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Vieillissement et parcours de fins de carrières : contraintes et stratégies Extrait de la publication

Vieillissement et parcours de fins de carrières ...… · l’encontre de l’âge qui s’exerce en matière de recrutement dans les entreprises. Ainsi, le détour par le Japon

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Vieillissementet parcours de fins de carrières :

contraintes et stratégies

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Avec les contributions de :

Roxana Eleta de FilippisGuillaume Huyez-Levrat

Alexandre IellatchitchHae Ran Kim

Miyako Nakamura FujimoriMarielle Poussou-Plesse

Jean-Philippe Viriot-Durandal

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Sous la direction de

Daniel Reguer

Vieillissementet parcours

de fins de carrières :contraintes et stratégies

Préface d’Anne-Marie Guillemard

Pratiques gérontologiques

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Conception de la couverture :Anne Hébert

Version PDF © Éditions érès 2012CF - ISBN PDF : 978-2-7492-2978-2Première édition © Éditions érès 2007

33, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse, Francewww.editions-eres.com

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Table des matières

PRÉFACE, Anne-Marie Guillemard. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11Daniel Reguer

ÂGES : ENTREPRISES, POLITIQUES PUBLIQUESET SALARIÉS

DÉFINIR LES SALARIÉS VIEILLISSANTS. DES SEUILS D’ÂGES

AU SEUIL DE LA DÉSAFFILIATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Guillaume Huyez-Levrat

L’INSÉCURITÉ DE L’EMPLOI POUR LES SALARIÉS ÂGÉS

ET LEUR RÉORGANISATION POUR LA SECONDE MOITIÉ DE LEUR VIE 51Hae Ran Kim

LE MODÈLE DU « VIEILLISSEMENT ACTIF » AU JAPON :ACTIVISME FORCÉ OU EXEMPLAIRE ORIGINAL ? . . . . . . . . . . . . . . . 75

Miyako Nakamura Fujimori

SOCIOLOGIE D’UNE RÉFORME : L’ÉMERGENCE DE FONDS

DE PENSIONS PRIVÉS EN ARGENTINE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107Roxana Eleta De Filippis

S’ENGAGER, EN FIN DE CARRIÈRE

DU PRINCIPE D’UNE « SECONDE PARTIE DE CARRIÈRE »À LA DÉFENSE D’UNE CAUSE DES « QUINQUAS » . . . . . . . . . . . . . . . 127

Marielle Poussou-Plesse

REGARDS CROISÉS SUR LES ORGANISATIONS REVENDICATIVES

DE RETRAITÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157Jean-Philippe Viriot-Durandal

L’ÂGE SYNDICAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189Alexandre Iellatchitch

CONCLUSION. ACTEURS MULTIPLES EN FIN DE CARRIÈRE . . . . . . . 219Daniel Reguer

BIBLIOGRAPHIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231

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Préface

Ce livre vient à point nommé à l’heure où le vieillissementdes populations est volontiers perçu comme une catastropheengendrant le recul de la « Vieille Europe » dans la compétitiondésormais mondialisée. Il met en évidence qu’il n’y a pas dedéterminisme démographique strict. Les transformations de lastructure par âges ne dictent ni les conduites, ni les politiques.Elles jouent comme un ensemble nouveau de contraintes, aux-quelles chaque société fera face en fonction du sens qu’elledonne à l’âge.

Les analyses sociologiques rassemblées dans cet ouvragesont le fruit des échanges fructueux et des coopérations qui sesont noués, dans le cadre du séminaire doctoral que j’anime,entre des générations successives de doctorants et leurs aînésdevenus chercheurs ou enseignants-chercheurs. Elles conver-gent pour rappeler que l’âge est un construit social. Il s’agitd’une donnée relative, à considérer dans un contexte. En cela,ce livre démontre que la sociologie peut faire œuvre utile etéclairer les grands problèmes de société d’un jour nouveau enpermettant de dépasser les idéologies et les stéréotypes.

Le thème central du livre se prête particulièrement bien àcet exercice salutaire. La question du vieillissement de la main-d’œuvre qui y est traitée est l’une des interrogations majeuresque doivent affronter aujourd’hui tous les pays développés. Onsait que ces derniers connaîtront dans un horizon proche unvieillissement accéléré de leur population active, dont près de lamoitié aura dépassé 45 ans. Or, le tout premier facteur de dis-crimination dans l’emploi est celui qui s’exerce à l’encontre del’âge. Ce phénomène est massif actuellement et il joue tout par-ticulièrement à l’encontre des plus de 45 ans, comme vient de le

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PRENDRE SOIN D’UN PROCHE ÂGÉ8

mettre en évidence, pour la France, le tout récent baromètrecontre les discriminations (novembre 2006).

Ce n’est pas le moindre mérite du livre que de permettre dedénaturaliser la notion d’âge et de nous en proposer une ana-lyse relationnelle. En mobilisant systématiquement, tant lasociologie des âges et du parcours de vie, que le détour parl’étranger, les différentes contributions remettent en cause lesidées reçues sur l’âge et la représentation de ses performancesau travail. Elles démontrent que l’âge revêt des significationsdifférentes selon les pays et selon la manière dont leurs poli-tiques publiques et leurs organisations fixent, par exemple,l’âge de travailler ou de cesser le travail. Ainsi, la contributionde Miyako Nakamura-Fujimori sur le Japon met en évidenceque la dépréciation et la marginalisation des travailleurs d’âgeavancé n’est pas présente au Japon, où l’âge médian de sortiedu marché du travail est de 68 ans. Le vieillissement actif y estpratiqué sur une large échelle. Par contraste, la situation fran-çaise, telle qu’elle est analysée par Guillaume Huyez-Levrat ouMarielle Poussou-Plesse, se caractérise par une forte stigmati-sation du travailleur d’âge élevé. L’âge médian de sortie dumarché du travail est de 58 ans. Il reflète l’ampleur et la pré-cocité des processus de mise à l’écart du marché du travail quifrappe les seniors en France. Le premier auteur met en évidencequ’un salarié défini comme vieux par son entreprise est celuiqui connaît une dépréciation et une marginalisation sur lemarché interne du travail. La seconde auteure montre qu’à lacinquantaine, les cadres en repositionnement professionnel sevoient conseiller par les intermédiaires de l’emploi de ne pasmentionner leur âge dans leur CV de candidature au recrute-ment, afin d’obtenir un entretien d’embauche. Ce conseil d’oc-cultation en dit long sur l’ampleur de la discrimination àl’encontre de l’âge qui s’exerce en matière de recrutement dansles entreprises.

Ainsi, le détour par le Japon permet de prendre conscienceque ce qui semble consubstantiel de l’âge élevé en France ne vapas de soi dans d’autres contextes. Ce que l’on a pris l’habitudede considérer, en France, comme des caractéristiques substan-tielles du travailleur âgé : moindre productivité, incapacitésmultiples, attitudes de résistance au changement, n’ont rien denaturelles. Elles constituent des faits de culture. C’est en celaque j’ai avancé la notion de « cultures de l’âge » que j’ai définiecomme « un ensemble de valeurs et de normes partagées sur lesmanières de problématiser la question de l’avance en âge et sur

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PRÉFACE 9

Anne-Marie GUILLEMARD, L’âge de l’emploi. Les sociétés à l’épreuve duvieillissement, Paris, Armand-Colin, 2003, p. 20.

les réponses à y apporter 1 ». J’ai montré que ces cultures de l’âgedistinctes résultaient largement de configurations particulièresde politiques publiques d’emploi et de protection sociale. Ellesreprésentent l’impact cognitif de ces politiques publiques et desprincipes de justice et de traitement équitable que ces politiquesvéhiculent. Le cas coréen, présenté dans cet ouvrage, constitueune bonne illustration d’une culture de l’âge particulière et deson élaboration.

Une fois ce livre refermé, il me semble que le lecteur auradépassé bien des analyses réductrices des implications duvieillissement démographique sur nos sociétés.

En premier lieu, son attention sera attirée sur l’importancedes conséquences du vieillissement de la population active, alorsque la thématique du vieillissement démographique est le plussouvent abordée, soit sous l’angle de la connaissance de la popu-lation âgée (les 60 ans et plus) et des problèmes qui en découlenten matière de financement des retraites notamment, soit sur leregistre de la montée du grand âge dépendant, avec le poidscroissant des plus de 80 ans.

En second lieu, le lecteur sera à même de remettre en causela pertinence des classements et des catégorisations de l’âge,tels qu’ils s’imposent à nous à travers les politiques publiqueset la gestion des organisations. Ils apparaîtront désormaispour ce qu’ils sont, des étiquetages, parfois des stigmatisations,jamais des faits de nature.

Anne-Marie Guillemardprofesseur des universités Paris 5-Sorbonne

et Institut universitaire de France

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Daniel REGUER, maître de conférences en sociologie, université duHavre, CIRTAI (CNRS, FRE 2795), IUT Carrières sociales, membre duGroupe d’étude sur l’Europe des cultures et des solidarités (GEPECS) del’université de Paris 5.1. M. Brizon, Chambre des députés, séance du 19 décembre 1911,J.O. du 20 décembre 1911, p. 4078.2. La loi sur les retraites ouvrières et paysannes (ROP) est adoptéele 5 avril 1910.

Daniel Reguer

Introduction

La retraite : un problème actuel ?

Malgré quelques esquisses colbertiennes, en 1673, pourles invalides marins, le phénomène de la retraite, collective-ment organisé sur le critère de l’âge, est nouveau dans l’his-toire de l’humanité. « Ce problème [la retraite] est… l’un desplus considérables qui se pose internationalement à l’heureprésente 1 », déclarait M. Bizon, à l’Assemblé nationale le19 décembre 1911. Ce « problème considérable » l’est moinspour des raisons liées au financement du non-travail, qu’àcelui du travail et aux conséquences pour ceux qui en sontexclus « en pleine force de l’âge ». Aussi, bien que conceptuali-sée au début du XXe siècle 2, la retraite apparaît tellementcomme une invention récente que la question nouvelle de cesdernières décennies est moins l’émergence d’un « quatrièmeâge » que la massification d’une population, l’émergence d’ungigantesque espace, positionné entre le travail et la « grande

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vieillesse ». L’apparition d’un critère d’âge introduit unenorme de parcours de vie : la loi sur l’obligation scolaire a ren-forcé l’émergence d’une catégorie sociale « enfant », telle qu’il« sort de l’anonymat » (Ariès, 1973). Les politiques de retraite,ou de désemploi des travailleurs vieillissants, imposent de nou-veaux modèles de trajectoires individuelles. Celles-ci, induitespar les (dés)institutionnalisations de la retraite, mais aussipar les représentations sur les « travailleurs vieillissants » ausein des organisations de la production, constituent l’objet cen-tral de l’ouvrage, dans le prolongement des nombreux travauxd’Anne-Marie Guillemard.

Activer la société

Notre intérêt pour cet objet d’étude est issu d’un rapportspécifique avec la question de la retraite. Avant de deveniruniversitaire, nous avons été placé comme observateur privilé-gié des retraités, au sein d’une importante fédération decaisses de retraite complémentaire, au milieu des années1980. Nous y constations des transformations profondes dansles comportements et représentations sur la retraite (Reguer,2003). Nous avons été surpris de devoir y traiter simultané-ment la question de l’accompagnement vers la retraite d’unefemme de 93 ans, exerçant auparavant le métier de concierge,alors que l’activité centrale qui occupait la direction de l’actionsociale était bien plus liée aux stages de préparation à laretraite et à l’accompagnement des personnes en cessationsanticipées d’activités, parfois dès 50 ans. Ce type de constat nefaisait que rajouter à l’observation que nous avions faite sur leterrain, quelques années antérieurement, en qualité de coor-donnateur de secteur gérontologique. Nous avions pu observer,directement à la sortie de l’usine Renault, le départ accablé dequelques dizaines de manœuvres de plus de 56 ans et 3 mois,quelques heures après qu’on leur eut annoncé qu’ils ne reve-naient pas le lendemain prendre place sur leur poste de tra-vail. Ces salariés, occupant, pour la plupart, des emploisd’exécution, avaient milité durant de longues années pour laretraite à 60 ans. Ils semblaient cependant vivre négative-ment, très fortement pour certains d’entre eux, l’annonce quivenait de leur être faite. Placé dans une position d’observateurprivilégié, doublement interne et extérieur à l’événement,nous ne pouvions alors nous contenter, sans toutefois lesexclure, des seules explications relatives à la manière dontl’entreprise avait (in)organisé ce passage, tel un « phénomène

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INTRODUCTION 13

bureaucratique ». En tout état de cause, ce parcours imposé nerésultait pas de l’usage de leur « marge de liberté ». Une for-mation antérieure aux « méthodes de fabrications méca-niques », aux « gammes d’usinage » et à l’« Organisationscientifique du travail » en milieu industriel, était en mesure,confusément, de nous interroger sur ces comportements quinous paraissaient, sans autres compréhensions, contradic-toires. Comment la souffrance au travail, de surcroît dans uneusine, bruyante et suintante, qui pratiquait les « 2/8 » et lacadence des chaînes de montage, pouvaient ne pas être rejetéesau moment de la retraite, ou à l’annonce d’une cessation anti-cipée de l’activité professionnelle, par ceux-là mêmes qui lesavaient vécues, parfois depuis plusieurs années ? Nous ne pou-vions, pour autant, nous satisfaire de la seule analyse selonlaquelle la cause de la déception devait être recherchée dansune « aliénation des travailleurs », faisant de ces derniers lesagents inconscients d’une reproduction sociale de la domina-tion. Interrogés quelques mois plus tard dans le cadre d’uneenquête, ces ouvriers et techniciens, qui avaient pourtant portécomme une revendication « la retraite à 60 ans », nousconfiaient leur acceptation, plus que leur désir, de partir. Ilsacceptaient une cessation anticipée de leur activité profession-nelle, par solidarité ou devoir, pour « permettre l’emploi desjeunes » (Reguer, 1988). C’est ainsi que l’on peut comprendreaussi, en partie, l’attitude des « syndicats de salariés ».

Au-delà d’interprétations rapides, et sans les exclure, larichesse de la pluralité des paradigmes des sciences socialesdevait être mobilisée. C’est ce contexte qui nous a amené à uneinterrogation sur une définition normative des politiquespubliques de la retraite sur le critère d’âge, leur origine etleurs effets occultant les potentialités sociales des salariésvieillissants (à 56 ans et 3 mois !), individuellement et collec-tivement. C’est ensuite de la rencontre de jeunes chercheurs(et moins jeunes), au sein des séminaires d’Anne-MarieGuillemard, qu’est née l’idée du présent ouvrage, dans la pers-pective de contribuer à « activer la société […] de détruire toutce qui impose une unité substantive : valeur ou pouvoir, à unecollectivité » (Touraine, 1974).

12 millions de personnes « ni en emploi, ni vieux »

Il est coutumier d’introduire tout ouvrage, d’ouvrir touscongrès et colloques, sur la retraite ou le vieillissement, par un

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3. Entretien avec Shripad Tuljapurk, Le Monde, 3 juin 2006.

rappel démographique et les projections qui l’accompagnent.Âges et statuts sociaux, parfois imprécis, y sont souvent confu-sément mélangés. En semblant nous plier à cette tradition,nous poursuivons deux objectifs. D’une part, nous voulonsfaire le rappel de quelques données de cadrage du contexte dela recherche sur l’implication des acteurs dans la trajectoirequi conduit du travail à la retraite ; d’autre part, en rappelantquelques données, nous voulons interroger l’évidence d’uncaractère inéluctable d’une croissance du nombre de personnesprivées d’emploi ou précarisés en fin de carrière (Reguer, 1996).Rappelons que dans ce domaine, la France bat des records, enne comptant que 37 % de personnes de 55 à 64 ans en activité.Les données et perspectives démographiques sont largementinstrumentalisées. Il convient de s’en prémunir. D’un côté, laperspective de l’élévation du nombre de personnes dépen-dantes est présentée de façon simplificatrice comme propor-tionnelle à l’élévation de l’espérance de vie. Ce n’est pas sansservir les recherches de légitimité des acteurs de la gérontolo-gie ou justifier la vente de produits financiers de protectioncontre la dépendance. De l’autre, on considère que noussommes devenus très efficaces pour traiter les maladies quiviennent avec l’âge, et qu’on continuera d’être en pleine forcede l’âge à 95 ans voire plus 3. Cette deuxième simplificationn’est pas sans entretenir les peurs, non sans enjeux politiquesou idéologiques, sur « l’âge de la retraite ». Il importe au contraired’inventer des solutions qui n’imposent pas des normes rigideset générales de parcours de vie.

Certes, le siècle qui vient de se terminer a vu se déroulerdes transformations démographiques, inconnues jusqu’alors.Le passage de 3,162 millions de personnes âgées de 65 ans etplus en 1901 à 9,669 millions en 2001 ne peut être nié mais nefait que révéler les transformations, à l’intérieur même, de cegroupe d’âge. La catégorie des 60 ans et plus, dont ondénombre 11 793 815 personnes non actives, au recensementde 2000, n’a plus la même homogénéité que par le passé. Lesgens ne cessaient de travailler que pour mourir et n’étaientcaractérisés, essentiellement, que par leur ancienne activité.En réalité, le seuil de l’âge après lequel il devient impossiblede retrouver un emploi, voire de s’y maintenir, est bien plusbas : 50 ans, parfois encore moins. Dès la quarantaine, lessalariés se trouvent fragilisés. On remarquera de surcroît que,

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parmi les personnes dites actives, sont recensés de nombreuxchômeurs et autres travailleurs sans emploi, aux statuts lesplus divers. Ils ne viennent que renforcer le groupe des per-sonnes définitivement sans activité professionnelle. Bien quepeu satisfaisante la borne de 55 ans, avec ses limites, nouspermet d’avancer provisoirement dans notre réflexion. Ainsi,on dénombre 13 470 180 personnes non actives de 55 ans etplus au recensement de 2000. On se doit, en toute rigueur, deretrancher de ce groupe, de 13,5 millions de personnes nonactives de 55 ans et plus : les personnes en perte d’autonomie.On peut estimer leur nombre de façon presque constante àenviron 1 million, compte tenu des gains d’espérance de vie quise font sans accroissement des incapacités. Alors la Francecompterait au moins 12,5 millions de personnes dans le groupedes « ni en emploi, ni vieux ». Si les dernières décennies ont vuune évolution quantitative du nombre des personnes considé-rées comme âgées, le phénomène majeur est constitué par unaccroissement considérable de la population des travailleursvieillissants privés d’emploi. Au-delà des 20 % de la populationdirectement concernée par notre objet d’étude, c’est toute unedynamique sociétale qui est en cause, toute une réflexion surla place de l’âge dans le travail et la place du travail dans lavie d’une personne. Ce n’est évidemment pas le nombre de per-sonnes concernées qui fait l’intérêt d’un objet d’étude. La der-nière étape de la vie, la vieillesse, fait d’ailleurs l’objet detravaux (accompagnement des mourants, Alzheimer, réalitédu maintien à domicile…) dans le prolongement du présentouvrage pour montrer en quoi les politiques publiquesconstruisent des modèles de parcours de vie, lors du passage àla retraite comme lors du passage à la vieillesse.

Les nouvelles frontières de la fin de carrière sont deve-nues floues et de surcroît, incertaines. Ces transformationsdémographiques affectent la manière dont le temps de l’après-travail est vécu.

L’élévation exceptionnelle de l’espérance de vie a, de sur-croît, accru l’âge moyen des « ni actifs, ni vieux ». Rappelonsque l’espérance de vie des femmes de 60 ans est passée de 18à 26 ans entre 1945 et 2000, lorsque les hommes gagnaientquatre années, dans la même période. Ce vieillissement d’ungroupe « ni-ni » induit un vieillissement social de ceux qui ontla perspective d’y entrer. Désormais, à l’âge de 60 ans, on nerentre plus dans un groupe social où les plus âgés des « bienportants » ont 65 ou 70 ans. On fréquente, dans ce groupe, des

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personnes d’un âge supérieur de plus de vingt ans, parfois, dela génération qui précède. L’entrée précoce dans ce groupe des« ni-ni », mais surtout l’espoir extrêmement limité de retrou-ver un emploi après 50 ans, pourrait contrarier la tendance auvieillissement d’ensemble du groupe, en le rajeunissant parl’entrée de quinquagénaires. En réalité, les nouveaux jeunesvenus dans le monde de l’après-travail rejoignent un groupesocial qui lui-même ne cesse de vieillir.

Limites sociales des bornes chronologiques

Le rappel des données démographiques permet donc demontrer qu’un nouveau calendrier s’organise, non seulementpour des raisons « naturelles » liées à l’élévation de l’espérancede vie, mais aussi pour des raisons sociétales, liées entreautres aux politiques publiques de désemploi des travailleursvieillissants. Mais le changement démographique n’est pas laseule transformation en cours. Ainsi, nous n’entendons paslimiter la définition de notre objet à quelques bornes chronolo-giques empruntées aux catégories administratives et statis-tiques. C’est la raison pour laquelle plusieurs des auteurs decet ouvrage engagent leur réflexion en interrogeant lesvocables en usage. C’est, par exemple, ce à quoi s’emploieGuillaume Huyez-Levrat dans le premier article de cetouvrage au sujet spécifiquement de l’expression « salariésâgés » et « salariés vieillissants », dans le champ de l’entre-prise. Alexandre Iellatchitch explore, quant à lui, les vocablesemployés dans l’histoire récente du syndicalisme retraité, quia successivement porté son intérêt pour les « vieux tra-vailleurs », les pensionnés, avant de s’adresser aux retraités.Tout au long de cet ouvrage, d’autres dénominations sontinterrogées, d’apparition plus ou moins récente, tels que les« seniors », voire les « quincadres » (Marielle Poussou-Plesse).Les nombreux glissements sémantiques, entre « personneâgée », définie sur un critère d’âge implicite, et « retraité », quin’est autre qu’un statut d’ancien salarié au-delà d’un certainâge toujours défini par la loi, amènent à interroger la perti-nence de ces catégories comme objet d’étude. Les glissementssémantiques sont symptomatiques des transformations enœuvre autour de notre objet. C’est la raison pour laquellecelui-ci n’est pas défini par une de ces catégories, socialementou administrativement construites à un moment historique,en France. Une définition rigoureuse de l’objet d’étude s’im-

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INTRODUCTION 17

pose pour échapper aux catégories implicites du sens commun.Pour pouvoir accéder à la compréhension des dynamiques deparcours de vie, elle nous amène à prendre pour objet la « finde carrière ». Nous éclairons notre réflexion de quelques com-paraisons internationales pour mettre en évidence d’autresmises en forme sociétales historiques des dynamiques enœuvre dans cette étape de vie. La multiplicité des séman-tiques, leurs caractères parfois éphémères, révèlent, enFrance, des modalités diverses de mise en œuvre d’une réfé-rence implicite, d’une norme homogène de mode de vie aprèsla cessation d’activité professionnelle.

La croissance du nombre de personnes de plus de 60 ou65 ans ne saurait donc justifier à elle seule notre objet d’étude,tant ces catégories d’âge n’ont de « naturelle » que l’apparence.Ces définitions correspondent d’abord à des catégories admi-nistratives, sociales en l’occurrence, d’âge « légal » de laretraite. L’injonction contradictoire au maintien en activitédes travailleurs vieillissants pour cotiser quarante annuités etla poursuite des pratiques, voire des dispositifs publics, de ces-sation anticipée de cette même activité professionnelle impo-sée aux salariés vieillissants, peuvent produire des effets lesplus divers.

Nous attachons un soin particulier à la définition de notreobjet car la manière même de poser les termes de l’objetd’étude engendre l’usage d’indicateurs qui orientent laréponse. Ainsi ce ne sont pas les résultats de l’observation quirépondent à la question, mais la question qui fait écho auxrésultats empiriquement observés pour être scientifiquementréunis. Il suffit bien souvent de savoir comment les donnéessont construites pour connaître les conclusions. Un objet socialne fait pas un objet sociologique.

Trop âgé pour travailler

Aux transformations démographiques du monde de l’après-travail, s’ajoutent des transformations du monde du travail etnotamment dans les modalités de la transition de l’un à l’autre.Elles affectent la manière dont le temps de l’après-travail estvécu. Comme l’entrée dans la catégorie sociale de retraité se faiten négatif, sur un critère d’âge désigné comme obsolète pour letravail, ce qu’a amplement montré A.-M. Guillemard (2003), cene sont pas des « jeunes retraités » honorés d’une longue car-rière qui accèdent à un statut de retraité, ce sont des « tra-

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vailleurs trop vieux » que l’on exclut de l’emploi. Ce sont parfoisaussi des salariés au « vécu encore douloureux, voire honteux,de leur chômage » (Marielle Poussou-Plesse), poussés vers l’in-validité ou la longue maladie par des processus de relégationinternes aux entreprises. Ces présentations ne font qu’en rajou-ter dans la construction vécue négativement de la trajectoire quiconduit du travail au non-travail. La cessation anticipée d’acti-vité n’est pas, alors, un temps où on fait valoir ses « droits à laretraite », un salaire différé acquis par le travail. Cette situationest intériorisée comme le résultat d’une difficulté personnelle oude l’entreprise, mais toujours individualisée négativement. Cetemps social hybride, parfois fait de précarité (Hae Ran Kim) etsouvent d’incertitude sur l’avenir, dévalorise le salarié vieillis-sant (M. Poussou-Plesse, G. Huyez-Levrat). L’ancienneté autravail n’est plus gratifiée d’une médaille, mais sanctionnéed’une injonction au retrait. Ainsi, le groupe des « ni-ni » vieillitpar le haut, par le seul effet de l’évolution de l’espérance de vie,il vieillit aussi par le bas, bien qu’il entre plus jeune chronologi-quement, en « inactivité ». Ainsi, les transformations des par-cours de vie ne sont pas le seul fait de la démographie. Ce sontaussi des pratiques sociales individuelles et collectives, d’entre-prises qui, au bénéfice de plans « sociaux », de politiquespubliques, ont déformé la structure par âge de leur main d’œuvreet consécutivement, de la période de l’après-travail. On ne serapas sans remarquer que lorsque l’âge légal de la retraite, des-cendu à 60 ans, entre dans les faits en avril 1983, à l’issue duvote par une assemblée soutenue par les mouvements syndi-caux, cela fait déjà quelques années que nombre d’employeurs,se sont efforcés d’organiser des cessations d’activité encore plusprécoces notamment dans le secteur de la sidérurgie et du tex-tile. Ils font ainsi porter aux systèmes de retraites ou à l’assu-rance maladie, le poids de la gestion du désemploi destravailleurs vieillissants, au nom de leur protection et pour lebénéfice de la jeunesse. En mai 1963, Pierre Naville le souli-gnait déjà : « Les employeurs montrent des réticences pratiquesà embaucher, voire à prolonger les possibilités de travail d’untravailleur au-delà d’un certain âge, qui commence effective-ment à partir de 50 ans. » Ce qui est vrai en France, l’est defaçon plus forte encore et dans des contextes différents dansd’autre pays tels que la Corée (Hae Ran Kim) ou le Japon(Miyako Nakamura Fujimori).

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INTRODUCTION 19

Politiques publiques et calendrier d’âge contraint

Non sans lien avec les transformations démographiques,d’une part, et celles de la place du travail, d’autre part, ledemi-siècle qui vient de s’écouler a vu se multiplier les initia-tives de politiques publiques, du rapport Laroque à la réformedes retraites. De façon cyclique, ces questions sont réactuali-sées puis disparaissent de nouveau après qu’un consensusapparent toujours provisoire a prétendu les solutionner. Il s’ensuit une cohabitations de mesures parfois contradictoires.Ainsi, une même période voit certaines initiatives inciter à lacessation anticipée d’activité, et d’autres au contraire pénali-ser les licenciements après 50 ans. Il en va ainsi des questionsdites du « financement des retraites » ou du « financement dela dépendance », comme si ces questions n’étaient que finan-cières. Le sociologue n’est pas sans voir, dans cette manière deposer les questions sociales, un indicateur de fonctionnementd’un type de société soumis à évaluation financière à courtterme, parfois au gré de calendriers électoraux ou de cours debourse.

Ce phénomène de réactualisations et disparitionscycliques des questions liées au vieillissement des populationsne peut évidemment être le seul effet d’une mode, d’une évo-lution ou d’une reproduction déterministe de l’histoire qu’il estdonné à lire dans le sens commun. L’émergence ou la dispari-tion des préoccupations sur la retraite résulte, au contraire,des positions respectives des différents acteurs en œuvre, àdes moments particuliers. C’est dire que si notre réflexionintègre les politiques publiques en raison de leurs effets,celles-ci peuvent autant constituer des indicateurs des rap-ports de force au sein d’une société et plus généralement, pource qui est de notre objet, de la place de l’âge et de l’organisa-tion des parcours de vie.

Actions individuelles et collectives ?

Enfin, nous portons notre intérêt sur les moyens que leshommes s’approprient pour que le monde qu’ils s’inventent nesoit pas seule reproduction du monde social d’aujourd’hui oud’hier. L’ambition de cet ouvrage est d’adopter une positiond’observateur qui, modestement, tente d’entrevoir les enjeuxdes politiques sociales qui ont trait au monde de l’après-travail, les manières dont les acteurs s’organisent et les pra-

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VIEILLISSEMENT ET PARCOURS DE FINS DE CARRIÈRES : CONTRAINTES ET STRATÉGIES20

tiques sociales que les hommes et les femmes adoptent, indivi-duellement ou collectivement. Certes, l’observation des effetsdes modèles d’organisation d’entreprises conduisant à la ces-sation précoce d’activité professionnelle de salariés pourra êtrevue comme un intérêt pour ce qui se défait, si on se place dupoint de vue du salarié victime d’un licenciement qui cache sonnom sous l’appellation plus gratifiante de « préretraite ». Encherchant à observer les stratégies de ces « anciens salariés »pour échapper, sans toujours y parvenir, à la puissance d’unmodèle social qui stigmatise l’avance en âge, nous prenonspour objet ce qui se fait, ou peut se faire.

Ainsi, en pointant l’action respective et indissociable despolitiques publiques, des organisations (entreprises et mouve-ments sociaux voire sociétaux) et des pratiques sociales, l’en-jeu central du présent ouvrage est d’aller au-delà d’uneanalyse socio-historique de la gestion des âges dans l’entre-prise et de la mise en forme institutionnelle des fins de car-rière comme une période du « ni-ni ». Cette formulation par lanégative correspond bien au vécu des nouvelles générationsqui n’accèdent pas positivement à une étape suivante de leurvie, mais sont d’abord rejetées négativement de la précédente.Cependant, cette formulation, en creux, reste tributaire descatégories nées des lois sur la retraite. Elle présuppose lapérennisation des cloisonnements entre statuts « d’actif » et de« retraité ». Ces grands partages informent encore de manièredécisive, parfois coercitive, nos représentations mentales. Ilconvient de les dépasser afin de prendre au sérieux le fait quedes populations sont invisibilisées ou trop abstraitement etpudiquement désignées (« seniors », « préretraités », « salariésvieillissants »). Or, autour du passage à la retraite, en amontet en aval, se recomposent des comportements, dont il convientde décrypter la diversité, en fonction des ressources, socialesculturelles, financières accumulées par les personnes. Sejouent ainsi des formes inventives d’engagement, qui sommentle chercheur de les penser autant comme des adaptations à descontraintes que comme la révélation de ce dont les gens sontcapables pour être conformes ou autre chose que ce que le sys-tème leur demande d’être. C’est toute l’originalité – et le pari– de cette série de contributions de ne pas reproduire la dicho-tomie travail/après-travail pour se situer précisément là oùelle s’avère particulièrement inopérante, voire là où elle est uncontresens. Ces différentes contributions repèrent des engage-ments dont certains peuvent être caractérisés comme prolon-

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Collection « Pratiques gérontologiques »dirigée par Richard Vercauteren

Cette collection propose des ouvrages de réflexion et deméthodologie offrant des outils directement opérationnelsaux professionnels intervenant auprès des personnes âgées.

DÉJÉ PARUS

Serge Clément, Jean-Pierre LavoiePrendre soin d’un proche âgé

Les enseignements de la France et du Québec

Dominique Manière, Martine Aubert,France Mourey, Sabrina Outata

Interprofessionnalité en gérontologie

Bernard Laborel, Richard VercauterenConstruire une éthique en établissements pour personnes âgées

Sylvain Connangle, Richard VercauterenMissions et management des équipes

en établissements pour personnes âgées

Claire Hartweg, Geneviève ZehnderAnimateurs et animation

en établissements pour personnes âgées

Sous la direction de Michel PersonneLes chaos du vieillissement

Maximilienne LevetLes valeurs de l’âge

Richard Vercauteren, Bernard HervyL’animation dans les établissements pour personnes âgées

Karyne Duquenoy SpychalaComprendre et accompagner les malades âgés atteints d’Alzheimer

Richard Vercauteren, Marco Predazzi, Michel LoriauxPour une identité de la personne âgée en établissement :

le projet de vie

Richard Vercauteren, Marco Predazzi, Michel LoriauxL’intergénération,

une culture pour rompre avec les inégalités sociales

Richard Vercauteren, Marco Predazzi, Michel LoriauxUne architecture nouvelle pour l’habitat des personnes âgées

Jocelyne Chapeleau, Marie-Christine Vercauteren,Richard Vercauteren

Construire le projet de vie en maison de retraite

Sous la direction de Raymonde Feillet et Charles RoncinSouci du corps, sport et vieillissement

Entre bien-être et prises de risque :comprendre et construire les pratiques

Retrouvez tous les titres parus sur : www.editions-eres.com

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