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PSIUN 4, bd Gabriel - BP 17270 - 21072 DIJON CEDEX AIDE-numérique Tél. (33) 03.80.39.50.91 CFOAD - Appui-cours e-mail: [email protected] MÉTHODOLOGIE du résumé, de la synthèse et de la dissertation : approfondissement 16D167 Présentation du cours Année 2017/2018 Jean-Marie ZAEPFEL En vertu du code de la Propriété Intellectuelle Art. L. 335-3 : Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi. (L. n° 94-361 du 10 mai 1994, art. 8) Est également un délit de contrefaçon la violation de l’un des droits de l’auteur d’un logiciel définis à l’article L. 122-6. Les cours dispensés par le C.F.O.A.D. relèvent du présent article. Ils ne peuvent être ni reproduits ni vendus sous quelques formes que ce soit sous peine de poursuite.

UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE · 2019-04-09 · PSIUN 4, bd Gabriel - BP 17270 - 21072 DIJON CEDEX AIDE-numérique Tél. (33) 03.80.39.50.91 CFOAD - Appui-cours e-mail: [email protected]

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AIDE-numérique Tél. (33) 03.80.39.50.91

CFOAD - Appui-cours e-mail: [email protected]

MÉTHODOLOGIE du résumé, de la synthèse et de la dissertation :

approfondissement

16D167

Présentation du cours

Année 2017/2018

Jean-Marie ZAEPFEL

En vertu du code de la Propriété Intellectuelle – Art. L. 335-3 : Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi. (L. n° 94-361 du 10 mai 1994, art. 8) – Est également un délit de contrefaçon la violation de l’un des droits de l’auteur d’un logiciel définis à l’article L. 122-6. Les cours dispensés par le C.F.O.A.D. relèvent du présent article. Ils ne peuvent être ni reproduits ni vendus sous quelques formes que ce soit sous peine de poursuite.

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La dissertation dans les épreuves de culture

générale.

L'épreuve de culture générale constitue aujourd'hui une des épreuves essentielles

des concours administratifs et de certains examens universitaires. La variété des intitulés de l'épreuve dans les concours administratifs ne doit pas

cacher l'unité du programme en ce domaine. Il s'agit en réalité de réfléchir sur l'état des sociétés contemporaines et de la nôtre, en particulier.

La composition de culture générale oblige le candidat à exposer ses

connaissances et témoigne de son aptitude à les présenter. La qualité d'une composition de culture générale s'évalue ainsi à deux niveaux :

- celui de la connaissance qu'a le candidat du sujet proposé ; - celui de la manière qu'il a de traiter le sujet.

Plus que la valeur de la position prise sur le sujet, le jury ou le correcteur

s'attacheront à discerner les aptitudes intellectuelles du candidat : - aptitude à comprendre un sujet et à s'interroger ; - aptitude à exposer avec objectivité et donc sans esprit partisan des thèses

contradictoires et de préférence différentes de ses propres convictions ; - aptitude à l'esprit critique et capacité à discuter ; - sens de la méthode et organisation des idées ; - culture générale, fondée sur une curiosité permanente, constamment mise à

jour et étayée par des références littéraires, politiques, scientifiques, économiques, juridiques, historiques...

- une expression écrite sans faille ; - une maîtrise parfaite de la langue française. Contrairement à une opinion trop souvent répandue, l'épreuve de composition de

culture générale se prépare et mérite des connaissances précises.

1) La préparation à l’épreuve

Chaque candidat doit posséder un certain nombre de connaissances et doit être surtout capable de les mobiliser très rapidement. Malgré l'apparence de généralité de l'épreuve, le champ des connaissances exigées n'est pas infini et le nombre des thèmes proposés est bien délimité. 1.a) Chaque candidat doit ainsi s’attacher à reconsidérer ou consolider sa culture personnelle.

La lecture ou la relecture des auteurs classiques français qui forment, de Montaigne à Boris Vian, tant sur le plan littéraire que philosophique, le fonds de notre culture doit être consolidée.

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MÉTHODOLOGIE du résumé, de la synthèse et de la dissertation :

approfondissement

16D167

Présentation du cours

Année 2017/2018

Jean-Marie ZAEPFEL

En vertu du code de la Propriété Intellectuelle – Art. L. 335-3 : Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi. (L. n° 94-361 du 10 mai 1994, art. 8) – Est également un délit de contrefaçon la violation de l’un des droits de l’auteur d’un logiciel définis à l’article L. 122-6. Les cours dispensés par le C.F.O.A.D. relèvent du présent article. Ils ne peuvent être ni reproduits ni vendus sous quelques formes que ce soit sous peine de poursuite.

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Certes, si l'idéal est de connaître l'œuvre intégrale d’un auteur, il paraît évident que faute de temps, l'étudiant ne peut que se replier sur des ouvrages de synthèses concernant la littérature, les idées contemporaines, l'économie française, l'histoire, l'art...

On peut, à cet effet, consulter : - La littérature en France depuis 1968. B. VERCIER (Bordas) - La littérature en France de 1945 à 1968. BERSAIN - MAUTRAND (Bordas) - XX° siècle. C.BIET - J.P. BRIGHELLI (Magnard) - Précis de littérature française. FRAGONARD (Didier)

... et les fameux LAGARDE et MICHARD (Bordas)

On peut également se reporter avec profit à l'ouvrage de Gaétan PICON, Panorama des idées contemporaines (1957) et à celui de Jacqueline RUSS : La marche des idées contemporaines. (A. Colin 1994). Cela permet une analyse fine de l’époque qui précède les grands changements du début du XXIème siècle.

Enfin, signalons le manuel de Marcel BALESTRE sur L'économie française contemporaine (Masson).

Parmi les lectures indispensables pour la préparation de l'épreuve, il est impératif

de travailler avec une grammaire et un dictionnaire. Le petit ROBERT est, à cet égard, particulièrement recommandé (6 ouvrages pour le prix d’un seul : orthographe, grammaire, origines, synonymes, contraires et citations), de même que l'ouvrage de grammaire remarquable de Maurice GREVISSE : Le bon usage (Hatier). Relevons le petit opuscule de BESCHERELLE sur « L'art de conjuguer » toujours chez Hatier. 1.b) Chaque candidat doit mettre à jour ses connaissances par la constitution de dossiers.

Les lectures d'ouvrages ne suffisent plus, lorsqu'il s'agit de se pencher sur

l'actualité. Les informations seront essentiellement puisées dans la lecture de la presse quotidienne et hebdomadaire. A ce titre, tout étudiant préparant un concours administratif se doit de lire et de dépouiller le journal Le Monde. Il est à noter que l'acte matériel de confection de tels dossiers est un excellent support à la mémorisation et à l'organisation des connaissances ; il en facilite l'assimilation et la coordination.

Si la lecture d’un seul quotidien peut vous paraître fastidieuse, on peut prendre Le Monde du mardi et du vendredi, et alterner avec un autre le lundi et le jeudi.

Malgré tout, il faut savoir aussi utiliser les hebdomadaires : si L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur ou Marianne sont bien connus, il faut aussi aller voir vers Courrier International. Ils offrent souvent l’avantage de traiter d’un dossier en profondeur.

Enfin le candidat trouvera dans ses dossiers, constitués ou distribués, des

éléments de réponse indispensables à la confection des devoirs de culture générale qui seront proposés.

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Les thèmes suivants (et la liste n'est pas exhaustive) devront faire l'objet d’une ouverture de dossiers : - Les libertés publiques - Les droits de l'homme - Le racisme - Le terrorisme - Le système judiciaire et les réformes pénales - La violence - La drogue - La délinquance - Les problèmes urbains - L'urbanisme - La communication audiovisuelle - Les structures de la communication - Les nouvelles techniques de communication et le multimédia - Les télévisions privées et le réseau satellite - La presse écrite - La publicité - La sécurité sociale - La démographie - La famille - La santé - Le système hospitalier - Les institutions sociales et la politique sociale - La retraite - La procréation - La psychiatrie - La psychanalyse - Les manipulations génétiques - La pauvreté - L'enseignement - Les institutions de solidarité - L'enseignement supérieur - La formation - La querelle scolaire - L'éducation civique - La recherche - L'histoire - Les jeunes - Le troisième âge - Les femmes - L'Etat - La politique nucléaire - L'évolution des pays de l'Est - L'éclatement de l'U.R.S.S. et la nouvelle Russie - Le pétrole - Les conflits régionaux et internationaux - Les interventions de l'Etat en matière économique - Le secteur public

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- La démocratisation du secteur public - Le libéralisme - La Fonction publique - Les associations - Le travail - Le syndicalisme - Le chômage - La planification - La politique industrielle - La technologie - Les problèmes énergétiques - L'environnement - Les enjeux de l'espace - La politique culturelle - La littérature française - La langue française - Le cinéma - Le temps libre - Le tourisme - Le patrimoine - Les musées - L'architecture - L'art - Le théâtre - Les religions - La cohabitation - Les partis politiques - La politique de défense - Le pacifisme - Les pays en voie de développement - Les institutions internationales - Le dialogue Nord - Sud - La forêt - L'agriculture - L’Union européenne - Le système monétaire (européen et international) - Les départements et territoires d'Outre-Mer - La crise de la pensée scientifique - Ethique et/ou Morale - L'individualisme - La modernité - La prospective Il est bien évident que certains d’entre eux peuvent être regroupés.

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2) Le déroulement de l’épreuve

Le candidat, prenant connaissance de l'énoncé du sujet doit avant tout éviter toute erreur sur les termes du sujet. 2.a) La compréhension du sujet et la composition du plan

Il faut comprendre le sujet en analysant tous ses termes et les rapports entre les termes, saisir et formuler le problème (ou les problèmes sous-jacents à un énoncé d’apparence neutre, ex. : la publicité, la télévision, l'automobile...). L'analyse des rapports entre les termes principaux du sujet est capitale pour conduire le raisonnement. La composition sur un sujet d'ordre général est une réflexion et un devoir d'idées ; la construction de la copie va reposer sur l'articulation des idées secondaires et des idées principales.

Ayant mobilisé l'ensemble de ses connaissances sur le sujet, l'étudiant s'attachera

enfin à orienter son devoir autour d'une idée générale : c'est la phase de définition de la thèse qui est une personnalisation de la réponse apportée au sujet.

Une composition de culture générale doit être personnelle, c'est-à-dire révéler une

personnalité. Il faut donc donner son point de vue sur le sujet proposé et convaincre le lecteur de sa justesse, de son bienfondé sans tomber dans le discours partisan.

Il est très important de noter également que l'étudiant doit manifester, en même

temps, un esprit ouvert à d'autres conceptions, ce qui n'est pas incompatible avec une certaine fermeté de jugement. 2.b) La construction du devoir

Chacun s'accorde à considérer : - que la construction d'un plan est obligatoire, - et que la composition doit être bâtie en deux parties dans la plupart des cas. Le plan permet de dégager sur un sujet les lignes principales d’un raisonnement,

qui doit être personnel. Ainsi, les plans chronologiques et analytiques sont fortement déconseillés (exemple à ne pas suivre à propos de la crise économique : d'une part, avant le premier choc pétrolier, d'autre part, après le premier choc pétrolier ; ou exemple de plan analytique : 1) les causes, 2) les conséquences ou 1) l'organisation, 2) le fonctionnement...). L'utilisation d'un plan chronologique conduit d'ailleurs à traiter le sujet de manière analytique. Le plan analytique conduit en fait à découper le sujet de manière trop simpliste et impersonnelle.

Le plan de la composition doit être un plan synthétique. Serge SALON

(Composition de culture générale, Sirey) donne l'exemple suivant, à propos d'un sujet portant sur « L'inflation » : ... « On pourrait montrer, comment ce phénomène parait inexorable dans le contexte contemporain, puis, comment les diverses politiques menées pour le contrôler sont d'une efficacité limitée ».

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Pour plus de sécurité, l'étudiant choisira de construire son raisonnement en deux parties, car si le plan en trois parties parait commode, pour rendre compte du mouvement de la pensée suivant le schéma classique (thèse, antithèse, synthèse), il présente le risque de répétitions et d’un déséquilibre entre les parties. De plus et à l'évidence, le plan en deux parties est le plus aisé à mettre en œuvre.

Ainsi, une bonne composition doit comprendre : une introduction, un

développement en deux parties et une conclusion.

2.b.1) L'introduction

L'introduction est l'élément le plus important et le plus intéressant du devoir. Une introduction qui se respecte comprend en général cinq phases : l'entrée en matière, la dimension du sujet, la définition des termes du sujet et du problème précis à traiter, l'idée générale et l'annonce du plan (cf Serge SALON, op.cit.). On ne peut donc se contenter d'une introduction médiocre de quelques phrases.

Il faut éviter les introductions historiques et celles qui tournent autour du sujet,

sans vraiment l'aborder... de plus, les citations, dans l'introduction et les formes interrogatives sont déconseillées.

L'introduction, c'est la traduction précise du sujet, c'est l'analyse de celui-ci, c'est

la mise en forme de la réflexion personnelle du candidat et c'est, enfin, la justification du plan.

La partie la plus délicate concerne assurément la définition et la délimitation du

sujet et l'on doit déjà entrevoir, lors de cette phase, la démarche personnelle de l’étudiant.

L'idée générale, résultat de l'analyse synthétique portée sur le sujet, doit

apparaître très clairement et obligatoirement dans l'introduction. Enfin, l'introduction se termine par l'annonce de plan qui indique, sans ambiguïté,

au correcteur quelle est la démarche qui sera suivie par le candidat. Il est prudent, à cet égard, de donner sa forme définitive à l'introduction lorsque le reste du devoir a été bâti, pour éviter qu'elle n'annonce un plan... qui ne sera pas ou mal suivi. On évitera les tournures trop souvent admises dans certains établissements d'enseignement, telles que : nous verrons dans une première partie... puis dans une seconde.

Par exemple, à propos d'un sujet sur la « Solidarité nationale, mythe ou réalité ? »

on peut faire l'annonce suivante : la solidarité recouvre à la fois une volonté de défense des intérêts communs face à un risque extérieur et un désir de justice entre les membres d'une même communauté. Toujours acceptée dans son principe (1), la solidarité nationale est de plus en plus contestée dans son application (2).

2.b.2) Les parties doivent s'articuler entre elles de façon satisfaisante et chaque

partie doit être précédée par un « chapeau », qui est en réalité un titre qui rappelle la première idée annoncée dans l'introduction.

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Comme le suggère Serge SALON, le chapeau doit être rédigé avec une certaine élégance et une évidente concision. On ne peut à cet égard s'empêcher de citer le Général de Gaulle (conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Une Constitution c'est un esprit, des institutions, une pratique... »).

2.b.3) Point final du développement, la conclusion est l'aboutissement du

raisonnement et ne peut à cet égard contenir des éléments nouveaux afférents au sujet. Par contre, il n'est pas indifférent de relancer le débat vers des points de vue distincts et d'utiliser des citations, à condition qu'elles soient pertinentes Une méthode judicieuse peut consister à rédiger en premier la conclusion car elle est ce vers quoi va progresser le raisonnement. Au cours d’une épreuve, on peut le faire sur une feuille intercalaire, ce qui permet à la fois d’être sûr d’avoir fait la conclusion, et en même temps de la voir en fin d’épreuve.

Sur le plan de la forme, on se permettra de donner quelques conseils. L'expression doit être claire, élégante et fondée sur des phrases courtes et

concises. Une expression confuse traduit toujours une imprécision de la pensée. Le style doit être sobre, sans être simpliste ou vulgaire. On peut éviter le style allusif qui oblige le correcteur à se substituer au candidat, de même que le style interrogatif où le candidat interroge constamment le correcteur.

Les travers que l'on évitera soigneusement seront :

- une mauvaise présentation de la copie, - une écriture illisible,

- une construction imparfaite due au déséquilibre entre les parties, - une grammaire défaillante, - une orthographe douteuse, - l'emploi d’un temps inadapté (il faut préférer l'emploi du présent à celui du

passé), - un style lourd et scolaire.

SUJET. Concours de catégorie A

" Le nationalisme est une maladie infantile. C'est la rougeole de l'humanité".

Que pensez-vous de cette formule d'Albert Einstein ?

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PROPOSITION DE PLAN DE CORRECTION.

Réflexion préalable.

Comme pour tout sujet de ce type, il convient d'abord d'analyser soigneusement la citation, pour bien comprendre ce qu’elle veut dire.

Ici, cette analyse ne soulève pas de difficultés majeures : la citation est en effet

courte et sa structure limpide. Elle est faite de la juxtaposition de deux phrases simples, dont la deuxième constitue une explication concrète de la première. Selon Einstein, le nationalisme est à l'humanité ce qu’une maladie infantile comme la rougeole est à l'individu.

Une fois compris le sens global de la citation, deux question se posent

immédiatement : - Quel sens donner ici au mot « nationalisme » ? - Que signifie cette assimilation du nationalisme à une maladie infantile ? Le nationalisme est un sentiment ou une doctrine qui affirme, dans l'ordre

politique, la primauté de la défense et de la promotion des valeurs et intérêts nationaux. Il repose sur l'exaltation du sentiment national, sur un attachement passionné à la nation à laquelle on appartient et se teinte parfois (souvent ?) de xénophobie et d'une volonté d'isolement. Il s'accompagne du souci de conserver l'indépendance et la pureté de la nation, de maintenir l'intégrité de la souveraineté nationale et d'affirmer la grandeur de l'État-nation.

Cette volonté détermine deux caractéristiques du nationalisme, qui peuvent se

mêler ou non : - Le nationalisme est très souvent conservateur, voire réactionnaire. Son désir

de préserver l'indépendance et la pureté de la nation le conduit en effet à prôner la défense de ce qui est, voire à se tourner vers les valeurs du passé, vers une époque plus ou moins mythique qui n'aurait pas été gâtée par le cosmopolitisme ambiant.

- Le nationalisme est (ou a été) volontiers conquérant. La volonté de développement de la puissance nationale a légitimé des politiques de conquêtes.

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Si l'apparition des premiers sentiments nationaux est ancienne (aux environs du Xlllème ou XIVème siècle pour les Français), le nationalisme est, quant à lui, une réalité beaucoup plus récente, qui n'a commencé à se manifester de manière significative que dans la deuxième moitié du XIXème siècle, avec Barrès, Maurras...

La connotation du terme est globalement négative. Il ne faut pas oublier, en effet, que la première moitié du XXème siècle a été une période d'exacerbation des nationalismes et que cette exacerbation n'a pas été pour rien dans le déclenchement des deux conflits mondiaux.

Assimilé à une maladie, le terme est, ici, bien chargé de cette connotation négative, mais celle-ci est toutefois tempérée par la tonalité positive de la réflexion. En effet, une maladie infantile comme la rougeole est une maladie qui survient, comme son nom l'indique, dans l'enfance, pour ne plus se produire ensuite, puisque le sujet atteint développe des défenses immunitaires qui le protègent pour le reste de sa vie. Selon Einstein, le nationalisme serait donc pour l'humanité, comme une maladie infantile pour un individu, un désagrément passager, qui se manifeste à un certain stade de son évolution et dont elle se trouve débarrassée par la suite. Ne s'agit-il pas d'ailleurs d'une étape obligée ?

La réflexion d'Einstein rejoint un courant d'idée dominant dans l'après-Seconde

Guerre mondiale, selon lequel l'histoire va dans le sens d'une unification progressive du monde et que, dans cette perspective, les nations et le nationalisme sont destinés à disparaître.

Or, nous assistons incontestablement à l'heure actuelle à une résurgence des manifestations de nationalisme, en Europe de l'Est, dans certains pays du tiers-monde mais aussi dans les pays développés occidentaux.

Dès lors, comment interpréter cette résurgence et quelle attitude adopter ? S'agit-il d'un dernier accès d'une maladie infantile, dont il n'y aurait pas lieu de

s'inquiéter outre mesure puisque, même violent, il ne peut être que passager ? Ou bien ce à quoi nous assistons aujourd'hui doit-il nous conduire à penser qu'Einstein s'est trompé et que le nationalisme ne disparaîtra pas de sitôt ? Faut-il alors craindre qu'il conduise aux mêmes excès, aux mêmes catastrophes que par le passé ? Ne convient-il pas de distinguer le nationalisme, souvent facteur d'exclusion, de repli sur soi, d'intolérance, du sentiment national, qui est un sentiment d'appartenance, de fidélité, de solidarité ?

Plan détaillé. L’idée que l'Histoire va dans le sens d'une unification progressive des pays et

des peuples, de l'avènement d'une société mondiale unifiée, garante d'un ordre pacifique, n'est pas nouvelle. Elle a commencé à émerger de manière significative à la fin du XVIllème siècle et au début du XlXème siècle.

Si cette idée a subi une éclipse assez prononcée dans la deuxième moitié du

XIXème siècle (« siècle des nationalités ») et surtout dans la première moitié du XXème siècle (exacerbation des nationalismes), elle a connu un regain de faveur après la Seconde Guerre mondiale, en réaction aux horreurs des deux conflits causés en partie par les excès du nationalisme. En raison d'une internationalisation croissante, le nationalisme (exaltation de l'idée de patrie ou de nation, volonté de

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préserver la pureté de la nation ou de la race ...) est apparu de plus en plus comme une manifestation historique dépassée, condamnée aux oubliettes de l'Histoire. Albert Einstein a eu, aux lendemains mêmes de la Seconde Guerre mondiale, une belle formule pour traduire ce sentiment : « Le nationalisme est une maladie infantile. C'est la rougeole de l'humanité ». Le nationalisme, comme une maladie infantile, peut entraîner beaucoup de désagréments, mais cette menace n’est pas permanente pour l'humanité : elle apparaît à un certain stade de développement, et elle disparaît quand ce stade est dépassé.

Cependant, la résurgence actuelle du nationalisme, qui se manifeste aussi bien

dans certains pays du tiers-monde qu'en Europe, semble devoir altérer ce bel optimisme : ou bien Einstein s'est trompé dans son appréciation du caractère passager du nationalisme, ou bien l'humanité n'a pas encore atteint le stade d'évolution correspondant à sa disparition.

En fait, le nationalisme, que beaucoup ont cru condamné à disparaître, resurgit avec force et semble devoir se maintenir dans un avenir prévisible.

Cette résurgence ne va pas sans risques graves, mais le pire n'est pas sûr. 1. La réaffirmation du nationalisme 1. 1. L’ESPOIR D'UNE DISPARITION PROGRESSIVE Le nationalisme aurait pu constituer dans l'histoire de l'humanité une

parenthèse assez brève. Il est d'apparition relativement récente. Le mot lui-même ne date que de la fin du XVIIIème siècle, pour dénoncer le patriotisme excessif des Jacobins. Mais le sentiment nationaliste ne se développa que dans la deuxième moitié du XIXème siècle et il ne sera consacré qu'à la fin de ce siècle, par des écrivains comme Barrès, Renan, Maurras. Or, l'évolution socio-économique et politique du monde depuis 1945 a semblé devoir conduire à sa disparition progressive mais inévitable.

a) L'internationalisation du monde Le développement des échanges (développement des moyens de transport,

des réseaux de communication, du tourisme ...) a entraîné une plus grande connaissance et une meilleure compréhension mutuelle des peuples, une uniformisation des modes de vie, une standardisation des mœurs et des valeurs, un affaiblissement des particularismes tant au niveau des peuples que des États. À l'ère du « village planétaire », le nationalisme apparaît comme un sentiment dépassé.

La mondialisation de l'économie a provoqué une interdépendance accrue entre les pays. Les activités des sociétés multinationales se sont considérablement développées. L’organisation de la vie internationale a fait de gros progrès (Organisation des Nations unies...) et les organismes supranationaux se sont multipliés (avec des fortunes diverses) : Mouvement des non-alignés, Organisation de l'unité africaine, Communauté économique européenne... En matière de politique internationale, la division du monde en blocs a transcendé les nationalismes. La guerre froide a été un affrontement d'idéologies, et non pas de nationalismes.

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b) L'évolution des mentalités La « crise des valeurs » a surtout touché celles qui formaient le soutien ou le

terreau du nationalisme (perte de prestige des notions de patrie, de nation). La montée de l'individualisme a joué dans le sens d'un affaiblissement du nationalisme. En effet, l'individualisme favorise le cosmopolitisme. L’individu tend à se définir par rapport à une nature humaine et non plus par son appartenance exclusive à tel groupe social organisé. L’individu appartient au cosmos avant d'appartenir à une nation. Ainsi, Montesquieu affirmait déjà dans ses Cahiers : « Si je savais une chose utile à la nation qui fût ruineuse à une autre, je ne la proposerais pas à mon prince, parce que je suis un homme avant d'être français, ou bien parce que je suis nécessairement homme, et que je ne suis français que par hasard ».

1.2. UN ESPOIR DÉÇU Cet espoir d'une disparition progressive du nationalisme s'est cependant révélé

illusoire : non seulement le nationalisme est resté bien vivace, mais il opère même un retour en force spectaculaire.

a) Un nationalisme resté bien vivace Si certains facteurs ou certaines évolutions ont joué en faveur de la disparition

ou de l'affaiblissement du nationalisme, d'autres, au contraire, sont allés dans le sens de son maintien.

L’Histoire a ainsi créé des situations propices au maintien ou au réveil du nationalisme : la crise israélo-palestinienne, l'agglomération forcée de plusieurs nationalités (ex URSS, Yougoslavie...), ou, au contraire, l'éclatement d'un même peuple entre plusieurs États (Kurdes...).

La période récente a vu s'affirmer le droit à la différence. Or, celui-ci a légitimé l'émergence de micro-nationalismes (Basques, Corses...).

Les idéologies internationalistes (marxisme-léninisme, non-alignement tiers-mondiste...) se sont assez rapidement écroulées. De ce fait la nation est restée pratiquement le seul cadre de référence, ou du moins le seul cadre d'investissement affectif, parce que les facteurs historiques et culturels nationaux restent profondément ancrés dans la conscience des peuples. Les « lieux de mémoire » dont parle l'historien Pierre Nora sont locaux ou nationaux, presque jamais internationaux.

Les États ont, d'autre part, joué un rôle dans le maintien de l'idéologie nationaliste, soit qu'ils l'aient utilisée dans une fonction d'intégration (en particulier les jeunes États du tiers-monde), soit qu'ils s'en soient servis pour renforcer leur légitimité à un moment où ils pouvaient se sentir menacés par les forces centrifuges évoquées plus haut (le nationalisme fonde en effet la prépondérance des États).

b) Une résurgence pas seulement passagère La résurgence du nationalisme à l'heure actuelle est indéniable. Elle se

manifeste sous des formes très diverses (par exemple en Yougoslavie, en ex URSS, mais aussi en France avec l'importance prise par la question de l'immigration). Elle répond d'abord à un besoin de compensation. Dans certains pays du tiers-monde

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(en Iran par exemple), la fièvre nationaliste a été en grande partie provoquée par la déception des espoirs nés de la modernité. En Europe de l'Est, la vague nationaliste s'alimente à une double source :

- elle correspond au désir de prendre une revanche sur une période où chacun de ces pays a eu l'impression que son identité profonde était niée ;

- d'autre part, l'ordre communiste a correspondu à une période d'hibernation qui a laissé intactes certaines questions nationales non résolues.

Elle correspond aussi à un besoin de sécurité. Les périodes de crise économique et de mutation favorisent les réflexes protectionnistes et nationalistes. Au plan international, la fin des blocs ouvre un avenir incertain et aléatoire, ce qui incite à la tentation du repli dans le cadre protecteur de la nation.

Elle répond enfin à un besoin profond d'identité. Il apparaît, par exemple, de plus en plus clairement que la mondialisation de l'économie de marché et du libre-échange ne conduit pas nécessairement à la disparition des nations. Le capitalisme semble au contraire devoir s'organiser sur une base nationale. Il faut remarquer à cet égard que les firmes multinationales prétendument apatrides s'organisent de plus en plus, par le jeu d'une division en filiales très largement autonomes, en respectant les cadres nationaux.

Aussi, à l'horizon du possible, le nationalisme ne semble plus condamné à disparaître, mais, au contraire, à occuper à nouveau une place prépondérante dans le jeu international. Que faut-il penser de cette évolution ?

2. Le pire n’est pas sûr La résurgence du nationalisme inspire bien des inquiétudes, dont l'actualité

semble confirmer le bien-fondé. Mais, si elle ne va pas sans risques graves, le pire n'est pas forcément sûr...

2.1. LES INCONVÉNIENTS ET LES RISQUES Le nationalisme comporte en lui-même un certain nombre de risques et ceux-ci

sont aggravés dans la situation actuelle. a) Les risques inhérents au nationalisme Le nationalisme, qu'il s'agisse d'un nationalisme de défense ou d'un

nationalisme d'expansion, de conquêtes, crée inévitablement des difficultés graves dans les relations internationales, mais aussi au plan interne.

Il représente, en effet, une source d'intolérance entre les peuples et favorise en cela une incompréhension qui peut déboucher sur des conflits sanglants (cf l'ex-Yougoslavie), ou, au moins, une attitude de blocage qui empêche la résolution des crises (Israéliens/Palestiniens par exemple). Il contribue au repli sur soi d'un pays et au maintien de barrières protectionnistes, et il constitue un frein à l'édification d'entités supranationales pourtant reconnues nécessaires (la construction européenne par exemple).

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Au plan interne, il est une source de conservatisme. Non seulement il favorise le rejet de l'autre et de l'enrichissement que celui-ci peut apporter (manifestations de xénophobie par exemple), mais il tend également à freiner l'évolution, le mouvement, parce qu'il accorde une place prépondérante aux valeurs du passé (le culte des aïeux par exemple) et qu'il voit dans toute évolution un risque de dénaturation.

b) Les risques liés à la situation actuelle Aussi bien à l'Est que dans les pays arabes, le nationalisme réémerge en plein

péril de naufrage économique. Or, nationalisme et difficultés économiques ont toujours constitué un cocktail particulièrement explosif (exemple de la crise yougoslave). Toutes les dérives sont possibles (populisme teinté de fascisme ...). Les risques sont d'autant plus grands que les autorités politiques ont du mal, dans un tel contexte, à ne pas jouer de l'exacerbation nationaliste pour constituer un dérivatif aux difficultés et aux désillusions économiques, et qu’à l'heure actuelle, il n'y a pas d'autres idéologies qui puissent faire contrepoids : le renouveau religieux, tel qu'il se manifeste, souffle la plupart du temps dans le même sens. De plus, la désillusion, dans les pays de l'Est, risque d'être d'autant plus douloureuse, et donc dangereuse, que les espoirs d'une prospérité rapide avaient été grands au moment de la conversion à l'économie de marché.

En France, la place grandissante occupée par la question nationale dans le débat politique favorise une attitude de fermeture, alors que le pays va être soumis au cours des années à venir à une pression immigrante très forte, comme tous les pays d'Europe de l'Ouest d'ailleurs. Il y a là un risque non négligeable de dérive politique.

2.2. UN NATIONALISME MOINS DANGEREUX En dépit des situations dramatiques dont l'actualité offre maints exemples, il

n'est pas sûr que le nationalisme d'aujourd'hui conduise aux mêmes excès que celui d'hier, parce qu'il comporte aussi des aspects positifs et qu'il est encadré.

a) Un nationalisme positif Le sentiment d'inquiétude est d'autant plus fort que le nationalisme en soi est

connoté péjorativement, en raison de réminiscences historiques. Mais le nationalisme n’est pas exclusivement négatif Il peut aussi être facteur de diversité, d'intégration et d'équilibre.

Une société mondiale unifiée pourrait être synonyme d'uniformité. Le maintien d'un certain sentiment national traduit le refus de cette uniformité et de la dépendance, la manifestation d'une volonté de préserver son identité et son originalité. Il paraît bon de maintenir la diversité des cultures et la concurrence des ambitions, face à la menace d'un « melting pot » mondial qui, en fonction de la manière dont il s'opère, pourrait être une source d'enrichissement par addition des qualités, mais aussi représenter une cause d'appauvrissement par suppression des différences et des singularités.

Le besoin de cohésion nationale se fait sentir aussi bien dans les pays anciens que dans les pays neufs. Or cette cohésion se trouve à l'heure actuelle mise à mal

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sous l'effet de divers facteurs, par exemple l'individualisme moderne. Elle a besoin, pour se raffermir, du ciment que représente le sentiment national.

Celui-ci apparaît comme le garant d'un certain équilibre dans un mouvement d'internationalisation destiné, à se poursuivre sous diverses formes. Il représente en effet une incitation à préserver les intérêts essentiels de certains groupes humains.

b) Un nationalisme encadré Les difficultés sociales peuvent enflammer les opinions irrédentistes et conduire

à des débordements fâcheux, mais ces passions risquent moins qu'autrefois de déboucher sur des conflits majeurs. L’idéologie du nationalisme conquérant a en effet pratiquement disparu, parce qu'elle ne correspond plus au stade de développement économique auquel nous sommes parvenus (sous réserve, cependant, de la volonté de reconstitution, par exemple, de la Grande Serbie). La recherche des terres cultivables, la notion d'espace vital n'ont plus grand sens. La compétition économique, nouvelle forme du nationalisme des pays développés, semble organisée de manière à éviter les excès. Ces pays développés doivent cependant veiller à ne pas encourager les exacerbations nationalistes dans les pays sous-développés en créant dans les rapports Nord-Sud, des conditions économiques trop difficiles.

Dans les pays développés, les régimes démocratiques sont maintenant suffisamment affirmés pour permettre de laisser s'exprimer les revendications minoritaires et les préjugés majoritaires. Or, l'expression vaut mieux que le refoulement (une partie des manifestations actuelles du nationalisme parmi les plus exacerbées sont d'ailleurs le fruit d'un trop long refoulement). Les pays démocratiques disposent des moyens juridiques pour faire coexister des peuples différents dans une même patrie ou une même entité, et de rendre supportables les particularismes, à défaut de les supprimer, et même de les faire fructifier.

Beaucoup de revendications nationalistes en Europe, à l'heure actuelle, s'inscrivent dans une aspiration concomitante à une forme d'unification européenne. Nationalisme ne signifie donc pas, dans ce cas, fermeture et repli frileux sur soi, mais plutôt volonté de préserver ou de retrouver son identité.

Conclusion Malgré l'internationalisation croissante, le nationalisme ne semble pas sur le

point de disparaître. C'est au contraire une réalité bien vivante dont il faut tenir compte.

En fait, le nationalisme a toujours représenté un sentiment ambivalent. Négatif,

il est ce qui oppose des peuples à d'autres, volonté de puissance et potentiel de haine. Positif, il est ce qui rattache l'individu à la collectivité nationale, source d'identité et expression d'une solidarité.

S'il faut veiller à dénoncer et à brider autant que possible le premier aspect, le

second n'a pas à être découragé.

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Le résumé de texte dans les épreuves de culture générale.

Une épreuve de résumé de texte est proposée sous des formes très proches dans de nombreuses épreuves de culture générale. Son existence se justifie généralement par l'intérêt que cet exercice présente, par son contenu et par les qualités qu’il demande. Ce type d'épreuve obéit à quelques règles que vous devrez connaître afin de vous forger une méthode de travail personnelle.

L'épreuve de résumé de texte consiste à « rendre », mais de façon condensée, en

un nombre de mots fixé précisément, les informations essentielles contenues dans un texte. Il s'agit donc de retenir du texte proposé ce qu'il contient de plus important.

Un résumé doit être fidèle et concis. Vous avez sans doute déjà rédigé une

fiche de lecture à propos d'un livre ou d'un article de revue. Dans ce cas, il est normal de donner son opinion, de ne retenir d'un texte que ce qui intéresse et frappe. Un résumé à usage privé est toujours personnalisé, donc orienté et commenté. En revanche, l’épreuve de résumé consiste à des informations de la façon la plus exacte et la plus brève possible, sans se perdre dans les détails. La personne à qui le résumé est destiné doit pouvoir, en le lisant rapidement, se faire une idée suffisante du texte de départ et n'avoir pas à s'y reporter.

Un bon résumé doit donc : - être court et facile à lire ; - insister sur l'essentiel ; - ne pas trahir la pensée de l'auteur, même si celle-ci déplaît ou paraît

incomplète ; il ne doit pas faire apparaître des opinions personnelles sur le sujet. Attention : résumer ne consiste surtout pas à recopier des morceaux du texte, ni à

condenser tous les paragraphes dans les mêmes proportions (ce qui serait alors une réduction). Certains paragraphes peuvent être sans grand intérêt ; il faut apprendre à faire des choix et à discerner les idées directrices. Savoir sélectionner une information pour la conserver dans le résumé ou au contraire l'éliminer est fondamental dans ce type d'exercice.

La rédaction d'un résumé exige des qualités précises. Le résumé permet au

correcteur de l'épreuve d'évaluer certaines qualités de compréhension et d'expression des étudiants, mais aussi leurs défauts. Il est donc très important de manifester ces qualités. La maîtrise du temps : vous devez mener à bien l'exercice dans le temps imparti (2, 3 ou 4 heures selon les exercices). La compréhension du texte : vous aurez à comprendre les idées générales, tout comme la problématique soulevée et les références culturelles implicitement contenues dans le texte. Pour bien appréhender cette épreuve, il faut être capable, grâce à sa culture générale, de décoder certaines allusions, ce qui implique que vous ayez déjà quelques notions sur le thème du texte proposé. Seule la lecture d'un quotidien, d'un hebdomadaire, de livres et de revues doit vous permettre de vous familiariser avec les grandes idées ou les grands thèmes de notre temps.

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L'esprit d'analyse et l'esprit de synthèse : il s'agit de savoir décomposer un texte (déceler la hiérarchie des idées - distinguer ce qui est important et ce qui est accessoire - et mettre en évidence les liens logiques entre ces idées) puis de le recomposer (organiser et mettre en valeur les informations) en l'abrégeant. La fidélité au texte d'origine : vous ne devez pas oublier de données importantes mais surtout vous ne devez pas commenter la pensée de l'auteur ; votre ton doit rester neutre. Les opinions et commentaires personnels ne sont pas admis. La clarté, la concision et la correction de l'expression : la rédaction du résumé (richesse du vocabulaire, orthographe, aisance du style...) ne doit pas être négligée. La qualité de la présentation : la lisibilité de l'écriture, la propreté de la copie sont également très importantes ; le correcteur, qui doit lire de nombreuses copies, est toujours favorablement influencé par les devoirs bien présentés.

Tous ces éléments entrent dans la notation du devoir à raison d'environ 2/3 de la note pour le fond (idées essentielles, mouvement du texte et articulations logiques, fidélité au texte d'origine) et d'1/3 pour la forme (expression et présentation).

Les conditions de l'épreuve. Avant de commencer la lecture du texte lui-même,

vous aurez à lire très attentivement les instructions données dans l'énoncé du sujet ; elles préciseront ce qui vous est demandé et, notamment, le nombre de mots exigé.

Les résumés consistent le plus souvent à resserrer le texte au 1/5 ou au 1/10. Dans le second cas, l'effort de rédaction est plus poussé. Une marge de plus ou moins 10 % est généralement tolérée ; pour un résumé en 300 mots, vous ne pouvez pas descendre au-dessous de 270 mots ni dépasser 330 mots.

Tout écart est sévèrement sanctionné dans la notation, parce que la marge de tolérance est justement instituée pour l'éviter. Dans certains cas les contraintes peuvent être plus rigoureuses, mais cela est toujours clairement précisé dans l'énoncé.

Comment compter les mots ? Le jour de l’épreuve, vous n'aurez pas de dictionnaire à votre disposition mais, pour vous entraîner, vous pouvez vous y référer tout en sachant que différentes « écoles » s'affrontent. Pour certains, par exemple, c'est-à-dire = 3 mots, à cause des tirets, et pour d'autres, c'est-à-dire = 4 mots. Et comme la difficulté du résumé réside justement dans la brièveté, il est préférable d'éviter ce genre d'expression. La marge de tolérance est également là pour éviter ce type de contestation.

On considère généralement que : - les « petits mots », articles, même élidés (I', d'), les conjonctions, pronoms, etc.,

comptent pour 1 mot ; - les dates (1515, 1789) comptent pour 1 mot ; - les mots composés figurant comme tels au dictionnaire comptent pour 1 mot.

Exemples : compte gouttes = 1 mot, mais compte rendu = 2 mots socio-économique = 1 mot ;

- les pourcentages (50 % ...) comptent pour 2 mots - les sigles (SNCF, CGT, etc.) = 1 mot ; - les noms propres : Jean de La Fontaine = 4 mots Charles de Gaulle = 3 mots.

Seule la ponctuation n'est pas prise en compte.

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Sur votre copie vous devez toujours indiquer le nombre de mots employés. Pour cela, vous signalez pour chaque ligne le nombre de mots et vous indiquez le total général en fin de résumé.

Titre et source : faut-il donner un titre à votre résumé ? Si le texte n'en comporte pas, vous aurez avantage à lui en trouver un montrant que vous avez compris le message essentiel. Ce dernier est à prendre en compte dans le total des mots.

Vous pourrez également noter en fin de devoir entre parenthèses la source de votre résumé (résumé d'un texte de M... extrait de...). Cette mention de la source n'est pas à inclure dans le décompte des mots.

Le résumé de texte est une épreuve délicate qui ne requiert pas de connaissances

particulières mais qui ne s'improvise pas. Vous ne pourrez la réussir qu'en vous forgeant une méthode personnelle et en vous entraînant à la mettre en pratique de façon régulière. Les explications et les conseils qui suivent ont pour but de vous aider à acquérir une méthode. Ils vous indiquent une « marche à suivre », que vous pourrez adapter progressivement à vos besoins. Vous pourrez ainsi découvrir vos points forts et vos faiblesses.

Comment procéder pour résumer un texte ? Le travail se divise en deux temps : - une phase d'analyse et de compréhension consacrée à la lecture active du

texte ; - une phase de synthèse et d'expression consacrée à la mise en forme et à la

rédaction même du résumé.

Pour bien comprendre le texte, il convient de se rappeler qu'il faut non seulement déceler les informations fournies par le texte mais encore les reformuler. La compréhension doit être à la fois globale et fine afin de ne pas trahir l'auteur en modifiant sa pensée ou en l'amputant.

En premier lieu, vous aurez à tenir compte de la nature du texte et du contexte dans lequel il s'inscrit.

Tout texte a un auteur et un objectif : informer, convaincre, polémiquer, etc. Abordez-le en ne perdant pas de vue que cet objectif détermine en partie le style, l'argumentation, etc. Recherchez les références du texte, soit dans la source s'il en existe une, soit dans des détails externes : s'agit-il d'un article de journal (lequel ?), d'une revue, d'un document officiel... ? quelle est la date de parution, et si elle n'est pas indiquée, peut-on la déduire de certains éléments du texte ? quels sont les événements concomitants à cette date ? Examinez ensuite les marques textuelles : typographie, mise en page, noms propres cités, etc. Tous ces éléments vous permettront de mieux appréhender le texte à résumer.

Après un survol rapide sans prise de notes, une sorte de premier contact, vous entreprendrez une lecture plus attentive. Prenez soin de numéroter les paragraphes, cela vous servira ultérieurement. Première étape : la lecture globale.

Il existe bien des façons de lire, depuis la lecture scrupuleuse qui s'arrête sur tous les points obscurs en cherchant à les élucider, jusqu'à la lecture flottante qui attend d'être « accrochée » par tel propos du texte. La lecture globale, quant à elle, s'interdit de revenir en arrière, de piétiner sur les passages complexes, de s'arrêter

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aux termes difficiles, de se laisser distraire par les détails. Bref, c'est une lecture qui s'efforce, dans une première approche d'un texte, d'en saisir la portée et le sens général.

Au cours de cette lecture, vous tenterez donc de saisir et de reformuler pour vous le thème central (ou sujet) du texte proposé. Ce thème figure souvent, mais pas nécessairement, dans le titre ou dans l'introduction. Pensez aussi que ce titre peut être un faux ami et ne porter que sur un aspect du texte. Il délimite le champ de réflexion. Il se développe ensuite en une problématique exprimée sous forme d'hypothèse, de question ou d'affirmation. Thème et problématique ne peuvent être confondus : le premier définit un champ, tandis que la seconde pose la ou les questions à l'intérieur de ce champ et tente d'y répondre. Exemples : - la construction européenne = un thème ; - cette construction doit réussir = une problématique ; - la décentralisation = un thème ; - il faut la poursuivre = une problématique.

L'ensemble thème et problématique s'organise dans le corps du texte selon un plan ou, pour employer une image dynamique plus parlante, selon un mouvement qui mènera la problématique à sa résolution de façon logique ou chronologique.

Il peut arriver que ce mouvement soit décelable grâce à la typographie : des titres et des sous-titres en caractères gras ou en italique permettent de suivre la progression du texte. Mais, le plus souvent, vous n'aurez pas ce type d'aide. Il vous faudra alors repérer d'une part les mots faisant lien entre les idées, entre les paragraphes, d'autre part les mots exprimant des relations : dans le cas d'un mouvement logique, les relations logiques de cause, conséquence, but, opposition (tels « en effet, donc, c'est pourquoi, parce que, en revanche » ...) et, dans le cas d'un mouvement chronologique, les mots exprimant le temps ou la succession des phases d'une action, tels « d'abord, ensuite, enfin » ...

Dans la pratique, ces distinctions entre logique et chronologie sont moins tranchées : un mouvement chronologique recouvre souvent une avancée logique.

C'est ainsi que, lors de la lecture globale, vous aurez découvert : - le thème, - la problématique,

et entrevu dans son ensemble le mouvement (l'organisation du texte). Vous les aurez très schématiquement notés par écrit au brouillon ou dans la marge. Deuxième étape : la lecture analytique

C'est une lecture détaillée qui se fait paragraphe après paragraphe, crayon en main :

- en soulignant ou en prenant en note les mots ou les groupes de mots clés ; le mot clé correspond à une idée essentielle. Nous vous conseillons de ne pas utiliser les surligneurs dont les marques ne peuvent être effacées en cas de mauvaise appréciation de l'intérêt de l'information ;

- en encadrant les mots de liaison ;

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- en formulant brièvement au brouillon ou dans la marge ce qu'il vous paraît intéressant de retenir dans un paragraphe ou un groupe de paragraphes. Il peut être très utile, à ce stade, de commencer à opérer des regroupements de paragraphes.

Le mouvement du texte entrevu dès la première lecture sera précisé. Il ne s'agit pas seulement de repérer un plan, une structure statique, mais d'accompagner une démarche de pensée et d'écriture : l'auteur du texte est parti d'un point A (début du texte) pour arriver à un point Z (fin du texte) ; il ne faut pas suivre tous les méandres de son parcours, mais le simplifier, c'est-à-dire tracer une ligne droite allant de A à Z.

Vous chercherez donc à éviter les redites et répétitions, en décelant la permanence derrière la variabilité des formes. Vous signalerez ces répétitions en reliant les paragraphes concernés par des traits ou des signes distinctifs, Vous ne retiendrez les exemples et les digressions (phrases ou groupes de phrases s'éloignant du thème central) que lorsqu'ils présentent un intérêt spécifique. Si les répétitions ou les exemples sont particulièrement nombreux, il faudra vous demander pourquoi. Ces répétitions ont le plus souvent un objectif (chercher à convaincre), un sens, à vous de le saisir.

A ce stade de l'épreuve, vous devez avoir bien en tête la nature du texte et les éléments de référence du contexte, le thème et la problématique, le mouvement du texte, les idées essentielles.

De même, vous aurez recensé, reconnu et traité les difficultés (répétitions, etc.). Pour bien rédiger le résumé

Vous en êtes à la moitié du temps imparti et vous allez vous mettre à rédiger. Il est très probable que votre première rédaction demandera à être revue, réajustée, recalibrée et peaufinée.

La première rédaction : rappelons les deux principaux écueils à éviter : - l'erreur la plus fréquente est d'essayer de résumer le texte paragraphe par

paragraphe, ce qui conduit à une succession de mini paragraphes qui ne donne pas au correcteur une bonne vue d'ensemble du texte ; procédez dès le début à des regroupements en fonction des idées essentielles ;

- en aucun cas les montages de citations extraites du texte ne constituent un résumé ; vous devez utiliser votre propre vocabulaire. Il ne faut toutefois pas exagérer ce principe. Si un mot ou une expression ne sont pas susceptibles d'être correctement rendus par des synonymes, il faut les conserver. De la même façon, des mots ou expressions peuvent être repris tels quels lorsqu'ils se révèlent particulièrement significatifs. Ce qui est sanctionné, c'est l'utilisation de phrases tirées du texte et reproduites telles quelles, sans raison légitime.

Avant de commencer la rédaction, réfléchissez à la façon dont vous allez organiser votre résumé. Pour cela, vous allez vous inspirer des éléments que vous avez notés au brouillon au cours des lectures globale et analytique. Evitez de vous référer systématiquement au texte afin de ne pas être tenté d'en recopier des passages. Selon que vous avez tendance à trop ou trop peu résumer (ce qui révèle soit un esprit de synthèse soit un esprit analytique), vous partirez de votre analyse détaillée ou de votre relevé synthétique des idées essentielles et de leur articulation. Vous suivrez le mouvement du texte, tel que vous l'avez dégagé : une ligne droite allant du point de départ au point d'arrivée. La progression sera mise en évidence, ainsi que les articulations entre les idées.

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N'oubliez pas que votre rédaction doit être continue. Ne numérotez pas vos paragraphes, mais rédigez des phrases de transition permettant l'enchaînement naturel des idées. Cette exigence est souvent rappelée dans les consignes données avec l'énoncé des sujets de concours : « Les candidats devront s'efforcer de mettre en évidence les idées les plus importantes du texte et leur enchaînement », précise par exemple le sujet du concours interne des IRA.

Faut-il garder l'ordre du texte ? Généralement oui, car vous exposez la pensée d'un auteur, vous suivez son raisonnement logique. Parfois cependant d'autres types d'organisation peuvent être acceptés, à condition qu'ils mettent en valeur les informations contenues dans le texte sans les déformer.

Veillez à accorder à chaque partie du raisonnement la place qui lui convient. Votre résumé doit être équilibré et ne pas développer trop longuement une idée au détriment d'une autre.

Evitez de rédiger votre résumé au crayon. Vos premiers essais qui auraient pu vous déplaire au premier jet peuvent s’avérer pertinents. Vous ne perdrez ainsi pas de temps à reprendre une formulation que vous aurez conservée en la rayant simplement au lieu de la gommer. Aérez votre brouillon pour les mêmes raisons.

La rédaction définitive. Il s'agit essentiellement d'un travail d'adaptation et de vérification.

Votre résumé doit compter le nombre de mots demandé. S'il est trop court, voyez comment l'enrichir ; en développant une idée principale, en réintroduisant une idée secondaire que vous aviez éliminée par exemple. S'il est trop long, voyez quelles expressions vous pouvez condenser ; ne dites pas en dix mots ce que vous pourriez exprimer en cinq. L'entraînement régulier à l'expression trouve ici son utilité...

Sur le fond, vérifiez que le mouvement du texte est bien apparent, que toutes les données essentielles sont présentes, que vous êtes resté fidèle au texte. Il est important d'éviter les dérives et les imprécisions. N'oubliez pas une phrase d'introduction et une de conclusion. Le texte à résumer vous donne certainement les éléments pour les construire.

Sur la forme, contrôlez votre style. Il ne doit être ni trop familier, ni prétentieux, mais clair, simple et précis. Faites des phrases courtes. Evitez les approximations, les verbes « passe-partout » (faire, être...) ; sachez utiliser des synonymes, etc.

N'oubliez pas le titre du résumé, à la fois dans la rédaction et dans le décompte des mots, ainsi que la mention de la source.

La relecture finale, une fois votre résumé recopié au propre, doit vous permettre d'éliminer les dernières fautes d'orthographe, de grammaire, de vérifier la ponctuation. Ecrivez très lisiblement et aérez votre copie.

Dix erreurs à éviter

Voici une liste de dix défauts à éviter... Nous ne les présentons pas dans un ordre parfaitement rigoureux mais plutôt de façon imagée : nous avons choisi les dix premières lettres de l'alphabet.

Analyse L'analyse constitue une phase essentielle de votre travail préparatoire. Mais vous

ne devez surtout pas reprendre dans votre résumé des formules d'analyse. Sont

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donc à proscrire des formules telles que : selon l'auteur, l'auteur dit que.... l'auteur affirme que...

Catalogue Vous ne devez pas reprendre les idées importantes du texte en les énumérant les

unes après les autres sans liaison logique. Interrogez-vous bien sur l'intérêt respectif des divers éléments analysés.

Commentaire Attention : le commentaire de texte est une autre épreuve. Tout élément de

commentaire personnel dans le résumé est rigoureusement sanctionné. Digression C'est un défaut fréquemment commis dans les résumés comme dans les

dissertations : on se laisse aller à développer trop longuement un point secondaire au lieu de se consacrer à l'essentiel du sujet.

C'est une faute grave contre la logique et l'esprit de l'épreuve. En outre, dans le résumé, cette pratique « consomme » et même « gaspille » beaucoup de mots au détriment d'éléments plus importants qui ne pourront pas être repris.

Enumération Trop d’étudiants croient trouver là une solution de facilité : ils se contentent de

reprendre les éléments du texte en les énumérant. Certes, cela permet de placer beaucoup d'éléments en économisant des mots.

Vous pouvez recourir partiellement à cette solution une ou deux fois au cours de votre résumé. Mais il ne faut pas en abuser...

Votre résumé doit conserver, malgré son style concis, un minimum de qualités littéraires. Il ne faut donc pas présenter de trop longues énumérations en utilisant des tirets.

Fantaisie L'imagination créatrice est une grande qualité, le style fleuri est souvent apprécié...

mais ce n'est pas le cas pour le résumé de texte qui est une épreuve particulièrement rigoureuse.

Il vous faut donc bannir toute fantaisie non seulement du fond de votre résumé, mais encore de la présentation de votre copie.

Grandiloquence Il peut arriver que le texte de base (qu'il soit administratif ou littéraire d'origine...)

en soit encore empreint. Mais cela ne doit pas transparaître dans votre résumé. Un style dépouillé s'impose pour deux motifs quant à l'esprit même de l'épreuve, il

vous faut reprendre de façon neutre et objective le fond du document de base ; quant à la tactique, il faut bien sûr économiser le maximum de mots.

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Hasard Les étudiants débutants, qui n'ont pas suffisamment réfléchi à l'esprit de l'épreuve,

se contentent trop souvent de reprendre au hasard des éléments épars du document de base.

Répétons-le encore : le résumé est une épreuve intellectuellement rigoureuse, qui ne doit rien laisser au hasard.

Incohérence C'est l'un des plus graves défauts, à la fois quant au fond et quant à la forme. Le fond de votre exposé doit être rigoureusement conçu, sa cohérence parfaite. La forme doit répondre aux mêmes exigences, qu'il s'agisse du style ou de la

construction (plan rigoureux, avec une articulation logique, éliminant toute contradiction et toute répétition).

Jargon Trop d’étudiants se laissent aller à glisser dans leur résumé des formules

appartenant au jargon administratif, technocratique ou journalistique à la mode. Nous vous rappelons donc, une dernière fois, le principe de rigueur. Celui-ci doit

s'appliquer à votre rédaction, bien sûr, mais aussi à votre réflexion par rapport au texte de base. Le principe de fidélité implique que vous en repreniez les éléments essentiels, mais il ne vous impose pas d'en reproduire les éventuels « tics » de langage.

Exemple rédigé d’une épreuve de concours de catégorie A.

Fernand BRAUDEL

Les civilisations sont des continuités. Dans un débat compliqué et qu'elle compliquera encore, mais auquel elle va

donner un sens, reste à introduire l'histoire, ses mesures, ses explications évidemment essentielles. En effet, il n'y a pas de civilisation actuelle qui soit vraiment compréhensible sans une connaissance d'itinéraires déjà parcourus, de

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valeurs anciennes, d'expériences vécues. Une civilisation est toujours un passé, un certain passé vivant.

L'histoire d'une civilisation, par suite, est la recherche, parmi des coordonnées anciennes, de celles qui restent valables aujourd'hui encore. Il ne s'agit pas de nous dire tout ce que l'on peut savoir à propos ou de la civilisation grecque, ou du Moyen Age chinois, mais tout ce qui, de cette vie de jadis, reste efficace aujourd'hui même, dans l'Europe occidentale ou la Chine de Mao Tse-Toung. Tout ce par quoi passé et présent se court-circuitent souvent à des siècles et des siècles de distance.

Mais commençons par le commencement. Toute civilisation, hier comme

aujourd'hui, se révèle en premier lieu par une série de manifestations faciles à saisir : une pièce de théâtre, une exposition de peinture, le succès d'un livre, une philosophie, une mode vestimentaire, une découverte scientifique, une mise au point technique.... tous événements en apparence indépendants les uns des autres (il n'y a aucun lien, à première vue, entre la philosophie de Merleau-Ponty et une toute dernière toile de Picasso).

Ces faits de civilisation, notons-le, ont toujours une existence assez brève. Comment nous conduiront-ils vers ces coordonnées à découvrir, à la fois anciennes et actuelles, alors qu'ils semblent se remplacer et se détruire à l'occasion les uns les autres plutôt qu'ils ne se continuent ?

Cette variabilité se traduit dans la succession même des époques littéraires, ou artistiques, ou philosophiques. Autant d'épisodes fermés sur eux-mêmes. Il est loisible de dire, en empruntant le langage des économistes, qu'il y a des conjonctures culturelles comme il y a des conjonctures économiques, c'est-à-dire des fluctuations, plus ou moins longues ou précipitées, et qui le plus souvent se succèdent en se contredisant violemment. D'une époque à l'autre tout change, ou paraît changer, comme au théâtre, un projecteur, sans modifier décors ou visages, les colore différemment et les précipite dans un autre univers.

De ces “ époques ”, la Renaissance est le plus bel exemple. Elle a ses thèmes, ses couleurs, ses préférences, ses tics même. Elle est sous le signe de la passion intellectuelle, de l'amour du beau, des discussions libres et tolérantes où les jeux de l'esprit sont une forme supplémentaire de la joie de vivre. Sous le signe aussi d'une découverte, ou d'une redécouverte des œuvres de l'Antiquité, à laquelle toute l'Europe cultivée participe passionnément.

De même, il y a une conjoncture romantique (en gros de 1800 à 1850 bien qu'il y ait eu naturellement un pré-romantisme et un romantisme attardé) ; elle marquera les sensibilités et les intelligences, au long d'une époque troublée, difficile, au lendemain sans joie de la Révolution et de l'Empire, durant une période de reflux économique de l'Europe entière (entre 1817 et 1852). Nous ne dirons certes pas que ce reflux, à lui seul, explique, ou à plus forte raison crée l'inquiétude romantique ; rien ne dit qu'il n'y ait pas aussi des cycles particuliers de la sensibilité, des arts de vivre et de penser, indépendants ou semi-indépendants de tout contexte... Chaque génération, en tout cas, a le goût de nier celle qui l'a précédée, celle qui la suit le lui rendra avec usure. Il y aurait ainsi oscillation sans fin entre romantisme (ou baroque disait Eugenio d'Ors) et classicisme, entre intelligence sèche et cœur inquiet, avec de spectaculaires renversements.

L'image qui s'impose est donc celle d'un constant va-et-vient. Une civilisation, comme une économie, a ses rythmes. Elle se présente comme une histoire à éclipses qu'on n'hésitera pas à découper en morceaux successifs, en tranches quasi étrangères l'une à l'autre. Ne dit-on pas le Siècle de Louis XIV, le Siècle des

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Lumières ? Et même : la “ civilisation classique ”, la “ civilisation du XVIIIème siècle ” ? Ce sont là “ civilisations d'époque ”, “ diaboliques inventions ”, soutient un économiste philosophe, Joseph Chappey. Cette façon de parler lui semble contredire, en fait, l'idée même de civilisation, laquelle, nous le verrons, suppose une continuité. Mais, pour l'instant, laissons cette contradiction. D'ailleurs unité et diversité ne cessent de s'affronter, de vivre ensemble. Et nous devons en prendre notre parti.

Chaque épisode, vu de près, se décompose en une série d'actes, de gestes, de rôles. Les civilisations, après tout, ce sont des hommes, et donc, sans fin, les démarches, les actions, les enthousiasmes, les “ engagements ” de ces hommes, leurs virevoltes aussi. Cependant, dans cette série d'actes, œuvres, de biographies, un choix s'impose : se détachent d'eux-mêmes les événements ou les hommes qui signalent un “ tournant ”, une phase nouvelle. Plus l'annonce est importante, plus le signal s'impose.

C'est un très grand événement (c'est-à-dire gros de conséquences) que la découverte de la gravitation universelle par Newton, en 1687. C'est un événement marquant que la représentation du Cid (1636) ou celle d'Hernani (1830).

De même les hommes émergent dans la mesure où leur œuvre annonce une saison de l'histoire, ou résume un épisode. C'est aussi bien le Joachim du Bellay (1522-1566) de la Défense et Illustration de la langue française que Leibnitz (1646-1716), le père du calcul infinitésimal, ou Denis Papin (1647-1714), l'inventeur de la machine à vapeur.

Mais les noms qui vraiment dominent l'histoire des civilisations sont ceux qui franchissent une série de conjonctures comme un navire peut traverser plusieurs tempêtes. A la jointure de vastes périodes se dressent souvent des esprits privilégiés, en qui plusieurs générations s'incarnent d'un seul coup : Dante (1265-1321) à la fin du Moyen Age “ latin ” ; Goethe (1749-1832) à la fin de la première modernité de l'Europe ; ajoutons Newton, au seuil de la physique classique, ou encore, mais agrandi aux dimensions monstrueuses de la science nouvelle d'aujourd'hui, le prestigieux Albert Einstein (1879-1955).

Les fondateurs de grands systèmes de pensée appartiennent à cette classe exceptionnelle : Socrate ou Platon, Confucius, Descartes ou Karl Marx dominent plusieurs siècles à la fois. Ils sont des fondateurs de civilisation, à peine moins importants que ces astres de première grandeur, les fondateurs de religion : Bouddha, le Christ, Mahomet, tous dans une lumière encore vivante, est-il besoin de le dire ?

Bref, la mesure d'après laquelle se jugent et se classent, par ordre d'importance, la masse confuse des événements et la masse non moins confuse des hommes, est bien le temps qu'ils mettent à s'effacer de la scène du monde. Ceux à qui appartient la durée et qui se confondent avec une réalité longuement vécue comptent seuls dans la grande histoire de la civilisation. Ainsi se retrouvent, au-delà d'une histoire familière, comme en transparence, les coordonnées secrètes du temps long vers lequel il faut maintenant nous diriger.

Ce langage des époques n'a livré que des images changeantes : sur la scène des civilisations elles apparaissent, puis disparaissent. Si nous essayons de saisir ce qui, pendant que se déroule le spectacle, ne varie guère au fond de la scène, alors émergent d'autres réalités, plus simples, d'un intérêt nouveau. Les unes durent le temps de deux ou trois spectacles, d'autres traversent quelques siècles, d'autres, enfin, durent si longtemps qu'on les croirait immuables. A tort bien entendu, car elles bougent, elles aussi, mais lentement, imperceptiblement.

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L'historien lui-même ne les voit pas apparaître aussitôt dans son récit chronologique habituel, trop précipité. Aussi bien, on ne peut ni comprendre ni surtout suivre ces réalités dans leur très lente évolution qu'en parcourant, qu'en gaspillant de vastes espaces de temps. Les mouvements de surface dont nous parlions tout à l'heure, les événements et les hommes eux-mêmes s'effacent alors devant nos yeux tandis que se dégagent de grandes permanences ou semi-permanences, à la fois conscientes et inconscientes. Ce sont là les “ fondements ”, ou mieux les “ structures ” des civilisations : les sentiments religieux par exemple, ou les immobilités paysannes, ou les attitudes devant la mort, devant le travail, le plaisir, la vie familiale...

Ces réalités, ces structures sont en général anciennes, de longue durée, et toujours des traits distinctifs et originaux. Elles donnent aux civilisations leur visage particulier, leur être. Et celles-ci ne les échangent guère, chacune les considérant comme des valeurs irremplaçables. Bien entendu, ces permanences, ces choix hérités ou ces refus vis-à-vis des autres civilisations, sont généralement inconscients pour la grande masse des hommes. Et il importe, pour les dégager clairement, de s'éloigner, mentalement au moins, de la civilisation où l'on est soi-même plongé.

Soit, exemple simple et qui touche à des structures profondes, le rôle de la femme, au XXème siècle, dans une société donnée, disons la nôtre, la société européenne. Ses particularités ne nous apparaîtront guère (tant nous les trouvons “ naturelles ”) que grâce à des comparaisons, avec le rôle de la femme musulmane, ou, pour aller à l'autre bout de la chaîne, celui de l'Américaine des Etats-Unis. Si nous voulions comprendre le pourquoi de cette situation sociale, nous devrions remonter loin dans le passé, au moins jusqu'au XIIème siècle, à l'âge de “ l'amour courtois ”, pour ébaucher ce qu'a été la conception de l'amour et du couple en Occident. Ensuite recourir à une série d'explications : au christianisme ; à l'accès des femmes dans les écoles et les universités ; à l'idée que se fait l'Européen de l'éducation des enfants ; aux conditions économiques : niveaux de vie, travail de la femme au foyer ou hors de la maison, etc.

Le rôle de la femme s'affirme toujours une structure de civilisation, un test, parce qu'il est, dans chaque civilisation, réalité de longue durée, résistante aux chocs extérieurs, difficilement modifiable du jour au lendemain.

Tous les jours, une civilisation emprunte à ses voisines, quitte à “ réinterpréter ”, à assimiler ce qu'elle vient de leur prendre. A première vue, chaque civilisation ressemble à une gare de marchandises, qui ne cesserait de recevoir, d'expédier des bagages hétéroclites.

Cependant, sollicitée, une civilisation peut rejeter avec entêtement tel ou tel apport extérieur. Marcel Mauss l'aura signalé : pas de civilisation digne de ce nom qui n'ait ses répugnances, ses refus. Chaque fois, le refus arrive en conclusion d'une longue suite d'hésitations et d'expériences. Médité, décidé avec lenteur, il revêt toujours une importance extrême.

Le cas classique, n'est-ce pas la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453 ? Un historien turc d'aujourd'hui a soutenu que la ville s'était donnée, qu'elle avait été conquise du dedans avant l'assaut turc. Excessive, la thèse n'est pas inexacte. En fait, l'Eglise orthodoxe (mais nous pourrions dire la civilisation byzantine) a préféré à l'union avec les Latins, qui seule pouvait la sauver, la soumission aux Turcs. Ne parlons pas d'une “ décision ”, prise vite sur le terrain, face à l'événement. Il s'est agi de l'aboutissement naturel d'un long processus, aussi long que la décadence même de Byzance et qui, de jour en jour, a accentué la répugnance des Grecs à se rapprocher des Latins dont les séparaient des divergences théologiques.

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L'union était possible. L'empereur Michel Paléologue l'avait acceptée au concile de Lyon, en 1274. L'empereur Jean V, en 1369, avait fait à Rome profession de foi catholique. En 1439, le concile mixte de Florence montrait, à nouveau, la possibilité de l'union. Les plus éminents théologiens grecs, Jean Beccos, Démétrios Lydonès, Bessarion avaient écrit en faveur de l'union avec un talent auquel leurs adversaires n'opposèrent rien d'égal. Cependant, entre le Turc et le Latin, les Grecs préféreront le Turc. “ L'Eglise byzantine par jalousie d'indépendance appela l'ennemi ; lui livra l'Empire et la Chrétienté ”, parce que, comme l'écrivait déjà en 1385 le patriarche (de Constantinople) au pape Urbain VI, il laissait à l'Eglise grecque “ pleine liberté d'action ”, et c'est le mot décisif. Fernand Grenard à qui nous empruntons ces explications, ajoute : “ L'asservissement de Constantinople par Mahomet II fut le triomphe du patriarche anti-unioniste ”. L'Occident connaissait d'ailleurs fort bien cette antipathie de l'Orient à son endroit. “ Ces schismatiques, écrivait Pétrarque, nous ont craints et haïs de toutes leurs entrailles. ”

Autre refus lent à se formuler (en France où l'hésitation sera la plus grande, il y faudra presque un siècle) celui qui ferme à la Réforme l'Italie et la péninsule Ibérique, puis la France, champ de bataille longtemps indécis entre les deux manières de croire dans le Christ.

Refus encore, et pas seulement politique, s'il n'est pas unanime, celui qui écarte un Occident évolué et une Amérique anglo-saxonne (y compris le Canada) du marxisme et des solutions totalitaires des Républiques socialistes : le non est catégorique de la part des pays germaniques et anglo-saxons ; mitigé et beaucoup plus nuancé de la part de la France et de l'Italie, et même des pays ibériques. Il s'agit là, probablement, d'un refus de civilisation à civilisation.

Nous dirions, dans cette même ligne de réflexion, qu'une Europe occidentale, adoptant le communisme, l'organiserait probablement à sa manière, l'aménagerait comme elle aménage actuellement le capitalisme, dans une voie assurément différente de celle des Etats-Unis.

Dans la masse de biens ou d'attitudes que son passé et ses développements poussent vers elle et lui proposent, elle trie peu à peu, écarte ou favorise, et par ses choix recompose un visage jamais entièrement nouveau, jamais le même.

Ces refus internes peuvent être francs, mitigés, durables ou passagers. Seuls les refus durables sont essentiels en ces domaines qu'éclairent progressivement des études d'histoire psychologique, étendues aux dimensions ou d'un pays ou d'une civilisation. Ainsi, d'Alberto Tenenti, deux travaux pionniers sur la vie et la mort aux XVème et XVIème siècles ; de R. Mauzi, une mise en cause de L’Idée de bonheur en France au XVIIIème siècle : de Michel Foucault, un livre passionné et passionnant, sur L’Histoire de la folie à l'âge classique (1961).

Dans ces trois cas, il s'agit du travail de soi sur soi d'une civilisation aux prises avec elle-même, travail qui ne se signale que rarement en pleine lumière. Tout tourne à un tel ralenti que les contemporains n'y prennent jamais garde. Chaque fois, les éliminations - et les ajouts complémentaires qui parfois en découlent - s'opèrent à longueur de siècles, avec des interdits, des barricades, des cicatrisations difficiles, imparfaites souvent, fort longues toujours.

C'est ce que Michel Foucault appelle, dans son langage particulier, se “ partager ”, c'est-à-dire pour une civilisation, rejeter au-delà de ses frontières et du droit fil de sa vie telle ou telle valeur reniée. “ On pourrait, écrit-il, faire une histoire des limites, de ces gestes obscurs, nécessairement oubliés dès qu'accomplis, par lesquels une civilisation rejette quelque chose qui sera pour elle l'Extérieur ; et tout au long de son histoire, ce vide creusé, cet espace blanc par lequel elle s'isole, la désigne tout

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autant que ses valeurs. Car ses valeurs, elle les reçoit et les maintient dans la continuité de l'histoire ; mais en cette région dont nous voulons parler, elle exerce ses choix essentiels, elle fait le partage (c'est nous qui soulignons) qui lui donne le visage de sa positivité ; là se trouve l'épaisseur originaire où elle se forme. ”

Ce beau texte mérite d'être lu, relu. Une civilisation atteint sa vérité personnelle en rejetant ce qui la gêne dans l'obscurité de terres limitrophes et déjà étrangères. Son histoire, c'est la décantation, à longueur de siècles, d'une personnalité collective, prise, comme toute personnalité individuelle, entre un destin conscient et clair et un destin obscur et inconscient, lequel sert de base et de motivation essentielle à l'autre, mais sans toujours s'en faire connaître. On voit que ces études de psychologie rétrospective ont été marquées au passage par les découvertes de la psychanalyse.

Le livre de Michel Foucault étudie un cas particulier : la séparation entre raison et folie, entre fous et sensés, que n'avait pas connue le Moyen Age européen pour qui le fol, comme tout misérable, était plus ou moins mystérieusement l'envoyé de Dieu. Les déments seront enfermés, durement, brutalement d'abord, par un XVIIème siècle épris d'ordre social pour qui ils sont seulement des épaves à rejeter du monde, comme on en rejette les délinquants et les paresseux invétérés ; puis avec douceur, avec un certain amour par le XIXème siècle qui les reconnaîtra comme des malades. D'une attitude à l'autre, le problème central n'a cependant pas changé : à partir de l'âge classique et jusqu'à nos jours, l'Occident s'est “ partagé ” de la folie, il a proscrit son langage et refusé sa présence. Ainsi le triomphe de la raison s'accompagne en profondeur d'une tempête longue et silencieuse, d'une démarche quasi inconsciente, quasi ignorée, et qui est pourtant d'une certaine manière la sœur de cette victoire qu'a été, en pleine lumière, la conquête du rationalisme et de la science classique.

On pourrait, bien entendu, donner d'autres exemples de ces partages ou semi-partages. Le livre d'Alberto Tenenti suit patiemment le processus par lequel l'Occident s'est “ séparé ” de la mort chrétienne telle que l'avait conçue le Moyen Age, simple passage de la créature, exilée sur la terre, à la vie véritable de l'au-delà. Au XVème siècle, la mort devient “ humaine ”, épreuve suprême de l'homme, dans l'horreur de la décomposition du corps. Mais dans cette conception nouvelle de la mort, l'homme trouve la conception nouvelle d'une vie qui, à ses yeux, retrouve son prix, sa valeur humaine. Une certaine hantise de la mort disparaît avec le siècle suivant - le XVIème - qui, au moins à ses débuts, est celui de la joie de vivre.

Des réussites comme la romanisation de la Gaule et d'une large partie de l'Occident européen conquis ne s'expliquent que par la longueur de l'épreuve et aussi, quoi qu'on en ait dit, par le bas niveau, au départ, des peuples romanisés, par l'admiration qu'ils ont eue pour le vainqueur, par une certaine connivence en somme. Mais ces réussites ont été rares ; exceptions, elles confirment la règle.

Les échecs ont été, lors de ces contacts violents, plus fréquents que les succès. Le “ colonialisme ” a pu triompher hier, son fiasco aujourd'hui ne fait plus aucun doute. Or le colonialisme, c'est par excellence la submersion d'une civilisation par une autre. Les vaincus cèdent toujours au plus fort, mais leur soumission reste provisoire, dès qu'il y a conflit de civilisations.

Ces longues périodes de coexistence forcée ne vont pas sans concessions ou sans ententes, sans emprunts culturels importants, parfois fructueux. Jamais, cependant, au-delà de certaines limites.

Le plus bel exemple d'interpénétration culturelle, sous le signe de la violence, est fourni par le beau livre de Roger Bastide sur Les Religions africaines au Brésil (1960). C'est l'histoire tragique des esclaves noirs arrachés des diverses Afrique, puis jetés dans la société patriarcale et chrétienne du Brésil colonial. Ils réagiront

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contre celle-ci tout en adoptant le christianisme. Beaucoup de nègres “ marrons ” formeront des républiques indépendantes, des quilombos : celui de Palmeiras, en arrière de Bahia, ne succombera que devant une guerre en règle. Que ces Noirs, dépouillés de tout, aient reconstitué les anciennes pratiques religieuses de l'Afrique et les danses de possession, qu'ils aient en outre amalgamé, dans leurs candomblés ou macumbas, pratiques africaines et pratiques chrétiennes et que ce “ syncrétisme ” soit aujourd'hui culturellement vivant, conquérant même, n'est-ce pas un exemple étonnant ? Le vaincu a cédé, il s'est en même temps préservé.

Ces voyages à travers les résistances, les acquiescements, les permanences, les lentes déformations des civilisations permettent de formuler une dernière définition, celle qui restitue aux civilisations leur visage particulier, unique : elles sont des continuités, d'interminables continuités historiques.

La civilisation est ainsi la plus longue des longues histoires. Mais l'historien n'accède pas d'entrée de jeu à cette vérité : elle ne se dégage qu'au terme d'observations successives. Ainsi, dans une ascension, la vue s'élargit-elle progressivement.

Chaque fois, le paysage variera avec la mesure utilisée. Les contradictions entre ces réalités observées, entre ces temps de longueur différente, nourrissent la dialectique propre à l'histoire.

Pour simplifier l'explication, disons que l'historien travaille sur trois plans au moins. Un plan A, celui de l'histoire traditionnelle, de l'habituel récit qui se hâte d'un

événement à l'événement suivant, comme le chroniqueur d'hier ou le reporter d'aujourd'hui. Mille images sont ainsi saisies sur le vif et composent aussitôt une histoire multicolore, aussi riche de péripéties qu'un roman toujours à suivre. Cependant, effacée aussitôt que lue, cette histoire nous laisse trop souvent sur notre faim, incapables de juger ou de comprendre.

Un plan B reflète les épisodes, pris chacun en bloc : le romantisme, la Révolution française, la Révolution industrielle, la Seconde Guerre mondiale. L'unité de mesure, cette fois, est la dizaine, la vingtaine, voire la cinquantaine d'années. Et c'est en raison de ces ensembles - qu'on les dénomme périodes, phases, épisodes ou conjonctures - que les faits sont rapprochés, interprétés, et avancées des explications. Ce sont là, si l'on veut, des événements longs, débarrassés déjà de leurs détails superflus.

Un plan C enfin dépasse encore ces événements longs et ne retient que les mouvements séculaires, ou pluri-séculaires. Il met en cause une histoire où chaque mouvement est lent et enjambe de grands espaces de temps, une histoire que l'on ne peut traverser qu'avec des bottes de sept lieues. La Révolution française n'y est plus qu'un moment, assurément essentiel, de la longue histoire du destin révolutionnaire libéral et violent de l'Occident. Voltaire une simple étape de l'évolution de la libre pensée...

A ce dernier stade - les sociologues qui ont aussi leurs images diraient à cet ultime “ palier en profondeur ” - les civilisations apparaissent, hors des accidents, des péripéties qui ont coloré et marqué leur destin, dans leur longévité, ou si vous préférez dans leurs permanences, leurs structures, leurs schémas quasi abstraits et cependant essentiels.

On n'atteint donc une civilisation que dans le temps long, la longue durée, en

saisissant un fil qu'on ne finit plus de dérouler ; en fait, ce qu'au cours d'une histoire

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tumultueuse, souvent orageuse, un groupe d'hommes aura conservé et transmis, de génération en génération, comme son bien le plus précieux.

Dans ces conditions, n'acceptons pas trop vite que l'histoire des civilisations soit “ toute l'histoire ”, comme disait le grand historien espagnol Rafaël Altamira (1951) et, bien avant lui, François Guizot (1855). C'est toute l'histoire, sans doute, mais vue dans une certaine perspective, saisie dans ce maximum d'espace chronologique possible, compatible avec une certaine cohésion historique et humaine. Non pas, pour reprendre l'image si connue de Fontenelle, l'histoire des roses, si belles soient-elles, mais celle du jardinier que les roses croient immortel. Pour les sociétés, les économies et les mille incidents à la vie brève de l'histoire, les civilisations, elles aussi, semblent immortelles.

Cette histoire au long souffle, cette télé-histoire, cette navigation hauturière conduite à travers la pleine mer du temps, et non plus comme le sage cabotage au long des côtes jamais perdues de vue - cette démarche historique, quel que soit le nom ou l'image dont on l'affuble, a ses avantages et ses inconvénients. Ses avantages : elle oblige à penser, à expliquer en termes inhabituels et à se servir de l'explication historique pour comprendre son propre temps. Ses inconvénients, voire ses dangers : elle peut tomber dans les généralisations faciles d'une philosophie de l'histoire, en somme d'une histoire plus imaginée que reconnue ou prouvée.

Les historiens ont sûrement raison de se méfier de voyageurs trop enthousiastes, comme Spengler ou Toynbee.

Toute histoire poussée jusqu'à l'explication générale exige des retours constants à la réalité concrète, aux chiffres, aux cartes, aux chronologies précises, bref aux vérifications.

Fernand Braudel. Grammaire des civilisations, Flammarion, 1993.

Résumez ce texte en 350 à 400 mots en respectant strictement ces limites.

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PROPOSITION DE CORRECTION.

Une civilisation s'explique par un passé dans lequel on choisit des survivances

significatives. Par exemple, des faits artistiques, scientifiques ou philosophiques, bien que fugitifs, constituent des « conjonctures » d'époque - comme celles de la Renaissance ou du Romantisme - qui délimitent les périodes historiques. A l'intérieur de ces périodes, des noms ou des actes fixent les ruptures épistémologiques et, pour les plus importants, assurent, en s'inscrivant dans la durée, la continuité de la tradition.

Les vraies marques d'une civilisation appartiennent donc au temps long et se perçoivent difficilement car elles semblent immobiles, permanentes, éternelles. Seuls le recul, la confrontation dans le temps et dans l'espace permettent d'identifier ces structures profondes.

De plus, les civilisations se façonnent au gré des influences, des emprunts et des refus. Ainsi, c'est un rejet du modèle latin qui semble expliquer le choix, quasi délibéré, de Constantinople de se livrer aux Turcs, alors que l'union avec les chrétiens paraissait possible, voire souhaitable. D'autres résistances de ce type - les freins à l'expansion protestante en Europe du Sud ou à l'idéologie marxiste en Amérique du nord - illustrent ces fluctuations de tendance.

Le refus peut également être interne et, quand il est durable, orienter secrètement le destin d'une civilisation. Celle-ci, comme l'écrit Foucault, conquiert sa vérité au moyen de l'abandon de ce qui lui répugne ; l'exemple de la folie, étudiée par le philosophe, est révélateur de cette aptitude à se séparer d'une réalité indésirable. Même attitude face à la mort que l'Occident du XVIème siècle, contrairement au moyen âge, choisit de refuser. Pensons encore à l'expérience de la colonisation qui, parce que violente, s'est toujours soldée par un rejet, même si les traces d'une acculturation du colonisé sont inévitables.

Une civilisation peut ainsi se définir comme une continuité historique. Aussi se livre-t-elle lentement et sa connaissance dépend-elle du regard de l'historien. Entre la pulvérulence fragile de l'histoire événementielle, l'ampleur relative des grandes périodes historiques ou l'enjambement pluriséculaire des faits de civilisation, l'historien a le choix. Seule la dernière méthode, liée au temps long, peut espérer rendre la réalité d'une civilisation. Mais cette pratique, qu'on ne confondra pas, comme on l'a fait, avec « toute l'histoire », a ses qualités et ses limites. A chacun de l'utiliser avec discernement.

373 mots

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L’Avenir du Roman

Philippe SOLLERS

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Parler d'avenir n'a de sens qu'en fonction d'un passé et d'un présent définissables. Or rien de moins sûr que notre présent. Le passé, lui, est massivement mis en doute et comme en cours d'expropriation. L'avenir, dans ces conditions, apparaît de plus en plus comme un calcul purement technique se suffisant à lui-même et donnant lieu à des déclarations d'intention, des vœux pieux, ou à une liturgie morale de l'incantation.

Il aura donc suffi que l'empire soviétique s'effondre pour que, soudain, les repères du passé et de l'avenir changent de sens. Qui s'attendait à la révélation que, sous la chape de plomb stalinienne (bizarrement appelée “communiste”), grouillait une telle possibilité de devenir mafieux ? Et qui pouvait prévoir, parallèlement, le déferlement de l'intégrisme islamique ? Ces deux phénomènes de notre époque auraient paru irréels il y a seulement vingt ans. On nous dit : “ Victoire de la démocratie, avenir de la science et des droits de l'homme, fin de l'histoire, triomphe de la raison. ” Mais nous constatons tout autre chose : extension du fanatisme, montée sans précédent de la crédulité et des sectes, violence redoublée qui, comme par hasard, commence par s'exercer sur les écrivains ou les intellectuels, insistance d'une histoire noire qui s'alimente d'une accumulation de mensonges sur l'histoire, corruption et crises d'identités s'accompagnant d'un irrationalisme que l'affolement du spectacle favorise à chaque instant. Au point que la question décisive, aujourd'hui, pourrait bien être la suivante : le XX° siècle, qui s'achève sous nos yeux, a-t-il vraiment existé ? Et si oui, qui est capable d'en dire la vérité ? Tout à coup, nous apprenons, ou feignons d'apprendre qu'un président de la République française, socialiste réélu à cette fonction, a eu une biographie particulièrement étrange. Jeune homme lettré et sensible, il ne semble pas avoir été au courant, en 1942, de l'existence de la guerre d'Espagne ou de la bataille de la Manche. Le statut des juifs prononcé par Vichy paraît lui avoir

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échappé. Il devient résistant, mais continue, après la guerre, à trouver un charme troublant à un ancien préfet radical-socialiste rallié à la collaboration avec les nazis, devenu chef de la police de Vichy et responsable de la rafle du Vel'd'Hiv'. Tout à coup, donc, tout se trouble : le Panthéon est-il bien le Panthéon, Voltaire y a-t-il vraiment ses ossements en dépôt, la Neuvième symphonie de Beethoven a-t-elle résonné dans le vide ? Jean Moulin peut-il, au-delà de la grande voix chevrotante et emphatique d'André Malraux, dormir tranquille, après tant de tortures, si Maurice Papon et René Bousquet ont vécu tranquillement par la suite avec l'absolution de l'Etat ? Klaus Barbie et M° Vergès (le défenseur du terroriste Carlos), sont-ils des salauds palpables ou de mauvais rêves ? Malraux a-t-il écrit la condition humaine et Hemingway Pour qui sonne le glas ? Picasso a-t-il bien peint Guernica ? Et ainsi de suite. Allez-y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire. Si le passé est confus, le présent se brouille et l'avenir devient, de plus en plus, un continent que nous ne sommes pas sûr d'habiter. Ce n'est pas par hasard si, dans ses manifestations spontanées, la jeunesse se tatoue désormais sur le front l'expression no future. En anglais, pas en français. Un jeune Français n'aurait pas l'idée d'inscrire sur lui-même la phrase “ pas d'avenir ”. C'est pourtant ce qu'il devrait faire. Mais il faut croire que sa propre langue ne lui paraît pas susceptible de supporter la vérité qu'il éprouve. On l'appelle à la tolérance, au respect de l'autre, à l'antiracisme, à la lutte contre l'exclusion, au respect des lois de la République, à la laïcité rénovée, bref à devenir un adulte conscient et responsable animé d'une bonne pensée - mais comme il ne sait déjà presque plus lire, que son imaginaire n'est rempli que de sauts d'images, qu'il rencontre la drogue à chaque tournant, que le sexe lui est présenté comme une maladie mortelle dont il faut se préserver à tout prix, le tout dans un océan de chômage, de scandales et de sermons lénifiants, on ne voit pas très bien en quoi le présent lui paraîtrait autre chose qu'absurde. Il est très faux d'opposer le retour meurtrier du fanatisme religieux et la société du spectacle à direction publicitaire : un historien de l'avenir, s'il en existe encore, pourra montrer qu'à la fin du XX° siècle, les deux courants étaient parfaitement convergents. J'ai proposé de les définir par leur programme commun qui est d'abolir la lecture. “L'horrible danger de la lecture ”, disait Voltaire, dans un libelle célèbre. Pas de lecture, pas de possibilité de se situer par rapport au temps. Lecture veut dire ici capacité d'expérimenter personnellement le langage dans son épaisseur, sa relativité, sa mémoire, sa charge émotive, sa pensée, sa poésie, son roman. Soudain donc, on s'apercevrait avec stupeur que, dans un paysage informatique bourré d'ordinateurs et de câbles, les deux seuls livres qui font autorité dans un déluge de publications aussitôt évacuées sont le Coran et la Bible. Ce serait étrange, mais rigoureusement logique. (... )

Ancien Dieu et nouveau Dieu, quoiqu'en concurrence aiguë apparente, se retrouvent dans un même combat contre les mauvais esprits, les fortes têtes. Parmi eux, les écrivains : ils gênent les clergés depuis toujours, là encore éternel problème, vieille histoire. L'ancien Dieu, à l'avenir, pourra encore servir pour les supprimer dans les régions chaudes. Le nouveau Dieu, lui, dans les climats tempérés, pourra les noyer dans un océan d'imprimés bavards. Comme l'égalité est proclamée, tout le monde aujourd'hui peut être écrivain, c'est-à-dire que plus personne ne l'est. La détresse est abolie dans un monde de poètes (Staline, autrefois, aurait pu trouver cette formule). La pensée doit être bonne, puisque calculer a pris la place de penser. On calcule forcément pour le bien, personne n'est plus soucieux de morale

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que la mafia ; penser c'est déjà penser à mal, on ne saurait trop y prendre garde. Non seulement tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, mais on produira des vivants dignes de l'habiter.

J'aurais pu vous parler de romans déjà lointains, 1984 d'Orwell par exemple. Ou bien de plus récents comme Femmes, la Fête à Venise ou le Secret. Mais il me semble plus opportun de faire appel au Candide de Voltaire. Je ne commémore pas Voltaire, je le lis. L'avenir de ce livre, là, tout de suite, dépend de moi, Il suffit de l'appliquer à notre présent pour qu'il nous dise autre chose que le passé dans lequel on a voulu le fixer, qu'il nous prévienne d'un avenir que nous évitons de prévoir. La langue, en elle-même, parle. Au fond, il ne s'agit pas de Voltaire, de moi ou de vous, mais d'un événement qui a pris cette forme pour aller plus loin que lui, moi ou vous. L'avenir dépendra de nous, oui, si nous savons amener la parole à la parole en tant que parole. Ce n'est pas perdu. Ce n'est pas joué.

Philippe Sollers, la Guerre du goût, 1996, (Gallimard).

Résumez ce texte en 180 mots, à 10% près en plus ou en moins.

CORRECTION PROPOSÉE

(180 mots, plus ou moins 10%). L’avenir devient plus un résultat de sondage qu’une réflexion en regard d’un passé flou et d’un présent incertain, stupéfait par la chute du marxisme et la montée de l’intégrisme. L’éthique philanthropique qui semblait dominer fait place à l’intolérance religieuse, intellectuelle et politique, alliée à l’irréflexion, et cela même au plus haut niveau de l’Etat. Tous les mythes des lumières, de la résistance, ou des combats libertaires s’estompent, désincarnant un avenir où le français, langue symbole des droits de l’Homme, perd sa place chez une jeunesse qui ne le comprend plus, déboussolée par l’écart entre les messages qu’il a toujours véhiculés et la noirceur du monde actuel. Fanatisme religieux et société de consommation finissent par converger, poussant à l’abrutissement d’individus ne sachant ni lire, ni penser. C’est ainsi que l’écrivain devient la cible à abattre en tout lieu et que l’écriture perd son impact en se diluant. Plutôt qu’éviter de se projeter par lâcheté ou effroi, il faut pratiquer Voltaire ; c’est l’esprit critique qui nous tient en alerte et il est loin d’avoir gagné. (175 mots)

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LA NOTE DE SYNTHÈSE DE CULTURE GÉNÉRALE.

Méthodologie enregistrée en vidéo et en

audio sur la plateforme

1 ) INTRODUCTION . Dans ce type de travail, on donne un dossier composé de plusieurs documents

tournant autour du même sujet : extraits de presse, textes réglementaires, statuts, études de cas, enquêtes, ...

L'épreuve consiste à rédiger, à partir de ces textes, une note de quelques pages manuscrites, en réponse à un sujet précis, qui accompagne le dossier.

Les dossiers traitent le plus souvent de problèmes d'ordre économique, social, ou culturel.

La note de synthèse ne nécessite pas de connaissances spécialisées, le dossier fournissant les données permettant de traiter le sujet, mais un savoir-faire acquis par la pratique méthodique du travail est indispensable.

ATTENTES. Le dossier comprend donc plusieurs textes et documents, plus ou moins épais,

hétérogènes, parfois techniques. Le nombre de ceux- ci est variable, mais jamais inférieur à deux. L'épaisseur d'un dossier n'est pas un critère très pertinent, un texte long pouvant être aéré et d'accès facile ; d'autres, plus courts, mais denses et techniques, étant alors d'une analyse beaucoup plus difficile.

Les documents sont souvent d'un intérêt inégal : - rapport direct ou non avec le sujet ; - paraphrase, avec seulement quelques lignes intéressantes ; - document global et très serré, difficile à synthétiser ;

Il faut dans tous les cas dégager les idées principales contenues dans les documents et les regrouper d'une manière logique et cohérente afin d'offrir un panorama complet et concis du sujet. Il ne faut faire ni une suite ou juxtaposition de résumés, ni une dissertation s'appuyant sur l'argumentation contenue dans tel ou tel document ou sur des informations extérieures au dossier.

QUALITÉS EXIGÉES. Esprit d'analyse. Il faut dégager les idées "utiles" au sujet dans le maquis des documents :

lecture rapide, adaptation au style, à la syntaxe, au vocabulaire et restitution simple et compréhensible de celles-ci, distinguant le fondamental de l'accessoire.

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Esprit de synthèse. C'est la concision qui prime, la partie synthèse du travail ne devant pas occulter

le commentaire ni manger le temps normalement dévolu à celui-ci. Mais il faut veiller aussi à un excès de concision qui risquerait de rendre trop schématique ou caricatural l'ensemble qui vous est proposé.

Esprit logique. La synthèse doit être cohérente et structurée ; la confection du plan est sans

doute le moment clé de cette première partie. L'élaboration du plan permet de sélectionner les idées principales et secondaires, de les articuler les unes aux autres.

Qualités de style, d'écriture et de présentation. La rédaction doit être précise et simple. Il faut éviter les répétitions, les

approximations, la première personne du singulier. La présentation doit être aérée, en n'hésitant pas à espacer les différentes articulations de la synthèse, et à séparer celle-ci de la partie commentaire.

2 ) MÉTHODE DE TRAVAIL. Elle consiste en 3 grandes phases de procédures : - lecture et analyse du contenu ; - construction du plan ; - rédaction de la synthèse ; LECTURE ET ANALYSE DU CONTENU. L'intitulé du sujet. Cette première phase est très importante, car elle va motiver l'orientation de

l'analyse des documents en privilégiant des aspects aux dépens d'autres. Survol du dossier. Ce contact rapide permet d'effectuer un classement des textes selon leur nature

et leur importance (coupures de presse, textes réglementaires, notes de service, ...), et permet aussi de repérer la cohésion de l'ensemble, de renseigner sur les titres et sous- titres et les différents points.

Lecture approfondie. On peut utiliser une triple procédure : - souligner les mots-clefs de chaque texte ;

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- barrer les éléments inutiles ; - noter en marge ou, le cas échéant au brouillon (par manque de place

ou pour ne pas surcharger), les idées essentielles, dégageant par là une première forme de squelette.

Parallèlement, en utilisant deux surligneurs de couleur différente, on peut mettre en relief les idées principales des idées secondaires (l'illustration des premières).

Au terme de cette procédure initiale, on doit être à même de voir pour chaque document :

- le thème général ; - l'enchaînement des idées ; - l'argutie. Mais on peut aussi, texte par texte, ou document par document, travailler

sur une feuille de notes afin de préserver l'aspect initial et ne pas risquer de mettre en valeur par un surlignage malheureux une fausse direction d'analyse.

Cette méthode a le mérite de permettre une meilleure mémorisation des arguments et facilite aussi la rédaction dans les étapes suivantes.

Enfin, par sa simplicité, elle ne prend pas beaucoup plus de temps que l'utilisation d'un double surlignage parfois complexe.

La première formulation. Du fait de la limitation du temps dans toute forme d'épreuve, il est de nécessité

absolue d'écrire au fur et à mesure les idées qui arrivent afin de ne pas les perdre dans le déroulement de la réflexion : à la relecture pour l'étape suivante, ce travail aura été d'un grand secours.

CONSTRUCTION DU PLAN. Travail avant tout de récapitulation et de sélection des données, avant la mise

en ordre indispensable. L'expérience démontre que la meilleure option est le plan en deux parties :

- analyse des données du problème, puis recherche des solutions ; ou,

- bilan d'une action, puis perspectives. Il ne faut malgré tout pas négliger la possibilité d'un plan en trois parties,

notamment pour les sujets à perspectives sociales ou sociologiques ; c'est de toute façon le bon sens qui doit trancher entre les diverses options, et le dogmatisme n'a jamais été un bon conseiller.

Il ne faut pas non plus négliger le système qui intègre des sous-parties aux deux parties principales.

Ne pas oublier que les parties doivent être équilibrées, gage d'une construction logique, et facteur important de réussite. Il est bon de mettre un titre à chacune des parties principales, mais pas aux sous-parties, ce qui alors nuit à la clarté.

Le plan doit, de toute façon, être le plus détaillé et le plus étoffé possible, ce qui permet de privilégier la logique de la construction et surtout évite la rédaction du travail au brouillon, qui est une perte de temps considérable.

L'introduction du travail est un des points les plus importants : c'est là que l'on présente la direction générale du travail et, surtout, que l'on annonce le plan. Compte tenu de cela, la rédaction de celle-ci au brouillon est tout à fait envisageable, d'autant

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plus que c'est un paragraphe qui reste toujours court (pas plus d'une quinzaine de lignes en général), et qui, aux yeux du correcteur reste un des points fondamentaux de tout travail.

RÉDACTION DE LA SYNTHÈSE. Celle-ci se fait donc directement à partir du plan détaillé qui vient d'être

construit . Il faut éviter, comme pour un résumé de texte de reprendre des mots ou des passages, ou même des formules des documents proposés. Pour ne pas laisser une impression de juxtaposition hétéroclite, l'idéal est de soigner les transitions.

L'ennemi étant la perte de temps, il semble indispensable avant d'affronter cette épreuve de s'être entraîné auparavant.

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Exemple de note de synthèse de concours, avec sa correction.

Catégorie B

SUJET

La création du bracelet électronique

À l'aide des documents ci-joints, vous rédigerez une note de synthèse de 4-5 pages maximum sur la création du bracelet électronique :

DOCUMENT 1 : Le Monde, 31 mai 1996, 13 décembre 1997, 12 avril 2003. DOCUMENT 2 : Loi n° 97-1159 du 19 décembre 1997 consacrant le placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des peines privatives de liberté. DOCUMENT 3 : L'Union, 31 mai 1996. DOCUMENT 4 : Arrêté du 10 juin 2003 sur le système de reconnaissance biométrique de l'identité des détenus. DOCUMENT 5 : Les chiffres de l'Administration pénitentiaire, Rapport, Ministère de la Justice, 1997. DOCUMENT 6 : Le Monde, 4 juillet 2003. DOCUMENT 7 : Le Figaro, 30 mai 1996. DOCUMENT 8 : Libération, 13 décembre 1999. DOCUMENT 9 : S. GAUTHEREAU : « Bracelet électronique, modernité ou retour en arrière ? », I.P.J. 1996. DOCUMENT 10 : Le Point, 8 juin 1996. DOCUMENT 11 : Le Courrier de la Mayenne, 24 avril 2003. DOCUMENT 12 : Site Web « Prisons », juillet 2003. DOCUMENT 13 : Débats parlementaires, Sénat, Séance du 30 mars 2000 (extraits). DOCUMENT 14 : Loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. DOCUMENT 15 : Population carcérale en France : les chiffres au 1er janvier 2011.

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DOCUMENT 1

Les sénateurs introduisent le

« bracelet électronique » dans la réforme de la détention provisoire

Article paru dans l'édition du Monde, le 31.05.96

Jacques Toubon accepte d'expérimenter cette innovation

Le Sénat devait adopter, jeudi 30 mai, en fin de matinée, le projet de loi sur la détention provisoire, les groupes de la majorité ayant indiqué qu'ils se prononceraient en sa faveur. Tout en élargissant les dispositions initialement prévues dans ce texte, les sénateurs devaient, avec l'assentiment du garde des sceaux, ouvrir la voie au « placement sous surveillance électronique », technique de substitution à la détention. QUALIFIÉ par Georges Othily (Rassemblement démocratique), rapporteur de la commission des lois du Sénat, de « pierre d'attente dans la perspective d'une réforme globale de la procédure pénale », le projet de loi sur la détention provisoire n'a pas suscité un débat passionné, mercredi 29 mai, au Palais du Luxembourg. Hormis un incident de séance, qui a opportunément permis à Michel Dreyfus-Schmidt (PS, Territoire de Belfort) de crier au « scandale », l'examen des premiers articles du texte élaboré par la chancellerie en vue d'encadrer plus strictement les possibilités de placements en détention provisoire n'a pas donné beaucoup de grain à moudre à l'opposition. Tandis que Nicole Borvo (PC, Paris) soulignait que son groupe « ne peut refuser les principales propositions » contenues dans cette « mini-réforme », le groupe socialiste, dont plusieurs initiatives ont été reprises, a pour l'essentiel concentré ses attaques sur le thème de la collégialité. M. Dreyfus-Schmidt, soutenu par l'ancien garde des sceaux, Robert Badinter (PS, Hauts-de-Seine), a bataillé en vain pour instituer de nouveau ce principe dans le processus de décision conduisant à la détention provisoire. Huitième projet sur ce sujet depuis 1970, le texte présenté aux sénateurs par Jacques Toubon, ministre de la justice, vise à limiter la détention provisoire, domaine dans lequel la France fait figure de « lanterne rouge » en Europe. Tout en rappelant qu'il attend pour « la fin de cette année » les conclusions du rapport sur la procédure pénale, confié à un professeur de droit, Michèle Laure-Rassat, afin « d'apprécier l'opportunité d'une nouvelle réforme d'ampleur qui s'inscrirait alors dans une refonte de l'ensemble du code de procédure pénale », M. Toubon a souligné que ce projet de loi a « modestement pour ambition d'améliorer notre procédure ». L'objectif étant « d'éviter les mises en détention injustifiées et, d'autre part, d'empêcher que les détentions ne se prolongent de façon excessive », le texte du gouvernement corrige sur plusieurs points les dispositions en vigueur (Le Monde du 25 avril). Précisant la notion de trouble à l'ordre public, critère « fourre-tout » pouvant être invoqué en vue d'un placement en détention provisoire, le projet de loi limite la

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durée de la détention provisoire et renforce les pouvoirs du président de la chambre d'accusation en matière de référé-liberté. Cette procédure consistant à demander à ce magistrat de suspendre l'exécution du mandat de dépôt a été instituée, à l'initiative du Sénat, par la loi du 24 août 1993. RÉEXAMEN ULTÉRIEUR Principale innovation introduite lors de l'examen du texte au Palais du Luxembourg, le placement sous surveillance électronique (PSE) n'a certes pas pris le garde des sceaux au dépourvu. Lors de la présentation des grandes lignes de son projet de loi, M. Toubon avait annoncé qu'y figurerait la possibilité pour le juge d'instruction, après avoir recueilli le consentement de l'intéressé, de substituer à la détention provisoire le PSE, système en vigueur, notamment, en Amérique du Nord, et permettant de surveiller à distance une personne grâce à un émetteur (le « bracelet électronique » qu'elle porte sur elle). Retirée du projet de loi, cette innovation, détaillée dans un rapport de mission élaboré en 1995 par Guy Cabanel, président du groupe Rassemblement démocratique, a été réintroduite à l'unanimité par la commission des lois du Sénat. Tout en soulignant que « cette question soulève des problèmes considérables, tant d'un point de vue théorique que d'un point de vue pratique », et qu' « une telle réforme suppose, avant d'être généralisée, une expérimentation pendant plusieurs années », le garde des sceaux a promis de s'en remettre, sur ce point, à la « sagesse » des Assemblées. M. Toubon a toutefois précisé qu'il demanderait au Parlement « d'accepter le principe que ces dispositions soient réexaminées dans quelques années ». Seule à se prononcer nettement contre ce dispositif, Mm Borvo a affirmé qu'il s'agit d'une « mesure vexatoire, attentatoire aux libertés individuelles ». Avec l'accord du gouvernement, les sénateurs ont adopté plusieurs amendements de la commission des lois visant à élargir les dispositions du texte. L'un d'entre eux, voté en commission à l'initiative de M. Dreyfus-Schmidt, tend à exiger que l'ordonnance de placement en détention provisoire précise les raisons pour lesquelles le contrôle judiciaire serait insuffisant. Toujours à l'initiative du sénateur socialiste, la commission des lois, puis le Sénat, ont adopté un amendement corrigé par le gouvernement élargissant les droits à réparation du préjudice subi par une personne ayant été privée de liberté avant de faire l'objet d'un non-lieu ou d'un acquittement. Les sénateurs ont, également, ramené d'un an à huit mois la durée maximale du principe de la détention provisoire en matière criminelle, tout en limitant à une durée unique de quatre mois la prolongation de la détention provisoire en matière correctionnelle, lorsque la peine encourue est inférieure à dix ans d'emprisonnement. JEAN-BAPTISTE DE MONTVALON

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Le Parlement adopte définitivement la loi sur le « bracelet électronique »

Article paru dans l'édition du Monde, le 13.12.97 ATTACHÉ au poignet ou à la cheville, le « bracelet électronique » pourra éviter à certains détenus d'accomplir leur peine en prison. Ainsi en a décidé le Sénat, jeudi 11 décembre, en adoptant définitivement la proposition de loi sur le « placement sous surveillance électronique », en seconde lecture. Le RPR, l'UDF et le PS se sont prononcés pour le texte alors que le groupe communiste s'est abstenu. Proposée par Guy Cabanel (RSDE, Isère), président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, cette loi vise à désengorger les prisons françaises qui renferment plus de 58 000 détenus. Ce dispositif fait aussi appel à une « conception humaine de la justice s'inscrivant dans la tradition du Sénat », précise le groupe RSDE, rappelant les premiers textes qui ont contribué à modifier le système carcéral français au dix-neuvième siècle : la loi du 14 août 1885 sur la libération conditionnelle et celle du 26 mars 1891 sur le sursis. « Il s'agit d'une tentative moderne de réduire la surpopulation des prisons et limiter l'incarcération », déclarait, jeudi, à la tribune du Sénat, Robert Badinter (PS, Hauts-de-Seine), ajoutant que « le vrai problème est de s'assurer que la surveillance électronique ne mordra pas sur la liberté conditionnelle ». Comme l'a indiqué M. Cabanel, la mise en œuvre du bracelet électronique « dépend du ministère de la justice et pourrait être envisagée dans quelques mois nécessaires à l'installation du matériel adéquat ». La « télé-prison » a ses règles. Elle est d'abord limitée aux détenus condamnés à de courtes peines (moins d'un an) et à ceux purgeant de longues peines, un an avant leur sortie de prison. Les intéressés doivent donner leur consentement préalable. Le bracelet électronique est relié, par une ligne téléphonique, à l'ordinateur du centre de surveillance pénitentiaire. La liberté de mouvement du condamné doit s'exercer dans un rayon de moins de quarante-cinq mètres du poste de téléphone de son lieu d'assignation. Au-delà, l'appareil indique à l'administration l'absence du détenu. Cette « liberté relative » doit permettre à ce dernier de poursuivre certaines activités professionnelles ou de formation, selon un emploi du temps surveillé à distance par le centre de détention, grâce à un programme informatique. Michel Duffour (PCF, Hauts-de-Seine) s'est demandé si « en supprimant la différence entre l'en-dedans et l'en-dehors, on ne risque pas de propager le système carcéral à l'ensemble de la société ». EN VIGUEUR AUX ÉTATS-UNIS Non, il ne s'agit pas « d'une sorte de balise Argos ou de l'équivalent d'une caméra de surveillance », assure le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, ni d'une loi « d'inspiration laxiste ». « Il est temps pour la France » de faire cette « expérience », déjà en vigueur aux Etats-Unis, en Suède, en Angleterre et en Hollande. Le 25 mars, alors que l'Assemblée nationale avait adopté le texte, Daniel Picotin, alors député de la Gironde (UDF), affirmait que ce dispositif aurait aussi l'avantage de réduire de quatre à cinq fois le coût d'un séjour en prison, évalué par un autre député à cinq cents francs par jour (Le Monde du 27 mars 1997). De son côté, Julien

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Dray (PS, Essone), s'est inquiété que le placement sous surveillance électronique soit surtout destiné aux condamnés en « col blanc ». CLARISSE FABRE

La conséquence d'un choix de société

Article paru dans l'édition du Monde, le 12.04.03

Un criminologue appelle « à la réflexion » sur la pénalisation croissante ALORS que les Etats-Unis viennent de franchir le seuil des 2 millions de détenus et que les prisons françaises n'ont jamais été aussi pleines, un ouvrage vient rappeler que l'augmentation de la population carcérale n'est pas une fatalité, mais la conséquence d'un choix de société. L'industrie de la punition. Prison et politique pénale en Occident, du criminologue norvégien Nils Christie, est un livre pédagogique qui se veut un « appel à la réflexion » sur la pénalisation croissante des sociétés modernes. Pour Nils Christie, « le niveau et la nature de la punition sont un miroir des normes qui règnent dans une société ». Il est donc « crucial de se rendre compte que la taille de la population carcérale relève de choix ». Le nombre de condamnés et la nature de la peine qui leur est infligée peuvent infiniment varier d'un pays à l'autre, en fonction du contexte moral, politique et économique ; c'est ainsi que les Etats-Unis connaissent un taux de détention record dans le monde, de 709 détenus pour 100 000 habitants, alors que leurs voisins, le Canada et le Mexique, affichent respectivement des taux de 129 et de 110. Mais, depuis quelques années, les pays occidentaux connaissent une augmentation sans précédent de leur population carcérale, consécutive selon Nils Christie à la montée d'une « revendication populiste réclamant plus de loi et d'ordre ». L'explication de cet accroissement serait à rechercher dans la volonté des Etats modernes de mieux « contrôler les classes dangereuses » en se concentrant notamment sur la lutte contre la drogue. « Marché de la punition » « Dans toutes les sociétés industrialisées, la guerre contre la drogue s'est transformée en une guerre qui renforce concrètement le contrôle de l'Etat sur les classes potentiellement dangereuses, analyse l'universitaire, statistiques à l'appui. La forte pression qui s'exerce contre les prisons en Europe provient [de ce phénomène] en grande partie. Il en va de même aux Etats-Unis. » Le cas américain vaut ses meilleures pages à Nils Christie, fasciné par un pays qui ouvre trop souvent la voie à l'Europe en matière pénale. Les Etats-Unis sont en effet le pays des superlatifs : 6,2 millions de citoyens sont sous contrôle pénal. Près de la moitié d'entre eux sont Noirs, alors que les Afro-Américains ne représentent que 13 % de la population. Au total, 3,9 millions d'adultes aux Etats-Unis ont perdu leur droit de vote en raison d'une condamnation, dont 1,4 million de Noirs. La pénalisation est telle aux Etats-Unis qu'un « marché de la punition » ( pain market) s'est développé ces dernières années, générant de gros bénéfices. Des

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sociétés florissantes, pourvoyeuses d'emploi et absorbant jusqu'à 4 % de la population active, sont capables de fournir en quelques mois prisons, personnels et équipements clé en main. Cette industrie provoque une fuite en avant dans la pénalisation. Elle entraîne en effet une compétition à la sécurisation, la technicité des établissements pénitentiaires se doublant de leur déshumanisation : dans les prisons hypersécurisées, appelées « maxi-maxi », les détenus sont moins surveillés par des hommes que par des caméras. Cette mise à distance des corps participe d'une banalisation de l'incarcération, significative, pour Nils Christie, de l'avènement en Occident d'une nouvelle pénologie : il ne s'agit plus de réhabiliter un individu, au besoin par la rémission des péchés, mais bien de gérer des flux de condamnés qui ne font qu'augmenter. Cécile Prieur

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DOCUMENT 2 LOI n° 97-1159 du 19 décembre 1997 consacrant le placement

sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des

peines privatives de liberté (1)

NOR : JUSX9601732L

L'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la

teneur suit :

Article 1er

I. - Avant l'article 716-1 du code de procédure pénale, il est

inséré une division ainsi intitulée : « Section 1. -

Dispositions générales ».

II. - Après l'article 720 du même code, il est inséré une

division ainsi intitulée : « Section 2. - De la suspension et

du fractionnement des peines privatives de liberté ».

III. - Après l'article 720-1 du même code, il est inséré une

division ainsi intitulée : « Section 3. - De la période de

sûreté ».

IV. - Après l'article 720-5 du même code, il est inséré une

division ainsi intitulée : « Section 4. - Des réductions de

peines ».

V. - Après l'article 721-1 du même code, il est inséré une

division ainsi intitulée : « Section 5. - Des attributions du

juge de l'application des peines et de la commission de

l'application des peines ».

VI. - Après l'article 722 du même code, il est inséré une

division ainsi intitulée : « Section 6. - Du placement à

l'extérieur, de la semi-liberté, des permissions de sortir et

des autorisations de sortie sous escorte ».

VII. - Après l'article 723-6 du même code, il est inséré une

division intitulée : « Section 7. - Du placement sous

surveillance électronique ».

Article 2

Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article

723-7 ainsi rédigé :

« Art. 723-7. - En cas de condamnation à une ou plusieurs

peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas

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un an ou lorsqu'il reste à subir par le condamné une ou

plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale

n'excède pas un an, le juge de l'application des peines peut

décider, sur son initiative ou à la demande du procureur de la

République ou du condamné, que la peine s'exécutera sous le

régime du placement sous surveillance électronique. La

décision de recourir au placement sous surveillance

électronique ne peut être prise qu'après avoir recueilli le

consentement du condamné, donné en présence de son avocat. A

défaut de choix par le condamné, un avocat est désigné

d'office par le bâtonnier.

« Le placement sous surveillance électronique peut également

être décidé, selon les modalités prévues à l'alinéa précédent,

à titre probatoire de la libération conditionnelle, pour une

durée n'excédant pas un an.

« Le placement sous surveillance électronique emporte, pour le

condamné, interdiction de s'absenter de son domicile ou de

tout autre lieu désigné par le juge de l'application des

peines en dehors des périodes fixées par celui-ci. Les

périodes et les lieux sont fixés en tenant compte : de

l'exercice d'une activité professionnelle par le condamné ; du

fait qu'il suit un enseignement ou une formation, effectue un

stage ou occupe un emploi temporaire en vue de son insertion

sociale ; de sa participation à la vie de famille ; de la

prescription d'un traitement médical. »

Article 3

Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article

723-8 ainsi rédigé :

« Art. 723-8. - Le contrôle de l'exécution de la mesure est

assuré au moyen d'un procédé permettant de détecter à distance

la présence ou l'absence du condamné dans le seul lieu désigné

par le juge de l'application des peines pour chaque période

fixée. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer

à la personne assignée le port, pendant toute la durée du

placement sous surveillance électronique, d'un dispositif

intégrant un émetteur.

« Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre

de la justice. La mise en œuvre doit garantir le respect de la

dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne. »

Article 4

Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article

723-9 ainsi rédigé :

« Art. 723-9. - La personne sous surveillance électronique est

placée sous le contrôle du juge de l'application des peines

dans le ressort duquel elle est assignée.

« Le contrôle à distance du placement sous surveillance

électronique est assuré par des fonctionnaires de

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l'administration pénitentiaire qui sont autorisés, pour

l'exécution de cette mission, à mettre en œuvre un traitement

automatisé de données nominatives.

« Dans la limite des périodes fixées dans la décision de

placement sous surveillance électronique, les agents chargés

du contrôle peuvent se rendre sur le lieu de l'assignation

pour demander à rencontrer le condamné. Ils ne peuvent

toutefois pénétrer dans les domiciles sans l'accord des

personnes chez qui le contrôle est effectué. Sans réponse de

la part du condamné à l'invitation de se présenter devant eux,

son absence est présumée. Les agents en font aussitôt rapport

au juge de l'application des peines.

« Les services de police ou de gendarmerie peuvent toujours

constater l'absence irrégulière du condamné et en faire

rapport au juge de l'application des peines. »

Article 5

Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article

723-10 ainsi rédigé :

« Art. 723-10. - Le juge de l'application des peines peut

également soumettre la personne placée sous surveillance

électronique aux mesures prévues par les articles 132-43 à

132-46 du code pénal. »

Article 6

Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article

723-11 ainsi rédigé :

« Art. 723-11. - Le juge de l'application des peines peut,

d'office ou à la demande du condamné, et après avis du

procureur de la République, modifier les conditions

d'exécution du placement sous surveillance électronique

prévues au troisième alinéa de l'article 723-7 ainsi que les

mesures prévues à l'article 723-10. »

Article 7

Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article

723-12 ainsi rédigé :

« Art. 723-12. - Le juge de l'application des peines peut à

tout moment désigner un médecin afin que celui-ci vérifie que

la mise en œuvre du procédé mentionné au premier alinéa de

l'article 723-8 ne présente pas d'inconvénient pour la santé

du condamné. Cette désignation est de droit à la demande du

condamné. Le certificat médical est versé au dossier. »

Article 8

Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article

723-13 ainsi rédigé :

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« Art. 723-13. - Le juge de l'application des peines peut,

après avoir entendu le condamné en présence de son avocat,

retirer la décision de placement sous surveillance

électronique soit en cas d'inobservation des conditions

d'exécution constatée au cours d'un contrôle au lieu de

l'assignation, d'inobservation des mesures prononcées en

application de l'article 723-10, de nouvelle condamnation ou

de refus par le condamné d'une modification nécessaire des

conditions d'exécution, soit à la demande du condamné.

« La décision est prise en chambre du conseil à l'issue d'un

débat contradictoire au cours duquel le juge de l'application

des peines entend les réquisitions du procureur de la

République et les observations du condamné ainsi que, le cas

échéant, celles de son conseil. Elle est exécutoire par

provision. Elle peut faire l'objet d'un appel dans les dix

jours devant la chambre des appels correctionnels statuant en

matière d'application des peines.

« En cas de retrait de la décision de placement sous

surveillance électronique, le condamné subit, selon les

dispositions de la décision de retrait, tout ou partie de la

durée de la peine qui lui restait à accomplir au jour de son

placement sous surveillance électronique. Le temps pendant

lequel il a été placé sous surveillance électronique compte

toutefois pour l'exécution de sa peine. »

Article 9

Après l'article 723-6 du même code, il est inséré un article

723-14 ainsi rédigé :

« Art. 723-14. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les

conditions d'application de la présente section. »

Article 10

Dans la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 722 du

code de procédure pénale, après les mots : « la libération

conditionnelle » sont ajoutés les mots : « , le placement sous

surveillance électronique ».

Article 11

Au deuxième alinéa (1°) de l'article 733-1 du même code, après

la référence : « 723-3 », il est inséré la référence :

« , 723-7 ».

Article 12

I. - Dans le troisième alinéa (2°) de l'article 434-29 du code

pénal, les mots : « de placement à l'extérieur d'un

établissement pénitentiaire » sont remplacés par les mots :

« soit de placement à l'extérieur d'un établissement

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pénitentiaire, soit de placement sous surveillance

électronique ».

II. - L'article 434-29 du même code est complété par un 4°

ainsi rédigé : « 4° Par tout condamné placé sous surveillance

électronique, de neutraliser par quelque moyen que ce soit le

procédé permettant de détecter à distance sa présence ou son

absence dans le lieu désigné par le juge de l'application des

peines. »

Article 13

Après l'article 20-7 de l'ordonnance no 45-174 du 2 février

1945 relative à l'enfance délinquante, il est inséré un

article 20-8 ainsi rédigé :

« Art. 20-8. - Les dispositions des articles 723-7 à 723-13 du

code de procédure pénale relatives au placement sous

surveillance électronique sont applicables aux mineurs. »

La présente loi sera exécutée comme loi de l'Etat.

Fait à Paris, le 19 décembre 1997.

Jacques Chirac

Par le Président de la République :

Le Premier ministre,

Lionel Jospin

Le garde des sceaux, ministre de la justice,

Elisabeth Guigou

(1) Travaux préparatoires : loi n° 97-1159.

Sénat :

Proposition de loi n° 400 (1995-1996) ;

Rapport de M. Georges Othily, au nom de la commission des

lois, n° 3 (1996-1997) ;

Discussion et adoption le 22 octobre 1996.

Assemblée nationale :

Proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 3050 ;

Rapport de M. Daniel Picotin, au nom de la commission des

lois, n° 3405 ;

Discussion et adoption le 25 mars 1997.

Sénat :

Proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, n° 285

(1996-1997) ;

Rapport de M. Georges Othily, au nom de la commission des

lois, n° 323

(1996-1997) ;

Discussion et adoption le 11 décembre 1997.

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DOCUMENT 3

L'Union

La détention provisoire turlupine le gouvernement et le Sénat

Les sénateurs ont planché ces deux derniers jours sur la réforme de la détention provisoire. Ils sont allés plus loin que M. Toubon, se prononçant en faveur de la surveillance

électronique des prévenus. Face à un hémicycle pratiquement désert – une douzaine de sénateurs seulement ont participé au débat mercredi après-midi –, le garde des Sceaux a défendu son projet de loi sur la détention provisoire, présenté en Conseil des ministres le 24 avril dernier. Les députés, surchargés de travail d'ici à la fin juin, ne l'examineront qu'à la rentrée. Les sénateurs de la majorité ont approuvé les modalités du texte proposé par Jacques Toubon, huitième du genre en 25 ans, mais l'ont cependant jugé encore « trop timide », y ajoutant donc quelques touches personnelles par voie d'amendement. En commission des lois, ils se sont par exemple déclarés favorables à ce que la durée de la détention provisoire n'excède pas un an en matière correctionnelle, préconisant également que le délai entre la fin de l'instruction et la comparution en cour d'assises ne soit pas supérieur à neuf mois. La première de ces deux propositions a fait tiquer le ministre, qui ne souhaite pas que des solutions trop rigides fassent le jeu de la délinquance organisée, celle qui se livre, notamment, au trafic des produits stupéfiants. La liberté contre un bracelet Mais l'amendement le plus révolutionnaire a été adopté hier matin : les sénateurs UDF-RPR ont applaudi comme un seul homme l'idée émise voici dix ans par la commission Delmas-Marty puis remise au goût du jour l'an dernier par Guy Cabanel (RDSE, Isère) consistant à placer des prévenus sous surveillance électronique. Ils porteraient, à une cheville ou au poignet, un bracelet qui permettrait de suivre leurs allées et venues à distance. En cas de sortie du territoire imparti ou d'abandon de l'objet, une alarme se déclencherait. Le rapporteur de la commission des lois du Sénat, Georges Othily (UDF, Guyane), a indiqué mercredi au garde des Sceaux que les nouvelles technologies « garantissent la discrétion du système qui ne saurait être assimilé à un pilori des temps modernes marquant le porteur d'un bracelet du sceau de l'infamie ». Il a également précisé qu'il ne pouvait s'agir d'un « super contrôle judiciaire » : « Seules pourraient en bénéficier les personnes qui seraient – ou demeureraient – incarcérées en cas de refus ». Car dans l'esprit des sénateurs, le port de ce bracelet est conditionné par le consentement du prévenu recueilli en présence de son avocat. « Une mesure vexatoire » Avant qu'il ne soit procédé au vote, hier, Jacques Toubon a objecté que ce système « particulièrement complexe » soulevait des problèmes, tant théoriques que pratiques : non opposé au principe, le ministre a néanmoins souhaité qu'il soit testé durant plusieurs années avant d'être généralisé et s'en est remis à « la sagesse bienveillante » du Sénat, qui l'a donc adopté « à titre expérimental ».

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Les socialistes, qui se sont abstenus, ont justifié leur position contradictoire (le PS en revendiquait l'idée il y a dix ans) par un curieux argument : procéder à des expériences va léser l'égalité entre citoyens mis en examen. Les communistes ont voté contre : dénonçant « une atteinte à la dignité de la personne », redoutant « le syndrome Big Brother », un possible « contrôle social » notamment, ils ont qualifié l'initiative de « mesure vexatoire ». Utilisé depuis plus de 20 ans aux États-Unis, ce système, également éprouvé au Canada, en Grande-Bretagne, en Suède et aux Pays-Bas, ne sera pas pour l'instant étendu aux condamnés à de courtes peines et à ceux dont la libération conditionnelle peut être envisagée. Seuls les prévenus sont concernés, ce que déplore d'ailleurs Guy Cabanel. Le signataire du rapport sur le sujet, transmis à Alain Juppé l'été dernier, a dès hier fait part de son intention de déposer un projet de loi visant à faire profiter les condamnés du bracelet. Les sénateurs de la majorité ont fait un vibrant éloge public de ce système et de la réforme en général qui permettront de limiter « les traumatismes de l'incarcération », ce qui leur a valu une reprise de volée de leur collègue Nicole Borvo, communiste : « Ce projet arrive fort opportunément, des hommes politiques et des patrons ayant subi les traumatismes dont vous parlez ». Outre la notion de « durée raisonnable » de la détention provisoire, le temps d'incarcération a pratiquement doublé en 20 ans, la France est d'ailleurs souvent épinglée par la Cour Européenne. Ce projet inclut deux autres mesures importantes. Le trouble à l'ordre public motivant parfois à lui seul le mandat de dépôt ne se justifiera que « si l'ordre public est troublé de manière exceptionnelle » (sic). Le garde des Sceaux préconise enfin un renforcement de la procédure de référé-liberté votée par le Sénat en août 1993. Cette mesure permet de demander au président d'une chambre d'accusation de suspendre la décision de placement en détention prise par le juge d'instruction. Elle n'a pas eu beaucoup de succès : le rapporteur de la commission des lois prend l'exemple de la cour d'appel de Reims « qui a accordé une seule mise en liberté sur 17 demandes en 1994 ». Le président de la chambre d'accusation pourra désormais infirmer seul l'ordonnance du juge. Mais avant d'en arriver là, il faut encore que l'Assemblée nationale approuve la réforme Toubon et les amendements du Sénat. Isabelle HORLANS, 31 mai 1996.

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DOCUMENT 4

JORF n°146 du 26 juin 2003 page 10717

texte n° 14

Décret, arrêtés, circulaires

Textes généraux

Ministère de la Justice

Arrêté du 10 juin 2003 portant création d'un système de

reconnaissance biométrique de l'identité des détenus

NOR: JUSE0340080A

Le garde des sceaux, ministre de la justice,

Vu la convention n° 108 du 28 janvier 1981 du Conseil de

l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du

traitement automatisé des données à caractère personnel ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à

l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et notamment ses

articles 1er à 20 et 34 à 40 ;

Vu le décret n° 78-774 du 17 juillet 1978 pris pour

l'application des chapitres Ier à IV et VII de la loi n° 78-17

du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et

aux libertés, modifié par les décrets n° 78-1223 du 28

décembre 1978, n° 79-421 du 30 mai 1979, n° 80-1030 du 18

décembre 1980 et n° 91-336 du 4 avril 1991 ;

Vu la lettre de la Commission nationale de l'informatique et

des libertés en date du 22 mai 2003 portant le numéro 03-027,

Arrête :

Article 1

Est autorisée la mise en œuvre par l'administration

pénitentiaire d'un système de reconnaissance biométrique de

l'identité des détenus, couplé avec une carte d'identité

infalsifiable.

Article 2

Les catégories d'informations enregistrées dans la base de

données sont :

1. Le nom et le prénom du détenu ;

2. La photographie ;

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3. Le numéro d'écrou ;

4. La morphologie de la main.

L'information enregistrée dans la piste magnétique de la carte

d'identité est le numéro d'écrou.

Les informations enregistrées cessent d'être conservées dès la

levée d'écrou du détenu.

Article 3

Les surveillants pénitentiaires des établissements où sont

implantées ces applications sont destinataires des

informations ci-dessus.

Article 4

Le droit d'accès direct prévu à l'article 34 de la loi du 6

janvier 1978 susvisée s'exerce auprès du directeur de

l'établissement pénitentiaire.

Le droit d'opposition prévu à l'article 26 de la loi du 6

janvier 1978 susvisée n'est pas applicable au présent

traitement.

Article 5

Toute mise en œuvre de cette application dans les

établissements pénitentiaires fera l'objet d'une déclaration

conforme au présent modèle type auprès de la Commission

nationale de l'informatique et des libertés par le directeur

de l'établissement.

Cette déclaration précisera en outre le nom du sous-traitant,

les mesures de sécurité et de confidentialité mises en œuvre,

ainsi que le dispositif technique retenu.

Article 6

Le directeur de l'administration pénitentiaire est chargé de

l'exécution du présent arrêté, qui sera publié au Journal

officiel de la République française.

Fait à Paris, le 10 juin 2003.

Pour le ministre et par délégation :

Le directeur de l'administration pénitentiaire,

D. Lallement

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DOCUMENT 5

Les établissements Le milieu fermé

Au 1er juillet 1997

186 établissements dont : - 119 maisons d'arrêt (1 au moins par département, sauf pour le Gers) - 55 établissements pour peine 24 centres de détention 25 centres pénitentiaires (dont 7 comportent un quartier maison centrale ) 6 maisons centrales - 12 centres autonomes de semi-liberté et : 1 établissement public de santé national à Fresnes, spécifiquement destiné à l'accueil des détenus. Ils totalisent une capacité de 50 292 places de détention dont : - 30 299 en quartiers maisons d'arrêt - 14 954 en quartiers centres de détention - 2 834 en quartiers maisons centrales - 1 229 en quartiers de semi-liberté - 618 en centres de semi-liberté autonomes - 358 en hôpital Depuis 1984 Le programme « 13 000 » (1989-1992) a permis la construction de 25 établissements représentant 12 850 places en milieu fermé. 12 nouveaux établissements ont été construits hors programme « 13 000 » et 5 autres ont été entièrement restructurés. Le nombre total de places est passé de 35 644 au 1er janvier 1989 à 50 292 au 1er juillet 1997 L'ouverture, dans les DOM, des centres pénitentiaires de Baie-Mahault en Guadeloupe, et de Ducos en Martinique, a permis la création de 800 places. En Guyane, le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly (420 places) ouvrira dans le courant de l'année 1997.

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La population prise en charge 58 366 détenus au 1er juillet 1997 (métropole et DOM) dont : - 22 699 prévenus - 35 667 condamnés 2 489 femmes détenues, soit 4,3 % de l'ensemble. Au 1er janvier 1997 le taux de détention, en métropole seule, était de 88,3 détenus pour 100 000 habitants (50 pour 100 000 en 1975) Durée moyenne de détention : 7,8 mois pour l'année 1996 (4,3 mois en 1975). Répartition par âge au 1er juillet 1997 (métropole) moins de 18 ans 1,3 % 18 à 21 ans : 7,9% 21 à 25 ans : 16,3 % 25 à 30 ans : 21,1 % 30 à 40 ans : 28,8 % plus de 40 ans : 24,6 % 73,8 % des détenus sont français, 26,2 % étrangers (y compris les apatrides et les nationalités mal définies)

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DOCUMENT 6

JUSTICE

La situation dans les prisons est « explosive »,

selon les surveillants

Article paru dans l'édition du Monde, le 19.07.03

La surpopulation carcérale a atteint de nouveaux records avec, au 1er juillet, 60 963 détenus pour 48 600 places.

Le taux d'occupation est supérieur à 124 %, contre 115 % il y a un an. La chancellerie se refuse à dramatiser et met en avant les 7 000 places qui

seront créées d'ici 2007.

En dépit de la grâce collective accordée par le président de la République le 14 juillet, la situation dans les prisons est « explosive », selon les syndicats pénitentiaires. Le taux d'occupation des prisons atteint 124,5 % et le nombre de détenus 60 963 pour 48 600 places. « Tout ce que nous faisons, c'est limiter la casse », assure Jean-François Forget, du syndicat de surveillants UFAP. La chancellerie relativise l'ampleur de la crise, mettant en avant les 800 places créées en un an et les 7 000 prévues d'ici à 2007. Dans des lettres rendues publiques par l'Observatoire international des prisons (OIP), des détenus dénoncent les conditions indignes de détention. A trois jours de son entrée en vigueur, le principe de l'encellulement individuel a été reporté via un article voté dans la loi sur la sécurité routière LES CELLULES jonchées de matelas, des douches de dix minutes au lieu de vingt, des délais d'attente de plusieurs semaines pour les visites au parloir... les prisons craquent. La situation, affirment les syndicats des personnels pénitentiaires, est « explosive ». Les maisons d'arrêt, qui accueillent les personnes condamnées à de courtes peines ou en attente de jugement, affichent un taux d'occupation moyen de 140 %. En un an, le taux d'occupation global des prisons est passé de 115 % à 124,5 %. Même si la progression semble aujourd'hui moins rapide, la population carcérale continue de battre chaque mois des records, inégalés depuis la Libération : on comptait, au 1er juillet, 60 963 détenus. Ils étaient 60 513 un mois plus tôt et 59 871 au 1er mai. En face, le nombre de places disponibles est limité à 48 600. La grâce collective que le président de la République vient d'accorder pour le 14 Juillet ne devrait que partiellement jouer son rôle de soupape de sécurité, en permettant à quelque 3 000 détenus de voir leur libération anticipée. « Tout ce que nous faisons, c'est limiter la casse », assure Jean-François Forget du syndicat de surveillants UFAP (Union fédérale autonome pénitentiaire) : « Le pouvoir a pris des directives visant à la tolérance zéro ; on incarcère à tout va, or les moyens ne suivent pas. » A la CGT, on

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souligne que « la promiscuité et le manque d'activité provoquent de l'agressivité » et que l'été s'annonce « assez dur ». Cellules insalubres Le ministère de la justice refuse cependant de partager cet alarmisme. Certes, les 7 000 nouvelles places prévues d'ici à 2007 ne sont pas encore bâties. Mais l'administration fait valoir que 800 de plus sont disponibles par rapport à l'été précédent. Après Toulouse et Avignon, deux nouveaux établissements de 600 places seront livrés d'ici à la fin 2003, à Liancourt (Oise) et à Toulon (Var). Des mesures d'urgence, comme la remise en état de 300 cellules insalubres à Fleury-Mérogis sont aussi prévues pour gérer l'afflux de détenus. Officieusement, la plus grande vigilance règne. Officiellement, explique-t-on au cabinet du garde des sceaux, Dominique Perben, « la situation est maîtrisée. Elle n'est pas plus explosive aujourd'hui qu'hier et le nombre des incidents pas plus élevé que l'année dernière à pareille période ». Le ministère de la justice relativise aussi l'exaspération des personnels pénitentiaires. Selon lui, des signes de considération leur ont été adressés ces derniers mois. Les campagnes de fouilles ont permis de « nettoyer » les établissements pour un temps. Une campagne de recrutement a été lancée. Des crédits ont été dégagés pour rémunérer des heures supplémentaires. « On a tenté d'acheter les personnels », commente l'UFAP. Au fond, les services de Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, insistent sur un changement de perspective : « La politique du gouvernement précédent était tournée vers le détenu. Pour nous, la priorité est la sécurité. Ensuite viennent l'insertion, puis le confort du détenu. » La chancellerie juge que la part de détenus dans la population totale demeure dans une fourchette basse : 99 détenus pour 100 000 habitants, contre 135 en Grande-Bretagne, ou plus de 700 aux Etats-Unis. Mais ce taux ne cesse d'augmenter : il était de 78 pour 100 000 il y a quinze ans. Les données nationales rendent difficilement compte de la surpopulation pénale : elles masquent des situations locales très contrastées. En deux ans, la population de Fleury-Mérogis (Essonne) est passée de 2 700 à 4 200 détenus. La chancellerie convient que plusieurs établissements ont dépassé le seuil critique, à Perpignan, où le taux d'occupation frôle les 300 %, à Loos, près de Lille, ou à Nancy. La dignité de la personne humaine est en cause, estime le Conseil national des barreaux, qui vient d'organiser une journée de sensibilisation sur les prisons. « La situation est objectivement indigne », souligne François Faugère, avocat à Cahors, où, à la maison d'arrêt, des cellules prévues pour 6 abritent 8 détenus. « Aujourd'hui, n'importe qui peut aller en détention. Nous avons une politique pénale à l'américaine, sans en avoir les moyens. On va droit dans le mur. » Inflation La chancellerie a beau affirmer qu' « aucun statisticien sérieux ne peut dire comment la situation va évoluer », tel n'est pas l'avis des avocats, des magistrats et des chercheurs : tous pronostiquent une poursuite de l'inflation carcérale. « Le système est tout entier orienté vers l'incarcération », résume Evelyne Sire-Marin, du Syndicat de la magistrature (SM, gauche). « La peine la plus simple à exécuter demeure la peine de prison sèche », souligne Dominique Barella, pour l'Union syndicale des magistrats (USM, modérée). Les mesures encouragées par la chancellerie, comme

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le travail d'intérêt général, le sursis avec mise à l'épreuve ou le placement sous surveillance électronique, ne produiront des effets qu'à terme. Les moyens manquent pour développer les alternatives à l'incarcération et individualiser les peines. A l'inverse, la politique plus répressive du gouvernement - nouvelles infractions, allongement des peines encourues, augmentation des présentations aux juges par les policiers - produit déjà des conséquences. Autre facteur, le nombre des saisines des parquets augmente (5,4 millions), tandis que celui des affaires poursuivies stagne (autour de 600 000) : « Par effet de filtre, les affaires traitées par les tribunaux sont plus graves et les peines prononcées plus longues », explique M. Barella, qui dénonce une politique « socialement explosive ». « L'Etat a la population carcérale qu'il veut », insiste pour sa part Pierre Tournier, directeur de recherches au CNRS et président de l'Association française de criminologie. « De 1996 à 2001, les effectifs ont diminué, ce qui démontre qu'il n'existe pas de fatalité en la matière. La France s'est alors retrouvée parmi les pays de l'Ouest européen à avoir le moins de détenus. Elle s'était ainsi rapprochée des pays nordiques. Mais, de septembre 2001 à septembre 2002, la croissance a été de 14 %. Si on extrapole cette tendance, le nombre des prisonniers aura doublé en cinq ans. C'est inacceptable politiquement. » Dans ce contexte tendu, les incidents violents qui se produisent dans les établissements pénitentiaires suscitent une inquiétude redoublée chez les surveillants. Le 14 juillet, près de 120 détenus ont protesté contre la surpopulation de la maison d'arrêt de Loos (Nord), où 1 170 personnes se partagent 485 places, en refusant de regagner leur cellule à l'issue de la promenade. Une compagnie de CRS a été dépêchée sur place. Le 8 juillet, une soixantaine de détenus de la centrale de Saint-Maur (Indre) avaient eux aussi refusé de rejoindre leur cellule. Ils ont fait face à une dizaine de surveillants armés. La CGT pénitentiaire a dénoncé « cette gestion suicidaire ». Le même week-end, des heurts se sont produits au quartier des mineurs de la maison d'arrêt de Chambéry après une tentative d'évasion. Les surveillants, qui ont reçu l'ordre d'utiliser leurs armes, ont eu le sentiment, face à cette gestion de l'urgence, « d'être transformés en équipes de Rambos ». Nathalie Guibert

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DOCUMENT 7 Le Figaro La détention provisoire en discussion au Sénat Le placement sous surveillance électronique Seul le PC s'est prononcé contre le « bracelet électronique ». Le garde des Sceaux Jacques Toubon s'en remet à la « sagesse bienveillante du Sénat mais réclame « une expérimentation pendant plusieurs années ». Le Sénat a entamé hier l'examen en première lecture du projet de loi sur la détention provisoire, que les députés n'examineront qu'à l'automne, en raison d'un calendrier parlementaire très chargé d'ici à la fin juin. Le garde des Sceaux Jacques Toubon a expliqué que ce texte avait un objet limité : éviter les mises en détention injustifiées, par le renforcement de la procédure du « référé-liberté » – instituée par la loi du 24 août 1993, à l'initiative du président de la commission des lois du Sénat Jacques Larché (UDF, Seine-et-Marne) –, et empêcher les détentions provisoires d'une durée excessive. Particulièrement complexe Le rapporteur, Georges Othily (RDE, Guyane), qui a qualifié ce projet de « pierre d'attente », a proposé par voie d'amendement de réduire autant que possible la durée maximale de la détention provisoire : il demande que celle-ci ne puisse pas excéder un an en matière correctionnelle, et qu'en matière criminelle, un délai de neuf mois maximum soit instauré entre la fin d'une instruction et la comparution de l'intéressé devant la cour d'assises. Jacques Toubon a clairement répondu qu'il « n'était pas favorable » à ce que la détention provisoire ne puisse pas excéder un an en matière correctionnelle, notamment dans des affaires concernant le trafic de stupéfiants, de proxénétisme aggravé et d'association de malfaiteurs. « Cela reviendrait à désarmer totalement l'institution judiciaire dans sa lutte contre la délinquance organisée », a argué le ministre. Mais l'amendement le plus spectaculaire de la commission des lois du Sénat concerne l'instauration du placement sous surveillance électronique. Ce procédé, préconisé dans un rapport remis au premier ministre l'été dernier par Guy Cabanel (Isère), président du groupe RDE du Sénat, consiste à proposer à une personne, au lieu et place de l'incarcération, le port d'un bracelet (le plus souvent à la cheville), permettant de contrôler à distance ses allées et venues. Certains pays (les États-Unis, le Canada, la Suède, l'Angleterre ou les Pays-Bas) pratiquent déjà ce système, et Georges Othily a déclaré que « ce dispositif serait particulièrement utile à la réinsertion des condamnés ». Le rapporteur propose que la surveillance électronique, substitut à la détention provisoire, puisse être prononcée lorsque le juge d'instruction a ordonné la détention, à la condition que l'intéressé ait donné son accord, en présence de son avocat. Le garde des Sceaux a indiqué qu'il s'en remettrait à la « sagesse bienveillante » du Sénat, mais qu' « une telle réforme suppose, avant d'être généralisée, une

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expérimentation pendant plusieurs années ». Jacques Toubon a ajouté que cette question était « particulièrement complexe et soulevait des problèmes considérables, tant du point de vue théorique que pratique ». Le ministre de la Justice a, en tout état de cause, demandé au Parlement « d'accepter dès à présent le principe que ces dispositions puissent être réexaminées dans quelques années à la lueur de l'expérience faite ». L'amendement Othily a fait l'objet d'un véritable engouement au sein de la commission des lois du Sénat. La majorité RPR-UDF a voté pour, ainsi que le PS, avec quelques réserves sur les modalités d'application. Seul le groupe communiste y est hostile, car, selon Nicole Borvo (Paris), « cette mesure vexatoire, attentatoire aux libertés individuelles, infligée à une personne innocente, ne résoudra aucunement le problème de la détention provisoire ». Effet traumatisant Dans la discussion générale, Patrick Courtois (RPR, Saône-et-Loire) a affirmé que cette mesure aurait « l'avantage d'éviter l'effet traumatisant de l'incarcération de courte durée et de lutter efficacement contre la surpopulation carcérale ». Plus réservé, Jean-Jacques Hyest (UC, Seine-et-Marne) estime qu'il faut « veiller à ce que ce dispositif ne soit pas une super mesure de contrôle judiciaire », ajoutant : « J'aurais préféré qu'on l'utilise en fin de peine ou comme substitut à des petites peines. » Porte-parole du groupe PS, Michel Dreyfus-Schmidt (Territoire-de-Belfort), a critiqué point par point ce projet qu'il juge « un coup d'épée dans l'eau » : il a réclamé la suppression du « référé-liberté », ainsi que la suppression de la référence à « l'ordre public » dont le projet de loi veut faire « un motif exceptionnel » par référence à la gravité de l'infraction. S'il n'est pas opposé à l'utilisation du « bracelet électronique », Michel Dreyfus-Schmidt s'est montré prudent : « Nous ne l'avons pas vu fonctionner », et il demande certains aménagements, dont « la réparation intégrale du préjudice » en cas d'acquittement. Sophie HUET, 30 mai 1996

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DOCUMENT 8

Libération

Critiques éthiques sur la surveillance

électronique des condamnés.

Professionnels et magistrats réservés sur le bracelet porté à domicile. Ce sera une petite révolution », prédit le sénateur UDF Guy Cabanel, initiateur de la proposition de loi. Ou, comme le pensent certains, le début d'un affreux cauchemar de science-fiction. Le principe du placement sous surveillance électronique (PSE) des condamnés a été définitivement entériné jeudi par le Sénat (Libération d'hier). Le RPR, l'UDF et le PS se sont prononcés pour et les communistes se sont abstenus. Comme dans les pays où il existe déjà – Suède Canada, États-Unis –, le bracelet électronique ressemble à une grosse montre que l'on place au poignet, ou à un boîtier accroché à la cheville. On ignore encore la forme exacte qu'il prendra en France. « Je tiens beaucoup à ce qu'il y ait de appels d'offre. Je crois que les firmes françaises sont à même de faire progresser la technique du bracelet », dit encore le sénateur. Big Brother. Déjà, pour ses détracteurs, il est le symbole de « Big Brother », sorte de balise Argos signalant le moindre mouvement de l'homme ou la femme qui le porte. Le bracelet émet des ondes qui interdisent en effet de s'éloigner de plus de 50 mètres d'un récepteur fixé au téléphone. Un bip strident préviendra un ordinateur central de toute tentative d'« évasion ». Mais à l'intérieur de leur habitation, les amants pourront continuer de s'aimer, les toxicomanes de se shooter, les faux facturiers de faire leurs comptes sans que nul n'en sache rien. Le bracelet ne sera opérationnel qu'à certaines heures définies avec le juge. Il sera possible de sortir travailler, de partir à la recherche d'un emploi, d'aller, si c'est le cas, se faire soigner. « J'ai visité des prisons, se souvient Guy Cabanel, c'est un choc. La promiscuité y est terrible. On me dit que le bracelet serait attentatoire aux libertés, que dire de la vie en prison ? » Économies. En fait, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, le bracelet n'a rencontré que peu de résistance, même si les communistes l'ont qualifié de « boulet des temps modernes ». Tout le monde est un peu désemparé face à une telle innovation. On a bien entendu quelques réflexions ironiques sur le fait que le monde politique se

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soucie enfin des conditions de détention, mais puisqu'il s'agit de lutter contre un engorgement carcéral dangereux, chacun, au fond, s'accorde à trouver quelques bienfaits au bracelet. D'autant qu'une première étude de coût fait apparaître quelques économies. Le PSE coûterait 200 francs par jour et par personne, contre 500 francs pour une journée de prison. Les vraies critiques viennent des professionnels, des magistrats. Et sont de deux ordres. D'abord, pour être placé sous surveillance électronique, il faudra avoir un téléphone, donc un logement. Ce n'est pas le cas pour tous les condamnés, souvent réduits aux foyers de réinsertion ou aux chambres d'hôtel au jour le jour. « C'est vrai que le bracelet s'adresse plutôt à la délinquance en col blanc, reconnaît Guy Cabanel. Mais c'est un progrès si cela ne conduit pas ces personnes à prendre les habitudes de la grande délinquance. On peut aussi imaginer des foyers qui disposent d'un téléphone et accueillent des SDF sous surveillance électronique. » Peines alternatives. Soit, mais rien n'empêchera les mauvais esprits d'imaginer que le bracelet sera de fait réservé à une certaine catégorie de condamnés argentés et munis d'un contrat de travail. Ce que redoutent le plus les magistrats, c'est que le PSE ne soit que le début de l'abandon progressif d'autres peines alternatives à l'emprisonnement. Là-dessus, ils sont unanimes. « Je suis très sceptique, le bracelet n'apporte pas de réponse nouvelle, assure Pascal Faucher, président de l'Anjap (Association nationale des juges de l'application des peines). Nous utilisons déjà la semi-liberté, le placement extérieur ou la libération conditionnelle. Ce nouvel aménagement de peine risque de rentrer en concurrence avec les autres. »

« C'est vrai que le bracelet s'adresse plutôt à la délinquance en col blanc. » Guy Cabanel, sénateur UDF, auteur de la proposition de loi.

Réinsertion. « C'est une mesure qui symboliquement sonnera le glas de mesures plus compliquées mais allant dans le sens de la réinsertion », reprend Jean-Claude Bouvier, pour le Syndicat de la magistrature (SM). « Je regrette que l'on ait recours au bracelet, alors qu'il existe d'autres alternatives à la prison. C'est sans doute la preuve que l'on n'y recourt pas assez et que les structures chargées de les appliquer ne sont pas assez dotées », ajoute Michel Lemout, pour l'Union syndicale des magistrats (USM). Déjà, le port du bracelet a été étendu aux mineurs, dans le souci de leur éviter l'incarcération. Alors qu'il aurait suffi de restreindre les possibilités de les emprisonner. Pour le Parlement, le bracelet est censé empêcher l'entassement carcéral, et pourtant, certains des élus qui l'ont voté n'ont de cesse de critiquer « le laxisme » des juges. Et ce alors que l'allongement des peines est préoccupant et que les libérations conditionnelles sont en constante régression. Au Sénat, Élisabeth Guigou, par la voix de Daniel Vaillant qui la représentait, a fait connaître ses réserves. Juridiques, d'abord. Comment implanter le système chez les tiers – conjoints, amis ou foyers – qui hébergeraient le condamné ? « Le bracelet électronique induit dans son application qu'un domicile privé devient sinon une annexe de l'administration pénitentiaire, du moins un lieu sous surveillance de la puissance publique », a

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soulevé la ministre de la Justice. Comment d'autre part placer le bracelet aux mineurs sans l'autorisation de leurs parents ? Or, aucune disposition du texte ne prévoit le consentement des titulaires de l'autorité parentale. Attente. Mais les obstacles sont aussi financiers. Selon le garde des Sceaux, le coût global du bracelet se monterait à plusieurs dizaines de millions de francs. « La généralisation du placement sous surveillance électronique ne pourra se faire qu'après une période d'étude et de réflexion », a encore dit la ministre de la Justice. Une période d'expérimentation qu'elle situe à au moins deux années. Et qui devrait être suivie d'une nouvelle loi. Bref, le bracelet carcéral ne verra sans doute pas le jour avant longtemps. Dominique SIMONNOT, 13 décembre

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Bracelet électronique :

modernité ou retour en arrière ? L'électronique occupe désormais une place importante dans nos sociétés modernes, il était donc légitime de réfléchir quant à sa possible application à des mesures pénales. Les précurseurs de cette méthode de surveillance sont les États-Unis qui, dès le début des années 1960, l'ont utilisée pour des libérés sur parole. Le premier pays européen à avoir appliqué ce que l'on appelle désormais la surveillance électronique ou l'ADSE (assignation à domicile sous surveillance électronique) est le Royaume-Uni où, par une loi de 1991, cette méthode de surveillance est devenue une véritable peine de substitution à l'emprisonnement. L'ADSE peut prendre plusieurs formes, mais la plus courante reste le port d'un bracelet-émetteur fixé à la cheville ou au poignet. Celui-ci, relié à une ligne téléphonique, envoie des signaux en permanence à l'autorité chargée de la surveillance. Si le porteur du bracelet électronique s'éloigne de quelques dizaines de mètres de son lieu d'assignation, un signal permet de le savoir immédiatement. Cette méthode nouvelle est expérimentée en Suède et le sera prochainement aux Pays-Bas. Et la France ? À l'instar de ses voisins européens, la France a étudié une possible transposition de cette méthode dans le droit français. En 1990, Gilbert Bonnemaison, dans un rapport sur la modernisation du service pénitentiaire, a écrit qu'il était envisageable de créer un système de surveillance électronique dans la mesure où cette méthode faciliterait l'insertion sociale et mettrait ces délinquants en situation d'indemniser réellement leurs victimes. Il est bon de rappeler que cette éventualité avait été envisagée aussi et surtout comme solution possible au problème de surpopulation carcérale. La proposition du rapport Bonnemaison a été rejetée par les organisations syndicales et n'a pas été reprise dans le Plan de modernisation de l'Administration pénitentiaire ni dans la loi de programme n° 95-9- du 6 janvier 1996 relative à la justice. Pourtant, cette idée va refaire surface dans les conclusions d'un rapport sénatorial, en février 1995. Le Premier ministre, Édouard Balladur, avait chargé le sénateur Guy Cabanel, en mission auprès du garde des Sceaux Pierre Méhaignerie, de rédiger un rapport sur les moyens de prévenir la récidive. Suite à la remise de ce rapport, Jacques Toubon, alors nouveau garde des Sceaux, parle publiquement de recourir au bracelet électronique afin de réduire la population carcérale et comme un moyen de prévenir la récidive. Mais son intérêt immédiat semble essentiellement relever de considérations matérielles. Selon son rapport, M. Bonnemaison refuse d'appliquer cette méthode aux prévenus ; le rapport Cabanel l'envisage explicitement. De même, écrit Guy Cabanel : « seuls devraient être concernés les délinquants réceptifs et soucieux de préparer leur réinsertion, notamment par la poursuite de leurs études ou de leur travail, ou par le suivi d'un traitement adapté à leurs problèmes personnels (alcoolisme, toxicomanie, etc.). »

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Cette méthode de surveillance pourrait donc être envisagée pour des condamnés à de courtes peines d'emprisonnement (maximum trois mois) ou comme mesure d'accompagnement dans le cas d'une libération conditionnelle. Au-delà des problèmes d'ordre philosophique ou éthique que pose cette mesure, il est intéressant de réfléchir à son applicabilité. En effet, de plus en plus de magistrats utilisent les alternatives à l'incarcération dans le cas de délits mineurs. Celles-ci, nombreuses et efficaces, sont cependant proposées aux délinquants qui peuvent produire devant la justice des « garanties tangibles », à savoir un milieu social et familial stable, un travail ou des études en cours. Alors, dans quelle mesure l’ADSE pourrait-elle être utilisée puisque les détenus ayant ces garanties peuvent déjà « échapper » à l’incarcération ? Idem pour un prisonnier en fin de peine, qui en plus, se sentant surveillé peut rater la prise de conscience nécessaire et risquer la récidive. L'homme ne peut intérioriser un concept que s'il dispose d'un support sur lequel l'apposer. La liberté n'a de sens que si l'on conceptualise l'enfermement forcé. La prison est la matérialisation de cette privation de liberté. Mais que faire lorsque, dans le cas de l'ADSE, la prison c'est tout aussi bien son propre foyer, son lit, son quartier ? N'est-ce pas pire ? D'autant que, comme le rappelle Muriel Benghozi, « il y a diffusion, capillarisation de l'atteinte à la liberté puisque l'on peut porter atteinte à cette liberté dans le lieu même où elle était jusqu'alors protégée de façon ultime, le domicile, l'espace privé ». Dans une prison, tout est là pour rappeler que c'est un espace de privation de liberté mais chez soi, la liberté est là partout autour ; on peut la regarder, la sentir, mais on ne peut y toucher. De plus, une fois la peine effectuée, comment regarder ce chez soi qui était hier encore prison ? Avantages et inconvénients Le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) s'est penché sur l'application de cette méthode de surveillance et a tenté de dégager un bilan des diverses expériences en cours. Mais il faut savoir que le CDPC a analysé ce nouveau concept par rapport à une application aux délinquants et aux prévenus. Ce qui frappe en premier dans ces conclusions, c'est le nombre supérieur d'inconvénients par rapport aux avantages de cette mesure. Il a été mis en relief que ce procédé est moins cher, puisqu'il n'y a plus de prise en charge totale par une administration publique. Aux États-Unis, il est même demandé une participation aux frais des sujets volontaires. Sur le plan social, l'ADSE est moins néfaste dans la mesure où le détenu n'est plus coupé de son environnement. De même, le prisonnier ne dépendant plus de l'État – puisqu'ayant la possibilité de conserver son emploi – assume mieux cette situation d'un point de vue psychologique. Les différentes expériences conduites ont montré que, durant la période d'un programme sous surveillance électronique, il y avait un très faible taux de délinquance. Mais quant à savoir si ceci est dû à l'effet de réinsertion ou parce qu'étroitement surveillé, le détenu hésite... Quoi qu'il en soit, la population profite de cette baisse de l'activité délinquante. La réinsertion paraît plus aisée car en prise directe avec la réalité du dehors. C'est d'autant plus vrai que les programmes de réinsertion proposés dans les prisons survivent difficilement à la sortie ou parce que les formations professionnelles sont mal adaptées au dehors qui change si vite. Les partisans du « contre » rappellent que, si la première des raisons des législateurs proposant cette méthode est de limiter la surpopulation carcérale, il existe déjà de nombreuses alternatives à l'incarcération. Donc, ceux qui sont condamnés à une peine d'emprisonnement sont ceux qui ont commis un délit grave et pour lesquels il est hors de question de proposer ce genre de peine de substitution. Il ne s'agit donc pas d'une alternative à l'incarcération. L'exemple anglais a montré que l'application de cette

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méthode n'a pas eu de répercussions significatives sur le niveau de surpeuplement des prisons. La nouveauté de cette mesure n'a pas encore permis à des sociologues de se rendre compte des effets à long terme sur les différents membres de la famille du détenu sous surveillance électronique. On peut imaginer que ce contrôle à distance peut augmenter les tensions dans la famille et développer une impatience et une aliénation. Ce procédé, selon la considération que l'on a de la dignité humaine, peut, d'un point de vue moral et philosophique, être infamant et humiliant. En Angleterre, il a été montré que le bracelet avait procuré une telle gêne que cela devenait douloureux physiquement. Comme toute technologie nouvelle, que faire en cas de panne ? Est-ce au détenu de prouver sa non-culpabilité ? C'est un renversement de la charge de la preuve qui n'est ni acceptable ni juste. Ce procédé, qui assure une surveillance permanente et quasiment sans faille, ne risque-t-il pas d'être préconisé plus facilement, au détriment d'autres peines de substitution plus constructives et plus encadrées ? Francisco F., un prévenu à qui j'ai demandé son avis sur la question, m'a répondu : « Dans la mesure où, lors de mon arrestation, on m'a dit que le premier pas vers l'insertion c'est la balance, j'ai un peu peur que ce soit utilisé pour pister le libéré surveillé... ». Cette remarque pose le problème du recueil des informations émises par le bracelet ; il faudra s'assurer de la moralité de l'autorité qui aura en charge la surveillance et le relais des signaux émis. Nombreux sont ceux qui, conscients du fait qu'un séjour en prison est une expérience terrible, se disent qu'entre deux maux il vaut mieux choisir le moindre. Ce dernier étant d'exécuter sa peine en milieu dit ouvert, cependant, le mieux serait quand même de s'interdire moralement l'introduction d'un nouveau mal. Dans un autre registre, il est légitime de se demander s'il n'existe pas des risques que cette innovation technologique ne serve, dans des temps futurs, à contrôler des pans entiers de la population : les personnes âgées, les malades du sida... Jean-Charles Froment rappelle, dans le numéro d'avril-mai 1996 de La Revue pénitentiaire et droit pénal, n° 2 que la surveillance électronique « représente peut-être une nouvelle étape dans l'histoire de la peine, mais elle n'échappe pas pour autant au modèle carcéral, elle n'en est que la modernisation technologique et demeure dans la logique d'une atteinte corporelle ayant pour objet de priver l'individu de sa liberté d'aller et venir dans une société qui se caractérise de plus en plus par le mouvement. » Alors, si l'on en croit cet universitaire, professeur de droit public, pourquoi tant d'agitation autour de cette idée qui, en ce qui concerne la France, n'est qu'à l'état embryonnaire ? Peut-être parce que cela nous renvoie à notre propre définition des droits de l'homme, à la hiérarchisation de ses libertés fondamentales et – oui, même si l'on rechigne à le reconnaître – nous avons tous une échelle de valeurs différentes. De plus, cette notion de droits de l'homme, bien ancrée dans les plus démocrates d'entre nous, ne nous permet cependant pas d'échapper au paradoxe suivant : pourquoi s'élever contre un procédé qui permettrait à des prisonniers d'effectuer leur peine dans un endroit où ils se sentent bien, où ils se sentiraient... comme chez eux ? Peut-être parce que c'est une fausse liberté puisqu'elle est sous contrôle. Même dans une cellule on peut prétendre à une liberté, petite, mais vraie. Ce n'est pas un sujet facile, la polémique soulevée le montre bien. La seule issue est de continuer d'y réfléchir et d'analyser les résultats des expériences des pays voisins. Sylvia GAUTHEREAU, Décembre 1996

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La prison ou le bracelet ?

Par Emmanuel Berretta

DÉLINQUANCE.

Une puce électronique au poignet ou à la cheville, le « client » volontaire est suivi à la trace par un central informatique.

Facile et efficace en apparence. Plus complexe dans la mise en œuvre. C'était en août 1989. Le milliardaire saoudien Adnan Kashoggi s'offrait un bracelet de 10 millions de dollars. Un « bijou » d'un type un peu particulier... Pas vraiment un caprice d'émir. En fait, un anneau électronique fixé sur sa cheville, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sorte de gadget-espion chargé de surveiller ses allées et venues dans New York. C'est que le « Gatsby arabique » était en délicatesse avec la justice américaine, et qu'entre la prison et cette liberté contrôlée sous caution il avait préféré la seconde option. Quitte à y mettre bon prix. Aux États-Unis, ce sont ainsi plusieurs dizaines de milliers de personnes qui, chaque année, choisissent d'être « baguées » dans les mêmes conditions. Le procédé nord-américain a séduit Jacques Toubon. De son côté, le Parlement se hâte d'examiner dans l'urgence une proposition de loi sénatoriale épineuse. À l'initiative du sénateur Guy Cabanel, la Haute Assemblée vient d'adopter le principe du bracelet électronique « à titre expérimental », comme substitut à la détention provisoire. Si l'essai se révélait concluant, le placement sous surveillance électronique (PSE) pourrait être généralisé, élargi aux modalités de fin de peine ou même devenir une alternative aux courtes peines. Plus lourd qu'une montre de plongée ou qu'une gourmette en or, le bracelet-mouchard équipé d'un boîtier électronique s'adapte au poignet ou à la cheville, à la demande du « client ». Le dispositif technique s'articule autour de trois constantes : le bracelet-émetteur envoie un signal à un poste récepteur (généralement la ligne téléphonique de l'assigné), lui-même connecté à un ordinateur central regroupant les informations. Le signal, n'excédant pas un rayon de quarante mètres autour du téléphone, limite la capacité de déplacement du porteur. Le franchissement de ce cercle ou la tentative frauduleuse de se débarrasser du « bijou » alerte immédiatement le terminal central. La chasse est alors ouverte. Autant dire que le projet, plus que controversé, ranime de vieux fantasmes. Les pessimistes, à qui le progrès technique fait craindre « Le meilleur des mondes », dénoncent, dans la prison domiciliaire, « les chaînes du XXIème siècle », qui raccourcissent un peu plus la liberté et allongent d'autant la liste des moyens de contrôle les plus pernicieux : vidéo-surveillance, fichage génétique des individus grâce à l'ADN, multiplication des pointeuses électroniques dans les entreprises... Les optimistes y voient plutôt une mesure de clémence. Après tout, la liberté, même grevée de ce fil à la patte électronique, ne vaut-elle pas mieux que le cachot ? Bref, un énième épisode de la querelle entre anciens et modernes... Le dispositif, a priori, semble bien anodin. Il offre, en effet, une garantie fondamentale : l'assentiment systématique de l'intéressé. Un consentement loin d'être acquis d'avance, comme en témoigne l'expérience suédoise. Un tiers des potentiels « bénéficiaires » ont en effet préféré la geôle à la menotte virtuelle. Un risque pour la liberté provisoire Concrètement, pourtant, le bracelet, ce n'est tout de même pas Jean Valjean dans l'enfer du bagne. Le juge d'instruction pourrait, au cas par cas, moduler les horaires d'astreinte afin de

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tenir compte des obligations professionnelles et ménagères des assignés. Par exemple, tel chef d'entreprise mis en examen pour abus de biens sociaux, une fois dûment « bagué », pourrait continuer de se rendre à son travail normalement, de présider son conseil d'administration, de maintenir l'activité de son entreprise, et ne serait confiné à demeure qu'en dehors des heures ouvrables. Dans la pire hypothèse, le dispositif domiciliaire pourrait, si besoin, être doublé d'un système équivalent sur le lieu de travail. La personne surveillée n'échapperait alors au « maton électronique » que durant le trajet du domicile au bureau. Ce second verrou devrait rassurer les magistrats les plus frileux. Ainsi, ce même chef d'entreprise aurait, par exemple, obligation de rester chez lui de 20 heures à 8 heures, et ne devrait point quitter sa table de travail entre 9 heures et 19 heures. Il disposerait alors d'une heure pour effectuer le parcours. Un « timing » astreignant, mais préférable à la prison. En plus des autres dispositions qui visent à réduire le champ de l'incarcération, Toubon propose aux magistrats un habile marché qui, croit-il, pourrait mettre fin à l'éternelle polémique de la détention provisoire abusive : troquer l'emprisonnement contre un bracelet-mouchard, et ainsi éviter aux prévenus mis ensuite hors de cause les conséquences dommageables d'un séjour à l'ombre (perte d'emploi, déséquilibres physiques et psychiques, atteinte à la présomption d'innocence, domiciliation...). Pourtant, il n'y a guère de raisons objectives pour que la surveillance électronique fasse reculer les mandats de dépôt abusifs, précisément délivrés et prolongés dans le but – inavoué – de faire craquer, dans leurs cellules, les prévenus. Elle ne sera pas davantage utilisée si la détention est justifiée par des motifs impérieux, légaux et précis : conserver les preuves et indices matériels, éviter les concertations frauduleuses entre prévenus et complices, faire cesser l'infraction... Dans tous ces cas, rien ne sera plus fiable que l'isolement total, c'est-à-dire la prison. Impensable même de laisser en liberté, fût-elle électroniquement surveillée, les auteurs de crimes de sang. « Quant aux étrangers en situation irrégulière, vous pensez bien que, sitôt libres, ils s'évaporeraient dans la nature, commente Claude Pernollet, président de l'Union syndicale de la magistrature (USM). De plus, bien souvent, ils ne possèdent pas de domicile fixe, et encore moins de ligne téléphonique. Et c'est à eux que l'on voudrait proposer le bracelet ? », s'amuse le magistrat. L'argument choc : le coût Suivent les petits délinquants, trafiquants de drogue ou dealers. « Si nous les relâchons immédiatement, ils auront le sentiment de n'avoir commis aucune faute et récidiveront avant même qu'on ne les ait jugés pour leur premier délit ! Non, vraiment le bracelet, contre lequel nous n'avons pas d'objection de principe, ne jouera qu'à la marge pour une population carcérale réduite à quelques chefs d'entreprise auteurs d'abus de biens sociaux. » Un constat désarmant, dressé par le président du syndicat le plus représentatif de la profession. Première critique, donc : le bracelet ne serait qu'un gadget sans grand impact sur la population des détenus provisoires. Pis : il viendrait enrichir l'arsenal coercitif. « Contrairement aux attentes, le PSE ne sera pas un substitut à la détention provisoire, affirme ainsi Me Henri Leclerc, président de la Ligue des droits de l'homme. Tout simplement parce que les juges d'instruction seront tentés de la proposer aux personnes qui auraient, sans ce système, bénéficié soit d'un maintien en liberté pur et simple, soit d'un placement sous contrôle judiciaire, autrement moins coercitif que le port permanent d'un bracelet électronique. » Ce serait désormais aux 18 000 personnes placées sous contrôle judiciaire de trembler que les juges ne s'intéressent à leur poignet ou à leur cheville I... Un risque que le texte parlementaire essaie pourtant de conjuguer, en prévoyant explicitement que seul un individu mis en détention peut choisir la formule PSE. Y a-t-il, donc, risque d'abus ? François Sottet, secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature, le croit. « C'est la mentalité du corps, explique-t-il en termes pudiques. L'expérience de vingt ans de politique pénale démontre que les peines alternatives à la prison ont, en fait, rogné les libertés. Par exemple, les magistrats ont proposé les travaux

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d'intérêt général (TIG) aux condamnés qui auraient, sans cela, bénéficié d'un simple sursis. » « Ce n'est pas faux », confirme Valéry Turcey pour l'USM. Un constat plus qu'un jugement de valeur : pour les magistrats, la prison demeure la peine de référence. Les partisans du bracelet formulent alors l'argument choc par excellence, censé emporter l'adhésion générale : la prison domiciliaire coûterait moins cher que la prison tout court. Comparaisons étrangères à l'appui. En Colombie-Britannique (Canada), le système en vigueur en 1993 était d'un coût « quatre fois moindre que celui de l'incarcération », note le sénateur Cabanel dans son rapport. En outre, au Canada, la personne assignée participe financièrement, suivant ses revenus, à sa prise en charge électronique ! Essai de transposition sauvage : en France, un prisonnier revient à environ 400 francs par jour. Toujours selon le rapport Cabanel, la surveillance électronique devrait coûter « entre 80 et 120 francs » par personne. Le calcul n'est pas détaillé, donc à prendre avec précaution. D'autant qu'au ministère de la Justice le procédé technologique est loin d'être défini. Car reste en suspens une kyrielle de questions des plus prosaïques, et néanmoins cruciales : qui appréciera l'opportunité des poursuites en cas d' « évasion », le juge d'instruction, le procureur de la République ou bien l'administration pénitentiaire ? Car, bien entendu, personne ne désire hériter de cette « patate chaude » ... En effet, imaginons qu'un assigné s'échappe du périmètre autorisé l'espace d'une heure, histoire de prendre le frais... Faudra-t-il immédiatement déclencher un plan d'urgence ? Lancer une patrouille de police ou de gendarmerie sur la piste d'un individu parmi les 200 000 autres actuellement recherchés ? Et par où commencer ? Quant à l' « évasion », sera-t-elle considérée comme une infraction distincte, susceptible d'une peine d'amende ou d'emprisonnement ? Des questions concrètes que les sénateurs ont soigneusement éludées à l'instant de glisser leur bulletin dans l'urne. Mais, faute de réponse, le bracelet électronique demeure, pour l'heure, un concept bien abstrait. 8 juin 1996

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Le bracelet électronique est arrivé

Le Courr ier de la Mayenne Cahier Départemental, publié le 24 avril 2003, page 3

Le bracelet électronique permettra à des détenus de purger leur peine chez eux et de limiter la population carcérale.

Depuis la semaine dernière, deux bracelets électroniques (cinq fin juin) sont disponibles à la maison d'arrêt. Cette mesure d'aménagement de peine est réservée aux détenus condamnés à purger une peine de moins d'un an et pouvant bénéficier d'un régime de liberté conditionnelle pour suivre une formation professionnelle, un suivi psychologique, une cure de désintoxication, l'exécution d'un premier travail. Il doit concourir également à diminuer le coût de gestion de la population carcérale. Le consentement du propriétaire du logement, la présence d'une ligne téléphonique fixe sans fax ni internet ou ajout de toute sorte seront nécessaires. La Mayenne est la 20e juridiction française à adopter cette mesure imaginée par un juge américain lecteur de la BD Spiderman. Le PSE a été adopté en France en octobre 2000. Le dispositif se compose d'un bracelet serti à la cheville du condamné qui est relié au téléphone fixe lui-même rattaché au central d'Angers siège de la cour d'appel. En cas d'absence du domicile aux heures programmées selon le planning du détenu, une alarme se met en branle immédiatement, répercutée à la maison d'arrêt. Son adoption se fait sur demande ou saisine d'office du juge d'application des peines, du parquet ou du détenu dans le cadre de la libération conditionnelle ou du placement sous contrôle judiciaire. C'est le juge d'application des peines qui décidera avant un délai de trois mois si le dossier du détenu présente toutes les garanties pour bénéficier de cette mesure qui a pour but de faciliter la réinsertion professionnelle et civile du détenu. « C'est une version moderne de l'assignation à résidence. Si le principe est simple, son application est lourde puisqu'elle nécessite de pénétrer dans la vie intime du bénéficiaire dont l'administration pénitentiaire devra connaître les moindres faits et gestes pour déterminer les horaires de présence au domicile » estiment de concert Véronique Daniel, juge d'application des peines, et Philippe Varin, procureur de la République. De même, le coût de location de l'appareil acheté à une société israélienne de Tel Aviv (5 000 F la semaine) explique en partie le retard de son adoption. Depuis celle-ci, 541 décisions ont été prises. Aux États-Unis, ils sont 100 000 à l'avoir porté (la population carcérale française totale se montant à 60 000 détenus). Il a été présenté officiellement aux divers acteurs de la justice vendredi dernier avec succès. Notamment du côté du directeur de la maison d'arrêt qui actuellement connaît un taux de remplissage de 240 % avec 134 détenus pour 69 places (54 détentions, 15 en semi-liberté).

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PRISONS

Le bracelet électronique

Une alternative à l'incarcération

Le placement sous surveillance électronique (PSE) de personnes condamnées à une peine d'emprisonnement, a été mis en œuvre en France, dans le courant de l'année 2000. En effet, quatre sites ont été retenus par le garde des Sceaux pour expérimenter ce dispositif qui s'inscrit dans les efforts menés par l'administration pénitentiaire pour développer les alternatives à l'incarcération. La loi du 19 décembre 1997 a consacré le « placement sous surveillance électronique » comme modalité d'exécution des peines privatives de liberté. Conçu comme une modalité permettant de faciliter l'aménagement de peine, le placement sous surveillance électronique contribuera au développement des alternatives à l'incarcération visant à la réinsertion de la personne placée sous main de justice et partant de réduire le risque de récidive. Sur une initiative de l'Assemblée nationale, le Parlement a prévu, dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif au renforcement de la présomption d'innocence et des droits des victimes, d'étendre le dispositif aux personnes susceptibles d'être placées en détention provisoire, en veillant à ce que cette possibilité nouvelle permette bien d'éviter certains placements en détention provisoire et ne conduise pas à un « durcissement » du contrôle judiciaire. La mise en place concrète de ce dispositif novateur nécessitait des études approfondies et des concertations. L'étude des expériences étrangères Dès 1998, un consultant a été sélectionné pour analyser les solutions mises en place à l'étranger. Cet effet, il s'est rendu dans 5 pays (États-Unis, Canada, Suède, Pays-Bas et Grande-Bretagne) afin d'évaluer les possibilités de transposer ces dispositifs dans notre système judiciaire. La surveillance électronique est née aux États-Unis où elle s'est fortement développée au cours des dix dernières années ainsi qu'au Canada où quatre provinces ont actuellement des projets de surveillance électronique des personnes placées sous main de justice. En Europe, l'Angleterre et le Pays de Galles sont les premiers à avoir utilisé cette technologie à partir de 1989, puis la Suède à partir de 1994, les Pays-Bas depuis 1995 et la Belgique en 1998. Le contenu du dispositif en France La loi de 1997 désignait les personnes pouvant être placées sous surveillance électronique. Il s'agissait : - des condamnés à une ou plusieurs peines privatives de liberté (dont la durée totale n'excède pas un an),

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- des condamnés auxquels il reste à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté (dont la durée totale n'excède pas un an), - des condamnés remplissant les conditions conditionnelles, - des femmes et des mineurs. La décision est prise par le juge de l'application des peines, d'office, ou à la demande du procureur de la République ou du condamné, après avoir recueilli le consentement de ce dernier en présence de son avocat ou d'un avocat désigné d'office. Pour fixer les horaires et les lieux d'assignation, le juge de l'application des peines tient compte de l'activité professionnelle et du contexte familial de l'intéressé. En cas d'inobservation, notamment des conditions d'exécution de la mesure ou bien de nouvelle condamnation, le juge de l'application des peines peut, après débat contradictoire en chambre du conseil, tenu en présence d'un avocat, révoquer la mesure du placement sous surveillance électronique, décision susceptible d'appel dans les dix jours. La mise en œuvre Une expérimentation sur quatre sites, a commencé en octobre 2000, concernant une centaine de détenus, et permettra une mise en œuvre progressive du dispositif jusqu'en 2003. Les établissements retenus sont Aix-Luynes (Bouches du Rhône), Agen (Lot et Garonne), Loos les Lille (Nord) et Grenoble (Isère). 20 bracelets par site sont testés et leur pose n'excède pas quatre mois. Le bracelet se porte au poignet ou à la cheville ; il transmet automatiquement des signaux au récepteur, placé au lieu de l'assignation (domicile, lieu de travail ou de formation...). Ce récepteur envoie, par l'intermédiaire d'une ligne téléphonique, les messages au centre de supervision qui, équipé de moyens informatiques, déclenche ainsi les alarmes en cas d'absence pendant une plage horaire d'assignation ou en cas de tentative de manipulation ou de détérioration de l'émetteur ou du récepteur. Un poste de gestion opérationnelle sera chargé de traiter les alarmes déclenchées par le centre de supervision. Pour être efficace, ce dispositif doit s'inscrire dans le cadre d'un suivi social du condamné tendant à sa réinsertion. Pour l'instant, l'expérimentation des bracelets a commencé. Il faut attendre pour avoir des informations supplémentaires... (Informations du Ministère de la Justice)

La situation au 1er août 2002 Lancée en octobre 2000, l'expérimentation du placement sous surveillance électronique est suivie aujourd'hui dans 13 juridictions. La situation au 1er août 2002 est la suivante : - 363 mesures ont été prononcées depuis le début de l'expérimentation ; - 272 sont terminées et 91 sont en cours ; - 18 ont été retirées, dont 4 pour évasion. Au terme de cette première phase d'expérimentation, le dispositif de placement sous surveillance électronique apparaît comme une mesure fiable d'exécution des peines et comme une réelle alternative à l'emprisonnement. Les magistrats ont prononcé cette

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mesure à l'égard de condamnés qui présentaient des gages d'insertion et pour lesquels l'emprisonnement aurait représenté une rupture familiale ou professionnelle importante. Les enquêtes préalables à la décision de placement sous surveillance électronique, réalisées par les services pénitentiaires d'insertion et de probation, ont permis d'adapter la décision judiciaire à la situation personnelle de chaque condamné. Les horaires d'assignation ont été fixés au regard des contraintes professionnelles et familiales des condamnés et la souplesse du dispositif technique a permis une adaptation de ces horaires d'assignation. Au regard des résultats de l'expérimentation, le gouvernement a décidé la généralisation du placement sous surveillance électronique à l'ensemble des juridictions dans un délai de cinq ans. Ce délai est destiné à permettre au ministère de la Justice d'organiser ses services pour la mise en place de ce dispositif qui nécessite une forte mobilisation de ses personnels, une concertation entre les services judiciaires et les services pénitentiaires ainsi que la mise en place d'un dispositif fiable de contrôle des alarmes. Dès que l'architecture de fonctionnement aura été choisie par la direction de l'administration pénitentiaire, un appel d'offres sera lancé afin de sélectionner les prestataires qui seront appelés à fournir les dispositifs techniques de surveillance électronique ainsi que les services nécessaires au développement de la mesure à partir de fin 2003. Une mesure nouvelle de 2 millions d'euros est inscrite au projet de loi de finances pour 2003 afin de financer cette extension.

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SÉNAT

Séance du 30 mars 2000

M. le président. « Art. 18 bis A. - Après l'article 144-1 du même code, il est inséré un article 144-2 ainsi rédigé : « Art. 144-2. - La détention provisoire peut être effectuée, sur décision du juge de la détention provisoire d'office ou sur demande du juge d'instruction, avec l'accord de l'intéressé, selon les modalités prévues à l'article 723-7 et suivants du présent code. Pour l'exécution de cette mesure, le juge de la détention provisoire exerce les compétences attribuées au juge de l'application des peines. » La parole est à M. Bret. M. Robert Bret. Cet article, introduit par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, vise à permettre que la détention provisoire s'effectue sous les modalités du placement sous surveillance électronique. Cette solution nous est présentée comme l'un des moyens les plus efficaces de lutte contre la surpopulation carcérale, l'effectif des détenus étant composé, on le sait, pour moitié de personnes qui sont en attente de jugement. Selon nous, cette solution n'est pas la panacée ! Au contraire, elle suscite nos plus vives réserves. Dans son principe même, nous ne sommes pas favorables au port du bracelet électronique, qui porte gravement atteinte à la liberté individuelle et dilue la notion de peine, en transposant la prison à l'intérieur de la société. Vous nous avez néanmoins indiqué que les premiers bracelets électroniques seraient mis en place en juillet prochain. Nous prenons acte de l'application de cette mesure en tant que modalité d'exécution de la peine. Mais sa transposition dans le cadre de la détention provisoire nous apparaît bien plus problématique. Dans son essence, en effet, le placement sous surveillance électronique est susceptible de battre en brèche la présomption d'innocence. Lors de la discussion, en 1996, du projet de loi relatif au placement sous surveillance électronique, le garde des sceaux de l'époque, M. Toubon, avait lui-même indiqué qu'il préférait que le système soit réservé aux peines d'emprisonnement fermes dans les termes suivants : « Je tiens à dire à quel point cette condition me paraît essentielle, car c'est elle qui permet d'inscrire la mesure dans ce que je considère être son principe même, à savoir une modalité d'exécution de la peine d'emprisonnement et non une alternative à la détention. En effet, dans cette hypothèse, il n'est pas possible de craindre que le placement sous surveillance électronique ne soit prononcé contre des personnes qui, si une telle mesure n'avait pas existé, seraient restées libres. » Vous avez vous-même relevé, madame la ministre, comme nous l'avions fait en 1996, lors de la discussion de la loi sur la détention provisoire, que cette solution risquait d'être plus utilisée à la place du contrôle judiciaire qu'à la place de la détention provisoire.

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Solution plus « pratique », plus économique et moins « traumatisante » pour le juge, le placement sous surveillance électronique nous semble réunir de nombreux inconvénients liés à la détention provisoire sans toutefois présenter les mêmes avantages. De surcroît, dans la discussion générale, je vous ai fait part de mes inquiétudes quant au traitement inégalitaire que cette solution pourrait engendrer vis-à-vis des personnes mises en examen, aggravant ainsi la fracture sociale. Le risque existe de voir attribuer les peines alternatives à une catégorie de population pénale. Permettez-moi de faire référence à l'étude menée par M. Castel aux Etats-Unis dans les années soixante-dix, laquelle montrait clairement que les Blancs étaient plus souvent condamnés à des mesures alternatives, tandis que les Noirs continuaient d'aller en prison. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre l'article 18 bis A autorisant la mise sous placement électronique dans le cadre de la détention provisoire et contre l'amendement n° 39 de la commission des lois, qui procède de la même logique. M. le président. Par amendement n° 39, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit la première phrase du texte présenté par l'article 18 bis A pour l'article 144-2 du code de procédure pénale : « Lorsqu'elle est prononcée, la détention provisoire peut être effectuée, sur décision du juge des libertés d'office ou sur demande de l'intéressé ou du juge d'instruction, avec l'accord de l'intéressé, selon les modalités prévues aux articles 723-7 et suivants du présent code. » La parole est à M. le rapporteur. M. Charles Jolibois, rapporteur. L'article 18 bis A prévoit que la détention provisoire peut être effectuée sous le régime du placement sous surveillance électronique. Evidemment, c'est une idée très séduisante. Simplement, il existe un risque que le placement sous surveillance électronique ne devienne une modalité de contrôle judiciaire et qu'il ne fasse pas reculer le placement en détention provisoire. L'amendement n° 39 tend à bien préciser que le placement sous surveillance électronique est décidé après que la détention provisoire a été décidée. C'est donc une modalité d'exécution d'une mesure de détention provisoire. Il prévoit, en outre, que l'intéressé pourra demander lui-même le bénéfice du placement sous surveillance électronique. M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ? Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis d'accord avec la modification de fond qui vise à préciser que le placement sous surveillance électronique est décidé au moment même où est prononcée la détention provisoire. Ainsi il est dit de façon très claire que le bracelet électronique est destiné à se substituer à la détention provisoire et non pas aux mesures de contrôle judiciaire. C'était, en effet, la difficulté principale que je voyais à l'adoption du placement sous surveillance électronique en amont et non pas seulement, comme nous l'avions envisagé au départ, dans la proposition de loi de M. Cabanel, en tant que modalité d'application des peines. La rédaction du Sénat est en effet meilleure, mais, comme je suis opposée à la terminologie de « juge des libertés », je ne peux que m'en remettre à la sagesse du Sénat.

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M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 39. M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote. M. le président. La parole est à M. Vasselle. M. Alain Vasselle. Je vais voter cet amendement, mais je m'interroge sur un point. Je voudrais savoir si la personne qui est susceptible de faire l'objet d'une détention provisoire aura le choix ente le bracelet électronique et la détention dans un établissement. En effet, une personne ayant porté atteinte à la vie d'autrui, en cas de légitime défense, par exemple, pourrait préférer, pour sa propre protection, être détenue dans un établissement plutôt que circuler librement. Aura-t-elle la possibilité de choix ? M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole. M. le président. La parole est à M. le rapporteur. M. Charles Jolibois, rapporteur. Elle pourra refuser de porter ce bracelet, auquel cas elle sera placée en détention provisoire. M. le président. Personne ne demande plus la parole ?... Je mets aux voix l'amendement n° 39, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat. (L'amendement est adopté.) M. le président. Personne ne demande la parole ?... Je mets aux voix l'article 18 bis A, ainsi modifié. (L'article 18 bis A est adopté.)

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DOCUMENT 14

LOI

Loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005

Relative au traitement de la récidive des infractions pénales

« Du placement sous surveillance électronique mobile à titre de mesure de sûreté

« Art. 131-36-9. - Le suivi socio-judiciaire peut également comprendre, à titre de mesure de sûreté, le placement sous surveillance électronique mobile, conformément aux dispositions de la présente sous-section. « Art. 131-36-10. - Le placement sous surveillance électronique mobile ne peut être ordonné qu'à l'encontre d'une personne majeure condamnée à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à sept ans et dont une expertise médicale a constaté la dangerosité, lorsque cette mesure apparaît indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend fin. « Art. 131-36-11. - Lorsqu'il est ordonné par le tribunal correctionnel, le placement sous surveillance électronique mobile doit faire l'objet d'une décision spécialement motivée. « Lorsqu'il est ordonné par la cour d'assises, il doit être décidé dans les conditions de majorité prévues par l'article 362 du code de procédure pénale pour le prononcé du maximum de la peine. « Art. 131-36-12. - Le placement sous surveillance électronique mobile emporte pour le condamné l'obligation de porter pour une durée de deux ans, renouvelable une fois en matière délictuelle et deux fois en matière criminelle, un émetteur permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l'ensemble du territoire national. « Le président de la juridiction avertit le condamné que le placement sous surveillance électronique mobile ne pourra être mis en œuvre sans son consentement, mais que, à défaut ou s'il manque à ses obligations, l'emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l'article 131-36-1 pourra être mis à exécution. « Art. 131-36-13. - Les modalités d'exécution du placement sous surveillance électronique mobile sont fixées par le titre VII ter du livre V du code de procédure pénale. » Article 20 Après l'article 763-9 du code de procédure pénale, il est inséré un titre VII ter ainsi rédigé :

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« TITRE VII TER « DU PLACEMENT SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE MOBILE À TITRE DE MESURE DE SÛRETÉ « Art. 763-10. - Un an au moins avant la date prévue de sa libération, la personne condamnée au placement sous surveillance électronique mobile en application des articles 131-36-9 à l31-36-12 du code pénal fait l'objet d'un examen destiné à évaluer sa dangerosité et à mesurer le risque de commission d'une nouvelle infraction. « Cet examen est mis en œuvre par le juge de l'application des peines, après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté composée selon des modalités déterminées par le décret prévu à l'article 763-14. Les dispositions de l'article 712-16 sont applicables. « Au vu de cet examen, le juge de l'application des peines détermine, selon les modalités prévues par l'article 712-6, la durée pendant laquelle le condamné sera effectivement placé sous surveillance électronique mobile. Cette durée ne peut excéder deux ans, renouvelable une fois en matière délictuelle et deux fois en matière criminelle. « Le juge de l'application des peines rappelle au condamné que le placement sous surveillance électronique mobile ne pourra être mis en œuvre sans son consentement, mais que, à défaut ou s'il manque à ses obligations, l'emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l'article 131-36-1 du code pénal pourra être mis à exécution. « Six mois avant l'expiration du délai fixé, le juge de l'application des peines statue, selon les mêmes modalités, sur la prolongation du placement sous surveillance électronique mobile dans la limite prévue au troisième alinéa. « A défaut de prolongation, il est mis fin au placement sous surveillance électronique mobile. « Art. 763-11. - Pendant la durée du placement sous surveillance électronique mobile, le juge de l'application des peines peut d'office, sur réquisitions du procureur de la République ou à la demande du condamné présentée, le cas échéant, par l'intermédiaire de son avocat, modifier, compléter ou supprimer les obligations résultant dudit placement. « Art. 763-12. - Le condamné placé sous surveillance électronique mobile est astreint au port, pendant toute la durée du placement, d'un dispositif intégrant un émetteur permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l'ensemble du territoire national. « Ce dispositif est installé sur le condamné au plus tard une semaine avant sa libération.

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« Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre de la justice. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne et favoriser sa réinsertion sociale. « Art. 763-13. - Le contrôle à distance de la localisation du condamné fait l'objet d'un traitement automatisé de données à caractère personnel, mis en œuvre conformément aux dispositions de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. « Dans le cadre des recherches relatives à une procédure concernant un crime ou un délit, les officiers de police judiciaire spécialement habilités à cette fin sont autorisés à consulter les données figurant dans ce traitement. « Art. 763-14. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent titre. Ce décret précise notamment les conditions dans lesquelles l'évaluation prévue par l'article 763-10 est mise en œuvre. Il précise également les conditions d'habilitation des personnes de droit privé auxquelles peuvent être confiées les prestations techniques détachables des fonctions de souveraineté concernant la mise en œuvre du placement sous surveillance électronique mobile et relatives notamment à la conception et à la maintenance du dispositif prévu à l'article 763-12 et du traitement automatisé prévu à l'article 763-13. « Les dispositions de ce décret relatives au traitement automatisé prévu à l'article 763-13, qui précisent, notamment, la durée de conservation des données enregistrées, sont prises après avis de la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés. »

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DOCUMENT 15

POPULATION CARCÉRALE EN FRANCE :

LES CHIFFRES AU 1ER JANVIER 2011

Ministère de la Justice

DAP, janvier 2011

Le nombre de détenus en métropole et outre-mer est de 58 344, soit une baisse de 1,51 % par rapport à décembre 2005. La part de prévenus en métropole et outre-mer est de 33,8 %. Le nombre de femmes est de 2 130, soit un taux de féminité de 3,7 %. Le nombre de mineurs détenus en métropole et outre-mer est de 732, soit une baisse de 9,41 % par rapport à décembre 2005. Les mineurs représentent 1,3 % de l'ensemble des détenus. 479 sont des prévenus : soit 65,4 % des mineurs incarcérés, 253 sont des condamnés : soit 34,6 %. La densité carcérale est de 113,8 % (contre 115,7 % au mois de décembre 2005). On compte : un taux d'occupation égal ou supérieur à 200 % pour 9 établissements ou quartiers ; un taux d'occupation compris entre 150 et 200 % pour 38 établissements ou quartiers ; un taux d'occupation compris entre 100 et 150 % pour 80 établissements ou quartiers ; un taux d'occupation de moins de 100 % pour 100 établissements ou quartiers. 1178 (– 2 %) personnes écrouées, non hébergée en métropole et outre-mer. Le nombre de personnes placées sous surveillance électronique est de 871 (– 4,5 % par rapport à décembre 2005). Le nombre de personnes placées à l'extérieur, sans hébergement est de 307 (+ 5,86 %). Il est à noter que la statistique mensuelle de la population écrouée distingue, depuis mars 2003, les personnes écrouées détenues des personnes écrouées non hébergées. Cette dernière catégorie regroupe les personnes qui exécutent leur peine sous le régime du placement sous surveillance électronique ou qui bénéficient d'une mesure de placement à l'extérieur sans hébergement dans un établissement pénitentiaire.

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PROPOSITION DE CORRECTION

« La création du bracelet électronique » En ce début de troisième millénaire, si la liberté est posée comme un principe fondamental, le nombre de personnes incarcérées ne fait pourtant que croître et les établissements pénitentiaires ont du mal à accueillir tous les détenus. Au 1er janvier 2011, il y avait une population carcérale de 58 344 personnes, la densité carcérale est de 113,8 % (contre 115,7 % au mois de décembre 2005). La revendication populiste réclamant plus de loi et plus d'ordre conduit à un véritable choix de société qui annonce l'avènement d'une nouvelle pénologie : il ne s'agit plus de réhabilitation mais de gestion des personnes emprisonnées. La création du bracelet électronique par la loi du 19 décembre 1997, l'arrêté du 26 juin 2003 sur la reconnaissance biométrique des détenus, et la loi du 12 décembre 2005 instaurant le placement sous surveillance électronique mobile vont dans ce sens. Les détenus pourront dans certaines conditions porter à la cheville ou au poignet un bracelet qui leur permettrait de ne plus rester en prison. Ce système novateur qui permet à l'intéressé d'effectuer sa peine à son domicile sous surveillance électronique traduit un changement ambitieux (I) qui se heurte néanmoins à de nombreuses controverses (II).

1. Une réforme ambitieuse Le principe de l’assignation à résidence sous surveillance électronique a fait l’objet de nombreuses réflexions (A) avant que ne soient adoptées les lois de 1997 et 2005 consacrant le « placement sous surveillance électronique » comme modalités d’exécution de peines privatives de liberté. A Une expérience longuement réfléchie Dès le début des années soixante les États-Unis ont mis en place un système de surveillance électronique pour les libérés sur parole. Trente ans plus tard, des pays européens comme la Suède, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne appliquent aussi ce principe comme véritable peine de substitution. La France a alors envisagé la possibilité de recourir à cette méthode de télé-prison. Avec les alternances gouvernementales et les clivages politiques partageant la droite et la gauche françaises, le placement sous surveillance électronique (PSE) a en effet été proposé une première fois par la Commission Delmas-Marty, puis en 1990 dans un Rapport sur la modernisation du service pénitentiaire par Gilbert Bonnemaison ; enfin, le sénateur Guy Cabanel dans un Rapport au Premier ministre préconisa le bracelet électronique comme un moyen de prévenir la récidive. Il faudra finalement attendre 1996 pour que ce principe fasse l'objet d'une réelle discussion grâce à l'amendement parlementaire introduit par la Commission des lois au Sénat créant le placement sous surveillance électronique lors de l'examen du projet de loi sur la réforme de la détention provisoire.

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B Une législation parfaitement étudiée La loi n° 97-1159 du 19 décembre 1997 a prévu de strictes modalités d'application. La condition préalable exigée pour qu'un prévenu, majeur ou non, bénéficie de cette mesure est que la durée totale de sa condamnation à une ou plusieurs peines privatives de liberté ou celle qui lui reste à subir n'excède pas un an. Toutefois le condamné doit avoir donné son consentement en présence de son avocat. La mise en œuvre de ce système implique alors pour le condamné l'interdiction de s'absenter de son domicile ou d'un autre lieu désigné par le juge en fonctions des nécessités familiales et professionnelles de la personne placée sous PSE. Pour garantir le bon déroulement de cette surveillance, la loi impose un contrôle rigoureux permettant de détecter à distance la présence ou, le cas échéant, l'absence du condamné à son lieu d'assignation. En effet, relié à une ligne téléphonique, le bracelet émetteur envoie des signaux à un poste récepteur, ce qui permet la surveillance permanente du porteur. Si ce dernier s'éloigne d'un rayon de cinquante mètres de son lieu d'assignation ou tente de se débarrasser du bracelet, un signal sonore alerte immédiatement les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire chargés de la surveillance. La loi du 12 décembre 2005 sur la récidive des infractions pénales a créé le placement sous surveillance électronique mobile. Il se distingue du placement sous surveillance électronique fixe, assimilé à une « assignation à résidence électronique », qui empêche la personne porteuse du bracelet émetteur de s'éloigner du lieu fixé par le juge (généralement son domicile) en dehors de plages horaires fixées à l'avance. Le PSEM peut être utilisé, toujours avec le consentement de l'intéressé : pour le suivi socio-judiciaire des personnes majeures condamnées à une peine privative de liberté d'au moins sept ans et dont la dangerosité a été constatée par une expertise médicale ; comme modalité d'exécution de la peine (libération conditionnelle); ou comme mesure de surveillance judiciaire des personnes condamnées à une peine privative de liberté d'au moins dix ans pour certaines catégories de crimes ou de délits particulièrement graves (meurtre accompagné d'un viol, d'actes de tortures, agression sexuelle aggravée). Pourtant, si précises soient-elles, ces dispositions n'ont pas fait disparaître les polémiques relatives à l'instauration du bracelet électronique.

II. Un sujet controversé Même s'il est certain que le bracelet électronique présente de nombreux avantages (A), il souffre néanmoins d'handicaps importants entraînant des doutes sur son efficacité (B). A Des avantages non négligeables Il convient d'abord de rappeler que le bracelet électronique a été conçu comme une modalité permettant de faciliter l'aménagement de la peine, de contribuer au développement des alternatives à la prison visant à la réinsertion de la personne condamnée, de diminuer les risques de récidive. Les adeptes de cette méthode soulignent aussi ses bienfaits sur un plan social et psychologique. Sur un plan social, la solution du PSE s'avère moins néfaste pour le condamné qui n'est plus par définition coupé de son environnement familial et professionnel ; il peut reprendre son travail et ainsi subvenir à ses besoins. Ces

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bienfaits sur l'environnement social se répercutent dès lors sur un plan psychologique car en conservant son emploi, la personne ne se sent plus dépendante de l'État. Sa réinsertion l'aide à mieux supporter sa situation. Mais l'argument choc des partisans du PSE est l'argument financier : la prison domiciliaire coûterait 4 à 5 fois moins cher que la prison tout court. Malgré ses côtés positifs, le système de bracelet électronique ne fait pas disparaître pour autant les interrogations relatives à son efficacité. B Des réserves persistantes Pour beaucoup cette solution n'est pas la panacée. L'inconvénient majeur de cette mesure réside dans le fait que cette dernière peut entraîner un système de dilution de la notion de peine, avec une déresponsabilisation du condamné qui, se voyant relâché, ne prendra plus conscience de la gravité de ses actes. De plus, chaque condamné doit vouloir sa réinsertion ; or, il risque d'avoir une conduite correcte simplement parce qu'il se sait surveillé. Les détracteurs de ce système estiment aussi qu'il porte atteinte aux libertés individuelles (syndrome de Big Brother), marque le début de l'abandon progressif d'autres peines alternatives à l'emprisonnement, s'adresse davantage à la délinquance en col blanc et, appliqué dans le cadre de la détention provisoire, affecterait la présomption d'innocence. Enfin, transférer la prison à l'intérieur de la société peut comporter des dangers car le bracelet électronique n'est pas fiable à 100 % puisqu'il ne permet pas de s'assurer de la bonne conduite du condamné qui peut toujours commettre des illégalités de son domicile. Et de sérieuses lacunes demeurent en cas de panne du système. En définitive, l'introduction du bracelet électronique en France se fait très progressivement : au 1 1er janvier 2006, 871 personnes étaient placées sous surveillance électronique. Ce procédé doit encore faire ses preuves par une expérimentation qui devrait prendre encore plusieurs années.

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TRAVAIL SUR CORPUS DOCUMENTAIRE

Concours de catégorie C

DURÉE CONSEILLÉE

3 HEURES

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Les jeunes et la lecture

Documents joints

Document 1 : Daniel Pennac, Comme un roman, 1992. Document 2 : interview de Christian Baudelot par Anne Fohr, « Ils ont désacralisé le livre », Le Nouvel Observateur, 4 - 10 mars 1999. Document 3 : Jean-Paul Sartre, Les Mots, 1964. Document 4 : Florence Noiville et Raphaëlle Rérolle, « La lecture ne meurt pas, elle change », Le Monde, 19 mars 1999. Document 5 : illustration de Martin Veyron, pour le dossier « Mais si, ils aiment lire ! », Le Nouvel Observateur, 4 - 10 mars 1999.

QUESTIONS (3 points par question et 5 points pour la question de réflexion)

1) En quoi le document 5 vous semble-t-il caricatural ? Justifiez votre réponse. 2) À votre avis, le portrait que ce professeur de français, écrivain, ancien Prix Goncourt, dresse d’une classe de collège face à la lecture est-il inquiétant ? 3) Les documents 1 et 2 vous semblent-ils opposés ou complémentaires ? Justifiez votre réponse. En quoi le document 4 précise-t-il le document 2 ? 4) À partir de votre expérience personnelle, comment expliquez-vous que les filles soient plus assidues que les garçons en lecture ? 5) Dans le document 3, selon J.P. Sartre, à quoi cela sert-il de lire ? Après quoi, vous réfléchirez de façon construite et argumentée, en 55 à 60 lignes numérotées de 5 en 5, au sujet proposé : Selon vous, le système scolaire français actuel s’est-il adapté à l’évolution de la lecture chez les jeunes, ou a-t-il échoué à leur transmettre ce vecteur essentiel de formation intellectuelle ?

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DOCUMENT 1.

Dans les premiers jours de l'année scolaire, il m'arrive de demander à mes élèves de me décrire une bibliothèque. Pas une bibliothèque municipale, non, le meuble. Celui où je range mes livres. Et c'est un mur qu'ils me décrivent. Une falaise de savoir, rigoureusement ordonnée, absolument impénétrable, une paroi contre laquelle on ne peut que rebondir. - Et un lecteur ? Décrivez-moi un lecteur. - Un vrai lecteur ? - Si vous voulez, bien que je ne sache pas ce que vous appelez un vrai lecteur. Les plus « respectueux » d'entre eux me décrivent Dieu le Père soi-même, une sorte d'ermite antédiluvien, assis de toute éternité sur une montagne de bouquins dont il aurait sucé le sens jusqu'à comprendre le pourquoi de toute chose. D'autres me croquent le portrait d'un autiste (1) profond tellement absorbé par les livres qu'il se cogne contre toutes les portes de la vie. D'autres encore me font un portrait en creux, s'attachant à énumérer tout ce qu'un lecteur n'est pas : pas sportif, pas vivant, pas marrant, et qui n'aime ni la « bouffe », ni les « fringues », ni les « bagnoles », ni la télé, ni la musique, ni les amis ... et d'autres enfin, plus « stratèges », dressent devant leur professeur la statue académique du lecteur conscient des moyens mis à sa disposition par les livres pour accroître son savoir et aiguiser sa lucidité. Certains mélangent ces différents registres, mais pas un, pas un seul ne se décrit lui-même, ni ne décrit un membre de sa famille ou un de ces innombrables lecteurs qu'ils croisent tous les jours dans le métro. Et quand je leur demande de me décrire « un livre », c'est un OVNI qui se pose dans la classe : objet ô combien mystérieux, pratiquement indescriptible vu l'inquiétante simplicité de ses formes et la proliférante multiplicité de ses fonctions, un « corps étranger », chargé de tous les pouvoirs comme de tous les dangers, objet sacré, infiniment choyé et respecté, rangé avec des gestes d'officiant sur les étagères d'une

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bibliothèque impeccable, pour y être vénéré par une secte d'adorateurs au regard énigmatique. Le sacré Graal. Bien. Essayons de désacraliser un peu cette vision du livre que nous leur avons flanquée dans la tête par une description plus « réaliste » de la façon dont nous traitons nos bouquins, nous autres qui aimons lire. Daniel Pennac, Comme un roman, Gallimard, 1992. 1. Autiste : personne souffrant d’une incapacité à communiquer normalement avec le monde extérieur.

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DOCUMENT 2. Le Nouvel Observateur. - Et pourtant ils lisent... Pourquoi avez-vous introduit ce bémol « et pourtant » dans le titre de votre livre ? Ne pouviez-vous annoncer, comme vous l'aviez fait pour le niveau scolaire « Mais si, ils lisent ! » Christian Baudelot. - Les jeunes d'aujourd'hui lisent. Ce constat dément par les faits de nombreux discours proclamant la fin de la lecture. Loin d'être un bémol, notre « et pourtant » est une revanche du fait sur la prophétie. Ils lisent, mais sur un mode différent de celui qui fait de la lecture l'alpha et l'oméga de la formation intellectuelle : il faudrait lire pour vivre et on ne pourrait pas vivre sans lire, on lirait pour s'instruire aussi bien que pour se divertir et, au bout de l'étude, il y aurait le plaisir... Ce modèle-là ne fonctionne pas beaucoup chez les jeunes. N. 0. - Par quoi l'ont-ils remplacé ? Chr. Baudelot. - Ils ne l'ont pas remplacé, ils l'ont simplement relativisé, laïcisé, désacralisé ! La lecture est devenue pour eux un acte ordinaire, qui fait partie d'un univers où coexistent l'image, le son et l'écrit. Cette banalisation s'accompagne d'une prise de distance avec les hiérarchies littéraires véhiculées par l'école. Au total ils ne lisent pas énormément, mais ils lisent quand même, de différentes façons, y compris des auteurs qui n'ont pas de valeur aux yeux de la culture légitime. La lecture n'est pas pour eux une pratique morte. Ils ont des livres chez eux, s'en prêtent et parlent de leurs lectures avec leurs copains, et un cinquième des élèves s'identifie à des personnages de roman : au hit parade de leurs héros, Hercule Poirot et Julien Sorel enfoncent Michael Jackson et Rafa ! N. O. - Ce n'est pas très réjouissant pour les adultes que de voir un modèle ancien s’envoler en une génération... Chr. Baudelot. - Ce n'est pas un modèle ancestral ! La longue histoire du livre que nous racontent les historiens est faite de mutations et de ruptures. Nos ancêtres sont passés d'une lecture oralisée à une lecture silencieuse et visuelle. L'écrit, d'abord trésor à conserver, est devenu copie à étudier. On a lu intensivement peu de livres, puis extensivement beaucoup. Aujourd'hui on zappe autant qu'on lit ; l'informatique, Internet obligent beaucoup à lire... Il est probable qu'on assiste à la mutation d'un modèle de lecture plutôt qu'à une crise de la lecture ! N. O. - Les adolescents lisent, dites-vous. Mais dès votre premier chapitre, vous soulignez vous-même qu'ils lisent peu. Et, au total, le paysage que vous nous présentez est si contrasté que chacun trouvera des arguments : ceux qui prophétisent l'effondrement de la culture, comme ceux qui refusent ce discours de la décadence. Chr. Baudelot. - C'est un tableau en clair-obscur, comme tous ceux de la réalité sociale. Il nous montre deux pôles d'élèves bien identifiables : d'un côté, un petit quart de forts lecteurs réguliers, de l'autre un petit quart de très faibles lecteurs ou non-lecteurs. Au milieu, se dessine une moitié fluctuante de lecteurs instables, qu'on peut à nouveau subdiviser en deux groupes : une grosse majorité d'adolescents de

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bonne volonté, qui s'apparentent, en pointillé, aux forts lecteurs, et une minorité, qui ont davantage de points communs avec les petits et non-lecteurs. Suivant la façon dont on combine ces quatre sous-ensembles, on peut tout dire ! Déplorer qu'un bon cinquantième des jeunes soit brouillé avec l'écrit ou que 40 % ne lisent pas ou peu, se rassurer de voir 60 % avoir des relations positives avec le livre, et même jubiler que les trois quarts aient des rapports réguliers ou épisodiques avec le livre ! À chacun de décider si le verre est à moitié vide ou à moitié plein. En tout cas, ce n'est pas juin 40, comme le disent des académiciens éclairés. À cette époque d'ailleurs - faut-il le rappeler ? -, plus des trois quarts des Français n'ouvraient pas un livre ! Interview de Christian Baudelot par Anne Fohr, « Ils ont désacralisé le livre », Le Nouvel Observateur, 4-10 mars 1999.

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DOCUMENT 3. Au cours d'une de nos promenades, Anne-Marie s'arrêta comme par hasard devant le kiosque qui se trouve encore à l'angle du boulevard Saint-Michel et de la rue Soufflot : je vis des images merveilleuses, leurs couleurs criardes me fascinèrent, je les réclamai, je les obtins ; le tour était joué : je voulus avoir toutes les semaines Cri-Cri, l’Épatant, Les Vacances, Les Trois Boy-Scouts de Jean de la Hire et Le Tour du monde en aéroplane, d'Arnould Galopin qui paraissaient en fascicules le jeudi. D'un jeudi à l'autre je pensais à l'Aigle des Andes, à Marcel Dunot, le boxeur aux poings de fer, à Christian l'aviateur beaucoup plus qu'à mes amis Rabelais et Vigny. Ma mère se mit en quête d'ouvrages qui me rendissent à mon enfance : il y eut « les petits livres roses » d'abord, recueils mensuels de contes de fées puis, peu à peu, Les Enfants du capitaine Grant, Le Dernier des Mohicans, Nicolas Nickleby, Les Cinq Sous de Lavarède. À Jules Verne, trop pondéré, je préférai les extravagances de Paul d'Ivoi. Mais, quel que fût l'auteur, j'adorais les ouvrages de la collection Hetzel, petits théâtres dont la couverture rouge à glands d'or figurait le rideau : la poussière de soleil, sur les tranches, c'était la rampe. Je dois à ces boîtes magiques - et non aux phrases balancées de Chateaubriand - mes premières rencontres avec la Beauté. Quand je les ouvrais j'oubliais tout : était-ce lire ? Non, mais mourir d'extase : de mon abolition naissaient aussitôt des indigènes munis de sagaies, la brousse, un explorateur casqué de blanc. J'étais vision, j'inondais de lumière les belles joues sombres d'Aouda, les favoris de Phileas Fogg. Délivrée d'elle-même enfin, la petite merveille se laissait devenir pur émerveillement. À cinquante centimètres du plancher naissait un bonheur sans maître ni collier, parfait. [ ...] De ces magazines et de ces livres j'ai tiré ma fantasmagorie la plus intime : l'optimisme. Jean-Paul Sartre, Les Mots, Gallimard, coll. « Folio », 1964.

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DOCUMENT 4. Enjeu social et politique majeur depuis les grandes réformes de l'« Instruction publique », à la fin du XIXème siècle, la lecture - notamment la lecture des jeunes, vue à la fois comme « instrument de formation » et comme «vecteur de cohésion nationale» - engendre chaque année une masse de statistiques, d'enquêtes et de commentaires aussi abondants qu'alarmistes. Au point que les discours sur la lecture, révélateurs de nos valeurs et de nos craintes, mériteraient d'être considérés un jour comme objets d'études à part entière. Les jeunes ne lisent plus, dit-on. La crise serait telle que le livre s'effacerait chaque jour davantage de leur univers quotidien - ce que corroboreraient les statistiques montrant qu'une part croissante d'entre eux entre en sixième sans maîtriser les apprentissages fondamentaux. La situation dépeinte par Christian Baudelot, Marie Cartier et Christine Detrez dans Et pourtant ils lisent... est nettement plus nuancée. Ces trois sociologues ont tiré les leçons d'une enquête menée pendant quatre ans auprès de 1200 élèves de troisième, seconde, première et terminale, suivis tout au long de leur parcours. Premier constat : deux ensembles d'attitudes « extrêmes » peuvent être mis en évidence. Les très faibles et non-lecteurs, d'une part, qui représentent environ 22 % de la population observée et dont l'importance correspond exactement au groupe des lecteurs forts et réguliers (23 %). Deux profils intermédiaires d'autre part : celui des lecteurs intermittents, « moyens forts » et « moyens faibles », rassemblant respectivement 37 % et 18 % des jeunes étudiés. Ainsi, selon la façon dont on interprète cette typologie en agrégeant ces sous-ensembles, la proportion d'élèves concernés par la lecture varie du simple au triple, d'où la prudence avec laquelle il convient de manier les chiffres. Deuxième constat : cette configuration est remarquablement stable depuis dix ans. Elle confirme que le groupe de lecteurs assidus - qui compte près de deux tiers de filles - ne s'est pas érodé depuis le milieu des années 80. Troisième constat : lire est cependant devenu un acte ordinaire, dont l'attrait s'est amenuisé - la lecture « ne constitue l'activité préférée d'aucune catégorie d'élèves » - et qui ne représente plus une condition sine qua non de la réussite scolaire. Conclusion : ce n'est pas à la fin de la lecture que l'on assiste, mais à « la fin de la lecture comme fait culturel total », c'est-à-dire à la remise en cause du modèle littéraire et humaniste où le livre incarne « la source de toutes les connaissances, de toutes les expériences et de tous les divertissements ».

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Vous avez là un ensemble à peu près complet des épreuves que vous êtes susceptibles de trouver dans les concours des fonctions publiques nationale, territoriale et hospitalière. C’est sur ces types d’exercices que vous serez entraînés et évalués au cours de l’année. Ces exercices s’appuieront sur des thèmes présentés dans des corpus de culture générale afin que vous puissiez y puiser de l’argumentation si nécessaire.