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Pseudospectres identiques et super-identiques d’une matrice Thèse Samir Raouafi Doctorat en mathématiques Philosophiæ doctor (Ph.D.) Québec, Canada © Samir Raouafi, 2014

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Pseudospectres identiques et super-identiquesd’une matrice

Thèse

Samir Raouafi

Doctorat en mathématiquesPhilosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Samir Raouafi, 2014

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Résumé

Le pseudospectre est un nouvel outil pour étudier les matrices et les opérateurs linéaires.L’outil traditionnel est le spectre. Celui-ci peut révéler des informations sur le comportementdes matrices ou operateurs normaux. Cependant, il est moins informatif lorsque la matriceou l’opérateur est non-normal. Le pseudospectre s’est toutefois révélé être un outil puissantpour les étudier. Il fournit une alternative analytique et graphique pour étudier ce type descas. Le but de cette thèse est d’étudier le comportement d’une matrice non-normale A ense basant sur le pseudospectre. Il est bien connu que le théorème matriciel de Kreiss donnedes estimations des bornes supérieures de

∥∥An∥∥ et∥∥etA∥∥ en fonction du pseudospectre. En

1999, Toh et Trefethen [31] ont généralisé ce célèbre théorème aux polynômes de Faber et auxmatrices ayant des spectres dans des domaines plus généraux. En 2005, Vitse [34] a donné unegénéralisation du théorème aux fonctions holomorphes dans le disque unité. Dans cette thèse,on généralise le théorème matriciel de Kreiss aux fonctions holomorphes et aux matrices ayantdes spectres dans des domaines plus généraux. Certaines conditions devraient cependant êtrevérifiées.

L’étude du comportement d’une matrice au cas où la valeur exacte de la norme de la résolvanteest connue a été aussi remise en question. Il est bien connu que si A et B sont des matrices àpseudospectres identiques, alors

12 ≤

‖A‖‖B‖

≤ 2. (1)

Mais, qu’en est-il pour les puissances supérieures∥∥An∥∥/∥∥Bn

∥∥ ?En 2007, Ransford [21] a montré qu’il existe des matrices A,B ∈ CN×N avec des pseudos-pectres identiques et où

∥∥An∥∥ et ∥∥Bn∥∥ peuvent prendre des valeurs aléatoires et indépendantes

les unes des autres pour 2 ≤ n ≤ (N − 3)/2. Serait-il aussi le cas pour n assez grand ? Parailleurs, le pseudospectre est aussi utilisé pour étudier le semi-groupe etA, mais permet-il dedéterminer

∥∥etA∥∥ ?Cette thèse répond à toutes ces questions en démontrant des résultats plus généraux. Elle gé-néralise l’inégalité (1) aux transformations de Möbius. Elle montre aussi que la condition depseudospectre identique n’est pas suffisante pour déterminer le comportement d’une matrice.Cependant, la condition de pseudospectre super-identique pourrait l’être.

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Abstract

The theory of pseudospectra is a new tool for studying matrices and linear operators. Thetraditional tool is the spectrum. It reveals information on the behavior of normal matricesor operators. However, it is less informative as the matrix or the operator are non-normal.Pseudospectra have nevertheless proved to be a powerful tool to study them. They providean analytical and graphical alternative to study this type of case. The purpose of this thesisis to study the behavior of a non-normal matrix A based on its pseudospectra. It is wellknown that the Kreiss matrix theorem provides estimates of upper bounds of

∥∥An∥∥ and ∥∥etA∥∥according pseudospectra. In 1999, Toh and Trefethen [31] generalized the celebrated theoremto Faber polynomials and matrices with spectra in more general domains. In 2005, Vitse [34]generalized the theorem for holomorphic functions in the unit disk. In this thesis, the Kreissmatrix theorem is generalized to holomorphic functions and matrices with spectra in moregeneral domains. However, certain conditions should be imposed.

The behavior of a matrix if the exact knowledge of the resolvent norm is assumed has alsobeen questioned. It is well known that if A and B are matrices with identical pseudospectra,then

12 ≤

‖A‖‖B‖

≤ 2. (2)

But what about higher powers∥∥An∥∥/∥∥Bn

∥∥?In 2007, Ransford [21] showed that there exist matrices A,B ∈ CN×N with identical pseu-dospectra and where

∥∥An∥∥ and∥∥Bn

∥∥ can take more or less arbitrary values for 2 ≤ n ≤(N − 3)/2. Is it also the case for large n? Moreover, pseudospectra are also used to study thesemigroup etA, but do they allow us to determine

∥∥etA∥∥?This thesis addresses all these issues by demonstrating more general results. It generalizesthe inequality (2) to Möbius transformations. It also shows that the condition of identicalpseudospectra is not sufficient to determine the behavior of a matrix. However, the conditionof super-identical pseudospectra could do so.

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Table des matières

Résumé iii

Abstract v

Table des matières vii

Liste des figures ix

Remerciements xiii

Introduction 1

1 Pseudospectre et fonction holomorphe d’une matrice 31.1 Pseudospectre d’une matrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31.2 Borne d’une fonction holomorphe d’une matrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

2 Généralisation du théorème matriciel de Kreiss 152.1 Transformation de Faber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152.2 La constante de Kreiss . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202.3 Théorème matriciel de Kreiss pour un domaine quelconque . . . . . . . . . . . 23

3 Pseudospectre identique 333.1 Pseudospectre identique et le comportement d’une matrice . . . . . . . . . . . . 343.2 Normes plus générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

4 Pseudospectre super-identique 534.1 Définitions et propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 534.2 Pseudospectre super-identique et le comportement d’une matrice . . . . . . . . 56

Conclusion 61

Bibliographie 63

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Liste des figures

1.1 L’interface graphique EigTool . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71.2 Pseudospectre de A . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81.3 Norme des puissances de A . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81.4 Pseudospectre de B . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

2.1 Transformation conforme entre Ωc et Dc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

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À Sarra.

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Remerciements

Je tiens à remercier mon directeur de recherche, le professeur Thomas Ransford, pour sesconseils judicieux, sa disponibilité et tous les efforts qu’il n’a cessé de prodiguer tout aulong de cette thèse. J’ai beaucoup apprécié ses suggestions de lecture éclairantes, ses conseilspertinents et le sujet de la thèse qu’il m’a proposé.

Je profite aussi de l’occasion pour remercier les professeurs de département de mathématiqueset de statistique de l’Université Laval d’avoir contribué largement à ma formation duranttoutes ces années, plus particulièrement, Thomas Ransford, Line Baribeau, Javad Mashreghi,et Jérémie Rostand, avec qui j’ai suivi les cours les plus importants de ma carrière. Mes remer-ciements s’adressent également au directeur du département, le professeur Frédéric Gourdeau,et au personnel du département, notamment Sylvie Drolet, Suzanne Talbot et EmmanuelleReny-Nolin pour leur sympathie, leur aide et le plaisir que j’ai eu à être auxiliaire de rechercheet d’enseignement avec eux. Je garderai toujours un excellent souvenir de mon séjour à l’Uni-versité Laval. Je n’oublie pas aussi mes professeurs à l’École Normale Supérieure de Tunis età l’Université de Tunis El Manar où j’ai débuté ma carrière.

Je voudrais exprimer aussi mes sentiments de gratitude au ministère de l’enseignement su-périeur et de la recherchede de la Tunisie pour la bourse de l’excellence qu’il m’a octroyé àfin de poursuivre mes études supérieures à l’Université Laval. Merci aussi à L’ISM, l’Institutdes Sciences Mathématiques, et à mon superviseur, le professeur Thomas Ransford, pour leursupport financier.

J’aimerai aussi remercier tous mes amis qui ont fait de Québec un milieu spécial et précieux. Ilsm’ont fourni beaucoup d’encouragement et une bonne compagnie. Je devrais aussi reconnaîtrele support moral et inestimable que j’ai eu de la communauté musulmane de Québec au CCIQ(Centre Culturel Islamique de Québec) et à l’AEMUL (Association des Étudiants Musulmansde l’Université Laval) où j’ai participé à leur conseil d’administration depuis plusieurs années.

Finalement, je remercie sincèrement mes parents, mes soeurs, mes frères, ainsi que ceux dema femme pour m’avoir toujours encouragé dans mes études et m’avoir toujours supporté.Les mots me manquent pour exprimer ma gratitude à ma chère femme Yamina que sondévouement, son amour et sa confiance en moi m’ont aidé beaucoup à surmonter toutes les

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difficultés et les défis. Un dernier remerciement pour le meilleur cadeau que j’ai eu à la fin dema thèse, ma belle-fille Sarra. Son sourire me fait oublier tous les travaux fatiguants de jourset des nuits. Cette thèse est en grande partie le fruit de votre aide appréciable surtout auxmoments décourageant que j’ai vécu.

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Introduction

Le pseudospectre est un outil important pour étudier des nombreux problèmes mathéma-tiques. Les équations de la forme dx/dt = Ax ou xn+1 = Axn, où A est une matrice ou unopérateur linéaire, est l’un des plus importants de ces problèmes. Ces équations ramènent àl’étude des semi-groupes etA et An. L’image numérique et le spectre permettent de déterminerles taux de croissance initiaux et asymptotiques respectivement de

∥∥etA∥∥ et∥∥An∥∥. Pour les

valeurs intérmédiaires de t et n, on trouve le célèbre théorème matriciel de Kreiss fournissantune borne supérieure pour

∥∥etA∥∥ et∥∥An∥∥ en fonction de celle de la norme de la résolvante∥∥(zI −A)−1∥∥. Si A est normale, alors il est bien connu que

∥∥(zI −A)−1∥∥ = 1/dist(z, σ(A)

)et

par conséquent la norme de la résolvante serait complètement déterminée par le spectre. Parcontre, si A est non-normale, alors la norme de la résolvante

∥∥(zI −A)−1∥∥ peut s’éloigner de1/dist

(z, σ(A)

)d’une façon spectaculaire et par suite l’étude du pseudospectre sera inévitable.

La première définition du pseudospectre a été donnée en 1967 par Varah dans sa thèse intitulée“The computaion of bounds for the invariant subspaces of a general matrix operator [36]”. Puisen 1979, il l’a introduit dans l’article [37] pour étudier l’équation de Sylvester AX−XB = C.En 1975, Landau a publié l’article [17] qui utilise le pseudospectre pour étudier les matricesde Toeplitz et les opérateurs intégrales associés. Ensuite, Godunov et ses collègues ont faitdes recherches liées au pseudospectre dans les années 1980. Ces recherches ont été principa-lement orientées vers le développement de techniques visant la garantie de la précision dansle calcul de valeurs propres. À partir de 1990, Trefethen et ses collègues ont publié plusieursarticles présentant notamment l’importance du pseudospectre dans l’étude des matrices et desopérateurs linéaires non-normaux. D’autres chercheurs se sont intéressés également au pseu-dospectre et ils l’ont appliqué dans des nombreux domaines de recherches. Parmi ces domainesd’application, on peut citer les sciences de l’atmosphère, la théorie du contrôle, l’écologie, lastabilité hydrodynamique, les lasers, la magnétohydrodynamique, les chaînes de Markov, lesitérations des matrices, l’analyse des erreurs d’arrondissement, la théorie des opérateurs, lamécanique quantique, et la solution numérique des équations différentielles. Pour plus desdétails sur l’histoire du pseudospectre et ses divers applications, voir [32, §2 et §6].

Dans le cadre de cette thèse, on a remis en question la philosophie du livre de Trefethen et

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Embree “Spectra and pseudospectra [32]” qui prévoit que pour déterminer une estimation dela norme d’une fonction holomorphe d’une matrice ou d’un opérateur linéaire non-normale,il est important d’étudier non seulement le spectre, mais également le pseudospectre. Il estbien connu que le théorème matriciel de Kreiss donne une estimation de supn≥0

∥∥An∥∥ etsupt≥0

∥∥etA∥∥ en fonction du pseudospectre à un facteur constant près. Dans cette thèse, onva généraliser ce célèbre théorème pour les fonctions holomorphes et aux matrices ayant desspectres dans des domaines plus généraux. En second lieu, on va étudier le comportementd’une matrice en utilisant le pseudospectre, au moins lorsque le comportement est interprétédans le sens de la norme d’une fonction holomorphe d’une matrice. Autrement dit, on veutsavoir quels résultats on peut tirer quand on connait la valeur exacte de la résolvante.

Le premier chapitre de cette thèse est consacré au rappel de quelques propriétés de base dupseudospectre. Il servira donc à introduire les chapitres qui suivent en présentant le théorèmematriciel de Kreiss pour An et pour etA par rapport au disque unité et au demi-plan à gaucherespectivement. Il permet aussi d’étudier le comportement d’une matrice en utilisant le spectreet l’image numérique. Le deuxième chapitre généralise le théorème matriciel de Kreiss auxfonctions holomorphes définies sur des domaines plus généraux. Les résultats qu’on va montrersont basés sur des travaux majeurs effectués par Toh et Trefethen [31] et Vitse [34]. Toh etTrefethen ont généralisé ce célèbre théorème aux polynômes de Faber. Vitse lui a donné unegénéralisation aux fonctions holomorphes sur le disque unité. Le troisième chapitre traitela question de la détermination du comportement d’une matrice par le pseudospectre. Onprésente tout d’abord les théorèmes inattendus 3.1.3 et 3.1.5 de Ransford [21] qui montrentque le pseudospectre ne détermine pas la norme

∥∥An∥∥ lorsque 2 ≤ n ≤ (N − 3)/2 pour unematrice A ∈ CN×N . Un des objectifs de cette thèse est d’étudier le cas n > (N − 3)/2. Unequestion encore ouverte et qui est très intéressante dans les applications est : est-ce que lepseudospectre détermine

∥∥An∥∥ pour n > (N − 3)/2 ? Le pseudospectre est également utilisépour étudier les exponnentielles eA. Une autre question d’intérêt et qui n’a jamais été étudiéeà nos connaissances est celle de la détermination de la norme

∥∥eA∥∥. On va étudier ces dérnièresquestions et leur donner une réponse définitive qui clôture la question de la déterminationde comportement d’une matrice par le pseudospectre. Plus précisément, on montre dans cechapitre que le pseudospectre détermine seulement la norme d’une transformation de Möbiusd’une matrice à un facteur constant près. Le quatrième chapitre présente une alternativeintroduite par Ransford [21]. Il prévoit que le pseudospectre super-identique détermine lecomportement d’une matrice à un facteur constant près. On présente les résultats obtenusdans [9, 21, 22]. Ceux-ci donnent des réponses partielles aux questions posées dans le troisièmechapitre et laissent certaines autres questions ouvertes.

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Chapitre 1

Pseudospectre et fonctionholomorphe d’une matrice

Une question centrale dans la théorie spectrale est la suivante : comment estimer la normed’une fonction holomorphe d’une matrice ? Parmi les techniques utilisées pour répondre àcette question certaines sont basées sur l’étude du spectre, d’autres sont basées sur l’étudede l’image numérique et enfin certaines sont basées sur l’étude du pseudospectre. Le présenttravail est consacré essentiellement à étudier les techniques utilisant le pseudospectre. Afinde favoriser une meilleure compréhension de ce qui suivra, on va rappeler dans ce chapitredes notions fondamentales du pseudospectre et présenter quelques résultats intéressants enutilisant d’autres techniques.

1.1 Pseudospectre d’une matrice

1.1.1 Définitions et propriétés

Soit N ≥ 1. On dénote par CN l’espace des vecteurs complexes de dimension N , et par CN×N

l’algèbre des matrices N ×N à coefficients complexes. On définit par |x| :=(∑N

k=1 |xk|2) 1

2 lanorme euclidienne sur CN , et par ‖A‖ := sup|x|=1 |Ax| la norme matricielle associé à | · | surCN×N . On considère la norme de la résolvante

(zI−A

)−1 d’une matrice A comme une fonctionà variable complexe z. Si z est une valeur propre de A, alors par convention

∥∥(zI − A)−1∥∥est l’infini. On rappelle qu’une matrice U est dite unitaire si U U∗ = U∗ U = I, où U∗

est la matrice adjointe de U et I est la matrice identité. Une matrice A est dite normalesi AA∗ = A∗A. Dans ce cas, on peut montrer que A est normale si elle est unitairementdiagonalisable : A = U V U∗, où U est une matrice unitaire et V est une matrice diagonale.Ainsi, si A est normal, alors

∥∥∥(zI −A)−1∥∥∥ = 1

dist(z, σ(A)) , (1.1)

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où σ(A) dénote le spectre de A et dist(z, σ(A)) est la distance usuelle entre le point z etl’ensemble σ(A). Ainsi, la norme de la résolvante d’une matrice normale est entièrementdéterminée par le spectre. Au contraire, si A est une matrice non-normale, la quantité (1.1)ne donne qu’une borne inférieure, et

∥∥∥(zI − A)−1∥∥∥ peut atteindre des valeurs assez grandes.

Cette façon de penser nous amène à notre première définition de pseudospectre.

Définition 1.1.1. Le ε-pseudospectre σε(A) d’une matrice A est l’ensemble des z ∈ C tel que∥∥∥(zI −A)−1∥∥∥ > 1

ε.

En particulier, le spectre est inclus dans le ε-pseudospectre pour tout ε > 0. Si A est unematrice normale, alors l’identité (1.1) implique que son ε-pseudospectre se compose en desdisques de rayon ε entourant les valeurs propres. L’importance de pseudospectre se pose pourles matrices non-normales A, pour lesquelles

∥∥∥(zI −A)−1∥∥∥ peut-être grande même lorsque le

nombre complexe z est loin du spectre.

Le résultat suivant montre qu’on peut aussi décrire le pseudospectre en terme des valeurspropres approximatives.

Propriété 1.1.2. Soient ε > 0, A ∈ CN×N et z /∈ σ(A). Alors z ∈ σε(A) si et seulement s’ilexiste un vecteur v ∈ CN tel que

∥∥(zI −A)v∥∥ < ε‖v‖.

Le nombre complexe z ∈ σε(A) est appelé une valeur ε-pseudopropre de A, et le vecteur vcorrespondant est appelé le vecteur ε-pseudopropre de A associé à z. En d’autres mots, leε-pseudospectre est l’ensemble des valeurs ε-pseudopropres.

Démonstration. Si∥∥(zI − A

)−1∥∥ > 1ε , alors il existe un vecteur non-nul u ∈ CN tel que∥∥(zI −A)−1

u∥∥ > 1

ε‖u‖. Pour v =(zI −A

)−1u, on peut écrire

∥∥(zI −A)v∥∥ < ε‖v‖.

La réciproque est semblable.

La propriété suivante franchit une deuxième caractérisation du pseudospectre basée sur larelation entre la norme de la résolvante et la perturbation des valeurs propres.

Propriété 1.1.3. Soient ε > 0, A ∈ CN×N et z /∈ σ(A). Alors z ∈ σε(A) si et seulement s’ilexiste une matrice E ∈ CN×N , ‖E‖ < ε, telle que z ∈ σ(A+ E).

En d’autres mots, le ε-pseudospectre de A est l’ensemble des valeurs propres d’une matricede perturbation A+ E avec ‖E‖ < ε.

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Démonstration. Si z ∈ σε(A), alors la propriété (1.1.2) implique qu’il existe un vecteur unitairev ∈ CN tel que

∥∥(zI − A)v∥∥ < ε. Soit u ∈ CN un vecteur unitaire tel que (A − z I)v = s u

pour s < ε. On peut donc écrire

z v = Av − s u v∗ v = (A− s u v∗I)v.

C’est à dire z ∈ σ(A+ E) avec E := s u v∗I.Réciproquement, si z ∈ σ(A+E) pour une matrice E avec ‖E‖ < ε, alors il existe un vecteurv ∈ CN tel que (A + E) v = z v. Ainsi, si z /∈ σ(A), alors on peut écrire v = (z I − A)−1E v

et on a

1 = ‖v‖ =∥∥(z I −A)−1E v

∥∥ ≤ ∥∥(z I −A)−1∥∥ ‖E‖< ε

∥∥(z I −A)−1∥∥.

On rappelle que les valeurs singulières d’une matrice A ∈ CN×N sont les racines carréesdes valeurs propres de A∗A. On les note s1(A), s2(A), . . . , sN (A) par ordre décroissant. Ladécomposition en valeurs sigulières de A est A = UΣV , où U et V sont des matrices unitaireset Σ = diag(s1, s2, . . . , sN ) est une matrice diagonale. En particulier, on a

‖A‖ = s1(A) et ‖A−1‖ = 1sN (A) .

Une des principales méthodes de calcul du pseudospectre de A est de calculer les valeurssigulières de zI −A pour z ∈ C, puis on utilise le fait que∥∥(zI −A)−1∥∥ = s1((zI −A)−1) = 1

sN (zI −A) .

La commande EigTool de Matlab produit des images de courbes des niveaux de la norme dela résolvante en utilisant la dernière équation. Pour plus d’information voir [32, §39].

Théorème 1.1.4. Pour tout A ∈ CN×N , l’ensemble σε(A) est non-vide, ouvert, borné et aau plus N composantes connexes dont chacune contient au moins une valeur propre de A.

Démonstration : Il est clair que pour chaque ε > 0, l’ensemble σε(A) est non-vide, ouvertet borné. Pour montrer qu’il a au plus N composantes connexes dont chacune contient aumoins une valeur propre de A, on peut utiliser le fait que la fonction z 7→ log

∥∥(z I − A)−1∥∥est sous-harmonique et elle vérifie donc le principe du maximum sur C\σ(A). Pour obtenirdes résultats sur les fonctions sous-harmoniques, on réfere le lecteur aux [6, § X] et [20, § 2].

On note par D := z ∈ C : |z| < 1 le disque unité ouvert et par D := z ∈ C : |z| ≤ 1 safermeture. On utilise aussi la notation Dε pour désigner le disque ouvert centré à l’origine etde rayon ε.

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Théorème 1.1.5. Si A est diagonalisable, i.e. A = V DV −1 où V est inversible et D estdiagonale, alors

σ(A) + Dε ⊆ σε(A) ⊆ σ(A) + Dεk(V ), ∀ε > 0,

où k(V ) := ‖V ‖ ‖V −1‖ est le nombre de condition de V .

Démonstration. Si z ∈ σ(A), alors z + ξ ∈ σ(A + ξ I) pour tout ξ ∈ Dε. On déduit donc dela propriété (1.1.3) que z + ξ ∈ σε(A). Pour la deuxième inclusion, on a

(z I −A)−1 = (z I − V D V −1)−1 = V (z I −D)−1 V −1.

Cela entraîne que

∥∥(zI −A)−1∥∥ ≤ k(V )∥∥(zI −D)−1∥∥ = k(V )

dist(z, σ(A)) .

On termine cette section par le théorème suivant qui rassemble quelques propriétés du pseu-dospectre.

Théorème 1.1.6. Soient A et U appartiennent à CN×N telles que U soit unitaire, et soitε > 0. Alors

(i) σε(UAU∗) = σε(A).

(ii) σε(A∗) = σε(A), où le bar désigne le conjugué des nombres complexes.

(iii) σε(A1 ⊕A2) = σε(A1) ∪ σε(A2).

(iv) σε(A+ cI) = c+ σε(A) pour tout c ∈ C.

(v) σε(cA) = c σε/|c|(A) pour tout c ∈ C\0.

Dans la propriété (iii), la matrice A1 ⊕A2 dénote la somme directe des deux matrices A1 etA2 qui est définie par la matrice diagonale par block suivante :

A1 ⊕A2 :=(A1 00 A2

)

Pour la démonstration de ces propriétés, voir [32, §2].

1.1.2 Quelques exemples

Une perturbation d’une matrice normale avec une matrice de norme ε ne déplace pas lesvaleurs propres d’une distance supérieure à ε. En fait, l’identité 1.1 montre que σε(A) secompose de disques de rayon ε centrés à chaque valeur propre. Mais pour de nombreux ma-trices non-normales, des petites perturbations peuvent se déplacer les valeurs propres de façon

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phénoménale. Dans ce cadre, le calcul du pseudospectre de ces matrices devient inévitablepour les étudier, et cela peut se faire tout simplement en utilisant la commande EigTool deMatlab, voir la figure 1.1. Ce logiciel est une interface graphique de Matlab pour calculerles valeurs propres, le pseudospectre, l’image numérique et les quantités connexes pour lesmatrices non-normales. Il a été dévéloppé à la periode 1999-2002 par Thomas G. Wright aulaboratoire informatique de l’Université Oxford sous la direction de Lloyd N. Trefethen. Pourplus d’information sur EigTool, voir [38].

Figure 1.1: L’interface graphique EigTool

Exemple 1.1.7. La matrice tridiagonale A := triadiag(1/4, 0, 1) de dimension 32, voir [22].

A :=

0 11/4 0 1

. . . . . . . . .1/4 0 1

1/4 0

Les valeurs propres de A sont λk = cos(kπ33 ) pour k = 1, 2, . . . , 32, voir [32, § I]. En particulier,son rayon spectral est strictement inférieur à 1, et cela implique que ‖An‖ → 0 lorsque n→∞.

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Cependant, comme il montre la figure 1.3, la norme de An atteint des valeurs très grandesavant de converger vers 0. Ce genre de comportement est important dans les applications, etil est important de comprendre et de prédire quant cela se produit.

Figure 1.2: Pseudospectre de A Figure 1.3: Norme des puissances de A

La figure 1.2 illustre les frontières de σε(A) pour ε = 10−2, 10−3, . . . , 10−8. Les points solidescorrespondent aux valeurs propres et l’ellipse pointillé correspond à la frontière de l’imagenumérique. Dans la figure 1.3, on trouve l’évolution de la norme ‖Ak‖ en fonction de k.

Exemple 1.1.8. La matrice Grcar de dimension 32, voir exemple 3 dans [33].

B :=

1 1 1 1−1 1 1 1 1

. . . . . . . . . . . . . . .−1 1 1 1 1

−1 1 1 1−1 1 1

−1 1

.

Une caractéristique intéressante de cet exemple est que le pseudospectre ne contient pasl’origine. Par exemple, l’image numérique de cette matrice le contient, mais les valeurs propresen sont loins, voir la figure 1.4.

Les courbes de la figure 1.4 représentent les frontières de σε(A) pour ε = 10−1, 10−1.5, 10−2 et10−2.5, les points solides représentent les valeurs propres et la courbe pointillé représente lafrontière de l’image numérique.

D’autres exemples de pseudospectre des matrices sont présentés au [33].

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Figure 1.4: Pseudospectre de B

1.2 Borne d’une fonction holomorphe d’une matrice

Dans cette section, on va introduire quelques relations entre le “lieu” d’une matrice A dansle plan complexe et la quantité ‖f(A)‖ pour une fonction f . Dans ce qui suit, on appellecette quantité le “comportement” de A. Parmi les lieux d’une matrice dans le plan complexeque l’on pourrait considérer on trouve le spectre, l’image numérique et le pseudospectre. Lespectre et l’image numérique sont déterminés par les ε−pseudospectres lorsque ε → 0 etε→∞ respectivement, voir [13, §5].

Si A est normal, alors, le théorème spectral [8], implique que

‖f(A)‖ = supz∈σ(A)

|f(z)|,

pour toute fonction f holomorphe sur un voisinage de σ(A). Ainsi, le comportement d’unematrice normale est complètement déterminé par son spectre. Notre principale préoccupationdans cette thèse est l’étude des matrices non-normales, et il est clair que le spectre seul nepeut pas déterminer leurs comportements.

1.2.1 L’image numérique et le comportement d’une matrice

On rappelle que l’image numérique d’une matrice A ∈ CN×N est l’ensembleW (A) défini par :

W (A) :=x∗Ax : x ∈ CN , ‖x‖ = 1

.

C’est un sous-ensemble compact, convexe de C et il contient σ(A). Si A est normal, alorsW (A) est le plus petit convexe qui contient σ(A). Pour plus de détails sur les propriétés de

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l’image numérique, voir [14] et [24].

Les théorèmes qui suivent nous donnent la relation entre l’image numérique et le pseudos-pectre. On peut trouver des démonstrations de ces théorèmes dans [32, §17].

Théorème 1.2.1. La norme de la résolvante de A satisfait

∥∥(zI −A)−1∥∥ ≤ 1dist(z,W (A)) , ∀z /∈W (A).

Ce théorème, qui a été démontré depuis plusieurs années [29], implique que le pseudospectresatisfait

σε(A) ⊂W (A) + Dε, ∀ε > 0.

Inversement, on a le théorème suivant.

Théorème 1.2.2. [32, Théorème 17.2] L’ensemble W (A) est l’intersection de tous les demi-plans H ⊆ C qui satisfassent

σε(A) ⊆ H + Dε, ∀ε > 0.

Une application importante de l’image numérique est l’estimation du comportement de ‖et A‖comme une fonction de t comme il ressort du théorème suivant.

Théorème 1.2.3. [32, Théorème 17.1] Soit A ∈ CN×N . Posons ω(A) := supz∈W (A)Re(z)l’abscisse numérique de A. Alors,

‖et A‖ ≤ et ω(A), ∀t ≥ 0

et

‖et A‖ = et ω(A) + o(t) (t→ 0).

En particulier ‖et A‖ ≤ 1 pour tout t ≥ 0 si et seulement si ω(A) ≤ 0.

On voit dans ce théorème que l’image numérique répond à certaines questions au sujet ducomportement d’une matrice, mais dans d’autres applications l’information obtenue est ap-proximative. Par exemple, il ne répond pas à la question de savoir s’il existe une constante Ctelle que ‖et A‖ ≤ C pour tout t ≥ 0, i.e. si A est stable. Une condition suffisante pour celaest ω(A) ≤ 0. On peut voir qu’il n’y a pas une condition nécessaire et suffisante en notantque les matrices

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A =(−1 40 −1

), B =

−1 4 00 −1 00 0 1

ont la même image numérique qui est le disque fermé de centre -1 et de rayon 2. Toutefois, lamatrice A est stable tandis que B ne l’est pas, voir [32, §17].

Récemment, M. Crouzeix [7] a montré un théorème intéressant qui détermine le comportementd’une matrice en fonction de son image numérique.

Théorème 1.2.4. Soit f une fonction holomorphe sur un voisinage de W (A). Alors

‖f(A)‖ ≤ 11, 08 supz∈W (A)

|f(z)|.

Ce théorème prouve aussi que l’image numérique répond à certaines questions au sujet ducomportement d’une matrice. Cependant, dans de nombreuses autres applications, l’ensembleW (A) est assez grand et il empêche cette borne d’être significative. Par exemple, dans lesdeux situations qui suivent, on veut que supz∈W (A) |f(z)| soit aussi petit que l’on veut.

– f(z) = zk, mais W (A) contient des z ∈ C avec |z| ≥ 1.

– f(z) = et z, mais W (A) contient des z ∈ C avec Re(z) ≥ 0.

1.2.2 Le théorème matriciel de Kreiss

Le théorème matriciel de Kreiss a été initialement publié par Heinz-Otto Kreiss [16]. Ildonne une estimation de supn≥0 ‖An‖ ou supt≥0 ‖et A‖, pour une matrice A, en fonction dela constante de Kreiss K(A). Pour l’estimation de la norme de la puissance d’une matrice, laconstante K(A) est définie par la formule suivante

K(A) := sup|z|>1

(|z| − 1)∥∥(zI −A)−1∥∥.

De façon équivalente, cette constante peut être définie en fonction du rayon pseudospectralcomme suit

K(A) := supε>0

ρε(A)− 1ε

,

où ρε(A) := supz∈σε(A) |z| est le rayon ε−pseudospectral de A. La constante de Kreiss mesureà quel point le pseudospectre peut s’éloigner du disque unité.

Si la constante K(A) est finie, on dit que la matrice A satisfait la condition de Kreiss.

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Théorème 1.2.5. Pour toute matrice A ∈ CN×N , on a

K(A) ≤ supn≥0‖An‖ ≤ eN K(A).

Ce théorème prouve que la borne supérieure de la suite ‖An‖ est égale K(A) à une constanteprès inférieur ou égale à eN . Par exemple si on l’applique à l’exemple 1.1.7, on voit bienque le pseudospectre montre que ‖An‖ atteint des valeurs assez grandes avant de convergervers 0. En regardant le nombre z = 1, 01, on peut lire directement dans la figure 1.2 que∥∥(zI −A)−1∥∥ > 107, ainsi le théorème de Kreiss implique que supn≥0 ‖An‖ > 105.

La constante eN du théorème 1.2.5 a été obtenue après plusieurs développements de la décla-ration initiale du théorème matriciel de Kreiss en 1962. La preuve originale de Kreiss montrel’estimation

K(A) ≤ supn≥0‖An‖ ≤ K(A)NN

.

Puis elle a eu des améliorations par Morton en 1964, Strang en 1966 et Miller en 1967 qui ontdiminué la borne supérieure à 6N (N + 4)5NK(A), NNK(A) et e9N2K(A) respectivement.Après quelques années Strang a observé qu’un document de Laptev découle implicitementd’une estimation beaucoup plus raisonnable qui est 32

π eN2K(A), voir [32, 19]. En 1981, Tad-

mor [30] a montré, en utilisant la formule intégrale de Cauchy à l’argument adapté de Laptev,que cette borne est linéaire en N et il l’a réduit à 32

π eNK(A). Leveque et Trefethen [19] ontminimisé cette borne en 1984 à 2eNK(A) et ils ont conjencturé que la borne optimale esteNK(A). En 1985, Smith [26] a réduit cette borne à (1 + 2

π )eNK(A) et enfin Spijker [28] aprouvé cette conjecture en 1991. La démonstration se repose sur un lemme qui fournit uneborne supérieure pour la longueur d’arc de l’image du cercle unité dans le plan complexe parune fonction rationnelle, voir [32, § 18] pour plus d’informations.

Il est intéressant aussi de savoir quelques informations sur la taille de∥∥etA∥∥ comme une

fonction de t en utilisant le pseudospectre. Le taux de croissance asymptotique de cette normeest complètement déterminé par le spectre de A et il est donné par l’équation

limt→∞

t−1 log∥∥etA∥∥ = α(A),

où α(A) := supz∈σ(A)Re(z) est l’abscisse spectrale de A, voir [8, Théorème 10.1.6]. Le théo-rème 1.2.3 montre que l’image numérique fournit le taux de croissance initial qui est donnépar

limt→0

t−1 log∥∥etA∥∥ = ω(A),

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où ω(A) est l’abscisse numérique de A. Notre intérêt principal ne se limite pas à savoirseulement les deux cas t→∞ ou t→ 0 mais aussi toutes les valeurs intérmidiaires possiblesde t. L’image numérique et le spectre donnent les bornes suivantes

∥∥etA∥∥ ≥ etα(A) et∥∥etA∥∥ ≤ etω(A) (t ≥ 0).

Si la matrice A := V DV −1 est diagonalisable, alors on a la borne supérieure suivante

∥∥etA∥∥ ≤ k(V )etα(A) (t ≥ 0).

Cette borne est intéressante mais dans la plupart des applications le nombre de conditionk(V ) est assez grand ou difficile à déterminer.

Pour obtenir des bornes optimales, il est intéressant d’utiliser le pseudospectre ou de façonéquivalente la norme de la résolvante. Si on suppose que α(A) < 0, alors pour tout z ∈ C telque Re(z) > 0, on obtient à partir de la transformation de Laplace la représentation suivante∫ ∞

0etAe−ztdt = (zI −A)−1.

Cette formule fournit une borne inférieure très utile dans la pratique et elle est donnée parl’inégalité suivante

supt≥0

∥∥etA∥∥ ≥ αε(A)ε

(ε ≥ 0), (1.2)

où αε(A) := supz∈σε(A)Re(z) est l’abscisse pseudospectrale de A. Supposons que A est unematrice avec α(A) < 0 et le pseudospectre σε(A) intervenant dans le demi-plan à droite,autrement dit αε(A) > ε pour certains ε > 0. L’inégalité (1.2) montre qu’on doit avoir unecroissance transitoire. Si par exemple

∥∥(zI−A)−1∥∥ = 105 pour un z ∈ C tel que Re(z) = 0.01,alors αε(A) ≥ 0.01 pour ε = 10−5. On doit donc avoir une croissance transitoire de grandeursupérieure ou égale 103.

Si on définit la constante de Kreiss de A par rapport au demi-plan à gauche par

K(A) := supε>0

αε(A)ε

= supRe(z)>0

(Re(z)

)∥∥(zI −A)−1∥∥,alors l’inégalité (1.2) implique

supt≥0

∥∥etA∥∥ ≥ K(A).

Le théorème suivant est le théorème matriciel de Kreiss pour l’exponentielle qui fournit laborne supérieure de l’inégalité précédente.

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Théorème 1.2.6. Pour toute matrice A ∈ CN×N , on a

K(A) ≤ supt≥0

∥∥etA∥∥ ≤ eN K(A),

où K(A) est la constante de Kreiss de A par rapport au demi-plan à gauche.

La démonstration de ce théorème est semblable au cas des puissances et se repose aussi surle même lemme de Spijker [28]. Pour plus de détails, voir par exemple [32, Chapitre 18].

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Chapitre 2

Généralisation du théorèmematriciel de Kreiss

Dans ce chapitre, on rappelle tout d’abord les propriétés de la transformation de Faber quiseront utiles par la suite. On présente ensuite une généralisation de la constante de Kreiss pourles domaines compacts et leurs complémentaires simplement connexe. Enfin, on présente unegénéralisation du théorème matriciel de Kreiss pour les polynômes de Faber puis les fonctionsholomorphes des matrices ayant des spectres dans des domaines plus généraux.

2.1 Transformation de Faber

2.1.1 Polynôme et série de Faber

Soit Ω un ensemble compact du plan complexe C tel que son complémentaire Ωc soit simple-ment connexe dans la sphère de Riemann C∞ := C ∪ ∞. Selon le théorème de Riemann[11], il existe une unique transformation conforme φ de Ωc vers Dc normalisée par φ(∞) =∞et φ′(∞) > 0, voir la figure 2.1,

w = φ(z) := dz + d0 +∞∑k=1

dkzk, (d > 0), z ∈ Ωc.

Si ψ : Dc → Ωc est la transformation inverse de φ, alors elle a un développement de Laurent,similaire à φ, de la forme suivante

z = ψ(w) := cw + c0 +∞∑k=1

ckwk

, w ∈ Dc,

où c = 1/d est la capacité logarithmique de Ω.

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Figure 2.1: Transformation conforme entre Ωc et Dc

Le nième polynôme de Faber Fn(z), pour n = 0, 1, 2, · · · , associé à Ω (ou bien à φ) est la partiepolynômiale de la série de Laurent de [φ(z)]n, qui est un polynôme de degré n.

Exemple 2.1.1. Si Ω =z ∈ C : |z − z0| ≤ R

, un disque fermé de centre z0 et de rayon R,

alors

φ(z) = 1R

(z − z0), ψ(w) = Rw + z0 et Fn(z) = R−n(z − z0)n,

pour tout z ∈ Ωc, w ∈ Dc et n ≥ 0.

Pour tout r ≥ 1, on note par Tr le cercle centré à l’origine et de rayon r et par Γr la courbefermée ψ(Tr). On considère les intégrales, avec ζ = ψ(w),

12πi

∫Γr

[φ(ζ)]n

ζ − zdζ = 1

2πi

∫Tr

wnψ′(w)ψ(w)− z dw, z ∈ int(Γr),

où int(Γr) dénote l’intérieur de Γr. Puisque la série de Laurent de [φ(ζ)]n est uniformémentconvergente sur Γr, on peut intégrer la première intégrale précédente terme à terme pourobtenir la représentation suivante des polynômes de Faber

Fn(z) = 12πi

∫Γr

[φ(ζ)]n

ζ − zdζ = 1

2πi

∫Tr

wnψ′(w)ψ(w)− z dw, z ∈ int(Γr), n ≥ 0. (2.1)

Soit maintenant z ∈ int(Γr). Alors la fonction w 7→ wψ′(w)ψ(w)−z est analytique sur w ∈ C : |w| >

r et elle prend la valeur 1 en w =∞, elle possède donc la série de Laurent suivante

wψ′(w)ψ(w)− z = 1 + F1(z)

w+ F2(z)

w2 + · · · , |w| > r, z ∈ int(Γr). (2.2)

En combinant (2.2) avec la formule intégrale de Cauchy, on peut représenter les fonctionsholomorphes sur un domaine quelconque par des séries semblables aux séries de Fourier pourles fonctions holomorphes sur la disque unité. On note par A(Ω) l’ensemble des fonctions

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holomorphes sur int(Ω) et continues sur Ω. La série de Faber associée à une fonction f deA(Ω) est la série formelle suivante

f(z) ∼∞∑n=0

anFn(z), z ∈ Ω,

an := 12πi

∫T

f(ψ(w)

)wn+1 dw, n ≥ 0,

sont les coefficients de Faber associés à f .

Supposons que Γ := ∂Ω est une courbe simple, fermée et rectifiable et définissons F sur Rpar F (θ) := f(ψ(eiθ)). La série de Fourier de F est donnée par

F (θ) ∼∞∑

n=−∞F (n)eiθ,

F (n) := 12π

∫ 2π

0F (θ)e−inθdθ = 1

2πi

∫Tf(ψ(w))w−n−1dw, n ∈ Z.

Par conséquent an = F (n), pour n ≥ 0, et ceci est un premier lien entre la série de Faber etla série de Fourier.

En 1955, Alper [3] a montré que si la frontière Γ de Ω est une courbe de Jordan rectifiable etlisse qui satisfait la condition de régularité

∫ c0w(h)h | log h|dh <∞ pour un c > 0, alors la série

de Faber converge uniformément sur Ω et elle se comporte comme une série de Fourier. Ici, lafonction w : [0,∞]→ [0,∞] est le module de continuité de la fonction ϑ(s) qui désigne l’angleentre l’axe réel positif et la tangente à la courbe Γ au paramètre s. On rappelle qu’une fonctiong : I → R admet w pour un module de continuité si et seulement si |g(t)− g(s)| ≤ w(|t− s|)pour tout t et s dans le domaine I de g. En 1967, Kövari et Pommerenke [35] ont montré quela situation est assez similaire si on suppose seulement que Γ est une courbe de Jordan devariation bornée. On rappelle qu’une courbe de Jordan Γ est dite de variation bornée si savariation totale V :=

∫Γ |dϑ(s)| est bornée.

Pour une série de Fourier G :=∑∞k=−∞ gke

ikθ, on définit sa série conjuguée par

G :=∞∑

k=−∞gke

ikθ, où gk :=−igk si k ≥ 0igk si k < 0

Théorème 2.1.2. (Kövari et Pommerenke [35])Soit Ω un domaine de Jordan, soit Γ sa frontière de variation bornée et soit f ∈ A(Ω). Si lasérie de Fourier de f(ψ(eiθ)) et sa série conjuguée convergent uniformément, alors la sériede Faber converge uniformément vers f sur Ω.

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Corollaire 2.1.3. [31, Lemme 4.1] Pour tout z ∈ Ωc, on a

(z − ξ)−1 =∞∑n=0

φ′(z)φ(z)n+1Fn(ξ), (ξ ∈ Ω).

Démonstration. La série de Faber associée à la fonction ξ 7→ (z − ξ)−1 sur Ω est donnée par∑∞n=0 anFn(ξ) avec

an(z) = 12πi

∫T

(z − ψ(w)

)−1

wn+1 dw

= 12πi

∫Γ(z − ζ)−1 φ′(ζ)

φn+1(ζ)dζ

= φ′(z)φn+1(z) .

La convergence uniforme de cette série est garantie par le théorème précédent.

2.1.2 Opérateur de Faber

On note par Pn(Ω) l’ensemble des polynômes de degrés inférieur ou égale n muni de la norme‖ ‖L∞(Ω). L’opérateur de Faber F est définie par la transformation linéaire qui envoie lepolynôme

p(w) := a0w0 + a1w

1 + · · ·+ anwn, aj ∈ C

au polynôme

F(p)(z) := a0F0(z) + a1F1(z) + · · ·+ anFn(z).

En particulier l’image du polynôme p(w) := wn par l’opérateur de Faber F est le nième poly-nôme de Faber Fn(z).

L’opérateur F est une bijection de Pn(D) vers F(Pn(D)

). En effet, si F(p) = 0, alors on

considère le coefficient du terme de plus haut degré. Puis, étant donné que le degré de Fnest exactement n, on trouve successivement que an = 0, an−1 = 0, · · · , a0 = 0. Si Γ estrectifiable, alors F et son inverse F−1 possèdent des représentations intégrales. En utilisantla représentation (2.1) pour Fn, on trouve

F(p)(z) = 12πi

∫Γ

p(φ(ζ))ζ − z

dζ = 12πi

∫T

p(w)ψ′(w)ψ(w)− z dw, z ∈ int(Ω), (2.3)

pour tout polynôme p.

D’autre part, en utilisant la formule intégrale de Cauchy et la formule suivante

Fn(ψ(w)) = wn +O( 1w

), |w| → ∞,

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on trouve

F−1(p)(w) = 12πi

∫T

p(ψ(s))s− w

ds, |w| < 1. (2.4)

Puisque⋃n Pn(D) et

⋃n Pn(Ω) sont denses dans A(D) et A(Ω) respectivement, on peut définir

l’opérateur de Faber F entre les espaces de Banach A(D) et A(Ω) en prenant les limites dans laformule (2.3). Le théorème suivant prouve que cet opérateur est borné. Pour la démonstrationet pour plus de détails, le lecteur est invité à consulter par exemple [1, 2, 11].

Théorème 2.1.4. [11, p. 48] Si Γ est une courbe de Jordan rectifiable et de variation bornéeV , alors l’opérateur de Faber F : A(D)→ A(Ω) est borné et on a

‖F(f)‖ ≤ (1 + 2Vπ

)‖f‖, (f ∈ A(D)).

Le théorème des résidus et la formule (2.3) montrent que, pour tout ξ ∈ Dc et z ∈ int(Ω), ona

F( 1w − ξ

)(z) = ψ′(ξ)

z − ψ(ξ) .

Ceci implique que si q ∈ A(D) est une fonction rationnelle et a un pôle d’ordre N en ξ0, avec|ξ0| > 1, alors F(q) est aussi rationnelle et a un pôle de même ordre au point ψ(ξ0). Pour lesfonctions f ∈ A(D) en général, on a aussi le théorème suivant.

Théorème 2.1.5. [11, p. 50] Soit f ∈ A(D), disons f(w) :=∑∞n=0 anw

n pour |w| < 1. Alorsles coefficients de Faber de F(f) sont les an. Autrement dit,

F(f)(z) =∞∑n=0

anFn(z), (z ∈ Ω).

Démonstration. Définissons fr(w) := f(rw) pour r ∈ (0, 1) et w ∈ D. Alors fr → f et parconséquent F(fr)→ F(f) lorsque r → 1. Cela implique que

|an(f)− an(fr)| ≤ ‖F(f)−F(fr)‖ → 0 (r → 1),

où an(f) et an(fr) sont les coefficients de Faber de f et fr respectivement. Comme fr(w) =∑∞n=0 anr

nwn converge uniformément sur D, alors an(fr) = anrn pour tout n ≥ 0. Le résultat

suit donc en faisant tendre r vers 1.

Le théorème précédent implique que l’opérateur F est injectif et il est donc bijectif entre A(D)et le sous espace fermé F(A(D)) := g : g = F(f), f ∈ A(D). En prenant la limite dans laformule (2.4), on trouve

F−1(g)(ξ) = 12πi

∫T

g(ψ(w))w − ξ

dw, |ξ| < 1, (g ∈ F(A(D))). (2.5)

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L’opérateur F−1 est borné si et seulement si F est surjectif et dans ce cas F est un isomor-phisme entre les algèbres A(D) et A(Ω). Le théorème suivant montre que c’est le cas si lacourbe Γ est rectifiable et est de variation bornée.

Théorème 2.1.6. (Anderson et Clunie [2])Soit Ω un domaine compact de Jordan de frontière Γ rectifiable et de variation bornée. Si Γn’a aucun point de rebroussement, alors l’opérateur F−1 : A(Ω) → A(D) est bien défini par(2.5) et il est borné.

On rappelle qu’un point rebroussement est un type particulier de point singulier sur unecourbe admettant une seule demi-tangente en ce point. Anderson et Clunie [2] ont prouvéaussi que le théorème précédent n’est pas vrai si la courbe Γ a des points de rebroussement.

2.2 La constante de Kreiss

Pour qu’une matrice vérifie la condition de Kreiss, il faut que son spectre soit inclus dans ledisque unité. Cependant, si ce n’est pas le cas, il y a une généralisation pour les domainesΩ. Soit A une matrice de CN×N telle que son spectre σ(A) est inclus dans Ω. On définit laconstante de Kreiss pour A par rapport à Ω par la formule suivante :

K(Ω) := infC :

∥∥(zI −A)−1∥∥ ≤ C |φ′(z)||φ(z)| − 1 , ∀z /∈ Ω

.

Une définition équivalente de la constante de Kreiss est donnée par la formule suivante :

K(Ω) := infC :

∥∥(zI −A)−1∥∥ ≤ C

dist(z,Ω) ,∀z /∈ Ω.

Proposition 2.2.1. (Toh et Trefethen [31]) On a

12 ≤

K(Ω)K(Ω) ≤ 2.

De plus, si Ω est un intervalle, alors le facteur 12 est atteint à gauche et si Ω est un arc d’un

cercle, alors le facteur 2 est atteint à droite.

La démonstration de cette proposition est une conséquence du lemme suivant.

Lemme 2.2.2. (Kühnau [31]) Supposons que ψ est une transformation conforme de l’exté-rieur du disque unité D à l’extérieur d’un ensemble compact Ω de complémentaire simplementconnexe telle que ψ(∞) =∞. Alors pour tout |w0| > 1, on a

12(|w0| − 1) ≤ dist(z0,Γ)

|ψ′(w0)| ≤ 2(|w0| − 1),

où z0 = ψ(w0) et Γ = ∂Ω. Si Ω est un intervalle, alors la constante 1/2 atteinte à gauchelorsque |w0| → 1 et si Ω est un arc de cercle, alors la constante 2 atteinte à droite lorsque|w0| → 1.

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Démonstration de la proposition 2.2.1 D’une part, pour tout z = ψ(w) ∈ Ωc, on a

|φ′(z)||φ(z)| − 1 = 1(

|w| − 1)|ψ′(w)|

.

D’autre part, le lemme 2.2.2 entraîne que

12 ≤

dist(z,Γ)(|w| − 1)|ψ′(w)| ≤ 2.

Le résultat découle donc des définitions de K(Ω) et K(Ω).

On note que la constante K(Ω) est bien définie même si Ωc n’est pas simplement connexe.Elle est définie géométriquement et peut être calculée indépendamment de la transformationconforme φ. Ceci est un grand avantage puisqu’on ne peut pas déterminer facilement φ saufpour des domaines particuliers comme les ellipses ou les polygônes.

La proposition suivante montre la relation entre la constante de Kreiss et le pseudospectre.Sa démonstration est une conséquence directe des définitions de K(Ω) et σε(A).

Proposition 2.2.3. [31, Proposition 2.1] Les assertions suivantes sont équivalentes.

(i)∥∥(zI −A)−1∥∥ ≤ C

dist(z,Ω) , ∀z, dist(z,Ω) > 0.

(ii) dist(z,Ω) ≤ C ε, ∀z ∈ σε(A),∀ε > 0.

(iii) σε(A) ⊂ Ω + C Dε, ∀ε > 0.

Une conséquence importante de la proposition précédente est que la constante K(Ω) peut êtredéfinie en utilisant le pseudospectre par la formule suivante

K(Ω) = supε>0

maxz∈σε(A) dist(z,Ω)ε

.

Autrement dit, elle mesure à quel point l’ensemble σε(A) peut s’éloigner du domaine Ω pourtout ε > 0.

En utilisant la définition de K(Ω), on peut montrer facilement d’autres propriétées intéres-santes de la constante de Kreiss comme la monotonie et les cas particuliers lorsque la matriceA est normale et Ω = σ(A) ou bien Ω est l’image numérique de la matrice.

Proposition 2.2.4. [31, Proposition 2.2] Supposons que Ω1 et Ω2 deux sous-ensembles com-pacts de C tels que σ(A) ⊂ Ω1 ⊂ Ω2. Alors

K(Ω2) ≤ K(Ω1).

21

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Démonstration. Ce resultat est une conséquence directe des définitions de K(Ω1) et K(Ω2).

K(Ω2) = supz /∈Ω2

dist(z,Ω2)∥∥(zI −A)−1∥∥

≤ supz /∈Ω2

dist(z,Ω1)∥∥(zI −A)−1∥∥

≤ supz /∈Ω1

dist(z,Ω1)∥∥(zI −A)−1∥∥

= K(Ω1).

Proposition 2.2.5. [31, Proposition 2.3] Si A := V DV −1 est une matrice diagonalisable,alors

K(σ(A)) ≤ k(V ),

où k(V ) est le nombre de condition de V .

Démonstration. Puisque (zI −A)−1 = V (zI −D)−1V −1, on a

∥∥(zI −A)−1∥∥ ≤ k(V )dist(z, σ(A)) .

Ceci implique que σε(A) ⊂ σ(A) + k(V )Dε pour tout ε > 0. Le résultat suit donc de laproposition 2.2.3.

Proposition 2.2.6. [31, Proposition 2.4] Soit A une matrice normale telle que σ(A) ⊂ Ω.Alors

K(Ω) = 1.

Démonstration. On a toujours K(Ω) ≥ 1. Donc il reste à prouver que K(Ω) ≤ 1. Rappelonsqu’une matrice A est normale si et seulement s’il existe une matrice unitaire U telle queU−1AU est diagonale. Il suit donc des propositions 2.2.4 et 2.2.5 ce qui suit

K(Ω) ≤ K(σ(A)) ≤ k(U) = 1.

Proposition 2.2.7. [31, Proposition 2.5] Si W (A) est l’image numérique de la matrice A,alors

K(W (A)) = 1.

Démonstration. On a vu dans le théorème 1.2.2 que l’ensemble W (A) est l’intersection detous les demi-plans H qui satisfassent

σε(A) ⊆ H + Dε, ∀ε > 0.

IL suit donc de la proposition 2.2.3 que K(W (A)) = 1.

22

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2.3 Théorème matriciel de Kreiss pour un domainequelconque

On a vu dans le chapitre précédent comment le théorème matriciel de Kreiss donne des bornesbasées sur la norme de la résolvante

∥∥(zI −A)−1∥∥ pour ‖An‖ si σ(A) est inclu dans le disqueunité, ou bien pour ‖etA‖ si σ(A) est dans le demi-plan à gauche. On généralise dans cettesection ces résultats pour des fonctions holomorphes quelconques dans des domaines Ω plusgénéraux.

2.3.1 Polynôme de Faber

Une application de l’inégalité de Bernstein [11] nous donne une généralisation du théorèmematriciel de Kreiss pour le domaine Ω.

Théorème 2.3.1. (Toh et Trefethen [31]) Soit Ω un domaine compact de C avec un complé-mentaire simplement connexe. Soit A une matrice telle que σ(A) ⊂ Ω et K(Ω) < ∞. Alors,pour tout pôlynome pn de degré n, on a

‖pn(A)‖ ≤ e (n+ 1)K(Ω) ‖pn‖Ω,

où ‖pn‖Ω := supz∈Ω |pn(z)|.

Démonstration. Puisque σ(A) ⊂ Ω, alors la matrice pn(A) peut être représentée en fonctionde la résolvante par la formule intégrale de Cauchy [8],

pn(A) = 12πi

∫Γr

(zI −A)−1pn(z) dz (r > 1).

Par conséquent,

‖pn(A)‖ ≤ 12π

∫Γr

∥∥(zI −A)−1∥∥ |pn(z)| |dz|

≤ 12π‖pn‖Ωr

∫Γr

∥∥(zI −A)−1∥∥ |dz|,avec Ωr := φ−1(Dr). Puisque

∥∥(zI −A)−1∥∥ ≤ K(Ω)|φ′(z)|r−1 sur Γr et ‖pn‖Ωr ≤ rn‖pn‖Ω (C’est le

lemme de Bernstein [11]), on déduit que

‖pn(A)‖ ≤ 12πK(Ω)‖pn‖Ω

rn

r − 1

∫Γr|φ′(z)| |dz|

≤ K(Ω) rn

r − 1‖pn‖Ω.

Pour r := 1 + 1n+1 , on conclut que

‖pn(A)‖ ≤ K(Ω) e (n+ 1)‖pn‖Ω.

23

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La borne donnée par ce théorème dépend linéairement de n, et donc elle peut être assez élevéeet on ne peut pas utiliser l’approximation pour le généraliser à des fonctions holomorphesquelconques. Le théorème suivant montre que cette borne est indépendant de n pour lespolynômes de Faber.

Théorème 2.3.2. (Toh et Trefethen [31]) Soit Ω un domaine compact de C avec un com-plémentaire simplement connexe. Soit A une matrice N × N sur C telle que σ(A) ⊂ Ω etK(Ω) <∞. Si le frontière de Ω est de classe C2, alors, pour tout n ≥ 0, on a

‖Fn(A)‖ ≤ CΩ eN K(Ω),

où la constante CΩ ne dépend que de Ω.

Remarquons que si Ω est le disque unité, alors on obtient le théorème (1.2.5) car Fn(A) = An.La preuve de ce théorème se base sur les trois lemmes suivants. Pour plus de détails, voir [31].

Lemme 2.3.3. Soit f une fonction analytique sur Ωc. Pour tout r > 1, on a∫Tr

∣∣ψ′2f ′(ψ)∣∣|dw| ≤ ∫

Tr|h′|∣∣ψ′f(ψ)

∣∣|dw|+ ∫Tr

∣∣ψ′′f(ψ)∣∣|dw|,

où h(w) := arg(wψ′2(w)f ′(ψ(w))

).

Lemme 2.3.4. Soit R une fonction rationnelle d’ordre (N − 1, N) qui n’a pas de pôles dansΩc. Alors ∫

Tr|h′(w)||dw| ≤ (4N + 1)V, ∀r > 1,

où h(w) := arg(wψ′2(w)R′(ψ(w))

)et V est la variation totale de Γ.

Lemme 2.3.5. Pour tout r > 1, on a∫Tr

∣∣ψ′′(w)ψ′(w)

∣∣|dw| ≤ 2Vπ

(1 + sinh−1(r + 1

r − 1)).

Démonstration du théorème 2.3.2. Le nième polynôme de Faber de la matrice A est donnépar la formule suivante

Fn(A) = 12πi

∫Trwn(ψ(w)I −A

)−1ψ′(w)dw (r ≥ 1).

Ceci implique que, pour tout u, v ∈ CN tel que ‖u‖ = ‖v‖ = 1,

v∗ Fn(A)u = 12πi

∫TrwnR

(ψ(w)

)ψ′(w)dw (r ≥ 1),

où R(z) := v∗(zI − A

)−1u est une fonction rationnelle d’ordre (N − 1, N) et elle a des pôles

seulement à l’intérieur de Ω. On obtient donc par intégration par partie

2πi(v∗ Fn(A)

)u = −1

n+ 1

∫Trwn+1 d

dw

[R(ψ(w)

)ψ′(w)

]dw,

24

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et ceci impique que

∣∣2π(v∗ Fn(A))u∣∣ ≤ rn+1

n+ 1

[ ∫Tr

∣∣ψ′2R′(ψ)∣∣|dw|+ ∫

Tr

∣∣ψ′′R(ψ)∣∣|dw|].

En appliquant le lemme 2.3.3, on obtient

∣∣2π(v∗ Fn(A)u)∣∣ ≤ rn+1

n+ 1

[ ∫Tr|h′|∣∣ψ′R(ψ)

∣∣|dw|+ 2∫Tr

∣∣ψ′′R(ψ)∣∣|dw|]

≤ rn+1

n+ 1

∥∥∥R(ψ)ψ′∥∥∥Tr

[ ∫Tr|h′||dw|+ 2

∫Tr

|ψ′′||ψ′||dw|

],

où h(w) := arg(wψ′2(w)R′(ψ(w))

). D’autre part, pour tout w ∈ Tr, on a

∣∣∣R(ψ(w))ψ′(w)∣∣∣ ≤

K(Ω)r−1 . Il suit donc que

∣∣2π(v∗ Fn(A)u)∣∣ ≤ K(Ω)rn+1

(n+ 1)(r − 1)

[ ∫Tr|h′||dw|+ 2

∫Tr

|ψ′′||ψ′||dw|

].

On prend ainsi r = 1 + 1n et on applique les lemmes 2.3.4 et 2.3.5 qui donnent les inégalités

suivantes∣∣v∗ Fn(A)u

∣∣ ≤ K(Ω)e[V

2π (4N + 1) + 1π

∫|w|=1+ 1

n

|ψ′′||ψ′||dw|

]≤ K(Ω)e V2π

[4N + 1 + αn

],

αn := 2π

∫|w|=1+ 1

n

|ψ′′||ψ′||dw| ≤ 4

π

[1 + sinh−1(2n+ 1)

].

Puisque Γ est de classe C2, alors α := supn≥1 αn est fini et on déduit donc que

‖Fn(A)‖ ≤ CΩ eN K(Ω), avec CΩ := V

2π[4 + 1 + α

N

].

Le théorème suivant donne une généralisation du théorème matriciel de Kreiss pour les opé-rateurs linéaires bornés sur un espace de Hilbert de dimension finie ou infinie.

Théorème 2.3.6. (Toh et Trefethen [31]) Soit Ω un domaine compact de C avec un complé-mentaire simplement connexe. Supposons que A est un opérateur linéaire borné sur un espacede Hilbert tel que σ(A) ⊂ Ω et K(Ω) <∞. Alors, pour tout n ≥ 0, on a

‖Fn(A)‖ ≤ e (n+ 1)K(Ω), (2.6)

Inversement, si supn≥0 ‖Fn(A)‖ <∞, alors σ(A) ⊂ Ω, la constante K(Ω) est finie et on a

K(Ω) ≤ supn≥0‖Fn(A)‖. (2.7)

25

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Démonstration. En appliquant la preuve du théorème 2.3.1 à la formule

Fn(A) = 12πi

∫Trwnψ′(w)

(ψ(w)I −A

)−1dw (r > 1),

on obtient l’inégalité (2.6).

Supposons maintenant que supn≥0 ‖Fn(A)‖ <∞. On prouve que σ(A) ⊂ Ω par contraduction.Supposons qu’il existe λ ∈ σ(A) ∩ Ωc. Nous avons d’une part,

supn≥0|Fn(λ)| ≤ sup

n≥0‖Fn(A)‖ <∞.

D’autre part, on a

limn→∞

|Fn(λ)|1n = |φ(λ)|,

voir [25]. Ceci implque que supn≥0 ‖Fn(A)‖ = ∞ puisque |φ(λ)| > 1. D’où la contraductionet par conséquent σ(A) ⊂ Ω.

En utilisant le corollaire 2.1.3, on peut écrire

(zI −A)−1 =∞∑n=0

φ′(z)φ(z)n+1Fn(A), (z ∈ Ωc).

Par la suite,∥∥∥(zI −A)−1

∥∥∥ ≤ supn≥0‖Fn(A)‖

∞∑n=0

|φ′(z)||φ(z)|n+1

= supn≥0‖Fn(A)‖ |φ

′(z)||φ(z)| − 1 .

On conclut donc que K(Ω) ≤ supn≥0 ‖Fn(A)‖.

2.3.2 Généralisation aux fonctions holomorphes

On présente dans cette section une généralisation du théorème matriciel de Kreiss pour lesfonctions holomorphes. On rappelle qu’une matrice ou un opérateur linéaire borné A satisfaitla condition de Kreiss pour le disque unité D s’il existe une constante C > 0 tel que∥∥∥(I − λA)−1

∥∥∥ ≤ C

1− |λ| pour tout λ ∈ D.

Théorème 2.3.7. (Vitse [34]) Soit A une matrice de CN×N qui satisfait la condition deKreiss avec une constante C > 0, et soit f ∈ A(D). Alors

‖f(A)‖ ≤ 16πC N‖f‖D.

26

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Ce théorème peut être démontrer de deux façons, voir [34]. La première est difficile à générali-ser pour des domaines plus généraux. La deuxième est basée sur une formule de représentationintégrale qui peut être appliquée aux opérateurs plus généraux ayant le spectre dans un do-maine plus général Ω et satisfaisant la condition généralisée de Kreiss. Cette démonstrationest une conséquence des trois lemmes suivants.

Lemme 2.3.8. Soit T un opérateur borné sur un espace de Banach tel que σ(T ) ⊂ D. Pourtout f ∈ A(D), on a

f(T ) = 1π

∫∫D

(1− |z|2

)(I − zT

)−1(z2f

)′′dxdy.

Démonstration. En utilisant les séries f(z) =∑∞k=0 akz

k et(I − zT

)−1 =∑∞k=0 z

nT k, onobtient

∫∫D

(1− |z|2

)(I − zT

)−1(z2f

)′′dxdy

= 1π

∫ 1

0

∫ 2π

0(1− r2)

( ∞∑n=0

rne−inθTn)( ∞∑

k=0ak(k + 2)(k + 1)rkeikθ

)rdrdθ

= 2∫ 1

0

( ∞∑k=0

ak(k + 2)(k + 1)T k(1− r2)r2k+1)dr

= 2∞∑k=0

ak(k + 2)(k + 1)T k∫ 1

0(1− r2)r2k+1dr

=∞∑k=0

akTk = f(T ).

On note par H∞ l’espace des fonctions analytiques bornées sur D et par B11A l’espace analy-

tique de Besov défini par

B11A :=

f ∈ A(D) : ‖f‖B1

1A := 1π

∫∫D

∣∣∣(z2f)′′∣∣∣dxdy <∞.

Pour plus d’information sur les espaces de Banach H∞ et B11A, voir [39].

Le lemme suivant est une conséquence du célèbre théorème de G. Pick [12, section IV.1]. Ledegré d’une fonction rationnelle r = p

q est défini par deg(r) = max(deg(p), deg(q)

).

Lemme 2.3.9. Soit f ∈ H∞ et B un produit fini de Blashke. Il existe une unique fonctionrationnelle r0 telle que r0 − f ∈ BH∞, deg(r0) < deg(B) et ‖r0‖∞ := inf

‖f + Bh‖∞ : h ∈

H∞

= dist(f,BH∞

)≤ ‖f‖∞. En fait r0 = λB1, où |λ| = dist

(f,BH∞

)et B1 est un produit

de Blashke avec deg(B1) < deg(B).

Le lemme suivant compare les normes des fonctions rationnelles dans les espaces H∞ et B11A.

27

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Lemme 2.3.10. Soit r une fonction rationnelle telle que deg(r) ≤ n. Alors

‖r‖B11A ≤

(n+ 1)‖r‖∞.

Pour une démonstration du lemme précédent, voir [34].

Démonstration du théorème 2.3.7. En utilisant le lemme 2.3.8, on obtient∥∥∥f(A)∥∥∥ =

∥∥∥∥ 1π

∫∫D

(1− |z|2

)(I − zA

)−1(z2f

)′′dxdy

∥∥∥∥≤ sup

z∈D

(1− |z|2

)∥∥∥(I − zA)−1∥∥∥ 1π

∫∫D

∣∣∣(z2f)′′∣∣∣dxdy

= 2C‖f‖B11A.

On note par B le produit fini de Blashke défini par

B(z) :=∏

λ∈σ(A)

[ |λ|λ

λ− z1− λz

]d(λ),

où d(λ) dénote la multiplicité de λ. D’après le lemme 2.3.9, il existe une fonction rationneller0 telle que r0 − f ∈ BH∞, ‖r0‖∞ = dist

(f,BH∞

)et deg(r0) < deg(B) = N . Il suit que

r0(A) = f(A). Il en résulte donc du lemme 2.3.10 ce qui suit,∥∥∥f(A)∥∥∥ =

∥∥∥r0(A)∥∥∥ ≤ 2C

∥∥r0∥∥

B11A

≤ 16πCN

∥∥r0∥∥∞ = 16

πCN

∥∥f∥∥H∞/BH∞

≤ 16πCN‖f‖∞.

Le théorème 2.3.7 généralise le théorème matriciel de Kreiss aux fonctions holomorphes surle disque unité. Il est intéressant de l’étendre à un domaine compact de complémentaire sim-plement connexe Ω. Il paraît possible de le faire en généralisant la démonstration précédente,mais l’absence des informations précises du domaine Ω comparativement au disque unité rendla tâche plus difficile. Pour appliquer les mêmes techniques, on a besoin de regarder de nou-veau les trois lemmes précédents en remplaçant le disque unité par le domaine Ω et de savoircomment on peut sortir avec des résultats équivalents.

La démonstration du théorème 2.3.2 permet de réduire un peu la difficulté de ce problèmepuisqu’elle généralise le théorème matriciel de Kreiss aux polynômes de Faber en utilisantles propriétés de Ω. Le problème qui se pose à ce niveau est de savoir plus d’informationssur la frontière ∂Ω. Soit p un polynôme de degré n. Soit A ∈ CN×N telle que σ(A) ⊂ Ω etK(Ω) < ∞. Il est intéressant de trouver une borne supérieure de

∥∥p(A)∥∥ indépendante de n.

La matrice p(A) peut être représentée par la formule suivante

p(A) =n∑k=0

ak1

2πi

∫Γrφ(z)k(zI −A)−1dz, (2.8)

28

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où ak := 12πi∫

Γrφ′(z)

φ(z)k+1 p(z)dz, k = 0, · · · , n, sont les coefficients de Faber associés à p. Si onapplique les mêmes techniques utilisées dans la démonstration du théorème 2.3.2, pourait-ontrouver une borne supérieure de

∥∥p(A)∥∥ indépendante de n ? Cette question s’est averée un

peu délicate à résoudre.

On a essayé autrement en appliquant le résultat du théorème 2.3.2 à la formule (2.8). Cecinous a donné l’inégalité suivante

∥∥p(A)∥∥ ≤ CΩ eN K(Ω) |||p|||, (2.9)

p(w) := F−1(p)(w) =n∑k=0

akwk et |||p||| :=

n∑k=0|ak|.

Existe-t-il une borne supérieure de |||p||| indépendante de n ? Cette question a resté aussidifficile à countourner.

En utilisant la transformation de Faber et le théorème 2.3.7, on a réussi à généraliser le théo-rème matriciel de Kreiss aux fonctions holomorphes sur le domaine Ω. Certaines conditionsdevraient cependant être vérifiées. Si par exemple Ω est un disque quelconque du plan, alorson obtient le résultat suivant.

Théorème 2.3.11. On suppose que D est un disque fermé de C et soit A une matrice N×Nsur C telle que σ(A) ⊂ D et K(D) <∞. Alors pour toute fonction f ∈ A(D), on a

‖f(A)‖ ≤ 16πK(D)N‖f‖D.

Démonstration. Soit z0 ∈ C et R > 0 tel que D =z ∈ C : |z − z0| ≤ R

. On a donc

φ(z) = 1R

(z − z0), ψ(w) = Rw + z0 et Fn(z) = R−n(z − z0)n,

pour tout z ∈ Ωc, w ∈ Dc et n ≥ 0. Remarquons que φ et ψ sont aussi des transformationsconformes entre D et D. Ainsi, pour tout |w| > 1,∥∥∥(wI − φ(A)

)−1∥∥∥ = R

∥∥∥(ψ(w)I −A)−1

∥∥∥≤ RK(D)

∣∣φ′(ψ(w))∣∣∣∣φ(ψ(w)

)∣∣− 1

= K(D)|w| − 1 .

En appliquant le théorème 2.3.7, on trouve∥∥∥f(φ(A))∥∥∥ ≤ 16

πK(D)N‖f‖D, ∀f ∈ A(D). (2.10)

29

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En définissant f := f φ, on a

‖f‖D = supw∈D|f(w)|

= supw∈D|f ψ(w)|

= supz∈D|f(z)| = ‖f‖D.

On trouve donc le résultat de l’inégalité 2.10.

Supposons maintenant que Ω est un domaine simplement connexe et compact. Le théorèmede Riemann implique qu’il existe une transformation conforme g : Ω → D. Une généralisa-tion de la démonstration précédente pour le domaine Ω demande plus d’information sur lestransformations conformes g. Si on suppose par exemple l’hypothèse suivante

∃C > 0 tel que∥∥∥∥F−1

(Rψ(w)

)(g(T )

)∥∥∥∥ ≤ C∥∥∥Rψ(w)(T )∥∥∥, (2.11)

où Rψ(w)(z) :=(ψ(w)−z

)−1 avec z ∈ int(Ω) et |w| > 1, on peut étendre le théorème précédentau domaine Ω.

Théorème 2.3.12. Soit Ω un domaine compact de C avec un complémentaire simplementconnexe. Soit A une matrice N ×N sur C telle que σ(A) ⊂ Ω et K(Ω) <∞. On suppose qu’ilexiste une transformation conforme g : Ω → D vérifiant l’hypothèse (2.11). Alors, pour toutf ∈ A(Ω), on a

‖f(A)‖ ≤ 16πCΩK(Ω)N‖f‖Ω,

où la constante CΩ ne dépend que de Ω.

Démonstration. On a pour tout z ∈ Ωc,

Rz(ζ) :=(z − ζ

)−1 =∞∑n=0

φ′(z)φ(z)n+1Fn(ζ), (ζ ∈ Ω).

Par conséquent,

F−1(Rz)(g(ζ)

)=

∞∑n=0

φ′(z)φ(z)n+1

(g(ζ)

)n= φ′(z)

φ(z)− g(ζ) .

Il en résulte donc pour w = φ(z),

(w − g(ζ)

)−1 = ψ′(w)F−1(Rψ(w)

)(g(ζ)

).

30

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L’hypothèse (2.11) entraîne alors∥∥∥(w − g(A))−1

∥∥∥ = |ψ′(w)|∥∥∥F−1

(Rψ(w)

)(g(A)

)∥∥∥≤ |ψ′(w)|C

∥∥∥Rψ(w)(A)∥∥∥

≤ CK(Ω)|w| − 1 .

Ceci implique que g(A) vérifie la condition de Kreiss et puisque σ(g(A)

)⊂ D, on déduit du

théorème 2.3.7∥∥∥f(g(A))∥∥∥ ≤ 16

πC K(Ω)N

∥∥f∥∥∞, où f ∈ A(D) tel que f = f g.

On déduit que ∥∥f(A)∥∥ ≤ 16

πC K(Ω)N

∥∥f∥∥D = 16πC K(Ω)N‖f‖Ω,

où CΩ est la constante C définie par l’hypothèse (2.11).

On termine ce chapitre par une généralisation du théorème matriciel de Kreiss pour les fonc-tions de Markov tout en ajoutant l’hypothèse de symétrie de Ω. Une fonction f est dite deMarkov si elle peut se représenter sous la forme suivante

f(z) :=∫ β

α

dµ(x)z − x

, (2.12)

où µ est une mesure positive dont le support supp(µ) ⊂ [α, β] et −∞ ≤ α < β < ∞. Parexemple, la fonction

f(z) := log(1 + z)z

=∫ −1

−∞

(−1x )dxz − x

est une fonction de Markov. La fonction g(z) := log(1 + z) = zf(z) est aussi une simpletransformation d’une fonction de Markov. Pour plus de détails sur les fonctions de Markov,voir [4]. En s’inspirant de la démonstration du théorème 6.1(a) de [4], on a pu obtenir unemajoration intéressante (2.13) des coefficients de Faber. En combinant ceci avec le théorème2.3.6 on obtient le théorème suivant. On rappelle que, d’après le théorème de Riemann [11],il existe une unique transformation conforme φ de Ωc vers Dc normalisée par φ(∞) = ∞ etφ′(∞) > 0.

Théorème 2.3.13. Soit Ω un domaine compact symétrique dont le complémentaire est sim-plement connexe. Supposons que A est un opérateur linéaire borné sur un espace de Hilberttel que σ(A) ⊂ Ω et K(Ω) < ∞. Soit f une fonction de Markov définie par (2.12) telle que−∞ ≤ α < β < minz∈ΩRe(z). Alors, on a

‖f(A)‖ ≤ eCΩ(f)K(Ω)‖f‖Ω,

où CΩ(f) = 1(1−η)2 et η = supx∈[α,β]

1|φ(x)| .

31

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Démonstration. La série de Faber de f est définie par

f(A) =∞∑n=0

anFn(A),

où an sont les coefficients de Faber. En utilisant le théorème de Fubini et la formule intégralede Cauchy, on trouve

an = −∫ β

α

φ′(x)φ(x)n+1dµ(x) (n ≥ 0).

Puisque Ω est un domaine symétrique, alors on obtient, pour tout n ≥ 0,

|an| =∫ β

α

|φ′(x)||φ(x)|n+1dµ ≤ η

n|a0|, (2.13)

où η = supx∈[α,β]1|φ(x)| . Comme β < minz∈ΩRe(z), alors on déduit que η ∈ (0, 1).

En utilisant maintenant le fait que |a0| ≤ ‖f‖Ω et le théorème 2.3.6, on conclut que

‖f(A)‖ ≤∞∑n=0|an|

∥∥Fn(A)∥∥

≤ eK(Ω)‖f‖Ω∞∑n=0

(n+ 1)ηn

≤ eCΩ(f)K(Ω)‖f‖Ω,

où CΩ(f) = 1(1−η)2 .

Remarquons que l’inégalité (2.13) joue un rôle essentiel dans la démonstration du théorèmeprécédent. Si on arrive à majorer les coefficients de Faber dans l’inégalité (2.9) de telle sortequ’on obtient une borne supérieure de |||p||| indépendante de n, alors on peut généraliser lethéorème matriciel de Kreiss aux fonctions holomorphes sur un domaine plus général avecune autre façon.

Les chapitres qui suivent discutent le comportement d’une matrice en utilisant d’autres tech-niques du pseudospectre.

32

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Chapitre 3

Pseudospectre identique

Selon Trefethen et Embree [32, §47], on dit que deux matrices A et B ont le même compor-tement si σ(A) = σ(B) et pour toute fonction f analytique sur un voisinage du spectre, on a‖f(A)‖ = ‖f(B)‖. La matrice f(A), ou bien de façon équivalente f(B), est déterminée par larésolvante

(zI −A

)−1 de A comme elle montre la formule suivante

f(A) = 12πi

∫Γ

(zI −A

)−1f(z)dz, (3.1)

où Γ est un contour fermé entourant σ(A).

Dans le cas où la norme∥∥∥(zI−A)−1

∥∥∥ est connue, la formule (3.1) permet de donner seulementdes majorants de la norme ‖f(A)‖, mais ils ne sont pas en général optimaux. L’exemple leplus connu et le plus réputé de cette majoration est le théorème matriciel de Kreiss qui a étédiscuté aux deux premiers chapitres.

On dit que A et B ont des pseudospectres identiques si σε(A) = σε(B) pour tout ε > 0. Ceciest équivalent à ∥∥∥(zI −A)−1

∥∥∥ =∥∥∥(zI −B)−1

∥∥∥ (z ∈ C). (3.2)

(i) Est-ce qu’on peut conclure de la condition (3.2) que les matrices A et B ont le mêmecomportement ?

(ii) Pourrait-on aller plus loin pour conclure que A et B sont unitairement équivalentes ?

Notre objectif à travers ces deux questions est de déterminer le comportement d’une matricelorsqu’on connaît la valeur exacte de la norme de la résolvante. Ceci est un peu différent biensûr du théorème matriciel de Kreiss qui donne une borne supérieure de la norme ‖f(A)‖ enfonction de celle de la norme de la résolvante.

La réponse à ces deux questions est positive si N = 1, 2. Cependant, pour N ≥ 3, la réponse

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à la deuxième question est négative et on peut voir ça dans l’exemple suivant. Les matrices

A =

1 0 00 1 00 0 0

et B =

1 0 00 0 00 0 0

ont des pseudospectres identiques, mais ils n’ont pas le même rang. On verra dans ce qui suitune étude détaillée de la première question.

3.1 Pseudospectre identique et le comportement d’unematrice

On note bien que si A et B sont des matrices ayant le même comportement, alors elles ontdes pseudospectres identiques, voir [13]. Dans cette section, on présentera une étude détailléede la réciproque de cette implication.

3.1.1 Puissance d’une matrice

Soit A et B deux matrices N ×N sur C ayant des pseudospectres identiques. Pouvons-nousconclure que

∥∥An∥∥ =∥∥Bn

∥∥ pour tout n ≥ 1 ? Le théorème suivant donne une réponse au casn = 1.

Théorème 3.1.1. [22, Théorème 2.1] Soit A et B deux matrices N ×N sur C satisfaisant(3.2). Alors

12 ≤

‖A‖‖B‖

≤ 2.

Démonstration. On rappelle que le rayon numérique µ et la norme euclidienne ‖ · ‖ sont deuxnormes équivalentes (voir [14, 24] pour plus de détails) et on a

12‖T‖ ≤ µ(T ) ≤ ‖T‖, (3.3)

pour tout opérateur borné T . On rappelle aussi que µ(T ) peut être donné par la formulesuivante

µ(T ) = lim sups→0

‖I + sT‖ − 1|s|

. (3.4)

Puisque A et B vérifient l’égalité (3.2), on déduit de (3.4) que µ(A) = µ(B). Le résultatdécoule donc de l’inégalité (3.3).

Greenbaum et Trefethen [13] ont construit un exemple d’une paire de matrices A et B satisfai-sant (3.2) mais ‖A‖ 6= ‖B‖. Le théorème suivant est une généralisation de leurs constructionsqui montre en outre que la constante 2 apparaissant au théorème précédent est optimale.

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Théorème 3.1.2. (Ransford [22]) Pour tout N ≥ 7, il existe des matrices A et B appartenantà CN×N et satisfaisant (3.2) tels que

‖A‖ = 1 et ‖B‖ = 2 cos( π

N − 1).

Pour une démonstration de ce théorème, voir [22]. Ce théorème a donné une réponse négativeà notre question de départ (i). Toutefois, on peut la remplacer par la question suivante : Y a

t-il des bornes pour∥∥An∥∥∥∥Bn∥∥ similaires aux bornes données par le théorème 3.1.1 pour n ≥ 2 ? Si

c’est le cas, alors on peut dire que le pseudospectre détermine la norme des puissances à unfacteur constant près. Cependant, le théorème suivant répond négativement à cette question.

Une suite αk, finie ou infinie, est dite sous-multiplicative si αk+l ≤ αkαl pour tout k, l pourlesquelles l’inégalité est définie.

Théorème 3.1.3. (Ransford [21]) Soit n ≥ 2. Soit α2, · · · , αn et β2, · · · , βn des suites sous-multiplicatives et positives. Alors il existe N ≥ 1 et des matrices A,B ∈ CN×N satisfaisant(3.2) tels que ∥∥Ak∥∥ = αk et

∥∥Bk∥∥ = βk (k = 2, 3, · · · , n).

On peut prendre N = 2n+ 3.

La démonstration de ce théorème est basée sur la construction d’une matrice de translationpondérée. Cette matrice est également utile pour les preuves des théorèmes qui suivent. Onva la présenter de façon facile qui nous permet de l’exploiter prochainement.

Pour w1, · · · , wn > 0, on définit la matrice de translation pondérée par

S(w1, · · · , wn) :=

0 w1 0 . . . 00 0 w2

w1. . . 0

......

... . . . ...0 0 0 . . . wn

wn−1

0 0 0 . . . 0

Lemme 3.1.4. Soit w1, · · · , wn une suite sous-multiplicative et positive. Pour S := S(w1, · · · , wn),on a ∥∥Sk∥∥ = wk (k = 1, · · · , n)

et

1 + 12 max

1≤k≤nwk|z|k ≤

∥∥∥(I − zS)−1∥∥∥ ≤ 1 +

n∑k=1

wk|z|k (z ∈ C). (3.5)

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Démonstration. Pour tout k = 1, · · · , n, il existe une matrice de permutation cyclique Q telleque

SkQ = diag(wk,

wk+1w1

, · · · , wnwn−k

, 0, · · · , 0).

Puisque la suite w1, · · · , wn est sous-multiplicative et positive, alors on aura∥∥SkQ∥∥ = maxwk,

wk+1w1

, · · · , wnwn−k

, 0, · · · , 0

= wk.

Comme ‖Q‖ =∥∥Q−1∥∥ = 1, alors on déduit que

∥∥Sk∥∥ = wk. Pour la deuxième partie dulemme, on remarque que∥∥∥(I − zS)−1

∥∥∥ =∥∥∥∥ n∑k=0

zkSk∥∥∥∥ ≤ n∑

k=0|z|k

∥∥Sk∥∥ ≤ 1 +n∑k=1|z|kwk (z ∈ C).

Pour la borne inférieure, on fixe tout d’abord k ∈ 1, · · · , n et z ∈ C. Soit Q la matricede permutation qui échange les colonnes 2 et k + 1. Soit P la matrice diagonale P :=diag(1, eiθ, 0, · · · , 0) avec θ = − arg

(zk). On a

PQ(I − zS

)−1QP =

(1 |z|kwk0 1

)⊕O,

où ⊕ désigne la somme directe des matrices par blocs et O dénote la matrice nulle. Parconséquent,

∥∥∥(I − zS)−1∥∥∥ ≥ ∥∥∥∥∥

(1 |z|kwk0 1

)⊕O

∥∥∥∥∥. (3.6)

En conjuguant avec la matrice de permutation qui échange les deux premières colonnes, ontrouve ∥∥∥∥∥

(1 |z|kwk0 1

)⊕O

∥∥∥∥∥ =∥∥∥∥∥(

1 0|z|kwk 1

)⊕O

∥∥∥∥∥. (3.7)

En prenant les moyennes de (3.6) et (3.7), il s’ensuit que

∥∥∥(I − zS)−1∥∥∥ ≥ ∥∥∥∥∥

(1 1

2 |z|kwk

12 |z|

kwk 1

)⊕O

∥∥∥∥∥.Puisque la norme euclidienne ‖ · ‖ est supérieure ou égale au rayon spectral, on obtient

∥∥∥(I − zS)−1∥∥∥ ≥ ρ(( 1 1

2 |z|kwk

12 |z|

kwk 1

)⊕O

)= 1 + 1

2 |z|kwk.

Le résultat est obtenu donc en prenant le maximum pour k allant de 1 à n.

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Démonstration du théorème 3.1.3. Choisissons α1 et β1 assez grands de telle sorte que lessuites α1, · · · , αn et β1, · · · , βn soient sous-multiplicatives. Soit γ et Γ deux nombres positifstels que Γ ≥ γ. Définissons ensuite les matrices suivantes

A0 := S(α1, · · · , αn), B0 := S(β1, · · · , βn) et C0 := S(Γ, γ2, γ3, · · · , γn+1).

Définissons alors les matrices A et B sur C(2n+3)×(2n+3) par A := A0 ⊕ C0 et B := B0 ⊕ C0.On va choisir dans la suite de cette preuve les nombres γ et Γ qui donnent des matrices A etB avec des pseudospectres identiques et qui satisfassent

∥∥Ak∥∥ = αk et∥∥Bk

∥∥ = βk.

Choisissons tout d’abord γ > 0 assez petit tel que γk < min(αk, βk

)pour k = 2, 3, · · · , n. On

a donc

∥∥Ak∥∥ = max(∥∥Ak0∥∥, ∥∥Ck0 ∥∥) = max

(αk, γ

k) = αk

et de la même façon∥∥Bk

∥∥ = βk pour k = 2, · · · , n.On rappelle que A et B ont des pseudospectres identiques si et seulement si∥∥∥(I − zA)−1

∥∥∥ =∥∥∥(I − zB)−1

∥∥∥ (z ∈ C).

On a ∥∥∥(I − zA)−1∥∥∥ = max

∥∥∥(I − zA0)−1

∥∥∥, ∥∥∥(I − zC0)−1

∥∥∥,et ∥∥∥(I − zB)−1

∥∥∥ = max∥∥∥(I − zB0

)−1∥∥∥, ∥∥∥(I − zC0

)−1∥∥∥.

Il suffit donc de choisir Γ > 0 tel que∥∥∥(I − zC0)−1

∥∥∥ ≥ ∥∥∥(I − zA0)−1

∥∥∥ et∥∥∥(I − zC0

)−1∥∥∥ ≥ ∥∥∥(I − zB0

)−1∥∥∥ (z ∈ C).

Par le lemme 3.1.4, on peut obtenir les inégalités précédentes si

max(Γt

2 ,γn+1tn+1

2)≥

n∑k=1

αktk et max

(Γt2 ,

γn+1tn+1

2)≥

n∑k=1

βktk (t ≥ 0).

Il existe t0 := t0(α1, · · · , αn, β1, · · · , βn, γ

)tel que

γn+1tn+1

2 ≥n∑k=1

αktk et γn+1tn+1

2 ≥n∑k=1

βktk (t ≥ t0).

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Ainsi, pour compléter la construction, on choisit Γ > 0 assez grand tel que

Γt2 ≥

n∑k=1

αktk et Γt

2 ≥n∑k=1

βktk (0 ≤ t ≤ t0).

Le théorème précédent montre que les matrices peuvent avoir des pseudospectres identiquesbien que leurs puissances supérieures ou égales à 2 ont des normes complètement indépen-dantes les unes des autres. Les matrices qui sont construites dans la preuve de ce théorème sontnilpotentes. La question qui se pose à ce niveau est de savoir comment les résultats changentsi on considère des matrices plus générales. Est-ce que le pseudospectre par exemple dans cecas va déterminer la norme des puissances d’une matrice diagonalisable ? Rappelons qu’unematrice est dite diagonasable si elle est semblable à une matrice diagonale. La combinaison dela construction du théorème précédent avec un argument de perturbation permettra d’obtenirle contre exemple énoncé dans le théorème qui suit.

Théorème 3.1.5. (Ransford [21]) Soit n ≥ 2. Soit α2, · · · , αn et β2, · · · , βn des suites sous-multiplicatives positives et ε > 0. Alors il existe N ≥ 1 et des matrices diagonalisables A,B ∈CN×N qui satisfassent (3.2) tels que

αk − ε <∥∥Ak∥∥ < αk + ε et βk − ε <

∥∥Bk∥∥ < βk + ε (k = 2, 3, · · · , n). (3.8)

L’idée de base pour démontrer ce théorème est de perturber la construction de la preuve duthéorème 3.1.3. On va avoir besoin au début les deux lemmes suivants.

Lemme 3.1.6. Soit V et W deux matrices sur C telles que V est inversible et ‖V −W‖ <1

2∥∥V −1

∥∥ . Alors W est inversible aussi et on a

∥∥V −1 −W−1∥∥ ≤ 2∥∥V −1∥∥2∥∥V −W∥∥.

Démonstration. On a∥∥I − V −1W

∥∥ ≤ ∥∥V −1∥∥‖V − W‖ ≤ 12 . Par conséquent, V −1W est

inversible, et donc W l’est aussi.

D’autre part, on a∥∥V −1 −W−1∥∥ =∥∥V −1(W − V )W−1∥∥ ≤ ∥∥V −1∥∥‖V −W‖∥∥W−1∥∥. (3.9)

Puisque ‖V −W‖ < 12∥∥V −1

∥∥ , alors ∥∥V −1 −W−1∥∥ < 12∥∥W−1∥∥. Il suit donc que

∥∥W−1∥∥ ≤ ∥∥W−1 − V −1∥∥+∥∥V −1∥∥

≤ 12∥∥W−1∥∥+

∥∥V −1∥∥.Ceci est équivalent à ∥∥W−1∥∥ ≤ 2

∥∥V −1∥∥. (3.10)

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Le résultat découle donc de (3.9) et (3.10).

Lemme 3.1.7. Pour tout V ∈ CN×N , on a∥∥adj(V )− (−V )N−1∥∥ ≤ 2Nρ(V )‖V ‖N−2,

où adj(V ) dénote la matrice des cofacteurs de V et ρ(V ) dénote le rayon spectral de V .

Démonstration. Puisque les matrices inversibles sont denses dans CN×N , alors il suffit demontrer cette inégalité pour les matrices inversibles. Soit p le polynôme caractéristique de V .Comme p(z) :=

∏Nk=1(z − λk), où λ1, · · · , λN sont les valeurs propres de V , alors on peut

écrire p(z) =∑Nk=1 akz

k, avec

aN = 1, a0 = (−1)N det(V ) et |ak| ≤(N

k

)ρ(V )N−k (k = 0, · · · , N). (3.11)

D’après le théorème de Cayley-Hamilton, on a p(V ) = 0. Celà implique que, en multipliantpar V −1, on aura

a0V−1 + aNV

N−1 = −N−1∑k=1

akVk−1.

Il suit donc de (3.11) que

∥∥∥(−1)N det(V )V −1 + V N−1∥∥∥ ≤ N−1∑

k=1

(N

k

)ρ(V )N−k‖V ‖k−1.

Comme det(V )V −1 = adj(V ) et ρ(V ) ≤ ‖V ‖, on déduit donc que

∥∥∥(−1)Nadj(V ) + V N−1∥∥∥ ≤ N−1∑

k=1

(N

k

)ρ(V )‖V ‖N−k−1‖V ‖k−1.

≤ 2Nρ(V )‖V ‖N−2.

Démonstration du théorème 3.1.5. Définissons les matrices A0, B0 et C0 de la même façonque dans la démonstration du théorème 3.1.3. Le choix de γ est le même que précédemment.Cependant, le choix de Γ est un peu différent et doit satisfaire

Γ ≥ γ, Γt2 ≥

n∑k=1

αktk + 2t et Γt

2 ≥n∑k=1

βktk + 2t (0 ≤ t ≤ 1

γ). (3.12)

La prochaine étape est de perturber A0, B0 et C0 de façon à obtenir des matrices diagonali-sables. Soit ζ1, · · · , ζn des nombres complexes distincts de modules égales à 1/2 et définissonsles matrices

D := diag(ζ1, · · · , ζn+1) et D′ := diag(ζ1, · · · , ζn+1, 0).

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Par la suite, pour tout δ > 0, on définit

Aδ := A0 + δD, Bδ := B0 + δD et Cδ := C0 + δD′.

Puisque chacune des matrices Aδ, Bδ et Cδ a des valeurs propres distinctes, alors les matricesAδ ⊕ Cδ et Bδ ⊕ Cδ sont diagonalisables.Si δ > 0 est choisi assez petit, alors par continuité, on a∣∣∣∥∥(Aδ ⊕ Cδ)k∥∥− αk∣∣∣ < ε et

∣∣∣∥∥(Bδ ⊕ Cδ)k∥∥− βk∣∣∣ < ε (k = 2, · · · , n).

On montre ensuite, en réduisant δ si nécessaire, on a∥∥∥(Cδ − zI)−1∥∥∥ ≥ ∥∥∥(Aδ − zI)−1

∥∥∥ et∥∥∥(Cδ − zI)−1

∥∥∥ ≥ ∥∥∥(Bδ − zI)−1∥∥∥ (|z| ≥ γ). (3.13)

À partir du lemme 3.1.4, on a∥∥∥(I − wC0)−1

∥∥∥− ∥∥∥(I − wA0)−1

∥∥∥ ≥ (1 + 12Γ|w|)−

(1 +

n∑k=1|αk||w|k

)(w ∈ C).

Il suit du choix de Γ défini dans (3.12) que∥∥∥(I − wC0)−1

∥∥∥− ∥∥∥(I − wA0)−1

∥∥∥ ≥ 2|w| (|w| ≤ 1γ

).

On applique à ce niveau le lemme 3.1.6 avec V = I − wA0 et W = I − wAδ. Si δ|w|‖D‖ ≤1/(2∥∥(I − wA0)−1∥∥), alors∥∥∥(I − wAδ)−1 −

(I − wA0

)−1∥∥∥ ≤ 2

∥∥(I − wA0)−1∥∥2δ|w|‖D‖.

Il s’ensuit que si on choisit δ assez petit que l’on veut, alors∥∥∥(I − wAδ)−1 −(I − wA0

)−1∥∥∥ ≤ |w| (|w| ≤ 1

γ).

De la même façon, si δ assez petit, alors∥∥∥(I − wCδ)−1 −(I − wC0

)−1∥∥∥ ≤ |w| (|w| ≤ 1

γ).

Si on met toutes ces conditions ensembles, alors on obtient l’inégalité suivante pour δ suffi-samment petit ∥∥∥(I − wCδ)−1

∥∥∥ ≥ ∥∥∥(I − wAδ)−1∥∥∥ (|w| ≤ 1

γ),

et l’équation (3.13) découle donc pour A. Bien évidemment. le même argument est valideaussi pour B.L’étape suivante consiste à montrer que si on réduit δ encore un peu plus, on peut doncassurer que∥∥∥(Cδ − zI)−1

∥∥∥ ≥ ∥∥∥(Aδ − zI)−1∥∥∥ et

∥∥∥(Cδ − zI)−1∥∥∥ ≥ ∥∥∥(Bδ − zI)−1

∥∥∥ (|z| ≤ δ). (3.14)

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Pour ce faire, on utilise le lemme 3.1.7 avec V = Aδ − zI. Puisque V est de dimension(n+ 1)× (n+ 1), on obtient

∥∥adj(Aδ − zI)− (zI −Aδ)n∥∥ ≤ 2n+1ρ(Aδ − zI)‖Aδ − zI‖n−1.

Puisque σ(Aδ − zI) = σ(δD − zI), alors

ρ(Aδ − zI) = ρ(δD − zI) ≤ ‖δD − zI‖ ≤ δ + |z|.

Il suit donc que

∥∥adj(Aδ − zI)− (zI −Aδ)n∥∥ ≤ 2n+1(δ + |z|)‖Aδ − zI‖n−1.

On note aussi que

sup|z|≤δ

∥∥(zI −Aδ)n − (−A0)n∥∥ = O(δ) (δ → 0).

Par conséquent, il existe une constante K, indépendante de z et δ, telle que

∥∥adj(Aδ − zI)− (−A0)n∥∥ ≤ Kδ (|z| ≤ δ).

De la même façon, comme Cδ est une matrice (n + 2) × (n + 2), il existe une constante K ′

telle que

∥∥adj(Cδ − zI)− (−C0)n+1∥∥ ≤ K ′δ (|z| ≤ δ).

Puisque An0 6= 0 et Cn+10 6= 0, on déduit donc, pour δ suffisamment petit, que

∥∥adj(Cδ − zI)∥∥ ≥ 1

2∥∥Cn+1

0∥∥ et

∥∥adj(Aδ − zI)∥∥ ≤ 2

∥∥An0∥∥ (|z| ≤ δ).

On a

adj(Cδ − zI) = det(Cδ − zI)(Cδ − zI)−1, adj(Aδ − zI) = det(Aδ − zI)(Aδ − zI)−1

et

det(Cδ − zI)det(Aδ − zI) = det(δD′ − zI)

det(δD − zI) = −z.

En combinant tous ces facteurs, on obtient pour δ suffisamment petit∥∥(Cδ − zI)−1∥∥∥∥(Aδ − zI)−1∥∥ ≥ 1

|z|

∥∥Cn+10

∥∥4∥∥An0∥∥ ≥ 1

δ

∥∥Cn+10

∥∥4∥∥An0∥∥ (|z| ≤ δ).

De cette façon, si δ est choisi suffisamment petit, alors l’équation 3.14 tient pour A. Le mêmeargument s’applique aussi pour B.On fixe maintenant δ > 0 de façon à ce que (3.13) et (3.14) tiennent. Pour récapituler, si

41

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on définit A := Aδ ⊕ Cδ et B := Bδ ⊕ Cδ, alors A et B sont des matrices diagonalisablessatisfaisant (3.8) et ∥∥(A− zI)−1∥∥ =

∥∥(B − zI)−1∥∥ (z ∈ Q),

où Q est l’anneau z ∈ C : δ < |z| < γ.On traite dans ce qui suit le cas où z ∈ Q. On définit L par

L := max

supz∈Q

∥∥(A− zI)−1∥∥, supz∈Q

∥∥(B − zI)−1∥∥.On couvre ainsi Q par un nombre fini des disques de rayons 1/L et de centres µ1, · · · , µmappartenants à Q. On a donc, pour E := diag(µ1, · · · , µm),∥∥(E − zI)−1∥∥ ≥ ∥∥(A− zI)−1∥∥ et

∥∥(E − zI)−1∥∥ ≥ ∥∥(B − zI)−1∥∥ (z ∈ Q).

De cette façon, si on remplace A et B par A := A ⊕ E et B := B ⊕ E respectivement,alors ils vont avoir des pseudospectres identiques. Bien évidemment, les matrices A et B sontdiagonalisables. Enfin, comme µ1, · · · , µm ∈ Q, on obtient

∥∥Ek∥∥ ≤ γk min(αk, βk) pour toutk = 2, · · · , n et (3.8) reste encore valide.

3.1.2 Fonction holomorphe d’une matrice

On rappelle que l’objectif principal de ce chapitre est de savoir si le pseudospectre déterminele comportement d’une matrice ou non. Plus précisément, soit A et B deux matrices non-normales de CN×N , pour N ≥ 1, qui ont des pseudospectres identiques. Est-ce qu’on peutconclure que

∥∥f(A)∥∥ =

∥∥f(B)∥∥ pour toute fonction f holomorphe sur un voisinage du spectre

de A ou B ? Ou tout au moins, existe-t-il une constante M = M(f,N) tel que∥∥f(A)

∥∥ ≤M∥∥f(B)

∥∥ ?Dans le cadre de cette thèse, on va montrer un résultat plus général qui répond négativementà cette dernière question. On généralise aussi le théorème 3.1.1 affirmant que le pseudospectredétermine la norme d’une matrice à un facteur constant près. Ces résultats ont été publiésdans [23].

On rappelle qu’une fonction f complexe est dite une transformation de Möbius si elle estdéfinie par

f(z) := az + b

cz + d(z ∈ C),

où a, b, c, d sont des nombres complexes tels que ad− bc 6= 0. Toute transformation de Möbiuspeut être décomposée en une composée de transformations des trois types suivants

. f1(z) = z + dc (Translation)

. f2(z) = 1z (Inversion)

. f3(z) = bc−adc2 z + a

c (Similitude).

42

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Soit f une fonction holomorphe sur un domaine D de C, et telle que sa dérivée f ′ ne s’annulepas sur D. La dérivée schwarzienne de f , qu’on note S(f), est définie par

S(f) :=(f ′′f ′

)′− 1

2(f ′′f ′

)2

= f ′′′

f ′− 3

2(f ′′f ′

)2.

On vérifié à l’aide d’un calcul direct que cette dérivée satisfait la relation S(1/f) = S(f). Cecipermet de définir la dérivée schwarzienne d’une fonction méromorphe au voisinage d’un pôlesimple.

La proposition suivante montre que les transformations de Möbius sont caractérisées par unedérivée schwarzienne nulle.

Proposition 3.1.8. Une fonction méromorphe f est une transformation de Möbius si etseulement si S(f) = 0.

Démonstration. On suppose que S(f) = 0 et on pose y = f ′′/f ′. On obtient donc l’équationdifférentielle y′−(1/2)y2 = 0. Les solutions de cette équation sont données par y = −2/(z+c1),où c1 est une constante. En revenant à la fonction f , on aura

f ′′ = −2z + c1

f ′.

Ce qui entraîne que

f ′(z) = c2(z + c1)2 et alors f(z) = c3z + c1 − c2

z + c1,

où c2 et c3 sont des constantes. D’où f est une transformation de Möbius.

Réciproquement, si on considère une transformation de Möbius f(z) = (az+ b)/(cz+d), avecad− bc 6= 0, alors on obtient par un calcul direct que S(f) = 0.

Pour plus d’information sur les transformations de Möbius et leurs diverses applications, onpeut consulter par exemple [5]. Le théorème suivant généralise le théorème 3.1.1 pour lestransformations de Möbius.

Théorème 3.1.9. (Ransford et Raouafi [23]) Soit A et B deux matrices N ×N sur C ayantdes pseudospectres identiques. Alors pour toute transformation de Möbius f holomorphe surun voisinage du spectre de A ou de B, on a

∥∥f(A)∥∥ ≤M∥∥f(B)

∥∥,où M = 5+

√33

2 ≈ 5, 3723.

43

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Notons toutefois qu’on n’a pas jusqu’à présent d’exemple qui prouve que cette constante estoptimale.

Démonstration. Après une transformation affine de la variable, trois cas sont à considérer.

Cas 1 : f(z) = 1/z. En utilisant la condition (3.2), on obtient∥∥f(A)∥∥ =

∥∥A−1∥∥ =∥∥B−1∥∥ =

∥∥f(B)∥∥.

Cas 2 : f(z) = z. En utilisant le théorème 3.1.1, on aura∥∥f(A)∥∥ = ‖A‖ ≤ 2‖B‖ = 2

∥∥f(B)∥∥.

Cas 3 : f(z) = 1− 1/z. On a ∥∥f(A)∥∥∥∥f(B)∥∥ =

∥∥I −A−1∥∥∥∥I −B−1∥∥ .

On estime maintenant cette quantité en fonction de t :=∥∥I −B−1∥∥.

D’une part, on a∥∥I −A−1∥∥ ≤ 1 +∥∥A−1∥∥ = 1 +

∥∥B−1∥∥ ≤ 2 +∥∥I −B−1∥∥.

Il en résulte donc ∥∥f(A)∥∥∥∥f(B)∥∥ ≤ 2

t+ 1. (3.15)

D’autre part, l’utilisation du 2ième cas, nous donne∥∥I −A−1∥∥ =∥∥(A− I)A−1∥∥ ≤ ‖A− I‖∥∥A−1∥∥ ≤ 2‖B − I‖

∥∥B−1∥∥,et par la suite ∥∥f(A)

∥∥∥∥f(B)∥∥ ≤ 2‖B‖

∥∥B−1∥∥.Si t < 1, alors B =

(I− (I−B−1)

)−1 =∑∞k=1(I−B−1)k et par conséquent ‖B‖ ≤

∑∞k=1 t

k =1

1−t . On a aussi∥∥B−1∥∥ ≤ 1 +

∥∥B−1 − I∥∥ = 1 + t. Il en résulte donc, pour t < 1, que∥∥f(A)∥∥∥∥f(B)∥∥ ≤ 21 + t

1− t . (3.16)

En combinant (3.15) et (3.16), on conclut que∥∥f(A)∥∥∥∥f(B)∥∥ ≤ sup

0<t<1min

2t

+ 1, 21 + t

1− t.

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Un calcul élémentaire montre que cette borne supérieure est égale à (5 +√

33)/2, d’où lerésultat.

On a montré dans la section précédente que, pour tout N ≥ 7, il existe des matricesA,B ∈ CN×N qui ont des pseudospectres identiques mais

∥∥An∥∥ et∥∥Bn

∥∥ sont complètementindépendantes pour tout 2 ≤ n ≤ N−3

2 . Le résultat qu’on a montré ne répond pas au casn > N−3

2 qui est plus intéressant dans les applications. Est-il possible de le démontrer pource dernier cas ?

Le pseudospectre est aussi utilisé pour étudier les exponentiels. Existe-t-il une constanteM > 0 telle que pour toutes matrices A,B ∈ CN×N ayant des pseudospectres identiques, on a∥∥eA∥∥ ≤M∥∥eB∥∥ ? Le théorème suivant donne un résultat plus général qui répond négativementà ces questions.

Théorème 3.1.10. (Ransford et Raouafi [23]) Soit f une fonction holomorphe sur un do-maine Ω. Supposons que f n’est ni constante ni une transformation de Möbius. Pour toutN ≥ 6 et M > 1, il existe des matrices A,B ∈ CN×N avec des spectres dans Ω telles que∥∥∥(zI −A)−1

∥∥∥ =∥∥∥(zI −B)−1

∥∥∥ (z ∈ C),

et

∥∥f(A)∥∥ > M

∥∥f(B)∥∥. (3.17)

Avant d’arriver à démontrer ce théorème on a besoin des résultats suivants. Dans ce qui suit,on note S := S(1, 1, · · · , 1) la matrice de translation à gauche sur CN . Un raisonnementsemblable à celui de la démonstration de l’inégalité (3.5) du lemme 3.1.4 conduit à l’inégalitésuivante.

1 + 12 max

1≤k≤N−1|αk| ≤

∥∥∥∥I +N−1∑k=1

αkSk

∥∥∥∥ ≤ 1 +N−1∑k=1|αk|, (3.18)

où α1, · · · , αN−1 sont des nombres complexes quelconques. Le lemme suivant est la clé deconstruction des matrices satisfaisant les conditions du théorème 3.1.10. Cette technique estaussi intéressante dans la construction des matrices avec des pseudospectres identiques.

Lemme 3.1.11. Supposons que N = 4. Soit α, β, γ ∈ C avec |α| > 1 et C une matrice 4× 4donnée par C := αS + βS2 + γS3. Alors

∥∥(I − zC)−1∥∥ ≥ 1 + 14 |α|

2|z|min|η|, |η|

12

(z ∈ C),

où η = β2−αγα4 .

45

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Démonstration. Un calcul direct montre que

(I − zC)−1 = I + αzS + (α2z2 + βz)S2 + (α3z3 + 2αβz2 + γz)S3.

Il suit donc de l’inégalité (3.18) que∥∥(I − zC)−1∥∥ ≥ 1 + 12 max

|α2z2 + βz|, |α3z3 + 2αβz2 + γz|

= 1 + 1

2 |α|2|z|max

|w|, |α||w2 − η|

,

avec w := z + β/α2 et η := (β2 − αγ)/α4.

Si |w| < 12 |η|

12 , alors |α||w2 − η| ≥ |w2 − η| ≥ 1

2 |η|. Par conséquent,

max|w|, |α||w2 − η|

≥ 1

2 min|η|, |η|

12,

pour tout w ∈ C.

Démonstration du théorème 3.1.10. Puisque f n’est pas constante, les zéros de f et f ′ sontisolés. Aussi, comme f n’est pas une transformation de Möbius, alors, d’après la proposition3.1.8, sa dérivée schwarzienne S(f) n’est pas identiquement nulle, et par suite les zéros deS(f) sont aussi isolés. Il existe donc w ∈ Ω pour lequel on a simultanément

f(w) 6= 0, f ′(w) 6= 0, et S(f)(w) 6= 0.

Définissons maintenant f au voisinage de 0 par f(z) := f(w+λz)/f(w), avec λ = f(w)/f ′(w).La fonction f satisfait f(0) = f ′(0) = 1 et S(f)(0) 6= 0. Si on peut trouver des matricesnilpotentes A et B satisfaisant la conclusion du théorème pour f , alors en prenant A :=λA+wI et B := λB+wI, on obtient des matrices qui satisfont la conclusion pour la fonctionf . On peut supposer donc dans ce qui suit que 0 ∈ Ω et que f(0) = f ′(0) = 1 et S(f)(0) 6= 0.Autrement dit,

f(z) = 1 + z + a2z2 + a3z

3 +O(z4),

avec a3 − a22 6= 0.

Soit C ∈ C4×4 la matrice définie dans le lemme 3.1.11. Alors, puisque C4 = O, on a

f(C) = I + C + a2C2 + a3C

3 = I + αS + (a2α2 + β)S2 + (a3α

3 + 2a2αβ + γ)S3.

Soit α := t > 1, un paramètre à choisir plus tard, et soient β et γ des paramètres choisisde façon à annuler les coefficients de S2 et S3 sus-cités, notamment β := −a2t

2 et γ :=(2a2

2 − a3)t3. On a donc f(C) = I + tS, et par conséquent,∥∥f(C)∥∥ ≤ 1 + t. (3.19)

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À partir du lemme 3.1.11, on a aussi

∥∥(I − zC)−1∥∥ ≥ 1 + t2µ|z| (z ∈ C), (3.20)

où µ := 14 min

|a3 − a2

2|, |a3 − a22|1/2

. On note que µ > 0 car a3 − a2

2 6= 0.

Supposons tout d’abord que N = 6. Définissons A := A0 ⊕ C et B := B0 ⊕ C, où A0 et B0

sont des matrices 2× 2 données par A0 = t2µS et B0 = O. On dénote par S ici la matrice detranslation sur C2. Il est clair que A et B ont tous les deux des spectres égaux à 0.

On montre par la suite que A et B ont des pseudospectres identiques. On a

∥∥(I − zA0)−1∥∥ = ‖I + zt2µS‖ ≤ 1 + t2µ|z|,∥∥(I − zB0)−1∥∥ = ‖I‖ = 1 (z ∈ C).

Il résulte donc, en utilisant (3.20), que

∥∥(I − zC)−1∥∥ ≥ ∥∥(I − zA0)−1∥∥ et∥∥(I − zC)−1∥∥ ≥ ∥∥(I − zB0)−1∥∥ (z ∈ C).

Ceci implque que

∥∥(I − zA)−1∥∥ =∥∥(I − zC)−1∥∥ =

∥∥(I − zB)−1∥∥ (z ∈ C).

Après ceci, on montre que A et B satisfont (3.17). D’une part, on a

∥∥f(A)∥∥ = max

∥∥f(A0)∥∥, ∥∥f(C)

∥∥ ≥ ∥∥f(A0)∥∥ = ‖I + t2µS‖ ≥ 1 + 1

2 t2µ.

D’autre part, en utilisant (3.19), on aura

∥∥f(B)∥∥ = max

∥∥f(B0)∥∥, ∥∥f(C)

∥∥ ≤ max‖I‖, 1 + t = 1 + t.

On conclut donc que ∥∥f(A)∥∥∥∥f(B)∥∥ ≥ 1 + t2µ/2

1 + t≥ 1

4µt,

et par conséquent, l’inégalité (3.17) suit en choisissant t > 4M/µ.

Enfin, si N > 6, alors on prend la somme directe des matrices A et B obtenues ci-dessus avecla matrice nulle de dimension (N − 6)× (N − 6).

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3.2 Normes plus générales

Bien que la norme euclidienne soit sans doute le cas le plus important, il y a des cas où laconsidération des pseudospectres définis par rapport à d’autres normes serait plus approprié.

3.2.1 Normes admissibles

Nous débutons cette section par l’étude de la norme matricielle 1 qui est défini par ‖A‖1 :=sup|x|1=1 |Ax|1, où |x|1 :=

∑Nk=1 |xk| est la norme 1 sur CN . Plusieurs exemples y ont été

donnés à [32, §56, §57]. En raison du théorème ci-dessous, il n’existe pas d’exemples similairesà celui du théorème 3.1.2 pour cette norme.

Théorème 3.2.1. [21, Théorème 1.5] Soit N ≥ 1 et A,B ∈ CN×N des matrices satisfaisant∥∥∥(zI −A)−1∥∥∥

1=∥∥∥(zI −B)−1

∥∥∥1

(z ∈ C).

Alors

‖A‖1 = ‖B‖1.

Est-ce qu’on peut déduire aussi que∥∥An∥∥1 =

∥∥Bn∥∥

1, pour tout n ≥ 2 ? Pourrions nous allerplus loin pour conclure que

∥∥f(A)∥∥

1 =∥∥f(B)

∥∥1, pour toute fonction f holomorphe sur un

voisinage du spectre de A ou de B ? Une autre fois encore, la réponse est non, et non passeulement pour la norme ‖ · ‖1, mais aussi pour une grande variété des normes. Pour clarifierceci, commençons par introduire la famille des normes ci-après.

Une norme ‖ · ‖ sur CN×N est dite admissible si elle satisfait les trois propriétés suivantes :

(i) ‖AB‖ ≤ ‖A‖‖B‖ pour tout A,B ∈ CN×N et ‖I‖ = 1. Autrement dit ‖ · ‖ est unenorme d’algèbre,

(ii) ‖Q‖ = 1 pour toute matrice de permutation Q,

(iii) ‖A⊕B‖ = max‖A⊕O‖, ‖O ⊕B‖

pour toute matrice par bloc A⊕B.

Par exemple, si 1 ≤ p <∞ et | · |p est la norme p sur CN , donnée par |x|p :=(∑N

k=1 |xk|p) 1p ,

alors la norme matricielle associée ‖A‖p := sup|x|p=1 |Ax|p sur CN×N est admissible. La pro-position suivante résume quelques propriétés de bases des normes admissibles qui seront utilesdans la suite de cette section.

Proposition 3.2.2. Soit ‖ · ‖ une norme admissible sur CN×N .(a) Si D = diag(α1, · · · , αN ), alors ‖D‖ = max

|α1|, · · · , |αN |

.

(b) Si S est la matrice de translation sur CN , alors∥∥Sk∥∥ = 1 pour tout k = 0, 1, · · · , N −1.

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Démonstration.(a) Soit J = diag(1, 0, · · · , 0). En utilisant les propriétés (i) et (iii) de la définition desnormes admissibles, on obtient ‖J‖ ≤ ‖I‖ = 1. D’autre part, puisque J = J2, on a ‖J‖ ≤ ‖J‖2

et alors ‖J‖ ≥ 1. Il suit donc que ‖J‖ = 1. Par linéarité, on déduit donc que∥∥diag(α1, 0, · · · , 0)

∥∥ =|α1|. Le cas général suit par induction sur le nombre des αk non-nuls.

(b) Soit Q une permutation matricielle cyclique de dimension N × N telle que SkQ =diag(1, · · · , 1, 0, · · · , 0), donc

∥∥SkQ∥∥ = 1. Comme ‖Q‖ = ‖Q−1‖ = 1, alors on déduit lerésultat.

Partant de ces propriétés de base, les preuves des lemmes 3.1.4 et 3.1.11 et les théorèmes 3.1.3et 3.1.10 restent valides peu importe la norme admissible choisie. On obtient de cette façonles généralisations suivantes des théorèmes 3.1.3 et 3.1.10.

Théorème 3.2.3. (Ransford [21]) Soit n ≥ 2. Soit α2, · · · , αn et β2, · · · , βn des suites sous-multiplicatives et positives. Alors il existe N ≥ 1 et des matrices A,B ∈ CN×N telles que,pour toute norme admissible ‖ · ‖ sur CN×N , on a∥∥∥(zI −A)−1

∥∥∥ =∥∥∥(zI −B)−1

∥∥∥ (z ∈ C).

et ∥∥Ak∥∥ = αk et∥∥Bk

∥∥ = βk (k = 2, 3, · · · , n).

On peut prendre N = 2n+ 3.

Théorème 3.2.4. (Ransford et Raouafi [23]) Soit f une fonction holomorphe sur un domaineΩ. Supposons que f n’est ni constante ni une transformation de Möbius. Pour tout N ≥ 6 etM > 1, il existe des matrices A,B ∈ CN×N avec des spectres dans Ω telles que, pour toutenorme admissible ‖ · ‖ sur CN×N , on a∥∥∥(zI −A)−1

∥∥∥ =∥∥∥(zI −B)−1

∥∥∥ (z ∈ C),

et ∥∥f(A)∥∥ > M

∥∥f(B)∥∥.

Focalisons nous présentement sur le théorème 3.1.9 et essayons de comprendre comment ilfonctionne si on utilise une norme admissible quelconque. Une examination de sa preuvemontre qu’il utilise très peu le fait que les matrices N × N forment une algèbre de Banach.La seule exception est le théorème 3.1.1 dont la preuve dépend de l’image numérique desopérateurs d’un espace de Hilbert. Ceci peut être remplacée par le résultat suivant qui est luiaussi un sous-produit de la théorie de l’image numérique dans les algèbres de Banach.

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Lemme 3.2.5. Soit(A, ‖ · ‖

)une algèbre de Banach unitaire. Soit a et b des éléments de A

tels que ∥∥∥(a− z1)−1∥∥∥ =

∥∥∥(b− z1)−1∥∥∥ (z ∈ C). (3.21)

Alors

‖a‖ ≤ e‖b‖.

Démonstration. Soit r > ‖b‖ et n > ‖a‖r . En intégrant la série de Taylor associée à la fonction

ζ →(1− a

)−n, on trouve la représentation intégrale suivante

a = 12πi

∫|ζ|=r

(1− a

)−ndζ.

Par conséquent,

‖a‖ ≤ r sup|ζ|=r

∥∥∥(1− a

)−1∥∥∥n = r sup

|ζ|=r

∥∥∥(1− b

)−1∥∥∥n ≤ r(1− ‖b‖

nr

)−n.

En laissant r → ‖b‖ et n→∞, il s’ensuit que ‖a‖ ≤ e‖b‖.

En substituant le théorème 3.1.1 par le lemme 3.2.5 dans la preuve du théorème 3.1.9, onobtient le résultat suivant.

Théorème 3.2.6. (Ransford et Raouafi [23]) Soit(A, ‖ · ‖

)une algèbre de Banach unitaire.

Soit a et b des éléments de A satisfaisant (3.21). Alors, pour toute transformation de Möbiusf holomorphe sur un voisinage du spectre de a ou de b, on a∥∥f(a)

∥∥ ≤M∥∥f(b)∥∥,

où M := e+3+√

(e+1)(e+9)2 ≈ 6, 1596.

3.2.2 Norme de Hilbert-Schmidt

Le but de cette section est de montrer qu’il y a au moins une norme bien connue sur CN×N

dont le pseudospectre détermine le comportement d’une matrice. C’est la norme de Hilbert-Schmidt qui est définie par la formule suivante

‖A‖HS := tr(A∗A) =N∑k=1

s2k,

où tr(A) dénote le trace de la matrice A ∈ CN×N et s1, · · · , sN sont les valeurs singulièresde A. On note bien que cette norme n’est pas admissible. En fait, elle ne satisfait aucune destrois propriétés des normes admissibles.

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Théorème 3.2.7. (Greenbaum et Trefethen [13]) Soit A et B des matrices N ×N sur C telque ∥∥∥(zI −A)−1

∥∥∥HS

=∥∥∥(zI −B)−1

∥∥∥HS

(z ∈ C). (3.22)

Alors, pour tout polynôme p,∥∥p(A)

∥∥HS

=∥∥p(B)

∥∥HS.

Démonstration. En posant ζ = 1z , on déduit que (3.22) est équivalent à

tr[(I − ζA∗)−1(I − ζA)−1

]= tr

[(I − ζB∗)−1(I − ζB)−1

].

Il existe donc r > 0 tel que∑k,l≥0

tr(A∗kAl

)ζkζ l =

∑k,l≥0

tr(B∗kBl

)ζkζ l (|ζ| < r).

On prend ensuite la dérivée(∂∂ζ

)k( ∂∂ζ

)l des deux côtés et on pose ζ = 0 pour obtenir

tr(A∗kAl

)= tr

(B∗kBl

)(k, l ≥ 0).

Par conséquent, pour tout polynôme p(z) :=∑nj=0 ajz

j , on a

∥∥p(A)∥∥HS

:= tr(p(A)∗p(A)

)=

n∑k,l=0

akal tr(A∗kAl

)

=n∑

k,l=0akal tr

(B∗kBl

)= tr

(p(B)∗p(B)

)=∥∥p(B)

∥∥HS.

Ce théorème montre que le pseudospectre détermine le comportement d’une matrice parrapport à la norme de Hilbert-Schmidt. Vue que la norme euclidienne est plus utile pour laplupart des applications, il est intéressant d’ajouter d’autres conditions pour obtenir un résul-tat semblable au théorème précédent pour la norme euclidienne. On rappelle que des matricesayant des pseudospectres identiques par rapport à la norme euclidienne si et seulement si leursrésolvantes ont la même valeur singulière minimale. Autrement dit, on ne s’intéresse qu’à lavaleur singulière minimale. Par contre pour la norme de Hilbert-Schmidt, on voit la présencede tout les valeurs singulières. Il est donc raisonnable d’utiliser les autres valeurs singulièreset d’étudier les résultats qu’on peut tirer au niveau du comportement d’une matrice. Cetteproposition sera étudiée en détail dans le chapitre suivant.

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Chapitre 4

Pseudospectre super-identique

On a vu dans le chapitre précédent que le pseudospectre ne permet pas de déterminer lecomportement d’une matrice. Il y a des parties d’une matrice qui peuvent cacher d’autresde telle manière à ne pas être détectées en utilisant la norme de la résolvante. Le but de cechapitre est d’étudier le comportement des matrices en utilisant les valeurs singulières. On vase baser essentiellement sur les travaux de [9, 21, 22].

4.1 Définitions et propriétés

On rappelle que des matrices A,B ∈ CN×N ont des pseudospectres identiques si et seulementsi la condition suivante est validée,

sN (zI −A) = sN (zI −B) (z ∈ C).

Cette condition ne permet pas de détecter tous les blocs d’une matrice. Cependant, si on im-pose la même condition pour les autres valeurs singulières, alors tous les blocs seront détectés.

Définition 4.1.1. On dit que des matrices A,B ∈ CN×N ont des pseudospectres super-identiques si

sk(zI −A) = sk(zI −B) (z ∈ C, k = 1, · · · , N). (4.1)

Dans cette section, on présente quelques reformulations de la condition (4.1) qui seront utilespour la suite.

Proposition 4.1.2. [9, Proposition 2.2] Soit A,B ∈ CN×N . Les assertions suivantes sontéquivalentes.(i) A et B ont des pseudospectres super-identiques

(ii) tr([

(A− zI)(A∗ − zI)]k)

= tr([

(B − zI)(B∗ − zI)]k)

pour tout z ∈ C et k ≥ 1.

(iii) tr([

(A−zI)(A∗−zI)]k)

= tr([

(B−zI)(B∗−zI)]k)

pour tout z ∈ C et k = 1, · · · , N .

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Démonstration. À partir de la définition des valeurs singulières, on peut conclure que l’asser-tion (i) est équivalent à σ

[(A− zI)(A∗ − zI)

]= σ

[(B − zI)(B∗ − zI)

]. Il devient clair donc

que l’assertion (i) implique l’assertion (ii) qui implique à son tour l’assertion (iii).

Soit maintenant C,D ∈ CN×N tels que tr(Ck)

= tr(Dk)

pour k = 1, · · · , N . Alors lepolynôme caractéristique de C est donné par det(tI −C) =

∑Nk=0(−1)kaktN−k où a0 = 1. En

se basant sur l’identité de Newton (voir [15]), on peut conclure que

kak =k−1∑j=0

ajtr(Ck−j

)(k = 1, · · · , N).

De la même façon, on obtient la même formule pour le polynôme caractéristique de D et alorsσ(C) = σ(D). En prenant C := (zI−A)(zI−A)∗ et D := (zI−B)(zI−B)∗, on peut déduiredonc à partir de ce qui précède que (iii) implique (i).

Le résultat suivant est une conséquence directe de la proposition précédente. Il montre unecondition équivalente à (4.1) pour un ensemble fini des nombres complexes z.

Corollaire 4.1.3. [9, Corollaire 2.3] Soit F :=rpe

iθq : p, q = 0, 1, · · · , N, où 0 < θ0 <

· · · < θN < π et 0 < r0 < · · · < rN . On suppose que A,B ∈ CN×N satisfassent

sk(zI −A) = sk(zI −B) (z ∈ F, k = 1, · · · , N).

Alors A et B ont des pseudospectres super-identiques.

Démonstration. Les polynômes

pk(z) := tr([

(zI −A)(zI −A)∗]k)− tr

([(zI −B)(zI −B)∗

]k)(k = 1, · · · , N),

vérifient la relation pk(z) = pk(z). Donc si z0 est une racine de pk, alors z0 est aussi uneracine. Par hypothèse, ces polynômes s’annulent sur F et cela implique qu’ils sont identique-ment nuls. Le résultat découle donc des assertions de la proposition 4.1.2.

Dans le reste de la section, on présente d’autres conditions équivalentes à la condition (4.1)en utilisant les coefficients des polynômes apparaissant à la démonstration précédente.

Définition 4.1.4. Soit X,Y ∈ CN×N . Pour i, j, k ≥ 0, on définit les coefficients fijk(X,Y )par l’identité suivante

tr([

(I + ξX)(I + ηY )]k)

=∑i,j

fijk(X,Y )ξiηj . (4.2)

On note que fijk = 0 si i ou j sont strictement supérieurs à k.

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Proposition 4.1.5. [9, Proposition 2.5] Soit A,B ∈ CN×N . Les assertions suivantes sontéquivalentes.(i) A et B ont des pseudospectres super-identiques,(ii) fijk

(A,A∗

)= fijk

(B,B∗

)pour tout i, j, k ≥ 0,

(iii) fijk(A,A∗

)= fijk

(B,B∗

)pour tout i, j = 0, 1, · · · , k et k = 1, · · · , N .

Démonstration. Remarquons tout d’abord que

tr([

(zI −A)(zI −A)∗]k)

= tr([

(zI −B)(zI −B)∗]k)

(z ∈ C)

si et seulement si

tr([

(I + ξA)(I + ξA∗)]k)

= tr([

(I + ξB)(I + ξB∗)]k)

(ξ ∈ C).

Ceci est équivalent à∑i,j

fijk(A,A∗)ξiξj =

∑i,j

fijk(B,B∗)ξiξj (ξ ∈ C).

Ce qui est équivalent à

fijk(A,A∗) = fijk(B,B∗) (i, j = 0, · · · , k).

Le résultat découle donc de la proposition 4.1.2.

Soit X,Y ∈ CN×N . On note par C[X,Y ] l’algèbre des polynômes en X et Y . Un élémentde cette algèbre est une somme finie

∑w∈W Cww, où W est l’ensemble de tous les monômes

en X et Y et les coefficients Cw sont des nombres complexes. Pour des éléments w ∈ W etv ∈W\1, on note par dv(w) le nombre de fois où le terme v apparaît dans w.

Définition 4.1.6. Soit X,Y ∈ CN×N . Pour i, j, l ≥ 0, on définit les scalaires polynômiauxgijl(X,Y ) par

gijl(X,Y ) :=∑

tr[w(X,Y )

]: w ∈W, dx(w) = i, dy(w) = j, dxy(w) = l

.

On note aussi que les scalaires gijl sont nuls si i ou j sont inférieurs strictement à l.

Proposition 4.1.7. [9, Théorème 2.7] Pour tout i, j, k ≥ 0, on a

fijk(X,Y ) :=∑l≥0

(k + l

i+ j

)gijl(X,Y ).

Aussi, pour tout i, j, l ≥ 0, on a

gijl(X,Y ) :=∑k≥0

(−1)i+j+k+l(i+ j + 1k + l + 1

)fijk(X,Y ).

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Pour la démonstration de cette proposition, voir [9, Théorème 2.7].

À partir de cette proposition, on peut déduire le corollaire suivant.

Corollaire 4.1.8. [9, Corollaire 2.10] Soit A,B ∈ CN×N . Les assertions suivantes sontéquivalentes.(i) A et B ont des pseudospectres super-identiques,(ii) gijl

(A,A∗

)= gijl

(B,B∗

)pour tout i, j, l ≥ 0,

(iii) gijl(A,A∗

)= gijl

(B,B∗

)pour tout i, j = l, · · · , N et l = 1, · · · , N .

4.2 Pseudospectre super-identique et le comportement d’unematrice

Dans cette section, on va traiter les mêmes questions posées au chapitre 3 en utilisant lacondition de pseudospectre super-identique.

4.2.1 Comportement d’une matrice

Le résultat suivant est une conséquence directe du théorème 3.2.7 du chapitre précédent. Ilmontre que les matrices ayant des pseudospectres super-identiques doivent avoir le mêmecomportement dans le sens faible suivant.

Théorème 4.2.1. (Ransford [21]) Soit N ≥ 1. On suppose que les matrices A,B ∈ CN×N

ont des pseudospectres super-identiques. Alors, pour tout polynôme p, on a

1√N≤∥∥p(A)

∥∥∥∥p(B)∥∥ ≤ √N.

Démonstration. D’après le théorème 3.2.7, on aN∑k=1

s2k

(p(A)

)=

N∑k=1

s2k

(p(B)

).

Par conséquent,

∥∥p(A)∥∥2 = s2

1(p(A)

)≤

N∑k=1

s2k

(p(A)

)=

N∑k=1

s2k

(p(B)

)≤ Ns2

1(p(B)

)= N

∥∥p(B)∥∥2. (4.3)

De la même façon, on prouve aussi la première inégalité.

Il est intéressant de savoir si ces bornes peuvent être indépendantes de N . Plus précisement,est-il possible de remplacer

√N par une constante M indépendante de N ? Cette question

est encore ouverte. Une étude plus précise des valeurs singulières pourrait réduire l’inégalité(4.3) de telle sorte de trouver un majorant indépendant de N . Toutefois, le théorème suivantnous exige de garder toutes les valeurs singulières.

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Théorème 4.2.2. (Ransford [21]) Soit n ≥ 2 et m ≥ 1. Soit α2, · · · , αn et β2, · · · , βn dessuites sous-multiplicatives et positives. Alors il existe N ≥ 1 et des matrices A,B ∈ CN×N

telles que

sk(zI −A) = sk(zI −B) (z ∈ C, k = 1, · · · ,m). (4.4)

et ∥∥Ak∥∥ = αk et∥∥Bk

∥∥ = βk (k = 2, 3, · · · , n).

On peut prendre N = (m+ 1)(n+ 2)− 1.

La démonstration de ce théorème est semblable à la démonstration du théorème 3.1.3 duchapitre précédent. Pour plus de détails, voir [21, Théorème 1.4].

Reprenons le théorème 4.2.1, on verra dans ce qui suit qu’on ne peut pas remplacer la constante√N par 1 pour N ≥ 4. On a besoin de l’identité de Frobenius [10] pour montrer ce résultat

et pour traîter le cas N = 3.

SoitX1, · · · , Xm ∈ CN×N et σ ∈ Sm une permutation donnée par le produit de cycles disjointssuivant

σ := (a1 · · · ai)(b1 · · · bj) · · · (c1 · · · ck).

On définit

trσ(X1, · · · , Xm) := tr(Xa1 · · ·Xai) tr(Xb1 · · ·Xbj ) · · · tr(Xc1 · · ·Xck).

Théorème 4.2.3. (Identité de Frobenius)Soit X1, · · · , XN+1 ∈ CN×N . Alors∑

σ∈SN+1

ε(σ) trσ(X1, · · · , XN+1) = 0,

où ε(σ) est la signature de σ.

Pour une démonstration de cette identité, voir par exemple [22].

Une application de la proposition 4.1.2 et l’identité de Frobenius permet de donner unecaractérisation simple des matrices 3× 3 qui ont des pseudospectres super-identiques.

Proposition 4.2.4. [22, Théorème 4.2] Deux matrices A et B de C3×3 ont des pseudospectressuper-identiques si et seulement si

tr(Ai)

= tr(Bi)

i = 1, 2, 3tr(AiA∗j

)= tr

(BiB∗j

)1 ≤ i ≤ j ≤ 2.

(4.5)

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Démonstration. Le corollaire 4.1.8 implique que ces conditions sont nécéssaires. Pour satisfairela condition suffisante, on a besoin de montrer que les matrices (zI − A)(zI − A)∗ et (zI −B)(zI −B)∗ ont les mêmes valeurs propres pour tout z ∈ C. À partir de la proposition 4.1.2,il suffit de prouver que

tr([

(A− zI)(A∗ − zI)])

= tr([

(B − zI)(B∗ − zI)])

tr([

(A− zI)(A∗ − zI)]2)

= tr([

(B − zI)(B∗ − zI)]2)

det([

(A− zI)(A∗ − zI)])

= det([

(B − zI)(B∗ − zI)]).

Ces équations découlent d’un calcul direct moyennant l’utilisation de (4.5). La seule diffi-culté pour conclure la deuxième équation réside dans la démonstration de tr

(AA∗AA∗

)=

tr(BB∗BB∗

). Pour ce faire, on applique l’identité de Frobenius en posant X1 = X2 = A et

X3 = X4 = A∗. On aura donc

4 tr(AA∗AA∗

)+ 2 tr

(A2A∗2

)+ 4 tr(A) tr

(AA∗2

)+ 4 tr

(A∗)

tr(A2A∗

)+ tr

(A2) tr

(A∗2

)+ 2 tr2 (AA∗)+ tr2(A) tr

(A∗2

)+ tr

(A2) tr2 (A∗)+ tr2(A) tr2 (A∗)+ 4 tr(A) tr

(A∗)

tr(AA∗

)= 0.

De la même façon, on trouve la même équation pour la matrice B, et on obtient donctr(AA∗AA∗

)= tr

(BB∗BB∗

).

Une application directe de la proposition précédente donne le résultat suivant.

Corollaire 4.2.5. [22, Corollaire 4.3] Soit A,B ∈ C3×3 des matrices avec des pseudospectressuper-identiques. Alors, pour tous polynômes p, les matrices p(A) et p(B) ont des pseudos-pectres super-identiques. En particulier

∥∥p(A)∥∥ =

∥∥p(B)∥∥.

La proposition suivante traîte le cas des matrices 4× 4.

Proposition 4.2.6. [22, Théorème 4.4] Deux matrices A et B de C4×4 ont des pseudospectressuper-identiques si et seulement si

tr(Ai)

= tr(Bi)

i = 1, 2, 3, 4tr(AiA∗j

)= tr

(BiB∗j

)1 ≤ i ≤ j ≤ 3.

tr(AA∗

)2 = tr(BB∗

)2.

(4.6)

Démonstration. Ceci est semblable à la démonstration de la proposition 4.2.4, voire un peuplus compliqué. Dans ce cas, on va avoir besoin d’utiliser trois fois l’identité de Frobenius, où(X1, X2, X3, X4, X5) = (A,A,A,A∗, A∗), (A,A,A∗, A∗, AA∗) et (A,A,A,A∗, A∗2).

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Il paraît qu’une application directe de cette proposition nous donne un résultat semblable aucorollaire 4.2.5, mais en réalité l’égalité

tr(p(A)p(A)∗p(A)p(A)∗

)= tr

(p(B)p(B)∗p(B)p(B)∗

)n’est pas toujours valide. Par exemple, cette égalité n’est pas valide pour le polynôme p(z) =z2. En effet, on a le contre-exemple suivant.

Théorème 4.2.7. (Fortier Bourque et Ransford [9]) Soit α, β ∈ (0, π4 ]. Alors les matrices

A =

1 secα 0 10 0 secβ cscβ 00 0 0 cscα0 0 0 0

et B =

1 secβ 0 10 0 secα cscα 00 0 0 cscβ0 0 0 0

ont des pseudospectres super-identiques et

∥∥A2∥∥/∥∥B2∥∥ = cosα/ cosβ.

Démonstration. On peut vérifier que A et B satisfassent (4.6). Ils ont donc des pseudos-pectres super-identiques. Un calcul direct donne aussi

∥∥A2∥∥ = cscα secβ cscβ et∥∥A2∥∥ =

cscβ secα cscα, d’où le résultat.

Si on prend β = π4 et on fait tendre α vers 0, alors les matrices A et B ont des pseudospectres

super-identiques mais∥∥A2∥∥/∥∥B2∥∥→ √2. Il s’agit de la plus grande constante qui a été trouvée

jusqu’à présent. Est-t-elle la constante optimale ? Cette question est encore ouverte.

4.2.2 Équivalence unitaire

Dans cette section, on examine jusqu’au quel point la condition de pseudospectre super-identique implique l’équivalence unitaire. Pour X,Y ∈ CN×N , on note par CN [X,Y ] l’algèbredes polynômes de degrés (N,N) en X et Y . On note aussi par FN la sous-algèbre de CN [X,Y ]engendrée par

fijk : i, j, k ≥ 0

et par IN la sous-algèbre de CN [X,Y ] engendrée par

trw(X,Y ) : w ∈W, où W est l’ensemble des monômes en X et Y . La proposition 4.1.5 et

le théorème de Specht [27] entraîne la caractérisation suivante :

(i) Deux matrices A,B ∈ CN×N ont des pseudospectres super-identiques si et seulement sip(A,A∗) = p(B,B∗) pour tout p ∈ FN .(ii) Deux matricesA,B ∈ CN×N sont unitairement équivalentes si et seulement si p(A,A∗) =p(B,B∗) pour tout p ∈ IN .

La question principale traîtée dans cette thèse à propos de l’équivalence unitaire peut êtredonc traduite par la question suivante : Est-ce que FN = IN pour tout N ?

Bien sûr, on a montré dans la section précédente que la réponse est négative pour N = 4. Enprenant la somme direct de la matrice du théorème 4.1 avec une matrice nulle, on peut voir

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que la réponse est aussi négative pour N ≥ 4. Il est clair qu’on a toujours FN ⊂ IN . On al’égalité pour N = 2, mais l’inclusion est stricte pour N = 3, voir [9]. Avant de présenter lerésultat principal de cette section, on a besoin de la proposition suivante.

Proposition 4.2.8. Pour tout N ≥ 1, l’algèbre IN est algèbrique sur FN . Autrement dit,pour tout q ∈ IN , il existe p0, · · · , pk ∈ FN avec p0 6= 0 tel que p0q

k + p1qk−1 + · · ·+ pk = 0.

Pour la démonstration et pour plus de détails, consulter [9, 22].

Théorème 4.2.9. (Fortier Bourque et Ransford [9]) Pour tout N ≥ 1, il existe p0 ∈ FN\0et un entier m ≥ 2 tels que si A1, · · · , Am ∈ CN×N ont des pseudospectres super-identiques etp0(Aj , A

∗j

)6= 0 pour tout j, alors il existe au moins deux matrices de A1, · · · , Am unitairement

équivalentes.

Démonstration. Il est bien connu que IN est de type fini, voir [18] pour plus de détails. Onnote q1, · · · , qr les générateurs de IN . La proposition 4.2.8 montre que chaque qi est algébriquesur FN . Il existe donc des polynômes pi0, · · · , pimi ∈ FN avec pi0 6= 0 tels que

pi0qmii + pi1q

mi−1i + · · ·+ pimi = 0.

Définissons p0 := p10 · · · pr0 et m := m1 · · ·mr + 1. Il est clair que p0 ∈ FN\0. Soit mainte-nant A1, · · · , Am ∈ CN×N des matrices ayant des pseudospectres super-identiques telles quep0(Aj , A

∗j

)6= 0 pour tout j. On a donc, pour tout i et j,

pi0(Aj , A

∗j

)qmii

(Aj , A

∗j

)+ pi1

(Aj , A

∗j

)qmi−1i

(Aj , A

∗j

)+ · · ·+ pimi

(Aj , A

∗j

)= 0.

À partir de (i), on remarque que les coefficients pik(Aj , A

∗j

)sont indépendants de j et puisque

p0(Aj , A

∗j

)6= 0, il suit que pi0

(Aj , A

∗j

)6= 0 pour tout j. Donc les nombres qi

(A1, A

∗1), · · · , qi

(Am, A

∗m

)satisfont le même polynôme de degré mi. On note par Ri l’ensemble des racines de ce poly-nôme. Par conséquent,(

q1(Aj , A

∗j

), · · · , qr

(Aj , A

∗j

))∈ R1 × · · · ×Rr (j = 1, · · · ,m).

Puisque le cardinal de R1 × · · · × Rr est au plus m1 · · ·mr = m − 1, alors on déduit, via leprincipe des tiroirs, qu’il existe j, k ∈ 1, · · · ,m tel que(

q1(Aj , A

∗j

), · · · , qr

(Aj , A

∗j

))=(q1(Ak, A

∗k

), · · · , qr

(Ak, A

∗k

)).

Il suit donc que q(Aj , A

∗j

)= q

(Ak, A

∗k

)pour tout q ∈ IN et le résultat découle donc de (ii).

Si on définit E :=A ∈ CN×N : p0

(A,A∗

)= 0

, le théorème précédent est donc vrai si

E = ∅. Si IN est intégral sur FN , c’est à dire p0 = 1, alors on a toujours E = ∅. Il a étédémontré toutefois, dans [9, Théorème 4.12], que IN n’est pas intégral sur FN pour N ≥ 4.Le problème de savoir si on peut prendre E = ∅ reste donc ouvert.

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Conclusion

Le pseudospectre est un outil utile pour l’analyse des matrices non-normales. Il fournit desinformations au-delà de celles fournies par l’analyse des valeurs propres. Le livre de Trefethenet Embree [32] donne une analyse détaillée de la théorie de pseudospectre, ainsi que de sesapplications dans de nombreux domaines. Le but de cette thèse est d’étudier le comportementdes matrices non-normales en utilisant le pseudospectre. Il est bien connu que le pseudospectredétermine la norme d’une matrice à un facteur constant près. Plus précisément, si A et Bsont des matrices ayant des pseudospectres identiques, alors on a 1/2 ≤ ‖A‖/‖B‖ ≤ 2 etla constante 2 est optimale. On a réussi à démontrer que le pseudospectre détermine aussila norme d’une transformation de Möbius d’une matrice à un facteur constant près. Plusprécisément, on a démontré que 2/(5 +

√33) ≤

∥∥f(A)∥∥/∥∥f(B)

∥∥ ≤ (5 +√

33)/2 pour toutetransformation de Möbius f holomporphe sur un voisinage du spectre de A et B. Cependant,la question de savoir si la constante (5 +

√33)/2 est optimale est non encore résolue.

Soit maintenant f une fonction holomorphe sur un voisinage du spectre d’une matrice non-normale A. On a montré dans cette thèse que le pseudospectre ne détermine pas la norme∥∥f(A)

∥∥ lorsque f n’est ni une constante, ni une transformation de Möbius. Il y a des partiesd’une matrice qui peuvent cacher d’autres de telle manière à ne pas être détectées par lepseudospectre. Toutefois, il serait intéressant de considérer la condition de pseudospectresuper-identique proposée au [21]. Cette alternative permet de détecter tous les blocs d’unematrice et donc pourrait donner plus d’informations sur la norme

∥∥f(A)∥∥. En fait, on a

toujours 1/√N ≤

∥∥f(A)∥∥/∥∥f(B)

∥∥ ≤ √N pour tout A,B ∈ CN×N vérifiant cette condition.La constante

√N est-elle optimale ? Cette question est encore ouverte.

Une généralisation du théorème matriciel de Kreiss nous donne aussi des bornes supérieuresde∥∥f(A)

∥∥ en fonction du pseudospectre. Dans le deuxième chapitre, on a présenté les géné-ralisations obtenues pour les polynômes de Faber et pour les fonctions holomorphes sur ledisque unité. La généralisation de ce théorème aux fonctions holomorphes sur un domaine Ωplus général requiert plus d’informations sur la frontière ∂Ω. On a réussi à étendre ce théo-rème aux fonctions holomorphes sur un disque quelconque du plan. Il est également possiblede remplacer le disque par un domaine simplement connexe vérifiant la condition (2.11). Laquestion de savoir si cette condition est valide est encore difficile à countourner.

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En utilisant d’autres techniques, on a réussi à généraliser le théorème matriciel de Kreiss auxfonctions de Markov. La méthode qu’on a utilisé pourrait nous fournir une autre façon degénéraliser le théorème à des fonctions holomorphes sur des domaines plus généraux.

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