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Vers de Nouveaux Modes de Pilotage Des Activités de R&D

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Littérature sur les alliances

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Page 1: Vers de Nouveaux Modes de Pilotage Des Activités de R&D

… Blanche Segrestin,

Vers de nouveaux modes depilotage des activités de R&D :la conception au cœur de l’innovation

R E N C O N T R E AV E C …

Pourquoi cette nécessité de rechercher de nouvellesorganisations dans les activités de R&D ?

Les défis organisationnels se sont manifestementdéplacés au cours des deux dernières décennies : dès lemilieu des années 80, mes collègues du Centre deGestion Scientifique à l’Ecole des Mines de Paris,notamment Armand Hatchuel et Benoît Weil, observaientque les activités de R&D étaient soumises à des tensionsde plus en plus vives. Après un profond mouvement de rationalisation desméthodes de production, le déferlement de la gestion parprojet dans les années 90 a profondément modifiél’organisation du développement de nouveaux produits.Depuis, les enjeux n’ont cessé de s’accentuer. Laperformance des entreprises dépend en effet de plus enplus de leur capacité à offrir des produits ou des servicesà la fois plus performants et plus variés, mais aussi plusinnovants et à un rythme toujours plus soutenu1.

Dans ce contexte d’innovation « intensive », les formesd’organisation classiques des activités de conceptionatteignent leurs limites. Les projets souffrent de plus enplus d’hypertrophie et sont noyés sous les contraintes :non seulement les cahiers des charges deviennentextraordinairement exigeants mais ils sont en plussouvent instables. Malgré les dispositifs de suivi et dereporting, les dérives en temps et en coûts sontfréquentes. En outre, le développement des produits n’estpas le seul à être mis en défaut : la recherche est aussimise en cause pour ne pas être suffisamment innovantemalgré des investissements de plus en plus importants.

En quoi les activités de conception auraient-elleschangé ?

Notre hypothèse est que nous avons changé de « régimede conception » (Segrestin et al., 2002) : il ne s’agit plusseulement de développer des produits plus performantsou répondant mieux aux attentes de certains clients. Il nesuffit plus non plus de développer des produits enréduisant les coûts ou le « time-to-market ». Dans laplupart des secteurs, la nouvelle donne concurrentielleimpose aux entreprises de renouveler non seulement lesgammes, mais aussi la nature ou la valeur des produitsqu’elles vont offrir : la conception ne porte plusseulement sur les solutions techniques, mais pluslargement sur les cahiers des charges, les usages,l’identité des produits et les modèles économiquesassociés. C’est là un changement d’ampleur qui suppose,pour être soutenable, que les entreprises déploient denouvelles compétences, de nouvelles méthodes et denouvelles organisations, notamment au-delà desfrontières classiques de l’entreprise (Le Masson et al.,2006).

La recherche en gestion a-t-elle mis à jour de nouvellesméthodes pour innover de manière intensive ?

De très nombreuses recherches sont menées sur cettequestion et les réponses sont évidemment multiples,

Blanche Segrestin

Blanche Segrestin,CGS (Centre de gestion scientifique),Ecole des Mines de Paris

Qualitique n°189 Juillet/Août 20076

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voire hétérogènes. Plusieurs écueils doivent cependantêtre évités. Ainsi, l’innovation est souvent perçue commeun résultat de la recherche. Il faudrait alors davantageinvestir dans la recherche. La production de connaissances est assurémentessentielle aux processus d’innovation, mais mener desrecherches tous azimuts peut s’avérer coûteux et risqué !Le problème n’est pas tant d’acquérir des connaissancesque d’identifier celles qui seront utiles et qu’il fautdévelopper. A l’inverse, voir l’innovation comme le résultat de lacréativité conduirait à stimuler l’inventivité du personnelou à chercher à capter au mieux les idées dans sonenvironnement. Pour autant, les bonnes idées ne setraduisent pas mécaniquement en projets porteurs devaleur. Ce qui est en jeu, davantage que la créativité elle-même, ce sont donc les capacités de conception quipermettront aux entreprises de générer des produitsinnovants de manière répétée.

Le programme de recherche sur la conception innovantedu CGS a montré que la créativité ou la production deconnaissances sont à la fois essentielles maisinsuffisantes si elles sont prises isolément. Plutôt que deproduire de la connaissance, l’enjeu est d’identifierquelles connaissances développer. De même, plutôt quede générer des idées, il faut apprendre à construire descahiers des charges porteurs de valeur. Pascal Le Massona montré que cette activité, qui consistait précisément àidentifier les connaissances manquantes (pour poser desquestions à la recherche) et à proposer des conceptsinnovants et les critères de performances associés (pourlancer des projets de développement), était essentielle àla gestion de l’innovation (Le Masson, 2001).

L’innovation pourrait donc être organisée ?

C’est l’éternelle question ! L’innovation est habituellement perçue comme le résultatimprévisible de processus informels et relativementchaotiques. Pour faciliter la prise de risque et l’inventivité, lesorganisations devraient être « ambidextres » et laisserdavantage d’autonomie aux projets créatifs. Dans cetteoptique, l’innovation ne pourrait être gérée. L’un desapports essentiels, selon moi, du programme derecherche de l’Ecole des Mines est au contraire dedésigner des leviers d’action possibles.

L’originalité de cette recherche tient à ce que l’innovationn’est plus perçue uniquement comme une affaire destructure organisationnelle ou d’outils, mais qu’ellerelève des raisonnements des concepteurs : faute desaisir les spécificités de ces raisonnements, les méthodesorganisationnelles ou les techniques managérialesrisquent d’être mal adaptées aux contextes dans lesquelselles s’insèrent.

Pour décrire les différentes étapes d’un raisonnementde conception, une modélisation a été proposée par

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Armand Hatchuel et Benoît Weil : il s’agit du modèleC-K (Hatchuel et Weil, 2002) qui permet de rendrecompte des processus d’expansion créatifs parl’interaction entre deux espaces dynamiques : celuides connaissances et celui des concepts. Aujourd’hui, ce formalisme donne non seulement desmoyens aux chercheurs pour étudier les processusd’innovation, mais aussi des prises aux acteurs del’entreprise pour guider leurs stratégies de conception. Ila donné lieu à de nombreuses initiatives dans différentesentreprises (Thales, RATP, Valeo, Air Liquide, Sagem,etc.). Nous avons par exemple développé la méthodedes « ateliers KCP », qui permet de structurer deschamps d’innovation et de faciliter le repositionnementstratégique des compétences internes, tout en contrôlantà chaque étape le lien entre concepts et connaissances.Certaines entreprises en ont d’ailleurs déduit desméthodologies variées et très structurées pour mettre enœuvre des processus d’innovation adaptés à leursbesoins.

On assiste à l’émergence de nouvelles formes departenariats du fait de l’innovation. Pouvez-vous nousen dire un peu plus ?

Une des conséquences majeures du régime del’innovation intensive sur la vie des entreprises porte surles relations entre entreprises. J’ai particulièrementtravaillé sur ces aspects dans la mesure où très souvent,les espaces d’exploration se situent à la croisée dedifférents secteurs et mobilisent des expertises variées.Du coup, on assiste à un foisonnement des coopérationsentre entreprises au niveau des activités de R&D, alorsque ces activités stratégiques étaient jusqu’à récemmentconservées dans le giron de l’entreprise. L’inter-firme estvéritablement devenu le lieu par excellence del’innovation. Mais cela ne va pas sans poser de problèmeet les partenariats d’innovation sont aujourd’huiextrêmement difficiles à conduire, avec des tauxd’échecs très importants, une forte incertitude et unegrande précarité des relations.

Mes recherches m’ont conduite à étudier de nombreuxcas empiriques de partenariats innovants qui sontdéveloppés dans l’ouvrage « Innovation et coopérationinterentreprises ; comment gérer les partenariatsd’exploration » (CNRS Editions, 2006). Nous avons parexemple accompagné l’émergence de la première plate-forme commune entre Renault et Nissan : lorsquel’Alliance fut conclue entre les deux constructeurs enmars 1999, l’incertitude était grande sur la pérennité del’Alliance, les objectifs communs réalisables et lesmoyens à mettre en oeuvre. L’étude des débuts de lacollaboration a montré qu’au-delà d’un développementconjoint, il s’agissait de cartographier les synergiesindustrielles et les intérêts respectifs des constructeurs.Pour chacun d’entre eux, il s’agissait aussi d’apprendresur les moyens de renforcer leurs capacités d’innovation.Les premiers pas de l’Alliance devaient donc définirsimultanément les objets de coopération, les modes de

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… Blanche Segrestin,

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coordination et l’identité de l’Alliance face auxdifférentes marques. Ils sont à cet égard représentatifs d’une forme departenariats particulière et appelée à prendre del’ampleur. Il s’agit des partenariats que j’ai qualifiés« d’exploration » dans la mesure où ils visent à partirconjointement en reconnaissance de nouveaux champsd’innovation (Segrestin, 2006).

Cette exploration conjointe se distingue nettement desrelations traditionnelles entre entreprises : contrairementaux transactions entre clients et fournisseurs classiques,les partenaires cherchent à identifier les objets derecherche et de développement porteurs de valeur, maisaussi les compétences dont ils manquent … et doncd’éventuels partenaires. On peut donc s’attendre à cequ’ils soient très précaires. Ils ont même vocation àévoluer : selon les apprentissages, ils peuvent êtrearrêtés, relancés sur d’autres problématiques, ou biendéboucher sur des contrats de développement voire setransformer joint ventures ...

Piloter de tels partenariats suppose donc non seulementde coordonner les apprentissages, mais aussi de gérer lacohésion du groupe de manière dynamique : en d’autrestermes, la difficulté est de permettre aux acteursd’engager une action collective en organisant lapossibilité de transformer de manière non conflictuellel’objet ou la forme de la relation2. Cela suppose desrègles spécifiques dont il ne faut pas sous-estimerl’originalité. Au-delà des outils de gestion, un cadrejuridique spécifique nous semble utile pour faciliter lesapprentissages et des formes d’action collectivesoriginales. Nous avons proposé un « contrat spéciald’exploration », avec des procédures qui permettent deréviser les engagements mutuels en fonction destransformations des projets et des intérêts mutuels.

Blanche Segrestin, CGS (Centre de gestion scientifique), Ecole des Mines de Paris

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Plus généralement, la question est de voir commentrestaurer la nature des activités innovantes au sein mêmedes contrats et de la gouvernance des entreprises.

1 Le dossier Qualitique de Juin 2007 traitant de l’excellenceopérationnelle et de l’innovation retrace en partie cesévolutions.

2 Ces questions, qui amènent à rediscuter des frontières del’entreprises, sont abordées également dans le dossier sur laconduite du changement (Qualitique n°188 et 189)

Hatchuel, A. et Weil, B. (2002) « C-K theory: Notions andapplications of a unified design theory », Herbert SimonInternational Conference on « Design Sciences ».

Le Masson, P. (2001) De la R&D à la RID : modélisationdes fonctions de la conception et nouvelles organisationsde la R&D, Thèse de doctorat de l'Ecole des Mines deParis.

Le Masson, P., Weil, B. et Hatchuel, A. (2006) Lesprocessus d'innovation. Conception innovante etcroissance des entreprises, Hermès, Paris.

Segrestin, B. (2006) Innovation et coopération interentreprises.Comment gérer les partenariats d'exploration ? CNRSEditions, Paris.

Segrestin, B., Lefebvre, P. et Weil, B. (2002) « The role ofdesign regimes in the coordination of competencies andthe conditions for inter-firms cooperation », InternationalJournal of Automative Technology and Management,vol. 2, n°1, pp. 63-83.

BLANCHE [email protected]