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The Economy – L’Economie: Projet financé par INET, Sciences Po et Azim Premji University Traduction financée et réalisée par le Département d'Economie de Sciences Po, avec l’accord de CORE project. Le Département d’Economie de Sciences Po assume toute responsabilité dans la traduction (contactez Yann Algan). UNITÉ 2 PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE COMMENT NAÎT LE PROGRÈS TECHNOLOGIQUE ET COMMENT IL AMELIORE DE MANIÈRE DURABLE LES CONDITIONS DE VIE Cette Unité abordera les notions et faits suivants : Les modèles économiques permettent d’expliquer la Révolution industrielle et les raisons de son apparition en Grande-Bretagne. Les salaires, le coût des machines et tous les autres prix ont un impact sur les décisions économiques des acteurs. Dans une économie capitaliste, l’innovation récompense temporairement les innovateurs, ce qui incite à développer des technologies réduisant les coûts. Ces récompenses sont ensuite détruites par la compétition, à mesure que l’innovation se diffuse au sein de l’économie. La population, la productivité du travail et les niveaux de vie peuvent interagir et générer ainsi un cercle vicieux de stagnation économique. La révolution technologique permanente propre au capitalisme a permis à certains pays de réussir une transition vers une amélioration durable des conditions de vie.

UNITÉ 2 PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION …Late Victorian Holocausts: El Nino Famines and the Making of the Third World. London: Verso Books. 4 |SciencesPo Coreecon Curriculum

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The Economy – L’Economie: Projet financé par INET, Sciences Po et Azim Premji University

Traduction financée et réalisée par le Département d'Economie de Sciences Po, avec l’accord de CORE project. Le Département d’Economie de Sciences Po assume toute responsabilité dans la traduction

(contactez Yann Algan).

UNITÉ 2

PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION

ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

COMMENT NAÎT LE PROGRÈS TECHNOLOGIQUE ET COMMENT

IL AMELIORE DE MANIÈRE DURABLE LES CONDITIONS DE VIE

Cette Unité abordera les notions et faits suivants :

Les modèles économiques permettent d’expliquer la Révolution industrielle et les

raisons de son apparition en Grande-Bretagne.

Les salaires, le coût des machines et tous les autres prix ont un impact sur les

décisions économiques des acteurs.

Dans une économie capitaliste, l’innovation récompense temporairement les

innovateurs, ce qui incite à développer des technologies réduisant les coûts.

Ces récompenses sont ensuite détruites par la compétition, à mesure que

l’innovation se diffuse au sein de l’économie.

La population, la productivité du travail et les niveaux de vie peuvent interagir et

générer ainsi un cercle vicieux de stagnation économique.

La révolution technologique permanente propre au capitalisme a permis à certains

pays de réussir une transition vers une amélioration durable des conditions de vie.

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En 1845, une maladie nouvelle et mystérieuse apparut en Irlande. Elle faisait pourrir les

pieds de pomme de terre. Une fois l’infection visible, il était déjà trop tard. Ce qu’on

appellera plus tard le « mildiou » de la pomme de terre dévasta toutes les réserves

agricoles irlandaises jusqu’à la fin de la décennie. La famine gagna le pays. En tout, la

Grande Famine tua environ un million d’Irlandais, sur une population initiale de 8,5

millions d’habitants – un taux de mortalité équivalent à celui de l’Allemagne vaincue au

cours de la Seconde Guerre Mondiale.

La Grande Famine en Irlande déclencha une campagne internationale d’aide

humanitaire. Les communautés les plus diverses participèrent aux dons, des anciens

esclaves des Caraïbes, aux détenus de la prison Sing Sing à New-York, en passant par les

Bengalis, riches et pauvres, la tribu amérindienne des Chactas, et des figures de renom

telles que le sultan ottoman Abdülmecid et le pape Pie IX. A l’époque, tout comme

aujourd’hui, les gens ordinaires compatirent avec ceux qui souffraient et agirent en

conséquence.

Cependant, de nombreux économistes montrèrent bien moins de pitié. Nassau Senior,

un des économistes les plus réputés de son époque, s’opposa sans relâche à ce que le

gouvernement britannique fournisse de l’aide alimentaire, et un collègue horrifié de

l’Université d’Oxford rapporta qu’il déclarait « craindre que la famine de 1848 en

Irlande ne tue qu’un million de personnes tout au plus, ce qui serait tout à fait

insuffisant ».

La position de Senior est moralement repoussante. Pourtant, celle-ci n’était pas tant le

fruit de désirs génocidaires à l’encontre des Irlandais que de la doctrine économique la

plus influente de ce début du XIXe siècle, le malthusianisme. Cette théorie fut

développée par le pasteur anglais Thomas Robert Malthus, dans son Essai sur le

principe de population1 en 1798.

Selon Malthus, une augmentation durable du revenu par tête était impossible. En effet,

même si la technologie s’améliorait et accroissait la productivité du travail, à la

1 Une version en ligne gratuite est disponible en anglais: Malthus, Thomas R. 1798. ‘An Essay on the Principle of Population.’ Library of Economics and Liberty.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 3

moindre hausse de leurs revenus, les individus auraient plus d’enfants. Dès lors, la

croissance de la population se maintiendrait, jusqu’à ce que les conditions de vie se

dégradent suffisamment pour stopper l’augmentation de la population. A l’époque on

admit largement cette théorie d’un cercle vicieux de la pauvreté de Malthus, qu’on

estimait inexorable2. Celui-ci permettait d’expliquer pourquoi les revenus fluctuaient

d’une année sur l’autre, ou d’un siècle à l’autre, sans augmentation durable. C’est ce

qui a eu lieu dans de nombreux pays pendant au moins 7 siècles avant que Malthus ne

développe sa théorie, comme nous l’avons vu dans le Graphique 1.1a de l’Unité 1.

Contrairement à Adam Smith, dont la Richesse des Nations est apparue seulement 22

ans plus tôt, le livre de Malthus n’offrait pas une vision optimiste du progrès

économique – du moins en ce qui concerne les agriculteurs ordinaires ou les

travailleurs. Même si les individus parvenaient à améliorer la technologie, à long terme,

la grande majorité d’entre eux était condamnée à tout juste survivre de leurs revenus

agricoles.

Mais du vivant même de Malthus, un changement considérable eut lieu, qui permit

bientôt à la Grande-Bretagne de sortir du cercle vicieux de croissance démographique

et de stagnation du revenu par tête qu’il avait décrit. Ce changement qui permit à la

Grande-Bretagne de sortir du piège ou de la « trappe » malthusienne, et au cours du

siècle suivant à de nombreux autres pays également, fut la révolution industrielle, c’est-

à-dire une remarquable succession d’inventions radicales qui permirent de produire

autant de biens avec moins de travail.

Dans le textile, les inventions les plus célèbres comprennent la filature (spinning),

traditionnellement effectuée par les femmes (connues sous le nom de fileuses - ou

spinsters en anglais, terme qui ne désignait pas encore péjorativement les femmes non

mariées et relativement âgées) et le tissage, traditionnellement effectué par les

hommes. En 1733, John Kay inventa la navette volante, qui augmenta

2 Des indices suggèrent que les administrateurs coloniaux de l’époque victorienne considéraient la famine comme une réponse de la nature à la croissance démographie trop forte. Mike Davis soutient que leurs attitudes furent à l’origine d’une disparition d’hommes massive, sans précédent et qui était évitable ; il l’a qualifiée de « génocide culturel ». Voir : Davis, Mike. 2001. Late Victorian Holocausts: El Nino Famines and the Making of the Third World. London: Verso Books.

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considérablement la productivité du tissage. Cela provoqua une augmentation de la

demande en fil, à tel point qu’il devint difficile pour les fileuses d’en produire des

quantités suffisantes avec la technologie de l’époque, le rouet. La machine à filer

(spinning jenny) de James Hargreaves, développée en 1764, constitua une réponse à ce

problème.

Le progrès technologique fut également remarquable dans d’autres domaines. La

machine à vapeur de James Watt, développée en même temps qu’Adam Smith publiait

La Richesse des Nations, est un exemple typique. Ces innovations furent

progressivement améliorées sur une longue période, et elles finirent par se généraliser

dans toute l’industrie : non seulement dans le secteur minier où la première machine à

vapeur actionnait des pompes à eau, mais aussi dans le textile et dans d’autres

secteurs manufacturiers, ainsi que dans les secteurs ferroviaire et maritime. Ces

innovations constituent des exemples de ce qu'on appelle une innovation d'usage

général ou une technologie, comme l’ordinateur – que nous étudierons plus en détail

dans l’Unité 20 - l’a été lors des dernières décennies.

Le charbon jouait un rôle central, et le sol de la Grande-Bretagne en recelait en

abondance. Avant la révolution industrielle, une grande partie de l'énergie utilisée dans

l'économie était en fait produite par les plantes comestibles, qui transforment la

lumière du soleil en nourriture pour les animaux et les hommes, ou par les arbres dont

le bois pouvait être brûlé ou transformé en charbon de bois. En optant pour la houille,

les hommes purent exploiter de vastes réserves de ce qui était, essentiellement, de

l’énergie solaire fossilisée. Cela leur permit d'accroître considérablement la production.

L’inconvénient en est que le passage aux combustibles fossiles a eu des répercussions

majeures sur l'environnement, comme nous l'avons vu dans l’Unité 1 et comme nous

développerons dans le Chapitre 18.

Ces inventions, concomitantes avec d’autres innovations développées lors de la

révolution industrielle, ont eu pour effet de briser la logique du cercle vicieux que

décrit Malthus. Les avancées technologiques ont augmenté la quantité qu’une

personne pouvait produire au cours d’une période de temps donnée, permettant aux

revenus d’augmenter même lorsque la population s’accroissait. Aussi longtemps que la

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 5

technologie continuait à s’améliorer à un rythme suffisant, elle permettait de surpasser

la croissance de la population qui suivait inexorablement la hausse des revenus. Le

niveau de vie pouvait alors croître. Bien plus tard, les individus opteraient pour des

familles plus petites, même lorsque leurs revenus leur permettaient de subvenir aux

besoins de grandes familles.

C’est ce qui eut lieu en Grande-Bretagne, et, plus tard, dans de nombreux endroits du

monde.

Illustration 2.1 Salaires réels au cours de 7 siècles : artisans (travailleurs qualifiés) à

Londres (1264-2001)

Source : Les méthodes utilisées pour obtenir ces chiffres sont détaillées dans : Allen, R. C. 2001. `The

Great Divergence in European Wages and Prices from the Middle Ages to the First World War’,

Explorations in Economic History 38 (4): 411-447

Le Graphique 2.1 montre un indice du salaire réel moyen3 d’un artisan de Londres

entre 1264 et 2001. On y remarque la longue période au cours de laquelle les

3 Le terme « réel » indique que le salaire monétaire (disons, 6 shillings par heure à l’époque) de chaque année a été ajusté pour tenir compte des changements de prix au cours du temps. Le résultat représente le pouvoir d’achat réel de l’argent gagné par les travailleurs. Le terme « indice » indique la valeur d’une mesure par rapport à sa valeur dans une autre année, dans le cas qui nous intéresse,

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conditions de vie, piégées dans la logique malthusienne, sont restées à un niveau

faible ; et l’amélioration considérable qui a eu lieu après 1830.

Pourquoi la machine à filer, la machine à vapeur et tout un ensemble d’autres

inventions ont-ils émergé et se sont-ils propagés dans l’industrie en Grande-Bretagne

et pas ailleurs ? Il s’agit d’une des questions les plus célèbres et les plus importantes de

l’histoire économique et les historiens continuent de débattre du sujet.

Dans cette unité, nous fournissons une explication des raisons pour lesquelles la

technologie s’est améliorée, pourquoi cela a d’abord eu lieu en Grande-Bretagne au

XVIIIe siècle, et pourquoi cela n’a pas eu lieu plus tôt et ailleurs. Nous expliquerons

également pourquoi il était si difficile de s’échapper de la longue partie plate de la

courbe en forme de crosse de hockey représentant les conditions de vie en Grande-

Bretagne et dans le monde entier au cours des deux derniers siècles. Pour cela, nous

construisons des modèles, c’est-à-dire des représentations simplifiées qui nous aident à

comprendre ce qui se passe en se concentrant sur ce qui est important. Les modèles

nous aideront à comprendre l’accélération sur la courbe en forme de crosse de hockey,

ainsi que le « manche », la partie plate qui l’a précédée.

2.1 LES MODÈLES ÉCONOMIQUES : COMMENT VOIR DAVANTAGE EN REGARDANT

MOINS DE CHOSES

Le fonctionnement de l’économie dépend des actions de millions d’individus, et des

effets que leurs décisions ont sur le comportement des autres. Il serait impossible de

comprendre l’économie en décrivant minutieusement chaque acte individuel et

comment ils interagissent avec les autres. Il nous faut prendre du recul et nous situer

dans une perspective générale. Pour cela, nous utilisons des modèles.

Créer un modèle efficace nécessite de distinguer les caractéristiques essentielles de l’année de référence est 1850 ; elle prend la valeur 100. Le choix de l’année de référence est arbitraire; le graphique de la série de données aurait la même forme si une autre année avait été sélectionnée. La série serait simplement plus haute ou plus basse dans le plan, mais elle garderait la même forme: celle d’une crosse de hockey.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 7

l’économie – qui sont pertinentes pour répondre à notre question et qui doivent être

incorporées au modèle – et les détails sans importance, qui peuvent être ignorés.

Il existe de nombreuses formes de modèles – et vous avez déjà pu en voir trois dans les

Schémas 1.8, 1.9 et 1.18 de l’Unité 1. Par exemple, le Schéma 1.18 illustrait le fait que

les interactions économiques impliquent des flux de biens (par exemple lorsque vous

achetez une machine à laver), de services (l’achat de coupes de cheveux ou de tickets

de bus), et aussi d’individus – lorsque vous passez une journée à travailler pour un

employeur.

La Figure 1.18 est un modèle schématique, qui illustre les flux ayant lieu au sein de

l’économie, et entre l’économie et la biosphère. Le modèle n’est pas « réaliste » -

l’économie et la biosphère ne ressemblent en rien à cela –, mais il illustre néanmoins

les relations qui existent entre elles. Le fait que le modèle omette de nombreux détails

– le rendant, en ce sens, irréaliste – est une propriété du modèle, pas une anomalie.

Certains économistes ont utilisés des modèles physiques pour illustrer et explorer le

fonctionnement de l’économie. Pour sa thèse de doctorat de 1891 soutenue à

l’Université de Yale, Irving Fisher a conçu un instrument hydraulique (Graphique 2.2)

pour représenter les flux de l’économie. L’appareil était constitué de leviers

interconnectés et de citernes d’eau flottantes, et montrait comment les prix des biens

dépendent de la quantité produite de chaque bien, des revenus des consommateurs et

de la valeur qu’ils accordent à chaque bien. L’ensemble du système cessait de bouger

lorsque le niveau d’eau de chaque citerne devenait identique au niveau d’eau du

réservoir ambiant. La position d’un indicateur dans chaque citerne révélait alors le prix

du bien. Au cours du quart de siècle qui suivit, Fisher utilisa cette machine pour

enseigner à ses étudiants comment fonctionnaient les marchés.

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Illustration 2.2 Schéma du modèle hydraulique d’équilibre économique par Irving

Fisher

Source: Brainard, William C., and Herbert E. Scarf. 2005. ‘How to Compute Equilibrium Prices in 1891.’

American Journal of Economics and Sociology 64(1):57-83.

Comment les modèles sont utilisés en économie

L’étude de l’économie menée par Fisher illustre la façon dont les modèles sont utilisés.

1. Tout d’abord, il a construit un modèle pour capturer les éléments de l’économie

qu’ils pensaient importants pour la détermination des prix

2. Il a ensuite utilisé le modèle pour montrer comment les interactions entre les

éléments pouvaient générer un ensemble de prix stable

3. Finalement, il a réalisé des expériences avec ce modèle, pour découvrir les effets

d’un changement des conditions économiques : par exemple, si l’offre d’un des

biens augmente, quel est l’effet sur son prix ? Quel est l’effet sur le prix des

autres biens ?

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 9

Ne pensez pas qu’Irving Fisher était une sorte d’excentrique4 simplement parce que sa

thèse de doctorat représentait l’économie comme une grande cuve remplie d’eau. Il

est par la suite devenu l’un des économistes les plus réputés du XXe siècle, et ses

recherches ont fondé les théories modernes de l’emprunt et du prêt que nous

présentons dans l’Unité 11.

La machine de Fisher illustre un concept important en économie. Un équilibre est une

situation autoentretenue, c’est-à-dire où la quantité qui nous intéresse n’évolue pas, à

moins que ne soit introduite une force de changement extérieure qui modifie

fondamentalement les données. L’appareil hydraulique de Fisher représentait

l’équilibre, dans son modèle d’économie à marchés multiples et différents, via

l’égalisation des niveaux d’eau, représentant des prix constants.

Nous utiliserons le concept d’équilibre pour expliquer les prix dans les unités suivantes,

mais ici, nous montrons que dans le modèle malthusien, l’équilibre correspond à un

salaire égal au niveau de subsistance. En effet, tout comme les différences de niveaux

d’eau dans les différentes citernes de la machine de Fisher, toute déviation des salaires

par rapport au niveau de subsistance dans le modèle malthusien est autocorrectif : les

salaires reviennent au niveau de subsistance.

Remarquons qu’un équilibre signifie qu’un ou plusieurs éléments sont constants. Cela

ne signifie pas que rien ne change. Nous verrons également que le changement (par

exemple le taux de croissance du PIB par tête, ou le taux auquel les prix augmentent)

peut également être un équilibre aussi longtemps qu’il est auto-entretenu.

Bien qu’il soit improbable que vous ayez à construire vous-même un modèle

hydraulique, vous aurez à travailler avec de nombreux modèles, sur feuille ou sur

ordinateur, et parfois, à créer vos propres modèles de l’économie. Le processus

d’élaboration d’un modèle suit les étapes suivantes :

Effectuer une description simplifiée des conditions dans lesquelles les individus

4 Au contraire, son travail a été décrit par Paul Samuelson, lui-même l’un des plus grands économistes du XXe siècle, comme la plus « grande thèse de doctorat en économie jamais écrite ».

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10 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

agissent.

Décrire en termes simples les déterminants de leurs actions.

Déterminer l’impact des différentes actions possibles sur les autres individus.

Établir les résultats de ces actions. Il s’agit souvent d’un équilibre (où une

quantité au moins est constante).

Enfin, approfondir notre connaissance du modèle en étudiant les conséquences

lorsque les conditions initiales sont modifiées.

Les modèles économiques font tout autant appel à des équations mathématiques et à

des graphiques, qu’à l’utilisation des mots. Les mathématiques font partie du langage

de l’économie, et elles aident souvent à réaliser des énoncés précis et facilement

compréhensibles par d’autres. La plupart des connaissances de l’économie, cependant,

ne peuvent pas être exprimées à l’aide des mathématiques, mais nécessitent des

représentations verbales claires, utilisant les définitions usuelles des termes.

Nous utiliserons les mathématiques aussi bien que les mots pour décrire les modèles.

Nous les présenterons généralement sous la forme de graphiques, mais vous pourrez

également avoir accès à certaines des équations derrière les graphiques si vous le

souhaitez. Pour ce faire, consultez les suppléments Leibniz référencés dans le texte

Vous pouvez consulter les annexes Leibniz à cette fin (vous pouvez lire une

introduction ici).

LES MODÈLES

Quelles sont les caractéristiques d’un bon modèle ?

Il est clair : il aide à mieux comprendre quelque chose d'important.

Ses prédictions sont précises : elles sont cohérentes avec les preuves

empiriques.

Il améliore la communication : il nous aide à comprendre les points sur

lesquels nous sommes d'accord (et en désaccord).

Il est utile : nous pouvons l'utiliser pour améliorer le fonctionnement de

l'économie.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 11

Un modèle commence avec des suppositions ou des hypothèses relatives au

comportement des individus, et donne souvent des prédictions sur des faits que nous

observons dans l’économie. Collecter des données sur l’économie et les comparer avec

les prédictions du modèle aide à déterminer si les hypothèses simplificatrices et les

choix de modélisation – les variables que l’on décide d’inclure et d’exclure – étaient

justifiés.

Les gouvernements, les banques centrales, les entreprises, les syndicats, et plus

généralement toute personne impliquée dans la conception de politiques publiques ou

dans la prospective utilise des formes de modèles simplifiés.

Comme nous le verrons, les mauvais modèles mènent souvent à des politiques

désastreuses. Pour avoir confiance dans les modèles, il faut les confronter aux preuves

empiriques.

Nous verrons que les modèles économiques du cercle vicieux de la pauvreté,

développé par Malthus, et celui de la révolution technologique permanente, passent ce

test avec succès, bien qu’ils laissent de nombreuses questions sans réponse.

DISCUSSION 1 : ÉLABORER UN MODÈLE

Observez la carte des voies ferrées ou du réseau de transport public d’un pays (ou

d’une ville) de votre choix.

D’après vous, comment celui qui a conçu le modèle a-t-il choisi les dimensions de la

réalité qui devaient être intégrées dans le modèle?

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12 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

2.2 LES CONCEPTS FONDAMENTAUX : PRIX, COÛTS ET RENTES D’INNOVATION

Nous introduisons maintenant un modèle économique permettant d’aider à

comprendre les circonstances dans lesquelles de nouvelles technologies sont choisies,

à la fois dans les économies du passé et dans les économies contemporaines. Le

modèle contribue également à expliquer pourquoi certaines technologies qui ont été

remplacées au cours de la révolution industrielle (comme les métiers manuels) sont

toujours utilisées aujourd’hui dans certaines parties du monde.

Pour construire le modèle, nous utilisons quatre idées-clés de la modélisation

économique:

L’hypothèse « ceteris paribus » et d’autres simplifications nous aident à penser

avec clarté. Nous voyons davantage en regardant moins de choses.

Les incitations jouent un rôle, car elles affectent les avantages et les coûts

associés à une action, plutôt qu’à une autre.

Les prix relatifs nous permettent de comparer plusieurs choix.

La rente économique est au fondement de la prise de décision.

Une partie du processus d’apprentissage de l’économie consiste à apprendre un

nouveau langage. Les termes ci-dessus apparaîtront souvent dans les unités suivantes,

et il est important d’apprendre à les utiliser précisément et avec assurance.

L’hypothèse « ceteris paribus » et la simplification

Comme souvent en recherche scientifique, les économistes simplifient fréquemment

l’analyse en laissant de côté tout ce qu’ils considèrent comme étant de moindre

importance en utilisant l’expression « toutes choses égales par ailleurs », ou, plus

souvent, sa traduction latine, ceteris paribus. Par exemple, dans la suite du cours, nous

simplifions l’analyse des comportements d’achats en ignorant des éléments comme la

fidélité aux marques ou ce que les autres pensent de nos choix. Ces hypothèses de

ceteris paribus, si elles sont bien utilisées, peuvent clarifier le propos sans altérer les

faits essentiels.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 13

DISCUSSION 2.2 : ATTENTION, L’HYPOTHÈSE CETERIS PARIBUS PEUT INDUIRE EN

ERREUR !

Selon la question qui est posée, l’hypothèse ceteris paribus peut vous induire en erreur.

Dans l’exemple de comportement d’achat cité ci-dessus, pensez aux questions pour

lesquelles l’hypothèse ceteris paribus (la loyauté et la représentation de soi ne sont pas

importantes dans le modèle) peut mener à des conclusions erronées.

Ainsi, pour étudier comment un système économique capitaliste promeut le progrès

technologique, les choses que nous voudrions « maintenir constantes » dans le plus

simple des modèles possibles comprennent les différences de salaire et de prix des

autres facteurs de production d’une ville à une autre, les différences de degrés de

connaissance des technologies utilisées dans les autres entreprises et l’attitude des

propriétaires d’entreprise (ou de leurs dirigeants) vis-à-vis de la prise de risque. En

d’autres termes, nous supposons dans ce cas que :

Le prix des différents facteurs de production est identique pour chaque

entreprise.

Chaque entreprise a connaissance des technologies utilisées dans les autres

entreprises.

Les propriétaires des entreprises ont tous la même attitude vis-à-vis du risque.

Les incitations ont de l’importance

Pourquoi l’eau de la machine hydraulique de Fisher représentant l’économie se

déplaçait-elle lorsque la quantité d’ « offre » ou de « demande » d’un ou plusieurs

biens changeait, de sorte que les prix n’étaient plus à l’équilibre ?

La gravité agit sur l’eau de sorte qu’elle atteigne le niveau le plus bas possible.

Les canaux permettaient à l’eau d’atteindre le niveau le plus bas possible, mais

ils restreignaient ses possibilités d’écoulement.

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14 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Tous les modèles économiques renferment quelque chose de similaire à la gravité et

une description du type de mouvements qui sont possibles. L’équivalence de la

« gravité » dans les modèles économiques est l’hypothèse selon laquelle les individus

aspirent toujours à faire au mieux (d’après un certain critère) en prenant une décision.

L’analogie avec la libre circulation de l’eau dans la machine de Fisher repose sur le fait

que les individus sont libres d’agir comme ils l’entendent, plutôt que de se voir imposer

une option plutôt qu’une autre. C’est ici que les incitations économiques entrent en

jeu. Il existe toutefois également des limites aux actions que les individus peuvent

réaliser : toutes les possibilités ne leur sont pas ouvertes.

Comme de nombreux modèles économiques, celui que nous utilisons pour expliquer la

révolution technologique permanente est fondé sur l’idée que les individus et les

entreprises répondent aux incitations économiques. Comme nous le verrons dans

l’Unité 4, les individus sont motivés non seulement par un désir de gain matériel, mais

également par l’amour, la haine, le sens du devoir et le désir d’approbation. Mais le

confort matériel reste un objectif prédominant ; ce qui explique le succès des

incitations économiques.

Lorsque les propriétaires ou les dirigeants d’entreprises décident du nombre de

travailleurs à embaucher, ou lorsque les clients déterminent ce qu’ils achètent et en

quelle quantité, les prix sont un facteur essentiel dans leur prise de décision. Si les prix

sont bien plus faibles dans le supermarché discount que dans l’épicerie située au coin

de la rue, et si le supermarché discount n’est pas trop loin, cela constitue un bon

argument pour faire ses courses dans ce dernier.

Les prix relatifs

Une troisième caractéristique de nombreux modèles économiques est que, dans ce

cadre, nous nous intéressons aux ratios et non pas aux niveaux absolus, car l’économie

s’attache aux alternatives et aux choix. Par exemple, ce n’est pas le prix dans un

magasin donné qui importe, mais ce prix comparé au prix dans un autre magasin. En

d’autres termes, les prix relatifs jouent un rôle dans les décisions des clients ou des

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 15

consommateurs, comme la théorie économique a tendance à les appeler. Si les

supermarchés baissaient leurs prix, mais qu’en réponse les magasins de proximité

baissaient proportionnellement leurs prix, les consommateurs n’auraient aucune

incitation à ne pas faire leurs courses dans les épiceries du quartier.

Les prix relatifs sont simplement le prix d’une option relativement à celui d’une autre

option. Nous exprimons souvent les prix relatifs comme un ratio de deux prix. Nous

verrons qu’ils sont très importants pour expliquer non seulement ce que les

consommateurs décident d’acheter, mais aussi pourquoi les entreprises prennent les

décisions qu’elles prennent.

Positions de réserve et rentes

Pour expliquer la sortie de la partie plate de la crosse de hockey, nous avons besoin de

comprendre les choix effectués par les inventeurs et les entreprises à l’époque de la

révolution industrielle. Les prix qui importaient le plus à l’époque étaient ceux de

l’énergie (par exemple, le charbon nécessaire à l’alimentation des machines à vapeur)

ainsi que le taux de salaire (le prix d’une heure du temps d’un travailleur). Le ratio des

deux – le prix du charbon relativement au prix du travail – joue un rôle important dans

notre histoire de l’économie.

Imaginez que vous avez trouvé un moyen de générer une reproduction électronique de

sons de haute qualité, qui coûte nettement moins cher que les autres méthodes

utilisées. Vos concurrents ne peuvent pas en faire autant, soit parce qu’ils n’arrivent

pas à développer cette méthode, soit parce que vous avez breveté ce procédé, rendant

illégale toute tentative de vous copier. Supposons qu’ils continuent à proposer leurs

services à un prix nettement supérieur à vos coûts.

Si vous proposez un prix identique ou juste inférieur au leur, vous pourrez vendre

autant que ce que vous pouvez produire : vous fixez donc le même prix qu’eux, et

réalisez des profits bien plus élevés que ceux de vos concurrents. Dans ce cas, nous

disons que vous profitez d’une rente d’innovation. Les rentes d’innovation sont une

forme de rente économique – et il existe des rentes économiques partout dans

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16 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

l’économie. Elles constituent l’une des raisons pour lesquelles le capitalisme peut être

un système aussi dynamique.

Nous utiliserons le concept de rente d’innovation pour expliquer une partie des

facteurs contribuant à la révolution industrielle. Mais la rente économique est un

concept général qui nous aidera à expliquer de nombreuses autres caractéristiques de

l’économie capitaliste.

Si en choisissant une action (appelons-la : action A), vous recevez des bénéfices plus

élevés que ceux que vous auriez reçus en sélectionnant votre deuxième meilleure

option, on dit que vous avez bénéficié d’une rente économique :

Rente économique = bénéfice de l’option choisie

– bénéfice de la deuxième meilleure option

Le terme « rente économique » peut facilement être confondu avec son homonyme

« rente », qui correspond à un revenu périodique stable qui ne provient pas de son

travail (par exemple, les loyers d’appartements dont on est propriétaire). Or dans la

rente économique, il n’y a ni régularité ni certitude. Pour éviter la confusion, lorsque

que nous parlons de rente économique, nous utilisons souvent l’expression complète

de « rente économique ».

L’action alternative B, qui a le bénéfice net le plus élevé après A, est souvent appelée

l’« alternative de second rang », votre « position de réserve » ou votre « option de

réserve ». Elle est « en réserve » au cas où vous ne choisiriez pas A. Ou si vous

bénéficiez de A, mais que pour une raison ou pour une autre vous ne pouvez plus en

bénéficier, votre option de réserve est votre plan B, aussi appelé « option de repli ».

La rente économique nous donne une règle de décision simple :

Si l’action A peut vous procurer une rente économique (et si personne d’autre

n’est affecté de façon négative) : réalisez la !

Si vous réalisez déjà l’action A et qu’elle vous permet de bénéficier d’une rente

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 17

économique : continuez ainsi !

Cette règle de décision sous-tend notre explication des raisons pour lesquelles la

combinaison de la propriété privée, des marchés et des entreprises promeut

l’innovation. Dans la section suivante, nous comparons la technologie A et la

technologie B.

Pour expliquer comment sortir de la trappe malthusienne, nous utilisons les concepts

fondamentaux du capitalisme : la propriété privée, les marchés et les entreprises. Nous

montrons comment, lorsqu’elles fonctionnent correctement, comme illustré dans le

Schéma 1.11 de l’Unité 1, ces institutions fournissent les carottes et les bâtons qui

stimulent à la fois l’invention et la diffusion des innovations.

La propriété privée : le fait que l’entreprise relève de la propriété privée signifie

que les profits réalisés après paiement des coûts vont aux propriétaires, et qu’ils

ne seront pas perdus à cause de vols ou de confiscation par l’État. Les

entreprises qui trouvent des manières de réduire les coûts de production sans

réduire la qualité réalisent des rentes économiques conséquentes, jusqu’à ce

que leurs concurrents les imitent ou trouvent d’autres manières de réduire les

coûts. Ces rentes sont les incitations qui sous-tendent le processus d’innovation.

Les marchés : le fait que l’entreprise soit en concurrence sur les marchés en

vendant des biens à faible coûts signifie que ceux qui décrochent font faillite.

Ceci force les entreprises soit à copier les innovations de la première entreprise,

soit à réduire les coûts d’une autre manière. Cela constitue un type de version

économique de la sélection naturelle de Charles Darwin, qui pourrait être

reformulée ainsi : « la survie du plus profitable ». Si la rente économique rendue

possible par l’innovation est la carotte, la perspective d’une faillite pour ceux qui

décrochent représente le bâton.

Les entreprises : le fait que l’essentiel de la production est réalisée au sein des

entreprises plutôt que dans des familles ou par des gouvernements signifie que

celles qui ont du succès sur leur marché peuvent croître, en attirant plus de

financements pour acheter des biens d’équipement, en embauchant plus

d’employés, ce qui bénéficie à leurs clients et ce qui augmente les profits de

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18 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

leurs propriétaires. Inversement, si l’entreprise ne réussit pas le test que lui

impose le marché, elle finira par disparaître.

Les carottes et les bâtons qui génèrent l’incitation constante à réduire les coûts sont

plus importants lorsqu’ils fonctionnent dans un système économique combinant

propriété privée, marchés et entreprises, que dans les systèmes économiques

antérieurs au capitalisme, quand ces trois institutions n’existaient pas toutes encore.

L’émergence des institutions capitalistes au XVIIIe siècle a donc créé des conditions

favorables au progrès technologique continu, qui est d’abord apparu en Angleterre puis

qui s’est étendu à d’autres pays du monde.

2.3 LA MODÉLISATION D’UNE ÉCONOMIE DYNAMIQUE : LES INNOVATIONS QUI

RÉDUISENT LES COÛTS ET LA COMPÉTITION

Utilisons maintenant ces principes de modélisation et d’encouragement à l’innovation

pour expliquer le progrès technologique dans un système économique capitaliste. Pour

cela, il nous faut procéder selon trois étapes :

1. Qu’est-ce qu’une technologie ?

2. Comment une entreprise évalue-t-elle le coût des différentes technologies ?

3. Comment une innovation réussie augmente-t-elle les profits d’une entreprise ?

Qu’est-ce qu’une technologie ?

Si nous demandons à un ingénieur de dresser une liste des technologies disponibles

pour produire 100 mètres de drap, lorsque les facteurs de production sont le travail (le

nombre de travailleurs travaillant pendant une journée ordinaire de travail, disons 8

heures) et l’énergie (en tonnes de charbon), la réponse peut être représentée dans un

diagramme et un tableau tels que ceux du Graphique 2.3. Les cinq points du

diagramme représentent cinq technologies différentes. Par exemple, la technologie E

requiert 10 travailleurs et une tonne de charbon pour produire 100 mètres de drap.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 19

Nous décrivons la technologie E, comme étant relativement intensive en travail et la

technologie A, comme étant relativement intensive en énergie. Si une économie qui

utilisait la technologie E passait à la technologie A ou B, nous dirions qu’elle adopterait

une technologie réalisant des « économies de main-d’œuvre », car la quantité de

travail utilisée pour produire 100 mètres de drap avec ces deux technologies est

inférieure à celle utilisée avec la technologie E. C’est ce qui s’est passé au cours de la

révolution industrielle.

Vous pouvez utiliser la barre de défilement du Graphique 2.3 (graphique interactif)

pour représenter les cinq technologies dans le diagramme.

Illustration 2.3 Différentes technologies pour produire 100 mètres de drap

Le tableau décrit cinq technologies différentes auxquelles nous faisons références dans

la suite de cette section. Elles utilisent différentes quantités de travail et de charbon,

comme facteurs de production pour réaliser 100 mètres de drap. La technologie A est

la plus intensive en énergie, utilisant 1 travailleur et 6 tonnes de charbon. La

technologie B utilise 4 travailleurs et 2 tonnes de charbon : c’est une technologie plus

intensive en main d’œuvre que A. La technologie C utilise 3 travailleurs et 7 tonnes de

charbon. La technologie D utilise 5 travailleurs et 5 tonnes de charbon. Enfin la

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20 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

technologie E utilise 10 travailleurs et 1 tonne de charbon. C’est la technologie la plus

intensive en main d’œuvre parmi les cinq autres.

Quelle technologie l’entreprise adoptera-t-elle ? La première étape est d’éliminer les

technologies qui sont manifestement inférieures. Dans le Graphique 2.4, nous

commençons par la technologie A, et nous déterminons s’il existe une technologie

alternative qui nécessite au moins autant de travail et de charbon. Si une telle

technologie existe, elle est inférieure. L’aire rose montre toutes les combinaisons

possibles de travailleurs et de charbon qui sont inférieures à la technologie A. La

technologie C est inférieure : pour produire 100 mètres de drap, elle requiert plus de

travailleurs (3 contre 1) et plus de charbon (7 tonnes contre 6). La technologie C est

dominée par la technologie A : il n’existe pas de conditions réalistes (pas d’ensemble de

prix positifs par exemple) qui conduiraient une entreprise à utiliser la technologie C

lorsque la technologie A est disponible. Le graphique présente les technologies qui sont

dominées, et celles qui sont dominantes.

Illustration 2.4 La technologie A domine la technologie C ; la technologie B domine la

technologie D

Comme dans le Graphique 2.3, les cinq technologies de production pour 100 mètres de

drap sont représentées par les points A à E. Nous pouvons utiliser ce graphique pour

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 21

montrer quelles sont les technologies qui dominent les autres. Il est évident que la

technologie A domine la technologie C : la même quantité de drap peut être produite

en utilisant A, qui requiert moins de travail et moins d’énergie. Cela signifie que, dès

lors que A est disponible, C n’est jamais utilisée. La technologie B domine la

technologie D : la même quantité de drap peut être produite en utilisant B, qui requiert

moins de travail et moins d’énergie. Remarquez que B dominerait n’importe quelle

autre technologie située dans l’aire bleutée située au-dessus du point B. La technologie

E ne domine aucune des autres technologies disponibles. En effet, aucune des quatre

autres technologies n’est située dans l’aire située au-dessus et à droite de E.

Le Graphique 2.4 montre que les technologies C et D ne sont jamais choisies si les

technologies A et B sont disponibles. En utilisant uniquement les informations

disponibles sur les facteurs de production, nous avons réduit le nombre d’options. Mais

comment l’entreprise choisit-elle entre A, B et E ? Cela nécessite de faire une

hypothèse sur ce que l’entreprise tente de faire : nous considérons qu’il s’agit de

réaliser autant de profits que possible, ce qui signifie produire du drap au coût le plus

faible possible.

Prendre une décision relativement à une technologie nécessite également une

information économique sur les prix relatifs – à propos du coût que représente

l’embauche d’un travailleur et l’achat d’une tonne de charbon. Intuitivement, la

technologie E sera choisie si le travail est très bon marché relativement au charbon ; la

technologie A sera préférable dans une situation où le charbon est relativement peu

coûteux. Cependant, la modélisation économique nous permet d’être encore plus

précis que cela.

Comment une entreprise évalue-t-elle le coût de production associé à l’utilisation de

différentes technologies ?

Le coût de production de 100 unités de drap grâce aux trois technologies qui restent en

lice (c’est-à-dire celles qui ne sont pas dominées) est calculé en multipliant le nombre

de travailleurs par le salaire et le nombre de tonnes de charbon par le prix du charbon.

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22 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Nous utilisons le symbole w pour le salaire, L pour le nombre de travailleurs, p pour le

prix du charbon et R pour le nombre de tonnes de charbon :

𝐶𝑜û𝑡 = (𝑠𝑎𝑙𝑎𝑖𝑟𝑒 × 𝑡𝑟𝑎𝑣𝑎𝑖𝑙𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠) + (𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑′𝑢𝑛𝑒 𝑡𝑜𝑛𝑛𝑒 𝑑𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑟𝑏𝑜𝑛 × 𝑡𝑜𝑛𝑛𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑟𝑏𝑜𝑛)

= (𝑤 × 𝐿) + (𝑝 × 𝑅)

D’après le Graphique 2.5, il est clair qu’avec un salaire de 10 et un prix du charbon de

20, la technologie B permet à l’entreprise de produire 100 mètres de drap à moindre

coût. Pour montrer graphiquement que la technologie B produit du drap à un coût plus

faible que la technologie A et que la technologie E lorsque le salaire est de 10 et le prix

du charbon de 20, nous construisons ce qu’on appelle une droite d’isocoût. Il s’agit

d’une droite au long de laquelle toutes les combinaisons de travailleurs et de charbon

ont le même coût, par exemple 80 GBP. On parle d’isocoût car en grec, iso signifie

« même ». Passez en revue les étapes du Graphique 2.5 via la barre de défilement du

graphique interactif pour voir le coût de production de 100 mètres de drap associé à

chaque technologie, et tracer la droite d’isocoût de 80 GBP.

Illustration 2.5 Coût d’utilisation de différentes technologies pour produire 100 mètres

de drap : faible coût relatif du travail

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 23

Nous savons que la technologie A nécessite 1 travailleur, coûtant 10 GBP, et 6 tonnes

de charbon, coûtant chacune 20 GBP, de sorte que le coût total de produire 100 mètres

de drap est de 130 GBP. Celui-ci serait de 80 GBP si vous aviez recours à la technologie

B. La technologie E nécessite 10 travailleurs et 1 tonne de charbon pour produire 100

mètres de drap, de sorte que le coût serait de 120 GBP. Le tableau montre que B est la

technologie la moins coûteuse quand w= 10 et p = 20. La droite HJ est la courbe

d’isocoût pour 80 GBP. Quand le salaire est de 10 GBP et le prix d’une tonne de

charbon est de 20 GBP, le coût du travail et du charbon est de 80 GBP, pour n’importe

quel point sur la droite. Pour tous les points situés au-dessus de la droite, le coût de

production de 100 mètres de drap est supérieur à 80 GBP. La pente de la droite

d’isocoût est égale au salaire divisé par le coût d’une tonne de charbon. La pente est

-0,5, car si vous dépensiez 20 GBP de moins en charbon (en réduisant le charbon d’une

tonne) et en augmentant la dépense en main d’œuvre en recrutant deux travailleurs, le

coût total (80 GPB) resterait inchangé.

Pour construire la droite d’isocoût pour un coût total de 80 GBP, nous déterminons

combien de travailleurs doivent être employés pour 80 GBP (en supposant qu’aucun

charbon n’est utilisé). La réponse est 8. On représente cette valeur par un point sur la

droite d’isocoût, appelée H. Si, au contraire, les 80 GBP étaient entièrement consacrés

au charbon, 4 tonnes devraient être achetées : cela donne le point J. Tous les points sur

la droite reliant J à H représentent un coût total de 80 GBP. Remarquez que lorsqu’on

trace la droite d’isocoût, nous simplifions en supposant que des fractions de

travailleurs et de charbon, aussi petites soient-elles, peuvent être achetées.

Le Graphique 2.5 indique que la technologie B est située sur la droite d’isocoût de

80 GBP. Les autres technologies sont au-dessus de la droite d’isocoût et elles ne seront

pas choisies si la technologie B est disponible et si les prix relatifs sont respectivement

de 10 GBP et 20 GBP pour le salaire d’un travailleur et pour une tonne de charbon.

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24 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

DISCUSSION 2.3 : LES DROITES D’ISOCOÛT

1. En utilisant le tableau contenu dans le Graphique 2.5, écrivez l’équation de la

droite d’isocoût qui passe par les points A et E.

2. Calculez la pente de cette droite d’isocoût et comparez-la à celle de la droite

passant par B.

Nous pouvons désormais interpréter la droite d’isocoût représentée dans le graphique

à travers une équation. Pour cela, nous notons c le coût de production, quelle que soit

sa valeur (par exemple 80 GBP). Nous commençons par l’équation du coût de

production :

𝑐 = (𝑤 × 𝐿) + (𝑝 × 𝑅)

= 𝑤𝐿 + 𝑝𝑅

Pour tracer la droite d’isocoût, nous souhaitons l’exprimer sous la forme :

𝑦 = 𝑎 + 𝑏𝑥

où a, une constante, est le point d’intersection avec l’axe des ordonnées, et b est la

pente de la droite. Dans notre modèle, les tonnes de charbon, R, sont situées sur l’axe

des ordonnées et le nombre de travailleurs, L, est situé sur l’axe des abcisses. Nous

allons montrer que la pente de la droite est le salaire relatif par rapport au prix du

charbon, -w/p. La droite d’isocoût est décroissante ; aussi le coefficient de la pente

(-w/p) est négatif.

La droite d’isocoût est déterminée ainsi :

𝑐 = 𝑤𝐿 + 𝑝𝑅

Ce qui peut être réécrit :

𝑝𝑅 = 𝑐 − 𝑤𝐿

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 25

Et réarrangé sous la forme suivante :

𝑅 =𝑐

𝑝−

𝑤

𝑝𝐿

On en déduit que la droite d’isocoût pour un coût de c = 80 possède une ordonnée à

l’origine de 80/20 = 4 et une pente négative égale au salaire divisé par le prix du

charbon, -w/p = -1/2. Il s’agit du prix relatif du travail. Le salaire est un prix particulier,

les économistes font donc souvent référence au salaire comme étant le prix du travail

(ou d’un nombre d’heures de travail).

L’effet d’une variation des prix relatifs

Tout changement dans le prix relatif des deux facteurs de production provoque une

modification de la pente de la droite d’isocoût. D’après le Graphique 2.5, nous pouvons

imaginer que si la droite d’isocoût devient suffisamment pentue (si le salaire augmente

relativement au coût du charbon), l’entreprise passera à la technologie A. C’est ce qui

s’est passé en Angleterre au XVIIIe siècle.

Regardons quelle technologie coûtera le moins cher si le prix relatif du travail et du

charbon change. Supposons que le prix du charbon passe à 5£ et que le salaire reste à

10£. D’après le tableau du Graphique 2.6, avec les nouveaux prix, la technologie A

permet à l’entreprise de produire 100 mètres de drap à moindre coût. Un charbon

moins onéreux rend chaque méthode de production moins coûteuse, mais la

technologie de production intensive en énergie devient maintenant la moins chère.

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26 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Illustration 2.6 Coût d’utilisation de différentes technologies pour produire 100 mètres

de drap : coût relatif du travail élevé

Quand le salaire est de 10 GBP et le coût du charbon est de 5 GBP, nous pouvons

comparer le coût des technologies B et E. Le coût de produire 100 m de drap en

utilisant la technologie B est de 40 GBP, contre 105 GBP pour la technologie E. En

utilisant la technologie A, qui est plus intensive en énergie que B ou E, produire 100 m

de drap coûterait 40 GBP. Selon le tableau, avec ces prix relatifs, la technologie A est la

moins coûteuse. La technologie A est sur la droite d’isocoût FG. Pour n’importe quelle

technologie (combinaison de travailleurs et de charbon) sur cette droite, le coût de

production pour 100 m de drap est 40 GBP. La pente de la droite d’isocoût est égale au

salaire divisé par le coût d’une tonne de charbon. La pente est -2, car si vous dépensiez

20 GBP de moins en charbon (en réduisant le charbon de 4 tonnes) et en augmentant

la dépense en main d’œuvre en recrutant deux travailleurs, le coût total resterait

inchangé à 40 GBP.

Pour construire la droite d’isocoût passant par le point A avec les nouveaux prix, nous

déterminons combien de travailleurs peuvent être employés pour 40 GBP (en

supposant qu’aucun charbon ne soit utilisé) : la réponse est 4. On représente cette

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 27

valeur par un point sur la droite d’isocoût, que nous appelons F. Si, au contraire, les 40

GBP étaient entièrement consacrées au charbon, 8 tonnes pourraient être achetées :

cela donne le point G. La technologie est située sur la droite d’isocoût de 40 GBP. Avec

ces prix relatifs, les deux autres technologies disponibles sont situées au-dessus de la

droite d’isocoût de 40 GBP, et elles ne seront pas choisies si la technologie A est

disponible.

Comment une innovation qui réduit les coûts augmente-t-elle les profits de

l’entreprise ?

La prochaine étape consiste à calculer les gains de la première entreprise pour

identifier la technologie la moins coûteuse (A) lorsque le prix relatif du travail par

rapport au charbon augmente. Comme toutes ses concurrentes, l’entreprise utilise

initialement la technologie B, et elle minimise ses coûts : cela est représenté sur le

Graphique 2.7 par la droite d’isocoût en tirets rouges passant par le point B (et ayant

pour extrémités les points H et J).

Une fois que les prix relatifs ont changé, la nouvelle droite d’isocoût passant par le

point B est plus pentue et le coût de production est de 50 GBP. Un passage à la

technologie A, qui utilise plus intensivement l’énergie et moins intensivement le travail

pour produire 100 mètres de drap, réduit le coût à 40 GBP. Utilisez la barre de

défilement du graphique interactif pour voir comment les droites d’isocoût réagissent à

une variation des prix relatifs.

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28 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Illustration 2.7 Coût des différentes technologies pour produire 100 mètres de drap

Quand le salaire est de 10 GBP et le prix du charbon est relativement élevé à hauteur

de 20 GBP, le coût de produire 100 m de drap en utilisant la technologie B est 80 GBP :

choisir la technologie B place l’entreprise sur la courbe d’isocoût HJ. Si le prix du

charbon chute par rapport au salaire – situation qui correspond à la courbe d’isocoût

FG –, alors utiliser la technologie A, qui est plus intensive en énergie que B, coûte 40

GBP. Selon le tableau, avec de tels prix relatifs, c’est A qui est la technologie la moins

coûteuse. Avec les nouveaux prix relatifs, la technologie B est sur la droite d’isocoût

MN, pour laquelle le coût s’établit à 50 GBP. Changer pour la technologie A serait plus

avantageux économiquement (moins cher).

Les profits de l’entreprise sont égaux aux revenus des ventes moins les coûts. Que

l’entreprise adopte la nouvelle ou l’ancienne technologie, les mêmes prix doivent être

payés pour le travail et le charbon, et elle reçoit le même prix lorsqu’elle vend 100

mètres de drap.

La variation du profit est égale à la baisse des coûts provoquée par l’adoption de la

nouvelle technologie : les profits augmentent de 10 GBP pour chaque 100 mètres de

drap produits.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 29

𝑃𝑟𝑜𝑓𝑖𝑡 = 𝑅𝑒𝑣𝑒𝑛𝑢𝑠 − 𝐶𝑜û𝑡𝑠

𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑢 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑖𝑡 (𝑒𝑛 𝑢𝑡𝑖𝑙𝑖𝑠𝑎𝑛𝑡 𝐴 𝑝𝑙𝑢𝑡ô𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝐵)

= 𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑢 𝑟𝑒𝑣𝑒𝑛𝑢 − 𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒𝑠 𝑐𝑜û𝑡𝑠

= 0 − (40 − 50)

= 10

Ainsi, la rente économique est égale à 10 GBP.

Même si la baisse du prix du charbon rend la technologie B moins coûteuse que

précédemment, il existe une incitation plus forte à passer à la technologie A, et à

réaliser des profits de 10 GBP pour chaque 100 mètres de drap.

Votre rente économique, si vous adoptez la nouvelle technologie, est exactement la

réduction des coûts rendue possible par la nouvelle technologie. La règle de décision –

si la rente économique est positive, faites-le ! – vous pousse à innover.

Dans notre exemple, même si un ingénieur avait pu décrire la technologie À, elle ne

serait pas utilisée avant qu’une première entreprise ne l’adopte, répondant ainsi à

l’incitation créée par l’augmentation du prix relatif du travail. On appelle le dirigeant de

l’entreprise qui adopte une telle technologie un entrepreneur. Lorsque l’on décrit une

personne ou une entreprise comme étant entrepreneuriale, on fait référence à sa

volonté d’essayer des nouvelles technologies et de démarrer de nouvelles activités.

L’économiste Joseph Schumpeter (voir encadré ci-dessous) a fait de l’adoption du

progrès technique par les entrepreneurs un élément clé de son explication du

dynamisme du capitalisme. C’est pourquoi on appelle souvent les rentes d’innovation

des rentes schumpétériennes.

Les rentes d’innovation ne durent pas éternellement. Les autres entreprises,

remarquant que des entrepreneurs réalisent des rentes économiques, mettent en

place cette nouvelle technologie. Elles vont également réduire leurs coûts et leurs

profits augmenteront.

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30 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Dans ce cas, avec un profit plus élevé pour 100 mètres de drap produits, les entreprises

ayant les coûts les plus faibles se développent. Elles augmentent leur production de

drap. Avec l’augmentation du nombre d’entreprises introduisant la nouvelle

technologie, l’offre de drap sur le marché augmente et son prix diminue. Ce processus

continue jusqu’à ce que tout le monde utilise la nouvelle technologie : à ce stade, les

prix auront chuté jusqu’au point où personne ne gagne de rente d’innovation. Les

entreprises qui seront restées avec l’ancienne technologie B seront incapables de

couvrir leurs coûts avec le nouveaux prix du drap, qui est plus faible, et feront faillite.

Joseph Schumpeter appelait ce cycle la destruction créatrice.

LES GRANDS ECONOMISTES

JOSEPH SCHUMPETER ET LA DESTRUCTION CRÉATRICE

Joseph Schumpeter (1883-1950) a développé l’un des concepts modernes les plus

importants en économie : la destruction créatrice.

Schumpeter a proposé l’idée selon laquelle l’entrepreneur est l’acteur central du

système économiste capitaliste5 . L’entrepreneur est l’agent du changement, qui

introduit de nouveaux produits, de nouvelles méthodes de production et qui ouvre de

nouveaux marchés. Les imitateurs le suivent et l’innovation se diffuse dans l’économie.

5 Lynne Kiesling, une historienne de la pensée économique, évoque Joseph Schumpeter dans cette courte vidéo.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 31

L’entrepreneur, avec ses innovations, est le déclencheur de la nouvelle phase

ascendante du cycle économique.

D’après Schumpeter, la destruction créatrice constitue le cœur du capitalisme : les

anciennes entreprises et technologies incapables de s’adapter sont mises de côtés par

les nouvelles, car elles ne peuvent pas soutenir la concurrence sur le marché en

vendant des biens à un prix qui couvre leur coût de production. La faillite des

entreprises non profitables libère du travail et des biens d’équipement, disponibles

pour être utilisés à travers de nouvelles combinaisons.

Ce processus décentralisé engendre une amélioration continue de la productivité, et

donc de la croissance : Schumpeter y voyait un cercle vertueux. Néanmoins, ce

processus prend du temps, puisque la destruction des anciennes entreprises et la

création de nouvelles se font lentement. La lenteur du processus est à l’origine de

phases d’accélération et de ralentissement de l’économie, dans le cadre du processus

de croissance de long terme et de développement. Les origines de la branche de la

pensée économique connue sous le nom d’économie évolutionniste (vous pouvez lire

des articles sur le sujet ici) remontent clairement aux travaux de Schumpeter, de même

que la plupart de la modélisation économique moderne portant sur l’entreprenariat et

l’innovation. Vous pouvez lire les idées et les opinions de Schumpeter de sa propre

main6, ainsi qu’un essai en ligne portant sur son travail par l’historien de la pensée

économique Robert Skidelsky7.

Schumpeter est né en Autriche-Hongrie, mais il a émigré vers les États-Unis après la

victoire électorale des Nazis en 1932, qui a conduit à la formation du Troisième Reich

en 1933. Il avait également fait l’expérience de la Première Guerre Mondiale et de la

Grande Dépression des années 1930 ; il est décédé alors qu’il rédigeait un essai intitulé

The March into Socialism, dans lequel il évoquait son inquiétude vis-à-vis du rôle

croissant du gouvernement dans l’économie et, par suite, de « la migration des affaires

économiques des individus de la sphère privée vers la sphère publique ».

6 Voir par exemple : Schumpeter, Joseph A. 1949. ‘Science and Ideology.’ American Economic Review 39: 345–59. Schumpeter, Joseph A. (1942) 2008. Capitalism, Socialism, and Democracy. New York, NY: Harper Perennial Modern Thought. Schumpeter, Joseph A. (1951) 2004. Ten Great Economists. London: Taylor & Francis. 7 Skidelsy, Robert. 2015. ‘Portrait: Joseph Schumpeter.’ Skidelskyr.com. Accessed June 2015.

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32 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Alors qu’il était jeune professeur en Autriche, il s’est battu et a gagné un duel face au

bibliothécaire de l’université pour garantir à ses étudiants l’accès aux livres. Il déclara

qu’il avait trois ambitions étant jeune : devenir le meilleur économiste au monde, le

meilleur amant et le meilleur cavalier. Il ajouta que seul le déclin de la cavalerie l’avait

empêché de tous les accomplir.

2.4 LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE BRITANNIQUE ET LES INCITATIONS ÀDÉVELOPPER

DE NOUVELLES TECHNOLOGIES

Qu’apportaient les inventions telles que la spinning jenny ? Les premières machines

avaient huit bobines. Une machine exploitée par un seul adulte pouvait donc remplacer

huit fileuses, travaillant sur huit rouets. A la fin du XIXe siècle, une seule mule-jenny,

exploitée par un très petit nombre d’individus, remplaçait plus d’un millier de fileuses.

Ces machines ne dépendaient plus de l’énergie humaine ; elles étaient alimentées à

l’aide de turbines hydrauliques ou, plus tard, par des machines à vapeur fonctionnant

au charbon.

L’ancienne technologie utilisait de nombreux travailleurs, chaque travailleur

n’exploitant qu’une petite partie du stock de machines et d’équipements. La nouvelle

technologie nécessitait davantage de biens d’équipements, comme les machines à filer,

les immeubles industriels, les roues hydrauliques et les machines à vapeur. Tout

comme la technologie A dans l’exemple précédent, elle utilisait beaucoup de charbon

et peu de travail.

La technologie utilisée avant la révolution industrielle était intensive en travail et

économe en biens d’équipement et en énergie, alors que la nouvelle technologie était

intensive en biens d’équipement et en énergie et économe en main d’œuvre.

Le modèle de la section précédent fournit une hypothèse (une explication possible) aux

raisons qui ont poussé à inventer et à adopter une telle technologie. Dans le modèle,

nous avons employé un graphique en deux dimensions, qui montrait que les

producteurs de draps choisissaient entre des technologies qui n’utilisaient que deux

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 33

facteurs de production – de l’énergie et du travail. Il s’agit d’une simplification, mais

cela illustre le rôle de l’évolution des coûts relatifs des facteurs de production dans le

choix d’une technologie. Lorsque le coût de l’énergie augmente relativement au coût

du travail, cela augmente le coût de production du drap associé à l’ancienne

technologie et signifie qu’un passage à une technologie intensive en énergie est

susceptible de générer des rentes d’innovation.

Tout ceci reste seulement une hypothèse. Dans les faits, est-ce vraiment ainsi que cela

s’est passé ? L’analyse des différences de prix relatifs entre pays et de leur évolution au

cours du temps peut aider à comprendre pourquoi les technologies de la révolution

industrielle, économes en travail et intensives en capital et en énergie, ont été

inventées et d’abord adoptées en Grande-Bretagne et non ailleurs. Nous pouvons

utiliser le même raisonnement afin d’expliquer pourquoi cela n’a pas eu lieu de

nombreux siècles auparavant.

Il n’y a pas de doute sur le fait que l’inventivité des Britanniques a été un atout. Le pays

possédait de nombreux travailleurs qualifiés, ingénieurs et concepteurs qui pouvaient

construire les machines conçues par les inventeurs.

Le Graphique 2.8 représente le prix du travail relativement au prix de l’énergie dans

diverses villes au début du XVIIIe siècle. En d’autres termes, il représente le rapport

entre les salaires des travailleurs du bâtiment et le prix de l’énergie (plus précisément,

le prix d’un million de British Thermal Units (BTU), une unité d’énergie équivalente à un

peu plus de 1000 joules). On constate que le travail était très cher relativement à

l’énergie en Angleterre et aux Pays-Bas. Il était moins cher en France (à Paris et à

Strasbourg), et bien moins cher en Chine.

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34 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Illustration 2.8 Salaires exprimés relativement au prix de l’énergie au début du XVIIIe

siècle

Source: Allen, R. C. 2009. The British Industrial Revolution in Global Perspective. Cambridge:

Cambridge University Press, p. 140.

Les salaires étaient élevés en Angleterre, relativement à l’énergie, à la fois parce que

les salaires anglais étaient plus élevés que les salaires ailleurs, et parce que le prix du

charbon était plus faible en Angleterre, qui en recelait en abondance, que dans les

autres pays présentés sur le graphique.

Le Graphique 2.9 représente l’évolution du coût du travail comparativement au coût

des biens d’équipement en Angleterre et en France de la fin du XVIe siècle jusqu’à la fin

du XIXe siècle. Il représente les salaires des travailleurs du bâtiment, divisés par le coût

d’utilisation des biens d’équipement. Ce coût est calculé à partir du prix du métal, du

bois, de la brique et du coût de l’emprunt, et il prend en compte le taux auquel les

biens d’équipement s’usent, ou se déprécient.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 35

Illustration 2.9 Salaires exprimés relativement au coût des biens d’équipement

Source: Allen, R. C. 2009. The British Industrial Revolution in Global Perspective. Cambridge:

Cambridge University Press, p. 138.

Comme on peut le constater, les salaires relativement au coût des biens d’équipement

en Angleterre et en France étaient similaires au milieu du XVIIe siècle, mais à compter

de cette date, le coût du travail en Angleterre, contrairement à la France, a

constamment augmenté relativement au coût des biens d’équipement. En d’autres

termes, les incitations à remplacer les travailleurs par des machines ont augmenté en

Angleterre durant cette période, mais elles n’ont pas augmenté en France. En France,

les incitations à économiser de la main-d’œuvre grâce à des innovations étaient plus

importantes à la fin du XVIe siècle que 200 ans plus tard, à l’époque où la révolution

industrielle commençait à transformer la Grande-Bretagne.

Grâce au modèle développé dans la section précédente, nous avons appris que la

technologie adoptée dépend du prix relatif des facteurs de production. En combinant

les prédictions du modèle avec les données historiques, nous aboutissons à une

explication de la date et du lieu d’émergence de la révolution industrielle.

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36 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Les salaires, relativement au coût de l’énergie et des biens d’équipement, ont

augmenté en Grande-Bretagne au XVIIe siècle. Cela n’avait pas été auparavant.

Les salaires, relativement au coût de l’énergie et des biens d’équipement, étaient

plus élevés en Grande-Bretagne que dans les autres pays au XVIIIe siècle.

Le Graphique 10 utilise le modèle pour illustrer le cas britannique.

Illustration 2.10 Le coût d’utilisation de différentes technologies pour produire 100

mètres de drap en Grande-Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Les prix relatifs prévalant au XVIIe siècle sont indiqués par la droite d’isocoût HJ. On

utilisait à l’époque la technologie B. À ces prix, il n’existait pas d’incitation à développer

une technologie telle que A, située en dehors de la droite d’isocoût HJ. Au XVIIIe siècle,

les droites d’isocoût comme la droite FG étaient bien plus pentues, car le prix relatif du

travail par rapport au charbon était plus élevé. Le coût relatif était suffisamment élevé

pour rendre la technologie A moins coûteuse que la technologie B. Nous savons que

lorsque le prix relatif du travail est élevé, la technologie A est moins coûteuse car la

technologie B est située au-dessus de la droite d’isocoût FG.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 37

DISCUSSION 2.4 : LA GRANDE-BRETAGNE, OUI, MAIS PAS LA FRANCE

Regardez cette vidéo, dans laquelle l’historien de l’économie Bob Allen explique

pourquoi, d’après lui, la révolution industrielle a eu lieu à une époque et dans une

région particulières.

1. Résumez les thèses d’Allen en utilisant le concept de rente économique. Quelles

hypothèses ceteris paribus faites-vous ?

2. Quels autres facteurs importants peuvent expliquer l’émergence de technologies

intensives en énergie en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle ?

En Angleterre, les salaires étaient élevés, tandis que l’énergie et les biens d’équipement

étaient bon marché : il est donc logique que les technologies de la révolution

industrielle, intensives en énergie et en biens d’équipement, et économes en main-

d’œuvre, aient d’abord été adoptées là-bas. Par conséquent, au cours des premières

années de la révolution industrielle, la technologie a évolué plus rapidement en

Angleterre qu’en Europe continentale, et plus rapidement encore qu’en Asie.

Pour quelles raisons des pays comme la France et l’Allemagne, et plus tard la Chine et

l’Inde, ont-ils adopté ces nouvelles technologies ? L’une des réponses possibles est

qu’un progrès technologique supplémentaire a été réalisé, c’est-à-dire qu’une nouvelle

technologie a été développée, puis a supplanté la technologie en place. Une telle

amélioration signifiait qu’il fallait moins de facteurs de production pour produire 100

mètres de drap. Nous pouvons utiliser le modèle pour illustrer ce changement. Dans le

Graphique 2.11, le progrès technologique mène à l’invention d’une technologie encore

plus intensive en énergie, appelée A’. L’aire colorée indique que la technologie A’

domine la technologie A. Une fois que A’ est disponible, la technologie A n’est plus

choisie dans les pays qui utilisent A.

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38 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Illustration 2.11 Coût d’utilisation de différentes technologies pour produire 100

mètres de drap

Quand le prix relatif du travail est élevé, la technologie A, intensive en énergie, est

choisie. Quand le prix relatif du travail est bas, la technologie B, intensive en main

d’œuvre, est choisie. Des améliorations dans la technologie de fabrication des draps

sont réalisées – une nouvelle technologie appelée A’ est disponible. Cette technologie

utilise deux fois moins d’énergie par travailleur pour produire 100 m de drap. La

nouvelle technologie domine la technologie A. La technologie A’ est moins coûteuse

que A et B. Même avec un prix relatif du travail qui est bas, avec des courbes d’isocoût

dont la pente est similaire à celle de la droite HJ, la nouvelle technologie A’, peu

intensive en main d’œuvre et en énergie, sera choisie.

Remarquons également que la nouvelle technologie est bénéfique, même dans le cas

d’une économie dans laquelle les salaires sont bas et l’énergie est coûteuse. Malgré un

faible prix relatif du travail, la technologie A’ est moins coûteuse que la technologie B

intensive en travail : A’ est au-dessous de la droite d’isocoût HJ.

Un deuxième facteur permettant la diffusion des nouvelles technologies dans le monde

est la croissance des salaires et la baisse du coût de l’énergie (due, par exemples, à des

coûts de transports plus faibles, permettant aux pays d’importer de l’énergie de

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 39

l’étranger à faible coût). Ceci a rendu les droites d’isocoût plus pentues dans les pays

pauvres. Or, comme nous l’avons vu, une fois que la droite d’isocoût devient

suffisamment pentue, la technologie la plus intensive en énergie devient la méthode de

production la moins coûteuse.

Quoi qu’il en soit, les nouvelles technologies ont commencé à se diffuser8, et les

divergences en termes de technologie et de niveau de vie ont rapidement fait place à

une convergence – du moins entre les pays au sein desquels la révolution capitaliste

avait commencé.

Néanmoins, dans certains pays, on constate que certaines technologies qui avaient été

remplacées en Grande-Bretagne au cours de la révolution industrielle, sont toujours

utilisées. Le modèle prédit que le prix relatif du travail doit être très faible dans de

telles situations, ce qui rend la droite d’isocoût très plate. La technologie B pourrait

toujours être préférée sur le Graphique 2.11, même si la technologie A’ était

disponible, si la courbe d’isocoût était encore plus plate que HJ, de sorte qu’elle

passerait par B, tout en étant en-dessous de A’.

2.5 L’ÉCONOMIE MALTHUSIENNE : DÉCROISSANCE DE LA PRODUCTIVITÉ MOYENNE DU

TRAVAIL

Sur la base de ces éléments historiques, il apparaît que ce modèle fondé sur les prix

relatifs et les rentes d’innovation peut fournir une explication simple de la distribution

chronologique et géographique des débuts et du développement de la révolution

technologique permanente.

8 La spinning jenny en Grande-Bretagne, en France et en Inde : Allen, Robert C. 2009. ‘The Industrial Revolution in Miniature: The Spinning Jenny in Britain, France, and India.’ The Journal of Economic History 69 (04): 901–27. Sur la diffusion du progrès technologique à travers l’Europe, voir Landes, David S. 2003. The Unbound Prometheus: Technological Change and Industrial Development in Western Europe from 1750 to the Present. 1st ed. Cambridge: Cambridge University Press.

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40 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Ceci explique en partie l’accélération sur la courbe en forme de crosse de hockey. Mais

l’explication de la longue partie plate, le manche de la crosse de hockey9, est toute

différente, et elle nécessite un autre modèle.

Malthus fournit un modèle de l’économie qui prédit un schéma de développement

compatible avec la longue partie plate de la courbe en forme de crosse de hockey

représentant le PIB par tête dans le Graphique 1.1 de l’Unité 1. Son modèle introduit

des concepts qui sont utilisés pour analyser de nombreux autres problèmes

économiques. L’un des concepts les plus importants en économie est celui du

rendement décroissant de la production moyenne d’un facteur de production.

Rendements moyens décroissants du travail

Pour comprendre ce que cela signifie, imaginons une société agraire qui ne produit

qu’un seul bien, de la nourriture. Postulons initialement que la production de

nourriture est un processus très simple –ne requiert que de la main-d’œuvre agricole

et des terres. En d’autres termes, nous ignorons que la production de nourriture

nécessite des pelles, des moissonneuses-batteuses, des poulaillers, des silos et d’autres

types de bâtiments et d’équipements.

Le travail et la terre (et les autres inputs que nous ignorons pour l’instant) sont appelés

des facteurs de production, ce qui signifie qu’ils sont des inputs dans le processus de

production. Dans le modèle construit pour représenter le changement de technologie,

les facteurs de production étaient l’énergie et le travail.

Pour simplifier, nous faisons une hypothèse ceteris paribus supplémentaire, en

supposant qu’il existe une quantité fixe de terre disponible, de qualité uniforme. 9 Gregory Clark, un historien de l’économie, soutient la thèse selon laquelle le monde était malthusien de la Préhistoire jusqu’au XVIIIe siècle. Voir Clark, Gregory. 2007. A Farewell to Alms: A Brief Economic History of the World. Princeton: Princeton University Press. James Lee et Wang Feng discutent des divergences entre le système démographique de la Chine et celui de l’Europe et questionne l’hypothèse malthusienne selon laquelle la pauvreté en Chine était due à la croissance démographique. Voir : Lee, James, and Wang Feng. 1999. ‘Malthusian Models and Chinese Realities: The Chinese Demographic System 1700-2000.’ Population and Development Review 25 (1): 33–65.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 41

Imaginons que la terre soit divisée en 800 fermes, chacune cultivée par un unique

paysan, travaillant chacun le même nombre d’heures au cours de l’année. Ensemble,

ces 800 agriculteurs produisent un total de 500 000 kilos de grains au moment de la

récolte. La productivité moyenne de leur travail est alors de :

𝑃𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑣𝑖𝑡é 𝑚𝑜𝑦𝑒𝑛𝑛𝑒 𝑑𝑢 𝑡𝑟𝑎𝑣𝑎𝑖𝑙 =𝑃𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑡𝑜𝑡𝑎𝑙𝑒

𝑁𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑒𝑟𝑚𝑖𝑒𝑟𝑠=

500 000 𝑘𝑔

800 𝑓𝑒𝑟𝑚𝑖𝑒𝑟𝑠= 625 𝑘𝑔/𝑓𝑒𝑟𝑚𝑖𝑒𝑟

Pour comprendre ce qui se passe si la population augmente, de sorte qu’il y ait

davantage d’agriculteurs sur la même quantité limitée de terre cultivable, nous devons

connaître ce qu’on appelle la fonction de production de l’agriculteur. Celle-ci indique la

quantité produite pour tous les niveaux de la population d’agriculteurs travaillant la

quantité de terre disponible. Dans ce cas, nous maintenons constants les autres

facteurs de production, y compris la terre, de sorte à ne considérer que la variation de

production associée à la variation de la quantité de travail utilisée.

FONCTION DE PRODUCTION

La quantité produite par une ou plusieurs combinaisons de facteurs de

production. Une fonction de production décrit différentes technologies

permettant de produire une même chose.

Dans les sections précédentes, nous avons déjà considéré une fonction de production

très simple qui spécifiait la quantité de travail et d’énergie nécessaire à la production

de 100 mètres de drap. Par exemple, dans le Graphique 2.3, la « fonction de

production du drap » indique qu’en utilisant la technologie B, si 4 travailleurs et 2

tonnes de charbon sont utilisés, 100 mètres de drap seront produits. Pour la

technologie A, la fonction de production fournit un autre énoncé de la forme « si-

alors » : si un travailleur et 6 tonnes de charbon sont utilisés, alors 100 mètres de drap

seront produits.

La productivité moyenne du travail avec la technologie B est de 25 mètres de drap par

travailleur ; elle est de 100 mètres par travailleur pour la technologie A. Par convention,

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42 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

les économistes excluent de la fonction de production les technologies qui ne seraient

jamais utilisées (indépendamment des prix relatifs des facteurs de production). Ainsi,

les technologies C et D du Graphique 2.3 ne font pas partie de la « fonction de

production du drap », car, s’il est possible de les mettre en place d’un point de vue

technique, elles ne sont pas pertinentes d’un point de vue économique.

La fonction de production de grains est également un énoncé de la forme « si-alors »,

indiquant que X agriculteurs récolteront Y kilos de grains.

Le Tableau 2.12a liste des quantités de travail associées à des quantités de gains

produites. Dans le Graphique 2.12b, nous supposons que la relation est vraie pour tous

les agriculteurs. La fonction de production représentée est complète pour n’importe

quel nombre de travailleurs (et pas seulement les valeurs indiquées dans le Tableau

2.12a).

Nous appelons cela une fonction de production car une fonction est une relation entre

deux quantités (des facteurs de production et une quantité produite dans ce cas), qui

peut être exprimée mathématiquement sous la forme :

Y = f(X)

On dit que « Y est une fonction de X ». Dans ce cas, X est la quantité de travail

consacrée à la culture des terres. Y est la quantité de grains produite par cette quantité

de travail. La fonction f(X) décrit la relation entre ces deux quantités, et est représentée

par la courbe du Graphique 2.12. Le supplément Leibniz est une introduction à la

représentation mathématique des fonctions de production. Vous n’en avez pas besoin

pour comprendre nos modèles, mais cela peut vous aider si vous suivez des cours plus

approfondis ou si vous étudiez les mathématiques dans le cadre de votre cursus en

économie.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 43

Illustration 2.12a Valeurs de la fonction de production d’un agriculteur: rendements

décroissants du travail

TRAVAIL

(NOMBRE DE

TRAVAILLEURS)

PRODUCTION

DE GRAINS

(KG)

PRODUCTIVITÉE

MOYENNE DU TRAVAIL

(KG/TRAVAILLEUR)

200 200 000 1 000

400 330 000 825

600 420 000 700

800 500 000 625

1 000 570 000 570

1 200 630 000 525

1 400 684 000 490

1 600 732 000 458

1 800 774 000 430

2 000 810 000 405

2 200 840 000 382

2 400 864 000 360

2 600 882 000 340

2 800 894 000 319

3 000 900 000 300

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44 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Illustration 2.12b La fonction de production de l’agriculteur : rendements décroissants

du travail

La fonction de production de l’agriculteur : dans quelle mesure le nombre

d’agriculteurs travaillant la terre se traduit par une quantité de grains récoltée à la fin

de la saison de production. Le point A de la fonction de production représente la

quantité de grains produite par 800 agriculteurs. Le point B sur la fonction de

production représente la quantité de grains produite par 1 600 agriculteurs. Au point A,

la productivité moyenne du travail est de 500000/800 = 625 kg de grains par

agriculteur. Au point B, la productivité moyenne du travail est de 732000/1600 = 458 kg

de grains par agriculteur. La pente de la corde partant de l’origine et passant par le

point B situé sur la fonction de production représente la productivité moyenne du

travail. La pente est de 458, ce qui signifie que la productivité moyenne est de 458 kg

par agriculteur lorsque 1 600 agriculteurs travaillent la terre. La pente de la corde entre

l’origine et le point A est plus forte que celle de la corde entre l’origine et B. Lorsque

seulement 800 agriculteurs travaillent la terre, la productivité moyenne du travail est

plus élevée. La pente est de 625, ce qui correspond à la productivité moyenne de 625

kg par agriculteur, calculée précédemment.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 45

DISCUSSION 2.5 : LA FONCTION DE PRODUCTION DE L’AGRICULTEUR

Dans l’Unité 1, nous avons expliqué que l’économie fait partie de la biosphère.

Considérez l’agriculture d’un point de vue biologique. La fonction décrite dans le

Graphique 2.12 est hypothétique, mais réaliste si l’agriculteur a une petite parcelle de

terre.

1. Trouvez combien de calories sont brûlées par un paysan travaillant la terre, et

combien de calories sont contenues dans 1 kg de grain.

2. L’agriculture génère-t-elle un surplus de calories – plus de calories produites que

de calories brûlées par le facteur travail – d’après la fonction de production du

Graphique 2.12b ?

Notons deux choses à propos de la fonction de production de grains.

Le travail, combiné avec la terre, est productif. Ceci n’est pas surprenant. Plus il y

a d’agriculteurs, plus la quantité de grains produite est importante, au moins

jusqu’à un certain point (3 000 agriculteurs) au-delà duquel des quantités de

travail supplémentaires n’augmentent pas la quantité de grains produite.

Plus il y a d’agriculteurs à travailler la terre, moins la productivité moyenne du

travail est importante. La décroissance de la productivité moyenne du travail

constitue l’un des deux piliers du modèle de Malthus.

La productivité moyenne du travail est la quantité de grains produite divisée par la

quantité de travail utilisée. D’après la fonction de production représentée dans le

Graphique 2.12b ou le Tableau 2.12a (il s’agit de la même information dans les deux

cas), nous pouvons voir que si 800 agriculteurs travaillent la terre, ils récoltent en

moyenne 625 kilos de grain par agriculteur, alors qu’en passant à 1 600 agriculteurs, la

production moyenne par heure et par agriculteur est seulement de 458 kilos. La

productivité moyenne du travail diminue à mesure que la quantité de main d’œuvre se

consacrant à la production augmente.

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46 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Ceci inquiétait Malthus.

Pour comprendre cela, imaginons que l’on se situe une génération plus tard, et que

chaque agriculteur ait eu de nombreux enfants, de sorte qu’il n’y ait pas un agriculteur

par ferme, mais deux : cela signifie que la quantité totale de travail allouée à la

production agricole n’est plus de 800, mais de 1 600. Plutôt que de récolter 625 kg de

grains par agriculteur, la récolte moyenne par agriculteur est désormais seulement de

458 kg.

Cela signifie que la décroissance de la productivité moyenne du travail peut être causée

par :

Une plus grande quantité de main d’œuvre allouée à une quantité fixe de terre.

Une plus grande quantité de terres (de qualité inférieure) mise en culture.

Puisque le rendement moyen du travail diminue à mesure que la quantité de travail

allouée à la production de grain augmente, tant que les individus augmentent le temps

qu’ils consacrent au travail, leur revenu ne cessera de diminuer.

2.6 L’ÉCONOMIE MALTHUSIENNE : LA POPULATION AUGMENTE LORSQUE LE NIVEAU

DE VIE S’AMÉLIORE

Prise séparément, la diminution de la productivité moyenne du travail n’explique pas la

longue et plate portion de la courbe en forme de crosse de hockey. Tout ce que ce

concept indique est que le niveau de vie dépend du niveau de la population. Il ne dit

rien à propos des causes de l’absence d’évolution notable du niveau de vie et de la

population à long terme. Pour cela, nous avons besoin de l’autre élément principal du

modèle de Malthus, à savoir l’explication qu’il donne des déterminants de l’évolution

de la population d’un pays.

Malthus ne fut pas le premier à avoir cette idée. Quelques années avant que Malthus

ne développe ses théories, un économiste irlandais, Richard Cantillon, avait déclaré

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 47

que « les hommes se reproduisent comme des souris dans une grange s’ils ont accès à

des moyens de subsistance illimités ».

La théorie malthusienne considérait que les individus n’étaient pas foncièrement

différents des autres animaux :

« Bien que l'homme s’élève au-dessus de tous les autres animaux par ses capacités

intellectuelles, on ne saurait supposer que les lois physiques auxquelles il est soumis

sont fondamentalement différentes de celles que l’on voit s’imposer au reste du règne

vivant ».

– Thomas Robert Malthus, A Summary View on the Principle of Population (1830)

Les deux idées centrales du modèle de Malthus sont donc:

La loi des rendements décroissants du travail.

Toute amélioration du niveau de vie provoque une augmentation de la

population.

Imaginons un troupeau d’antilopes dans une vaste plaine déserte. Il n’existe pas de

prédateurs compliquant leurs vies (ou notre analyse). Lorsque les antilopes sont mieux

nourries, elles vivent plus longtemps et se reproduisent davantage. Tant que le

troupeau est de petite taille, les antilopes ont de la nourriture en abondance, peuvent

se reproduire, et le troupeau s'agrandit.

Avec le temps, le troupeau devient si grand relativement à la taille de la plaine que les

antilopes ne trouvent plus assez de nourriture. Comme l’espace disponible pour

chaque animal décline, leur niveau de vie baisse. Ce déclin du niveau de vie continue

tant que le troupeau continue de grandir.

Comme chaque animal trouve moins à manger, les antilopes vont moins se reproduire

et mourir plus jeune, et la croissance de la population va ralentir. Finalement, leur

niveau de vie diminuera jusqu’au point où le troupeau cessera de grandir. Les antilopes

occuperont toute la plaine. À ce stade, chaque animal consommera une quantité de

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48 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

nourriture que nous allons définir comme le niveau de subsistance. Lorsque la

croissance démographique a abaissé le niveau de vie des animaux au niveau de

subsistance, le troupeau cesse de grossir.

Si les animaux mangeaient moins que le niveau de subsistance, ils mourraient et la

taille du troupeau se mettrait en fait à diminuer. Et comme nous l’avons vu, lorsque la

consommation excède le niveau de subsistance, la taille du troupeau augmente.

Selon Malthus, la même logique s'applique lorsqu’on considère, au lieu d’antilopes

dans la savane, une population humaine vivant dans un pays avec une surface arable

fixe. Tant que les hommes possèdent « des moyens de subsistance illimités », ils se

reproduisent comme les souris de Cantillon dans leur grange ; mais ils finissent par

remplir le pays, et la croissance démographique fait baisser les revenus d’un grand

nombre d’individus en raison de la décroissance de la productivité moyenne du travail.

La baisse du niveau de vie ralentit la croissance de la population en provoquant

l’augmentation des taux de mortalité et la baisse des taux de natalité ; finalement les

revenus se stabilisent au niveau de subsistance.

Le modèle de Malthus aboutit à un équilibre, dans lequel le niveau de revenu est juste

suffisant pour permettre un niveau de consommation de subsistance. Les éléments qui

ne varient pas à cet équilibre sont :

La population.

Le niveau de revenu de la population.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 49

DISCUSSION 2.6 : LES INDIVIDUS SONT-ILS RÉELLEMENT COMME LES AUTRES

ANIMAUX ?

D’après Malthus, « on ne saurait supposer que les lois physiques auxquelles l’homme

est soumis sont fondamentalement différentes de celles que l’on voit s’imposer au

reste du règne vivant ».

Êtes-vous d’accord ? Expliquez votre raisonnement.

L’économie malthusienne : l’effet d’une bonne récolte

Dans le Schéma 2.13, nous montrons comment la combinaison de la décroissance de la

productivité moyenne du travail, d’une part, et de l’effet de l’obtention de revenus plus

élevés sur la croissance de la population, d’autre part, implique qu’à très long terme, le

revenu des agriculteurs n’augmente pas. Dans le schéma, les éléments situés à gauche

sont les causes des éléments situés à droite.

Illustration 2.13 Le modèle de Malthus : l’effet d’une bonne récolte

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50 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Le côté gauche du schéma décrit une économie où la population est constante et où les

revenus sont au niveau de subsistance. Cet équilibre est perturbé par une bonne

récolte, qui augmente les revenus des agriculteurs, ce qui conduit, comme le suggérait

Malthus, à une augmentation de la population. L’année suivante est marquée par :

Une augmentation de la population sur les terres

Une récolte normale

Que se passe-t-il alors ? Une diminution de la productivité moyenne par agriculteur.

Cela réduit en retour le revenu des agriculteurs, ce qui a pour conséquence un déclin

de la population, la réduction des revenus se poursuivant jusqu’à ce que les revenus

atteignent les niveaux de subsistance et que la population (par définition du mot

« subsistance ») n’évolue plus. La population revient également à son niveau initial, car

ce dernier correspondait à la taille de la population garantissant une productivité

moyenne du travail compatible avec des revenus situés au niveau de subsistance. Ainsi,

dans le Schéma 2.13, l’encadré situé à droite ne fait que restaurer l’équilibre initial.

L’économie malthusienne : l’effet du progrès technologique

L’étape suivante est d’utiliser le modèle de Malthus pour prédire les conséquences du

progrès technologique. Nous savons qu’au cours des siècles qui ont précédé la

révolution industrielle, des améliorations de la technologie ont eu lieu dans de

nombreuses régions du monde, y compris en Grande-Bretagne : pourtant, le niveau de

vie est resté bas. Le modèle prédit que la population s’ajuste automatiquement à

l’amélioration du niveau de vie consécutive à l’utilisation d’une nouvelle technologie.

Ces effets sont représentés dans le Schéma 2.14. En partant d’un équilibre où le revenu

est situé au niveau de subsistance, une nouvelle technologie (telle que de meilleures

semences) augmente le revenu par tête sur la quantité fixe de terres disponibles.

L’augmentation du niveau de vie a pour conséquence une augmentation de la

population. Puisqu’il y a davantage d’individus pour une même quantité de terres, le

rendement du travail diminue, et le revenu par tête moyen également. Finalement,

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 51

l’économie revient à une situation où les revenus sont au niveau de subsistance, mais

avec une population plus importante.

Illustration 2.14 Le modèle de Malthus : l’effet d’une amélioration de la technologie

Les conditions nécessaires à l’application du modèle malthusien à une amélioration de

la technologie sont les suivantes :

La productivité moyenne du travail diminue à mesure que la quantité de travail

allouée à une quantité fixe de terres augmente,

Et la population augmente en réponse à une augmentation des salaires réels.

Dans ce cas, à long terme, une augmentation de la productivité a pour conséquence

une augmentation de la population, mais pas une augmentation des salaires. Cette

conclusion déprimante était autrefois considérée comme suffisamment universelle et

inévitable pour justifier l’emploi du terme loi de Malthus.

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52 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

2.7 LA TRAPPE MALTHUSIENNE ET LA STAGNATION ÉCONOMIQUE DE LONG TERME

À long terme, l’impact majeur de l’amélioration de la technologie dans ce monde

malthusien a été une augmentation de la population ; ce qui pourrait expliquer

pourquoi la Chine et l’Inde, avec leurs économies relativement sophistiquées, ont fini

avec des populations si importantes, et, jusqu’à récemment, avec des revenus très

faibles. L'écrivain H.G. Wells, auteur de La Guerre des Mondes en 1905, résumait bien

ce mode de pensée lorsqu’il écrivit : « l'humanité a dilapidé les grands bienfaits de la

science, aussitôt qu’elle les a obtenus, par une multiplication insensée du peuple ».

Nous avons désormais une explication potentielle de la longue portion plate de la

crosse de hockey. Les êtres humains ont périodiquement inventé de meilleurs

procédés de fabrication, à la fois dans le domaine de l’agriculture et dans celui de

l’industrie, ce qui a périodiquement augmenté le revenu des agriculteurs et des

employés au-dessus du niveau de subsistance. Mais selon le point de vue malthusien, à

chaque fois, la hausse du salaire réel a poussé les jeunes couples à se marier plus tôt et

à avoir plus d’enfants ; elle a également eu pour conséquence des taux de mortalité

plus faibles. Cela a généré une augmentation de la population, ce qui a finalement

contraint les salaires réels à revenir au niveau de subsistance.

Tout comme dans notre modélisation des rentes d’innovation, des prix relatifs et du

progrès technologique, nous devons nous poser cette question : cette lecture

malthusienne de l’histoire est-elle compatible avec les faits ?

Le Graphique 2.15 est cohérent par rapport aux prédictions de Malthus. Du début des

XIIIe et XVIIe siècles, les salaires en Grande-Bretagne ont oscillé entre les phases élevées

et faibles représentées sur le graphique. Lorsque les salaires sont plus élevés, la

population croît, ce qui fait diminuer les salaires et provoque une réduction de la

population, ce qui conduit à nouveau les salaires à augmenter, et ainsi de suite. Le

cercle vicieux de Malthus est ici manifeste.

Il est possible d’obtenir une autre version de ce cercle vicieux en prenant les mêmes

données que celles du Graphique 2.15, et en se concentrant sur la période allant

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 53

d’environ 1340 (soit le début de la peste bubonique connue sous le nom de peste

noire) et 1600, comme le fait le Graphique 2.16. La partie inférieure du graphique

représente les relations de cause à effet qui ont généré les effets analysés plus haut.

Illustration 2.15 La trappe malthusienne : salaires et population entre 1280 et 1600

Source : Allen, R. C. (2001), The Great Divergence in European Wages and Prices from the Middle Ages

to the First World War.

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54 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Illustration 2.16 Peste noire, offre de travail, politique et salaires : une économie

malthusienne

Dans cette illustration, nous examinons l’économie malthusienne qui a existé en

Angleterre entre les années 1300 et 1600. La peste bubonique de 1348-1350 était

également appelée la peste noire. Elle a tué 1,5 million de personnes parmi la

population anglaise alors estimée à 4 millions de personnes, ce qui s’est traduit par une

chute spectaculaire de l’offre de travail. Cette baisse de la population a signifié un

bénéfice économique pour les fermiers et travailleurs qui ont survécu. Les fermiers

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 55

avaient à la fois plus de terres et des terres de meilleure qualité et les travailleurs

pouvaient demander des salaires plus élevés. Les revenus augmentaient à mesure que

la peste s’atténuait. En 1351, le roi Edouard III a tenté de limiter l’augmentation des

salaires par la loi, ce qui a contribué à une période de révoltes contre l’autorité,

notamment la révolte des paysans de 1381. Malgré l’intervention du roi, les revenus

ont continué à augmenter. Les salaires plus élevés ont permis à la population de se

rétablir au XVIe siècle, mais la loi de Malthus a opéré : comme la population

augmentait, les revenus ont baissé. En 1600, les salaires réels ont chuté au niveau qu’ils

connaissaient 300 ans auparavant. Notre modèle de l’économie malthusienne nous

aide à expliquer l’augmentation et la baisse des revenus entre 1300 et 1600 en

Angleterre.

Les liens de cause à effet du Graphique 2.16 combinent les deux points essentiels du

modèle malthusien et le rôle des événements politiques comme causes et

conséquences des changements dans l’économie.

En 1349 et en 1351, le roi d’Angleterre Edouard III fit adopter des lois visant à

restreindre la hausse des salaires. Dans ce cas, l’économie (la baisse de l’offre de

travail) l’a emporté sur la politique : les salaires ont continué à augmenter, et les

paysans ont commencé à exercer leur pouvoir accru lors d’une rébellion en 1381, en

demandant notamment plus de liberté et des impôts plus faibles.

La peste bubonique a causé la disparition d’un quart à un tiers de la population

européenne entre 1349 et 1351. Les salaires réels des ouvriers du bâtiment anglais ont

commencé à augmenter à l’époque de la peste bubonique, et ils avaient doublé au

milieu du XVe siècle. En Angleterre, la réduction du nombre de travailleurs a eu les

effets suivants :

Une hausse de la productivité moyenne : le principe de décroissance de la

productivité moyenne du travail agricole combiné à une baisse du nombre

d’agriculteurs ayant accès à une même terre.

Les agriculteurs qui possédaient leurs terres ont vu leur situation s’améliorer : ils

détenaient ce qu’ils produisaient. Les agriculteurs payant une rente fixe à un

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56 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

propriétaire terrien ont également vu leur situation s’améliorer.

Dans les villes, des salaires plus élevés ont été proposés : la hausse des revenus

des agriculteurs a compliqué la tâche des employeurs souhaitant attirer des

travailleurs venant des zones rurales.

Mais lorsque la population s’est rétablie au XVIe siècle, l’offre de travail a augmenté, ce

qui a fait diminuer les salaires. Sur la base de ces preuves empiriques, l’explication

malthusienne est cohérente avec l’histoire de l’Angleterre à cette époque.

DISCUSSION 2.7 : QU’AJOUTERIEZ-VOUS ?

Le schéma des causes et effets du Graphique 2.16 fait appel à de nombreuses

hypothèses de type ceteris paribus.

1. En quoi le modèle simplifie-t-il la réalité ?

2. Que met-on de côté ?

3. Tentez de tracer à nouveau le schéma en incluant d’autres facteurs qui vous

semblent importants.

DISCUSSION 2.8 : DÉFINIR LE PROGRÈS ÉCONOMIQUE

Les salaires réels ont également fortement augmenté dans les autres pays pour

lesquels nous avons des données10, tels que l'Espagne, l'Italie, l'Égypte, les Balkans et

Constantinople (aujourd'hui Istanbul).

« Les gens ordinaires … réclamaient les aliments les plus chers et les plus délicats …

tandis que les enfants et les femmes du peuple se paraient des vêtements les plus

précieux de personnages illustres maintenant décédés. "

– Matteo Villani, Florence, Italie (1363)

10 William McNeill, un historien, montre l’impact des maladies infectieuses sur les hommes au cours des siècles. Voir : McNeill, William. 1977. Plagues and Peoples. Doubleday: Garden City.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 57

1. Villani, un résident de Florence, se plaignait de ce que les travailleurs demandent

des salaires trois fois plus élevés qu’auparavant. D’après vous, pourquoi cela

l’agaçait-il ?

2. Quels sont les avantages et les inconvénients de mesurer le progrès économique

grâce à la croissance des salaires réels plutôt que grâce à la croissance du PIB par

tête ?

3. Quels arguments pouvez-vous proposer en faveur de chacun des indicateurs, et

quels sont leurs inconvénients respectifs ?

4. Confrontez vos arguments à ceux de vos camarades. Êtes-vous d’accord ? S’il y a

désaccord entre vous, existe-t-il des faits qui pourraient le résoudre, et si oui,

quels sont-ils ? S’il n’y en a pas, pourquoi êtes-vous en désaccord ?

Nous nous sommes concentrés sur les agriculteurs et les travailleurs gagnant un salaire,

mais au sein de l’économie, tout le monde n’était pas pris dans une trappe

malthusienne. Avec l’augmentation de la population, la demande de nourriture a

également augmenté ; dès lors, la quantité limitée de terres pouvant être utilisée pour

produire de la nourriture devait prendre de la valeur. Dans un monde malthusien où la

population augmente, la croissance de la population doit mener à une amélioration de

la position économique relative des propriétaires terriens.

C’est ce qui s’est passé en Angleterre : le graphique indique que les salaires réels n’ont

pas augmenté à très long terme (ils n’étaient pas plus élevés en 1800 qu’en 1450).

L’écart entre les propriétaires terriens et les travailleurs s’est alors creusé. Aux XVIIe et

XVIIIe siècles, les salaires des travailleurs anglais non qualifiés relativement aux revenus

des propriétaires terriens, ne correspondaient qu’à un cinquième de ce qu’ils étaient au

XVIe siècle.

Pourtant, alors que les salaires étaient bas relativement aux rentes des propriétaires

terriens, ce n’est pas cette comparaison qui explique de manière décisive comment la

Grande-Bretagne a échappé à la trappe malthusienne. Le point-clé de ce processus est

que les salaires sont restés élevés comparativement au prix du charbon (Graphique 2.8)

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et qu’ils ont même augmenté relativement au coût d’utilisation des biens

d’équipement (Graphique 2.9), comme nous l’avons vu précédemment.

2.8 SORTIR DE LA STAGNATION MALTHUSIENNE

Nassau Senior, l’économiste qui se plaignait du fait que le nombre de victimes de la

famine irlandaise était tout à fait insuffisant, ne semblait pas manifester une grande

compassion. Cependant, Malthus et lui n’avaient pas tort lorsqu’ils pensaient que la

combinaison d’une croissance de la population en réponse à la hausse des revenus, et

d’une décroissance de la productivité moyenne du travail sur une quantité fixe de

terres, créerait un cercle vicieux de stagnation économique et de pauvreté. Les

graphiques en forme de crosse de hockey représentant le niveau de vie montrent

toutefois qu’ils ont eu tort de penser que cela ne pourrait jamais changer.

Nous devrions réviser la loi de Malthus. Une économie s’expose au risque de trappe

malthusienne si elle satisfaisait non pas deux, mais trois conditions :

Rendements décroissants (décroissance de la productivité moyenne) du travail.

Croissance de la population suite à une augmentation des salaires.

Absence d’amélioration permanente de la technologie, d’ampleur suffisante pour

compenser les rendements décroissants du travail.

Il s’avère que la révolution technologique permanente signifie que le modèle

malthusien n’est plus une description raisonnable du monde. Le niveau de vie moyen a

augmenté de manière rapide et durable après la révolution capitaliste.

Le Graphique 2.17 représente le salaire réel et la population entre les années 1280 et

1860. Comme nous l’avons vu dans le Graphique 2.15, lors des siècles précédents, il

existait une relation inverse très nette entre population et salaires réels : lorsque l’un

augmentait, l’autre diminuait, comme le suggérait simplement la théorie malthusienne.

Entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIIe siècle, malgré une hausse des salaires, la

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 59

croissance de la population a été faible. Autour de 1740, la logique malthusienne

réapparaît (dans ce que nous appelons « le XVIIIe siècle »). Puis vers 1800, l’économie

semble transiter vers un régime entièrement nouveau, dans lequel la population et les

salaires réels augmentent simultanément. C’est ce que nous appelons la « sortie de la

trappe ».

Illustration 2.18 Sortir de la trappe démographique malthusienne : population et

salaires réels en Angleterre, des années 1280 aux années 1860

Source : Allen, R. C. (2001), The Great Divergence in European Wages and Prices from the Middle Ages

to the First World War.

Le Graphique 2.18 se focalise sur cette dernière portion des données de salaires.

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60 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Illustration 2.18 Sortie de la trappe malthusienne

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 61

Le Graphique 2.17 montre qu’au milieu du XVIIIe siècle, la contrainte malthusienne

persistait. Au milieu du XIXe siècle cependant, l’économie s’est déplacée vers ce qui

semble être un nouveau régime non-malthusien, marqué par une hausse simultanée

de la population et des salaires réels. Cette période a commencé par des améliorations

technologiques qui firent augmenter la production par travailleur, telles la machine à

filer et la machine à vapeur. Les innovations ont continué au cours de la période, alors

que la révolution technologique devenait permanente, contraignant des milliers de

fileuses, de tisserands et des agriculteurs à l’exode. Ceci, à son tour, a affaibli le pouvoir

de négociation des travailleurs et contribué à maintenir des salaires faibles, comme

l’indique la phase plate de la courbe en crosse entre 1750 et 1830. Au cours de cette

période, la taille du gâteau augmentait, mais pas la part accordée aux travailleurs. Dans

les années 1830 cependant, les forces de l’offre et de la demande de travail

engendrèrent une envolée des profits. Les profits, la concurrence et l’évolution

technologique ont rendu possible l’augmentation de la taille des entreprises. La

demande de travail a augmenté. La population a abandonné l’agriculture pour

travailler dans les nouvelles manufactures. L’offre de travail a commencé à diminuer

lorsque l’on a interdit aux propriétaires d’entreprises d’employer des enfants. La

combinaison d’une hausse de la demande et d’une baisse de l’offre de travail a

amélioré le pouvoir de négociation des travailleurs, notamment après l’obtention du

droit de vote et du droit de former des syndicats. Suite à ces changements, les

travailleurs ont pu demander une part constante, voire croissante des hausses de

productivité engendrées par la révolution technologique permanente.

Dans une de nos vidéos Économistes en action, Suresh Naidu, un historien de

l’économie, explique comment la croissance de la population, le progrès technologique

et les évènements politiques ont interagi pour produire la courbe en forme de crosse

de hockey du salaire réel.

Lien vers la vidéo de l’interview (« Economist in Action » Suresh Naidu).

Nous pouvons déduire de cette amélioration spectaculaire des revenus des travailleurs,

qu’il existe deux types d’influence sur les salaires :

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62 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Le niveau de production : la quantité produite grâce une combinaison de travail

et d’autres facteurs de production fixe un plafond pour le taux de rémunération,

même si le propriétaire des terres ou des machines utilisées dans la production

devait ne rien recevoir. Tout comme dans l’exemple de la fonction de production

de l’agriculteur, dans la section 2.6, la productivité moyenne du travail

détermine la taille du gâteau à partager, mais elle ne détermine pas la part des

travailleurs.

La part reçue par les travailleurs : elle dépend de leur pouvoir de négociation, qui

dépend lui-même de la façon dont les salaires sont déterminés (individuelle, ou

grâce à des négociations menées par les syndicats, par exemple), ainsi que de

l’offre et de la demande de travailleurs. Si de nombreux travailleurs sont en

concurrence pour un même emploi (l’offre de travailleurs est plus importante

que la demande de travailleurs de la part des employeurs), il est probable que les

salaires seront faibles.

Après 1830, la taille du gâteau a continué à croître, et la part des travailleurs

également. La Grande-Bretagne est sortie de la trappe malthusienne. Le processus

devait bientôt se répéter dans d’autres pays, comme le montrent les Graphiques 1.1a

et 1.1b de l’Unité 1.

QUAND LES ÉCONOMISTES NE SONT PAS D’ACCORD

QUELLES FURENT LES CAUSES DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ?

L'argument que nous avons utilisé pour construire notre modèle, selon lequel la

Grande-Bretagne a adopté certaines technologies avant le reste du monde parce que le

coût du travail y était élevé et le coût de l’énergie faible, a été avancé par l’historien de

l’économie, Robert Allen. Il en développe un exemple dans cette vidéo. Son ouvrage

Introduction à l’histoire économique mondiale est une introduction accessible à ses

travaux.

Cependant, la théorie d’Allen sur les causes de la révolution industrielle est

controversée :

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 63

• Joel Mokyr, spécialiste de l'histoire de la technologie, affirme que les véritables

origines du changement technologique se trouvent dans la révolution scientifique

opérée en Europe, au moment des Lumières11, et dans les capacités techniques des

artisans qui ont permis de construire les machines perfectionnées de l'époque. Selon

lui, même si les prix relatifs des facteurs peuvent pousser les inventions dans une

direction ou une autre, ils sont davantage le volant que le moteur du progrès

technologique.

• David Landes, un historien, est également en désaccord avec Allen. Il suggère que

l’Europe a dépassé la Chine pour des raisons culturelles et institutionnelles12. D’après

lui, l’État chinois était trop puissant et freinait l’innovation, tandis que la culture

chinoise préférait la stabilité au changement.

• Gregory Clark, un historien de l’économie, attribue également le décollage de la

Grande-Bretagne à sa culture. Pour Clark cependant, la clé du succès résidait à la fois

dans les attributs culturels des Britanniques, et dans le fait de travailler avec

acharnement et d’épargner beaucoup 13 : ces attributs étaient alors transmis

génétiquement à leurs descendants.

• Kenneth Pomeranz, un historien, affirme que la forte croissance européenne du

début du XIXe siècle était due davantage à l'abondance de charbon en Grande-

Bretagne14 qu’aux différences culturelles ou institutionnelles avec la Chine. Pomeranz

relève également l’importance de l'accès à la production agricole dans les colonies

britanniques (et en particulier au sucre et à ses dérivés), qui a permis à la Grande-

Bretagne de nourrir la classe grandissante des travailleurs industriels, sans avoir besoin

de mettre en culture des terres de moins en moins fertiles, ce qui lui a permis

d’échapper aux rendements décroissants de la production agricole.

Les chercheurs ne seront probablement jamais complètement unanimes sur les causes

de la révolution industrielle. Une des difficultés est que ce changement ne s’est produit

qu'à une seule occasion, ce qui complique la tâche des chercheurs en sciences sociales. 11 Mokyr, Joel. 2002. The Gifts of Athena: Historical Origins of the Knowledge Economy. Princeton, NJ: Princeton University Press. 12 Landes, David S. 2006. ‘Why Europe and the West? Why Not China?’ Journal of Economic Perspectives 20 (2): 3–22. 13 Clark, Gregory. 2007. A Farewell to Alms: A Brief Economic History of the World. Princeton, NJ: Princeton University Press. 14 Pomeranz, Kenneth L. 2000. The Great Divergence: China, Europe and the Making of the Modern World Economy. Princeton, NJ: Princeton University Press.

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64 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

En réalité, le décollage européen a vraisemblablement été le résultat d'une

combinaison de facteurs scientifiques, démographiques, politiques, géographiques et

militaires. Plusieurs scientifiques soutiennent que cette croissance était aussi en partie

due à des interactions entre l'Europe et le reste du monde, et pas seulement à des

changements en Europe.

Les historiens tels que Pomeranz ont tendance à se concentrer sur les particularités

d’une époque et d’un espace géographique. Ils sont plus susceptibles de conclure que

la révolution industrielle s’est produite du fait d'une combinaison unique de

circonstances favorables (même s’ils peuvent débattre desquelles).

Les économistes tels qu’Allen tendent plutôt à chercher des mécanismes généraux

susceptibles d’expliquer les résultats économiques à différentes époques et dans

différents pays.

Les économistes ont beaucoup à apprendre des historiens, mais trouvent souvent que

leurs arguments ne sont pas suffisamment précis pour être testables dans un modèle.

Certains historiens considèrent les modèles des économistes comme simplistes,

partant d’hypothèses de type ceteris paribus qui négligent des faits historiques

importants. Cette tension créatrice 15 est ce qui rend l'histoire économique si

fascinante.

Les historiens de l'économie ont effectué des progrès conséquents ces dernières

années pour quantifier la croissance économique à très long terme. En clarifiant ce qui

s’est passé, leur travail facilite la réflexion sur les causes de ces événements. Une partie

des avancées récentes a consisté à comparer les salaires réels sur le long terme dans

différents pays. Pour cela, il a fallu recenser les salaires et les prix des biens consommés

par les travailleurs sur une très longue période. Une série de projets encore plus

ambitieux a conduit à calculer le PIB par habitant de certains pays jusqu’au Moyen-Âge.

15 Si vous voulez découvrir ce que ces chercheurs pensent du travail de leurs pairs, cliquez sur les liens suivants: Gregory Clark review Joel Mokyr ou Robert Allen review Gregory Clark.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 65

2.9 CONCLUSION

Dans ce chapitre :

Nous avons présenté un modèle économique, montrant comment le processus

de concurrence entre entreprises permet non seulement aux propriétaires

d’entreprises qui innovent avec succès de réaliser des profits exceptionnels, mais

également de stimuler et diffuser les améliorations technologiques au sein de

l’économie, puisque d’autres entreprises suivent l’entreprise en tête pour éviter

de décrocher.

Nous avons montré comment le modèle malthusien de l’économie expliquait le

cercle vicieux dans lequel la croissance de la population annule les gains

temporaires de revenu, jusqu’à ce que la révolution technologique permanente

permette de sortir de cette trappe grâce à une amélioration de la technologie.

Nous avons expliqué comment les forces de l’offre et de la demande, ainsi que

les influences, politiques ou autres, sur le pouvoir de négociation des travailleurs

et des employeurs contribuent à expliquer pourquoi l’histoire a conduit à cette

forme particulière de crosse de hockey, représentant d’abord une stagnation du

niveau de vie, puis une amélioration phénoménale de cette dernière.

Nous avons raconté comment la révolution capitaliste a altéré le cours de l’histoire

britannique, en partie parce qu’il s’agissait de la première occurrence d’une

combinaison unique de propriété privée, de marchés, d’entreprises et de révolution

technologique permanente.

On ne peut cependant pas dire que la Grande-Bretagne, ou n’importe quel autre pays,

soit représentatif de ce processus ; chaque économie qui est sortie de la trappe

malthusienne l’a fait d’une manière différente. Les trajectoires nationales des premiers

pays à suivre la Grande-Bretagne ont été en partie influencées par le rôle dominant

que la Grande-Bretagne a été amenée à jouer dans l’économie mondiale. L’Allemagne,

par exemple, ne pouvait pas concurrencer la Grande-Bretagne dans le domaine du

textile ; mais le gouvernement et les grandes banques ont joué un rôle primordial dans

la production d’acier et d’autres industries lourdes. Le Japon a dépassé la Grande-

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66 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics

Bretagne dans certains marchés de textile asiatiques, bénéficiant de son isolement, dû

à la distance considérable qui le séparait des pays pionniers de la révolution industrielle

(à cette époque, le temps de trajet se comptait en semaines). Le Japon a imité

certaines technologies et institutions, adoptant le système économique capitaliste tout

en maintenant de nombreuses institutions traditionnelles japonaises, y compris le

pouvoir de l’empereur, qui a duré jusqu’à la défaite japonaise lors de la Seconde

Guerre Mondiale.

L’Inde et la Chine fournissent un contraste encore plus saisissant. La Chine a fait

l’expérience de la révolution capitaliste lorsque le Parti Communiste s’est éloigné

progressivement du modèle de planification centralisée de l’économie – l’antithèse du

capitalisme – que le Parti avait lui-même instauré. L’Inde, en revanche, est la première

grande économie de l’histoire à avoir adopté la démocratie, incluant le droit de vote

universel, avant d’entreprendre sa révolution capitaliste.

Comme nous l'avons évoqué dans l’Unité 1, la révolution industrielle n'a pas entraîné

une croissance économique généralisée dans le monde. Née en Grande-Bretagne, et

propagée lentement au reste du monde, elle a entraîné une forte augmentation des

inégalités de revenus entre les pays aux XIXe et XXe siècles. L'un des plus célèbres

historiens de la révolution industrielle, David Landes, posa la question en ces termes :

« Pourquoi sommes-nous si riches et eux si pauvres ? »16.

Par « nous », il entendait les sociétés riches d'Europe et d'Amérique du Nord ; par

« eux », les sociétés plus pauvres d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Landes

suggère, un peu malicieusement, qu'il y a essentiellement deux réponses à cette

question :

« La première est que nous sommes riches et qu’ils sont pauvres parce que nous

sommes bons et qu’ils sont mauvais ; c’est-à-dire que nous sommes travailleurs,

compétents, instruits, bien gouvernés, efficaces et productifs, alors qu’ils sont tout le

contraire. La deuxième est que nous sommes riches et eux pauvres parce que nous

16 Landes, David S. 1990. ‘Why Are We So Rich and They So Poor?’ American Economic Review 80 (May): 1–13.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 67

sommes mauvais et qu’ils sont bons : nous sommes avides, impitoyables, agressifs et

les avons exploités alors qu'ils sont faibles, innocents, vulnérables, vertueux, et qu’on a

abusé d’eux. »

– David Landes, “Why are we so rich and they so poor?” (1990)

NOTIONS INTRODUITES DANS L’UNITÉ 2

Avant de passer à l’unité suivante, passez en revue ces définitions :

Équilibre

Ceteris paribus

Prix relatifs

Incitations

Décroissance de la productivité moyenne du travail

Meilleur usage alternatif

Rente économique

Droite d’isocoût

Rente d’innovation

Si vous pensez que la révolution industrielle s’est produite en Europe en raison de la

Réforme protestante, de la Renaissance, des Lumières, de la révolution scientifique, du

développement des droits de propriété intellectuelle, ou de politiques

gouvernementales favorables, alors vous vous rangez dans le premier camp. Si vous

pensez que la révolution industrielle a eu lieu à l’aide de la colonisation, de

l’impérialisme, de l'esclavage, ou de la demande générée par les guerres perpétuelles,

alors vous êtes dans le deuxième.

Vous remarquerez qu’aucune de ces forces n’est de nature économique et que d’après

certains universitaires, elles eurent des conséquences économiques importantes. Vous

remarquerez probablement également que le choix entre les deux réponses proposées

par Landes risque d’être idéologiquement orienté ; cependant, comme Landes le

remarque, « soutenir l’un n’implique pas nécessairement d’exclure l’autre ».

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DISCUSSION 2.9 : POURQUOI LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE NE S’EST-ELLE PAS

PRODUITE EN ASIE ?

Lisez la réponse que Landes a apportée à la question qu’il a lui-même posée, et ce texte

analysant dans quelle mesure l’expérience britannique a été un évènement

exceptionnel17, et discutez les raisons pour lesquelles la révolution industrielle s’est

produite en Europe plutôt qu'en Asie, et en Grande-Bretagne plutôt qu'en Europe

continentale.

1. Quels arguments avez-vous trouvé les plus convaincants, et pourquoi ?

2. Quels arguments avez-vous trouvé les moins convaincants, et pourquoi ?

17 Alexander Gerschenkron, un historien, argumente que le cas bien connu du décollage économique de la Grande-Bretagne n’est guère représentatif des cas qui ont suivi. Voir : Gerschenkron, Alexander. 1962. Economic Backwardness in Historical Perspective. Cambridge, MA: Harvard University Press.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 69

Points-clé de l’Unité2

Modèles

Les économistes utilisent les faits et des modèles pour comprendre le fonctionnement

de l’économie, et dans quelle mesure il est possible d’améliorer son fonctionnement

pour les individus.

Prix relatifs

Les prix relatifs (y compris les salaires) influencent les choix technologiques.

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Rentes d’innovation

Les rentes d’innovation stimulent l’innovation technologique.

La concurrence engendre une diffusion de la technologie

La concurrence crée un environnement dans lequel les innovations qui permettent de

générer des rentes d’innovation sont copiées, diffusant ainsi les améliorations

technologiques.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 71

Économie malthusienne

L’économie malthusienne utilise le principe de décroissance de la productivité

moyenne du travail pour prédire que, dès lors que la population augmente sur une

quantité fixe de terre, la production obtenue par chaque travailleur supplémentaire

diminue. La productivité moyenne par travailleur diminue, et le niveau de vie diminue

en conséquence.

Niveau de vie de subsistance

À long terme, l’augmentation de la population dans une économie malthusienne, tire le

niveau de vie vers le bas, jusqu’à un niveau de subsistance, auquel ce niveau de vie

reste constant.

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Sortir de la trappe malthusienne

À la fin du XIXe siècle, les pays riches sont sortis de la trappe malthusienne. Le progrès

technologique constant et la rareté du travail ont provoqué une hausse durable du

niveau de vie.

Expliquer la révolution industrielle

Il existe de nombreuses explications quant à l’apparition de la révolution industrielle en

Grande-Bretagne, il est toutefois clair que les incitations économiques, sous la forme

de prix relatifs, y ont joué un rôle.

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CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 73

4.11 POUR EN SAVOIR PLUS

Bibliographie

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14. Landes, David S. 1990. ‘Why Are We So Rich and They So Poor?’ American Economic

Review 80 (May): 1–13.

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