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Le Monde du 2 mai 2016-05-02 Editorial - Analyses Ayaan Hirsi Ali : " L'Europe doit limiter et gérer le flux migratoire " Ayaan Hirsi Ali D'origine somalienne, Ayaan Hirsi Ali émigre en 1992, âgée d'une vingtaine d'années, aux Pays-Bas. Reçue en tant que réfugiée, elle y fait ses études puis se lance en politique avec le Parti travailliste (gauche). Mais sa ferme dénonciation de l'oppression des femmes dans la communauté musulmane l'amène à rompre avec cette formation et à rejoindre le Parti populaire libéral et démocrate (droite), dont elle sera élue députée en 2003. L'année suivante, elle réalise avec le cinéaste et satiriste Theo Van Gogh le film Soumission, contre les violences dont sont victimes les femmes dans le monde musulman. Quelques mois après la sortie, Van Gogh est assassiné par un jeune musulman qui plante dans son coeur une lettre appelant au djihad et à l'assassinat d'Ayaan Hirsi Ali. Celle-ci quitte le pays en 2006 pour s'installer aux Etats-Unis, où elle poursuit son combat, notamment au sein de la fondation AHA. Elle est aujourd'hui chercheuse associée au Centre de recherche Belfer en science et affaires internationales, rattaché à l'Ecole d'administration publique John F. Kennedy de l'université Harvard. Pour la féministe, il faut accueillir les immigrés qui sont capables de s'intégrer, de façon à ne pas mettre en péril la cohésion sociale et aggraver le risque terroriste. Liberté ou sécurité ? Deux séries d'attentats commis à Paris en 2015 par une dizaine d'hommes ont contraint la France à déclarer un état d'urgence. Dans leur recherche d'un équilibre entre liberté et sécurité, les Français ont clairement opté aujourd'hui pour moins de liberté et plus de sécurité. Les attaques terroristes de Bruxelles peuvent conduire les Belges, et peut-être d'autres pays européens, à revoir cet équilibre délicat entre liberté et sécurité. Quelle que soit l'issue de cette révision, une chose est sûre : il y aura de nouveaux attentats et après chacun d'entre eux, les citoyens européens verront leurs libertés encore un peu plus entamées sans pour autant qu'ils se sentent davantage en sécurité.

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Le Monde du 2 mai 2016-05-02Editorial - Analyses

Ayaan Hirsi Ali : " L'Europe doit limiter et gérer le flux migratoire "

Ayaan Hirsi AliD'origine somalienne, Ayaan Hirsi Ali émigre en 1992, âgée d'une vingtaine d'années, aux Pays-Bas. Reçue en tant que réfugiée, elle y fait ses études puis se lance en politique avec le Parti travailliste (gauche). Mais sa ferme dénonciation de l'oppression des femmes dans la communauté musulmane l'amène à rompre avec cette formation et à rejoindre le Parti populaire libéral et démocrate (droite), dont elle sera élue députée en 2003. L'année suivante, elle réalise avec le cinéaste et satiriste Theo Van Gogh le film Soumission, contre les violences dont sont victimes les femmes dans le monde musulman. Quelques mois après la sortie, Van Gogh est assassiné par un jeune musulman qui plante dans son coeur une lettre appelant au djihad et à l'assassinat d'Ayaan Hirsi Ali. Celle-ci quitte le pays en 2006 pour s'installer aux Etats-Unis, où elle poursuit son combat, notamment au sein de la fondation AHA. Elle est aujourd'hui chercheuse associée au Centre de recherche Belfer en science et affaires internationales, rattaché à l'Ecole d'administration publique John F. Kennedy de l'université Harvard.

Pour la féministe, il faut accueillir les immigrés qui sont capables de s'intégrer, de façon à ne pas mettre en péril la cohésion sociale et aggraver le risque terroriste.

Liberté ou sécurité ? Deux séries d'attentats commis à Paris en  2015 par une dizaine d'hommes ont contraint la France à déclarer un état d'urgence. Dans leur recherche d'un équilibre entre liberté et sécurité, les Français ont clairement opté aujourd'hui pour moins de liberté et plus de sécurité.

Les attaques terroristes de Bruxelles peuvent conduire les Belges, et peut-être d'autres pays européens, à revoir cet équilibre délicat entre liberté et sécurité. Quelle que soit l'issue de cette révision, une chose est sûre : il y aura de nouveaux attentats et après chacun d'entre eux, les citoyens européens verront leurs libertés encore un peu plus entamées sans pour autant qu'ils se sentent davantage en sécurité.

L'Europe court aujourd'hui le risque d'être rattrapée par ses vieux démons : troubles civils, lois d'exception, sans parler de partis populistes peu soucieux de l'Etat de droit et des libertés individuelles.

Il s'agit d'un problème chronique qui ne se limite pas au terrorisme islamique. Conséquence de l'" islamisation " rampante, dans un nombre croissant de quartiers urbains, les jeunes filles et les femmes ne se sentent plus en sécurité dans la rue à moins d'avoir pris des mesures pour éviter le harcèlement sexuel ou pire. Le changement de physionomie de ces quartiers n'est pas uniquement dû à l'immigration. Il y a des établissements scolaires, des écoles coraniques et des mosquées qui instillent dans le cœur et l'esprit des jeunes immigrés ou issus de l'immigration un rejet de la liberté et de l'égalité, qui sont censées être les valeurs fondamentales de l'Europe.Communauté très diverse

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Les immigrés musulmans constituent une communauté très diverse en termes d'âge, de pays d'origine, de sexe, de langue et du revenu dont ils disposaient avant d'entreprendre leur périple vers l'Europe. Certains y sont établis depuis des générations. Ils sont environ 1 million à être arrivés au cours de l'année écoulée.

Quand on regarde les données de ces cinquante et quelques dernières années, on constate que les pays européens qui ont accueilli ces immigrés peinent à les intégrer. Mais ils n'ont pas entièrement échoué. Beaucoup d'immigrés musulmans (je me compte parmi eux) se sont adaptés au fil des ans et ont adopté les valeurs fondamentales de l'Europe.

Si les élites européennes étaient honnêtes avec elles-mêmes, elles admettraient qu'un nombre non négligeable d'immigrés musulmans arrivés avant les " printemps arabes " entrent dans la -catégorie des importuns, des fanatiques ou des fainéants. Il y a parmi eux des gens capables de s'adapter, mais ils ne sont pas forcément la norme. 

En  2008, le Centre de recherche en sciences sociales de Berlin (WZB) a mené une vaste enquête auprès d'immigrés musulmans dans six pays européens (Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique, Autriche et Suède). Près de 60  % de ces immigrés interrogés estimaient que les musulmans doivent revenir aux racines de l'islam ; 75 % pensaient qu'il y a une seule interprétation possible du Coran à laquelle tout musulman doit se tenir, et 65 % disaient que les règles religieuses sont plus importantes à leurs yeux que les lois du pays dans lequel ils vivent. Enfin, 44 % des musulmans interviewés se déclaraient d'accord avec les trois propositions. De telles idées laissent présager un grand péril pour la cohésion sociale de l'Europe dans les décennies à venir.

Dire que les centaines de milliers de migrants musulmans qui fuient le Proche-Orient et l'Afrique du Nord depuis les " printemps arabes " et qui arrivent en provenance de l'Asie du Sud et de l'Afrique subsaharienne aggraveront le déficit d'adaptation est un euphémisme.

Que faire dans ces conditions ? Les élites politiques européennes menées par Angela Merkel balancent entre la compassion éperdue et le marchandage désespéré avec la Turquie en vue de stopper le flux de migrants.

La compassion est un sentiment noble, mais quid de ceux qui ont vu leurs vies si atrocement détruites par les fanatiques à Bruxelles et à Paris ? Quid de ceux qui sont terrorisés par les importuns ? Quid des femmes et des jeunes filles qui se font siffler, peloter, agresser, voler et violer ? En définitive, quid de ces Européens qui ne sont pas en sécurité à leur domicile, dans leurs commerces, dans leurs quartiers, dans leurs écoles, dans leurs transports publics?

Si nous voulons éviter de basculer de la compassion vers l'exclusion, nos dirigeants doivent tout remettre à plat, et vite. Il nous faut repenser et réviser de toute urgence les différents traités, lois et politiques qui ont fait la preuve de leur incapacité à protéger les libertés et les valeurs fondamentales qui rendent les sociétés occidentales uniques en leur genre.

Premièrement, nous devons à la fois limiter et gérer plus intelligemment le flux migratoire. Il convient notamment de modifier la classification en vigueur qui établit une distinction artificielle entre demandeurs d'asile, réfugiés et migrants économiques.

Ces catégories n'ont jamais été très satisfaisantes, mais l'ampleur de l'actuelle vague de migrants leur ôte tout leur sens. Il vaudrait mieux classer les personnes selon leur degré d'adaptabilité. A mon sens, il faut refuser d'accueillir en Europe les membres de groupes islamistes tels que les Frères -musulmans.

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Deuxièmement, nous devons bâtir un cadre visant à accélérer le processus d'adaptation. Il ne suffit pas qu'un nouvel arrivant apprenne la langue locale et trouve un emploi. Il faut qu'il soit disposé à adopter les valeurs du pays qui lui a donné refuge. Le devoir de l'Etat est de s'assurer que cet immigré se soit familiarisé avec ces valeurs, et que son apprentissage soit confié à des formateurs conscients des enjeux. En parallèle, il faut sévir contre les centres d'endoctrinement islamistes et contre les religieux musulmans dont l'objectif est de ferrer les immigrés vulnérables et de les monter contre leur pays d'accueil.

Troisièmement, il est essentiel que les Etats européens trouvent un moyen effectif de renvoyer dans leur pays les personnes incapables de s'adapter ou non désireuses de le faire. Actuellement, le débat tourne autour des contrôles aux frontières, une mesure nécessaire, mais non suffisante.

Quatrièmement, il faut réformer les systèmes de justice pénale en Europe. Ces systèmes sont trop cléments à l'égard des délinquants. L'un des terroristes des attentats de Bruxelles avait déjà été condamné pour attaque à main armée et pour avoir fait feu sur des policiers et blessé l'un d'entre eux. Il avait écopé d'une peine ridiculement faible de neuf ans de prison, dont il n'a effectué que quatre ans. Pis, les prisons européennes sont de plus en plus des lieux de prosélytisme islamiste. On peut remédier à ce problème en concevant et en mettant en place des mesures pour s'assurer que les détenus ne puissent plus se faire endoctriner par les islamistes.

Cinquièmement, il faut adapter le système de délivrance des titres de séjour et d'acquisition de la nationalité à la réalité du terrain. Trop de fanatiques se voient accorder la citoyenneté. Son acquisition doit être réservée à ceux qui ont prouvé qu'ils acceptaient les valeurs de la société qu'ils cherchent à intégrer. Quiconque fait allégeance au groupe Etat islamique doit être déchu de sa citoyenneté européenne.

Sixièmement, l'Europe doit cesser de faire comme si la stabilisation du monde musulman n'était pas son problème. La faiblesse des budgets militaires européens est injustifiable quand on voit l'aggravation rapide de la violence dans les pays du sud et de l'est de la Méditerranée.

Admettre l'état de guerreEnfin, nous devons admettre que nous sommes en guerre. C'est une guerre asymétrique, certes, mais on ne peut plus se borner à qualifier ce qui s'est passé à Paris et à Bruxelles de terrorisme. Il s'agit d'une campagne menée par des combattants bien entraînés de l'Etat islamique dans le but de terroriser la population civile. Tant que cette entité est en mesure d'entraîner ces combattants sur le territoire qu'elle contrôle en Syrie, aucun Européen n'est en sécurité. Il y aura de nouveaux attentats.

Liberté ou sécurité ? On ne devrait pas avoir à choisir entre l'un ou l'autre : une société libre sait qu'il y a un compromis à faire, et cherche à trouver le bon équilibre. Quand il est menacé par un ennemi impitoyable, cet équilibre change. Si nos dirigeants ne montrent pas qu'ils l'ont compris en changeant résolument d'optique vis-à-vis de l'immigration musulmane, ils risquent non seulement de perdre l'initiative au profit des populistes, mais aussi de laisser sombrer l'Europe dans les troubles civils.