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Classe de terminale L-ES Septembre 2013 Etude critique d’un document d’histoire La mémoire gaulliste de la Résistance Hommage national à Jean Moulin, érigé au rang de héros national (1964). Consigne : En vous aidant de vos connaissances, analysez l’apport de ce document dans la compréhension des mémoires de la Seconde Guerre mondiale puis montrez ses limites. « Monsieur le Président de la République, Voilà donc plus de vingt ans que Jean Moulin partit, par un temps de décembre sans doute semblable à celui-ci, pour être parachuté sur la terre de Provence et devenir le chef d’un peuple de la nuit. […] Lorsque le 1 er janvier 1942, Jean Moulin fut parachuté en France, la Résistance n’était encore qu’un désordre de courage. […] Certes, les résistants étaient des combattants fidèles aux Alliés. Mais ils voulaient cesser d’être des Français résistants, et devenir la Résistance française. […] C’est pourquoi Jean Moulin est allé à Londres […] Le Général assumait alors le Non du premier jour, le maintien du combat, quel qu’en fût le lieu, quelle qu’en fût la forme ; enfin, le destin de la France. […] Le Général seul pouvait appeler les mouvements de Résistance à l’union entre eux […] car c’était à travers lui seul que la France livrait un seul combat. C’est pourquoi […] l’armée d’Afrique, depuis la Provence jusqu’aux Vosges, combattra au nom du gaullisme comme feront les troupes du Parti communiste. C’est pourquoi Jean Moulin avait emporté dans le double fond d’une boite d’allumette, la micro-photo du très simple ordre suivant : M. Moulin a pour mission de réaliser dans la zone directement occupée de la métropole, l’unité d’action de tous les éléments qui résistent à l’ennemi et à ses collaborateurs. […] Attribuer peu d’importance aux opinions dites politiques, lorsque la nation est en péril de mort – la nation, non pas un nationalisme alors écrasé sous les chars hitlériens, mais la donnée invincible et mystérieuse qui allait emplir le siècle ; penser qu’elle dominerait bientôt les doctrines totalitaires dont retentissait l’Europe ; voir dans l’unité de la Résistance le moyen 1

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Classe de terminale L-ES Septembre 2013

Etude critique d’un document d’histoire

La mémoire gaulliste de la RésistanceHommage national à Jean Moulin, érigé au rang de héros national (1964).

Consigne : En vous aidant de vos connaissances, analysez l’apport de ce document dans la compréhension des mémoires de la Seconde Guerre mondiale puis montrez ses limites.

« Monsieur le Président de la République,Voilà donc plus de vingt ans que Jean Moulin partit, par un temps de décembre sans

doute semblable à celui-ci, pour être parachuté sur la terre de Provence et devenir le chef d’un peuple de la nuit. […]

Lorsque le 1er janvier 1942, Jean Moulin fut parachuté en France, la Résistance n’était encore qu’un désordre de courage. […] Certes, les résistants étaient des combattants fidèles aux Alliés. Mais ils voulaient cesser d’être des Français résistants, et devenir la Résistance française. […]

C’est pourquoi Jean Moulin est allé à Londres […] Le Général assumait alors le Non du premier jour, le maintien du combat, quel qu’en fût

le lieu, quelle qu’en fût la forme ; enfin, le destin de la France. […] Le Général seul pouvait appeler les mouvements de Résistance à l’union entre eux […] car c’était à travers lui seul que la France livrait un seul combat. C’est pourquoi […] l’armée d’Afrique, depuis la Provence jusqu’aux Vosges, combattra au nom du gaullisme comme feront les troupes du Parti communiste. C’est pourquoi Jean Moulin avait emporté dans le double fond d’une boite d’allumette, la micro-photo du très simple ordre suivant : M. Moulin a pour mission de réaliser dans la zone directement occupée de la métropole, l’unité d’action de tous les éléments qui résistent à l’ennemi et à ses collaborateurs. […]

Attribuer peu d’importance aux opinions dites politiques, lorsque la nation est en péril de mort – la nation, non pas un nationalisme alors écrasé sous les chars hitlériens, mais la donnée invincible et mystérieuse qui allait emplir le siècle ; penser qu’elle dominerait bientôt les doctrines totalitaires dont retentissait l’Europe ; voir dans l’unité de la Résistance le moyen capital du combat pour l’unité de la nation, c’était peut-être affirmer ce qu’on a depuis appelé le gaullisme. C’était certainement proclamer la survie de la France. […]

Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les 8.000 Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle – nos frères dans l’ordre de la Nuit. […]

Ecoute aujourd’hui jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II,

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de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur cortège d’ombres défigurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour là, elle était le visage de la France. »

Discours d’André Malraux, Ministre des Affaires culturelles, prononcé à l’occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, le 19 décembre 1964.

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Classe de terminale L-ES Septembre 2013

Correction de l’étude critique d’un document d’histoire

Ce document est un extrait du discours officiel prononcé le 19 décembre 1964 par André Malraux, ministre de la Culture alors, à l’occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon. Quel est son apport dans la compréhension des mémoires de la Seconde Guerre mondiale et quelles sont ses limites ? [Introduction : le document est brièvement présenté et une petite question reprenant l’intitulé de la consigne est posée]

André Malraux rend, dans ce discours, un hommage à Jean Moulin, l’émissaire du général de Gaulle, chargé par ce dernier, durant la Seconde Guerre mondiale (1942-43), de rassembler la résistance intérieure et la résistance extérieure («  M. Moulin a pour mission de … collaborateurs »), qui n’étaient alors qu’un « désordre de courage », au sein d’une même structure, le Conseil National de la Résistance (CNR). Jean Moulin, qui est arrêté en 1943 près de Lyon, est torturé par la Gestapo. Il meurt sans livrer la moindre information (avant dernier et dernier paragraphe). A. Malraux le présente dans ce document comme le grand héros de la Résistance du fait de son engagement et du rôle joué dans l’unification des forces de la résistance intérieure. Son inlassable activité militante l’avait conduit à « aller à Londres », à se faire « parachuter » et à regrouper au sein du CNR la quasi-totalité des groupuscules et mouvements de la résistance intérieure présents en France métropolitaine qui avaient reconnu le général de Gaulle comme unique chef. Héros par son action, Jean Moulin l’est aussi par son calvaire (la torture transformera son visage en une « pauvre face informe », tandis que ses « lèvres n’avaient pas parlé ») et par sa mort.

Mais Jean Moulin, c’est également l’homme qui a reconnu en C. de Gaulle le fondateur (« le Général assumait alors le Non … destin de la France »), le chef naturel et unique (« seul ») de la Résistance, en se rendant à Londres auprès de celui qui « seul pouvait appeler les mouvements de la Résistance à l’union entre eux ». L’appartenance à telle ou telle autre mouvance ou parti politique au sein de la Résistance (« nos frères dans l’ordre de la Nuit ») devient alors, selon l’auteur, secondaire (« peu d’importance aux opinions politiques, lorsque la nation est en péril de mort ») puisque tous les résistants, y compris « les troupes du Parti communiste », combattront au nom du « gaullisme », assurant ainsi la « survie de la France ». A travers l’hommage rendu à J. Moulin, qui devient donc une figure légendaire de la Résistance, c’est le général de Gaulle, président de la République depuis 1958, présent à cette cérémonie officielle très médiatisée (« Monsieur le Président de la République »), qu’André Malraux, son ministre de la Culture, mais aussi le chantre du gaullisme, entend magnifier. La Résistance, avec la majuscule, devient ici un tout supérieur à la somme de ses parties, c’est à dire aux différents mouvements de résistance (lignes 5 et 6) mais la mémoire gaulliste évacue la diversité politique de la Résistance et absorbe par conséquent les mémoires de la Résistance et de manière générale toutes celles de la Seconde Guerre mondiale.

Ce discours est une contribution au « mythe résistancialiste », autrement dit à l’idée selon laquelle la France toute entière et les Français se sont dressés et ont massivement résisté à l’occupation nazie. Unis derrière le général de Gaulle, ils auraient, dès le 18 juin 1940, combattu pour la Libération de la patrie. Cette vision des choses, élaborée en très grande partie par le Général et diffusée par les autorités officielles au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est idyllique, loin de correspondre à la réalité :

D’abord, une grande partie des Français s’était ralliée au maréchal P. Pétain et a soutenu le régime de Vichy mis en place par ce dernier dès juillet 1940.

Ensuite, la Résistance a joué indéniablement un rôle important mais celui-ci est loin d’être majeur puisque moins d’1% des Français ont rejoint les rangs de ce mouvement et que la Libération de la patrie est essentiellement due aux anglo-américains sans lesquels une victoire contre le IIIème Reich n’aurait pas été possible.

Enfin, ce discours, qui est un temps fort du « mythe résistancialiste », offre une vision réductrice et sélective des mémoires de la Seconde Guerre mondiale. La Résistance a ici un caractère essentiellement militaire (« combattants fidèles aux Alliés » ; « l’armée d’Afrique ») et J. Moulin, héros-martyr, au même titre que les Forces Françaises Libres

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(FFL) et la résistance intérieure ont combattu une puissance occupante, l’Allemagne nazie, au nom de la « survie de la France ». Le résistancialisme, accaparé en l’espèce par le « gaullisme », s’attache à commémorer le souvenir d’une France unie et victorieuse et effacer celui des affrontements qui ont opposé la Résistance à la France de Vichy. En outre, les affreuses files de « Nuit et Brouillard », n’évoquent pas ici le génocide des juifs, mais la répression qui s’est abattue sur tous ceux qui, à l’instar de J. Moulin, sont morts en combattant l’occupation nazie (avant-dernier paragraphe). Les mémoires de la déportation, celles de l’occupation et de manière générale toutes les autres mémoires de la Seconde Guerre mondiale (mémoires des prisonniers de guerre, des requis du STO, etc.) sont occultées au profit d’une « mémoire résistancialiste » unique dominée par le général de Gaulle, ce qui n’est, somme toute, qu’une vision simpliste, éloignée de la vérité historique.

Pour conclure, ce document participe du mythe résistancialiste mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Accaparé par les gaullistes dans les années 1960, il offre une vision très vertueuse et patriotique des choses, instrumentalise à des fins politiques la Résistance contre l’occupation et n’offre qu’une vision simpliste et sélective des mémoires de la Seconde Guerre mondiale [conclusion : une ou deux phrases résumant le contenu du développement].

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