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Burundi. De l'interethnique à l'intra-ethnique. Installation d'un système de prédation Lors que j'ai rédigé mon livre Précis de la montée de la violence organisée au Burundi. Confrontation de différents auteurs (2010), je voulais faire un parallélisme entre les discours ethnistes qui ont beaucoup alimenté le conflit burundais. J'avais par ailleurs signalé: "Les Burundais ont dispersé les forces de construction.(...) Ils se sont trompés d'adversaire. Ils ont raté la cible. Ils ont raté le tournant" 1 en prenant cette voie ethnique. L'analyse qu'on fait de la situation actuelle du Burundi prouve que cette affirmation est devenue réalité. Je constate que la corde ethnique Hutu-Tutsi n'est plus à la mode dans ce petit pays. Ce qui est mis en primeur pendant cette période post conflit interethnique, c'est l'avoir. C'est la prédation qui guide toutes les agitations de conquête du pouvoir actuellement. Le combat qui, jadis, se présentait comme une libération des Hutu révèle aujourd'hui sa face cachée. Toutes les vies disparues à cause de la guerre et tueries au Burundi ont été sacrifiées à l'autel de la conquête du pouvoir pour l'avoir(amaronko). 1. Le pouvoir, sur le peuple C'est quoi? Comment l'acquiert-on? A qui sert-il? A quoi sert-il? Quand le lâche-t-on? Telles sont les questions (je ne tente pas d'y répondre) qui viennent à l'esprit dès que le mot pouvoir est évoqué. Le pouvoir est défini comme la capacité, la faculté, la possibilité, la permission de faire quelque chose. En politique, le pouvoir désigne les formes d'autorité au sein d'un État (les trois pouvoirs législatifs, exécutifs, judiciaires). En démocratie, le pouvoir vient du peuple. Le pouvoir sert à servir le peuple et la Nation. On l'acquiert par mandat du 1 E. Ndayizeye, Précis de la montée de la violence organisée au Burundi. Confrontation de différents auteurs, Ascoli Piceno, 2012, pp.7-8.

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Burundi. De l'interethnique à l'intra-ethnique. Installation d'un système de prédation

Lors que j'ai rédigé mon livre Précis de la montée de la violence organisée au Burundi. Confrontation de différents auteurs (2010), je voulais faire un parallélisme entre les discours ethnistes qui ont beaucoup alimenté le conflit burundais. J'avais par ailleurs signalé: "Les Burundais ont dispersé les forces de construction.(...) Ils se sont trompés d'adversaire. Ils ont raté la cible. Ils ont raté le tournant"1 en prenant cette voie ethnique.

L'analyse qu'on fait de la situation actuelle du Burundi prouve que cette affirmation est devenue réalité. Je constate que la corde ethnique Hutu-Tutsi n'est plus à la mode dans ce petit pays. Ce qui est mis en primeur pendant cette période post conflit interethnique, c'est l'avoir. C'est la prédation qui guide toutes les agitations de conquête du pouvoir actuellement. Le combat qui, jadis, se présentait comme une libération des Hutu révèle aujourd'hui sa face cachée. Toutes les vies disparues à cause de la guerre et tueries au Burundi ont été sacrifiées à l'autel de la conquête du pouvoir pour l'avoir(amaronko).

1. Le pouvoir, sur le peuple

C'est quoi? Comment l'acquiert-on? A qui sert-il? A quoi sert-il? Quand le lâche-t-on? Telles sont les questions (je ne tente pas d'y répondre) qui viennent à l'esprit dès que le mot pouvoir est évoqué.

Le pouvoir est défini comme la capacité, la faculté, la possibilité, la permission de faire quelque chose. En politique, le pouvoir désigne les formes d'autorité au sein d'un État (les trois pouvoirs législatifs, exécutifs, judiciaires).

En démocratie, le pouvoir vient du peuple. Le pouvoir sert à servir le peuple et la Nation. On l'acquiert par mandat du peuple, par "consentement des sujets"2. On le perd à cause du peuple qui suit la loi ou pas (termes, révolution...). Ainsi, peut-on se demander: au Burundi, le pouvoir, est-il un pouvoir de servir le peuple ou un pouvoir sur le peuple?

2. L'ère interethnique et l'ethnocratie

Au Burundi, les dirigeants du pays ont souvent voulu s'appuyer sur les "ethnies" pour conquérir ou garder le pouvoir. Là comme ailleurs c'est la force (armée ou populaire) qui donne le pouvoir. La démocratisation y avait introduit une notion de conquérir ou de quitter le pouvoir en respectant les règles. La démocratie est considérée comme la meilleure façon de résoudre pacifiquement les conflits liés à la conquête du pouvoir. Le Burundi a accepté d'entrer dans le jeu démocratique comme mode de gouvernement. Toutes les fois que les règles du jeu ont été violé, la paix a été menacée. En 1993, Buyoya a joué à ce jeu et il a été amèrement surpris de découvrir que la

1 E. Ndayizeye, Précis de la montée de la violence organisée au Burundi. Confrontation de différents auteurs, Ascoli Piceno, 2012, pp.7-8.2 J- V Holeindre (Sous la dir.), Le pouvoir. Concepts, Lieux, Dynamiques, éd. Sciences humaines, 2014

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majorité du peuple ne voulait pas de lui. La carte ethnique avait été beaucoup utilisée. Ceux qui ont voulu user de la force pour voler le pouvoir que le peuple avait confié à Melchior Ndadaye, ont plongé le pays dans la guerre qui a duré quinze ans. Les FDD qui ont voulu remettre les Burundais sur la voie démocratique ont dû tuer beaucoup de personnes. Maintenant qu'ils ont le pouvoir, ils doivent respecter les règles du jeu.

3. L'ère intra-ethnique et la prédation ( cautionnées par de dieu?)

En 2005, Nkurunziza a conquis le pouvoir en usant de la carte ethnique, par la volonté de son dieu. En 2010, il a su que le Burundi est entré dans une autre ère mais n'a pas su que les règles du jeu restent les mêmes. Ainsi, il a utilisé la force et la fraude pour conquérir le deuxième mandat que lui octroyaient les règles du jeu (la Constitution). De nombreuses personnes de son ethnies ont été massacrées afin d'asseoir son pouvoir sans partage (tueries de Muyinga, Bujumbura rural...). Ensuite, il instaura un système de prédation, de corruption comme mode de gouvernement. Jean Pierre Chrétien écrit: "Si un avenir est possible, il tient plutôt au courage de l'innovation, à la recherche d'un après-ethnisme, à une sorte de conversion fondée sans doute sur des examens de conscience, mais plus encore sur un effort réel d'identification du mal qui ronge les deux pays"3 (ndrl: Burundi et Rwanda). Ce mal qui ronge le Burundi a toujours été la pauvreté endémique.

En 2015, Nkurunziza (ancien professeur de sport et maquisard) veut appliquer les règles issues de ces deux milieux (la violence et le dribbling) pour se maintenir au pouvoir mais il se trouve rattraper par la loi du jeu démocratique, dont la communauté internationale est également l'arbitre. Celle-ci crie toujours: au voleur, au menteur, au tricheur. Le chantre de la démocratie au maquis a déjà gouté au faste et à la prédation. Il n'entend plus. Il est atteint de la maladie de l'autisme. Il est déjà tombé dans la dictature. Il sait que tout le paysage politique est contrôlé par les seuls hutu. La corde ethnique n'est plus "caressable" pour gagner l'électorat hutu. Du temps de Micombero on chantait: "Abize ni benshi ntibazotwara bose". Nkurunziza a compris que: "Abahutu ni benshi ntibazotwara bose". Il veut s'imposer comme leur roi. Et quel roi? Le roi guerrier sorti du maquis avec la force divine qu'il évoque si souvent, appuyé par sa femme Denise. Le jeu démocratique n'y est donc pour rien, selon les dire du couple présidentiel.

4. Qui sont les faiseurs de ce roi? Pour quoi?

Les faiseurs de ce roi sourd c'est la clique des profiteurs des avantages qu'accorde un pouvoir absolu. Citons: Adolphe Nshimirimana (qui vient d'y perdre sa vie), Guillaume Bunyoni, Nduwimana Edouard, les frères Nyamitwe, Niyongabo Prime, Nyabenda Pascal...). Ils sont sans foi ni loi. La loi c'est eux. Le peuple pour lequel ils combattaient (disaient et disent-ils) est devenu leur proie. Ils vivent sur son dos en le suçant comme des vampires (des avions présidentiels qui sont achetés avec l'argent du contribuable mais n'atterrissent jamais sur le sol burundais, des sociétés privatisées et récupérées

3 Jean-Pierre Chrétien, Le défi de l'ethnisme. Rwanda et Burundi (1990-1996), Karthala, Paris, 1997, p.383.

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par eux, une corruption inédite, des voyages intempestifs...) qui ont pour conséquence une paupérisation généralisée de la population.

Pourquoi ne veulent-ils pas lâcher le pouvoir alors que la loi démocratique ne les y autorise pas? Parce qu'ils ont peur que ce peuple ne les portent devant les tribunaux nationaux ou internationaux pour répondre des méfaits occasionnés par le système de prédation qu'ils ont échafaudés (Wopfuma ubatambuka umuvyimba).

A la fin du règne de Bagaza un sage disait (partant de la persécution qu'il réservait à son peuple): "Imvura ya Rusama irasama kandi ntibura ivyo ihitana imbere yo gucika). Ainsi, Bagaza tomba en septembre 1987. Espérons que Nkurunziza ne résistera pas pour longtemps comme le confirme ce même Bagaza (parlant de fin de règne de Nkurunziza). Nous sommes encore au quatrième scenario de l'analyse de Filip Reyntjens4, dans lequel il parle de la coalition des CNDD-FDD, Rajabu et FNL opposés au troisième mandant de Nkurunziza avant de passer au cinquième qui ciblera surtout les Tutsi (boucs émissaires).

5. Quelques dangers du troisième mandat de Nkurunziza

a. Le tripotage de la constitution pour se maintenir en monarque absolu en préparant la formation de son fils (Kura ukimfashe tukirye). Ainsi: Bye bye Arusha5. La dictature se renforce.

b. La clochardisation du peuple burundais qui doit toujours lui tendre les mains afin d'avoir quelque chose à mettre sous la dent, beaucoup de pays donateurs s'étant désistés de dispenser les aides.

c. Pillage du peu de richesses que le pays peut produire par une petit groupe

d. La privatisation de la Nation burundaise.

e. La disparition progressive et rapide des Tutsi car ils n'auront plus de garantie de survie une fois les accords d'Arusha jetés à la poubelle.

La communauté internationale doit peser de son poids pour forcer le départ de Nkurunziza. Elle en a les moyens. Elle les a déjà appliqués avec succès à l'encontre de Buyoya. N'est-elle pas capable de barrer cette route que veulent emprunter beaucoup de chefs d'État africains pour se maintenir au pouvoir, en commençant par Nkurunziza?

Emmanuel Ndayizeye

Ph. D en Éthique

Maîtrise en Étude des conflits

4 A lire sur http://www.iwacu-burundi.org/analyse-scenarios-pour-le-burundi/5 ICG, Burundi: Bye bye Arusha, 25 octobre 2012, http://www.crisisgroup.org/en/regions/africa/central-africa/burundi/192-burundi-bye-bye-arusha.aspx