Valère Maxime Livres 1 Et 2

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VALÈRE MAXIME ACTIONS ET PAROLES MÉMORABLESLIVRE PREMIERPRÉFACE À L'EMPEREUR TIBÈREComme les actions et les paroles mémorables des Romains et des nations étrangères sont trop dispersées dans les autres ouvrages pour qu'on puisse s'en instruire en peu de temps, j'ai résolu d'en faire, selon un plan méthodique, un choix extrait des historiens célèbres, pour épargner la peine d'une longue recherche aux lecteurs qui désirent puiser des enseignements dans l'histoire. Je n'ai d’ailleurs pas eu le désir de tout embrasser : qui pourrait renfermer les faits de tous les âges en un petit nombre de volumes ? et quel homme sensé, devant la suite de l'histoire, tant étrangère que nationale, que les écrivains antérieurs ont racontée avec talent, pourrait se flatter d'en laisser un récit d'une exactitude plus scrupuleuse ou d'une éloquence plus distinguée ?Aussi, pour le succès de mon entreprise, c'est vous, aux mains de qui le consentement unanime des hommes et des dieux a confié le gouvernement de la terre et de la mer, vous, le plus assuré soutien de la patrie, c'est vous, César, dont j'invoque l'appui, vous dont la céleste providence encourage avec une bonté suprême les vertus dont je vais parler, comme elle châtie les vices avec une extrême sévérité. Si les anciens orateurs commençaient à juste titre leurs discours par une invocation à Jupiter très bon et très grand, si les plus excellents poètes ont tiré les débuts de leurs poèmes d'un appel à quelque puissance divine, j'aurai, dans ma faiblesse, recours à votre bienveillance avec d'autant plus de raison que la divinité des autres dieux se fonde sur une croyance, tandis que la vôtre, se révélant par un témoignage sensible, s'offre à nos yeux sous l'apparence d'un astre semblable à ces astres de votre père et de votre aïeul, dont l'extraordinaire lueur a ajouté à nos cérémonies tant d'éclat et de splendeur. Les autres dieux, nous les avons reçus de la tradition ; mais les Césars, c'est nous qui les avons faits dieux.Mon intention étant de commencer par la religion, je vais en exposer sommairement les principes.

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VALRE MAXIME

VALRE MAXIME

ACTIONS ET PAROLES MMORABLES

LIVRE PREMIER

PRFACE

L'EMPEREUR TIBRE

Comme les actions et les paroles mmorables des Romains et des nations trangres sont trop disperses dans les autres ouvrages pour qu'on puisse s'en instruire en peu de temps, j'ai rsolu d'en faire, selon un plan mthodique, un choix extrait des historiens clbres, pour pargner la peine d'une longue recherche aux lecteurs qui dsirent puiser des enseignements dans l'histoire. Je n'ai dailleurs pas eu le dsir de tout embrasser : qui pourrait renfermer les faits de tous les ges en un petit nombre de volumes ? et quel homme sens, devant la suite de l'histoire, tant trangre que nationale, que les crivains antrieurs ont raconte avec talent, pourrait se flatter d'en laisser un rcit d'une exactitude plus scrupuleuse ou d'une loquence plus distingue ?

Aussi, pour le succs de mon entreprise, c'est vous, aux mains de qui le consentement unanime des hommes et des dieux a confi le gouvernement de la terre et de la mer, vous, le plus assur soutien de la patrie, c'est vous, Csar, dont j'invoque l'appui, vous dont la cleste providence encourage avec une bont suprme les vertus dont je vais parler, comme elle chtie les vices avec une extrme svrit. Si les anciens orateurs commenaient juste titre leurs discours par une invocation Jupiter trs bon et trs grand, si les plus excellents potes ont tir les dbuts de leurs pomes d'un appel quelque puissance divine, j'aurai, dans ma faiblesse, recours votre bienveillance avec d'autant plus de raison que la divinit des autres dieux se fonde sur une croyance, tandis que la vtre, se rvlant par un tmoignage sensible, s'offre nos yeux sous l'apparence d'un astre semblable ces astres de votre pre et de votre aeul, dont l'extraordinaire lueur a ajout nos crmonies tant d'clat et de splendeur. Les autres dieux, nous les avons reus de la tradition ; mais les Csars, c'est nous qui les avons faits dieux.

Mon intention tant de commencer par la religion, je vais en exposer sommairement les principes.

CHAPITRE PREMIER

De la religion

DE L'OBSERVANCE DE LA RELIGION

1. Nos anciens ont voulu qu'on demandt la connaissance des ftes fixes et annuelles la science des pontifes, la garantie du succs dans les entreprises aux observations des augures, l'interprtation des oracles d'Apollon aux livres des devins, le secret de conjurer les mauvais prsages l'art des Etrusques. C'est aussi en vertu d'un usage de nos anctres qu'on a recours aux pratiques religieuses dans les diffrentes circonstances, la prire pour recommander quelque chose aux dieux, aux vux pour leur demander une faveur, aux actions de grces pour s'acquitter d'une promesse, aux bons prsages pour consulter les entrailles des victimes ou les oracles, aux sacrifices pour clbrer une fte annuelle, ainsi que pour dtourner les menaces des prodiges et de la foudre.

Tel fut chez les anciens Romains le souci non seulement de maintenir, mais encore d'amplifier le culte que, une poque o l'tat tait dj trs florissant et trs riche, ils confirent, en vertu d'un snatus-consulte, dix enfants des premires familles chacune des tribus de l'trurie pour les faire instruire dans la science des choses sacres, et que, voulant honorer Crs la manire des Grecs, ils firent venir de Velia, alors que cette place n'avait pas encore reu le titre de cit, une prtresse nomme Calliphana ou, selon d'autres, Calliphoena, capable de rgler le culte de la desse selon les rites anciens (an de R. 356). Et quoiqu'ils eussent Rome un temple magnifique de cette desse, nanmoins pendant les troubles provoqus par les Gracques, avertis par les livres sibyllins d'apaiser l'antique Crs, ils envoyrent Henna, qu'ils regardaient comme le berceau de son culte, dix ambassadeurs pour se la rendre propice. (An de R. 620.)

De mme, bien souvent, en l'honneur de la mre des dieux, nos gnraux aprs des victoires, allrent Pessinonte pour s'acquitter des vux qu'ils lui avaient faits.

2. Le grand pontife Mtellus, voyant Postumius qui tait la fois consul et flamine de Mars, prt partir pour faire la guerre en Afrique, ne le laissa pas s'loigner du sanctuaire et, par la menace d'une amende, l'empcha de sortir de Rome. Ainsi la religion vit flchir devant elle le commandement suprme : c'est qu'on ne pensait pas que Postumius pt s'exposer sans danger aux hasards des batailles, aprs avoir dsert le culte du dieu des batailles. (An de R. 511.)

3. S'il est beau de voir douze faisceaux s'incliner devant la religion, il est plus beau encore d'en voir vingt-quatre montrer, en pareille circonstance, la mme soumission. Tibrius Gracchus crivit de son gouvernement au collge des augures pour l'informer qu'en lisant les livres relatifs aux crmonies publiques, il avait remarqu un manquement aux rites dans l'tablissement de la tente augurale, lors des comices consulaires qu'il avait tenus lui-mme. Cette affaire fit l'objet d'un rapport des augures au snat et, sur l'ordre du snat, C. Figulus et Scipion Nasica revinrent Rome, l'un de la Gaule, l'autre de la Corse, et abdiqurent le consulat. (An de R. 591.)

4. En vertu du mme principe, P. Cloelius Siculus, M. Cornlius Cthgus et C. Claudius, pour avoir plac avec trop peu de soin les entrailles des victimes sur les autels des dieux, se virent, dans des circonstances et des guerres diffrentes, invits et mme contraints quitter la dignit de flamine. (Ans de R. 532, 543.)

5. Sulpicius, au milieu d'un sacrifice, laissa tomber de sa tte son bonnet de flamine et cet accident lui fit perdre le sacerdoce. (An de R. 532.) Le cri d'une souris entendu par Fabius Maximus et par C. Flaminius fut un motif pour l'un d'abdiquer la dictature, pour l'autre de se dmettre de sa charge de matre de la cavalerie. (An de R. 532.)

6. ces exemples il faut ajouter le suivant : une vierge consacre Vesta, ayant, une nuit, surveill avec trop peu d'attention le feu qui ne doit pas s'teindre, le grand Pontife, P. Licinius, estima qu'elle mritait le chtiment du fouet. (An de R. 547.)

7. Une lve de la grande Vestale Aemilia, ayant laiss s'teindre le feu sacr, fut mise l'abri de tout reproche grce la puissance de Vesta. Pendant que la jeune prtresse priait, aprs avoir tendu sur le foyer son voile le plus prcieux, tout coup le feu s'alluma.

8. Il n'est donc pas tonnant que les dieux aient toujours veill avec une bont persvrante l'agrandissement et la conservation d'un empire qu'on voit, en matire de religion, peser avec une conscience si scrupuleuse les moindres circonstances. Notre cit en effet, il faut bien le reconnatre, ne perdit jamais de vue la stricte observation des rites. C'est dans cette cit que Marcellus, pendant son cinquime consulat, voulant consacrer l'Honneur et au Courage un temple promis par des vux solennels, pour la prise de Clastidium et pour celle de Syracuse, en fut empch par le collge des pontifes qui dclarait qu'un mme sanctuaire ne pouvait tre rgulirement ddi deux divinits. Car, disaient les pontifes, s'il y survenait quelque prodige, on ne saurait discerner laquelle des deux il faudrait offrir un sacrifice, et l'usage n'admet de sacrifice commun deux divinits que pour certaines divinits dtermines. La consquence de cet avis des pontifes fut que Marcellus leva des statues l'Honneur et au Courage dans deux temples spars. Ainsi, rien n'eut assez de poids, ni, pour le collge des pontifes, le crdit d'un personnage si considrable, ni, pour Marcellus, l'augmentation de la dpense, pour empcher de maintenir l'intgrit des institutions religieuses et le respect qui leur est d. (An de R. 545)

9. Le nom de L. Furius Bibaculus est clips par ceux de tant de consulaires si illustres et son exemple peut peine trouver place aprs Marcellus. Mais on ne saurait lui refuser le double mrite de la pit filiale et des sentiments religieux. Alors qu'il tait prteur, sur l'invitation de son pre qui tait chef du collge des Saliens, il porta les boucliers sacrs, prcd de ses six licteurs, quoiqu'il ft dispens de ce service par un privilge de sa dignit. C'est que notre cit a toujours pens que tout devait cder la religion, mme dans les personnages qu'elle a voulu revtir de l'clat d'une trs haute autorit. Aussi le pouvoir s'est-il soumis sans hsiter la religion, persuad qu'il ne russirait gouverner les affaires humaines que par une entire et constante obissance la puissance divine.

10. Ce sentiment s'est rencontr aussi chez de simples particuliers. la prise de Rome par les Gaulois, le flamine de Quirinus et les Vestales emportaient les objets sacrs dont ils s'taient partag le fardeau. Ils venaient de passer le pont Sublicius et commenaient gravir la cte qui mne au Janicule, lorsque L. Albanius, qui emmenait sur un chariot sa femme et ses enfants, les aperut : plus attach la religion de l'Etat qu' ses affections prives, il fit descendre sa famille du chariot, y plaa les Vestales avec les objets sacrs et, se dtournant de sa route, il les conduisit au bourg de Caer, o ils furent accueillis avec la plus grande vnration. La reconnaissance a perptu jusqu' ce jour le souvenir de cette gnreuse hospitalit. Car ds lors s'tablit l'usage de donner aux rites sacrs le nom de crmonies, parce que les habitants de Caer les clbrrent, aussi bien dans les malheurs de la rpublique, qu'au temps de sa prosprit. Ce rustique et grossier chariot, pour avoir si propos contenu les objets sacrs, pourrait galer et mme surpasser en gloire le plus brillant char de triomphe. (An de R. 363.)

11. Dans ces mmes calamits publiques, C. Fabius Dorsus donna un mmorable exemple de fidlit la religion. Pendant que les Gaulois assigeaient le Capitole, pour ne pas laisser manquer un sacrifice priodique de la gens Fabia, ce Fabius, la robe retrousse la manire gabienne, portant dans ses mains et sur ses paules les objets sacrs, traversa les postes ennemis, parvint sur le Quirinal, accomplit toutes les crmonies selon les rites et, honor par l'arme victorieuse presque l'gal d'un dieu, il revint au Capitole comme en vainqueur. (An de R. 363.)

12. Nos anctres montrrent encore sous le consulat de P. Cornlius et de Baebius Tamphilus une grande sollicitude pour le maintien de la religion. Des cultivateurs, en remuant la terre quelque profondeur dans le champ du greffier L. Ptilius, au pied du Janicule, trouvrent deux coffres de pierre : l'un, selon l'inscription qu'on y lisait, avait contenu le corps de Numa Pompilius, dans l'autre on avait enferm sept livres latins sur le droit pontifical et autant de livres grecs de doctrine philosophique. On se proccupa de conserver trs soigneusement les livres latins. Quant aux livres grecs, comme ils paraissaient tendre dtruire la religion, le prteur urbain Q. Ptilius, en vertu d'un ordre du snat, les fit brler par la main des ministres chargs des sacrifices sur un feu allum en place publique. Ces hommes du vieux temps ne voulurent garder au sein de cette cit rien qui pt dtourner les esprits du culte des dieux. (An de R. 572.)

13. Sous le rgne de Tarquin, le duumvir M. Atilius, gagn par Ptronius Sabinus, avait laiss copier un livre qui contenait les mystres des crmonies religieuses de l'Etat et qui tait confi sa garde. Le roi le fit coudre dans un sac de cuir et jeter la mer. Ce genre de supplice devint, longtemps aprs, le chtiment inflig par la loi aux parricides. Et cela est bien juste, car c'est par une peine gale que doivent tre expis les attentats contre les parents et les attentats contre les dieux.

14. Mais en ce qui concerne le maintien de la religion, je ne sais si M. Atilius Rgulus n'a pas t suprieur tous. Ce gnral, aprs de brillantes victoires, tomba dans les piges d'Hasdrubal et du gnral lacdmonien Xanthippe et fut rduit la triste condition de prisonnier. Dput auprs du snat et du peuple romain pour obtenir d'tre chang seul, et malgr son ge, contre un grand nombre de jeunes Carthaginois, il donna un avis contraire ce projet et revint Carthage, quoiqu'il n'ignort point chez quels ennemis cruels et justement irrits contre lui, il allait retourner. Mais il leur avait jur de revenir auprs d'eux si leurs captifs n'taient pas rendus. (An de R. 498.) Les dieux pouvaient sans doute adoucir la fureur d'un ennemi barbare, mais, pour rendre plus clatante la gloire de Rgulus, ils laissrent les Carthaginois obir leur nature, se rservant de leur faire subir dans la troisime guerre punique, par la destruction de leur ville, la juste expiation de tant de cruaut envers un homme d'un esprit si profondment religieux.

15. Combien l'on trouve plus de respect pour les dieux dans notre snat ! Aprs la bataille de Cannes, il dfendit par un dcret aux dames romaines de prolonger leur deuil au-del de trente jours, afin qu'elles pussent clbrer les mystres de Crs, car presque plus de la moiti de l'arme romaine tant reste sur ce champ d'excrable et cruelle mmoire, il n'y avait pas de maison qui n'et sa part d'affliction. Ainsi les mres et les filles, les pouses et les surs de ceux qui venaient de prir furent contraintes d'essuyer leurs larmes, de quitter les signes de la douleur et d'aller en robes blanches porter l'encens sur les autels. C'est sans doute cette constance maintenir la religion qui fit rougir les dieux de maltraiter plus longtemps une nation que rien n'avait pu dtourner de leur culte, pas mme les plus cruelles injustices. (An de R. 537.)

DES MANQUEMENTS LA RELIGION

16. On a cru que le consul Varron, dans la bataille livre Cannes contre les Carthaginois, ne fut si malheureux qu' cause du ressentiment de Junon. tant dile et clbrant en cette qualit les jeux du Cirque, il avait fait monter sur le char de Jupiter trs bon et trs grand, pour porter les ornements du dieu, un jeune comdien d'une rare beaut. L'on se rappela cette circonstance quelques annes aprs et l'on en fit une expiation par des sacrifices. (An de R. 533 )

17. Hercule aussi, dit-on, punit d'un chtiment aussi svre qu'clatant la faute de ceux qui avaient amoindri son culte. Il avait lui-mme attribu par faveur le service de ses autels la famille des Potitii et ils avaient dtenu ce privilge comme un bien hrditaire, mais, l'instigation du censeur Appius, ils avaient remis ce soin l'humble ministre d'esclaves publics. Aussi, tous les adultes de la famille, au nombre de plus de trente, moururent dans l'anne et le nom de Potitius qui tait commun douze branches de la race, fut presque ananti. Quant au censeur Appius, il perdit la vue. (An de R. 411.)

18. Apollon vengea aussi rigoureusement sa divinit. Dpouill de sa tunique d'or, la prise de Carthage par les Romains, ce dieu fit qu'on trouva les mains amputes du sacrilge parmi les lambeaux de sa tunique. (An de R. 607.) Le gnral des Gaulois, Brennus, pour tre entr dans le temple d'Apollon Delphes, fut pouss par la volont du dieu tourner ses armes contre lui-mme. (An de R. 475.)

19. Son fils Esculape ne mit pas moins d'nergie venger son culte profan. Il avait eu la douleur de voir le bois sacr qui entourait son temple en grande partie abattu par Turullius, lieutenant d'Antoine, pour construire des navires au triumvir. Dans le temps mme que son lieutenant s'acquittait de cette mission sacrilge, le parti d'Antoine fut dfait. Destin la mort par l'ordre de Csar, Turullius, par un effet manifeste de la puissance du dieu, fut entran dans le bois qu'il avait profan et fut tu en ce lieu mme par les soldats de Csar (Octave) afin que sa mort servt la fois expier la destruction des arbres abattus et prserver d'un semblable attentat les arbres encore debout. Le dieu redoubla ainsi la profonde vnration que ses adorateurs avaient toujours eue pour lui. (An de R. 723 )

20. Q. Fulvius Flaccus n'chappa point au chtiment qu'il avait encouru pour avoir, pendant sa censure, transport les dalles de marbre du temple de Junon Lacinienne dans le temple qu'il levait Rome en l'honneur de la Fortune questre. L'on dit en effet qu'aprs cette action, sa raison fut branle et mme qu'il expira au milieu de la plus douloureuse affliction, en apprenant que de ses deux fils qui servaient dans les armes d'Illyrie, l'un tait mort et l'autre gravement malade. mu de son malheur, le snat fit reporter Locres les dalles de marbre et, par un dcret plein de pit et de sagesse, dtruisit l'ouvrage impie du censeur. (An de R. 579.)

21. C'est la vrit dans le mme sentiment que le snat chtia par une juste punition la cupidit sacrilge qu'avait montre Q. Plminius, lieutenant de Scipion, en pillant le trsor de Proserpine. Il le fit traner Rome charg de chanes et ce coupable, avant les dbats de son procs, prit dans la prison d'une maladie affreuse. Par ordre aussi du snat, la desse rentra en possession de l'argent vol et elle en reut mme le double. (An de R. 549.)

EXEMPLES DE PIT OU D'IMPIT DONNS PAR LES TRANGERS

1. Si pour le crime de Plminius, la desse fut bien venge par les snateurs, contre la violente et sordide avarice du roi Pyrrhus, elle se dfendit elle-mme avec non moins de succs que d'nergie. Ce roi avait forc les Locriens lui donner une grosse somme d'argent prise dans le trsor de Proserpine. Comme il naviguait charg de ce butin impie, il fut jet avec toute sa flotte sur les rivages voisins du temple de la desse. La somme d'argent fut retrouve tout entire et rendue aux gardiens du trsor sacr. (An de R. 478.)

2. Bien diffrente fut la conduite du roi Masinissa. Le commandant de sa flotte ayant abord Malte avait de mme enlev du temple de Junon des dents d'lphant d'une grandeur extraordinaire et tait venu lui en faire prsent. Ds qu'il sut d'o elles avaient t apportes, il les fit reporter Malte sur un navire cinq rangs de rames et dposer dans le temple de Junon, aprs y avoir fait graver en sa langue une inscription dont voici le sens : "Le roi les avait reues sans en connatre l'origine. Il s'est empress de les rendre la desse." Cette action est plus conforme aux sentiments personnels de Masinissa qu' la nature de la race punique. Mais pourquoi juger du caractre des hommes d'aprs leur nation ? Celui-ci, n au milieu de la barbarie, rpara un sacrilge commis par un autre.

3. Au contraire, Denys, n Syracuse, coupable de tous les sacrilges que je vais numrer, se fit un plaisir d'y ajouter des plaisanteries. Aprs avoir pill le temple de Proserpine Locres, il s'en allait par mer sur sa flotte avec un vent favorable : "Voyez-vous, dit-il en riant ses amis, l'heureuse navigation que les dieux immortels eux-mmes accordent aux sacrilges ?" Il enleva Jupiter Olympien un manteau d'or d'un poids considrable que le tyran Glon avait tir des dpouilles des Carthaginois pour en parer ce dieu, et il dit, en lui mettant un manteau de laine : "L'or est trop lourd en t et trop froid en hiver. La laine est mieux approprie aux deux saisons." pidaure, il fit aussi ter Esculape sa barbe d'or, prtendant qu'il ne convenait pas, alors que son pre Apollon tait imberbe, que lui-mme se ft remarquer par sa barbe. Il enleva galement de divers temples des tables d'argent et d'or et comme, selon l'usage des Grecs, une inscription grave sur ces objets disait qu'ils appartenaient "aux dieux", en les qualifiant de "bons" : "Je ne fais, dclara-t-il, que profiter de leur bont." Il emportait aussi les Victoires, les coupes, les couronnes d'or que les statues des dieux tenaient sur leurs mains tendues et, en les prenant, il disait : "Je ne les prends pas, je les accepte." " bien raisonner, ajoutait-il, c'est la pire absurdit que de demander avec prire des richesses et de les refuser quand les dieux nous les prsentent." Il ne subit point, il est vrai, la peine que mritaient ses crimes, mais aprs sa mort, il trouva dans l'opprobre de son fils la punition laquelle il avait chapp pendant sa vie. La colre divine est lente se faire justice, mais elle compense la lenteur du chtiment par sa svrit.

4. De peur de s'exposer sa vengeance, Timasithe, premier magistrat de Lipari, pourvut sagement sa sret personnelle et celle de toute sa patrie. Des citoyens de cette le, qui faisaient le mtier de pirate, avaient captur sur mer un grand cratre d'or d'un poids considrable et le peuple s'empressait pour s'en partager le prix. Timasithe, apprenant que c'tait une offrande ddie par les Romains, titre de dme, Apollon Pythien, l'arracha des mains des vendeurs et la fit transporter Delphes. (An de R. 359.)

5. la prise de Milet par Alexandre, Crs qui est honore dans cette ville lana des flammes sur les soldats qui s'taient prcipits dans son temple pour le piller et leur ta la vue. (Av. J.-C. 334.)

6. Les Perses qui abordaient Dlos avec mille vaisseaux, accomplirent, dans le temple d'Apollon, des actes de pit plutt que des brigandages. (Av. J.-C. 479.)

7. Les Athniens bannirent le philosophe Protagoras pour avoir os crire qu'il ignorait d'abord s'il existait des dieux et ensuite, en supposant leur existence, quelle tait leur nature. Ils condamnrent aussi Socrate, parce qu'il leur semblait introduire une religion nouvelle. Ils laissrent parler Phidias, tant qu'il se contenta de dire que la statue de Minerve devait tre faite en marbre plutt qu'en ivoire, en allguant que l'clat en serait plus durable, mais quand il eut ajout que la dpense aussi serait plus modique, ils lui imposrent silence.

8. Diomdon fut l'un des dix gnraux qui, dans la bataille des Arginuses, trouvrent l'occasion la fois d'une victoire et d'une condamnation. Au moment o il allait subir le supplice qu'il n'avait point mrit, il se contenta de demander aux Athniens d'acquitter les vux qu'il avait faits pour le salut de l'arme. (Av. J.-C. 406.)

CHAPITRE II

Des mensonges religieux

EXEMPLES ROMAINS

1. Numa Pompilius, pour attacher le peuple romain la religion, voulait faire croire qu'il avait des entretiens nocturnes avec la nymphe Egrie, et qu'il tablissait, suivant ses avis, un culte qui serait trs agrable aux dieux immortels.

2. Scipion l'Africain n'abordait aucune affaire publique ou prive sans tre all d'abord passer quelques moments dans le sanctuaire de Jupiter Capitolin. Aussi le croyaiton fils de Jupiter. (An de R. 542.)

3. L. Sylla, toutes les fois qu'il se disposait livrer bataille, embrassait la vue de ses soldats une petite statue d'Apollon qu'il avait enleve Delphes et priait le dieu de hter l'effet de ses promesses. (An de R. 671.)

4. Q. Sertorius tranait avec lui, travers les pres collines de la Lusitanie, une biche blanche, publiant hautement qu'elle l'avertissait de ce qu'il avait faire ou viter. (An de R. 673.)

EXEMPLES TRANGERS

1. Minos, roi de Crte, avait l'habitude de se retirer tous les neuf ans dans une caverne trs profonde et consacre par un antique et religieux respect, et, au retour de ces retraites, il faisait accepter des lois comme si elles lui avaient t donnes par Jupiter, dont il se disait le fils.

2. Pisistrate, pour recouvrer le pouvoir qu'il avait perdu, fit croire que Minerve le ramenait dans la citadelle : il produisit aux yeux des Athniens pour les tromper une femme inconnue, nomme Phy, prsente sous les apparences de la desse. (Av. J.-C. 557.)

3. Lycurgue sut persuader l'austre Lacdmone qu'il lui apportait des lois inspires par Apollon. (Av. J.-C. 845.)

4. Zaleucus, en se couvrant du nom de Minerve, se fit chez les Locriens une grande rputation de sagesse. (Av. J.-C. 500.)

CHAPITRE III

Des cultes trangers rejets par les Romains

1. Les crmonies des Bacchanales, nouvellement introduites Rome, furent supprimes parce qu'elles dgnraient en extravagances pernicieuses. (An de R. 567.)

2. Lutatius Cerco qui termina la premire guerre punique reut dfense du snat d'aller consulter l'oracle de la Fortune Prnestine : on pensait que, pour gouverner la rpublique, il fallait des auspices pris au sein de la patrie et non l'tranger. (An de R. 511.)

3. Sous le consulat de M. Popilius Lnas et de L. Calpurnius, C. Cornlius Hispalus, prteur prgrin, enjoignit par un dit aux Chaldens de sortir, dans les dix jours, de Rome et de l'Italie, parce que, par une trompeuse interprtation des astres, ils abusaient les esprits faibles et sots au profit de leur charlatanisme. Le mme prteur voyant des Juifs s'efforcer de corrompre les murs romaines par l'introduction du culte de Jupiter Sabazius les fora retourner dans leurs foyers. (An de R. 614.)

4. Le snat avait dcrt la dmolition des temples d'lsis et de Srapis, mais aucun ouvrier n'osait y porter la main. Le consul P. Aemilius Paulus, quittant sa robe prtexte, saisit une hache et en frappa les portes du temple. (An de R. 534 )

CHAPITRE IV

Des auspices

EXEMPLES ROMAINS

1. Le roi L. Tarquin voulait ajouter de nouvelles centuries de chevaliers aux centuries cres par Romulus d'aprs les auspices. Comme l'augure Attus Navius s'y opposait, le roi, piqu de sa rsistance, lui demanda si l'on pouvait faire ce quoi il pensait en lui-mme. On le peut, rpondit l'augure aprs avoir pris les auspices, et Tarquin lui ordonna de partager un caillou avec un rasoir. On apporta un rasoir et Attus, accomplissant un acte incroyable, fit clater aux yeux du roi le pouvoir de son art. (Vers l'an 140.)

2. Tibrius Gracchus, se prparant faire une rvolution, consulta les auspices dans sa maison au point du jour ; leur rponse fut extrmement dfavorable. En effet, tant sorti de chez lui, il se heurta le pied assez rudement pour se luxer un orteil. Ensuite trois corbeaux, croassant sa rencontre, dtachrent un morceau de tuile et le firent tomber devant lui. Il ne tint pas compte de ces prsages et bientt, chass du Capitole par le grand pontife Scipion Nasica, il tomba frapp d'un fragment de banquette. (An de R. 620.)

3. Dans la premire guerre punique, P. Claudius se disposait livrer un combat naval et avait demand, selon l'ancien usage, qu'on prt les auspices. Inform par le pullaire que les poulets sacrs ne sortaient pas de leur cage, il les fit jeter la mer en disant : "Puisqu'ils ne veulent pas manger, qu'ils boivent." Son collgue L. Junius qui ngligea aussi de prendre les auspices perdit sa flotte dans une tempte et prvint par une mort volontaire l'ignominie d'une condamnation. (An de R. 504.)

4. Le grand pontife Mtellus se rendait sa terre de Tusculum. Deux corbeaux se prcipitrent comme pour s'opposer son voyage et ne le dterminrent qu'avec peine retourner chez lui. La nuit suivante, le temple de Vesta brla. Pendant cet incendie, Mtellus, se jetant au milieu des flammes, enleva le Palladium et le sauva. (An de R. 512.)

5. Cicron fut averti par un prsage de l'approche de sa mort. Il tait dans sa villa de Gate : sous ses yeux un corbeau secoua et arracha de sa place l'aiguille d'un cadran solaire, puis accourut lui et, saisissant de son bec le pan de sa robe, il s'y tint attach jusqu' ce qu'un esclave vnt annoncer Cicron l'arrive des soldats chargs de le mettre mort. (An de R. 711.)

6. Lorsque M. Brutus eut rang en bataille les dbris de son arme contre Csar et Antoine, deux aigles, partis chacun du camp oppos, fondirent l'un sur l'autre, et, aprs une lutte, l'oiseau venu du ct de Brutus s'enfuit tout meurtri. (An de R. 711.)

EXEMPLES TRANGERS

1. Lorsque le roi Alexandre voulut fonder une ville en gypte, I'architecte Dinocrats, faute de craie, traa le plan de la ville future avec de la farine d'orge. Alors une nue d'oiseaux s'leva d'un lac voisin et vint manger la farine. Selon l'interprtation des prtres gyptiens, c'tait le prsage que cette ville pourrait nourrir un grand nombre d'trangers. (Av. J.-C. 331.)

2. Le roi Djotarus, qui ne faisait presque rien sans prendre les auspices, dut son salut l'apparition d'un aigle. Averti par la vue de cet oiseau, il vita de s'abriter dans une maison qui, la nuit suivante, s'croula et joncha le sol de ses dbris. (Vers l'an 54 av. J.-C.)

CHAPITRE V

Des prsages

EXEMPLES ROMAINS

1. L'observation des prsages se rattache aussi par quelque rapport la religion, puisqu'on les regarde comme l'effet non du hasard, mais de la Providence divine.

L'action de la Providence s'est manifeste aprs la destruction de Rome par les Gaulois, dans le temps o les snateurs discutaient l'alternative de passer Vies ou de relever les murailles de la ville. Il arriva qu' ce moment, comme des troupes revenaient d'un poste, le centurion cria dans la place des Comices : "Porte-enseigne, plante le drapeau. Nous serons trs bien ici." cette parole, le Snat rpondit qu'il en acceptait le prsage et sur le champ renona au projet d'aller s'tablir Vies. Combien peu de mots suffirent pour fixer dfinitivement le sige d'un empire qui devait devenir si grand ! Les dieux, j'imagine, s'indignrent l'ide qu'on allait abandonner, pour le nom de Vies, le nom de Rome qui avait pris naissance sous les plus heureux auspices et ensevelir la gloire d'une illustre victoire sous les dbris d'une ville rcemment renverse. (An de R. 363.)

2. Camille, auteur de ce brillant exploit, avait pri le ciel, si la prosprit du peuple romain paraissait excessive quelque dieu, d'assouvir sa jalousie en lui infligeant lui-mme quelque disgrce personnelle et l'instant mme il fit une chute. Cet accident fut regard comme le prsage de la condamnation dont il fut frapp dans la suite. Il est juste que la victoire de ce grand homme et sa prire patriotique aient fait autant l'une que l'autre pour sa gloire : il y a en effet un mrite gal accrotre le bonheur de sa patrie et vouloir en dtourner sur soi les malheurs. (An de R. 357.)

3. Que penser de ce qui est arriv au consul Paul mile ? et combien ce fait est digne de mmoire ! Le sort lui avait assign le commandement de l'expdition contre le roi Perse. En rentrant chez lui au retour du snat, il embrassa sa fille Tertia, alors fort jeune. Il remarqua son air de tristesse et lui en demanda la cause. "Persa est mort", rpondit-elle. Il tait mort en effet un petit chien, nomm Persa, que la jeune fille aimait beaucoup. Paul mile saisit avidement ce prsage et d'une parole fortuite il tira comme un pressentiment certain d'un triomphe clatant. (An de R. 585.)

4. Ccilia, femme de Mtellus, cherchait, selon l'antique usage, au milieu de la nuit, un prsage de mariage pour sa nice, jeune fille en ge d'tre marie, et elle le fournit elle-mme. cet effet la jeune fille tait alle dans un petit sanctuaire et y tait reste quelque temps sans entendre aucune parole conforme ses dsirs. Fatigue de se tenir longtemps debout, elle pria sa tante de lui laisser un instant sa place pour s'asseoir. "Oui, lui rpondit sa tante, je te cde bien volontiers ma place." Ce mot tait dict simplement par la bienveillance, mais l'vnement lui donna la valeur d'un prsage qui ne trompe pas, car peu aprs, Mtellus, ayant perdu sa femme Ccilia, pousa la jeune fille dont je parle. (Vers l'an 622.)

5. C. Marius dut certainement son salut l'observation d'un prsage, lorsque, dclar ennemi public par le snat, il fut emmen chez Fannia Minturnes et confi sa garde. Il remarqua en effet un petit ne laissant le fourrage qu'on lui prsentait pour courir l'eau. A cette vue, pensant que la Providence lui montrait un exemple suivre, et d'ailleurs trs vers dans l'art de la divination, il obtint de la multitude accourue son secours de se faire conduire au bord de la mer. Aussitt il monta dans une barque, se transporta en Afrique et se droba ainsi aux armes victorieuses de Sylla. (An de R. 665.)

6. Le grand Pompe, vaincu la bataille de Pharsale par Csar, et cherchant son salut dans la fuite, dirigea sa course vers l'le de Chypre, dans le dessein d'y rassembler quelques forces. Abordant la ville de Paphos, il aperut sur le rivage un magnifique difice et en demanda le nom au pilote qui lui rpondit : "On le nomme le Royaume des morts." Ce mot acheva de dtruire le peu d'espoir qui lui restait encore. Il ne put mme le dissimuler : il dtourna ses regards de cette demeure et manifesta, par un soupir, la douleur que lui avait cause ce sinistre prsage. (An de R. 706.)

7. La fin malheureuse que M. Brutus avait mrite pour son parricide fut aussi annonce par un prsage prcis. Aprs cet horrible forfait, comme il clbrait l'anniversaire de sa naissance et qu'il voulait citer un vers grec, sa mmoire lui rappela de prfrence le passage d'Homre :

Je meurs victime de la Parque funeste et du fils de Leto

Ce fut en effet Apollon, dont le nom avait t donn pour signe de ralliement par Octave et Antoine, qui, la bataille de Philippes, dirigea sur lui ses traits. (An de R. 710.)

8. C'est encore par un mot jet au hasard et plein d' propos que la Fortune donna un avertissement C. Cassius. Les Rhodiens le suppliaient de ne pas les dpouiller de toutes les images de leurs dieux. "Je laisse le Soleil", leur dit-il. Elle lui suggra cette rponse hautaine pour mettre au jour l'insolence de ce vainqueur insatiable et avec la pense de le forcer, aprs sa dfaite en Macdoine, laisser non pas une image du Soleil, seul objet qu'il avait accord leurs prires, mais la lumire mme du Soleil. (An de R. 710.)

9. Il y a lieu de signaler aussi le prsage la suite duquel le consul Ptilius prit en faisant la guerre en Ligurie. Il assigeait une hauteur nomme "Ltum" (c'est--dire la Mort) ; et dans son exhortation aux soldats, il pronona ces paroles : " tout prix j'aurai aujourd'hui Ltum." En effet, s'tant jet tmrairement dans la bataille, il justifia par sa mort ce mot profr au hasard. (An de R. 577.)

EXEMPLES TRANGERS

1. ces traits de notre histoire, on peut sans disparate joindre deux exemples de mme genre emprunts aux trangers. Les habitants de Prine imploraient contre les Cariens le secours de Samos. Les Samiens, obissant un sentiment d'orgueil, au lieu d'une flotte et d'une arme, leur envoyrent par drision une Sibylle. Mais eux, voyant dans cette prophtesse comme une aide divine, l'accueillirent avec joie et par ses prdictions vridiques elle les conduisit la victoire.

2. Les Apolloniates non plus n'eurent pas regretter d'avoir, au milieu des difficults d'une guerre contre l'Illyrie, demand du secours aux habitants d'Epidamne. Ceux-ci leur avaient dit qu'ils leur envoyaient comme auxiliaire le fleuve Aeas qui coule prs de leurs remparts : "Nous acceptons ce que vous donnez ", rpondirent-ils, et ils lui assignrent la premire place dans l'arme comme leur gnral. Ils remportrent sur leurs ennemis une victoire inespre, et imputant leur succs l'effet du prsage, ils offrirent alors des sacrifices au fleuve Aeas comme un dieu, et le mirent depuis lors leur tte dans toutes les batailles.

CHAPITRE VI

Des prodiges

EXEMPLES ROMAINS

Le rcit des prodiges, heureux ou malheureux, entre aussi dans le plan de mon ouvrage.

1. Servius Tullius, encore en bas ge, tait endormi, quand tout coup brilla autour de sa tte une flamme qui frappa les regards de la famille. Ce prodige remplit d'admiration Tanaquil, pouse du roi Tarquin l'Ancien, et quoique Servius dt le jour une esclave, elle l'leva comme un fils et le fit monter sur le trne. (An de R. 150.)

2. Voici un vnement non moins heureux annonc encore par une flamme. L. Marcius avait sous son commandement deux armes affaiblies par la perte de leurs gnraux, Publius et Cnaeus Scipion, en Espagne. Tandis qu'il haranguait ses troupes, une vive lueur jaillit de sa tte. Les soldats, jusque-l tout tremblants, invits par ce spectacle reprendre courage, turent trente-huit mille ennemis, firent un grand nombre de prisonniers et prirent deux camps remplis de richesses carthaginoises. (An de R. .541.)

3. Pareillement, les Romains, par une guerre longue et acharne, avaient rduit les Viens s'enfermer dans leurs murailles, mais sans pouvoir prendre la ville. Cette lenteur semblait fatiguer galement assigeants et assigs. La victoire tait appele par tous les vux, lorsque les dieux immortels lui ouvrirent le chemin par un prodige extraordinaire. Tout coup, le lac d'Albe, sans le secours des pluies du ciel ni d'aucune rivire dborde, sortit des limites accoutumes de ses eaux dormantes. Pour faire expliquer ce phnomne, on envoya consulter l'oracle de Delphes, et les dputs rapportrent que par ses rponses le dieu ordonnait de lcher l'eau du lac et de la rpandre dans la campagne : c'tait le moyen de faire tomber Vies au pouvoir du peuple romain. Avant l'arrive de cette nouvelle, l'vnement avait t prdit aussi par un aruspice de Vies que nos soldats, faute de Romains capables d'expliquer le prodige, avaient pris et amen dans le camp. Averti par cette double prdiction, le snat satisfit aux ordres divins et presque en mme temps s'empara de la ville ennemie. (An de R. 356.)

4. Il y a aussi beaucoup de bonheur dans l'vnement qui suit. L. Sylla, consul pendant la guerre sociale, faisait un sacrifice sur le territoire de Nole, devant la tente prtorienne. Tout coup, il vit s'chapper un serpent du pied de l'autel. cette vue, sur le conseil de l'aruspice Postumius, il se hta de mettre son arme en campagne et s'empara d'un camp retranch des Samnites. Cette victoire fut le premier degr et comme le fondement de la puissance si considrable qu'il acquit dans la suite. (An de R. 664.)

5. C'est encore un sujet de grand tonnement que ces prodiges arrivs dans notre ville, sous le consulat de P. Volumnius et de Servius Sulpicius, aux approches et dans le trouble des guerres de cette poque. Un buf, au lieu de mugir, fit entendre le son de la parole humaine et, par l'tranget de ce phnomne merveilleux, pouvanta ceux qui l'entendirent. Des lambeaux de chair tombrent disperss comme une pluie. La plus grande partie fut enleve par des oiseaux de bon augure, le reste demeura plusieurs jours sur la terre sans prendre une odeur infecte ni un aspect repoussant. (An de R. 292.)

Dans un autre moment d'alarmes, on ajouta foi des prodiges du mme genre. Un enfant de six mois avait cri la victoire dans le march aux bufs (an 536), un autre tait n avec une tte d'lphant. Dans le Picnum, il tait tomb une pluie de pierres (an 544). En Gaule, un loup avait arrach du fourreau l'pe d'une sentinelle. En Sardaigne, deux boucliers s'taient couverts d'une sueur de sang. Auprs d'Antium, des pis ensanglants taient tombs dans une corbeille de moissonneurs. Les eaux de Cr avaient coul mles de sang (an 536). Pendant la seconde guerre punique, il fut aussi tabli qu'un buf de Cn. Domitius avait dit : "Rome, prends garde toi."

6. C. Flaminius, cr consul sans consultation des auspices, tait sur le point de livrer bataille Hannibal, prs du lac Trasimne. Il avait donn l'ordre d'arracher de terre les enseignes. ce moment, son cheval s'abattit et, passant lui-mme par-dessus la tte du cheval, il tomba terre. Ce prodige ne l'arrta pas. Comme les porte-enseignes dclaraient qu'on ne pouvait dplacer les drapeaux, il ordonna avec des menaces terribles de les enlever en creusant le sol. Quelle tmrit ! Mais plt aux dieux qu'elle n'et t punie que par son propre malheur, sans faire essuyer aussi au peuple romain un affreux dsastre ! Dans cette bataille, en effet, on vit quinze mille Romains tus, six mille faits prisonniers et dix mille mis en fuite. Le consul eut la tte coupe et Hannibal fit chercher en vain son corps pour lui rendre les honneurs funbres. Hannibal du moins, avait, autant qu'il tait en lui, enseveli dans cette dfaite l'empire romain. (An de R. 536.)

7. ct de la folle audace de Flaminius on peut mettre l'extravagante opinitret de C. Hostilius Mancinus. Sur le point de partir pour l'Espagne en qualit de consul, il fut averti par les prodiges suivants. Comme Lavinium il voulait faire un sacrifice, les poulets sacrs, lchs de leur cage, s'enfuirent dans la fort voisine et, malgr les recherches les plus actives, ne purent tre retrouvs. Pendant son embarquement au port d'Hercule, o il s'tait rendu pied, ces mots que personne n'avait profrs vinrent frapper son oreille : "Mancinus, demeure." Effray, il changea de route et se rendit Gnes. L, peine tait-il mont dans une barque, qu'il vit un serpent d'une grandeur extraordinaire qui disparut ensuite. Autant de prodiges, autant de malheurs : bataille perdue, trait honteux, reddition dsastreuse. (An de R. 616.)

8. La tmrit dans un homme si peu rflchi parat moins surprenante, quand on voit un citoyen aussi srieux que Tib. Gracchus ne pas chapper son triste sort malgr l'avertissement d'un prodige et malgr sa prudence. tant proconsul, il faisait un sacrifice dans la Lucanie. Tout coup deux serpents, sortis d'une retraite cache, se mirent manger le foie de la victime qu'il venait d'immoler et retournrent dans leur refuge. Sur cet incident, l'on recommena le sacrifice. Mme prodige. On immola encore une troisime victime et, bien qu'on et surveill les entrailles avec plus de soin, on ne put empcher ni l'arrive subreptice des serpents ni leur fuite. Les aruspices eurent beau dclarer que ce prodige intressait la vie du gnral. Gracchus cependant ne sut pas djouer le pige que lui prparait la perfidie de Flavius, son hte, et conduit par celui-ci dans un endroit o Magon, gnral des Carthaginois, s'tait embusqu avec des soldats arms, il fut assassin sans dfense. (An de R. 539.)

9. Aprs Tibrius Gracchus, je suis amen faire mention de Marcellus, son collgue dans le consulat, victime comme lui d'une erreur et enlev par une mort semblable. Fier de la prise de Syracuse et du succs remport devant Nole, o le premier il fora Hannibal fuir, il redoublait d'efforts dans le dessein d'anantir l'arme carthaginoise en Italie ou de l'en chasser. cet effet il voulut s'assurer des dispositions des dieux par un sacrifice solennel. Or dans la premire victime tombe devant le foyer de l'autel on trouva un foie sans "tte". Au contraire, la victime suivante en prsenta deux. Aprs examen, l'aruspice rpondit avec un air constern "qu'il n'tait pas content de l'aspect des entrailles, car ce n'tait qu'en second lieu, aprs l'apparition d'un viscre incomplet, que s'taient montrs des organes bien dvelopps et gras". C'tait pour Marcellus un avertissement de ne rien tenter la lgre. Nanmoins, la nuit suivante, parti hardiment en reconnaissance avec une petite escorte, il se laissa envelopper dans le Bruttium par un gros d'ennemis et prit en causant la patrie une douleur gale sa perte. (An de R. 546.)

10. Le consul Octavius apprhenda l'effet d'un affreux prsage sans pouvoir l'viter. La tte d'une statue d'Apollon s'tait dtache d'elle-mme et s'tait tellement fixe en terre qu'elle n'en pouvait tre arrache. Comme Octavius tait en guerre avec son collgue Cinna, il prsuma que ce prodige annonait sa perte et la crainte du malheur qui lui tait prdit servit l'y prcipiter par une fin dplorable. Ce ne fut qu'aprs sa mort que la tte du dieu, jusqu'alors inbranlable, put tre enleve du sol. (An de R. 666).

11 Crassus, dont la perte doit tre compte parmi les plus grands malheurs de l'empire romain, ne saurait tre ici pass sous silence. Une foule de prsages trs manifestes, avant-coureurs d'un si grand dsastre, taient venus frapper son esprit de leurs avertissements. Il allait quitter Carrs avec son arme pour marcher contre les Parthes, lorsqu'il reut un manteau de couleur sombre au lieu du manteau blanc ou couleur de pourpre que l'on donnait ordinairement aux gnraux leur dpart pour une bataille. Les soldats se rassemblrent la place d'armes tristes et silencieux, alors que, selon un vieil usage, ils auraient d y accourir avec des cris de joie. Une aigle ne put tre enleve de terre par le centurion primipile. Une autre, arrache grand'peine, se porta d'elle-mme en sens inverse de la marche. C'taient l de grands prodiges. Mais combien plus grands encore ces malheurs qui suivirent. Tant de magnifiques lgions massacres, tant de drapeaux tombs aux mains de l'ennemi, l'honneur des armes romaines foul aux pieds par la cavalerie des Barbares, un fils d'une nature suprieure gorg sous les yeux de son pre, le corps du gnral lui-mme, au milieu de cadavres entasss ple-mle, expos la voracit des oiseaux de proie et des animaux sauvages. J'aurais bien voulu avoir rapporter moins de rigueurs de la part des dieux, mais je ne rapporte que la vrit. C'est ainsi que le mpris de leurs avertissements fait clater la colre des dieux. C'est ainsi que sont chties les volonts humaines, quand elles se prfrent aux volonts divines. (An de R. 700.)

12. Cn. Pompe avait t aussi suffisamment averti par le tout-puissant Jupiter de ne pas chercher tenter les hasards d'une bataille dcisive contre J. Csar. Au sortir de Dyrrachium, ce dieu fit tomber la foudre devant son arme, des essaims d'abeilles voilrent la vue les drapeaux, la tristesse envahit le cur des soldats, toute l'arme fut en proie des terreurs nocturnes et, au pied mme des autels, les victimes s'enfuirent. Mais les lois inluctables du destin ne permirent pas cette me, d'ailleurs si loigne de la draison, de peser et d'apprcier leur valeur ces prodiges. Pour en avoir mal senti l'importance, il vit ce crdit immense, cette opulence suprieure aux plus hautes fortunes particulires, tous ces honneurs accumuls depuis son adolescence au point d'exciter l'envie, s'anantir dans l'espace d'une seule journe. Et l'on sait que le mme jour dans les temples les statues des dieux se retournrent d'elles-mmes. Une clameur guerrire et un cliquetis d'armes se firent entendre Antioche et Ptolmas avec une telle force que l'on accourut sur les remparts. Pergame, un bruit de tambours retentit au fond d'un sanctuaire. Tralles, un palmier verdoyant d'une taille ordinaire poussa dans le temple de la Victoire, au-dessous de la statue de Csar, entre les joints des pierres, preuves manifestes que les puissances clestes s'intressaient la gloire de Csar et qu'elles avaient voulu mettre un terme l'garement de Pompe. (An de R. 705.) 13. Et toi, divin Jules Csar, dont j'ai toujours vnr les autels et les temples augustes, je te supplie de montrer ces grands hommes une bienveillance propice en laissant leur infortune s'abriter sous le couvert tutlaire de ton exemple. Car toi aussi, comme on le raconte, le jour o, revtu d'un manteau de pourpre, tu vins t'asseoir sur un trne d'or, pour ne pas paratre ddaigner les honneurs extraordinaires que le snat te dfrait avec tant d'empressement, avant de t'offrir aux regards impatients de tes concitoyens, tu rendis tes hommages aux dieux, parmi lesquels tu devais bientt passer toi-mme. Mais dans un buf magnifique immol comme victime, tu ne trouvas point de cur, prodige qui, selon la rponse de l'aruspice Spurinna, menaait ta vie et ta pense, puisque la vie et la pense ont l'une et l'autre leur sige dans le cur. C'est alors qu'clata le complot parricide de ceux qui, en voulant te retrancher du nombre des humains, t'ajoutrent l'assemble des dieux. (An de R. 709.)

EXEMPLES TRANGERS

1. Terminons sur cet exemple de Csar le rcit des prodiges de cette nature fournis par notre histoire nationale. Si, aprs celui-l, je prenais encore d'autres exemples romains, je craindrais de paratre passer sans transition convenable du temple d'une divinit des demeures de simples particuliers. Je vais donc toucher des faits emprunts aux trangers. Introduits dans un ouvrage latin, ils sont sans doute d'un moindre effet moral. Ils peuvent du moins y apporter un lment d'agrable varit.Dans l'arme que Xerxs avait rassemble pour craser la Grce on vit, c'est un fait avr, une cavale donner le jour un livre. Un pareil prodige annonait bien l'issue, o devaient aboutir de si grands prparatifs. En effet, celui qui avait couvert la mer de ses flottes et la terre de ses bataillons, fut rduit fuir, comme un animal timide, et regagner en tremblant son royaume. (Av. J.-C. 480.)

Ce roi avait peine enfin franchi le mont Athos et, avant de dtruire Athnes, pensait attaquer Lacdmone, quand il se produisit, pendant son repas, un prodige extraordinaire. Le vin qu'on versa dans sa coupe se convertit en sang, et non pas seulement une fois, mais deux et trois fois. Les mages, consults ce sujet, lui conseillrent de renoncer son entreprise, et s'il y avait eu quelques restes de raison dans cette me insense, il l'aurait abandonne aprs les avertissements si nombreux qu'il avait reus d'avance sur Lonidas et sur les Spartiates. (Av. J.-C. 480.)

2. Midas, qui rgna sur la Phrygie, tait encore enfant, lorsque, pendant son sommeil, des fourmis amoncelrent des grains de bl dans sa bouche. Comme ses parents cherchaient savoir le sens de ce prodige, les devins rpondirent qu'il deviendrait le plus riche des hommes. Et la prdiction ne fut point trompeuse, car l'opulence de Midas dpassa la richesse de presque tous les rois ensemble et, si le berceau de son enfance ne fut gratifi par les dieux que d'un prsent sans valeur, en revanche il entassa des monceaux d'or et d'argent.

3. Aux fourmis de Midas j'aurais bien raison de prfrer les abeilles de Platon : celles-l prsagrent une prosprit prissable et fragile ; celles-ci annoncrent un bonheur solide et ternel, en dposant leur miel sur les lvres de l'enfant endormi dans son berceau. Informs de ce fait, les devins prdirent qu'une loquence d'une douceur merveilleuse coulerait de sa bouche. Mais ces abeilles, plutt que de butiner sur le mont Hymette parfum de l'odeur du thym, durent, j'imagine, pousses par les Muses, chercher leur nourriture sur les collines de l'Hlicon, sjour de ces desses, riche de toutes les productions de la science, pour distiller dans cet admirable gnie le dlicieux aliment d'une sublime loquence. (Vers l'an 329 av. J.-C.)

CHAPITRE VII

Des songes

EXEMPLES ROMAINS

Mais puisque j'ai fait mention du sommeil du riche Midas et de l'loquent Platon, je vais raconter combien de fois dans le sommeil, des images prcises se sont dessines devant l'esprit.

1. Et comment puis-je mieux entamer ce sujet qu'en voquant le souvenir sacro-saint du divin Auguste ? Son mdecin Artorius, la nuit qui prcda la journe, o, dans les plaines de Philippes, les armes romaines luttrent entre elles, vit en songe apparatre devant lui la figure de Minerve. Elle lui prescrivit d'avertir ce prince, alors gravement malade, de ne pas manquer, malgr son mauvais tat de sant, d'assister au prochain combat. Sur cet avis, Csar se fit porter en litire dans les rangs de l'arme et, tandis que, sur le champ de bataille, prodiguant ses efforts au-del de ses forces, il veillait assurer la victoire, son camp fut pris par Brutus. Que devons-nous donc penser, sinon que la faveur des dieux protgeant une tte dj destine l'immortalit, voulut ne pas lui laisser subir, sous les coups de la fortune, un traitement indigne d'une me cleste. (An de R. 711.)

2. Mais Auguste, outre une intelligence vive et fine, apte tout comprendre, avait aussi un exemple domestique rcent bien fait pour l'engager se conformer au songe d'Artorius. Il savait que Calpurnie, pouse du divin Jules, son pre, la dernire nuit que celui-ci passa sur la terre, l'avait vu couvert de blessures et inerte dans ses bras, et que, pouvante par l'horreur de ce songe, elle l'avait pri avec instance de ne pas aller au snat le lendemain. Mais Csar, pour ne pas avoir l'air de s'tre laiss conduire par le songe d'une femme, s'obstina tenir l'assemble du snat, o des mains parricides lui donnrent la mort. Il est sans intrt d'tablir, sous aucun rapport, une comparaison entre le pre et le fils, maintenant surtout que leur apothose les a mis au mme rang, mais l'un s'tait dj ouvert, par ses exploits, l'entre du ciel, et l'autre avait encore parcourir sur la terre un long cercle de vertus. C'est pourquoi les Immortels voulurent uniquement que l'un ft averti de l'approche de son changement de condition, et que l'autre pt le retarder, de sorte que, tant tous deux destins honorer le ciel, le premier lui tait ds lors accord et le second seulement promis. (An de R. 709.)

3. C'est encore un songe bien tonnant et fameux par ses suites, celui qu'eurent la mme nuit les deux consuls P. Dcius Mus et T. Manlius Torquatus dans leur camp, au pied du mont Vsuve, pendant la guerre pnible et prilleuse qu'ils soutenaient contre les Latins. Un inconnu apparut l'un et l'autre pendant leur sommeil et leur annona que les dieux Mnes et la Terre, mre commune de tous les tres, rclamaient pour victimes le gnral de l'un des deux partis et l'arme de l'autre, que celui dont le chef attaquerait les troupes ennemies et se sacrifierait lui-mme avec elles, aurait la victoire. Le lendemain, les consuls firent un sacrifice dans le dessein de dtourner ce prsage, s'il pouvait se dtourner, ou, si par un nouvel avertissement la volont des dieux se rvlait immuable, d'en assurer l'accomplissement. Les entrailles des victimes s'accordrent avec le songe. Ils convinrent que le premier qui verrait son aile commencer plier, payerait de sa vie le salut de la patrie. Aucun d'eux ne manqua de courage, mais ce fut la vie de Dcius que le destin demanda.

4. Voici un autre songe qui n'intresse pas moins la religion de l'tat. Pendant la clbration des jeux plbiens, avant l'entre du cortge, un pre de famille avait fait passer travers le cirque Flaminien un esclave qu'il battait de verges et qu'il conduisait au supplice, la fourche au cou. T. Latinius, homme du peuple, pendant son sommeil, reut de Jupiter l'ordre d'aller dire aux consuls que le dieu n'avait pas t satisfait de celui qui avait prlud aux danses dans les derniers jeux du cirque et que, si l'on n'expiait cette faute en recommenant les jeux avec soin, il en rsulterait pour Rome de grands dangers. Cet homme, craignant de ne pouvoir, sans quelque dommage pour lui-mme, embarrasser de scrupules religieux les plus hautes autorits, garda le silence. Aussitt son fils fut pris d'une maladie subite et violente et mourut. Le mme dieu lui demanda encore pendant son sommeil s'il n'tait pas suffisamment puni de n'avoir pas tenu compte de ses ordres et, comme il persistait garder le silence, il fut frapp de paralysie. Alors seulement, sur le conseil de ses amis, il se fit porter en litire au tribunal des consuls, puis au snat. Il y exposa la suite de tous ses malheurs et, au grand tonnement de tout le monde, il recouvra l'usage de ses membres et revint chez lui pied. (An de R. 264.)

5. Encore un songe qu'il ne faut point passer sous silence. Cicron, banni de Rome par les menes de ses ennemis, logeait dans une maison de campagne de la plaine d'Atina. Tandis qu'il tait plong dans le sommeil, il lui sembla que, errant dans des lieux dserts et impraticables, il avait rencontr Marius revtu des insignes du consulat, et qui lui demandait pourquoi il allait ainsi l'aventure et avec un air si triste. Apprenant le malheur dont il tait frapp, Marius l'avait pris par la main et l'avait remis au plus proche de ses licteurs, pour le faire conduire dans l'difice qu'il avait lui-mme lev : l, en effet, disait-il, rsidait pour Cicron l'espoir d'un sort plus heureux. Et l'vnement confirma cette promesse. C'est dans le temple de Jupiter, construit par Marius, que fut pris le snatusconsulte rappelant Cicron. (A. de R. 695.)

6. C. Gracchus fut aussi averti en songe d'une manire claire et frappante du sort affreux qui le menaait. tant profondment endormi, il vit l'ombre de Tibrius, son frre, qui lui disait qu'il ne pourrait par aucun moyen viter le destin sous les coups duquel il avait lui-mme succomb. Et ce songe, c'est par Gracchus lui-mme que beaucoup l'ont entendu raconter, avant qu'il prt possession de ce tribunat, o il trouva la mme fin que son frre. Clius, historien digne de foi, crit aussi dans son Histoire romaine qu'il en a entendu parler du vivant mme de C. Gracchus. (An de R. 626.)

7. Ce songe d'une forme si effrayante est encore dpass par celui que je vais raconter. Aprs la dfaite des troupes de M. Antoine auprs d'Actium, Cassius de Parme, l'un de ses partisans, se rfugia dans Athnes. L, au milieu de la nuit, comme il s'tait couch et que, accabl d'inquitudes et de soucis, il s'tait endormi, il lui sembla qu'il voyait venir lui un homme d'une taille gigantesque, d'un teint noir, la barbe nglige et les cheveux pars, que, lui ayant demand qui il tait, le spectre rpondit : "Ton mauvais gnie." pouvant d'une vision si affreuse et d'un nom si effrayant, il appela ses esclaves et leur demanda s'ils avaient vu un homme d'un pareil aspect entrer dans sa chambre ou en sortir. Ils lui affirmrent que personne ne s'en tait approch. Cassius se recoucha, se rendormit et la mme apparition vint encore se prsenter son esprit. Aussi, bannissant le sommeil, il fit apporter de la lumire et dfendit ses esclaves de le quitter. Entre cette nuit et le supplice, auquel le condamna Csar, il ne s'coula que bien peu de temps. (An de R. 733.)

8. Il y eut cependant encore moins d'intervalle entre le songe du chevalier romain Hatrius Rufus et l'vnement qu'il prsageait avec clart. Comme on donnait Syracuse des jeux de gladiateurs, il se vit dans son sommeil transperc d'un coup port par un rtiaire et le lendemain, pendant le spectacle, il raconta ce rve aux spectateurs assis ses cts. Il arriva ensuite que, dans le voisinage du chevalier, un rtiaire entra dans l'arne avec un mirmillon. En voyant le visage du premier, Rufus dit que c'tait l le rtiaire par qui il avait cru tre assassin et aussitt il voulut s'en aller. Mais ses voisins, en dissipant sa crainte par leurs propos, causrent la perte de cet infortun. Car le rtiaire poussa le mirmillon dans cet endroit et le terrassa. Voulant le frapper aprs l'avoir abattu, il transpera Hatrius d'un coup d'pe et le tua.

EXEMPLES TRANGERS

1. Hannibal aussi eut un songe qui tait un prsage non moins assur que redoutable pour la race romaine. Chez cet homme, le sommeil lui-mme, aussi bien que la veille, tait d'un ennemi de notre empire. Il eut en effet une vision bien conforme ses desseins et ses vux. Il crut voir un jeune homme d'une taille plus qu'humaine qui lui tait envoy par Jupiter, pour le guider dans l'invasion de l'Italie. D'abord, selon le conseil de ce guide, il suivit ses pas sans dtourner ses regards d'aucun ct. Mais bientt, pouss par ce penchant naturel qui porte l'esprit humain vouloir pntrer les choses qu'on lui dfend de connatre, il regarda derrire lui et aperut un serpent monstrueux qui, dans sa course prcipite, crasait tout sur son passage. sa suite clataient des orages avec un grand fracas de tonnerre et le jour tait obscurci par d'paisses tnbres. Saisi d'tonnement, Hannibal demanda ce qu'tait ce prodige et ce qu'il prsageait. "Tu vois, lui rpondit son guide, la dvastation de l'Italie : garde le silence et remets tout le reste la volont secrte du destin."

2. Quels avertissements le roi de Macdoine, Alexandre, n'avait-il pas reus d'une apparition vue en songe, pour qu'il veillt avec plus de soin sur sa vie ! Mais il aurait fallu que la fortune l'armt encore de prudence contre le danger. En effet, il apprit d'abord par un songe, avant de l'prouver par sa mort, que la main de Cassandre lui serait fatale. Il crut, sans l'avoir jamais vu, qu'il prissait victime de cet homme. Quelque temps aprs, Cassandre ayant paru devant lui, son aspect le roi reconnut l'image qui l'avait effray en songe, mais, ds qu'il le sut fils d'Antipater, il se mit rciter un vers grec sur la vanit des songes, et au moment mme o, pour attenter sa vie, tait dj prpar le poison dont il mourut et qui passa pour lui avoir t vers par Cassandre, il bannit tout soupon de son esprit. (Av. J.-C. 323.)

3. Les dieux eurent beaucoup plus de bienveillance encore envers le pote Simonide. Pour donner en effet plus de force au salutaire avertissement qu'il avait reu pendant son sommeil, ils ajoutrent le conseil ferme de le suivre. Ayant abord sur un rivage, il y avait trouv un cadavre tendu sans spulture et avait pris soin de l'ensevelir. Le mort l'avertit en songe de ne point se mettre en mer le lendemain. Simonide resta terre. Ceux qui s'taient embarqus furent sous ses yeux engloutis dans les flots par la tempte. Quant lui, il se flicita de s'tre fi, pour sauver sa vie, un songe plutt qu' un navire. En reconnaissance de ce bienfait, il en immortalisa l'auteur par un trs beau pome, lui rigeant ainsi dans la mmoire des hommes un monument plus noble et plus durable que celui qu'il lui avait lev sur des sables dserts et inconnus. (Av. J.-C. 464.)

4. Un autre songe qui ne se ralisa pas moins fidlement, c'est celui qui remplit l'me du roi Crsus, d'abord de la plus vive crainte, ensuite de la plus grande affliction. Il avait deux fils, dont l'un, nomm Atys, suprieur l'autre par l'activit et par les qualits du corps, tait destin lui succder au trne. Il crut le voir en songe, enlev son affection par un fer homicide. Aussi, sa tendresse paternelle ne ngligea aucune des prcautions propres prvenir le cruel malheur qui lui avait t annonc. On avait l'habitude d'envoyer le jeune prince faire la guerre. Ds lors, on le retint au palais. Il avait un arsenal rempli d'une grande quantit d'armes de toute espce. On fit loigner ce dpt d'armes. Il tait escort de gardes arms d'une pe. On leur dfendit de se tenir trop prs de sa personne. La fatalit cependant donne accs au malheur. Un sanglier monstrueux ravageait les champs cultivs du mont Olympe et souvent mme tuait des habitants de la campagne. Contre un flau si extraordinaire, on implora le secours du roi. Atys arracha son pre la permission d'aller dtruire la bte sauvage. Il l'obtint d'autant plus facilement que ce n'tait pas un coup de dent, mais un coup de fer qu'on redoutait. Mais tandis que tous les chasseurs, anims du vif dsir de tuer le sanglier, redoublaient d'efforts, le sort qui poursuivait le prince avec tant d'acharnement dtourna sur lui une lance dirige contre l'animal, et voulut souiller de cet affreux homicide la main mme laquelle le pre avait confi la garde de son fils, la main d'un suppliant que Crsus, par respect des dieux hospitaliers, avait dj purifi de la tache d'un meurtre involontaire par un sacrifice expiatoire. (Av. J.-C. 550.)

5. Cyrus l'Ancien non plus n'est pas un exemple peu probant de l'invincible pouvoir du destin. Averti par deux songes de la naissance future d'un petit-fils qui aspirerait rgner sur toute l'Asie, Astyage, son aeul maternel, fit de vains efforts pour conjurer ce prsage. Dans ce dessein, ayant rv que sa fille Mandane avait inond de son urine toutes les nations asiatiques, il ne la maria pas quelque personnage distingu parmi les Mdes, par crainte de laisser passer la dignit royale dans la famille de ce dernie, mais il lui donna pour poux un Perse de moyenne condition. Et, ds que Cyrus fut n, il le fit exposer, parce que, dans son sommeil pareillement, il avait cru voir une vigne sortant du sein de Mandane s'accrotre jusqu' ombrager toutes les parties de son empire. Mais il s'abusa lui-mme, en s'efforant de mettre obstacle par des expdients humains la prosprit qu'un arrt des dieux rservait son petit-fils. (Av. J.-C. 594.)

6. Denys de Syracuse n'tait encore qu'un simple particulier, lorsque Himre une femme de bonne naissance s'imagina pendant son sommeil qu'elle montait au ciel et que l, parcourant les demeures de tous les dieux, elle voyait un homme trs vigoureux, aux cheveux de couleur fauve, au visage marqu de taches rousses, charg de chanes de fer et plac sous le trne de Jupiter et ses pieds. Elle interrogea le jeune homme qui avait t son guide dans cette visite du ciel. C'tait, apprit-elle, pour la Sicile et l'Italie une affreuse fatalit, qui, une fois dchane, causerait la ruine d'un grand nombre de villes. Ce songe, ds le lendemain, fut rpandu par ses propos. Par la suite la fortune, ennemie de la libert de Syracuse et acharne la perte des citoyens vertueux, dlivra Denys de sa prison cleste et le lana comme une sorte de foudre au milieu de la paix et de la tranquillit publique. son entre dans Himre, au milieu de la foule accourue pour lui rendre hommage et pour le voir, cette femme, en l'apercevant, s'cria : "Voici celui que j'avais vu en songe." Ce mot, ds que le tyran en eut connaissance, lui servit de prtexte pour la faire prir. (Av. J.-C. 405).

7 La mre du mme Denys eut un songe moins funeste pour elle. Tandis qu'elle le portait dans son sein, elle crut mettre au monde un petit satyre et, ayant consult un devin, elle apprit que son fils serait d'une manire assure le plus illustre et le plus puissant des Grecs.

8. Hamilcar, gnral des Carthaginois, pendant le sige de Syracuse, crut entendre dans un songe une voix lui annonant que le lendemain il dnerait dans cette ville. Dans sa joie, comme si les dieux lui avaient promis la victoire, il disposait son arme pour l'assaut. Mais, la faveur d'une querelle survenue entre les Carthaginois et les Siciliens de son arme, les Syracusains firent tout coup une sortie, anantirent son camp et l'emmenrent lui-mme prisonnier dans leur ville. Ainsi tromp par l'esprance qu'il avait conue, plutt que par le songe, il dna Syracuse, mais en prisonnier et non, comme il s'en tait flatt, en vainqueur. (Av. J.-C. 309.)

9. Alcibiade eut aussi, pendant le sommeil, une vision qui ne le trompa point sur la fin dplorable qui l'attendait. Car le manteau de sa matresse, dont en dormant il s'tait vu couvert, servit, aprs son assassinat, recouvrir son corps rest sans spulture. (Av. J.-C. 404.)

10. Le songe suivant, bien qu'un peu long, mrite nanmoins, par l'extrme vidence de l'avertissement, de n'tre pas pass sous silence. Deux amis Arcadiens, voyageant ensemble, arrivrent Mgare : l'un alla loger chez son hte, l'autre descendit dans une auberge. Celui qui tait chez son hte vit en songe son compagnon qui le suppliait de venir le dfendre contre une attaque perfide de l'aubergiste. En accourant la hte, il pouvait, disait l'autre, l'arracher au pril qui le menaait. Rveill par cette vision, il sauta hors du lit et entreprit d'aller l'auberge o tait log son ami. Mais ensuite, par une funeste fatalit, il condamna comme inutile une rsolution si gnreuse. Il regagna son lit et reprit son sommeil. Alors son ami s'offrit encore sa vue couvert de blessures et le conjura, puisqu'il avait nglig de lui sauver la vie, de ne pas refuser au moins de venger sa mort. Son cadavre, ajoutait-il, mutil par l'aubergiste, tait cet instant mme emport hors de la ville dans un chariot couvert de fumier. Pouss par les prires si persvrantes de son ami, il courut aussitt la porte de la ville, arrta le char qui lui avait t dsign en songe et fit punir l'aubergiste du dernier supplice.

CHAPITRE VIII

Des miracles

EXEMPLES ROMAINS

Souvent, mme en plein jour et dans l'tat de veille, on voit se produire des choses qui sont comme enveloppes de l'obscurit de la nuit et des vapeurs du sommeil. Ces phnomnes, dont il est difficile de bien discerner la cause et la formation, sont juste titre appels des miracles.

1. Au milieu d'une foule d'exemples voici celui qui se prsente d'abord l'esprit. Le dictateur A. Postumius et Mamilius Octavius, gnral des Tusculans, combattaient l'un contre l'autre avec acharnement auprs du lac Rgille et ni l'une ni l'autre arme pendant un certain temps ne se laissait branler. Mais l'apparition soudaine de Castor et Pollux combattant pour la cause de Rome mit les troupes ennemies dans une entire droute. (An de R. 257.)

De mme, dans la guerre de Macdoine, P. Vatinius, de la prfecture de Rate, allant Rome pendant la nuit, crut voir deux jeunes gens d'une beaut extraordinaire, monts sur des chevaux blancs, venir sa rencontre et lui annoncer que, la veille, le roi Perse avait t fait prisonnier par Paul mile. Il en donna connaissance au Snat, mais, comme s'il s'tait jou de la puissance et de la dignit de cette assemble, il fut mis en prison. Toutefois, lorsque par une lettre de Paul mile, il fut devenu vident que Perse avait bien t pris ce jour-l, on ne se contenta pas de rendre la libert Vatinius, on y ajouta encore le don d'une terre et l'exemption du service militaire. (An de R. 585.)

Castor et Pollux veillrent encore, c'est un fait connu, sur l'empire romain dans une circonstance clbre. On les vit alors se baigner avec leurs chevaux la fontaine de Juturne et leur temple qui touchait la source de ces eaux s'ouvrit, sans qu'aucune main d'homme en et ouvert les portes.

2. Les autres dieux ont aussi montr pour cette ville des dispositions bienveillantes, et je vais en citer des exemples. Depuis trois annes conscutives, notre cit tait ravage par une maladie contagieuse et elle voyait qu'elle ne pouvait mettre un terme une calamit si grande et si durable ni par des appels la misricorde divine, ni par des secours humains. Mais, ayant fait consulter les livres sibyllins par les prtres, elle dcouvrit que le seul moyen de rtablir la sant publique tait de faire venir Esculape d'Epidaure. Rome se persuada que, par une ambassade et grce son crdit dj fort tendu dans le monde, elle obtiendrait l'unique ressource, l'unique remde que le destin lui indiquait. Elle ne fut point trompe dans son esprance, car le secours fut promis avec empressement, comme il avait t sollicit. Sur le champ, les pidauriens conduisirent les ambassadeurs romains dans le temple d'Esculape, situ cinq mille pas de leur ville et les invitrent avec beaucoup de bienveillance y prendre leur gr tout ce qu'ils croiraient devoir en emporter d'utile la salubrit de leur patrie. Une obligeance si empresse fut imite par le dieu lui-mme dont la cleste complaisance ratifia la parole des mortels. En effet, le serpent qui se montrait aux pidauriens rarement, mais toujours pour leur bonheur, et qu'ils honoraient comme Esculape, se mit parcourir les quartiers les plus frquents de la ville en rampant d'un mouvement lent et avec un air plein de douceur. Aprs s'tre fait voir pendant trois jours au milieu de la religieuse admiration de la foule, il se dirigea vers la trirme des Romains, manifestant ainsi bien visiblement le vif dsir d'une plus glorieuse rsidence et, tandis que les matelots taient saisis de frayeur la vue d'un spectacle si extraordinaire, il y entra, gagna l'abri de l'ambassadeur Q. Ogulnius et, s'enroulant en nombreux replis, demeura dans un profond repos. Les ambassadeurs, au comble de leurs vux, aprs avoir remerci les pidauriens et s'tre informs de la manire de traiter le serpent, prirent la mer avec joie et, aprs une heureuse navigation, ils abordrent Antium. L, le serpent qui jusque-l tait rest dans le vaisseau, en sortit, se glissa dans le vestibule du temple d'Esculape et alla s'enrouler autour d'un palmier de trs haute taille qui dominait un myrte large et touffu. Pendant trois jours, on lui apporta l sa nourriture ordinaire et, aprs cet arrt dans le temple d'Antium, pendant lequel les ambassadeurs ne laissaient pas d'apprhender vivement qu'il ne voult plus regagner la trirme, il alla y reprendre sa place pour tre conduit Rome. Pendant que les ambassadeurs dbarquaient sur la rive du Tibre, il se rendit travers le fleuve dans l'le o on lui a ddi un temple et son arrive dissipa le flau contre lequel on avait demand son secours. (An de R. 461.)

3 L'arrive de Junon dans notre ville ne fut pas moins spontane. la prise de Vies par Camille, des soldats s'apprtaient, sur l'ordre du gnral, transporter Rome la statue de Junon Monta, qui tait pour les Viens l'objet d'une vnration particulire et ils essayaient de l'enlever de sa place. L'un d'eux lui demanda en riant si elle voulait bien venir Rome : oui, rpondit-elle. ce mot le badinage se changea en admiration. Croyant ds lors porter, non pas la statue, mais Junon elle-mme descendue du ciel, ils vinrent avec joie la placer dans cette partie du mont Aventin, o nous voyons aujourd'hui son temple. (An de R. 357.)

4. Il y a sur la voie Latine, quatre milles de Rome, une statue rige la Fortune des femmes et qui lui fut consacre, en mme temps que son temple, l'poque o Coriolan, prt dtruire sa patrie, en fut dtourn par les prires de sa mre. Cette statue elle aussi, c'est un fait certain, a parl deux reprises, disant la premire fois : "C'est bien selon les rites, mres de familles, que vous m'avez donne" et la seconde fois : "C'est bien selon les rites que vous m'avez consacre." (An de R. 265.)

5. Aprs l'expulsion des rois, le consul Valrius Publicola fit la guerre aux Viens et aux trusques : ces peuples voulaient rtablir le pouvoir de Tarquin, les Romains au contraire dsiraient conserver la libert rcemment conquise. Les trusques et Tarquin, l'aile droite, avaient l'avantage, mais ils furent tout coup saisis d'une telle pouvante que, malgr leur victoire, ils prirent eux-mmes la fuite et, communiquant leur frayeur aux Viens, ils les entranrent avec eux. Pour expliquer cette droute, on ajoute un fait miraculeux : de la fort d'Arvia, situe dans le voisinage, partit subitement une voix puissante, la voix, diton, du dieu Sylvain, qui se fit entendre peu prs en ces termes : "Il en tombera un de plus du ct des trusques, et l'arme romaine sera victorieuse." Prdiction dont la merveilleuse vrit fut montre par le compte des cadavres des deux partis. (An de R. 214.)

6. Et le secours par lequel Mars a contribu la victoire des Romains, comment n'en pas perptuer le souvenir ? Les Bruttiens et les Lucaniens, que la haine la plus violente animait contre Thurium, cherchaient avec de grandes forces dtruire cette ville. Le consul C. Fabricius Luscinus mettait au contraire un soin particulier en assurer la conservation. Les troupes des deux partis une fois en prsence, l'issue de la lutte paraissait douteuse. Comme les Romains n'osaient pas engager le combat, un jeune homme d'une taille remarquable les exhorta d'abord prendre courage. Puis, les voyant irrsolus, il saisit une chelle, traversa l'arme des ennemis, parvint leur camp, y appliqua l'chelle et monta sur le retranchement. De l il cria d'une voix clatante : "Voici le chemin de la victoire." cet appel, tous accoururent sur ce point, les ntres pour s'emparer du camp ennemi, les Lucaniens et les Bruttiens pour le dfendre. Ils luttaient en rangs serrs dans un combat meurtrier et incertain. Mais, du choc de ses armes, le mme guerrier terrassa les ennemis, donnant ainsi aux Romains le moyen de les gorger ou de les prendre. Vingt mille hommes furent tus, cinq mille faits prisonniers avec Statius Statilius, chef de l'arme confdre, et vingt-trois drapeaux tombrent dans nos mains. Le lendemain, au milieu des soldats qui mritaient une rcompense pour leur concours et leur zle, le consul dclara qu'il destinait une couronne vallaire celui qui avait forc le camp, et comme personne ne se rencontra pour demander cette rcompense, on sut, comme on le croyait, que le dieu Mars tait venu dans cette circonstance au secours de son peuple. Entre autres signes vidents de ce miracle, on eut encore pour preuve le casque la double aigrette qui couvrait la tte du dieu. Aussi, en vertu d'un ordre de Fabricius, des actions de grces furent rendues Mars, et les soldats, couronns de lauriers, publirent avec des transports d'allgresse le secours qu'ils en avaient reu. (An de R. 471.)

7. Je raconterai ici un fait bien connu dans son temps et qui est parvenu jusqu' l'ge prsent. C'est qu'Ene tablit Lavinium les dieux Pnates qu'il avait emmens de Troie, que, transfrs de l par son fils Ascagne dans la ville d'Albe, qu'il avait lui-mme fonde, ces dieux retournrent dans leur premier sanctuaire et que, ce retour pouvant paratre l'effet d'un acte humain, on les porta de nouveau Albe, mais qu'ils en revinrent une seconde fois, manifestant par l leur volont. Je n'ignore pas quelles apprciations opposes donnent lieu, au sujet du mouvement et de la parole des dieux, les tmoignages des yeux et des oreilles de l'homme, mais comme je ne raconte pas des vnements nouveaux et que je ne fais que redire des faits transmis par la tradition, c'est ceux qui les ont rapports les premiers de s'en porter garants. Mon devoir moi est de ne point rejeter, comme des mensonges, des rcits consacrs par d'illustres monuments crits.

8. Avec le nom de la ville d'o notre cit tire son origine, se prsente mon esprit le divin Jules, magnifique rejeton de la race albaine. la bataille de Philippes, C. Cassius, qu'on ne saurait nommer, sans ajouter son nom celui de parricide de la patrie, continuait se battre avec acharnement, lorsqu'il vit Csar sous des apparences majestueuses et plus qu'humaines, couvert du manteau de pourpre, l'air menaant et qui fondait sur lui toute bride. cet aspect, saisi d'pouvante, il tourna le dos l'ennemi en s'criant : "Que faut-il faire de plus, s'il ne suffit pas de l'avoir tu ?" Non, Cassius, tu n'avais pas tu Csar : il n'y a pas de force qui puisse anantir une divinit, mais en attentant la vie de son corps mortel, tu as mrit la colre de ce dieu. (An de R. 711.)

9. L. Lentulus ctoyait le rivage o l'on brlait avec les dbris d'une barque mise en pices, les restes du grand Pompe qu'avait fait prir la perfidie de Ptolme. Bien qu'ignorant le sort de ce grand homme, la vue d'un bcher qui aurait d faire honte la Fortune elle-mme, il dit ses compagnons d'armes : "Qui sait si ce feu n'est pas celui qui brle Cn. Pompe ?" Dans ce mot chapp de ses lvres il y a une miraculeuse inspiration des dieux. (An de R. 705 )

10. Ce n'est cependant que le mot d'un homme et l'effet du hasard, mais en voici un qui sortit presque de la bouche d'Apollon lui-mme et qui, sous la forme d'une prdiction de l'infaillible Pythie, fut le signe avant-coureur de la mort d'Appius. l'poque de la guerre civile, moment o Pompe, pour son propre malheur et sans aucun avantage pour la rpublique, venait de rompre les liens qui l'unissaient Csar, Appius voulant dcouvrir l'issue d'un dsordre si funeste, usa de l'influence que lui donnait son pouvoir (car il tait gouverneur de l'Achae) et il fora la prtresse de Delphes descendre au fond de la caverne sacre o l'on va chercher des oracles srs pour ceux qui consultent le dieu, mais o aussi l'excs du souffle divin qu'on y respire est un danger pour les ministres chargs de rendre ses rponses. Pousse par la divinit, dont elle tait remplie, la prtresse, d'une voix effroyable et au milieu de paroles obscures et d'nigmes, rvla Appius le sort qui l'attendait : "Romain, dit-elle, cette guerre ne te regarde en rien. Tu ne quitteras pas les criques (Coela) de l'Eube." Persuad qu'Apollon lui conseillait de ne prendre aucune part cette querelle, il se retira dans le pays situ entre Rhamnonte, clbre canton de l'Attique, et Caryste, ville voisine du dtroit de Chalcis et qui se nomme les criques (Coela) de l'Eube. L, il mourut de maladie avant la bataille de Pharsale et il eut pour spulture l'endroit dsign par l'oracle. (An de R. 704.)

11. Voici encore d'autres faits qu'on peut mettre au nombre des miracles. Aprs l'incendie du temple des Saliens, on n'y trouva d'intact que le bton augural de Romulus. La statue de Servius Tullius, dans l'embrasement du temple de la Fortune, ne subit aucune atteinte du feu. La statue de Q. Claudia, place dans le vestibule du temple de la Mre des Dieux, chappa aux deux incendies qui dvorrent ce temple, d'abord sous le consulat de P. Scipion Nasica et de L. Bestia, et de nouveau sous celui de M. Servilius et de L. Lamia. Elle demeura sur son pidestal sans avoir t touche par les flammes. (An de R. 364, 642, 749.)

12. Notre cit ne vit pas non plus sans tonnement les funrailles d'Acilius Aviola. Regard comme mort et par les mdecins et par sa famille, aprs avoir t laiss quelque temps dans la maison, il avait t port sur le bcher. Ds que le feu eut touch son corps, il s'cria qu'il tait vivant et implora le secours de son prcepteur qui seul tait rest auprs de lui, mais dj envelopp par les flammes, il ne put tre soustrait son destin. (An de R. 720.) L'on a pu assurer que L. Lamia, ancien prteur, avait galement parl sur le bcher. (An de R. 711.)

EXEMPLES TRANGERS

1. Ces prodiges deviennent presque moins tonnants ct de celui d'Eris de Pamphylie. Cet homme, d'aprs le rcit de Platon, resta dix jours parmi les morts tombs dans un combat. Plac sur le bcher deux jours aprs avoir t enlev du champ de bataille, il revint la vie et raconta des choses tonnantes qu'il avait vues pendant sa mort.

2. Puisque nous en sommes venus parler de miracles qui se sont produits l'tranger, en voici un arriv Athnes. Un homme trs cultiv qui avait reu la tte un coup de pierre, conserva fidlement dans sa mmoire toutes ses autres connaissances et perdit seulement le souvenir des oeuvres littraires dont il avait fait l'objet particulier de ses tudes. Coup d'une cruaut insigne qui, dans celui qu'il atteignit, semble avoir cherch les facults de l'esprit et, choisissant dessein celle qui lui procurait ses plus vives jouissances, la frappa mchamment, en tant la victime, par un odieux anantissement, un trsor de science. S'il ne devait pas lui tre permis de jouir d'un tel savoir, mieux et valu qu'il n'y et jamais accs, plutt que d'en tre priv aprs en avoir connu les douceurs.

3. Pourtant l'infortune suivante est un trait plus dplorable encore. L'pouse de l'Athnien Nausimne, ayant surpris en inceste son fils et sa fille, fut tellement frapp la vue de cette horreur inattendue qu'elle demeura muette sans pouvoir dans le moment mme exprimer son indignation ni dans la suite recouvrer la parole. Les deux coupables se punirent de leur infme commerce par une mort volontaire.

4. C'est ainsi que la fortune irrite te la voix. Voici comment elle la rend, quand elle est favorable. Echcls, athlte de Samos, tait muet. Un jour qu'on voulait lui ravir l'honneur et le prix de la victoire qu'il avait remporte, enflamm d'indignation, il retrouva tout coup la parole.

5. La naissance de Gorgias, brave et illustre pirote, fut aussi merveilleuse. Sorti du sein de sa mre pendant les funrailles de celle-ci, il fora, par ses vagissements inattendus, les porteurs du lit funbre s'arrter et offrit sa patrie un spectacle extraordinaire, celui d'un enfant qui vint au jour et trouva son berceau presque sur le bcher de sa mre. Car on vit dans le mme instant l'une enfantant aprs sa mort, l'autre port sur le bcher avant sa naissance.

6. La blessure que fit Jason de Phres, un homme qui voulait sa perte, lui fut un bonheur envoy par les dieux. Car, en le frappant d'un coup d'pe dans un guet-apens, l'assassin lui creva un abcs qu'aucun mdecin n'avait pu gurir et le dlivra ainsi d'un mal dangereux.

7. Mme bienveillance des dieux envers Simonide, qui, sauv une premire fois d'une mort imminente, fut encore soustrait l'croulement d'une maison. Comme il dnait chez Scopas Crannon, ville de Thessalie, on vint l'avertir que deux jeunes gens taient la porte et le priaient instamment d'aller les trouver aussitt. Il sortit pour les voir et ne trouva plus personne, mais ce moment mme, la salle manger o Scopas donnait un festin, s'croula et crasa le matre de la maison avec tous ses convives. Fut-il jamais rien de mieux garanti que ce bonheur de Simonide que ne purent anantir ni le courroux de la mer ni celui de la terre ?

8. cet exemple, je joins volontiers celui de Daphnites pour montrer quelle diffrence les dieux font entre ceux qui ont chant leurs louanges et ceux qui se sont faits leurs dtracteurs. Daphnites appartenait cette cole, dont les adeptes s'appellent sophistes et affichent un scepticisme impertinent et sarcastique. Il vint Delphes demander, par moquerie, Apollon s'il pourrait retrouver son cheval, alors qu'il n'en avait absolument jamais eu. L'oracle du dieu rpondit qu'il trouverait le cheval, mais qu'il en serait renvers et prirait de sa chute. Le sophiste s'en retournait en plaisantant, comme s'il avait tromp la bonne foi de l'oracle. Mais il rencontra le roi Attale qu'il avait souvent attaqu de loin par des propos injurieux. Prcipit par ordre de ce prince du haut d'un rocher nomm "le Cheval" il subit le chtiment que mritait une audace assez insense pour oser se jouer des dieux.

9. Le mme oracle ayant averti Philippe, roi de Macdoine, de se tenir en garde contre l'imptuosit du "quadrige", ce prince interdit dans tout le royaume cette sorte d'attelage et vita toujours cet endroit de la Botie que l'on nomme Quadrige. Nanmoins il ne put se soustraire au pril annonc par l'oracle, car Pausanias avait un quadrige grav sur la poigne de l'pe dont il se servit pour le tuer. (Av. J.-C. 336.)

10. Cette fatalit si acharne contre Philippe se montra la mme l'gard de son fils Alexandre. L'Indien Callanus tait sur le point de se jeter dans les flammes d'un bcher, lorsque Alexandre lui demanda s'il n'avait rien lui recommander ou lui dire: "Nous nous reverrons bientt", rpondit-il, et ce n'tait pas sans raison, puisque sa mort volontaire fut suivie bref dlai de la fin rapide d'Alexandre. (Av. J.-C. 327.)

11. La mort de ces rois n'a rien de plus extraordinaire que l'aventure arrive un simple rameur. Tandis qu'il vidait la sentine dans une galre tyrienne six rangs de rames, une vague le jeta la mer, mais une autre vague, venant en sens contraire, le repoussa de l'autre ct et le rejeta dans le vaisseau: malheureux et heureux tout ensemble, il eut dans le mme temps se plaindre et se fliciter de son sort.

12. Que penser des singularits dont je vais parler? Ne doit-on pas les prendre pour des caprices de la nature dans l'organisation du corps humain? Irrgularits supportables, puisqu'elles n'avaient rien de douloureux; mais il n'en faut pas moins les mettre aussi au nombre des merveilles. Ainsi un fils de Prusias, roi de Bithynie, nomm Prusias comme son pre, avait, au lieu de la range suprieure des dents, un os unique aussi dvelopp que la mchoire, mais qui ne prsentait rien de laid l'oeil et ne causait aucune sorte d'incommodit.

13. Au contraire la fille du roi Mithridate et de la reine Laodice, Dryptine qui suivit dans sa fuite son pre vaincu par Pompe, avait une double range de dents qui la dfigurait tout fait.

14. Ce qui n'est pas non plus un faible sujet d'tonnement, ce sont les yeux de ce Strabon, qui avait, assure-t-on, la vue si perante et si sre que du promontoire Lilybe il voyait les navires sortir du port de Carthage.

15. Mais ces yeux mmes sont moins surprenants que le cur d'Aristomne le Messnien. Frapps de son adresse extraordinaire, les Athniens voulurent ouvrir son cadavre et trouvrent son cur plein de poils, car, aprs avoir t pris plusieurs fois et s'tre toujours chapp par ruse, il tait enfin rest dans les mains de ses ennemis.

16. Antipater, pote de Sidon, tait pris de fivre tous les ans, une fois, au jour o il tait n, et parvenu un grand ge, il mourut la suite de cet accs priodique, le jour anniversaire de sa naissance. (IIe sicle avant J.-C.)

17. C'est ici le lieu de mentionner les philosophes Polystrate et Hippoclides. Tous deux, ns le mme jour, tous deux sectateurs d'picure, leur matre, ils s'associrent en mettant en commun leur patrimoine et en faisant en commun les frais de leur cole et moururent l'un et l'autre au mme instant, dans un ge fort avanc. Qui ne croirait qu'une telle conformit de destine et une telle amiti n'aient eu leur naissance, leur dveloppement et leur fin dans le sein de la Concorde cleste elle-mme ?

18. Mais pourquoi ces phnomnes se sont-ils rencontrs, plutt que chez d'autres, dans des enfants de rois puissants, dans un prince illustre, dans un pote d'un brillant talent, dans de grands savants, dans un homme obscur? C'est ce dont la nature elle-mme, cette cratrice fconde de tout bien et de tout mal, ne saurait rendre compte, pas plus que de sa prdilection pour les chevreuils de Crte: ces animaux sont-ils percs de flches, elle les amne, en les guidant pour ainsi dire de sa main, rechercher le secours du dictame salutaire et fait que, peine ont-ils mang de cette herbe, aussitt ils rejettent traits et venin de leurs blessures. Elle n'expliquerait pas davantage pourquoi, dans Cphalnie, alors que tous les troupeaux partout et chaque jour soutiennent leur vie en buvant de l'eau, elle a mis dans les chvres de cette le l'instinct d'tancher leur soif pendant la majeure partie de l'anne en ouvrant la bouche pour humer les vents du large, ni non plus pourquoi Crotone, dans le temple de Junon Lacinienne, la cendre de l'autel a reu d'elle le privilge de rester immobile tous les souffles des vents; ni enfin pourquoi elle a donn, l'exclusion de toutes les autres, aux eaux de deux sources, l'une de Macdoine, l'autre du territoire de Cals, la proprit d'enivrer comme le vin. Nous ne devons pas nous tonner de ces merveilles, mais simplement les noter, car nous savons que la nature a le droit de rclamer la plus grande libert, elle qui incombe la tche infinie de produire toutes choses.

19. Puisque nous avons parl de phnomnes qui dpassent la mesure ordinaire, mentionnons aussi le serpent qui fait dans Tite-Live le sujet d'un rcit aussi dtaill qu'lgant. D'aprs cet historien, en Afrique, auprs du fleuve Bagrada, il y avait un serpent d'une telle taille qu'il empchait l'arme de Rgulus d'y venir prendre de l'eau. Il avait saisi bon nombre de soldats dans son norme gueule et en avait touff un plus grand nombre dans les replis de sa queue. Les traits qu'on lui lanait ne pouvant le transpercer, la fin de tous cts, avec des balistes, on fit pleuvoir sur lui des projectiles et on l'accabla sous une grle de pierres trs pesantes. Ce monstre avait inspir aux cohortes et aux lgions plus de terreur que Carthage elle-mme et lorsque son sang se fut ml aux eaux du fleuve et que les exhalaisons pestilentielles de son cadavre eurent infect le voisinage, il fit encore reculer le camp de l'arme romaine. Tite-Live ajoute que la peau de ce serpent monstrueux, longue de cent vingt pieds, fut envoye Rome. (