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Ann Pathol 2006 ; 26 : 131-3 © Masson, Paris, 2006 131 Cas pour diagnostic Accepté pour publication le 23 mars 2005 Tirés à part : V. Calès, voir adresse en début d’article. Une thyroïde pas comme les autres An unusual thyroïd Valérie Calès (1) , Geneviève Belleannée (2) , Yves Laborde (3) , Rivo Razakandretsa (3) , Laurence Lequen (4) (1) Service d’anatomie et cytologie pathologiques, Centre Hospitalier François Mitterand, Pau. (2) Service d’anatomie et cytologie pathologiques, Groupe Hospitalier Haut-Lévêque, Avenue Magellan, 33604 Pessac cedex. (3) Service de chirurgie viscérale, Centre Hospitalier François Mitterand, Pau. (4) Service de rhumatologie, Centre Hospitalier François Mitterand, 4 Bd Hauterive, 64046 Pau cedex. Calès V, Belleannée G, Laborde Y, Rivo R, Lequen L. Une thyroide pas comme les autres. Ann Pathol 2006 ; 26 : 131-3 Observation Une femme de 67 ans subissait une inter- vention chirurgicale pour goître multi- nodulaire découvert dans le bilan étiologique d’une tachycardie avec hyperthyroïdie. Ses seuls antécé- dents étaient une hystérectomie sub- totale pour prolapsus, et une appen- dicectomie. La thyroïde est arrivée à l’état frais au laboratoire, intacte, monobloc. Elle pesait 40 grammes. Le lobe droit mesurait 6,5 × 4 × 2,5 cm et le gauche, 5 × 3 × 1,5 cm. La palpation de la pièce trouvait plusieurs nodules bilatéraux. La thyroïde a été fixée dans du formol acétique puis coupée le lendemain, en tranches perpendicu- laires au grand axe de chaque lobe. Les nodules étaient nombreux, de 1 à 2 cm, d’aspect macroscopique colloïde. La thy- roïde a été incluse en totalité sur 17 blocs d’inclusion. L’examen microscopique des 17 lames correspondantes révélait la présence de deux micro-carcinomes papillaires d’architecture vésiculaires de 1 et 4 mm de grand axe et confirmait l’existence de nodules dystrophiques composés de vésicules de taille variable mais sou- vent grande, bordées de cellules cubi- ques ou cylindriques aux noyaux ronds, réguliers, bien espacés les uns des autres. Au sein des plus gros nodules, le stroma était parfois abondant, fibro- hyalin, et il existait fréquemment des plages de cellules inflammatoires avec de nombreux histiocytes plus ou moins pigmentés. Un des nodules attirait l’attention par la présence d’un contin- gent de cellules inflammatoires plus dense, pour lequel l’analyse au fort grossissement révélait la présence, en plus d’histiocytes, de lymphocytes et de nombreux polynucléaires éosino- philes (figures 1 et 2). Quel est votre diagnostic ? FIG. 1. — Foyer « inflammatoire » en bordure d’un nodule. FIG. 1. — “Inflammatory” focus on the border of a nodule. FIG. 2. — Présence de polynucléaires éosinophiles et de cellules au noyau à contours irréguliers, incisuré. FIG. 2. — Presence of eosinophils and cells with irregular serrated nuceli.

Une thyroïde pas comme les autres

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© M a s s o n , P a r i s , 2 0 0 6

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Cas pour diagnostic

Accepté pour publication le 23 mars 2005

Tirés à part :

V. Calès, voir adresse en début d’article.

Une thyroïde pas comme les autres

An unusual thyroïd

Valérie Calès

(1)

, Geneviève Belleannée

(2)

, Yves Laborde

(3)

, Rivo Razakandretsa

(3)

, Laurence Lequen

(4)

(1) Service d’anatomie et cytologie pathologiques, Centre Hospitalier François Mitterand, Pau.(2) Service d’anatomie et cytologie pathologiques, Groupe Hospitalier Haut-Lévêque, Avenue Magellan, 33604

Pessac cedex.(3) Service de chirurgie viscérale, Centre Hospitalier François Mitterand, Pau.

(4) Service de rhumatologie, Centre Hospitalier François Mitterand, 4 Bd Hauterive, 64046 Pau cedex.

Calès V, Belleannée G, Laborde Y, Rivo R, Lequen L.

Une thyroide pas comme les autres.

Ann Pathol2006 ; 26 : 131-3

Observation

Une femme de 67 ans subissait une inter-vention chirurgicale pour goître multi-nodulaire découvert dans le bilanétiologique d’une tachycardie avechyperthyroïdie. Ses seuls antécé-dents étaient une hystérectomie sub-totale pour prolapsus, et une appen-dicectomie.La thyroïde est arrivée à l’état frais aulaboratoire, intacte, monobloc. Elle pesait

40 grammes. Le lobe droit mesurait 6,5

×

4

×

2,5 cm et le gauche, 5

×

3

×

1,5 cm. Lapalpation de la pièce trouvait plusieursnodules bilatéraux. La thyroïde a étéfixée dans du formol acétique puis coupéele lendemain, en tranches perpendicu-laires au grand axe de chaque lobe. Lesnodules étaient nombreux, de 1 à 2 cm,d’aspect macroscopique colloïde. La thy-roïde a été incluse en totalité sur 17 blocsd’inclusion.L’examen microscopique des 17 lamescorrespondantes révélait la présencede deux micro-carcinomes papillairesd’architecture vésiculaires de 1 et 4 mmde grand axe et confirmait l’existencede nodules dystrophiques composésde vésicules de taille variable mais sou-vent grande, bordées de cellules cubi-ques ou cylindriques aux noyaux ronds,réguliers, bien espacés les uns desautres. Au sein des plus gros nodules,le stroma était parfois abondant, fibro-hyalin, et il existait fréquemment desplages de cellules inflammatoires avecde nombreux histiocytes plus ou moinspigmentés. Un des nodules attiraitl’attention par la présence d’un contin-

gent de cellules inflammatoires plusdense, pour lequel l’analyse au fortgrossissement révélait la présence, enplus d’histiocytes, de lymphocytes etde nombreux polynucléaires éosino-philes

(figures 1 et 2)

.

Quel est votre diagnostic ?

FIG. 1. — Foyer « inflammatoire » en bordure d’un nodule.

FIG. 1. — “Inflammatory” focus on the border of a nodule.

FIG. 2. — Présence de polynucléaires éosinophiles et de cellules au noyau à contours irréguliers, incisuré.

FIG. 2. — Presence of eosinophils and cells with irregular serrated nuceli.

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Valérie Calès et al.

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Diagnostic : localisation thyroïdienne d’une histiocytose

langerhansienne (HL)

Même si cette maladie est rare, tout patho-logiste peut y être confronté. Dans notreobservation, la présence de polynucléaireséosinophiles en foyer, inhabituels dans lathyroïde, nous a incité à analyser plus lon-guement ce nodule d’allure banale. Lacoexistence d’histiocytes au noyau typi-quement chiffonné et incisuré a fait évo-quer ce diagnostic qui a été confirmé par lapositivité du CD1a sur les cellules histiocy-taires à l’examen immunohistochimique.Cette affection, connue aussi sous le nomd’histiocytose X, terme actuellement aban-donné, est due à la prolifération, localiséeou disséminée, de cellules de Langerhans.Ces cellules font partie de la famille descellules dendritiques, issues de la moëllehématopoïétique, provenant d’une cellulesouche commune avec la famille des pha-gocytes mononucléés. Elles sont présentesphysiologiquement au sein des épithéliumsmalpighiens de la peau et des muqueusessurtout, mais également dans l’épithéliumbronchique, dans l’urothélium, et dansl’épithélium thymique et dans les gan-glions lymphatiques. Elles sont responsa-bles de la présentation des antigènes auxlymphocytes T dans les ganglions ou ellesmigrent, et ou elles prennent le nom decellules dendritiques interdigitées [1, 2].Quel que soit l’organe atteint, la lésion debase de l’HL est toujours un « granulome »composé de cellules au noyau vésiculeux,à chromatine fine, pouvant contenir un ouplusieurs nucléoles, classiquement décritcomme étant chiffonné, et incisurés. Lesmitoses sont rares. Il s’y mêle quelqueslymphocytes. L’évolution se fait vers lanécrose et l’apparition de polynucléaireséosinophiles, parfois de cellules multinu-cléées, puis vers la détersion avec accu-mulation de lipophages et sidérophagesaboutissant à une cicatrice fibreuse [1, 2].Ainsi, selon le stade d’évolution de lamaladie, certaines lésions seront riches encellules tumorales et pauvres en cellulesinflammatoires et vice versa. De plus,l’aspect du granulome varie en fonctionde sa localisation, les cellules géantesétant plus fréquentes dans les lésionsosseuses et ganglionnaires [1]. L’HL esthabituellement considérée comme unemaladie pédiatrique mais sa survenuechez l’adulte ne serait pas rare [3]. Les for-mes congénitales sont rares et spontané-

ment régressives (syndrome de Hashimoto-Pritzker). Les formes disséminées de lamaladie sont moins fréquentes (environ30 %) que les formes localisées et lesmanifestations cliniques diffèrent en fonc-tion du ou des organes infiltrés, les plussouvent atteints étant les os et les pou-mons, puis la peau et les muqueuse,l’hypothalamus, l’hypophyse postérieure,le foie, et les ganglions [2, 3]. Elles évo-luent sur un mode aigu chez le nourrissonet l’enfant (maladie de Letterer-Siwe), ou,plus rarement, sur un mode chroniquechez l’adulte comme dans la maladie deHans-Schuller-Christian associant un dia-bète insipide, une exophtalmie et desatteintes osseuses. Les formes localiséesconcernent surtout le tissu pulmonaire,ou osseux (granulome éosinophile del’os). La localisation thyroïdienne est raremais semble méconnue. Depuis le recen-sement des cas publiés par Karima Mrad,dans un numéro de cette revue en 2002,d’autres cas ont été rapportés [4]. L’atteintede la thyroïde peut être isolée, ou s’inté-grer dans une forme diffuse de la maladieavec atteinte multi viscérale et/ou osseuse.Sa découverte est donc importante à prendreen compte, nécessitant un bilan d’exten-sion complet à la recherche d’autres loca-lisations et un suivi médical, la thyroïdepouvant être le premier organe atteint [5].La symptomatologie clinique est banaleallant du nodule isolé au goître multi-nodulaire, ou à l’hypertrophie diffuse dela glande avec parfois hypothyroïdie asso-ciée, en rapport avec l’envahissementtumoral qui est diffus ou localisé. La pal-pation d’une thyroïde dure évoquant unetumeur maligne a aussi été rapportéelorsqu’il existe une infiltration des tissusmous adjacents [5]. À l’inverse, il peutaussi s’agir d’une découverte fortuite àl’examen anatomo-pathologique. Micros-copiquement, l’HL peut être confondueavec une thyroïdite lymphocytaire ou gra-nulomateuse lorsque les cellules inflam-matoires sont prédominantes où avec uncarcinome papillaire ou indifférencié de lathyroïde, surtout quand les polynucléaireséosinophiles sont rares ou absents. Le dia-gnostic de certitude est apporté par lamicroscopie électronique qui met en évi-dence les granules de Birbeck dans lecytoplasme des cellules. L’examen immu-nohistochimique avec le CD1a (OKT6) quiréalise un marquage membranaire est depratique plus courante. Les cellules sontaussi positives avec la PS100. La patho-génie de la maladie reste méconnue. Ilsemble admis que l’HL soit une lésion

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tumorale, due à une prolifération clonale,et non réactionnelle [1, 2]. Aucun facteurenvironnemental, en dehors du tabacdans l’HL isolée pulmonaire, n’a été incri-miné. Une infection virale a rarement étéretrouvée dans des prélèvements cutanés[2, 3]. Le traitement des HL est sujet decontroverse. Celui des formes diffuses faitappel à la chimiothérapie. Celui des for-mes localisées est chirurgical, quand c’estpossible, parfois associé à de la radiothé-rapie. Des régressions spontanées, dansles localisations isolées, osseuse ou pul-monaire, ont été décrites [2]. À l’inverse,chez certains patients, la maladie évoluemalgré le traitement. Dans notre observa-tion, le bilan d’extension n’a pas retrouvéd’autres localisations. Il s’agirait d’un nou-veau cas d’HL isolée à la thyroïde.

Key words:

Thyroid, Langerhans cell histocytosis.

Mots-clés :

Thyroïde, Histocytose Langerhansienne.

Références

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