27
Vers la paix. Author(s): Tallichet, Edouard Source: Foreign and Commonwealth Office Collection, (1900) Published by: The University of Manchester, The John Rylands University Library Stable URL: http://www.jstor.org/stable/60236194 . Accessed: 15/06/2014 21:55 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Digitization of this work funded by the JISC Digitisation Programme. The University of Manchester, The John Rylands University Library and are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Foreign and Commonwealth Office Collection. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Vers la paix

  • Upload
    edouard

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Vers la paix

Vers la paix.Author(s): Tallichet, EdouardSource: Foreign and Commonwealth Office Collection, (1900)Published by: The University of Manchester, The John Rylands University LibraryStable URL: http://www.jstor.org/stable/60236194 .

Accessed: 15/06/2014 21:55

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Digitization of this work funded by the JISC Digitisation Programme.

The University of Manchester, The John Rylands University Library and are collaborating with JSTOR todigitize, preserve and extend access to Foreign and Commonwealth Office Collection.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: Vers la paix

I.AAA AAAAAAA^ 1-'4--£,'£'^--*--£-^--£--*--^-A--/»''i--,t-A.-£--£--/^-A.J

VERS LA PAIX

La guerre d'Afrique parait approcher de son terme. Elle sera certainement une deception profonde pour beaucoup de personnes, parmi lesquelles le plus grand nombre probablement, en Suisse tout au moins, et peut- etre dans d'autres pays, croyaient sincerement a la jus¬ tice de la cause des Boers, et eprouveront un chagrin profond de leur defaite. Nous avons ete touches plus d'une fois de l'emotion manifested par ces partisans a la nouvelle d'echecs subis par leurs amis en Afrique, de la

capitulation du general Cronje, par exemple. Plus que

jamais les beaux mots de liberte, d'independance natio- nale exercent une fascination sur les foules et les font pal- piter d'un meme sentiment. S'il faut se garder de s'en

plaindre, car cela est noble et bon, il ne faut pas se las- sei non plus de defendre les droits de la veVite et de montrer que les sympathies humaines peuvent se four-

voyer en prenant pour des realites ce qui n'est qu'une illusion genereuse. Cela est d'autant plus important que le moment peut venir, — il vient toujours de fagon ou d'autre, — ou tout ce a quoi on avait mis son cceur

eripia

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: Vers la paix

568 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

s'ecroule dans un grand cataclysme, et alors aux foules

qui avaient cru, espere, desire, il ne reste qu'un senti¬ ment amer de 1'injustice des hommes et des choses, peut- etre meme de la Providence, qui a permis le triomphe de la force sur le droit.

Cette revolte intime, pour naturelle qu'elle soit, n'est ni bonne, ni saine. Dans les grands evenements, il y a

beaucoup moins d'injustice qu'on ne le pense, et on le

saisit mieux a mesure qu'ils deviennent de l'histoire, c'est-a-dire qu'on peut les envisager avec le recul neces-

saire pour les embrasser du regard et avec la connais-

sance de leurs principaux elements, presque impossible

pour la plupart des hommes au moment ou ils se derou-

lent. On l'a vu pour le sud de l'Afrique. Qu'en connais-

sait-on lorsque la guerre a eclate? A peu pres rien. La

lutte a elucide un grand nombre de points importants, sinon tous, et mis a l'arriere-plan bien des choses consi-

derees comme decisives au debut. Sans aucune preten¬ tion de tout savoir et de tout dire, on peut essayer au

moins de chercher comment la guerre a eclate, qui en

est reellement responsable, et pourquoi la defaite des

Boers n'a pas ce caractere d'injustice fait pour attrister

et oppresser le coeur des personnes qui aspirent a la

justice et voudraient voir partout le triomphe du droit et

de la liberte.

I

Disons tout d'abord qu'il faut faire une tres grande difference entre les Boers et leurs chefs, et cette diffe¬

rence ne leur est pas propre, elle existe dans presque tous les pays. Au Transvaal, seulement, les evenements

l'ont accentuee plus fortement et plus rapidement qu'ail- leurs. Le malheur, pour l'Afrique du sud, a ete d'un cote

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: Vers la paix

VERS LA PAIX 569

qu'elle a ete colonisee par des Hollandais, et de l'autre

que l'Angleterre, en s'en emparant, ne s'est pas rendu

compte de l'avenir du pays et de son importance, et

n'en a pas pris le soin qu'elle aurait du. Si les Hollan¬

dais avaient continue a le poss6der, se serait-il epanoui comme il l'a fait? Il y a de grandes raisons de penser

que non. Les colons hollandais venus tot etaient restes

tres arrieres et conservateurs dans le sens le plus etroit, et la mere-patrie, qui ne se souciait pas beaucoup d'eux, ne possedait ni une population exuberante a y deverser

d'une maniere continue, ni la puissance d'expansion qui

peut faire prosperer de telles colonies. Le fait, absolument acquis, est que toutes les institu¬

tions liberates dont jouissent ces colonies ont ete intro¬

duces par les Anglais, et qu'ils ont rencontre des le debut

1'opposition d'une partie au moins de l'element hollan¬

dais. Ce sont eux qui ont organise l'etat civilise, qui ont

ouvert des voies de communication, etabli un service de

postes, une police, des cours de justice, et tire les Boers

de leur isolement. Pour un bon nombre de ceux-ci, ce fut

le premier grief. lis ne se souciaient pas d'avoir un gou-

vernement, preferant vivre de leur vie propre et se de-

fendre par eux-memes. L'impression en fut aggravee tres probablement dans bien des cas par la maniere de

faire des fonctionnaires anglais, et surtout parce que ces

demiers ne donnaient pas toujours raison aux Boers

dans leurs conflits assez frequents avec les naturels du

pays, qu'ils protegeaient contre les empietements des

colons ou leurs injustices. Voila, semble-t-il, quelles ont ete les deux causes es-

sentielles de l'hostilite des colons: le peu d'amabilite, le

dedain des Anglais, et la protection accordee aux indi¬

genes. L'abolition de l'esclavage en 1837, avec indemni-

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: Vers la paix

570 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

tes insuffisantes ou nulles porta a son comble le mecon- tentement des colons, dont une partie, pour echapper a la juridiction anglaise, se mit en route vers le nord afin de s'y etablir en de nouveaux pays. C'est ainsi que les blancs arriverent au Natal et aux territoires d'Orange. La

juridiction anglaise les y suivit, ce qui entraina une nou- velle emigration et 1'occupation du Transvaal. La partie la plus civilisee des colons resta au Cap, ou elle a pros- pere. Les elements les plus indisciplines, refractaires et

brutaux, mais aussi les plus energiques, s'en allerent, laissant a leur tour en route les moins remuants. Comme les Boers du Cap, ceux du Natal et de 1'Orange devin- rent de paisibles et prosperes cultivateurs, tandis que les

intraitables, les intransigeants, qui ne voulaient d'autres lois que leur volonte propre, se dispersaient sur le vaste territoire du Transvaal, contents surtout de n'avoir que peu ou point de voisins rapproches. Toutes ces contrees etaient peuplees d'une race noire assez guerriere, qu'il fallut en deposseder par le fer et le feu. La se trouvaient tous les elements d'un recul vers la barbarie, qui ne man-

qua pas. Les immigrants devinrent cruels, indifferents aux souffrances qu'ils infligeaient pour leur defense ou

pour assurer leur situation, et seul le danger auquel ils etaient exposes par la meme les amena dans une cer- taine mesure a se rapprocher les uns des autres pour la

protection commune. Sans cesse, neanmoins, les autorites anglaises de la

colonie durent intervenir pour ramener dans cet etat

quelque peu de paix et d'ordre et proteger les indigenes contre la turbulence et les exces des Boers du Trans¬

vaal, qui provoquaient le soulevement des Cafres et me-

nagaient ainsi tout le midi du continent. Elles etaient extremement lasses de ces conflits perpetuels et desi-

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: Vers la paix

VERS LA PAIX 571

reuses d'en etre dechargees. Aussi accorderent-elles avec

quelque empressement en 1852 la convention dite de

Sand River, qui reconnaissait l'autonomie du Transvaal

et son droit de se gouverner lui-meme a quelques con¬

ditions, dont la principale etait l'engagement par les

Boers de ne pas retablir l'esclavage et de traiter equita- blement les indigenes. Elles etaient si satisfaites d'etre

debarrassees d'une population ingouvernable, qu'elles im-

poserent deux ans plus tard, en 1854, une convention

analogue a l'Etat d'Orange, qui etait content de 1'admi¬

nistration anglaise et resista au cadeau qu'on voulait lui

faire. II n'accepta l'independance qu'a son corps defen¬

dant, bien qu'il nit beaucoup plus apte a se gouverner lui-meme que le Transvaal, comme la suite le prouva abondamment. Jusqu'a la guerre actuelle, il n'y eut

aucun conflit entre lui et le gouvernement du Cap. Le Transvaal, au contraire, lorsqu'il fut independant,

ne tarda pas a entrer en pleine anarchie. Non seulement

il etait divise en factions ennemies, mais plus ou moins

chaque Boer revendiquait son independance personnelle et le droit de faire ce que bon lui semblait. Ceci amena

les principaux du pays a appeler du Cap et a etablir

comme president M. Burgers, un pasteur protestant,

beaucoup plus cultive que ses administres, homme aima-

ble, mais qui ne parait pas avoir ete prepare a gouver¬ ner un pays. Assez visionnaire, il se consolait sans doute

de ses deboires en revant d'une grande republique hol-

landaise embrassant tout le sud de l'Afrique, car c'est

lui qui en a eu le premier l'idee, ou l'a formulee tout au

moins. Mais il essaya pourtant de sortir le pays de l'etat

de desordre et d'ignorance ou il se trouvait. II reussit

meme a contracter en Europe un emprunt necessaire a

l'execution de ses plans. Tous ses efforts echouerent

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: Vers la paix

^1

572 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

neanmoins devant l'opposition de deux factions, celle des partisans de l'Angleterre, composee surtout d'habi- tants des villes et villages, et celle des Dopper, menee

par Paul Kruger, qui s'allia a la premiere pour lui rendre le gouvernement impossible.

L'annexion a l'Angleterre, proclamee en 1877 par sir Theophil Shepstone, devait etre la consequence pres¬ que forcee de ces troubles et de ces intrigues. Elle ra- mena immediatement l'ordre et la paix. Sauf Piet Jou-

bert, mort recemment general en chef, tous les hommes de l'ancien gouvernement, y compris Paul Kruger, entre- rent dans la nouvelle administration, acceptant ainsi ce

qui s'etait fait. On ne saurait douter qu'a plusieurs egards l'annexion ne se soit accomplie dans des conditions

peu correctes. Mais elle delivrait le pays d'une situation

intolerable, elle le sauvait peut-etre d'une entiere des¬ truction par deux chefs indigenes puissants, Sekukuni et

Cettivayo, que les Anglais aneantirent, et si l'Angle- terre avait envoye pour gouverner le Transvaal un homme habile et avise, qui eut tenu les promesses faites aux Boers, et qu'on eut donne a M. Kruger la situation mieux retribute qu'il reclamait, il est tres pos¬ sible que l'ensemble du pays eut accepte un changement qui contentait d'ailleurs bon nombre des habitants. Cela n'est pas certain, toutefois, car il y avait parmi les prin- cipaux Boers de grandes ambitions personnelles qui ne trouvaient pas satisfaction sous le regime anglais. lis

exploiterent naturellement le mecontentement suscite

par les erreurs de 1'administration, et peu a peu le mou- vement en faveur de l'independance gagna la plus grande partie du pays.

A ce moment, 1879, il regut une impulsion extraor¬ dinaire des discours de M. Gladstone qui, dans sa fa-

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: Vers la paix

VERS LA PAIX 573

meuse campagne du Midlothian a propos des atrocites

bulgares, saisit pour battre en breche son adversaire, lord

Beaconsfield, toutes les armes possibles, et denonga en

particulier 1'annexion du Transvaal comme un acte ou-

trageusement condamnable. On sait que les Boers finirent

par se revolter lorsque M. Gladstone, arrive au pouvoir,

repudia ses propres engagements, et declara que l'auto-

rite de la reine au Transvaal ne pouvait etre mise en

question. La fameuse affaire de Majuba-Hill, dans la-

quelle une poignee de tireurs boers battit une force peu

importante d'ailleurs de soldats anglais, vint placer la

question sur un nouveau terrain.

Mis en demeure de maintenir l'annexion par les armes, M. Gladstone recula et ceda. Sa premiere erreur, — elle

n'a pas ete la seule de ce genre dans sa vie, — avait ete

d'exciter, dans un interet de parti, les desirs des Boers ;

la seconde, plus grave encore peut-etre, fut de ceder de-

vant la menace d'une guerre. II eut beau couvrir ce recul

de beaux sentiments philanthropiques et moraux, la con¬

sequence qu'en tirerent ses adversaires fut le mepris pour les soldats anglais qui s'etaient laisse battre, et pour leur

gouvernement si prompt a amener son pavilion. Ce sen¬

timent a domine des lors tous les rapports du Transvaal

avec l'Angleterre. II ne pouvait etre que confirme par la serie d'actes

de faiblesse qui suivit. Une convention avait regie les rapports des deux pays, en 1881. Elle maintenait

la suzerainete de l'Angleterre et tragait au Transvaal

des frontieres sur lesquelles il ne pouvait empieter. Ces

engagements ne furent point tenus. Les Boers cherche-

rent en particulier a s'emparer de nouveaux territoires;

1'Angleterre dut intervenir et envoyer des troupes pour retablir l'ordre et repousser les corps francs qui avaient

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: Vers la paix

574 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

envahi le pays des Bechuanas. Cette campagne, sous le commandement de sir Charles Warren, lui couta de 40 a

50 millions de francs. Elle avait depense 150 millions

apres 1'annexion pour delivrer le Transvaal des menaces d'invasion de Sekukuni et de Cettivayo. Et les Boers

prirent pour point de depart leurs propres violations de la convention de 1881 pour en demander la revision, qui leur fut accordee en 1884 par un acte complementaire, lequel n'a pas ete mieux observe que le precedent. Par- dessus tout, ils avaient cherche la reconnaissance de leur entiere independance. Elle ne leur fut point accordee. On se borna, pour menager leurs susceptibilites, a ne

point parler de suzerainete, mais ils s'engageaient a ne

pas traiter avec des etats etrangers, sauf avec l'etat libre d'Orange, sans le consentement de l'Angleterre, ce

qui constituait au fond la reconnaissance formelle de la suzerainete.

Le president Kruger ne le comprit pas ainsi; sa poli¬ tique etait celle des empietements insidieux. Apres signa¬ ture de la convention a Londres, il se rendit sur le con¬ tinent pour entrer en relations avec des gouvernements europeens, et sa tournee le mena tres tot a Berlin. Lui- meme a raconte dans undiscours prononc^en 1895 dans le Club allemand de Pretoria, qui l'avait invite" a celebrer l'anniversaire de l'empereur Guillaume, ses relations avec le gouvernement imperial. Void quelques passages de ce

discours, qui produisit une grande sensation a l'epoque ou il fut prononce:

« Mes relations avec l'Allemagne Vous savez tous que dans l'annde 1884 j'allai a Londres au sujet de la convention. Le

gouvernement britannique me recut amicalement et modifia ce qui concernait la suzerainete\ Auparavant, je ne pouvais conclure des trace's avec d'autres pays sans le consentement

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: Vers la paix

VERS LA PAIX 575

de S. M. la reine, mais ils me firent bon accueil et la conven¬

tion fut changed. Ils renoncerent a la suzeraiaete' et je devins

libre. Apres quoi je m'en allai a travers l'Europe, et je visitai entre autres lieux l'Allemagne, ou je fus recu par l'empereur. J'avais toujours pense" avant cela que notre re'publique e"tait

regarded comme un enfant a cote" des autres pays, mais l'em¬

pereur me recut comme le reprfeentant d'une re'publique adulte.

Je fus accueilli courtoisement, et pus conclure un traitd, notre

re'publique dtant reconnue comme un pays important. J'ai

toujours eu le plus grand respect pour Guillaume I". Je rencon-

trai, mais seulement a l'occasion, Guillaume II, qui regne maintenant, mais ce que j'ai vu de lui m'a donne" l'impression qu'il suivrait la mtoe ligne de conduite que son grand-pere, et qu'il chercherait a resserrer les liens d'amitie- qui existent entre l'Allemagne et ce pays. J'en ai regu des preuves depuis qu'il regne, et il m'a de'core' de l'ordre de 1'Aigle rouge. J'ai rencontre" aussi son pere, qui m'accueillit tres bien. Je sais que je puis compter sur les Allemands a l'avenir, et j'espere que les Transvaaliens feront de leur mieux pour fortifier ct de"ve-

lopper l'amitie' qui existe entre nous. Quand la convention avec le gouvernement de S. M. la reine fut signe"e, je regar- dais cette re'publique comme un petit enfant, qui devait porter des v£tements d'enfant. Mais, quand l'enfant croit, il a besoin d'habits plus grands, — les anciens e"clatent, — et telle est notre position aujourd'hui. Nous croissons, et quoique nous

soyons jeunes, nous sentons que si une nation essaie de nous donner des coups de pied, l'autre essaiera de l'en empecher. Quand nous avons demands' au gouvernement de S. M. la reine des habits plus grands, il nous repondit: « Eh, eh! » qu'est-ce que cela? » et il ne put comprendre que nous e"tions arrives a la stature d'homme. Quant a cet anniversaire, il m'est tres agreVble de vous voir, vous Allemands, rendre ici

honneur a votre empereur. Vous vous 6tes montre's des ci-

toyens observateurs des lois, et je me sens assure que quand le temps sera venu pour la Rt^publique de porter des habits

plus grands encore, vous aurez contribue" pour beaucoup a

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: Vers la paix

576 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

1'amener. C'est mon voeu de continuer ces relations paci- fiques, et aussi de preter a l'Allemagne tout l'appui qu'un petit enfant peut donner a un homme fait. Le temps vient ou notre amide" sera e"tablie plus fermement que jamais. Je vous de- mande maintenant de boire a l'empereur Guillaume; puisse- t-il continuer a suivre la voie de son grand-pere Guillaume Ier, et puisse-t-il jouir de la benediction de Dieu »

Ce discours n'est peut-etre pas moins remarquable pour ce qu'il tait que pour ce qu'il dit. Le nom meme de Bismarck n'est pas prononce, en partie sans doute par courtoisie envers Guillaume II, mais aussi parce que ce fut avec le chancelier que M. Kruger s'entretint surtout. Les deux hommes etaient faits pour s'entendre. Egale- ment roues, depourvus de scrupules genants, rapproches par une haine commune de l'Angleterre et le desir de la mettre en echec, ils purent combiner ensemble une

politique dont les grandes lignes ont ete marquees par les evenements. Les Allemands, leur commerce et leur industrie furent privilegies au Transvaal. Les tentatives de ce pays pour s'emparer des territoires des Bechuanas de maniere a confiner aux territoires allemands du Da-

mara, tandis que l'Allemagne agissait de son cote dans le meme sens, montrent qu'ils etaient d'accord pour chercher a fermer a l'Angleterre toute extension au nord de ses colonies du sud de l'Afrique, cette extension etant d'ailleurs considered par M. de Bismarck, — dans une

protestation a un agent anglais, — comme hostile aux interets germaniques. Une tentative manquee de s'em¬

parer de la baie de Sainte-Lucie et du territoire adjacent sur la cote du pays des Zoulous ajoute des preuves de l'accord qui existait entre les deux gouvernements, et M. Kruger n'avait certainement pas laisse ignore a Bis-

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: Vers la paix

mmmm

VERS LA PAIX 577

marck son idee de l'Afrique aux Afrikanders du Zam- b)eze a Simon's-Bay. Ici pourtant, ils etaient a deux de

jeu. Si le chancelier revait de faire travailler M. Kruger pour le roi son maitre, le president boer voyait aussi sa

republique devenue tellement grande qu'elle pourrait chasser les Allemands apres les Anglais, car c'etait ainsi seulement que pouvait se realiser son ideal de domina¬

tion, meme si l'AUemagne gagnait la premiere manche, c'est-a-dire obtenait le protectorat de l'Afrique du sud

apres avoir aide aux Boers a en expulser les Anglais. Quoi qu'il en soit, le discours Kruger ne passa pas

inapergu en Angleterre, car il affirmait que le Transvaal

comptait sur l'appui effectif de l'Allemagne, et le gou- -vernement anglais attira officiellement l'attention du

gouvernement de Berlin sur les dires du president

Kruger, en protestant contre 1'attitude du gouvernement allemand qu'ils revelaient. C etait presque un an avant l'affaire Jameson, et l'on peut comprendre sans peine l'effet que produisit en Angleterre le fameux telegramme de Guillaume II a M. Kruger qui confirmait les allega¬ tions de celui-ci.

II

Tres probablement ce telegramme lui a ete fatal en le portant a admettre qu'il pouvait en tout cas compter sur l'appui de l'Allemagne. On croit aisement ce qu'on desire. S'il avait possede les connaissances politiques ne- cessaires a un homme qui voulait jouer le role auquel il

aspirait, il etait assez fin pour se rendre un compte exact de la situation. Malheureusement pour lui et pour son pays, il etait reste, comme la plupart des Boers, assez igno-

bibl. univ. xvm 37

A — This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PM

All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: Vers la paix

578 BIBLIOTHEQUE universelle

rant de la politique pour etre oblige de s'en rapporter a ses employes hollandais et allemands, qui devaient entrer dans ses vues pour garder sa faveur. C'est sans doute le Dr Leyds, son agent aupres des cours euro-

peennes, qui l'a le mieux fourvoye, parce qu'il a com¬ mence par se fourvoyer lui-meme. Non seulement on se

croyait sur a Pretoria de l'appui effectif de 1'Allemagne, s'il devenait necessaire, mais on se figurait probablement que d'autres puissances, la Russie, la France, les Etats-

Unis, pourraient prendre fait et cause pour les republi- ques. Nous avons montre jadis1 combien ces vues etaient erronees.

Ce n'est pas tout. La diplomatic europeenne, con¬

sulted, exprima sa conviction qu'en presence d'une guerre, le gouvernement anglais cederait plutot que de s'embar-

quer dans une aussi grosse aventure. Ceci concordait telle- ment avec les experiences de M. Kruger, qu'il ne faut pas

trop s'etonner de sa credulite. N'avait-il pas presque constamment reussi a arracher a 1'Angleterre les conces¬ sions les plus importantes, et viole tous ses engagements sans en recevoir d'autres eclaboussures que d'etre oblige

parfois de reculer? Elle avait cede apres Majuba-Hill, et dans d'autres occasions; ne cederait-elle pas plus en¬

core lorsqu'elle se trouverait en presence d'un etat bien

arme et bien appuye? En outre, les agents du Transvaal en Europe avaient

reussi a soulever 1'opinion publique contre 1'Angleterre

pendant les longues negotiations qui ont precede la

rupture, ce qui a grandement contribue a tromper M. Kruger. II ne s'est pas rendu compte de ce que ce.

soulevement, cree par ses propres agents, avait d'arti-

ficiel, et il s'est laisse griser par l'echo de sa propre voix.

1 La guerre du Transvaal et I'Europe. Livraison de mars 1900.

mtm This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PM

All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: Vers la paix

VERS LA PAIX 579

Comment pouvait-il etre vaincu avec toute 1'Europe

pour appui? L'Angleterre a aussi contribue a le tromper sans le vouloir. Dans ce pays, toutes les causes peuvent etre soutenues, meme contre le sentiment public, et les

Boers y ont trouve des l'origine des partisans d'autant

plus violents peut-etre qu'ils se sentaient moins nom-

breux. Ces oppositions egarent presque toujours les

etrangers, qui se figurent etre en presence d'une nation

divisee contre elle-meme, alors que la majorite est par- faitement resolue.

Enfin, on se figurait, et non pas seulement au Trans¬

vaal, que 1'Angleterre, avec sa petite armee, serait inca¬

pable d'envoyer en Afrique des forces suffisantes pour venir a bout d'un peuple dont on s'est plu jusqu'a ces derniers temps a exagerer les ressources en hommes, —

on disait jadis couramment qu'il disposait d'une armee

de plus de cent mille hommes, — avec toutes les diffi-

cultes d'un transport par mer a une grande distance et d'un ravitaillement des troupes a des centaines de kilo¬ metres du port de debarquement.

Toutes ces previsions flatteuses ont ete renversees. Si

1'Angleterre est profondement amie de la paix et lente a

s'engager dans des luttes pour lesquelles elle n'est point

preparee, si elle est disposee a beaucoup de concessions

pour les eviter, il est des situations devant lesquelles elle n'hesite jamais, et, une fois decidee, elle met toute

sa puissance a defendre ses droits.

M. Kruger ne l'a pas compris lorsqu'il a envoye son

ultimatum insolent, auquel on ne pouvait repondre que

par les armes. Ou bien, ce qui est plus probable de beau¬

coup, il s'est cru en mesure de battre l'Angleterre, avec

1'assurance de trouver, en cas d'echec, des amis qui reta-

bliraient sa fortune compromise et lui viendraient en

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: Vers la paix

58o BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

i)\

aide d'une maniere ou de l'autre. De la, lorsque ses affaires ont mal tourne, les efforts du Dr Leyds aupres des gouvernements europeens, et 1'envoi en Europe d'une

deputation qui n'a pas ose s'aventurer hors de la Hol-

lande, et qui se trouve maintenant en Amerique, ou on la regoit avec des sympathies bruyantes, mais ou elle n'obtiendra pas autre chose.

Rien ne prouve mieux qu'il a bien voulu la guerre et

qu'il l'avait preparee de longue main. L'aurait-il engagee s'il avait prevu ce qui est arrive? On peut croire que non. A lire assidument l'Ancien-Testament, il y a puise une foi tenace, mais mal eclairee, et il s'est cru bien faussement le representant de la justice de Dieu, parce qu'il n'y a vu que ce qu'il lui plaisait de voir. La partie de la Bible qui concerne le peuple juif n'est-elle pas pleine deja de recommandations a exercer la misericorde, a bien traiter les serviteurs et les etrangers, a venir en aide au prochain, a observer la justice? Ce que les pro- phetes condamnaient chez les Juifs, denongant leurs mauvaises actions et les menagant, s'ils ne changeaient, des jugements qui sont reellement tombes sur eux, un

peuple moderne peut-il le faire, en opprimant les etran¬

gers et les negres qui habitent son pays, avec la certi¬ tude que Dieu benira ses entreprises?

Du reste, en dehors des Juifs, il n'y a plus de peuple elu, et les nations chretiennes sont tenues a d'autres de¬

voirs, que les Boers paraissent n'avoir jamais compris et dont le premier est de cultiver la paix et non la guerre. Celle-ci ne se justifie que lorsqu'elle est vraiment defen¬

sive, ce qui n'est certes pas le cas de la lutte actuelle, preparee et cherchee depuis de longues annees, afin d'etablir la predominance d'une race sur d'autres, en re-

poussant toutes les conquetes liberates nees de 1'esprit

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: Vers la paix

VERS LA PAIX 58l

Chretien, qui ont ete l'honneur de notre siecle et ont

valu au monde une vie infiniment plus elevee et meil-

leure que celle des siecles passes.

Ill

Le siecle qui va s'ouvrir serait-il done le temoin, dans

l'Afrique du sud, d'un recul de la civilisation Cela parait

impossible, et les evenements de guerre recents vont tous

dans un autre sens. Les troupes anglaises avancent lente-

ment, mais deliberement. Apres Kimberley et Ladysmith,

Mafeking vient d'etre delivre. Les garnisons de ces villes

ont fourni un exemple admirable de courage tenace et

de force persistante dans les circonstances les plus cri¬

tiques, et maintenant e'est aux Boers de montrer leur

valeur dans la defaite et le malheur.

Le spectacle qu'ils donnent n'est pas fait, il faut en

convenir, pour justifier tous les eloges qui leur ont ete

prodigues au temps ou ils etaient les plus forts. On ne

saurait douter de leur decouragement. Un grand nombre

d'entre eux deposent leurs armes et se rendent. Ceux

qui restent dans les rangs n'attendent plus guere l'ennemi; ils s'en vont. Comment et pourquoi Parce qu'ils ne sont

nullement les heros de roman qu'on a dit. Ce sont des

hommes courageux, ils l'ont montre, mais avec assez de

bon sens pour ne pas se sacrifler inutilement. Trop igno- rants pour se rendre compte de la politique, ils ont suivi

leurs chefs, les uns parce qu'ils avaient confiance en eux, les autres parce qu'ils y ont ete contraints, et ils ont ete

fideles au drapeau aussi longtemps que le succes l'a

accompagne; mais, quand ils se sont trouves en presence de forces irresistibles, il etait dans la nature meme des

choses qu'ils cedassent, sans prolonger une bataille qui ne

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: Vers la paix

582 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

peut plus qu'aggraver leur deroute. Leur organisation assez lache, leur discipline peu stricte, leurs habitudes

d'independance personnelle les y portent d'ailleurs, et si les uns s'en vont dans leurs foyers, tandis que d'autres montrent de la repugnance a continuer la lutte, la guerre pourra cesser de la maniere la plus simple, faute de com- battants.

Ceux qui resteront pour resister encore seront les

troupes soldees, qui n'ont ni foyer ou se retirer, ni occu¬

pations qui les reclament, et qui demeureront fideles au

drapeau parce qu'ils ne sauraient ou alter. Combien y en a-t-il? Un assez bon nombre des etrangers etablis au Transvaal comme artisans, ouvriers, se sont engages dans l'armee, parce qu'ils y ont ete forces, ou parce que la guerre les a prives de leurs moyens d'existence. Un cas au moins est connu, certain, qui n'est probablement pas le seul, ou un riche boer a achete un remplagant. Depuis le commencement des hostilites, un assez grand nombre de volontaires sont arrives de tous pays pour prendre part a la guerre, troupes soldees, qui tendraient avec le temps a predominer, parce que l'etat a des fonds en suffisance pour les payer et qu'il cherche a menager ses citoyens peu nombreux. Les troupes de l'Etat libre

d'Orange et les corps etrangers ne se sont-ils pas plaints souvent d'etre places aux endroits les plus dangereux Si les Boers l'emportaient, il parait certain qu'il en reste- rait une armee de mercenaires qui serait une menace non seulement pour les etats voisins, mais pour les Trans- vaaliens eux-memes, dont les liberies seraient bien com¬

promises, car elle donnerait une force presque irresistible a l'oligarchie qui domine deja et qui connait le moyen de se maintenir au pouvoir meme par les elections des autorites.

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: Vers la paix

VERS LA PAIX 583

Ce qui a fait la force de l'oligarchie dans ces dernieres

annees, — et sa faiblesse a d'autres egards, — c'est la gran¬ deur des ressources dont elle a dispose. L'exploitation des

mines n'a pas seulement repandu la richesse dans le pays, dont les denrees se vendaient facilement a de bons prix, elle a permis au gouvernement de prelever par l'impot sur les compagnies minieres des sommes vraiment insen-

sees. En 1898, pour une population d'un peu plus de

300000 ames, ou les Boers sont en minorite, le nombre

des citoyens actifs, c'est-a-dire ayant droit de vote, etait

inferieur a 30000. Or, les revenus de l'etat dans les der¬

nieres annees se sont eleves a no millions de francs, dont les electeurs n'ont paye qu'une infime partie. A

quoi ont servi ces sommes considerables Le quart a peu

pres du budget, soit 25 a 30 millions, est alloue aux fonc-

tionnaires, pour la plupart etrangers, auxquels il avait ete

remis, avant 1897, sous forme d'avances, 60 millions de

francs. Une somme superieure est employee en prepa- ratifs militaires, achat d'armes et de munitions, construc¬

tion de fortifications, etc. De nombreux millions se par-

tagent entre les fonds secrets, employes surtout en

Europe, les autorites de l'etat, les largesses faites aux

electeurs influents. Ces depenses enormes n'etant con-

trolees que par ceux qui en ont le benefice, il ne faut pas s'etonner si elles ont produit une grande corruption. Le

nombre des participants est restreint, mais il comprend tous les membres de l'oligarchie qui gouverne le pays et qui y trouve aussi le moyen de faire cesser toute

opposition. Si les Uitlanders, qui payaient la plus grande partie

des impots, avaient ete admis, meme en petit nombre, a controler l'emploi des sommes considerables qu'ils fournissaient au tresor public, il est evident que la situa-

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: Vers la paix

584 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

tion aurait du changer, que le gaspillage des ressources au profit de quelques centaines de Boers aurait du cesser

peu a peu, en partie tout au moins, et qu'il aurait fallu

employer les fonds pour 1'avantage de -l'ensemble du

pays. On comprend facilement pourquoi M. Kruger et ses amis n'ont jamais voulu consentir a cette participation, qui les menagait dans l'essence de leur pouvoir. Ils vou- laient pouvoir continuer a administrer a leur gre des revenus croissants. C'est en cela que consistait pour eux

1'independance et la liberte, et pour cela qu'ils ont fait la guerre. S'ils y avaient vu une question de nationality,, ils auraient appele a leur aide, pour 1'administration du pays, les colons hollandais du Cap, qui seraient venus, et non des etrangers europeens. Seulement, ceux-ci faisaient tout ce qui leur etait commande, tandis que les autres auraient voulu avoir une part reelle au gouvernement, ce dont M. Kruger ne voulait pas plus que de celle des Uitlanders.

II s'etait d'ailleurs arrange a etre le maitre souverain. Toute l'instruction donnee aux enfants boers se fait dans la langue taal, qui est un patois informe et ne possede aucune litterature. Les Boers seuls la parlent, et en les

y confinant, on les soustrayait a toutes les influences du dehors, les maintenant dans une ignorance qui a con- fondu tous ceux qui ont pu s'en rendre compte, mais etait precisement ce que voulaient les meneurs du Trans¬ vaal. Ces populations bornees etaient absolument dans leurs mains, incapables de penser autrement qu'ils ne le voulaient, et d'aspirer a une vie plus elevee et meil- leure. Que leur a-t-on dit, que leur a-t-on fait croire pour les amener, sinon a consentir a la guerre, du moins a s'y soumettre L'avenir sans doute le fera connaitre.

Un pareil regime est la negation meme de la liberte.

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 20: Vers la paix

VERS LA PAIX 585

On ne peut pas davantage y voir une nationalite. Si l'o-

ligarchie boer etait parvenue a ses fins, c'est-a-dire a chasser 1'element anglais, et a dominer tout le sud de

l'Afrique grace a ses ressources financieres et a sa puis¬ sance militaire, il en serait resulte un immense recul de la civilisation. L'Europe pouvait-elle y participer en lui

portant secours, comme on l'a demande, avec la presque certitude d'engager, par son intervention, cette guerre

generate, redoutee avec raison comme pouvant entrainer un bouleversement universel? Les gouvernements ont ete plus sages que leurs administres, parce qu'ils en sa-

vaient plus long qu'eux. Tous ont refuse, meme celui de

Hollande, de prendre parti contre 1'Angleterre, qui repre- sente reellement ici toutes les idees modernes et civi- lisees.

IV

L'interet de 1'Europe a la paix prochaine est tres

grand. Toutes les fois qu'un foyer de guerre possible est

supprime, 1'humanite peut s'en feliciter hautement. Celui

qui existait au Transvaal etait l'un des plus dangereux. Un pouvoir militaire entre les mains d'une oligarchic ambitieuse et pourvue de ressources abondantes, dans

un pays lointain, peu accessible, ou il ne se trouvait pas d'autre pouvoir qui lui fit contre-poids, bien plus, ou

il aurait ete soutenu pour des raisons de race par une

population nombreuse, etait devenu pour le monde un

danger grave et incessant. Si M. Kruger avait attendu

que l'Angleterre fut serieusement engagee autre part dans une guerre, — peut-etre etait-ce son avis, — il est

probable qu'il aurait reussi et fonde un empire guerrier, envahissant, dont 1'existence aurait ete un peril contre

lequel les autres pays auraient du se garer. En tout cas,

M This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PM

All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 21: Vers la paix

586 BTBLIOTHEQUE UNTVERSELLE

lorsqu'il a commence la lutte, il avait fait son compte d'etre secouru par une ou plusieurs puissances euro-

peennes coalisees contre l'Angleterre, c'est-a-dire qu'il esperait une conflagration generate, et que pour arriver a ses fins il lui aurait ete plutot agreable de voir mettre en question ou disparaitre cette civilisation europeenne qu'il repousse et deteste.

Heureusement que, par une de ces dispensations ou il est permis de voir la main de la Providence, le Trans¬ vaal n'a pas pu attendre 1'occasion favorable et a ete amene a commencer sa grande entreprise a un moment ou 1'Angleterre avait ses forces intactes, et ou soit 1'Eu¬

rope, soit les Etats-Unis d'Amerique etaient hors d'etat d'intervenir dans une querelle qui ne les concernait d'ailleurs en rien.

Et, comme on le verra toujours mieux, la victoire de

l'Angleterre ne sera pas seulement celle de notre civili¬

sation, chretienne malgre tout, sur un regime du moyen age, guerrier et conquerant, egare dans notre monde mo- derne: elle supprimera de fait une menace infiniment

grave a la paix generate, comme nous l'avons indique tout a l'heure. On peut etre certain deja qu'elle ne le fera pas uniquement d'une maniere passive, mais qu'elle la remplacera par une force active d'expansion qui pro- met au sud de 1'Afrique une prosperity propre a effacer

promptement les traces de la guerre actuelle.

L'experience a montre que les mines d'or, en attirant irresistiblement des foules nombreuses d'hommes avides d'aventures et de richesses, ont servi en plusieurs occa¬ sions a peupler des contrees qui seraient demeurees sans cela desertes ou a peu pres. Ainsi se sont faites la Cali- fornie et plusieurs parties de l'Australie. Apres quelques annees l'or s'epuise, la population demeure. Le regne des

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 22: Vers la paix

VERS LA PAIX 587

aventuriers est limite au temps ou ils peuvent exploiter, sans capitaux autres que leurs bras, les affleurements.

Lorsqu'il faut creuser des tranchees profondes, extraire l'or du roc auquel il se trouve melange, leur moment est

passe; l'exploitation ne peut plus se faire qu'au moyen de grands capitaux, de travaux d'art difficiles, de ma¬

chines, et d'un nombreux personnel d'ingenieurs, de

comptables, de contre-maitres et d'ouvriers de premier ordre.

Ainsi en est-il alle au Transvaal. Depuis longtemps l'extraction de l'or est devenue une industrie comme une

autre, ou les gros travaux manuels ont ete faits par les

negres, tandis qu'une foule d'hommes distingues par leur

habilete comme par leur moralite etaient appeles a la

direction technique et commerciale d'entreprises ou des

milliards en capital ont ete engages, et qui ne pouvaient

par cela meme etre confiees qu'a des hommes d'une ca¬

pacity superieure. Ils n'etaient done point un element de

desordre, mais de progres, comme leurs employes et

ouvriers europeens, et ils auraient ete un ressort puis¬ sant de developpement pour le pays, comme ailleurs, s'ils n'avaient ete tenus par le gouvernement comme

hostiles a son pouvoir. M. Kruger et ses partisans vou¬

laient bien avoir le benefice de leur travail, a la condi¬

tion de les laisser a l'ecart et de les traiter de maniere

a leur enlever toute velleite de se joindre a la commu-

naute. En cela, il a meconnu la puissance des lois natu-

relles et de l'esprit moderne, qui ne peuvent pas a la

longue permettre a une minorite d'imposer son joug a la

majorite, cette derniere fut-elle etrangere. Dans un re¬

gime de liberte, l'industrie de l'or, au lieu d'etre une

cause de trouble, deviendra un moyen puissant de pros¬

perity et de peuplement du pays.

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 23: Vers la paix

588 B1BLI0THEQUE TJNIVERSELLE

Ce n'est pas tout. La guerre, si elle a entraine beau¬

coup de maux et de miseres, n'aura pas ete sans produire quelque bien. Elle a mis les Boers en contact les uns avec les autres, et tous avec les etrangers nombreux

qui se sont battus avec eux et pour eux. II faudrait vraiment desesperer d'eux et de leur avenir s'il ne leur etait reste de ces frottements aucun elargissement d'idees, d'intelligence, de connaissances. La guerre les a prepares a se laisser penetrer par des pensers nouveaux, qui les

rapprocheront de la civilisation qu'ils ont repoussee sou- vent faute de la connaitre. On ne doit pas croire qu'ils fussent unanimes dans leur boerisme. Les plus intelli-

gents d'entre eux, qui n'avaient pas trouve place dans les cadres de l'oligarchie, pour une raison ou pour une autre, n'etaient point hostiles au regime anglais. Au contraire, parfois ils le preferaient. Le meme fait se retrouve, plus marque probablement, parmi les colons hollandais de

1'Orange, du Natal et du Cap. Ils ont ete comprimes depuis une vingtaine d'annees par 1'association qui s'ap- pelle 1'Afrikander Bond, peu nombreuse, puisqu'elle ne

comptait, en 1898, pour la colonie du Cap, que 11487 membres, repartis dans 316 unions locales, mais tres dis¬

ciplined et bien organisee, ayant des representants par- tout, et qui a pese sur 1'element hollandais d'un poids irresistible. Dans les petites localites, et il n'y en a guere d'autres en Afrique, toute personne qui essayait de se soustraire a cette pression etait boycottee socialement de telle maniere qu'elle etait obligee de se soumettre ou de se demettre, c'est-a-dire de s'en alter, et l'association a obtenu ainsi une puissance telle que, quoique l'element hollandais ne constitue que le 40 °/o de la population du

Cap, il a reussi a elire la majorite des representants aux chambres. L'Afrikander Bond a ete le ressort le plus

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 24: Vers la paix

VERS LA PAIX 589

actif de disaffection a l'egard de l'Angleterre et de riva-

lite des races dans l'Afrique du sud. II faut esperer qu'il ne survivra pas a la guerre dont il a ete sinon l'inspira- teur, au moins le soutien, et lorsque son pouvoir despo-

tique et tyrannique aura ete supprime, bien des colons

de souche hollandaise respireront plus librement et pour- ront montrer leur reconnaissance a ceux qui leur auront

rendu leur independance personnelle. Les mines d'or, le travail abondant et bien retribue

qu'elles offraient avaient attire au Transvaal beaucoup

d'immigrants europeens. Ceux-ci ne pouvaient guere s'y livrer a l'agriculture. Systematiquement, ils en etaient

empeches autant que possible. Sous un regime plus libe¬

ral, interesse a la vraie colonisation, il en sera sans doute

autrement. Des terres, dont il existe une abondance, seront mises a leur disposition. La guerre a fait connaitre le pays et ses ressources. Elle y determinera un nou-

veau courant d'emigration. Beaucoup des soldats anglais ne sont engages que pour la duree des hostilites. A ceux

d'entre eux qui voudront s'etablir au Transvaal et y faire venir leur famille, il est question de le leur faciliter. Ce serait un excellent moyen de peupler de vastes terri¬

toires, de les developper, de mettre aussi les Boers

en contact avec des hommes moins retardes qu'eux, et

d'amener peu a peu une fusion des races tres necessaire

a la prosperite generate. Ce ne sera peut-etre pas aussi

difficile qu'il y a vingt ans. Les Boers, battus, n'auront

plus de raisons de mepriser les Anglais, comme ils le

faisaient depuis Majuba-Hill. En outre, les mines d'or

ont repandu parmi eux une aisance et des besoins qui faciliteront le rapprochement. La liberte, toujours fe-

conde, achevera l'ceuvre.

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 25: Vers la paix

590 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE

V

Nous ne pouvons quitter ce sujet sans relever encore un point d'une importance capitate pour l'Europe. La

guerre d'Afrique a mis en evidence d'une part que l'ar- tillerie, malgre ses progres incontestables, est beaucoup moins effective en pratique qu'on ne l'avait suppose theoriquement; de 1'autre que les armes d'infanterie, au contraire, sont devenues tres redoutables entre les mains de bons tireurs qui savent utiliser le terrain, se servir de tranchees protegees contre les assauts a l'arme blanche

par des ronces artificielles; que les attaques de front en sont devenues presque impossibles, ce qui donnera a la

guerre defensive une force toute nouvelle, dont la Suisse en particulier aura tout lieu de se feliciter.

Un auteur anglais, M. H. W. Wilson, en est meme arrive a penser que la politique europeenne en sortira transformee. Pour lui, la guerre du Transvaal est un

coup porte a la preponderance militaire allemande. Jus- qu'ici, pense-t-il, la France a souffert de la menace d'une invasion germanique qu'elle ne se sentait pas en mesure de repousser par ses seules forces. Mais une pa- reille invasion, si la neutralite de la Suisse et de la Bel-

gique est respectee, ne pourrait s'accomplir qu'en brisant la ligne de forteresses etablie depuis 1871 pour la protec¬ tion de la frontiere frangaise. Pour surmonter cet obs¬

tacle, les Allemands comptaient sur leur artillerie. Leur

desappointement est complet. Au Transvaal, rartillerie

anglaise n'a pu ebranler la defense des Boers, restee in- tacte aussi longtemps que l'infanterie n'a pas attaque, et souvent elle l'a fait vainement, avec de grandes pertes. L'exemple classique est celui de Paardeberg, ou le gene-

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 26: Vers la paix

VERS LA PAIX 5gi

ral Cronje, retranche sur les bords d'une riviere, a subi

pendant plusieurs jours un feu d'artillerie infernal en ne

perdant que 200 hommes, et ne s'est rendu qu'au mo¬

ment ou l'achevement d'une parallele allait fournir aux

Anglais le moyen de donner un assaut a l'arme blanche. L'extreme difficulte des attaques de front est un se¬

cond desappointement pour les Allemands qui pour- raient songer a l'invasion. D'autant plus que les Boers

ont demontre la facilite avec laquelle des lignes etendues

pouvaient etre defendues avec des forces restreintes. A

Maggersfontein, ils ont tenu une ligne de plus de 30 kilo¬

metres de front avec 10,000 hommes, c'est-a-dire avec

330 hommes par kilometre. La frontiere franco-alle- mande n'etant guere que de 250 kilometres, les Frangais

pourraient l'occuper tout entiere avec 250 a 300,000 hommes, ou mille hommes par kilometre, ce qui leur

permettrait de masser en arriere leurs armees et d'em-

pecher les troupes allemandes de frapper de grands

coups au debut de la campagne en profitant de leur plus

prompte mobilisation. La France, n'ayant plus a redou- ter une invasion, redeviendrait libre de ses mouvements.

La derniere phase de la guerre du Transvaal sur les

plateaux de l'Etat de l'Orange ne justifie pas tout-a-fait ces dernieres deductions, qui renferment cependant une

part de verite que les etats-majors auront a degager pour en tirer parti. Ce qui demeure, neanmoins, c'est que la guerre clevra prendre desormais un autre caractere,

qu'il ne sera plus necessaire de garder de puissantes armees permanentes si un grand nombre d'hommes dans

chaque pays sont exerces au maniement et a l'emploi habile du fusil, ce qui peut s'apprendre en grande partie concurremment avec les occupations de la vie civile. Les

Anglais le pensent certainement. Ils ne veulent pas re-

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 27: Vers la paix

592 BBSLIOTHEQUE UNIVERSELLE

courir a la conscription pour leur armee, ni augmenter beaucoup celle-ci, mais ils vont s'efforcer de mettre un

grand nombre de citoyens en mesure de cooperer effica- cement a la defense du pays, si cela devenait necessaire, et leurs experiences seront certainement pleines d'en-

seignements pour 1'Europe. Peut-etre en sortira-t-il un commencement de desar-

merrTent general, une diminution du temps de service et une reduction des armees. S'il en etait ainsi, cette guerre aurait plus fait pour la paix du monde que rien de ce que Ton a vu depuis un temps immemorial, et il faudrait se feliciter de ce que l'Angleterre a pu la mener a bonne

fin, en depit de l'hostilite de 1'Europe, sans etre entravee

par des mediations ou des interventions pleines de dan¬

gers, alors qu'elle travaillait de toutes manieres a assu¬ rer la paix generate.

Ed. Tallichet.

This content downloaded from 188.72.127.150 on Sun, 15 Jun 2014 21:55:54 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions