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UNIVERSITÉ PARIS OUEST NANTERRE LA DÉFENSE École Doctorale Lettres, Langues, Spectacles THÈSE DE DOCTORAT LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATIONS ROMANES : PORTUGAIS En co-tutelle avec l’Université de Bologne, Italie présentée et soutenue publiquement par Matilde MAINI en juin 2016, à Bologne, Italie Expressions de la périphérie dans la littérature brésilienne contemporaine sous la direction de Madame le Professeur Idelette Muzart - Fonseca dos Santos (Université Paris Ouest Nanterre La Défense) et de Monsieur le Professeur Roberto Mulinacci (Université Alma Mater Studiorum de Bologne) Jury composé de Mesdames et Messieurs les Professeurs : Roberto Mulinacci, de l’Université Alma Mater Studiorum de Bologne Roberto Vecchi, de l’Université Alma Mater Studiorum de Bologne Vincenzo Russo, de l’Université de Milan, rapporteur Idelette Muzart - Fonseca dos Santos, de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense Michel Riaudel, de l’Université de Poitiers, rapporteur

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UNIVERSITÉ PARIS OUEST NANTERRE LA DÉFENSE

École Doctorale

Lettres, Langues, Spectacles

THÈSE DE DOCTORAT

LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATIONS ROMANES :

PORTUGAIS

En co-tutelle avec l’Université de Bologne, Italie

présentée et soutenue publiquement par

Matilde MAINI

en juin 2016, à Bologne, Italie

Expressions de la périphérie dans la littérature brésilienne contemporaine

sous la direction de

Madame le Professeur Idelette Muzart - Fonseca dos Santos

(Université Paris Ouest Nanterre La Défense)

et de Monsieur le Professeur Roberto Mulinacci

(Université Alma Mater Studiorum de Bologne)

Jury composé de Mesdames et Messieurs les Professeurs :

Roberto Mulinacci, de l’Université Alma Mater Studiorum de Bologne

Roberto Vecchi, de l’Université Alma Mater Studiorum de Bologne

Vincenzo Russo, de l’Université de Milan, rapporteur

Idelette Muzart - Fonseca dos Santos, de l’Université Paris Ouest Nanterre La

Défense

Michel Riaudel, de l’Université de Poitiers, rapporteur

MAINI, Matilde. Expressions de la périphérie dans la littérature brésilienne contemporaine. Thèse (Doctorat) - École Doctorale Lettres, Langues, Spectacles, Université Paris Ouest Nanterre La Défense ; Scuola di dottorato in letterature moderne comparate e postcoloniali, Università di Bologna ; Nanterre / Bologna, 2016.

Résumé substantiel

« Que signifie être un écrivain dans un pays qui se situe dans la périphérie du

monde, dans un endroit où le terme ‘capitalisme sauvage’ n’est pas une métaphore ?

Pour moi, écrire est un compromis. Il est impossible de renoncer au fait d’habiter au

seuil du XXIe siècle, d’écrire en portugais, de vivre dans un territoire qui s’appelle

Brésil1. »

Dans cet incipit du discours d’ouverture de Luiz Ruffato à la Foire du Livre de

Francfort de 2013, où le Brésil était à l’honneur, nous retrouvons, au-delà de l’embryon

de la critique sociale que l’écrivain brésilien développera ensuite, tous les ingrédients du

présent travail de recherche, fondé sur le concept de périphérie. Si l’on reprend les mots

de l’écrivain, ces ingrédients sont les suivants : le Brésil en tant que pays situé à la

périphérie du monde, le capitalisme (illustré par le marché éditorial), écrire comme

compromis, XXIe siècle, et écrire en portugais. De quelle manière la périphéricité du

Brésil à l’intérieur du système mondial, en termes littéraires mais aussi économiques et

politiques, influe-t-elle sur la production des écrivains brésiliens contemporains et la

diffusion de leurs textes sur le marché éditorial national et international ?

1 « Leia a integra do discurso de Luiz Ruffato na abertura da Feira do Livro de Frankfurt », Estadão, disponible sur http://cultura.estadao.com.br/noticias/geral,leia-a-integra-do-discurso-de-luiz-ruffato-na-abertura-da-feira-do-livro-de-frankfurt,1083463, consulté en mars 2015

Le monde d’aujourd’hui, globalisé et interconnecté, continue à être marqué par

des dynamiques de dominant/dominé. À des centres dominants correspondent des

périphéries dominées, dans des domaines et à des niveaux différents. Les termes de

« centre » et de « périphérie », bien qu’ils n’expriment pas l’ensemble des notions qu’ils

condensent et soient le résultat d’une interrelation (le centre ne peut être défini qu’en

relation à la périphérie et vice-versa), permettent une réflexion sur les logiques de force

et de domination susmentionnées, dans une perspective littéraire. Nous développons

cette réflexion par l’observation, non seulement des relations qui s’établissent entre les

centres et les périphéries dans la littérature brésilienne contemporaine, mais aussi de la

manière dont ces relations affectent et mettent en débat la position du Brésil dans la

littérature mondiale. Ainsi, cette thèse doctorale vise à comprendre comment la norme,

définie et imposée par le centre, est intégrée ou contestée par la périphérie, et de quelle

manière ce contact entre ces deux pôles peut contribuer à créer une littérature plus

hétérogène. L’œuvre de quatre écrivains brésiliens contemporains, ainsi que le

processus de sélection de textes à traduire de la part du centre, sont analysés afin de

comprendre de quelle manière l’écriture et la traduction peuvent agir en tant

qu’éléments qui confirment un système établi fondé sur la proposition de formes

linguistiques et littéraires créées pour permettre au lecteur, national et international, de

reconnaître des discours et des images standard, ou en tant que facteurs de changements

et d’introduction de propositions nouvelles qui fassent dialoguer les normes et les

‘contraventions’ pour créer des langages (lato sensu) innovateurs.

En empruntant un instrument théorique de sociolinguistique, la notion de

continuum, nous observons la relation entre le centre et la périphérie dans le système

littéraire brésilien, dans une perspective qui s’éloigne d’une polarisation antagonique et

propose plutôt une interaction entre des espaces socioculturels ne pouvant pas être

réduits à une dimension de réalités étanches. Un continuum qui trouve dans la

traduction, non seulement une modalité de circulation à l’international, mais aussi une

métaphore de son application effective.

Le premier chapitre vise essentiellement à définir les concepts de centre et de

périphérie, en essayant de les contextualiser d’un point de vue linguistique et culturel,

sur le plan national et international. De quelle façon la norme s’impose-t-elle dans

l’usage linguistique des brésiliens ? De quelle façon les élites utilisent-elles la norme

culte, ou « occulte », pour reprendre les mots du linguiste brésilien Marcos Bagno, pour

affirmer leur pouvoir sur la population ? Où se situe le portugais brésilien dans le

système linguistique mondial ? Et de quelle façon ces dynamiques linguistiques se

reflètent-elles sur la littérature ?

Rappelons qu’au Brésil, la quasi-totalité de la population parle une langue très

éloignée de la langue écrite, celle qui est censée être enseignée à l’école. Or, l’éducation

primaire publique pâtissant de classes surpeuplées, d’enseignants trop peu nombreux et

peu formés, les élèves ne s’approprient pas les fondamentaux de la langue, comme le

montrent les résultats de l’enquête PISA de 20092. La connaissance de la norme

linguistique reste donc l’apanage des personnes qui ont la possibilité d’aller à l’école

privée, et devient un élément d’opposition entre le centre et la périphérie, entre les

catégories aisées et défavorisées. Qui ne maîtrise pas la norme linguistique est

stigmatisé, mis à l’écart, et n’accède pas au monde de la langue écrite.

2 Le PISA (ou programme international pour le suivi des acquis des étudiants) est une étude qui vise à mesurer les performances des systèmes éducatifs de différents pays. OECD, « PISA, 2009 rankings », http://www.oecd.org/pisa/46643496.pdf, (Consulté le 29/06/2013)

La contextualisation culturelle et linguistique du Brésil dans le système mondial

met en lumière sa position de dominé par rapport aux grandes nations littéraires, qui

déterminent tendances et courants. En ce sens, les concepts de canon et de littérature

nationale acquièrent une importance centrale dans cette réflexion. La position subalterne

du pays dans le système culturel international se reflète dans le contexte national,

marqué par des frontières rigides entre la norme littéraire et linguistique et les formes

qui la contestent. Ainsi, la relation entre le centre et la périphérie est présente dans la

conformation géoculturelle et géolinguistique nationale et internationale. Les différents

niveaux, de mondial à local, s’insèrent dans cette dialectique.

Dans la partie consacrée à la définition des concepts de centre et de périphérie,

notre recherche s’appuie principalement sur les réflexions de Homi K. Bhabha, Roberto

Vecchi et Alain Reynaud. En ce qui concerne la contextualisation du Brésil dans le

système linguistique et littéraire mondial et les concepts de canon et de littérature

nationale, les études de Pascale Casanova sur la « république mondiale des lettres » se

sont révélées essentielles, ainsi que celle de Flávio Kothe sur le canon. Pour la partie

consacrée à la question de la langue, les études de Dante Lucchesi, Dino Preti et Stella

Maris Bortoni-Ricardo ont été les principales sources.

Le deuxième chapitre se concentre sur le mouvement de literatura periférica, en

particulier celui de la ville de São Paulo, qui constitue son modèle le plus représentatif.

La définition de literatura periférica est problématique pour deux raisons : d’abord

parce que la distinction entre centre et périphérie peut être difficile à établir de manière

nette car elle repose sur des critères qui ne sont pas uniquement spatiaux mais

également culturels et sociaux, et parce que, comme nous l’avons déjà dit, ces deux

pôles se conçoivent en tant que relation, ce qui empêche une distinction nette ; ensuite,

parce que les écrivains de la périphérie ont des parcours de création diversifiés, si bien

que l’idée d’une appartenance à un même mouvement littéraire peut être contestée.

Néanmoins, il est possible d’identifier les caractéristiques communes à ces auteurs.

La literatura periférica est une littérature produite par des auteurs qui habitent

dans la périphérie des grandes villes brésiliennes ; les personnages et l’action

représentés relèvent de l’univers de la périphérie ; les textes sont publiés par des

maisons d’édition indépendantes ou sur Internet et récités à l’occasion de rencontres

libres de performance artistique, appelées saraus. C’est la publication de textes de

l’écrivain Ferréz et d’autres écrivains de la périphérie de São Paulo dans des dossiers

spéciaux de la revue Caros Amigos, dans les années 1990, qui a fait émerger la

literatura periférica3 en tant que mouvement. C’est aussi grâce au mouvement hip-hop

que la voix de la marge s’est affirmée et a commencé à exprimer sa spécificité et sa

différence vis-à-vis du centre et des « formes canonisées par les codes occidentaux,

avec leurs hiérarchies suspectes4 », pour reprendre une formule de Gilberto Gil.

Une autre caractéristique de la literatura periférica est d’être participative et

engagée. Les écrivains s’expriment dans des textes écrits, mais aussi grâce à des actions

de sensibilisation culturelle et sociale auprès des habitants de leur quartier visant à créer

une communauté plus consciente de son identité et plus active face à la réalité de la

périphérie. Ainsi, les saraus sont organisés tous les jours de la semaine dans la majorité

des quartiers des périphéries, notamment à São Paulo : les écrivains et les habitants se

3 La revue Caros Amigos utilisait plutôt le terme literatura marginal, ce qui confirme la difficulté de trouver une formule unique pour désigner ce groupe d’écrivains. 4 Gilberto Gil, lors de son discours d’investiture en tant que Ministre de la Culture, prononcé le 2 janvier de 2003, a souligné l’importance d’une conception de la culture plus vaste et moins strictement canonique. Gilberto GIL, « La culture brésilienne, vue par Gilberto Gil, Ministre de la Culture », disponible sur http://www.elcorreo.eu.org/La-culture-bresilienne-vue-par?lang=fr, consulté en juin 2013

réunissent à l’endroit choisi, souvent un bar, ce qui révèle le manque d’espaces

consacrés à la culture dans ces quartiers ; l’entrée est libre et chaque participant peut

monter sur scène pour réciter son texte ou le texte d’un autre auteur ; le sarau ne prévoit

pas, contrairement aux slams, de compétition, ni de jury ; le nombre et la fréquentation

des saraus sont en constante augmentation, ce qui renforce l’unité de la communauté et

l’affirmation d’une identité périphérique positive5.

Le fait que les textes de literatura periférica soient pensés pour être non

seulement lus mais aussi récités, influe sur la manière dont ils sont écrits : les auteurs de

literatura periférica optent souvent pour la nouvelle, dont la brièveté facilite la

performance pendant le sarau, et utilisent un langage qui est riche en termes et

expressions liés à l’oralité ; la langue s’enrichit de termes de gíria, de jargon, propres au

langage de la périphérie, et échappe aux règles de grammaire et d’orthographe.

Cette dérive linguistique met en question le caractère dogmatique et élitiste de la

norme. En insérant dans leurs textes des variantes orales, en juxtaposant ainsi à la

norme des éléments moins canoniques, les auteurs de literatura periférica

déconstruisent cette logique d’exclusion linguistique et culturelle. Ils proposent un

modèle de communauté linguistique fondé davantage sur la variation diaphasique que

sur la variation diastratique : si la variation diastratique est déterminée par les

différences sociales des locuteurs, la variation diaphasique dépend des différentes

situations dans lesquelles ils se trouvent.

5 L’idée d’une périphérie positive, qui évite toute résignation et réagit de manière positive aux problèmes, est exprimée aussi par l’écrivain Ferréz : « Si je vais, je peux, je suis. Embrasse cette idée d’une manière positive […] Capão Redondo […] notre lieu […] Paix! » FERRÉZ, Capão Pecado, Rio de Janeiro, Editora Objetiva, 2005 [Traduction]

De fait, si nous appliquons à la literatura periférica les critères du continuum

oralité-alphabétisation utilisé dans le cadre des recherches sociolinguistiques, il apparaît

au centre de ce continuum un espace socio-culturel, correspondant au « rurbain » des

modèles variationnistes, où les auteurs de la périphérie, en s’appropriant le moyen

d’expression qu’est l’écriture littéraire, traditionnellement considérée comme une

prérogative des élites cultivées, finissent par s’intégrer à la culture du centre, tout en

contribuant à la renouveler à travers un ensemble de traits et de caractéristiques

spécifiques.

Le deuxième chapitre s’appuie essentiellement sur les recherches d’Alejandro

Reyes Arias, Erica Peçanha, Heloisa Buarque de Hollanda, Luciana Paiva Coronel,

Ivana Bentes, Manuel Castells et Lucía Tennina, ainsi que sur les œuvres d’auteurs de

literatura periférica, notamment Ferréz, Rodrigo Ciríaco, Buzo, Sergio Vaz et

Sacolinha.

Dans le troisième chapitre, la lecture croisée et comparée d’une sélection de

textes de quatre auteurs brésiliens contemporains permet d’observer les différentes

manières de représenter littérairement la périphérie et, par conséquent, les nuances

multiples qui forment le continuum entre le centre et la périphérie, Rodrigo Ciríaco,

Ana Paula Maia, Marcelino Freire et Patrícia Melo sont les auteurs choisis pour ce

corpus d’analyse. De fait, ces auteurs entretiennent tous une relation avec la périphérie,

soit comme contexte essentiel de l’activité littéraire, soit comme mère prétexte pour

réaffirmer la vision partielle et monolithique (et même, parfois, fashion6) que le centre

porte sur elle. Dans ce sens, en empruntant des termes à la linguistique, nous pouvons

6 Angela PRYSTHON, Rodrigo CARRERO, « Da periferia industrial à periferia fashion: dois momentos do cinema brasileiro », Revista Eco-Pós, v. 5, n. 2, Rio de Janeiro, 2002

affirmer que la périphérie apparaît dans la littérature urbaine brésilienne contemporaine

en tant qu’objet, soit comme superstrat, soit comme substrat. D’un côté, des écrivains

utilisent le thème de la périphérie, en l’associant à celui de la violence, pour rendre leurs

textes captivants (c’est la périphérie en tant que superstrat) ; de l’autre, par le fait d’être

le contexte de vie d’autres écrivains, la périphérie affecte l’écriture de la littérature qui y

est produite : c’est la périphérie en tant que substrat. Une citation de Marcelino Freire

aide à comprendre comment ces notions issues de la linguistique peuvent être

appliquées au champ littéraire : « Je n’écris pas sur la violence. J’écris SOUS la

violence. La violence est là, dans notre quotidien. J’en suis affecté. Mes nouvelles

racontent ce que je vois, elles essaient de comprendre l’absurde dans lequel on vit. Je

suis une victime. En tant que victime, je crie, je lâche les mots7 ».

Grâce à un close reading sur une sélection d’œuvres des quatre auteurs du

corpus, il a été possible d’en faire ressortir les différences et les analogies en vue de la

définition d’un continuum représentant la relation centre-périphérie.

Rodrigo Ciríaco écrit sur la périphérie des grandes villes brésiliennes pour

donner la voix à ceux qui sont constamment réduits au silence par la culture centrale

dominante ; il se qualifie d’auteur de literatura periférica, se reconnaissant dans le

mouvement. Patrícia Melo raconte des histoires de crime et délits dans l’univers urbain,

en mettant l’accent sur la violence des milieux marginalisés ; si l’on considère ses

ventes de livres et sa position sur le marché éditorial, Patrícia Melo peut être définie

comme une écrivaine à succès appartenant à la culture centrale dominante ; elle utilise

la périphérie pour construire son univers littéraire, en la décrivant à travers des images

7 Marcelino FREIRE, « Marcelino Freire matando por amor : interview », disponible sur http://www.angustiacriadora.com/marcelino-freire-matando-por-amor/, consulté en juin 2013

facilement reconnaissables par le grand public. Ana Paula Maia, de son côté, se

concentre sur le phénomène de marginalisation comme conséquence de la profession

exercée (éboueurs, fossoyeurs, égoutiers etc.) ; l’écrivaine ne se reconnaît dans aucun

mouvement littéraire et, après avoir publié ses œuvres sur Internet ou par le biais de

maisons d’édition indépendantes, elle est aujourd’hui publiée par Record, l’une des plus

grandes maisons d’édition brésiliennes. Marcelino Freire, quant à lui, se situe dans une

position qui peut être définie comme intermédiaire : il invente des univers et des

langages (lato sensu) qui secouent le topos du centre et celui de la périphérie ; il est

publié à la fois par des petites maisons indépendantes et par les grandes maisons

d’édition (Record, notamment) ; il participe au mouvement de literatura periférica mais

il ne se reconnaît pas comme un membre du mouvement, affirmant ainsi son

indépendance en tant qu’auteur.

Si ces auteurs sont différents à plusieurs points de vue, il faut néanmoins

souligner des analogies entre eux, ou des points de contacts : il est impossible de ranger

leurs discours littéraires respectifs dans des catégories étanches, en les positionnant soit

dans le pôle centre soit dans le pôle périphérie. Par exemple, si l’écriture de Patrícia

Melo peut apparaître riche en clichés sur la périphérie, les écrivains de literatura

periférica tracent souvent une représentation stéréotypée du centre et même de la

périphérie. Le type de représentation de la périphérie contenue dans O Matador de

Patrícia Melo, une des œuvres analysées dans cette thèse doctorale, est présente dans

beaucoup d’œuvres littéraires et cinématographiques produites par la culture du centre à

partir des années 1990, quand certains écrivains et réalisateurs s’aperçurent que la

favela et la périphérie pouvaient être un univers attrayant pour raconter des histoires de

délinquants. Ces histoires sont destinées au public des catégories aisées qui peut

finalement découvrir ce monde si éloigné des condomínios, les résidences privées et

sécurisées, et en même temps si proche, et, de ce fait, mystérieux et fascinant. C’est

l’image fantasmée de la périphérie qui, diffusée par cette littérature et ce cinéma,

s’affirme comme stéréotype. La favela et la périphérie sont donc montrées comme un

univers de violence et de marginalité négative. De cette façon, les lecteurs des

catégories aisées voient confirmés leurs préjugés sur la périphérie sans remettre en

question la séparation entre un monde du bien (le centre) et un monde du mal (la

périphérie). La littérature de Patrícia Melo participe de cette démarche en proposant une

représentation de la violence que l’on désignera ici par le terme de gore, riche d’images

sanglantes, de corps démembrés et de viscères, racontée avec un langage violent et

vulgaire. En même temps, la représentation de la marginalité doit être stérilisée, lavée

de toute souffrance afin que la position du centre et sa légitimité ne soient pas remises

en question et que le divertissement soit assuré. A ce propos, la critique et professeur

Ivana Bentes a élaboré le concept de cosmética da fome8, cosmétique de la faim, en

opposition à celui de estética da fome, esthétique de la faim, du Cinema Novo9. Si

l’estética da fome veut provoquer une réaction chez le spectateur, la cosmética da fome

donne une image propre et apprivoisée de la faim et de la violence. Le film Cité de Dieu

de Fernando Meirelles (2002) offre un exemple de la cosmética da fome : les belles

8 Ivana BENTES, « Sertões e favelas no cinema brasileiro contemporâneo: estética e cosmética da fome », ALCEU, v.8. n.15. - jul./dez. 2007, p. 242-255, disponible sur http://publique.rdc.puc-rio.br/revistaalceu/media/Alceu_n15_Bentes.pdf , consulté en septembre 2013 9 Le Cinema Novo revolutionna le cinéma brésilien dans les années 1960 et 1970 : sous l’influence du courant néo-réaliste italien, le cinéma brésilien devint pour la première fois un espace de création pour dénoncer les inégalités sociales, la pauvreté d’une partie de la population et des regions les plus rurales du Brésil (estética da fome) ainsi qu’un espace d’expression politique. Parmi les réalisateurs qui incarnent le mieux ce mouvement, on peut citer Glauber Rocha, Nelson Pereira dos Santos, Ruy Guerra et Carlos Diegues.

images, la musique et le montage dans un style vidéo-clip, donnent une image propre de

la violence et du sang, de façon à ce que le public puisse les accepter et même les aimer,

en oubliant les côtés négatifs.

De son côté, la culture de la périphérie risque de tomber dans un discours

manichéen où le centre devient porteur d’un discours de discrimination systématique vis

à vis d’elle. En se sentant mise à l’écart, la périphérie se renferme sur elle-même et

construit un mur qui vient s’ajouter à celui que le centre a déjà bâti. Dans les textes de

literatura periférica, on retrouve ainsi des images et des thèmes récurrents liés au

centre: l’argent, le luxe, la police, l’abondance, les belles voitures, les entreprises, la

télévision, les hommes politiques, les activités de loisirs, la culture. Ces éléments

correspondent à un manque, un vide, dans la périphérie : « on dit que là-bas il y a des

cours de théâtre, de ballet, de danse de salon, d’atelier de cinéma, de radio, de judo, de

natation. Et ici ? Ici rien. Il y a des jours où on n’a même pas de craie. Pas de chaises,

pas de bancs10». Le langage confirme cette distance. Dans les textes, les habitants du

centre sont toujours dénommés playboys : « la maison d’un playboy dans le Jardins11 ».

Ce terme résume le stéréotype auquel le centre est associé, celui d’un lieu où n’habitent

que des hommes riches à la vie facile.

Les œuvres analysées dans le troisième chapitre sont les suivantes : les contes

« Nos embalos », « Um estranho no cano », « A placa », « Literatura [é] possível » et

« Mãe de aluguel » de Rodrigo Ciríaco ; O Matador de Patrícia Melo ; O trabalho sujo

10 R. CIRÍACO, Te pego lá fora, São Paulo, Edições Toró, 2008, p.68 [Traduction] 11 FERRÉZ, Capão Pecado, Rio de Janeiro, Editora Objetiva, 2005, p.66 [Traduction]. Le quartier Jardins est un des plus huppés de la ville de São Paulo.

dos outros de Ana Paula Maia ; des contes extraits des œuvres Angu de Sangue,

BaléRalé et Contos negreiros de Marcelino Freire.

Après avoir mis en lumière les différences et les analogies entre les auteurs du

corpus, le quatrième et dernier chapitre suggère une alternative à une perspective fondée

sur la dichotomie entre le centre et la périphérie. Tout en confirmant l’idée du

continuum, ce chapitre se focalise sur la traduction en tant que possibilité pour

contourner la linéarité apparente du mouvement entre les deux pôles. Le rôle de la

traduction pour la construction d’une World Literature est observé à partir de ce cas

d’étude sur la littérature brésilienne contemporaine, afin de montrer de quelle manière

des stratégies d’internationalisation différentes peuvent contribuer à renforcer l’image

stéréotypée d’une culture ou, au contraire, aider à reformuler des propositions critiques

nouvelles. Ainsi, la traduction est observée en tant qu’arme double et ambivalente,

capable certes de faire émerger un auteur de sa périphéricité, mais au risque de le

confiner dans une normalisation linguistique (ce que Spivak appelait translationese12)

considérée comme nécessaire pour être accepté par un public international. Par

conséquent, la traduction est observée dans ses différentes applications et pas seulement

au niveau textuel, le rôle des institutions, des maisons d’édition et des rencontres

littéraires internationales étant pris en compte. L’objectif est de comprendre si la

traduction peut constituer une possibilité pour éviter les stéréotypes, à la fois du centre

et de la périphérie, et les impasses critiques qu’ils génèrent.

Dans ce cadre, nous nous interrogeons sur les enjeux de la relation centre-

périphérie sur le marché éditorial et culturel afin de comprendre si celle-ci constitue une

12 Gayatri Chakravorty SPIVAK, The politics of translation, 2000, In Lawrence VENUTI (ed.), The Translation StudiesReader, 2000, London and New York: Routledge, p.397-416

forme de dialogue positif ou répond plutôt à une logique de domination et de violence.

La périphérie n’a pas simplement créé une narration qui lui est propre, elle a

également réussi à construire un réseau d’édition, de publication et de distribution

indépendant et très solide. La scène culturelle périphérique est en développement

constant, grâce aux nombreux saraus et festivals. De son côté, le centre, de la même

manière qu’il emprunte à la périphérie des éléments pour créer son univers de fiction,

essaie d’attirer certains auteurs de la literatura periférica dans son système d’édition et

de distribution. C’est le cas par exemple pour les écrivains Marcelino Freire et Ferréz,

qui sont publiés ou ont reçu des offres de publication de la part des grandes maisons

d’éditions. Les festivals et les agents culturels aussi s’intéressent à ces auteurs :

Marcelino Freire et Ferréz ont déjà été invités à la FLIP, la Fête Littéraire Internationale

de Paraty, l’un des événements culturels les plus importants du Brésil ; Marcelino Freire

a gagné le prix Jabuti ; Ferréz et le poète Sérgio Vaz participent à des colloques dans

des universités.

La rencontre entre centre et périphérie sur le marché éditorial et le marché de la

promotion culturelle suscite des questions quant à la définition de canon, d’une part, et

de street credibility13, d’autre part, et, plus généralement, quant à la relation entre le

centre et la périphérie. Qu’en est-il du canon quand le langage de la périphérie entre à la

FLIP ? Qu’en est-il de la périphérie quand elle entre à la FLIP ? Ces rencontres entre le

centre et la périphérie peuvent-elles être interprétées comme un élément permettant

d’abattre les barrières entre ces deux pôles ? Au contraire, le centre ne risque-t-il pas de

ne retenir de la périphérie que les auteurs qui ont déjà du succès ? De leur côté, les

13 La street credibility, ou street cred, est un concept qui a été élaboré par la culture hip-hop pour définir la nécessité de garder une crédibilité par rapport à la rue, à la street, à ses luttes et à ses revendications, après avoir rencontré le succès.

écrivains de literatura periférica n’utilisent-ils le centre qu’à des fins commerciales,

mettant ainsi en danger leur spécificité et leur street credibility ? Ces moments de

rencontre représentent-ils une forme de dialogue ou répondent-ils, au contraire, à une

logique de domination et de violence ? Pour répondre à ces interrogations, il est utile de

s’appuyer sur la réflexion autour des relations entre le centre et la périphérie élaborée

par Alain Reynaud dans Société, Espace et Justice :

Le centre se sert volontiers à son profit des capitaux qu'il sécrète, mais il peut faire appel à des capitaux en provenance de la périphérie dominée14.

En appliquant ce raisonnement économique au champ culturel, on peut considérer

que les capitaux de la périphérie que le centre exploite sont les auteurs de literatura

periférica qui ont déjà du succès et qu’il invite alors à participer à des festivals tels que

la FLIP ou à être publiés par les grandes maisons d’édition. De son côté, la périphérie

peut essayer de vendre au centre une image d’elle-même ou des produits qui peuvent

l’intéresser, en exploitant le centre en tant qu’acheteur. Elle peut alors être conduite à

« transformer son image de marque afin d'être plus attirante15 ». Cependant, un autre

type de relation est envisageable pour éviter le déclin qui menace la périphérie lorsque

le centre finit par s’en désintéresser : si la passivité ne mène à rien, la prise de

conscience constitue seulement une première étape avant de tenter de mieux prendre en

main son destin en « comptant sur ses propres forces »16.

14 Alain REYNAUD et Bernard BRET, « Un entretien avec Alain Reynaud, avec des extraits de Société, Espace et Justice », disponible sur http://www.jssj.org/article/un-entretien-avec-alain-reynaud-avec-des-extraits-de-societe-espace-et-justice/ , consulté en juillet 2013

15 Ibidem 16 Ibidem

[...] Quant à la périphérie, tantôt elle laisse partir ses capitaux sans protester et parfois même sans en être consciente, tantôt elle s'efforce de les valoriser sur place pour se développer, quitte à faire appel à des capitaux provenant du centre, mais en contrôlant elle-même leur utilisation17.

En suivant le modèle d’une périphérie qui compte sur ses propres forces, un autre

type de relation entre le centre et la périphérie est envisageable, opposé à des

dynamiques de domination ou d’exploitation. Si une frontière est nécessaire pour que le

centre et la périphérie existent et se construisent dans leur spécificité, elle doit être

perméable pour permettre un dialogue. Dans cet esprit, la périphérie pourrait sortir de

l’espace de marginalité négative que le centre lui a attribué, briser les « hiérarchies

suspectes18 » et violentes du canon de la littérature centrale et construire un nouvel

espace d’expression. Le centre, de son côté, ne verrait pas la périphérie uniquement

comme une source d’inspiration pour sa littérature gore ou dans une perspective

d’exploitation mercantile de ses auteurs à succès mais entrerait dans l’espace

périphérique dans une démarche de dialogue. De cette façon, la relation entre le centre

et la périphérie pourrait conduire à la création d’un nouvel espace culturel et

linguistique, fondé non pas sur une confrontation violente entre les deux pôles mais sur

un échange d’idées et un continuum.

La circulation et les flux d’une langue vers une autre, qu’il s’agisse d’influences

ou d’idées, sont aujourd’hui constants et permettent de construire un réseau littéraire qui

dépasse les frontières. Néanmoins, comme les critères de reconnaissance continuent à

être liés au prestige culturel des langues et des littératures centrales, les hiérarchies entre

17 Ibidem 18 G. GIL, op.cit.

les nations littérairement dominantes et les nations littérairement dominées persistent.

La littérature brésilienne contemporaine essaie de trouver sa place à travers des

stratégies différentes : écritures plus ou moins exportables et plus ou moins

stéréotypées, participation aux événements culturels internationaux, programmes

d’appui à la traduction, utilisation de réseaux de diffusion non officiels comme Internet

ou les petites maisons d’édition indépendantes. Pour saisir la spécificité des dynamiques

de globalisation dans le domaine littéraire, l’étude du fonctionnement de la traduction

dans le processus de production et de réception d’une culture est essentielle : la

traduction est considérée comme partie intégrante des dynamiques de force entre les

pays et les langues et, par conséquent, intervient dans la formation des identités

culturelles. Les réflexions de Siri Nergaard19 sur le rôle de la traduction dans la

construction de l’identité culturelle d’un pays sous l’influence du pays traducteur sont

essentielles pour comprendre l’impact de la traduction dans les relations entre le Brésil

et le monde. En particulier, le parcours de la maison d’édition française Anacaona a été

observé, afin de comprendre comment, à travers ses choix de traduction dans le texte et

dans le paratexte et ses relations avec les institutions, elle arrive à proposer au public

français des images de littérature brésilienne qui, en intégrant des nouvelles voix,

contestent l’identité culturelle canonique attribuée au Brésil par la France. Les théories

de Nergaard sont mises en dialogue avec celle de Vittorio Coletti, qui insiste sur le fait

que ce sont les auteurs qui adoptent des techniques narratives pour rendre leurs œuvres

plus facilement accessibles à un public international. En ce sens, la traduction entre plus

spécifiquement dans le champ de réflexion sur la World Literature, un concept sur

19 Siri NERGAARD, La costruzione di una cultura : la letteratura norvegese in traduzione italiana, Rimini, Guaraldi, 2004

lequel différents critiques se sont penchés. Pascale Casanova20 imagine une république

mondiale des lettres qui ne nie pas les mouvements et les conflits internes au système

littéraire et où des auteurs « autonomes » seraient l’expression de la pluralité. Franco

Moretti21, de son côté, attribue à certaines œuvres la faculté d’être mondiales par le fait

d’aspirer à l’universel à travers un langage « anormal » ou très créatif, qui les rend

aussi très difficiles à traduire. La notion d’ « œuvre monde » de Moretti s’éloigne

ainsi de l’idée de « roman monde » de Vittorio Coletti22, dont la « mondialité »

dériverait de techniques narratives et linguistiques standardisées et stéréotypées,

élaborées pour un public global imaginaire, et qui, par conséquent, sont facilement

traduisibles. De fait, les textes traduits, en profitant de la distance qui les sépare de la

culture de départ, contribuent à la formation d’exotismes et de stéréotypes.

Dans le cas du Brésil, l’image de la périphérie et de la favela en tant

qu’espaces de crime est aujourd’hui le pivot de beaucoup de narrations qui

visent un publique national et international : grâce à la juste distance avec la

réalité décrite, ce public peut être intéressé par ce type de textes sans pour

autant se sentir trop impliqué dans les questions socio-politiques sous-jacentes.

Ainsi, la périphérie urbaine devient le nouvel exotisme de beaucoup d’œuvres

de la littérature brésilienne contemporaine, les langages (lato sensu)

standardisés utilisés pour décrire cette périphérie déclenchant un processus

20 Pascale CASANOVA, (1999) La République mondiale des lettres, 2a ed., Paris, Editions du Seuil, 2008, p.124 21 Franco MORETTI, Opere Mondo: saggio sulla forma epica dal Faust a Cent’anni di solitudine, Torino, Einaudi, 1994 22 Vittorio COLETTI, Romanzo Mondo La letteratura nel villaggio globale, Bologna, Il Mulino, 2011

d’homogénéisation qui nie la pluralité de la société brésilienne et de ses voix.

Si, au contraire, les différences étaient considérées comme une base constitutive et non

comme des obstacles à dépasser pour atteindre un universel homogène par le biais

d’écritures ou de traductions standardisées, une littérature plurielle pourrait surgir, sur le

plan national et international.

À une littérature qui ne répond qu’aux critères commerciaux de vente et

d’exportation, s’oppose la production d’auteurs qui arrivent à sortir d’une vision ancrée

dans les lieux communs et à explorer les spécificités de leur territoire pour les décrire

ensuite dans des langages innovateurs. Des traductions qui respectent la spécificité de ce

type de narration peuvent contribuer à la construction d’une World Literature

hétérogène. Marcelino Freire, la literatura periférica, Ana Paula Maia et les actions de

la maison d’édition Anacaona sont autant d’exemples d’un mouvement qui, à des degrés

différents, essaie d’intégrer la différence dans le centre, en mettant en question son

pouvoir hégémonique. En partant de la périphérie de la périphérie (périphérie de São

Paulo d’un pays périphérique sur la scène mondiale), en observant les dynamiques de

domination et de subalternité et en considérant la littérature en tant que « territoire

contesté23 », nous avons essayé de penser à une autre World Literature, plurielle et

hétérogène. Sur le plan national et international, les voix périphériques, dont la

légitimité pour produire de la littérature est constamment mise en question, secouent,

par leur présence, notre conception de ce qui est ou doit être littéraire. Une fois

23 Régina DALCASTAGNÉ, « Um território contestado: literatura brasileira contemporânea e as novas vozes sociais », Revue d’études ibériques et ibéro-américaines, numéro 2, 2012, disponible sur http://iberical.paris-sorbonne.fr/essai-page/numero-2-automne-2012/, consulté en juin 2015

ébranlées les hiérarchies et les dichotomies (norme-usage, centre-périphérie), d’autres

configurations peuvent surgir.

Comme l’affirme Dalcastagné, le texte littéraire, comme la critique littéraire,

prend son sens à travers un flux où les traditions sont confirmées et conservées ou, au

contraire, contestées et contournées ; dans ce flux, les formes d’interprétation doivent

rester ouvertes. Si nous ignorons et nions cette ouverture, nous renforçons le « rôle de la

littérature comme un mécanisme de distinction et de hiérarchisation sociale, en laissant

de côté ses potentialités en tant que discours déstabilisant et contradictoire24 ».

Au cours de nos recherches, nous avons compris que les mots de Luiz Ruffato,

déjà cités au début de ce résumé, selon lesquels « écrire est un compromis », peuvent

être interprétés de manières différentes : le compromis peut être soit un ajustement, une

adaptation du « capitalisme sauvage », soit un engagement. De fait, la périphérie peut

être utilisée pour l’élaboration de discours littéraires condescendants et modelés en

fonction des attentes d’un public national et international, ou servir de point de départ à

des créations qui contestent la domination du centre et essaient de proposer de nouvelles

visions en tant que formes d’engagement littéraire et politique, au risque de ne pas

plaire à une majorité de lecteurs. Au cours des réflexions menées dans cette thèse

doctorale, nous suggérons l’idée qu’il n’existe probablement pas une division nette

entre ces deux attitudes (ajustement et engagement) et que, au contraire, les écrivains

brésiliens contemporains réagissent tous de manière différente face à la périphéricité,

dans une négociation constante entre l’ajustement et l’engagement, et par des nuances

multiples.

24 Ibidem, p.17