseprenaientdanslesbras,parcontre,çameferaithalluciner.Jendétestecegenredegesteaffectueux.Emilia,aucontraire,esttrèstactile–ellevapeut-êtrelaconvertir,quisait?

«QuiauraitcruqueJenpuisseêtreaussisympa?»Jesursaute.C’estKayodequis’estglisséderrièremoi.

«Moijesavaisqu’elleétaitsympa»,jeréponds.-Biensûrquetulesavais.Tul’asconnuedeprès,detrèsprès…»Kayodeéclatederire,et

mepasseunbrasautourdesépaules.«Jeplaisante.Enfin,àmoitié.Parcequequandmême,tuessortiavecelle,tuluiasbrisélecœur,etelleaquasimentpétélesplombsàcausedetoi.Maistoutestbienquifinitbien.

-Pourquoij’ail’impressionquetusaistoujourstout?-Parcequejesaistoujourstout»répond-ilavecungrandsourire.«Jen!»dit-il,etellese

retourne.Ellefroncelessourcilsuninstant.«Quoi?-TuvasaurécitalduMetcesoir?-Oui.Mamèrem’adonnédesbillets.J’ail’impressionquetuasenviem’accompagner.-Ceseraitfabuleux.Mercipourl’invitation»,répondKayode.JenditaurevoiràEmilia,et

ellevient retrouverKayode. Ils sortent ensemblede la sallede répèt, ennous laissant seuls,Emetmoi.

Emterminesesétirementspuisellesetourneversmoi.«JevaisappelerClaireCarter.Jeveuxrencontrermasœur.Ethonnêtement,jemerendscomptequeladansenemerendplusheureuse.Jevousvois, toietJen,souffriravecunsourire jusqu’auxoreilles.Alorsquemoi, j’ai justeenviedehurleretdedireàtoutlemondequ’onmetteMadonnaàfond.

- Je t’ai dit qu’on devrait faire un spectacle avec de la musique des années quatre-vingt,comme ce qu’écoute tamère. » Jem’approche d’elle et on s’assoit tous les deux par terre, sur leplancher.Noussommescôteàcôte,etjeluiprendslamain.Elleestsipetitecomparéeàlamienne.Jeregardesonpoignetdélicat–elleporteencore lebraceletque je luiaioffert.Elleposesa têtesur

monépaule.Jeprendsunegrandeinspiration.Jenevoudraisêtrenullepartailleurs.Jesuistellementbienlà,avecelle.

«Tupensesquec’estseulementunepassade?»jeluidemande.«Nous?-Maisnon,pasnous.Biensûrqu’onn’estpasunepassade.Jepensequenotrerelationestfaite

pourdurer.Non,jeparlaisdeladanse.Est-cequetucroisqueçavatepasser,quec’estpeut-êtrejusteàcausedustress,detoutesceshistoiresavectamère,tonfrère,tonpèreettoutlereste,quit’arriventencemoment?

- Je ne crois pas.Ça fait unmomentque çaneme rendplusheureuse. Je crois que j’avaisbesoindeprouverquelquechose.Jevoulaisêtrelameilleure.Maisjecroisquelefaitdenepasavoireulerôleprincipal,c’estpeut-êtreunedesmeilleureschosesquimesoientjamaisarrivées.»Ellemedonneunpetitcoupdecoude.«Misàparttoi,biensûr.Tuesfabuleux.

Je rigole. « T’inquiète, je sais. Nick le Fabuleux. C’est mon surnom de super-héros. » Jel’embrassesurlefront.

Elleseblottitcontremoi.«Monpèren’estpasrepasséàlamaison.Etilnem’apasappelée,ilnem’adonnéaucunenouvelle.Jenesaispasquoipenser.

-Jepeuxdemanderàmonpèredel’appelersituveux.»Elletournelatêteversmoi.«Oui,jeveuxbien.-Bien sûr, aucun souci. » Jeme penche pour l’embrasser. Pas un long baiser, ni un baiser

passionné–unautregenredebaiser,qu’onestentraind’apprendre,unbaiserdetouslesjours,detouslesinstants.«Maistunem’astoujourspasdit.Qu’est-cequetuvasfairesituarrêtesladanse?

-Mesnotesnesontpastropmal.J’airegardésurinternetlesécolesdecuisine,hiersoir.Jemesuisditque…pourquoipas.Quejepouvaisessayer,etvoirsiçameplaît.

-Uneécoledecuisine.»Jeluilanceunsourireencourageant,confiant.«Jecroisqueçapeutteplaire.

-Jecroisaussi.J’adoraispasserdutempsavecNonnaaurestaurant.Ettoi?Ladernièrefoisqu’onaparlédetonfutur,detacarrière,etdecequetuallaisfaireaprèsl’École,tonobjectifc’étaitd’intégrer lameilleure compagnie possible. » Elleme regarde droit dans les yeux, et je sens soncorpsseraidircontrelemien.

-J’aibeaucoupréfléchi…J’aidemandéàSvetlanasijepouvaisresterunandeplusàl’École.Commebénévole.Pourenseigner.J’aienviedeprendreuneannée.Pourréfléchir.Jen’aipasenviededeveniravocat,niderejoindremonpèrechezGrawski&Fils,etjesaisquejeveuxcontinuerladanse.Etenfairemonmétier.Maisj’aitellementd’idéesquimetraversentl’esprit…ilyatellementdepossibilités,etj’aimeraisprendreletempsderéfléchiràtoutçaavantdemedécider.»

Ellesedétendànouveaucontremoi.«CequiveutdirequeNickleFabuleuxvaresterdanslesparages.

-Exactement.Etmêmesiunjourjedécidaisd’intégrerunecompagnie,jeseraistoujourstonNickleFabuleux.»

Ellehochelatête.J’espèrequ’ellecomprendcequejeveuxdire.Justepourêtresûr,j’ajoute:«Jet’aime.»Jenepensaispasquemoncœurpuissesesentiraussicomblé.

Ondécided’allerdansnotreendroitpréférédeCentralPark. Ilyadeplusenplusdegensdanslarueetdanslesparcs,ilyaduchangementdansl’air.Commesilemondeétaitentraindeseréveilleraprèsunelonguehibernation.

Je passe vraiment trop de temps dans la peau du Prince Charmant, je commence à parler

commelui.Emserrela lettredeClairedanssamain.«Sielleaécritsonnumérodetéléphone,çaveut

direquejepeuxl’appeler,non?»«Jesuissûrqueoui.Allez,courage.Maintenant,tusaislavérité.Laseulechosequiteresteà

faire,c’estderencontrertasœur.-Maisimagine,siellemedétestait?-Etimagine,sivousvousentendiezsuperbien?-Hmm.Maisqu’est-cequejevaisluidire?»medit-elleenregardantletéléphone.-Regarde, Jen et toi vous avez réussi à vous entendre finalement.Alorsque tu la détestais.

Doncjesuisàpeuprèssûrquetoutvabiensepasseravectapropresœur.-Tucroisqu’ellemeressemble?-Jenesaispas.Vousêtesjumelles,quandmême», je luiréponds,et je luidonneunepetite

tapesurlahanche.«Allez,vas-y.Tuasenvied’appeler.Iltefautjusteunpeudecourage.»Elleprendunegrandeinspiration,etellecomposelenuméro.

CHAPITRE47-EM

Letéléphonesonne–unefois,deuxfois.Jechangeletéléphonedemain,pourpouvoiressuyermapaumequiestdéjàmoite.

«Allô.»Claireaunevoixpleined’assurance.«Bonjour,c’estEmiliaàl’appareil.Vousavezmisvotrenumérosurlalettre,alorsjemesuis

ditquejepouvaispeut-êtrevousappeler.»Jememetsàbredouiller,jecoincemontéléphoneentrelementonetl’épaulepourm’essuyerànouveaulamain.Nickmepassegentimentlamainsurlanuque,etilmurmure:«Çavaaller.»

«J’attendaistonappel,répond-elle.Jesuissûrequetuaspleindequestionsàmeposer.Etjesuiscertainequeçan’apasétéfacilepourtoidem’appeler.Tonpèrem’aditqu’ilt’avaitparlédetasœurjumelle.»

J’ailesoufflecoupé.«Vousêtestoujoursencontactavecmonpère?»Cen’estpascequ’ilnousadit.Maisjeneseraispassurprisequ’ilnousaitmentisurçaaussi.

« Non, pas vraiment. J’ai travaillé avec lui pendant huit ans après votre naissance. » Ellepousseungrandsoupir,commesic’étaitdouloureuxderepenseràcettepériodedesavie.«Huitans.On aurait plutôt dit huit siècles.Huit années demensonge et de haine envers ton père.Quand j’aidémissionné,j’aicoupétoutcontactaveclui.Jusqu’àcequemonmarimeconvainquedeluidirelavérité.Jeluiaiparlédeuxfoisdepuismadémission.Lapremière,c’étaitquandjeluiavouéquetuavaisunesœurjumelle.Laseconde,quandtonfrères’estretrouvéàl’hôpital.Ilrefusaitdemevoir,ilavaitmenacédedétruiremavieentière,alorsj’aipréféréneplusavoiraucuncontactaveclui.

-Maisvousavezgardéunenfant–unenfantdelui.Masœur.-Quandjesuisentréeàlamaternité,jepensaisluidirequec’étaitdesjumelles.Jepensaisque

jevousdonneraistouteslesdeux.Audébut,jem’imaginaisqueçaallaitm’aideràlerécupérer,medonnerunmoyendepressionpourlefairerevenir.

-Unmoyendepression?»Jecriepresque.Jeprendsunegrandeinspiration.«Qu’est-cequevousracontez?Onnepeutpasforcerquelqu’unàêtreavecuneautrepersonne!

-Maisc’estcequejem’imaginais,àcetteépoque.Jecroyaisquequandilmeverraitavectoiet tasœur, ilcomprendraitqu’onétaitune famille,qu’ondevait resterensemble.»Elleéclated’unriredur,etjesensunfrissonmeparcourirl’échine.«J’étaisvraimentidiotedem’imaginerdestrucspareils.J’avaisdesproblèmes.Jen’aipaseuuneenfancefacile.Cen’estpasuneexcuse,jesais.Maisjevoulaism’accrocheràtonpère.

-D’accord…»jedislentement.Jenecomprendspastroppourquoielles’estautantaccrochéeà lui. Il a trompémamanpourcoucheravecelle,puis il l’amenacée, et il l’a traitéecommede la

merdequandelleesttombéeenceinte.- Mais ensuite, pendant ma grossesse, il ne m’appelait que pour savoir quand étaient les

rendez-vous,etquandilm’ademandédevoirlavidéodel’échographie,jeluiaidonnécelled’uneamie pour qu’il ne sache pas que vous étiez deux. Il n’en avait rien à faire de moi. Tout ce quil’intéressait,c’étaitsonbébé.Jepensaisencorequej’allaisvousdonnertouteslesdeux,àcemoment-là.Mais…Elles’éclaircitlavoix.«MaisquandHannahettoivousêtesnées…

-Hannah?C’estcommeçaques’appellemasœur?-Oui,Hannah.C’étaitleprénomdemamère.»Hannah.Jemurmuresonprénom.Hannah.EmiliaetHannah.«Jetedisaisquequandvousêtesnées,Hannahettoi,ilsm’ontapportétasœurenpremier.Je

l’ai prise dans mes bras. Elle criait, et elle était parfaite. Elle se blottissait contre moi, elle meregardaitcommesielle savaitdéjàqui j’étais.»Savoixsebrise.« J’aiditauxdocteursque jenevoulaispasteprendredanslesbras.Parcequejesavaisquesijelefaisais,jenepourraisplusjamaistedonner.»

Jesensleslarmesmemonterauxyeux.Nickmeprenddanssesbras.«Pourquoiest-cequevousn’avezpasessayédemerencontrer?demecontacter?Pourquoivousm’aveztenueéloignéedemapropresœur?

-Maisjesuisvenuetevoir.J’aiassistéàpresquetoustesspectacles.Jem’asseyaisaufonddelasalle,etjepartaistoujoursunpeuavantlafin.»

J’ailabouchesèche.Elleestvenuemevoir.Elleétaitlà.Peut-êtrequefinalement,elleenavaitquelquechoseàfairedemoi.Jenecomprendspas.

Elle brise le silence, comme si elle savait que j’avais besoin de temps pour assimiler cequ’ellevientdemedire.« J’ai essayé tellementde foisde trouver le couraged’avouer à tonpèrel’existencedetasœur.Tellementdefois.Quandilm’aquittée,avantquejesachequej’étaisenceinte,ilétaitenlarmes.Ildisaitqu’ilaimaittamère,etqu’ilnevoulaitpasluifairedumal.Ilnem’aimaitpas.Pasassezentouscas.Çam’afaitmesentirtellementmal,etçaafaitressortirdesfantômesdemonpassé.»J’entendsquelqu’unl’appeler.«Uninstant.

-Ok.»Nickm’embrassesurlamain.«Jepeuxfairequelquechose?-M’inventerunenouvellevie.-Tuesentouréedegensquit’aiment.Jet’aime.»Ilmedonneunpetitcoupd’épaule.«Jesais

quec’estdur,maisçafaittellementdetempsquetuattendsdesavoirlavérité.Ettuasunesœur.-Tout est si difficile. J’ai envie de détestermonpère.Mais je n’y arrive pas. J’ai envie de

détesterClaire.Maissituavaisentenduledésespoirqu’ilyavaitdanssavoix.«Tuestoujourslà?»demandeClaire.JefaissigneàNickdesetaire.«Jesuislà.-Jetedisais,quandj’aifinalementtrouvélecouragededireàtonpèrequetuavaisunesœur,

etqu’elleétaittrisomique,saréactionm’arappelépourquoij’avaisdécidédelerayerdemavie.»Je fronce les sourcils. «Qu’est-ce que vous venez de dire ? » Jeme demande si j’ai bien

entendu.«Tasœuresttrisomique.»Jerestebouchebée.Pasunmotnesortdemabouche.Nicksentquequelquechosenevapas,

etils’accroupitdevantmoi.«Çava?»Jesecouelatête,unpeuperdue.«Commentc’estpossible?-C’esttrèsrare,maisçaarrive.Tun’imaginespascombiendefoisj’airegardésurinternet,

combiend’heuresj’aicherchédesréponses.»Elleseraclelagorge.«Etjen’airiensupendantla

grossesse.Jen’aipaseubesoind’uneamniocentèse,etmagrossessesepassait trèsbienmalgré lefait que vous soyez des jumelles. Ils se sont rendu compte qu’Hannah était trisomique plusieursheuresaprèslanaissanceseulement.»Elleresteuninstantsilencieuse,puisreprend.«Quandjel’aidit à tonpère, onne peut pas dire qu’il l’ait bienpris. Il a dit qu’il ne voulait pas entendre parlerd’elle.Maiscen’estpasvrai.Jel’aiaperçuàunmatchdefootd’Hannah.

-Ilnem’avaitpasditça.-Tonpèreestquelqu’undecompliqué.-Cen’estpaslemotquej’auraischoisi.-Peut-êtrepas.Enfin,bref.J’aidonnélapetitecouvertureavecladanseuseàl’infirmièrepour

toi.Hannahalamême.»J’aiunebouledanslagorge.Jen’arriveplusàdéglutir.«MaisHannah…vabien?-Elleestheureuse,gaieetmerveilleuse.Toutlemondel’adore.-Est-cequ’ellesaitquej’existe?-Monmarietmoiavonscommencéàluiparlerdetoiquandelleavaithuitans.Ellefaitune

carted’anniversairepourtoichaqueannée.»Jefermelesyeux.«Quandest-cequejepeuxlarencontrer?-Ceweek-end,peut-être?OnpourraitveniràNewYork.HannahadoreCentralPark.Ilyaun

endroit qu’elle adore, à côté de la grande fontaine. » Elle commence àm’expliquer où se trouvel’endroitpréféréd’Hannah,etungrandsouriresedessinesurmonvisage.

-C’estmonendroitpréféréaussi», je luidis.JeglissemamaindanscelledeNick,et il laserretoutdoucement.«Alorsonsevoitceweek-end?Àquatorzeheures?

-D’accord»,répond-elle.Jeraccroche.JemetourneversNicketjepassemesbrasautourdesoncou.Sansunmot,sans

meposeruneseulequestion,ilmeserrecontrelui.Etjeresteblottielà.Jusqu’àcequejesoisprêteàparler.Àluiracontercequ’ellem’adit.Jusqu’àcequemeslarmessetransformentensourire.Unsourirepleindejoieetdecuriosité

–parcequelasemaineprochaine,jerencontreenfinmasœur.

Les jours passent.Trop lentement.Tropvite.Une autre semainepleinedehauts et debas –maissurtoutdehauts.Robertovamieux.Mamansebatpourobtenircequ’elleveut.Etmoi,jesuisenfinentraindecomprendrequijesuisetcequejedoisfairepourêtrelameilleure.

Êtrelemeilleur,çaneveutpasforcémentdireavoirlapremièreplacesurlepodium.Êtrelemeilleur,c’estaussisavoircequinousrendheureux,s’accrocheràsesrêves,nejamaisabandonner,etresterfidèleàsoi-même.Êtrelemeilleur,c’estsurtoutprendreplaisiràchaqueétapedececheminquinousmèneànosrêves.

Jemesuisrenseignéesurlatrisomievingt-et-un.J’airegardédesdocumentairespouressayerdemieuxcomprendrecequeçaveutdire.Etj’aipleuré.Beaucouppleuré.Maispasquedeslarmesdetristesse.

JeserrelamaindeNickdanslamienne.Jesuistellementnerveusequemesongless’enfoncentdanssapeau.Mamanm’a demandé si je voulais qu’elle vienne pourme soutenir,mais j’ai vu dans son

regardqueceseraittropdifficile,tropdouloureux.Nickm’a dit qu’il serait là si j’avais besoin de lui. Et j’ai besoin de lui. Je vais retrouver

ClaireetmasœurdansCentralPark.Ellem’aditqu’Hannahadoraityaller,etqu’ellem’avaitpréparé

uncadeau.J’ai trois petits cadeaux pour elle dansmon sac.Un poster de danseuse (celui que j’ai fait

signerparMistyCopelandquandje l’airencontrée ilya troisansetquejevoulaisgarderpour lejouroùj’auraisunappartementàmoi),descookiesàlanoixdecocoquej’aifaitsparcequeClairem’aditquec’était lespréférésd’Hannah,etuncadre-photosur lequelestécrit«sœurs». J’espèrequ’onpourrabientôtleremplirdesouvenirs.Jenesaispascequejevaisluidire,nicequejevaisfaire.

ClaireetHannahsontassisessousunarbre.JereconnaislescheveuxdeClaire.Hannahal’airdefaireàpeuprèslamêmetaillequ’elle.

Nickmedonneunpetitcoupd’épaule.«Tuessûredetoi?-Oui.Clairem’aditqu’Hannahavaithâtedemerencontrer.EtHannahestmasœur,tusais.

Pourquoipapal’a-t-ilabandonnée?CommentClaireetluiont-ilspupenserquec’étaitlameilleuresolution pour tout lemonde ? Je ne comprendrai jamais. »Ma respiration est saccadée. « QuandClaireaditàHannahquej’étaisdanseuse,elleluiaréponduquelesdanseursétaientmagiques.

-Etellearaison.Maisdanstoncas,cen’estpasparcequetuesdanseuse,tuesmagiquetoutcourt.

-Moncul.Ilyatroisjours,tum’asditquej’étaischiante,parcequejetepoussaisàfairetesdevoirs.

-Tueschianteetmagiqueàlafois.Ettuveuxvraimentqu’onparledetoncul?»Jeluidonneunepetitetapesurlebras,maisenmêmetempsjetournelesyeuxversluietjelui

faisunpetitsourireunpeuhésitant.«Qu’est-cequejevaisluidire?-Pourquoitunecommencespasparl’écouter?Claireluiaditqu’elleallaitterencontrer.»Jeprendsunegrandeinspiration.L’airsentbonleprintempset leparfumsucrédesgâteaux

que les petits groupes de pique-niqueurs sont en train de déguster sur l’herbe. Il y a une de cesdélicieusespetitesbrisesd’été,ettoutparaîttellementcalmeautourdenous.Moi,parcontre,jesuisunevraiebouledenerfs.

Jesensdesvaguesd’émotionsm’envahir,unvéritableraz-de-maréequejenepeuxarrêteretquimedéferlesurlecœur.

«Oui,elleleluiadit.»Ons’approched’elles,etjemeraclelagorge.«Salut…»,jedis,d’unvoixsi timidequejesuismêmepassûrequ’ellesm’aiententendue.MaisHannahseretourneetmefaitungrandsourire.Jelaregarde.Oui,jevoissadifférence,maisplusquetout,cequevois,cesontseslarmes.Jenesaispassiseslarmesdéclenchentlesmiennesoul’inverse,maisjemerendscomptequejesuismoiaussientraindepleurer.Àchaudeslarmes.

«Emilia»,dit-elle, très lentement.Puis elle se lèveetm’ouvre sesbras. Jeme tourneversNick,quiestentraindesourire.Ilserremamain,puislalâche.Jemejettedanslesbrasdemasœur.

Ellen’yestpourriendanstoutecettehistoire.Pasplusquemoi.Nosparentsontcomplètementdéconné.Magistralementmême.Maisonn’apasàsouffrirdeleursdécisions.Ellemeserrefortdanssesbras–etjen’aiplusdutoutl’impressiond’êtreuneerreur.Nimoinielle.

«Jet’aifaituncadeau»dit-elle.Elletouchemonvisage.«Tuestellementbelle.-Non,toituesbelle»,jeluiréponds,etj’entendsClairereniflerjusteàcôtédemoi.Hannahfouilledanssonsacetmetendunbraceletavecdespetitscœurs.«J’aimisdespetits

cœursparcequejet’aime.»Ellesouritànouveau.«Tuveuxaussiuneglace?»PuisellejetteunœilversNick.«C’estton

petitcopain?»dit-elletrèslentement,enrougissantunpeu.J’acquiesceetellepouffederire.«Moiaussij’aiunpetitcopain.Ils’appelleErik.Etilm’aime.-Jen’endoutepas.»

Etcommeça,sansplusdeformalités,ons’assoitetonsemetàparler.Onapprendàseconnaître.Etjemeretrouvesoudainavecunesœur.

CHAPITRE48-EM

Etundossierdeplusd’envoyé.Un.J’aifaitunesuperlettredemotivationpourexpliquerpourquoij’aienviededevenirchefcuisinier.Ouentoutcasd’entrerdanslemondedelarestauration.

«Tusorscesoir?»medemandemamandepuislerez-de-chaussée.«Oui,jeparsdansquelquesminutes!JevaispasserlasoiréechezNick»jeluiréponds.«Jedoisalleraurestaurant,jerentreraitard.Nem’attendspas.-Çamarche!»,jeréponds.Elleentredansmachambreetvientm’embrassersurlefront.-Tuestrèsjolie,cesoir»,dit-elleenmeregardantdelatêteauxpieds.J’aiessayédemefaire

belle,cesoir.Jenemesuispasmisesurmontrente-et-unnonplus,mais jeporteundemespetitshautspréférés–quimet envaleurmondécolleté– etmon jeanboyfriend foncédélavéquimevaparticulièrementbien.Jemesensbien.

«Merci»,jeréponds.«Netecouchepastroptard.Etn’oubliepasquetonpèredoitt’appelerdemain.»Je pousse un soupir. «T’inquiète, je n’ai pas oublié. »On avance tout doucement,mais on

avancequandmême.Jediraismêmequ’onfaitdesprogrès.Jeluienvoieunmailpourconfirmerquej’attendssonappellelendemain–apparemment,ilétaitpersuadéquej’allaisencoreannuler.Etiln’apascomplètementtort.Çam’atraversél’esprit,maisilaétélàpourmoipendanttellementd’années–au moins jusqu’à l’an dernier. C’est quand même lui qui m’a élevée. Je ne les ai pas encorecomplètementpardonnés,Claireet lui,pour toutcequ’ilsont fait.Cequ’ilsnousont fait àmoi, àmaman,etàHannah.

Je réponds rapidement àGiovanni, qui essaie d’organiser une surprise pourmon frère : ilvoudraitque tous lesamisdeRoberto,ycomprisceuxquisontà l’étrangerouenCaliforniepourleursétudes,fassentchacununpetitmessage-vidéopourluisouhaiterunbonrétablissement.Jefaisdemonmieuxpourl’aider.

Jen’arrêtepasderegarderlacartequeNonnam’aenvoyéeilyaquatreans,quandj’étaisenvacancesdanslesHamptons.EllemeracontaitdespetitesanecdotesheureusesdesavieavecPoppa,me parlait du restaurant et des nouvelles recettes qu’elle voulait qu’on goûte ensemble, et elleterminait sa lettre par une citation : « Les faibles ne pardonnent jamais. Il faut être fort pourpardonner.»J’aiapprisdepuisquec’étaitunephrasedeGandhi.Àl’époque,jepensaisqu’elleparlaitdeRoberto, et qu’il fallait je lui pardonne d’avoir décapité une demes poupées et coupé les brasd’une autre pour ses expériences scientifiques.Même enfant, il était déjà passionnéde sciences. Jerelis lesmots deNonna, je retrace chaque lettre avec le bout du doigt.Une sensation de bien-êtrem’envahit.Elleessayaitpeut-êtredemedirequelquechosesurmonpère.Peut-êtrequ’ellesavait.Et

qu’ellevoulaitquejeluipardonne.Je secoue la tête. Je crois que j’ai trop regardé de films sentimentaux sur Lifetime, ces

derniersjours.J’attrapemonmanteau,etjemedépêchedesortirdelamaison.J’enjambeunegrandeflaqued’eau.Jelèvelatêteversleciel,et jesenslesgouttesdepluie

s’écrasersurmonvisage.Jemesensvivante.J’ail’impressionquetoutestpossible.Quemonfuturestlà,àportéedemain.Unfuturquejevaisconstruiredemespropresmains.

LeportiermefaitentrerchezNick.Nickestlà,etmeprendimmédiatementdanssesbras.«Tuesprêtepourletournoidelamort?»melance-t-ilenriant.

«Tuveuxdire,est-cequetuesprêtàrecevoirungrandcoupdepiedaucul?-Oh,Em,ilfautvraimentquetuarrêtesdeparlerdecul.»Jeluidonneunpetitcoupdecoude,etjecaressedoucementsonépaule.Ilporteunechemise

decouleursombreetunjean.Ilamisduparfum,etsescheveuxsontencoremouillés.Sonsouriremefaitlittéralementfondre.

«Allez,viens,onyva,dit-il.-Oùsonttesparents?-Ilssontpartispourleweek-end.-Alorsonesttoutseuls…- Avec le marathon de jeux vidéo de zombie pour nous tenir compagnie », répond-il. Il

m’embrasse.«Tuasl’airinquiète.-Non…pasinquiète…»J’avalemasalive.«Cen’estpaslemotquej’emploierais.-Ok.»Jelesuisjusqu’àsachambre,aupremierétage.Ons’assoitsurlesoletilallumesaPS4.«Tu

esprête?-Jecroisqueoui»,jeluiréponds.Iln’apasl’airdecomprendre.Etjenesaispascomment

luimontrercequejeveuxvraiment.Alorsjemerapprochedeluietjeprendsunedesdeuxmanettes.Nosbrasetnosgenouxsetouchent.Oncommenceàattaquerleszombies,etj’ail’impression

quela tensionmonteentrenous.C’estcommeunepousséed’adrénaline,commequandonentreenscène,qu’onestsouslesprojecteurs,maisenmillefoisplusfort–c’estcommenotrepremierbaisermaisunmilliondefoisplusintense.Ilmejetteunregardàladérobée.Jesenssanervosité–çasevoitdanslamanièredontiljoue:mal.Maisilestheureux,jelevoisàsonsourire–sonsourireleplussincère.

On se fait attaquer et dévorer par un zombie.On a perdu : l’univers va être envahi par leszombies,maison s’en fout tous lesdeux.Le temps semble suspendu, commeavantunbaiser.Nosmainssefrôlentànouveau,etnosdoigtss’entrelacent.Ildéposeunbaisersurlapaumedemamain,murmuremonnom,puism’embrasse.Seslèvresépousentlesmiennes.Jeneveuxpasqu’ils’arrête,jeveuxallerjusqu’aubout.

CHAPITRE49–NICK

J’ail’impressionquejeneseraijamaisrassasiéd’elle.J’aimetellementlegoûtdeseslèvres,sapeausidoucesousmescaresses,soncorpsquis’abandonnedansmesbras.

«Em»,jemurmure.Mavoixestrauque.Jepasselesmainsdanssescheveux,etjel’attireversmoi,deplusenplusprès.

Unepetitevoixmeditd’yallerdoucement,derespirerungrandcoupetdemecalmer,maisseslèvreseffleurentmoncou,jesenssonsouffletièdesurmapeau,etjemelaisseemporterparsescaresses.

Onseretrouveallongéssurlesol.Elleestsurmoi,etilestimpossiblequ’elleneserendepascompteàquelpoint je ladésire.Mais au lieude s’arrêter, elledéboutonnemachemise.Sesmainstremblent.

«Onn’estpasobligés»,dis-je,alorsquemoncorpsentierestentraindecrier:«Continue,s’ilteplait,continue.»

«Jesaisqu’onn’estpasobligés»,dit-elle.Ellealesyeuxquibrillent.Etcettefois-ci,cenesontpasdeslarmes.Jesenslebonheurmeserrerlapoitrine.«Maisj’enaienvie.

-Tuessûre?»J’ailabouchesèche.Mescaressesdeviennentunpeumaladroites.-Certaine.Jeveuxquemapremièrefoissoitavectoi.J’aienviedetoi.»Sesmotsajoutentencoreàmondésir.Ellepassesalanguesurleslèvresetmeregardedroit

danslesyeux,d’unairàlafoisaudacieuxethésitant.Elleenlèvemachemise,puissonhaut,etelles’allongesurmoi.Jesenssapeaucontrelamienne.Marespirations’accélère,jemesenssubmergé.

Ellem’embrasseetjelafaispassersousmoi.Jefaisglissermesdoigtslelongdesonventre,etjedescends,encore,etencore…Elleseraidit,etjelaissemamainremonterunpeu.

«Tuas…tuasun…»Elles’éclaircitlavoix.«Unpréservatif?»Jehochelatête,etj’attrapemonportefeuille.J’enaitoujoursunsurmoi.« La prochaine fois, je prendrai mes précautions.Mais je n’étais pas sûre que… Enfin, si

j’étaissûre.Maisjenesavaispas…»bredouille-t-elle.Elleestadorable.Etsexy,intelligente,etdrôle.C’estEm.Etjen’arrivepasàcroirequ’ellesoitdansmesbras.

J’essaied’alleraussidoucementquepossible.Sarespirations’accélère.Lesyeuxmi-clos,ellepousseungémissementetmurmuremonnom.Jesensquejevaisexploser.

«Tuessûre?»,jeluidemandeànouveau.Jeneveuxpasqu’ellepuisseunjourregrettersadécision.

«Sûreetcertaine»,répond-elle.Etellerelèvelatêteaumomentprécisoùjelabaisse,etonsecognelefront.Etmerde.Maiselleéclatederire,deceriregaiquej’adore,etjememetsàrigoler

aussi.«Onalaisséleszombiesnousdévorer,murmure-t-elle.-Çaenvalaitlapeine»,jeluirépondsetellesourit.Sesmainsexplorentmondos,descendentjusqu’enbasdemesreins.Ellemecaresselesfesses

etéclateànouveauderire.«Tutemoquesdemesfesses,là?»jeluilanceenluifaisantunpetitclind’œil.«Parcequejesaislapassionquetuaspourlesfesses.»

Elle rougit un peu. Je l’embrasse. « Tu peuxme toucher là où tu veux », jemurmure.Ons’embrasse à nouveau, et cette fois-ci, il n’y a plus aucune maladresse, c’est un baiser torride,passionné,entier.

Nousnefaisonsplusqu’un.Jene laquittepasdesyeux.Jeposeunemainsursa joue,et jecaresse doucement son visage. Je prends soin de ne pas appuyer de toutmonpoids sur son corpsminceetsouple.Ellegrimaceunpeu–etjel’embrassetoutdoucement.Puisellefermelesyeux,noscorpssemettentàl’unisson,etjeluimurmure«Jet’aime.»

Etlemonded’entiercessed’existerautourdenous.

CHAPITRE50-EM

MasoiréeavecNickétait…incroyable.Ilyaeudespetitscouacs,commequandons’estcognélatêteenpleineaction,quandjenesavaispasoumettremesmainsaudébut,ouquandilm’ademandésiçaallait,cequ’ilétaitentraindefaire.Maisunefoisqu’onaeudépassécesmaladresses,c’étaitparfait.Ilétaittellementdouxetattentionné,quecesoitavant,pendantouaprès–onestrestésdanslesbrasl’undel’autre,àrireetàparlerdetoutetderien.Jeluisuistellementreconnaissanted’avoirrenducemomentmagique.

Ilpassesonbrasautourdemataille,etjerougisenrepensantàsoncorpsnu,àcequ’onafaitetqu’onabienl’intentionderefaire.

«Emilia,icilaterre,vousmerecevez?»meditNickenm’embrassantsurlajoue.«Onvaêtreenretard.Tuneveuxpasqu’ongâchelasurprisedeRoberto,quandmême.»Ilmefaitunsourireentendu. « Et je connais ce regard. Non, on ne peut pas aller tuer des zombies, ce n’est pas lemoment.»

Jepouffederire.Parcequec’estdevenunotrenomdecodepour«coucherensemble».Sesmainscaressentdoucementmeshanches,etj’aienviedemelaisseralleràlatentation,maislasoiréequ’onaorganiséepourleretourdeRobertoàlamaisonestbienplusimportante.J’attrapelecadeauqu’onluiaacheté.Ensemble,commeuncouple.

«Tucroisqueçavaluiplaire?-Ilvahurlerdejoie.»J’espèrequ’ilaraison.«Ok,onyva.»

LafêtealieuaurestaurantdeNonna.Hannahvaveniretc’estlapremièrefoisqu’ellevavoirRoberto.Claireestd’accordpourqu’onpasseplusdetempsensemble.Jenesaismêmepassimonpèrevavenir.Maisjenepensepas.Surtoutdepuisquejeluiaiditqu’Hannahseraitlà.Quandonestunlâche,onlereste.

Jecroisqu’ilvafalloirquejefasseencorequelqueseffortsavantquemarancœurcontreluis’atténue.

J’aiaidémamanàdécorerlerestaurant.Onachoisi–sanssurprise–lethèmedessciences:onatrouvédesassiettesenpapieravecunsavantfou,unemaquettedevolcanquiprojettedelalave,etdesbanderolesE=MC2.Et les anciens cuisiniers deNonnam’ont aidé à préparer le repas – deslasagnes.OnasuiviàlalettrelarecettedeNonna.

Je sens les larmesmemonter auxyeuxen repensant àquelpointNonnaaimait lesgrandesfêtesdefamille.Jeprendsunegrandeinspiration.M.Edwardsestlàluiaussi.Jevaislesaluer,etonseserredanslesbras.

«Mercidem’avoirinvité.»Maman s’approche de nous. « Vous faites partie de la famille », dit-elle. « Et vous serez

toujourslebienvenucheznous.»Je sensmon cœur se gonfler de fierté.Maman a beau être dans une des périodes les plus

difficilesdesavie,elleadécidédes’ensortiretderesterfidèleàelle-même.Hannah arrive peu de temps après. Elle est venue seule. Je lui avais dit qu’elle pouvait

emmenerErik,maisapparemment, il travaillait aujourd’huiet ilnevoulaitpasprendreun jourdecongéparcequ’iltravailledur–c’estcommeçaqu’Hannahm’aexpliquélachose.

«Emilia!»s’exclame-t-elle,unmagnifiquesourireauxlèvres.Ellesejettedansmesbrasetjeluifaisuncâlin.Mamans’éclaircitlavoix,luidit«bonjour»,ets’envaaussitôt.Jesaisqueçadoitêtredurpourelle.MaisellevoulaitabsolumentqueRobertorencontreHannahluiaussi.

«Salut,Nicholas»,ditHannahenrougissantunpeu.Nickluifaitunbisousurlajoue.«Salut,belleHannah.Tuaspasséunebonnesemaine?-Géniale.On est retournés àCentralPark avecpapa etmaman, j’ai fait desdessins, et j’ai

postuléàdesoffresd’emploi»,dit-elle,toutefière.-Ilsarrivent!»criequelqu’un.On entenddes voix dehors.Un copain de fac deRoberto est allé le chercher à la sortie de

l’hôpital,etRobertos’estplaintqu’onl’avaitdéjàcomplètementoublié.Soi-disant«pournousfairepardonner»,onluiaditdenousrejoindreaurestaurantdeNonnapourdîner.Jesuispersuadéequ’ilsedoutedequelquechose,maispeuimporte.

Ilouvrelaporteettoutlemondecrie:«Surprise!»Roberto se met à rire, et fait une révérence. « Je le savais. Vous êtes les meilleurs ! » Il

s’avancepourfairelabiseauxgens,enleurjurantqu’iln’estpluscontagieux.Ils’arrêtedevantHannah.Ilnousexaminetouràtour,puisilsourit.«Bonjour»,dit-il.Elleleprenddanssesbras,etillaserrecontrelui.Iladeslarmesdanslavoixquandildit:

«Bienvenuedanslafamille,Hannah!-Bienvenuedanslafamille,Rob!»répond-elle,etilséclatentderiretouslesdeux.JelancelavidéoqueGiovanniapréparée.Robertoenestémujusqu’auxlarmes.Pendanttoutelavidéo,ilserremamaindanslasienne.

Quandçasetermine,Nicks’éclaircitlavoixetluidit:«Tunousasfoutuunesacréetrouille.Etjen’ai pas envie d’encourager ce genre de comportement, comme diraitmon père,mais tu comptesbeaucouppournoustous,etonaimeraitquetuprennesunpeudetempspourtoi.Alors…»Illuitenduneenveloppe.

Robertoouvre l’enveloppe,etensortunpapier–c’estunbilletd’avionpour l’Italie.«Lesdatessontmodifiables,donctupourrasl’utiliserquandtuvoudras.Etc’estunaller-retour,cequiveutdirequetuesobligéderevenir.Maisvoilà,çatepermettrad’allervoirGiovanniunpeuplustôtqueprévu.»

Roberto pousse un cri de joie, et se met à sauter dans tous les sens, avant de s’arrêterbrusquement, en se tenant lescôtesdedouleur.«Oups. Je suiscensénepas tropexagérer.» Ilmeprenddanssesbras,etmeserrefortcontrelui.«Merci,merci,merci.»

Lafêtecontinue,etmêmesijenemefaisaispastropd’illusions,jesuisdéçuequepapanesoitpasvenu.

CHAPITRE51–NICK

Deux semainesplus tard, le jour de la représentation est arrivé.Tout lemondeneparle quede sachoréetdesespas,l’Écoleentièrenepensequ’auspectacle.Jesuisencostume,etjesuistellementstresséetexcitéquej’aienviedehurler.Maisjemeretiens.

Au lieude ça, je regarde autourdemoi, et je souris en apercevantEm.Elle est en traindeparleravecJen.Encoreunefois.C’estmarrantdevoircommentellessesontrapprochées,etc’estgénialdevoirqu’Emaenfintrouvésavoie.Ellenousaaidéspourlesdécors,maisellearenoncéàsonrôle.Asseztôtpourquequelqu’unpuisseprendresaplace–quelqu’unquiabossécommeunefollepourêtrelameilleuredoubluredel’histoire.Jennesupportepassanouvelledoublure,maiselleessaie de rester professionnelle. Jen ne m’a plus jamais fait d’avances. Je me suis excusé auprèsd’elle,maisellem’aréponduqu’elleavaitsapartderesponsabilité.

Ems’approchedemoi.Elleporteunepetiterobed’été,etjen’aiqu’uneenvie,c’estdebaisserune de ses bretelles pour l’embrasser dans le creux du cou, puis sur l’épaule, puis…Mais jemeretiens.

«Tuasl’airstressé.Jediraismêmesuperstressé»,medit-elled’untonunpeutaquin.Ellepassesesbrasautourdemoncou,enfaisantattentionànepasenlevermonmaquillage.Ellequittel’ÉcoledesArtsde laScèneà la findu semestre, et ça fait longtempsque jene l’ai pasvue aussiheureuseetinsouciante.Ellesembleprêteàexplorerlemonde.

«Moi,stressé?Naan.Toutlemondemeditd’imaginerquelesspectateurssonttoutnus,maisçanesertà rien–avec lesprojecteursdans lesyeux, jene lesverraispas,de toute façon.Mais sijamais j’enaperçoisquandmêmequelquesuns, je ferais commesi c’étaitdes zombiesen traindes’entretuer.

-Pasdutoutmorbide»,dit-elleenriant.Elleposesamainsurmonbras.«Tuvasêtregénial.Jelesais.»Ellerestesilencieuseuninstant:«Ilfautquejeretournedanslasalle.Maismerde.»Ellemefaitungrandsourire.«Etjet’aime.»

Elleleditplusfacilement,maintenant.Maisçamefaitquelquechoseàchaquefoisqu’elleledit, et je n’en ai rien à faire que Roberto se moque de moi et dise que sa sœur m’a renducomplètementgaga.Parcequec’estvrai.Etjesuisheureuxcommeça.

Svetlanaentredanslesloges,etseraclelagorge:«C’estlemomentoùjamaisdevousfaireremarquer.Demontreràvosparentsetàtouslesgensquisontvenusvousvoircesoirquevousêteslesmeilleursparmilesmeilleurs,quevousavezdutalent,etquevousaimezcequevousfaites.»Elles’arrêteuninstant,lagorgenouée,puisreprend:«Certainsd’entrevousaurontunebrillantecarrièredans la danse. D’autres choisiront peut-être de devenir professeurs de danse. D’autres encore

voudrontcontinuerleurformation,etenfincertainsdéciderontpeut-êtredes’engagerdansuneautrevoie.»Elle lanceunpetit regardversEm,quiestcachéederrière laporte,et luifaitunclind’œil.«Mais jevousdemanderaiunechosece soir : écoutezvosémotions, etvivezchaquemouvement.Noussommestrèsfiersdevous.»

Après cediscoursd’encouragement, le brouhaha s’intensifie.Ledirecteurde l’École est entrain de faire un discours sur scène, et on entend un tonnerre d’applaudissements. Le spectacle vacommencer,unesensationmagiquem’envahit.EtjedevienslePrinceCharmant.

CHAPITRE52-EM

Je suis assise au premier rang, avec les parents de Nick, ma famille et ma sœur. Je regarde leprogramme.IlauraitdûyavoirlenomdeNatalya.Maiselleesttoujoursenrééducation,ellesebatpourretrouverunemobilitéquiluipermettededanserànouveauàunniveauprofessionnel.Certainsdisentqu’ellenepourraplus jamaisdanser. Je repenseà la seule foisoù j’ai réussià luiparlerautéléphone,etjesensmoncœurseserrer–elleavaitunevoixsitriste.

«Toutesttellementjoli»,ditHannah,émerveillée.Elleserremamainunpeuplusfort.«Jet’aiditqu’Erikvoulaitallermangeruneglaceavecmoi?»medemande-t-elleavecungrandsourire.Jesourisàmontour.J’airencontréErik,sonpetitcopain,lasemainedernièreàlabibliothèqueoùiltravaille,etilm’aditqu’ilétaitamoureuxd’Hannah.Ilssetenaientlamain,etilyavaitdesgensquilesregardaientdetravers,maisleuramourestleplussincèrequej’aievuedepuislongtemps.Hannahse tourne alorsversmamanet semet à lui parlerdedanseusesmagiques et dePrincesCharmantsmagiqueseuxaussi.

MamanestvraimentadorableavecHannah,elle l’aaccueillieàbrasouvertdans la famille.Papa n’est pas venu aujourd’hui – il a dit qu’il ne voulait pas dérangermais je crois qu’il essaiesurtoutdelaissermamanrespirerunpeu.Jenesuispassûrequ’ilsseremettentensembleunjour,niqu’ellepuisseluipardonnerdenousavoirmenti–àelleetàmoi–pendanttellementd’années.

Maismis à part papa, c’est comme si on était de nouveau tous réunis pour quelque chosed’important.EtlaréussitedeNickestvraimentleplusimportant.Beaucoupplusimportantquenosproblèmes.

Ilsaute,virevolteets’envoleavecun talentéblouissant.Ducoinde l’œil, jevois lepèredeNickserrerlamaindesafemmedanslasienne.Ilsepencheversmoietmeditàvoixbasse:«Ilestdoué,pasvrai?»

Jehochelatête.«Ilestincroyable.»Et tout lemondeest d’accordpour ledire.Les critiques, l’École, les compagniesdeballet.

Toutlemondeestd’accordpourdirequec’estlemeilleur.Jeregardeleplafond,enpensantàcequeNonnam’avaitditunjour.«Nicholasestquelqu’un

debien,ilaunboncœur.Écouteletien,Bellisima.Écoutetoncœur.»Jesensmagorgeseserrer,leslarmesmemontentauxyeux.Jeclignedesyeuxpourretenir

mespleurs.Même si ça fait déjà plusieursmois queNonna nous a quittés, elle est toujours là, près de

nous.Elleseratoujoursprèsdemoi.

Lelendemain,jesorsencourantdelamaison,etjepiqueunsprintjusqu’aumétro.Nickm’adonnérendez-vousdansCentralPark,ànotreendroithabituel.

Quandj’arrive,ilestappuyécontreunarbre.Ilsourit,ilporteunjeanetleT-shirtquejeluiaioffert,surlequelilestécrit«MarioBrosdéchire.»

«Salut.Excusez-moi,vousneseriezpaslanouvellerecruedel’AmericanBalletCompany?»Jepassemesbrasautourdesoncou. Ilhésite toujoursentre intégrerunecompagnieetchangerdevoie,commemoi.

Ilm’embrasse,d’abordsurleslèvres,puissurlecou,puisànouveausurleslèvres.Jesenssonsourirecontremeslèvres.Ilsereculed’unpas.«Enfait…Jeteprésentelenouveauprofesseurassistantdel’ÉcoledesArtsdelaScène.

-C’estvrai?-Svetlanaaparléaudirecteur,et ilaacceptédemeprendreà l’essaipoursixmois.Jesuis

logéaupensionnat,nourri,etj’aimêmeuntoutpetitsalaire–vraimenttoutpetit.Çaveutdirequejesuisindépendant,quejen’aiplusbesoind’aidedemesparents.Jecroisquemêmemonpèreestfierdemoi.»

Jeplisselesyeux.«Jecroyaisquetuvoulaisdanser.Est-cequetuessûrquec’estvraimentcequetuveux?

-Oui,j’ensuiscertain.Jevaisaiderdanslescoursdesélèvesdepremièreannée.»Ils’arrêteuninstantpuisreprend.«J’aiunandepluspourdécidercequejeveuxfaire.J’adoredanser.Maisc’étaitdevenuunmoyendedéfiermonpère.Jevoulaisluiprouverquej’avaisraison.Etmaintenantj’aimeraisêtresûrquejenelefaispasseulementpourça,maisbienpourmoi.»

Ilm’embrasse sur le bout du nez. «Un jour, quelqu’un de très futém’a dit que je devraisréfléchiràceque jevoulaisvraiment.Que jedevraismebattrepourceque jeveux.» Ilposeunemainsurmajour,etfaitglisserl’autrelelongdemondos.Jefrissonne.«Cequelqu’unm’aaussiditque j’étais capable de faire tout ce que je voulais, mais qu’il fallait que je sache d’abord ce quipourraitme rendreheureux.» Ilm’embrassedans lecreuxducou, justeàcet endroitque j’adore.«Cequelqu’unm’aditqu’ilfallaitquejemûrisse.»Ilm’embrassesurlabouche,justeunpetitbaiserrapide.«Cequelqu’unm’aditaussi…

-Detetaireetdem’embrasser»,jeluirépondsenl’attirantdansmesbras.Cettefois-ci,sonbaisern’estplushésitant,c’estunbaiseravide,profond–nosbouchess’entrouvrent,etjemepresseunpeupluscontre lui, je l’embrasseavec toutemonâme, jesensquenousfusionnons.Moncorpsentier brûle pour lui, mon cœur et mon esprit s’enflamment. Il fut un temps où j’avais peur desémotionstropfortes,peurqu’ellesmeblessent.Jecroyaisquec’étaitlemeilleurmoyendesouffrir.

Maisparfois,selaisseralleràsesémotionslesplusfortesneveutpasdirequ’onvasouffrir;parfoisc’estenprenantcerisquequ’ontrouveenfinlapersonnequinousaideàréalisernosrêvesetdevenirnous-mêmes.Etilarrivequecettepersonnenesoitautrequelemeilleuramidesonproprefrère.

THEEND

Quepensez-vousdeJen?Va-t-elle,elleaussi,trouversonprincecharmant?

UNAMOURENSIMINEUR(l’histoirecomplètedeJen&Lucas)sortle22septembre2016.

Pasdepromesses.Pasd’illusions.Ilsétaientd’accord.

Nouvelleville.Nouvellevie.Dumoins,c’estcequeJenHarrisons’imagine.Àdix-neufansàpeine,elleréalisesonrêve:devenirdanseusepouruneprestigieusecompagnieàParis.Maissousles

apparences,ellerestehantéeparledécèsdesasœuretcertaineserreursqu’ellevoudraittantoublier...Devenueexpertedansl’artdecacherquielleestvraiment,ellecomptebiennepasselaisserdistraireparunhomme.Uncoupd’unsoir,àlalimite.Riendeplus.Alors,cetétrangersexyabeauluivaloir

sespremierséclatsderiredepuisdesannées,ilesthorsdequestiondelerevoir...

AucunefillenerésisteàLucasWills.Lesgroupiessebousculentpourséduirelebadboydevenustardurock,maisilsemontrehonnêteetrefusetoutengagement,carilsaittropbienquelessentimentspeuventtoutgâcher.Sonexnes’estpascontentéedeluimentir:elleapiétinésoncœur,s’estservideluipourdevenircélèbre,etabienfailliluicoûtersacarrière.Plusjamaisça!Alors,quandilse

réveilledanssonlitaprèsunenuitdesplustorridesavecuneinconnueetquecelle-ciadisparu,ilnedevraitpass’étonner,niécrireunedeschansonslesplustristesqu’ilaitjamaisécrites,etencore

moinsrêverderetrouvercettefille...

Lucasn’encroitpassesyeuxquandJen,cecoupd’unsoirpartisansprévenir,seprésenteàl’auditionpourlesdanseusesdesonprochainclip.Leurattiranceréciproqueestdeplusenplusirrésistible,maisentrelessecretsdeJenetl’exdeLucas,ilsepourraitbienquelescarrièrespourlesquellesils

onttravaillésidurvolentenéclats,toutcommeleurscœurs...Àeuxdedécidercequicomptevraimentpoureux,etsil’amourvautlapeinedesebattre.

Vouspouvezdéjàleprécommanderencliquanticihttp://smarturl.it/AESMAmazon.

***

Avez-vousdéjàluUNÉTÉPASCOMMELESAUTRES?Découvrezl’étéquiatoutchangépourNick&Em…encliquantici:http://smarturl.it/EPCLA

REMERCIEMENTS

UneSecondechanceestmonquatrièmelivre.Ouiquatre!Jen’arrivemêmepasàycroire.Jen’enseraispaslàsansl’aideprécieusedemonmari.Jenesaiscommentleremercierpour

son soutien – et sa passion pour le basilic.Qui sait ? Peut-être qu’un jour, on ouvrira ce fameuxrestaurant de nos rêves qui ne proposerait que des plats à base de basilic. Encore merci de mesoutenir et de croire enmoi, de croire enma capacité à vivre demaplume. Je t’aimeplus que lacrèmeglacéeauxcookies,quelesémissionsd’HGTV,queMikedesDesperateHousewivesetDebradeDextercombinés,plusquelesbonspetitsplatsdeFavoriteetlesteakdeDelmonico’s.Jecroisquetuascompriscequejeveuxdire.Jet’aimeàlafolie!!!!!

Sicelivreavulejour,c’estgrâceauxeffortsdebeaucoupdepersonnes:RileyEdgewood,quiestnonseulementlareinedespaninisetdubrieaufour(aaaahlefromage),maisquiestaussiunecritique littérairehorspair.Vouspouveznotamment la remercierpourcettescène torridecontre lemiroirdelasallederépèt.MerciaussiàKatyUppermanetAlisonMiller,quionttoujoursréponduprésentesquandjeleurdemandaisleuravisàladernièreminute.C’estgrâceàellesquelespremièrespagesdeceromanontprisforme.Mercimillefois!!!!!!

EtmerciàEdithGirval,matraductrice…quiesttoutsimplement«magique».MerciaussiàStephanieParent,macorrectrice.C’esttoujoursunplaisirdetravailleravectoi,

etjesaisqu’unefoisquemesromanssontpassésentretesmainsexpertes,ilssontprêtsàaffronterlemonde.

C’est aussi grâce à tous ceux d’entre vous qui m’ont dit avoir aimé ma prose et mespersonnages–etnotammentEmetNickdansUnÉtépascommelesautres–queceromanapuvoirlejour.

Merci à tous les membres de mon « Cozy Nook » pour vos encouragements et voscommentaires.J’adorequevousm’écriviez,etj’espèrequevousvousplaisezsurnotrepetitgroupeFacebook.

Quandjesuisplongéedansl’écrituredemesromansoudansmescorrections,maviedevientquasi-monastique,maisj’ai toujoursunepenséepourmesamisprocheset lointains,et jevoussuisinfinimentreconnaissanted’êtreaussicompréhensifs,etdem’apporterunsoutienaussiprécieux.

Àchaquefoisquej’écrisunroman,jemedisqu’ilfaudraitquefasseunelistedetousceuxquiont jouéunrôledanssacréation,mais j’oubliesystématiquementde lefaire. Ilvavraimentfalloirquejemefasseunpense-bête.

Celivreestunlivresurlafamille,etjevoudraisencoreunefoisremercierlamienne.Parcequejesaisàquelpointjesuischanceusedevousavoir.Etvousmemanqueztous.

Oh, etmerci à la tante demonmari dem’avoir gentiment fait don de son beau prénom :Svetlana.J’espèreenavoirfaitbonusage

Maissurtout,merciàVOUS.Oui,vous,là,quiêtesentraindemelire.Mercid’avoirchoisicepetitlivre,mercid’avoirdonnéleurchanceàEmetNick.J’espèredetoutmoncœurqueleurhistoirevous a plu. C’est un sentimentmerveilleux et incroyable de savoir que vous avez lumon roman.J’espèrenejamaisperdrecettejoieetcetémerveillementdecréerdeshistoirespourvous.

<3<3<3

Àproposdel’auteur

Elodie Nowodazkij a grandi en France, dans un tout petitvillageoùelle sepromenait toujoursun livreà lamain.Àdix-neufans, elleestpartiehabiterauxÉtats-Unis,etelleadécouvertqu’elleneperdrait jamaissonaccentfrançais.EllehabitemaintenantdansleMaryland,avecsonmari,leurchienetleurchat.

Elleestaccroauxsmileys.

Visitezlesitewebd’Elodie:www.elodienowodazkij.comwww.facebook.com/elodienowodazkijtwitter.com/ENowodazkij

Àproposdelatraductrice

EdithGirvalagrandidansunetoutepetitevilleperdueaufonddelacampagnefrançaise,oùellesepromenaittoujoursunlivreàlamainelleaussi.AprèsundétouràLondres,etbeaucoupd’annéesàParis,ellevitdésormaisavecsonmarietsesdeuxenfantsdanslesnuagesdeBogotá,à2.700mètresd’altitude.

TableofContentsDÉDICACECHAPITRE1–EMCHAPITRE2-NICKCHAPITRE3-EMCHAPITRE4-NICKCHAPITRE5-EMCHAPITRE6-NICKCHAPITRE7-EMCHAPITRE8-NICKCHAPITRE9-EMCHAPITRE10-NICKCHAPITRE11-EMCHAPITRE12-NICKCHAPITRE13–EMCHAPITRE14-NICKCHAPITRE15-EMCHAPITRE16–NICKCHAPITRE17-EMCHAPITRE18-NICKCHAPITRE19-EMCHAPITRE20-NICKCHAPITRE21-EMCHAPITRE22-NICKCHAPITRE23-EMCHAPITRE24-NICKCHAPITRE25-EMCHAPITRE26-NICKCHAPITRE27-EMCHAPITRE28-NICKCHAPITRE29–EMCHAPITRE30-NICKCHAPITRE31–EMCHAPITRE32–NICKCHAPITRE33–EMCHAPITRE34-NICKCHAPITRE35-EMCHAPITRE36-NICKCHAPITRE37-EMCHAPITRE38-NICKCHAPITRE39-EMCHAPITRE40–NICKCHAPITRE41–EMCHAPITRE42-NICKCHAPITRE43–EM

CHAPITRE44-NICKCHAPITRE45–EMCHAPITRE46–NICKCHAPITRE47-EMCHAPITRE48-EMCHAPITRE49–NICKCHAPITRE50-EMCHAPITRE51–NICKCHAPITRE52-EMREMERCIEMENTSÀproposdel’auteurÀproposdelatraductrice