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Les dossiers thématiques de l’IRD Vaincre le paludisme (2) La maladie LES ASPECTS CLINIQUES DU PALUDISME Les aspects cliniques du paludisme sont très divers, notamment en fonction de l’espèce plasmodiale responsable de l’infection et de l’état d’immunité du sujet. Toutefois, dans l’immense majorité des cas, le paludisme clinique est avant tout caractérisé par un état fébrile sans spécificité particulière : toute fièvre en zone d’endémie ou au retour d’un voyage en zone d’endémie doit être considérée comme suspecte de paludisme. Chez les personnes sans immunité, des convulsions, un coma et la mort peuvent survenir très rapidement, parfois en moins de 48 heures, en cas d’infection par Plasmodium falciparum. Aussi, c’est en urgence qu’il est nécessaire de confirmer ou d’infirmer ce diagnostic par un examen de sang du malade, examen qui peut être fait au laboratoire (examen au microscope d’une goutte épaisse colorée au Giemsa) ou directement au lit du malade (test immunologique de diagnostic rapide). Si cet examen n’est pas possible dans les 48 heures, il conviendra par précaution d’instituer immédiatement un traitement présomptif par la doxycycline, antibiotique peu coûteux, à très bonne activité antipaludique, qui est également efficace contre d’autres pathologies fébriles fréquentes en zone d’endémie palustre mais le plus souvent méconnues, comme la borréliose et les rickettsioses notamment. P. falciparum est de loin l’espèce plasmodiale la plus abondante en Afrique tropicale où plus de 90% des infections palustres sont attribuables à cette espèce. Aussi, c’est avant tout devant une fièvre contractée en Afrique qu’il faut redouter la survenue possible d’un accès palustre grave. Ailleurs dans le monde, P. falciparum est l’espèce plasmodiale la plus fréquente dans certaines régions d’Amazonie (Guyane), à Madagascar et en Nouvelle-Guinée. Le paludisme du sujet non immun • La phase de début Entre le moment où une personne est piquée par un anophèle infecté et celui ou débutent les premiers signes cliniques, le délai habituel est compris entre 10 et 20 jours. Ce délai est parfois un peu plus court, jusqu’à 8 jours seulement pour Plasmodium falciparum dont le délai habituel est de 12 jours, mais il est parfois plus long, jusqu’à quatre ou cinq semaines pour P. falciparum et jusqu’à six semaines pour les autres espèces plasmodiales. Dans certains cas, surtout si une chimioprophylaxie a été prise, ce délai peut atteindre ou même exceptionnellement dépasser deux à huit mois pour P. ovale et un à deux ans pour P. vivax. Après cette période d’incubation, la maladie débute soit d’emblée par une forte fièvre, soit par une période de quelques heures à 48 heures de fatigue et de sensation d’état subfébrile ou nauséeux. La fièvre est d’abord irrégulière, puis une périodicité tend à s’installer, avec alternance de phases de forte fièvre (39° à 41°C) et de phases de décroissance thermique plus ou moins régulièrement espacées. Dans les formes typiques, le malade se ressent « cloué au lit » avec succession de phases de frissons, de chaleur, puis de sueurs (qui correspondent respectivement à la montée, au plateau, puis à la décroissance de la fièvre), puis de périodes d’apyrexie dont la durée est fonction de l’espèce plasmodiale. Les accès de fièvre correspondent à la libération de toxines parasitaires lors de l’éclatement des globules rouges où se multiplient les Plasmodium avant d’envahir d’autres globules rouges. Ce cycle de multiplication érythrocytaire tend progressivement à devenir synchrone pour l’ensemble des parasites, tous les trois jours chez P. malariae (« fièvre quarte »), tous les deux jours chez les autres espèces (« fièvre tierce »), ce qui avait permis dès l’antiquité de distinguer les fièvres palustres des autres types d’affections fébriles. Outre l’asthénie, qui est le plus souvent intense, des céphalées, des nausées et des vomissements peuvent accompagner la maladie dès son début. Les cas à évolution favorable Sous traitement, l’évolution est presque toujours favorable en deux à trois jours à condition qu’un antipaludique efficace soit utilisé, car les résistances médicamenteuses sont nombreuses. En l’absence de traitement, l’évolution de la maladie est longue. Elle reste néanmoins habituellement favorable pour les infections à P. ovale, P. malariae et P. vivax bien que des cas mortels soient connus pour chacune de ces espèces, surtout pour P. vivax. L’évolution est beaucoup plus incertaine pour P. falciparum et c’est cette espèce qui est actuellement responsable de la quasi-totalité des décès directement attribuables au paludisme dans le monde. Dans les

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Vaincre le paludisme (2)

La maladie

Les aspects cLiniques du paLudisme

Les aspects cliniques du paludisme sont très divers, notamment en fonction de l’espèce plasmodiale responsable de l’infection et de l’état d’immunité du sujet. Toutefois, dans l’immense majorité des cas, le paludisme clinique est avant tout caractérisé par un état fébrile sans spécificité particulière : toute fièvre en zone d’endémie ou au retour d’un voyage en zone d’endémie doit être considérée comme suspecte de paludisme. Chez les personnes sans immunité, des convulsions, un coma et la mort peuvent survenir très rapidement, parfois en moins de 48 heures, en cas d’infection par Plasmodium falciparum. Aussi, c’est en urgence qu’il est nécessaire de confirmer ou d’infirmer ce diagnostic par un examen de sang du malade, examen qui peut être fait au laboratoire (examen au microscope d’une goutte épaisse colorée au Giemsa) ou directement au lit du malade (test immunologique de diagnostic rapide). Si cet examen n’est pas possible dans les 48 heures, il conviendra par précaution d’instituer immédiatement un traitement présomptif par la doxycycline, antibiotique peu coûteux, à très bonne activité antipaludique, qui est également efficace contre d’autres pathologies fébriles fréquentes en zone d’endémie palustre mais le plus souvent méconnues, comme la borréliose et les rickettsioses notamment. P. falciparum est de loin l’espèce plasmodiale la plus abondante en Afrique tropicale où plus de 90% des infections palustres sont attribuables à cette espèce. Aussi, c’est avant tout devant une fièvre contractée en Afrique qu’il faut redouter la survenue possible d’un accès palustre grave. Ailleurs dans le monde, P. falciparum est l’espèce plasmodiale la plus fréquente dans certaines régions d’Amazonie (Guyane), à Madagascar et en Nouvelle-Guinée.

Le paludisme du sujet non immun• La phase de début Entre le moment où une personne est piquée par un anophèle infecté et celui ou débutent les premiers signes cliniques, le délai habituel est compris entre 10 et 20 jours. Ce délai est parfois un peu plus court, jusqu’à 8 jours seulement pour Plasmodium falciparum dont le délai habituel est de 12 jours, mais il est parfois plus long, jusqu’à quatre ou cinq semaines pour P. falciparum et jusqu’à six semaines pour les autres espèces plasmodiales. Dans certains cas, surtout si une chimioprophylaxie a été prise, ce délai peut atteindre ou même exceptionnellement dépasser deux à huit mois pour P. ovale et un à deux ans pour P. vivax.

Après cette période d’incubation, la maladie débute soit d’emblée par une forte fièvre, soit par une période de quelques heures à 48 heures de fatigue et de sensation d’état subfébrile ou nauséeux. La fièvre est d’abord irrégulière, puis une périodicité tend à s’installer, avec alternance de phases de forte fièvre (39° à 41°C) et de phases de décroissance thermique plus ou moins régulièrement espacées. Dans les formes typiques, le malade se ressent « cloué au lit » avec succession de phases de frissons, de chaleur, puis de sueurs (qui correspondent respectivement à la montée, au plateau, puis à la décroissance de la fièvre), puis de périodes d’apyrexie dont la durée est fonction de l’espèce plasmodiale. Les accès de fièvre correspondent à la libération de toxines parasitaires lors de l’éclatement des globules rouges où se multiplient les Plasmodium avant d’envahir d’autres globules rouges. Ce cycle de multiplication érythrocytaire tend progressivement à devenir synchrone pour l’ensemble des parasites, tous les trois jours chez P. malariae (« fièvre quarte »), tous les deux jours chez les autres espèces (« fièvre tierce »), ce qui avait permis dès l’antiquité de distinguer les fièvres palustres des autres types d’affections fébriles. Outre l’asthénie, qui est le plus souvent intense, des céphalées, des nausées et des vomissements peuvent accompagner la maladie dès son début.

• Les cas à évolution favorableSous traitement, l’évolution est presque toujours favorable en deux à trois jours à condition qu’un antipaludique efficace soit utilisé, car les résistances médicamenteuses sont nombreuses. En l’absence de traitement, l’évolution de la maladie est longue. Elle reste néanmoins habituellement favorable pour les infections à P. ovale, P. malariae et P. vivax bien que des cas mortels soient connus pour chacune de ces espèces, surtout pour P. vivax. L’évolution est beaucoup plus incertaine pour P. falciparum et c’est cette espèce qui est actuellement responsable de la quasi-totalité des décès directement attribuables au paludisme dans le monde. Dans les

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cas favorables, les épisodes de fièvre et d’apyrexie se succèdent pendant plusieurs semaines mais l’intensité de la fièvre tend progressivement à décroître. La fatigue reste longtemps intense. Le malade est anémié et la destruction chronique de nombreux globules rouges se traduit par un ictère conjonctival plus ou moins marqué (« yeux jaunes »). La rate est très augmentée de volume. Selon le contexte épidémiologique -infection unique ou exposition ultérieure à de nouvelles infections- le malade guérira définitivement en quelques mois ou restera exposé à de nouveaux accès palustres en cas de réinfection. A la différence d’autres maladies, Il n’y a jamais acquisition par un malade qui guérit d’une immunité protectrice complète vis-à-vis de nouvelles infections.

En cas de traitement insuffisant (durée trop courte) ou mal adapté (résistance médicamenteuse), le malade présente le plus souvent une rechute de la fièvre dans les semaines qui suivent, mais dans d’autres cas il n’y a pas de rechute fébrile alors que des parasites restent présents dans le sang. Les seuls symptômes sont alors une fatigue chronique modérée et parfois un subictère conjonctival qui persistent ou réapparaissent plusieurs semaines ou plusieurs mois après un accès palustre traité. Les résultats de l’examen de la goutte épaisse ou du test immunologique de dépistage rapide sont parfois faussement négatifs car la parasitémie est habituellement très faible, le plus souvent moins d’une dizaine de parasites par microlitre de sang. Ces formes chroniques atténuées cèdent immédiatement et définitivement à un nouveau traitement antipaludique. Dans le cas de P. falciparum, il est exceptionnel qu’elles soient observées plus d’un an après l’accès palustre initial. En revanche, il existe plusieurs observations avec P. malariae où des infections palustres chroniques sont restées complètement silencieuses pendant cinq ans ou davantage. Les accès palustres à longue incubation à P. vivax et à P. ovale et les rechutes tardives avec ces deux espèces correspondent à des formes particulières du parasite (hypnozoïtes) qui restent dormantes de nombreux mois dans le foie du malade et non à des parasitémies sanguines devenues chroniques car non ou mal traitées. Dans le cas de P. vivax, les accès palustres survenant un ou deux ans après la piqûre d’un anophèle infecté étaient surtout fréquents dans le nord de l’Europe (Russie en particulier) où il s’agissait probablement de souches du parasite adaptées génétiquement pour attendre l’année suivante la courte période de l’été où la température extérieure est suffisante pour permettre la reprise de la transmission par les anophèles.

• Les complications mortelles du paludismeLes complications potentiellement mortelles du paludisme ont toujours été exceptionnelles avec P. ovale et avec P. malariae, deux espèces dont le niveau de la parasitémie reste toujours modéré. Elles étaient autrefois assez fréquentes avec P. vivax mais elles sont devenues rares actuellement avec cette espèce, car il s’agissait essentiellement de complications tardives, survenant après plusieurs semaines d’évolution et provoquées par une anémie intense et une dégradation progressive de l’état général dans un contexte d’absence d’antipaludiques et/ou de sous médicalisation extrême. Les accès palustres et rechutes tardives occasionnés par P. vivax sont facilement guérissables par les antipaludiques classiques et il n’a pas été observé de problème sérieux de chimiorésistance avec la chloroquine. Par ailleurs, certaines populations sont génétiquement réfractaires à toute infection par ce parasite : c’est le cas de la quasi-totalité des populations noires africaines.

En revanche, les complications mortelles du paludisme sont toujours très fréquentes avec P. falciparum. Aucune population humaine n’est génétiquement totalement protégée contre ce parasite mais les porteurs du trait drépanocytaire -jusqu’à 20% de la population dans plusieurs régions d’Afrique- sont bien connus pour échapper aux formes graves de la maladie. Les complications des infections à P. falciparum peuvent survenir brutalement dès le début de la maladie, ceci en relation avec une capacité de multiplication de ce parasite dans le sang du malade beaucoup plus importante que celle des autres espèces plasmodiales et un risque important de fixation des globules rouges parasités dans les capillaires de certains organes vitaux, en particulier ceux du cerveau. Les formes mortelles du paludisme à P. falciparum sont ainsi de deux types principaux : l’anémie grave et l’accès pernicieux.

L’anémie palustre grave est actuellement surtout observée chez des nourrissons âgés de six à seize mois vivant en Afrique tropicale, car la transmission du paludisme y reste toujours plus intense qu’ailleurs dans le monde. C’est en effet lors de la première année de la vie que les enfants sont le plus vulnérable à l’anémie, ceci quelle qu’en soit la cause. Dès le quatrième mois après la naissance les nourrissons ont commencé à perdre l’essentiel des anticorps transmis in utero par leur mère, anticorps qui permettent de réduire l’importance et

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la durée de la parasitémie lors des premières infections. Les infections survenant les mois suivants détruisent massivement les globules rouges et la quantité d’hémoglobine dans le sang peut ainsi tomber à moins de 20% de sa valeur normale. Le sang décoloré n’est guère plus que du sérum physiologique incapable d’oxygéner correctement les organes vitaux et la mort est rapidement inévitable en l’absence de traitement antipaludique ou de perfusion de sang. L’anémie palustre grave a constitué la principale modalité de décès par paludisme chez les enfants en Afrique tropicale jusque dans les années 1960 quand la chloroquine a commencé à être largement distribuée. Elle est réapparue comme cause majeure de décès à partir des années 1980 lors de l’émergence de la résistance de P. falciparum à la chloroquine. Elle est devenue beaucoup plus rare depuis la fin des années 2000 grâce aux financements internationaux qui ont permis la généralisation de la distribution de nouveaux médicaments très efficaces en remplacement de la chloroquine, notamment ceux comprenant des dérivés de l’artémisinine.

Les accès pernicieux, dont la forme la plus connue est le paludisme cérébral, peuvent survenir à tout moment de l’évolution d’un épisode clinique à P. falciparum non traité. Chez les enfants africains âgés de 2 à 4 ans, environ 2% des accès palustres non ou mal traités évoluent vers un accès pernicieux. Chez un voyageur européen, on peut estimer qu’environ 10% des accès non traités dans la première semaine évoluent vers un accès pernicieux qui sera toujours mortel en l’absence de soins intensifs et dont la létalité dans les meilleures structures hospitalières est d’environ 20%. Parfois moins de deux jours s’écoulent entre le début des symptômes et le coma puis la mort. Outre les formes à dominante cérébrale, d’autres formes mettent au premier plan un tableau d’insuffisance pulmonaire, d’insuffisance rénale ou d’état de choc.

Le paludisme du sujet semi-immunEn zone de forte transmission du paludisme, cas de la majorité des régions rurales d’Afrique tropicale et de plusieurs autres régions du monde, chaque personne non protégée la nuit par une moustiquaire est piquée plusieurs milliers ou plusieurs dizaines de milliers de fois par an par des anophèles dont 1% à 3% sont porteurs de formes infectantes de P. falciparum dans leurs glandes salivaires. Dès les premières semaines de la vie les enfants présentent dans leur sang des parasites du paludisme et ils seront en permanence ré-infectés par de nouvelles populations parasitaires tout au long de leur existence. Les données sur les taux et causes de mortalité dans ces régions montrent que l’essentiel, voire la totalité, des décès attribuables au paludisme dans ces populations survient les premières années de la vie, chez les enfants âgés de six mois à trois ans quand le paludisme sévit toute l’année et jusqu’à l’âge de six ou sept ans quand le paludisme est seulement saisonnier en raison de l’existence d’une longue saison sèche pendant laquelle les gîtes larvaires d’anophèles disparaissent. Pendant cette courte période de leur vie où le paludisme peut être mortel, les enfants présentent en moyenne de trois à six épisodes de paludisme clinique par an. La fréquence des accès ne décroît par la suite que progressivement avec l’âge et même les adultes les plus âgés présentent encore occasionnellement des accès palustres. À l’âge de 60 ans, la plupart des africains vivant en zone rurale auront accumulé une cinquantaine d’accès palustres depuis leur naissance. A l’âge de 20 ans, certaines personnes particulièrement susceptibles au paludisme auront déjà atteint un total de 100 accès palustres depuis leur naissance.

Paradoxalement, en zone de forte endémie palustre, il n’existe que peu de différences entre la présentation clinique initiale des accès palustres qui surviennent à un âge où une évolution mortelle est à redouter et celle des accès palustres qui surviennent chez les enfants plus âgés ou chez les adultes. Le pic fébrile initial atteint toujours 39°C ou davantage, l’asthénie est toujours intense entraînant l’arrêt des activités dans une même proportion de cas et la fréquence des nausées et vomissements est presque identique. La différence essentielle réside dans la durée des symptômes : chez un grand enfant et un adulte le pic fébrile et l’asthénie intense ne durent que quelques heures. Dès le lendemain, avec ou sans traitement antipaludique, la fièvre disparaît définitivement et en deux jours la personne est guérie. En fait, l’immunité acquise est insuffisante pour prévenir tous les pics de parasitémie associés à de nouvelles infections mais elle en contrôle la durée et l’intensité. Chez les jeunes enfants, les mécanismes qui expliquent que certains accès palustres évoluent rapidement vers un accès pernicieux alors que la plupart guérissent même sans traitement, ceci parfois chez les mêmes enfants quelques mois auparavant, restent encore incompris. Au moins trois types de facteurs semblent intervenir : la virulence des populations parasitaires inoculées, des facteurs génétiques encore inconnus de susceptibilité individuelle et la nature des réponses immunitaires précédemment développées en réponse aux premières infections.

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L’immunité et La prémunition

En zone de forte transmission de paludisme, la population est exposée quasiment en permanence aux piqûres infectantes du moustique. Dans ces conditions, la répétition des infections plasmodiales permet, pendant l’enfance, le développement progressif d’une protection contre la maladie, puis contre les parasites. L’acquisition de cette immunité est d’autant plus rapide que le niveau de transmission palustre est élevé dans la région. Les mécanismes de protection et d’acquisition de cette immunité sont encore mal connus.

La première phase du développement de l’immunité est une protection contre les formes graves de la maladie, puis il y a une réduction progressive du nombre d’accès cliniques, sans que la réponse immunitaire ne soit capable de réduire le taux de parasitémie. En zone d’endémie, l’enfant de moins de 5 ans est la principale victime de la morbidité et de la mortalité palustre, le pic d’incidence de l’accès pernicieux se situant vers 2-4 ans. Les accès graves ne sont observés que chez les enfants de moins de 5 ans. Dans ces régions de forte transmission de paludisme, la prévalence de l’infection asymptomatique et le risque de morbidité diminuent avec l’âge. Les sujets exposés développent une immunité «anti-maladie» qui diminue le risque de survenue d’accès sévère et le risque de mortalité (Marsh & Snow. 1997).

L’immunité anti-maladie précède le développement d’une immunité anti-parasitaire, qui, elle, est responsable de la diminution des densités parasitaires en contrôlant la multiplication parasitaire, mais sans obtenir l’élimination complète des parasites. Cette immunité anti-parasitaire est d’acquisition encore plus lente, et disparait en l’absence d’exposition au parasite, puisque des adultes qui ne sont plus en contact avec le parasite (c’est notamment le cas des migrants) perdent cette immunité. Enfin, la stérilité n’est jamais complètement obtenue.

En région d’endémie, les niveaux de parasitémie les plus élevés sont le plus souvent observés chez les enfants d’âge scolaire, souvent asymptomatiques. Les adultes continuent à présenter des infections asymptomatiques, même s’ils peuvent présenter une infection patente à un moment donné. Cette évolution progressive d’un stade d’immunité contre le paludisme-maladie vers un stade d’immunité partielle contre le paludisme-infection est une situation presque unique qui a été décrite comme un état de ‘prémunition’ par les frères Sergent (1956) dans les années 40 comme une forme d’immunité non-stérilisante, qui doit être maintenue par une exposition presque constante aux parasites.

Brown et Brown, en 1965, posent l’hypothèse que l’immunité anti-paludisme serait spécifique de variant antigénique. Grâce à des tests d’hémagglutination chez le singe, ils ont montré que la réponse immune des singes vis-à-vis de la souche qui les a infectés était forte et spécifique et que les sérums ne reconnaissaient pas la souche responsable de la rechute. Ce mécanisme explique la persistance d’une parasitémie, même chez les individus immuns, l’existence d’une variation antigénique chez le parasite (responsable du phénomène d’évasion immune) et la lenteur de la mise en place de l’immunité protectrice.

Mais les mécanismes moléculaires et cellulaires impliqués dans cette immunité sont très mal connus. Deux hypothèses non exclusives ont émergé, la première, la plus largement acceptée, suggère que l’immunité est spécifique de variant1. L’exposition successive à différents variants permet l’acquisition d’une immunité spécifique des différents variants rencontrés, et donc à terme, l’acquisition d’un répertoire diversifié d’anticorps contre l’ensemble des variants en circulation dans la région. Cette immunité est s’acquière plus rapidement en zone de forte transmission palustre. Mais les recherches sur un potentiel vaccin se basent sur l’hypothèse alternative, qui suppose que la protection est acquise grâce au développement d’une immunité croisée, capable de reconnaitre différentes souches parasitaires.

La réponse immune dirigée contre la phase sanguine est très certainement multifactorielle (humorale et cellulaire), mais de nombreuses études suggèrent que cette protection est largement médiée par les anticorps.

1 Les isolats de Plasmodium falciparum sont extrêmement polymorphes. On dénombre près de 5300 antigènes, dont la plupart sont susceptibles d’exprimer des variations de séquences en fonction de l’isolat. Même si certains de ces antigènes sont identiques à d’autres isolats de la région, d’autres vont différer. On peut donc considérer que chaque isolat de P. falciparum est unique.

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La réponse cellulaire• La réponse cellulaireL’immunité à médiation cellulaire reste mal connue. De façon générale, les lymphocytes T4 sont essentiels pour le développement de la réponse humorale grâce à la coopération entre lymphocytes B et T (LB et LT). Dans le cas du paludisme, plusieurs rôles pour les LT4 ont été décrits : la croissance parasitaire peut être inhibée in vitro par la présence de LT4 spécifiques. Chez la souris, le transfert adoptif de LT4 spécifiques est protecteur. Des antigènes ont été reconnus comme étant la cible des LT4 protecteurs. Ces différentes études effectuées chez la souris parasitée paraissent prometteuses pour une nouvelle stratégie vaccinale, mais des doutes persistent sur le rôle de cette immunité cellulaire dans l’élimination du parasite et sur les mécanismes d’action des LT4.

• Les cytokinesL’implication du TNFα et de l’IFNγ (Interféron gamma) dans le paludisme sévère a été largement étudiée. Bien que la réponse immune cellulaire ait un rôle dans l’immunité protectrice contre les stades sanguins du parasite, ces cytokines ont surtout été retrouvées dans les processus pathologiques qui accompagnent l’infection palustre. La présence de ces 2 cytokines est corrélée à la sévérité de l’infection (Grau, et al. 1989). Ces cytokines sont produites en réponse à l’infection palustre, et sont responsables des dommages tissulaires. D’autres cytokines sont aussi corrélées à la sévérité de l’infection comme l’IL2.

La réponse humoraleDes expériences de transfert passif d’immunoglobulines (IgG) issues de sérums d’adultes immuns, permettant de protéger des enfants atteints (Cohen, et al. 1961), montrent l’importance de la réponse humorale dans l’immunité acquise.

La première étude montrant que les sérum de sujets immuns sont capables d’agglutiner les hématies parasitées a permis de poser l’hypothèse que la réponse protectrice était liée, au moins en partie, à la synthèse d’anticorps reconnaissant les hématies parasitées. Le sérum de jeune enfant infecté par le paludisme ne reconnaît pas la souche infectant lorsque ce sérum est prélevé au cours de l’accès palustre. Par contre, un mois après, ce sérum est capable d’agglutiner les hématies infectées par la souche d’origine, démontrant que cette réponse est spécifique du variant infectant. Ces anticorps sériques sont dirigés contre des antigènes variables de surface (VSA) qui sont des protéines parasitaires exprimées à la surface de l’hématie infectée.

Il a été montré que les enfants possèdent un répertoire plus restreint d’anticorps reconnaissant ces VSA que les adultes et que la protection clinique de ces enfants était associée à leur taux d’anticorps anti-VSA. De nombreuses études cliniques dans plusieurs pays d’Afrique ont montré que l’acquisition d’un répertoire complet d’anticorps est progressif et que le taux d’anticorps anti-VSA est corrélé à la protection (Hviid. 2005).

Les anticorps peuvent agir de différentes façons sur le parasite, en inhibant leur cytoadhérence, en induisant leur phagocytose, ou en induisant une lyse médiée par le système du complément. Mieux comprendre ces mécanismes est essentiel pour développer des stratégies de protection vaccinale.

L’évasion immuneLa variation clonale a été décrite chez de nombreux organismes. Dans le cas du Plasmodium, cette variation clonale permet aux isolats parasitaires d’échapper au système immunitaire de l’hôte.

Dans le cas de P. falciparum, un clone maintenu en culture peut donner naissance à de nouveaux parasites qui n’exprimeront plus les mêmes protéines à la surface de l’hématie tout en gardant un génome identique par ailleurs. Ainsi, le changement d’antigène de surface de l’hématie parasitée permet au parasite d’échapper aux anticorps de l’hôte et de persister chez celui-ci. In vivo, différents modèles animaux ont montré le lien existant entre cette variation clonale et la chronicité de l’infection. Ainsi, les parasites peuvent infecter un hôte et s’y multiplier malgré la présence de fort taux d’anticorps anti-hématies parasitées.

Les personnes à risque : enfants, femmes enceintes et voyageurs

Dans les zones géographiques où la transmission est importante et se maintient régulièrement d’une année à l’autre (Afrique intertropicale essentiellement), le paludisme est dit stable et les adultes ont acquis une immunité qui les protège (voir chapitre « L’immunité et la prémunition »). Même s’ils hébergent les parasites,

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ils ne présentent en général pas de signe clinique important, et les seules personnes à risque de développer des complications sont les enfants avant l’acquisition de cette protection et les femmes enceintes en raison d’une modification de leur statut immunitaire, liée à la présence du fœtus qu’elles doivent tolérer pendant la durée de la grossesse.

En pratique, les enfants peuvent présenter l’ensemble des signes cliniques qui ont été décrits, allant de fortes poussées de fièvre survenant de façon cyclique (tous les deux à trois jours) à des accès graves, souvent mortels s’ils ne bénéficient pas d’une prise en charge adaptée. Ces paludismes graves affectent simultanément plusieurs organes vitaux et associent généralement des troubles de la conscience (allant jusqu’au coma), une anémie importante et une atteinte respiratoire qui est le principal facteur responsable de décès. On considère que, selon l’intensité de la transmission, les enfants acquièrent progressivement leur immunité entre 5 et 10 ans.

Près de 600 000 décès d’enfants de moins de 5 ans en 2011En ce qui concerne les femmes enceintes, le risque porte essentiellement sur la santé de l’enfant à naître. Les femmes elles-mêmes, bien que plus sujettes aux infections du fait de la grossesse, bénéficient encore d’une protection conférée par leur longue exposition au paludisme, et ne présentent en général pas de symptômes aigus. En revanche, l’atteinte du placenta par les parasites diminue les échanges entre la mère et le fœtus et en perturbe la croissance. Les nouveau-nés de mères infectées par le paludisme au cours de la grossesse ont donc en moyenne un poids inférieur à celui des enfants dont la mère n’a pas été infectée, et ceci est susceptible d’augmenter leurs risques de présenter des maladies ou de décéder pendant les premières années de vie. Il semble également que l’infection palustre du placenta augmente le risque pour l’enfant de développer un paludisme pendant sa première année.

Pour ces raisons, ces deux groupes de population (on estime à près de 600 000 le nombre d’enfants de moins de cinq ans décédés de paludisme en 2011 et à plus de 100 millions le nombre annuel de femmes enceintes exposées au paludisme en Afrique intertropicale) sont considérés comme particulièrement à risque et font l’objet de mesures de prévention spécifiques (voir chapitre « Stratégies de prévention médicamenteuse »).

Dans les zones géographiques où la transmission est plus faible, et surtout irrégulière d’une année à l’autre (paludisme instable), le tableau est très différent car faute d’acquérir une protection suffisante, tous les individus, quel que soit leur âge ou leur statut immunitaire, peuvent présenter des accès cliniques simples ou graves (rappelons que seule l’espèce P. falciparum est susceptible de provoquer ces accès graves). Il s’agit principalement des foyers situés en Amérique du Sud, en Inde, en Asie du Sud-Est, et des zones d’altitude des régions intertropicales (par exemple, montagnes du Kenya et hauts plateaux centraux de Madagascar). Tous les sujets peuvent être considérés comme « à risque », mais bien sûr ce risque est beaucoup moins important au niveau de la population compte tenu de la faible transmission du parasite, et donc de la faible probabilité pour un individu de contracter la maladie.

Un dernier groupe à risque est constitué par les voyageursLes voyageurs proviennent de zones où le paludisme ne se transmet pas. N’ayant pas été exposés au parasite, ils n’ont pu acquérir une protection immunitaire et sont donc susceptibles de présenter des accès simples ou graves. Pour ces voyageurs (touristes ou effectuant des séjours professionnels), différentes mesures de protection individuelle contre les anophèles sont recommandées (utilisation de répulsifs et de moustiquaires imprégnées d‘insecticides, voir chapitre « Insecticides et répulsifs »), mais la prévention repose essentiellement sur une prophylaxie par la prise de médicaments anti-paludiques pendant tout le séjour et après le retour pour éviter les rechutes tardives. Une mention particulière doit être faite des personnes originaires de pays impaludés (en particulier, d’Afrique Noire) qui, ayant dans un premier temps acquis une immunité protectrice, l’ont progressivement perdue après quelques années de séjour en zone tempérée, et peuvent négliger de prendre une prophylaxie efficace, pensant être encore protégés. Ce problème est particulièrement important en France, pays où le nombre de paludismes ainsi importés annuellement (voyageurs mais surtout migrants effectuant un séjour dans leur pays d’origine) est le plus élevé au monde. Un Centre National de Référence du paludisme (CNR - www.imea.fr - cnrpalu-2010.pdf) a été créé, qui assure la surveillance épidémiologique du paludisme d’importation en France à partir des déclarations de 59 grands hôpitaux répartis sur tout le territoire. Il a ainsi répertorié 2438 nouveaux cas en 2010, ce qui permet d’estimer le nombre total de cas à un peu plus de 4600.

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susceptibiLité génétique de L’homme au pLasmodium

La survie de chaque espèce, animale ou végétale, à des agressions microbiennes dépend en partie de l’existence de certaines formes de résistances. Le paludisme ne fait pas exception et cela a été clairement démontré sur des modèles animaux (Rhea Longley et al. 2011). Cette résistance peut s’exprimer sous différentes formes telles que le portage asymptomatique de parasites (le sujet infecté semble tolérer cette infection) ou le développement, ou non, d’une forme sévère.

L’étude de ce phénomène de susceptibilité/résistance à l’infection est rendue difficile par l’impossibilité chez l’homme de procéder à des expérimentations. Cependant, des arguments indirects permettent de suspecter son existence. Ainsi, environ 25% de cette variabilité pourrait être expliquée par des facteurs génétiques de l’homme (Mackinnon et al., 2005).

L’étude de ces phénomènes a fortement bénéficié du développement des méthodes épidémiologiques et statistiques regroupées sous le terme d’épidémiologie génétique et des énormes progrès réalisés dans le domaine de la génétique moléculaire. Il existe deux façons d’aborder l’étude de ce problème chez l’homme. La première considère des informations a priori pour définir des candidats qui pourraient être impliqués dans ce phénomène. Il s’agit des études dites « gènes candidats ». La seconde approche met à profit le développement récent des technologies de séquençage et de génotypage à haut débit basées sur les puces à ADN, permettant un criblage systématique de l’ensemble du génome. Il s’agit des méthodes « génome entier ».

L’approche gène candidatLes plus grands succès de cette approche ont concerné les polymorphismes impliqués dans la résistance aux formes graves du paludisme, dues à P. falciparum.

Le rôle protecteur de certaines anomalies génétiques touchant le globule rouge est maintenant largement admis. Celles-ci incluent les thalassémies, les hémoglobinopathies (Hb S, Hb C et Hb E), des perturbations métaboliques (en particulier le déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase) et des anomalies des récepteurs membranaires aux parasites, telles que l’elliptocytose et le groupe sanguin Duffy-négatif, qui limitent l’infection par P. falciparum et P. vivax respectivement, ou encore l’ovalocytose qui confère une résistance à toutes les espèces plasmodiales. Ces mutations génétiques du globule rouge, aux conséquences parfois sévères sous leur forme homozygote - certaines étant à l’origine des maladies monogéniques les plus fréquentes chez l’Homme - ont été positivement sélectionnées dans les populations fortement exposées au paludisme du fait de l’avantage en survie qu’elles confèrent dans les zones d’endémie pour leur forme hétérozygote (Hedrick PW. 2011). Elles ne peuvent cependant expliquer à elles-seules la variabilité observée.

Des associations ont également été rapportées avec des polymorphismes d’autres gènes candidats, même si beaucoup nécessitent d’être répliquées dans des études indépendantes. Les résultats les plus significatifs concernent les gènes impliqués dans le contrôle de la réponse immunitaire, tels que les gènes HLA (HLA-B, HLA-DRB1, HLA-DQB1) et diverses cytokines (TNF, IFN), et ceux impliqués dans l’adhésion des globules rouges infectés à l’endothélium (ICAM-1, CD36).

Citons également la région chromosomique 5q31-q33, qui contient de nombreux gènes de la réponse immune et qui a été identifiée à plusieurs reprises comme impliquée dans le contrôle des niveaux d’infection par P. falciparum dans des populations vivant dans des contextes épidémiologiques différents.

L’approche génome entierLa particularité de cette approche est d’utiliser non pas des polymorphismes choisis dans des gènes présentant un intérêt potentiel, mais à l’inverse de tester plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions de polymorphismes de l’ADN répartis sur l’ensemble du génome. Cette exploration globale sans a priori peut permettre la découverte de nouvelles voies physiopathologiques jusqu’alors insoupçonnées.

À ce jour, seules quatre études de ce type se sont intéressées au paludisme. Si les résultats de ces études ont été décevants car discordants, deux d’entre elles ont confirmé l’implication de la région 5q31-q33 évoquée précédemment, renforçant l’intérêt potentiel de cette région. L’étude la plus récente (Milet et al. 2010), réalisée sur des enfants sénégalais, a identifié pour la première fois une association forte avec un gène de cette région. Par son implication dans des voies métaboliques de la réponse immunitaire et de la physiologie de l’endothélium vasculaire, ce gène, ARHGAP26, devient un candidat tout à fait intéressant à explorer. En

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dehors de cette découverte, les études génome entier n’ont pas conduit aux résultats espérés. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’échec de cette approche. D’une part, les puces de génotypage actuellement disponibles dans le commerce sont peu ou mal adaptées à la réalisation d’études d’association génome entier dans les populations africaines, les plus touchées par le paludisme, de part leur faible couverture génomique et leur mauvaise représentation des variants réellement présents dans ces populations. Le projet 1000 génomes (The 1000 Genomes Project Consortium. 2010), qui vise à établir un catalogue complet et détaillé de la diversité génétique humaine, avec plus de 2000 génomes séquencés, dont 500 africains, pourra apporter une solution à ce problème en permettant le développement d’outils de génotypage plus adaptés à ces populations. D’autre part, ces approches génome entier nécessitent des tailles d’échantillon importantes, rarement atteintes dans les études individuelles menées jusqu’à présent. Le développement de réseaux multicentriques, tels que le consortium MalariaGen (A global network for investigating the genomic epidemiology of malaria. 2008), permettra de mutualiser les efforts de différents groupes de recherche à travers le monde.

S’il est probable qu’une minorité seulement des gènes impliqués dans la pathogénie de l’infection palustre aient été identifiés à ce jour, des avancées substantielles sont attendues dans les années à venir grâce au développement des outils moléculaires et statistiques visant à optimiser l’application des études d’association génome entier dans les populations vivant en zone d’endémie.

représentations sociaLes du paLudisme

Les sciences sociales (sociologie, anthropologie, histoire, etc.) étudient depuis longtemps la maladie, pas uniquement comme un fait biologique, mais aussi comme un événement social et culturel. Toute maladie — et le paludisme en particulier —, est objet de représentations et de pratiques populaires, d’enjeux et d’usages sociaux qui varient d’un contexte culturel à l’autre.

Une représentation sociale est une élaboration mentale complexe à propos d’un être, d’un objet ou d’un fait, qui intègre en une image signifiante les valeurs et les informations circulant dans une société. Elle est donc un processus collectif de perception et d’interprétation du réel, un modèle explicatif commun transmis et donc un savoir qui apparaît dans les discours et les comportements. Ces constructions sociales sont depuis longtemps des processus syncrétiques dynamiques qui peuvent intégrer simultanément des éléments issus des différents registres de connaissances, de différentes cultures.

Nommer le mal dont souffre la personneL’étude de ces représentations entraîne les anthropologues dans l’exploration de plusieurs aspects relatifs aux maladies. La sémiologie populaire étudie la manière dont les symptômes ressentis ou présentés par une personne sont nommés dans un vocabulaire local, puis regroupés dans des tableaux sémiologiques signifiants permettant d’évoquer un ou parfois plusieurs diagnostics possibles. Ce processus impose de nommer le mal dont souffre la personne. Pour cette nomination, les acteurs disposent d’un ensemble de noms de maladies.

Dans chaque aire linguistique ou culturelle, les logiques de nomination et de classification (i.e. la nosologie) des maladies aboutissent à la construction sociale de nosographies (Jaffre & al., 1999), qui peuvent être qualifiées selon les auteurs ou les contextes, de « populaires », « traditionnelles », « professionnelles » ou encore du nom de la médecine à laquelle elle se réfère ou de l’aire culturelle dans laquelle elle s’est construite (ayurvédique, inuit, wolof ou encore biomédicale). Ces nosographies regroupent alors des entités nosographiques qui sont nommées et classées selon des logiques qui peuvent être anatomiques, sémiologiques, étiologiques, analogiques, etc.

Du fait du pluralisme médical (Benoist, 1993) et des changements constants dans les systèmes de santé, notamment mais pas uniquement dus à la mondialisation, plusieurs nosographies cohabitent dans une même aire culturelle. Certaines entités peuvent circuler d’une classification à l’autre mais il n’y a jamais congruence totale entre deux nosographies. En particulier, il n’y a pas de congruence entre les nosographies populaires ou traditionnelles et biomédicale. Pour des raisons historiques, le nom vernaculaire des maladies a parfois des traductions cristallisées en français qui sont bien souvent erronées car bien trop réductrices. Le paludisme en donne des exemples particulièrement emblématiques.

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Enfin, une entité nosographique représente bien plus qu’un simple nom de maladie puisqu’elle véhicule, au delà du tableau sémiologique qui permet le diagnostic, un modèle d’interprétation étiologique qui lui même guide les conduites thérapeutiques préventives et curatives.

Le paludisme est une entité nosographique biomédicale dont l’étiologie (les Plasmodiums) et le mode de transmission (les anophèles) sont bien déterminés. Elle se caractérise par une sémiologie connue mais souvent peu spécifique (fièvre, courbatures, céphalées, nausées voire vomissements, éventuellement ictère voire signes neurologiques dans les formes graves, etc.). Bien évidemment, beaucoup d’autres entités biomédicales peuvent avoir des sémiologies proches (cf. infra) et le diagnostic différentiel, bien souvent très difficile uniquement à partir de l’examen clinique, impose aux médecins le recours à des examens paracliniques (goutte épaisse, test de diagnostic rapide, etc.).

Lorsque l’anthropologie étudie les représentations des maladies dans des aires culturelles situées en zone d’endémie palustre, il existe toujours au moins une entité nosographique populaire traduite par le terme « paludisme » en raison de glossaires établis pour beaucoup de pays pendant la période coloniale. Une analyse fine de la nosographie montre qu’il s’agit de traductions cristallisées approximatives et réductrices avec des correspondances qui ne sont que partielles. Dans de nombreux pays francophones, l’appellation populaire « palu » s’inspire en grande partie de ces entités nosographiques traditionnelles, auxquelles se mêlent, dans une construction dynamique, des éléments issus de la nosographie biomédicale, à travers notamment le paludisme.

Des problèmes de discordance sémantique entre noms de maladies issus de langues différentesLa langue fongbe est l’une des langues les plus parlées au Sud du Bénin, par l’ethnie fon, mais également comme langue véhiculaire entre différentes ethnies qui peuplent le sud de ce pays. La traduction la plus souvent fournie au terme français paludisme est wecivo zon. Inversement, il est d’usage de traduire wecivo zon en fongbe par paludisme en français. En fait l’entité nosographique populaire wecivo zon est bien plus complexe. La traduction littérale de ce terme d’appellation est maladie (zon) du soleil (wecivo). La population et les guérisseurs expliquent parfaitement que la sémiologie qui permet d’évoquer ce diagnostic populaire comprend un corps chaud, des frissons, des maux de tête, des courbatures, parfois un léger ictère au niveau des yeux, éventuellement quelques nausées parfois accompagnées de vomissements. Dans les représentations étiologiques les plus fréquemment évoquées, cet événement est imputé à une exposition prolongée au soleil, en particulier des allers et venues sous le soleil pendant les travaux des champs, ou encore à la consommation de certains aliments, notamment des aliments gras. Mais en poussant les enquêtes un peu plus loin, les personnes qui participent aux entretiens rapportent toutes qu’il existe deux formes de wecivo zon, distinguées sur des critères sémiologiques. La forme bénigne qui vient d’être décrite est nommée wecivo zon assi (la maladie du soleil femelle). Mais une seconde forme bien plus grave et potentiellement mortelle nomme wecivo zon assu, soit littéralement « maladie du soleil mâle ». Elle est évoquée devant différents symptômes que sont la fatigue très intense, l’ictère majeur prenant les paumes des mains et les plantes des pieds et surtout des urines très foncées « comme du coca-cola », mais aussi les nausées voire des vomissements. Les analyses montrent que ces deux formes incluent des entités nosographiques biomédicales bien différentes du paludisme : pour la forme féminine, il peut en effet s’agir de toutes maladies infectieuses qui se manifestent au minimum par un syndrome grippal : la grippe, des arboviroses, ou encore des formes frustres ou débutantes de méningites, des gastroentérites, etc… La forme mâle inclus toutes les maladies ictériques et fébriles, par exemple des hépatites, de formes sévères de dengue, une septicémie, etc. Inversement, les formes neurologiques du paludisme (forme comateuse ou convulsive par exemple) ne sont pas incluses dans l’entité wecivo zon.

Des analyses similaires ont été faites pour d’autres aires culturelles, par exemple les Moose (Bonnet, Egrot) ou les Bisa (Fainzang) du Burkina Faso, en Côte d’Ivoire (Granado), au Benin (Kpatchavi, Baxerres), au Sénégal (Faye) ou au Mali (Roger). Ces travaux anthropologiques montrent donc bien qu’il ne peut y avoir de correspondance directe entre les entités nosographiques populaires et biomédicales. Cette question de la traduction pose d’infinis problèmes sur le terrain dès qu’il faut traduire des messages de prévention ou d’éducation sanitaire, ou encore les questions dans des questionnaires d’enquête avec un impact direct sur la qualité et la fiabilité des résultats obtenus.

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Ce chapitre ne développe qu’un seul aspect des recherches anthropologiques sur le paludisme mais les travaux existant s’intéressent à bien d’autres dimensions sociales ou culturelles de cette maladie, notamment les modèles interprétatifs de l’événement, les logiques d’imputions à telles ou telle étiologies (Jaffre, Olivier de Sardan, Bonnet, Egrot), les représentations des moustiques (Iroko), les itinéraires thérapeutiques de personnes malades (Kpatchavi), les soignants spécialisés, les traitements du paludisme (Baxerres, Bila), les méthodes de lutte antivectorielle, ou encore la recherche scientifique en matière de paludisme. Certains de ces aspects sont abordés dans ce présent dossier.

État actuel de l’endémie palustreLe paludisme a considérablement régressé dans de nombreuses régions du monde entre 1950 et 1970 grâce à l’utilisation massive du DDT pour la lutte antivectorielle et de la chloroquine pour le traitement et la chimioprophylaxie des populations exposées. Les trois décennies suivantes ont été marquées par une dégradation marquée de la situation dans la plupart des régions du monde où le paludisme n’avait pas été totalement éradiqué, ceci essentiellement en raison du relâchement des mesures de lutte antivectorielle et de l’émergence puis de la diffusion généralisée de souches de Plasmodium falciparum résistantes à la chloroquine. Depuis 2005 en Afrique tropicale et depuis le début des années 2000 dans les autres régions du monde, une amélioration très nette est de nouveau observée, grâce notamment au déploiement de nouveaux médicaments beaucoup plus efficaces (les combinaisons à base d’artémisinine) et la distribution massive de moustiquaires imprégnées d’insecticides.

Les cartes de répartition du paludisme dans le monde sont par nature très approximatives, notamment là où le paludisme est instable, et ne peuvent facilement représenter l’hétérogénéité du risque et encore moins les évolutions récentes. La probabilité de contracter le paludisme varie considérablement selon les pays et, dans chaque pays, selon les lieux, les régions et les saisons de l’année. Surtout, il est important de distinguer les régions du monde où l’on risque de contracter un paludisme à Plasmodium falciparum, qui seul actuellement occasionne la quasi totalité des décès attribuables à cette maladie, des régions où il existe seulement un risque d’infection par P. vivax, dont la gravité potentielle est bien moindre. Même pour les régions où sévit P. falciparum, il est essentiel de distinguer celles où un voyageur ne prenant pas de précaution particulière aura une probabilité quasi certaine d’être infecté lors d’un séjour de quelques jours seulement, de celles où seulement quelques dizaines de cas par an sont observés alors que des centaines de milliers de personnes y résident. Ceci est également le cas pour P. vivax, qui souvent ne se manifeste plus actuellement que sous la forme de cas sporadiques ou de petites épidémies très localisées au sein de vastes territoires où résident des millions de personnes dont très peu seront atteintes par la maladie au cours de leur vie.

Paludisme à Plasmodium falciparumEn Afrique, P. falciparum est maintenant éradiqué de tous les pays situés au nord du Sahara mais tous les autres pays sauf le Lesotho restent concernés à des niveaux divers, de façon minime et/ou très localisée en Afrique du Sud, en Namibie et au Botswana, mais de façon le plus souvent intense et généralisée dans la plupart des autres pays à l’exception des régions sahariennes de Mauritanie, du Mali, du Niger, du Tchad et du Soudan. En zone rurale et péri-urbaine d’Afrique tropicale, chaque personne dormant sans moustiquaire est habituellement piquée plusieurs dizaines de fois par nuit par des anophèles, ceci toute l’année ou seulement quelques mois par an quand la saison des pluies est de courte durée. La proportion d’anophèles infectés par P. falciparum est généralement comprise entre 1% et 3%, ce qui implique que chaque personne sans protection est piquée par un anophèle infecté une ou plusieurs fois par semaine pendant tout ou partie de l’année. Les niveaux habituellement très élevés de transmission de P. falciparum en Afrique tropicale sont dus à la présence uniquement dans cette région du monde de trois espèces d’anophèles (A. gambiae, A. arabiensis et A. funestus) dont la capacité vectorielle est beaucoup plus forte que celle de toutes les autres espèces d’anophèles des autres régions du monde. Cette capacité vectorielle exceptionnelle (jusqu’à 200 cas secondaires à partir d’une seule personne infectée en Afrique alors que les meilleurs vecteurs sud américains et asiatiques permettent rarement plus de 5 cas secondaires à partir d’une seule personne infectée) repose sur l’abondance presque partout en zone afro-tropicale d’au moins une de ces trois espèces, leur longue durée de vie et leur forte anthropophilie. La mortalité attribuable au paludisme a fortement diminué ces dernières années dans de nombreux pays africains - par exemple au moins 80% de réduction au Sénégal entre 2000 et

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2010 - et elle est désormais inférieure à un million de décès par an pour l’ensemble de l’Afrique après avoir dépassé les deux millions de décès par an dans les années 1990 et au début des années 2000. La presque totalité des décès survient chez des enfants, souvent avant l’âge de cinq ans, alors que la majorité des décès par paludisme survient chez des adultes dans les autres régions du monde où sévit P. falciparum, ceci en raison de niveaux de transmission beaucoup plus faibles qui réduisent considérablement la probabilité de contracter la maladie dès l’enfance.

En Amérique du Sud et centrale ainsi qu’aux Antilles, le paludisme à P. falciparum a été presque totalement éradiqué à l’exception de quelques régions d’Amazonie, du littoral de l’Océan Pacifique en Colombie et de Haïti. Des cas sporadiques et parfois de petites épidémies provoquées par A. darlingi restent fréquents dans la région des Guyanes et notamment sur l’Oyapock et le Maroni en Guyane française. Lors d’enquêtes transversales, l’indice plasmodique des populations amazoniennes est habituellement nul, mais il peut parfois dépasser 20% dans certains villages à l’occasion d’épidémies. Selon l’OMS, le nombre total de décès provoqués par le paludisme en Amérique du Sud, en Amérique centrale et à Haïti est désormais d’environ un millier par an, soit 1 000 fois moins qu’en Afrique, dont la moitié à Haïti et la quasi-totalité des autres décès au Brésil, en Colombie et au Guyana.

La Nouvelle-Guinée (Irian Jaya et Papouasie-Nouvelle-Guinée) et les Iles Salomon possèdent de très bons vecteurs (A. farauti et A. punctutalus notamment) qui entretiennent un niveau élevé d’endémie à P. falciparum, ce qui rapproche sur le plan épidémiologique ces îles de l’Afrique. Près de 10 000 décès sont attribuables chaque année au paludisme en Indonésie (Irian Jaya principalement) et environ 3 000 en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Aux Philippines et dans les autres îles de la région, P. falciparum est désormais très rare et n’occasionne plus que quelques dizaines de décès par an.

En Asie du sud-est, de l’est de l’Inde (Assam) au Vietnam, le paludisme sévit surtout en forêt où il a pour vecteurs principaux A. minimus et A. dirus. Il est souvent géographiquement restreint à quelques régions de collines et de montagnes habitées par des minorités ethniques qui concentrent la majeure partie de la morbidité et la mortalité attribuables au paludisme. Ces dernières années P. falciparum a été en grande partie éliminé du Vietnam mais il provoque encore au moins 3 000 décès par an dans les régions forestières de Birmanie et quelques centaines de décès par an dans diverses régions du Cambodge, du Laos et de Thaïlande. En Inde, le paludisme à P. falciparum est toujours resté fortement endémique dans ses territoires de prédilection de l’Assam où il occasionne actuellement au moins 4 000 morts par an. Dans les autres régions de la péninsule indienne, le poids du paludisme avait considérablement diminué à partir de 1950 avant de rebondir de façon explosive dans les années 1970. Sa transmission est surtout assurée par A. culicifacies et A. stephensi, ce dernier vecteur présentant la particularité de très bien s’adapter à l’urbanisation. Bien qu’ayant actuellement de nouveau fortement diminué, le poids de la mortalité palustre en Inde reste élevé et a été récemment l’objet de controverses, avec une fourchette minima d’au moins 50 000 morts par an (dont 40 000 pour moitié dans les deux seuls états de l’Orissa et du Madhya Pradesh), et une fourchette maxima d’au moins 100 000 morts par an. Le paludisme à P. falciparum est beaucoup plus rare au Bengladesh (seules les zones de forêt proches de la Birmanie sont concernées) et au Pakistan (environ 2 000 décès par an dans ces deux pays) et a été complètement éliminé de Ceylan. Ailleurs en Asie, P. falciparum est surtout observé au Yémen, où il est transmis par A. arabiensis et occasionne plus de 2 000 décès annuellement. Dans l’Océan Indien, les régions côtières de Madagascar constituent toujours le plus gros foyer actuel de paludisme à P. falciparum où il provoque chaque année plusieurs milliers de décès.

Paludisme à Plasmodium vivaxEn Afrique, P. vivax est absent de la quasi-totalité de l’Afrique noire car les populations de ces régions sont génétiquement réfractaires à toute infection par ce parasite. La quasi-totalité des vieilles mentions de P. vivax en Afrique noire, dont beaucoup ont été reprises dans des publications récentes sur P. vivax, correspondent en réalité à P. ovale qui a longtemps été systématiquement confondu avec P. vivax. La distribution actuelle de P. vivax en Afrique intéresse principalement le sud de la Mauritanie, avec un foyer urbain à Nouakchott et de nombreux autres foyers au sud de 18°N dans les villes et villages à population maure ou métissée. Dans le nord du Sahel, P. vivax est également distribué au Mali, au Niger, au Tchad et au Soudan, ainsi qu’en Afrique de l’Est de l’Ethiopie et de l’Erythrée à la Somalie et au Kenya. Dans chacun de ces pays, sont concernées

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principalement les populations non négro-africaines (notamment celles d’origine arabe, touarègue, toubou, amharique et somali). Quelques cas sporadiques d’infections à P. vivax ont cependant été observés chez des européens en Afrique noire, suite à des introductions ponctuelles de ce parasite par des voyageurs, notamment les camionneurs et commerçants arabes en Afrique centrale et en Afrique de l’Est.

Hors d’Afrique, P. vivax est le principal parasite du paludisme observé dans le monde. C’est lui qui est responsable de la quasi totalité des cas de paludisme observé en Amérique centrale et du Sud (environ un million de cas annuellement), avec parfois localement des taux d’incidence élevés, comme dans diverses régions de plusieurs états amazoniens du Brésil (Rondônia, Mato Grosso et Pará principalement, Amapá, Roraima et Maranhão de façon plus localisée). D’une façon générale, P. vivax sévit en Amérique centrale et du Sud sous forme de cas sporadiques et de petites épidémies en zone forestière ou au contact des zones de défrichement de la forêt.

En Asie, P. vivax a une large distribution historique, de la Turquie à la Corée et de la Russie à Ceylan. Il est également distribué dans de nombreuses îles indo-océaniennes. Le relâchement des mesures de lutte -pour des raisons variables selon les pays- a occasionné diverses épidémies sur la période 1970-2000, notamment en Inde, en Afghanistan, dans les nouveaux états de l’ancienne URSS, en Corée et en Turquie. Actuellement, P. vivax a de nouveau régressé. Il est devenu rare et localisé en Chine et surtout dans l’ensemble des pays situés à l’ouest du Pakistan, à l’exception notable de l’Afghanistan et du Yémen. Actuellement, l’essentiel des 32 millions de cas annuels estimés en Asie et en Indo-Océanie provient de dix pays : l’Inde (environ 20 millions), l’Indonésie (environ 5 millions), le Pakistan (environ 2 millions), la Birmanie (environ 1,5 million), la Papouasie-Nouvelle-Guinée (environ 1 million), le Bengladesh (environ 600 000), l’Afghanistan (environ 600 000), le Yémen (environ 400 000), le Cambodge (environ 200 000) et la Thaïlande (environ 150 000).

Paludisme à Plasmodium malariae et à Plasmodium ovaleCes deux Plasmodium responsables d’infections presque toujours sans gravité sont devenus rarissimes dans le monde à l’exception de l’Afrique tropicale, de Madagascar et de la Nouvelle-Guinée. En Afrique, jusqu’à 10% des anophèles infectés présentent ces deux parasites dans leurs glandes salivaires, seuls ou en association avec P. falciparum. C’est notamment le cas dans les régions de savane où la pluviométrie annuelle moyenne est supérieure à 700 mm et en zone de forêt défrichée qui sont très favorables à une transmission permanente ou semi-permanente du paludisme par A. gambiae et A. funestus.

Dans ces régions, la proportion d’enfants trouvés infectés lors d’enquêtes ponctuelles atteint souvent 40% pour P. malariae, dont la parasitémie reste le plus souvent chronique pendant de nombreux mois, et 10% pour P. ovale dont la parasitémie détectable dépasse rarement deux semaines lors de chaque réinfection. Dans la seule étude en Afrique où la morbidité attribuable à ces deux Plasmodium a été étudiée dans toutes les classes d’âge pendant une longue période, 3% des accès palustres étaient attribuables à chacune de ces deux espèces. Ces accès étaient surtout observés chez les enfants pour P. malariae, mais plus de 30% étaient observés chez les adultes pour P. ovale.

Conseil aux voyageursAvec l’essor des voyages internationaux et le développement du tourisme en zone tropicale, il est devenu habituel de recommander la prise d’une chimioprophylaxie antipaludique pour les voyageurs se rendant dans tout pays où le paludisme n’a pas été éliminé, ceci même si le risque réel est nul à l’endroit où se rend le voyageur. Divers facteurs ont contribué à cette situation, depuis le désir de beaucoup de touristes « de ne prendre aucun risque d’attraper le paludisme » à celui de beaucoup de médecins, entreprises et institutions « de ne prendre aucun risque d’avoir un procès ». Par ailleurs, même dans les pays concernés, il est fréquent que peu de personnes connaissent bien la situation épidémiologique du paludisme, et c’est naturellement encore moins le cas des médecins et sites d’information des autres pays.

Voyager chez l’habitant en zone rurale d’Afrique tropicale pendant la saison des pluies et les deux ou trois mois qui suivent l’arrêt complet des pluies, c’est être tout à fait certain « d’attraper » un paludisme à P. falciparum si on ne prend pas de chimioprophylaxie. Dans tous les autres contextes le risque est bien moindre et aucun conseil ne s’impose d’emblée sauf là où à l’évidence les risques de toxicité associés à la prise régulière d’une chimioprophylaxie l’emportent sur le bénéfice attendu, ce qui est certainement le cas pour

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toutes les régions d’endémie palustre où P. falciparum est rare ou absent. Là où P. falciparum est fréquent, si aucune chimioprophylaxie n’est prise, encore convient-il de faire en sorte d’avoir toujours avec soi ou à proximité un antipaludique efficace (association à base d’artémisinine ou doxycycline), et de ne pas oublier pendant le voyage et surtout pendant les deux mois qui suivent le retour que toute fièvre devra dès le premier jour être considérée comme un accès palustre potentiel et traitée en conséquence dans les 48 heures.

Auteurs : « Les aspects cliniques du paludisme » et « État actuel de l’endémie palustre » - Jean-François Trape« L’immunité et la prémunition » - Philippe Deloron« Les personnes à risque » - Michel Cot« Susceptibilité génétique de l’homme au Plasmodium » - André Garcia, Audrey Sabbagh« Représentations sociales du paludisme » - Marc Egrot, Carine Baxerres

Conseillers scientifiques du dossier : Didier Fontenille, Philippe Deloron