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Vivement le 12 mars ! Journée de la FIPA : une première L’École de Cause freudienne se prépare par la voie d’une lecture méthodique et assidue, à la première Journée de la toute jeune Fédération des Institutions de Psychanalyse Appliquée qui se tiendra à Bordeaux le 12 mars prochain. Non sans impatience. Pourquoi ? Parce que toutes les réalisations de la psychanalyse appliquée (dispositifs institutionnels, journées d’études, conversations….) sont l’occasion de faire avancer la psychanalyse, d’interroger et de conceptualiser ce qui fait notre pratique aujourd’hui et de vérifier qu’elle n’est pas une « thérapeutique comme les autres » selon l’expression de Lacan. Des applications de la psychanalyse, il s’agit d’exiger « qu’elle soit psychanalyse, qu’elle ne cède pas sur être psychanalyse » selon l’orientation que J.-A. Miller en a proposée. C’est le sens que Lacan donne au terme d’application : « La psychanalyse s’applique, au sens propre, que comme traitement, et donc à un sujet qui parle et qui entende. » La structure du sujet, la méthode et l’assise des résultats que la psychanalyse dessine y sont donc fondamentaux. Le contexte utilitariste de notre époque, l’exigence de garantie nous ont conduits à mettre en évidence des aspects de notre pratique inaperçus ou peu explorés – réalité dialectique. Poussés à rendre raison de l’efficacité de la cure, nous avons mis en évidence, lors de la Conversation de Barcelone, le caractère fini, non interminable de la cure analytique et questionné chaque cycle (bref ou pas) de l’expérience dans sa complétude. De conversations cliniques et politiques précédentes, au plus près de la pratique actuelle des institutions de la FIPA, ont

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Vivement le 12 mars ! Journéede la FIPA : une premièreL’École de Cause freudienne se prépare par la voie d’unelecture méthodique et assidue, à la première Journée de latoute jeune Fédération des Institutions de PsychanalyseAppliquée qui se tiendra à Bordeaux le 12 mars prochain.

Non sans impatience. Pourquoi ? Parce que toutes lesréalisations de la psychanalyse appliquée (dispositifsinstitutionnels, journées d’études, conversations….) sontl’occasion de faire avancer la psychanalyse, d’interroger etde conceptualiser ce qui fait notre pratique aujourd’hui et devérifier qu’elle n’est pas une « thérapeutique comme lesautres » selon l’expression de Lacan. Des applications de lapsychanalyse, il s’agit d’exiger « qu’elle soit psychanalyse,qu’elle ne cède pas sur être psychanalyse » selonl’orientation que J.-A. Miller en a proposée.

C’est le sens que Lacan donne au terme d’application : « Lapsychanalyse s’applique, au sens propre, que comme traitement,et donc à un sujet qui parle et qui entende. » La structure dusujet, la méthode et l’assise des résultats que lapsychanalyse dessine y sont donc fondamentaux.

Le contexte utilitariste de notre époque, l’exigence degarantie nous ont conduits à mettre en évidence des aspects denotre pratique inaperçus ou peu explorés – réalitédialectique. Poussés à rendre raison de l’efficacité de lacure, nous avons mis en évidence, lors de la Conversation deBarcelone, le caractère fini, non interminable de la cureanalytique et questionné chaque cycle (bref ou pas) del’expérience dans sa complétude.

De conversations cliniques et politiques précédentes, au plusprès de la pratique actuelle des institutions de la FIPA, ont

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été extraits les trois axes de la journée. Les présentescontributions de la commission scientifique (P. Bosquin-Caroz,Gil Caroz, P. La Sagna, E. Zuliani et moi-même) de cettejournée les introduisent pour ouvrir notre appétit.

Et ce n’est pas tout.

L’Hebdo blog, deux semaines durant, porte ses projecteurs surla psychanalyse appliquée. Lundi prochain, un numéro spécialCPCT.

En coulisses avec PatriciaBosquin-CarozL’Hebdo Blog : La 1ère journée d’étude de la FIPA (Fédérationdes Institutions de Psychanalyse Appliquée), se tiendra àBordeaux le 12 mars prochain. Nous permettez-vous de leveravec vous le voile sur les coulisses de cette journée ? Quelleen a été la genèse, et à qui cette journée s’adresse-t-elle?

Patricia Bosquin-Caroz : Je tiens tout d’abord à préciser quela FIPA, Fédération des Institutions de Psychanalyseappliquée, est une création récente de l’École de la CauseFreudienne, advenue au terme d’un work in progress deplusieurs années. La Fédération regroupe plus d’une trentained’associations qui y sont affiliées. Notons que le Directoireen constitue son bureau, l’administre et en promeut sesactivités cliniques et épistémiques comme la Journée deBordeaux, par exemple. Après le rééquilibrage nécessaire del’expérience CPCT par Jacques-Alain Miller, à l’époque où lapsychanalyse appliquée avait pris pas sur la psychanalyse pure

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et la formation de l’analyste, le Conseil de l’ECF fit leconstat que le modèle CPCT avait été adapté, modifié et qu’ils’était renouvelé. L’impact de telles structures, véritablemaillage national, proliférant et non centralisé allaitl’amener à s’intéresser de plus près à ce réseaud’institutions de psychanalyse appliquée existant de fait.Plusieurs conversations et journées casuistiques, réservéesaux associations concernées, furent ensuite initiées par leDirectoire et animées par Jacques-Alain Miller. Soulignonssurtout qu’elles ont été l’occasion de constater qu’unvéritable travail d’École pouvait se produire dans laFIPA. C’est d’ailleurs à la suite de la dernière journéecasuistique en mars 2014, qu’émergea l’idée d’ouvrir laprochaine au public.

Quant aux thèmes qui seront mis à l’étude à Bordeaux, ils sontaussi issus de la conversation qui y eût lieu. S’ilsconcernent la pratique qui se déploie dans les CPCT et lesassociations du même type, ils intéressent plus largement lechamp d’application de la psychanalyse à la thérapeutique eninstitution. À ce titre, la Journée du 12 mars prochain àBordeaux est première en tant qu’elle s’adresse cette fois àun public élargi.

HB : Quels sont selon vous les enjeux essentiels de cettejournée ? Qu’en attendez-vous ?

PBC : Dans la FIPA, si les CPCT et certaines associationscliniques travaillent selon le principe de gratuité dutraitement, de sa limitation temporelle et du bénévolat de sespraticiens, elles se distinguent pourtant de l’assistancesociale, du soin médical ou psychologique par l’orientationpsychanalytique qui y prévaut. Comme l’avait déjà formuléJacques-Alain Miller, elles sont distinctes des lieux d’écoutehabituels, car elles ont le souci de se constituer en lieux deréponse pour chacun.

En créant l’expérience CPCT, il s’agissait de faire exister

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l’hypothèse de l’inconscient dans le social en facilitantl’accessibilité de la rencontre avec un psychanalyste. Aupsychanalyste revenait la tâche, à condition qu’il soitrigoureusement formé, de faire émerger un savoir insu au sujetet le désir d’en élucider les ressorts ou de parier surl’invention d’un savoir inédit offrant au sujet désarrimél’occasion d’un nouveau mode de nouage à l’Autre. Être enprise directe sur le social, en opérant à partir du champ dela parole et du langage, au fondement même du lien social,garantit aux psychanalystes qui exercent dans ce type de lieude se tenir à distance du pôle « assistance sociale ».

Dès lors, comment se tenir au plus près d’une pratiqueorientée par le tranchant de la découverte freudienne del’inconscient ? En quoi la pratique des CPCT et desassociations similaires relève-t-elle de la psychanalyse, deson éthique, de sa doctrine ? Comment y manie-t-on letransfert, levier essentiel à tout traitement, quand la duréede celui-ci est limitée et prescrite par avance ? Y-aurait-t-il une spécificité du traitement court ou bien celui-ciserait-il préliminaire à une cure psychanalytique ultérieure ?C’est ce que nous espérons pouvoir élucider lors d’uneséquence spécialement réservée à ces questions : « Traitement bref : spécifique ou pas ». Philippe La Sagnadonne l’empan de ce thème dans ce numéro d’HB.

HB : Au programme de la matinée, la discussion s’annonce àpartir d’une question : « Querelle diagnostique ou phénomèneclinique ? » Comment le signifiant « querelle » vient-ilfaire écho à ce qu’il en est de la question du diagnostic au21ème siècle ? Et cette journée ne s’annonce-t-elle pas commeun aggiornamento de nos repères, plusieurs années après ladiscussion d’Arcachon qui avait mis en avant la psychoseordinaire ?

PBC : Cette question, « Querelle diagnostique ou phénomèneclinique ? », est issue d’un débat qui eut lieu lors de laprécédente journée casuistique interne à la FIPA (en mars

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2014). Dans certains cas présentés, la question du diagnosticavait donné lieu à des « querelles » alors que dans d’autres,elle se trouvait noyée dans une clinique aux contours flous oùl’on n’arrive pas à cibler le symptôme à traiter. Entre lediagnostic classique et la clinique du « tout le mondedélire », un ajustement est à faire, avait suggéré alorsJacques-Alain Miller. Et il précisait que dans la clinique du« tout le monde délire », il s’agit de vérifier si le nouagequi permet que ça tienne est typique, standard ou singulier.Dans cette clinique, il n’y a pas d’étiquettes, le diagnosticne se dit pas. « On quitte une zone où ça se dit pour une zoneoù ça ne se dit pas, c’est sous-entendu », mais repéré.

Pour autant, si dans la clinique contemporaine on ne se sertpas du diagnostic classique névrose, psychoses, perversion, ils’agit, disait-il, de constater le(s) phénomène(s) et arriverà une précision de celui-ci dans son expression littéraire, àla façon des certificats de G. de Clérembault. Dans cetteclinique où l’on tend à préciser la nature du phénomène, J.-A.Miller rappelait encore l’importance de l’interrogatoireclinique, discipline qu’il faudrait avoir dans les CPCT,consistant à capter un symptôme et le décrire en quelquesphrases. Déjà dans son intervention en 2008, « Retour sur lapsychose ordinaire », il notait que quand la psychose ne vapas de soi et quand elle n’a pas l’air d’être une névrose,alors « vous devez vous mettre à chercher de tout petitsindices ». À cette proposition, on ajouterait aujourd’hui, etsavoir bien les repérer et les nommer en se tenant au plusprès des formules singulières de chacun qui se dégagent de larencontre avec un praticien analysant, lui-même mis àl’épreuve du bien dire dans sa propre cure. À ce sujet, jevous renvoie au texte de Gil Caroz…

HB : L’après-midi, il sera question du partenariat avec lesparents. En quoi ce thème vient-il illustrer l’expérience desinstitutions de la FIPA dans la cité et leurs enjeux vis-à-visde l’actualité ? Quelle marge de manœuvre pour la psychanalyse

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?

PBC : La question des parents et de leur implication dans leprocessus thérapeutique de leur enfant est en effet d’unebrûlante actualité. On a vu à propos de la bataille del’autisme comment la psychanalyse fut accusée de culpabiliserles parents et de mal les mener. Soit elle les laisserait àl’extérieur, les ignorerait, soit elle les inclurait pour leurfaire des reproches ! Depuis un certain temps, dans lesInstituts du champ freudien, nous nous sommes penchés surcette question des parents et de leur place dans ledispositif analytique de l’enfant. À cet égard, Lacan nous aorientés en pointant que l’enfant est d’emblée impliqué commesujet ou comme objet dans l’histoire du couple parental. Danssa « Note sur l’enfant », il distingue la place de l’enfantsymptôme de la vérité du couple parental de celle où l’enfantest pris comme objet saturant la place de l’objet a dufantasme maternel.

S’il y a donc lieu de donner une place aux parents, c’est toutd’abord pour repérer avec eux à quelle place l’enfant vient seloger dans le complexe parental, d’autant plus à l’heure desmutations nouvelles de la structure familiale. C’est aussipour mieux identifier le symptôme dont souffre l’enfant etpermettre sa juste formulation quand son énonciation n’est pasencore assurée. Alors, comme le formule J.-A. Miller dans sontexte introduisant la dernière journée de l’Institut del’Enfant, « on ne prend pas seulement les messages de bien-être négatif du sujet, mais également les messages de bien-être négatif, les malaises, venant des parents, venant desvoisins, venant de l’école… »

À charge pour le praticien de savoir-y-faire avec cepartenariat. Dans la FIPA, nous avons voulu reprendre cettequestion « Des parents partenaires de l’expérience », passeulement considérés comme Autre de l’enfant mais aussi commesujet pleinement concernés par l’expérience. Eric Zulianis’est attardé sur cette question.

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Traitement spécifique ou pasTraitement bref, spécifique ou pas ?

La question du traitement spécifique peut s’entendre deplusieurs façons. Simplement descriptive, ou bien structuralequi suppose qu’il le soit dans toutes ses modalités propres,ou bien seulement relative, dans son rapport à la cureanalytique classique, par comparaison. Il y a une formedescriptive simple : les traitements ne durent pas longtempset leur durée est fixée. Dans l’IPA on a ainsi défini desthérapies brèves. Des short-term psychotherapy.

Ensuite, on s’aperçoit depuis Balint et Ornstein qu’on préfèresouvent parler malgré tout d’une sorte d’oiseau rare :« Élaborer une forme de psychothérapie psychanalytique brève,systématique et qu’on puisse définir et améliorer ?[1]»Aujourd’hui l’inquiétude est justement là, dans les risquesque cela implique et on se questionne : « The danger exists

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that short-term thérapies which allow themselves to beincorporated into the managed-care industry[2]»

À l’inverse, cet auteur récent note que la plupart desspécialistes de ces thérapies mettent en jeu et centrent leschoses sur les relations entre les sujets et les autres et àl’intérieur du traitement, plus que sur ce qui se passe pourle sujet lui-même. Étudier les « relations » supposed’examiner le langage : « Our idiom is our mystery. [3]»Remarque qui s’applique au patient et au thérapeute… Laspécificité ne se sépare pas des modalités de transmission dela psychanalyse et des tentatives de la « fixer » dans unmodèle serait-il réduit. On sait que cela impliquait, pour lesauteurs « pionniers », un au-delà, une limite temporelle, soitla définition d’un but restreint, la fameuse « focalisation dutraitement ». Le « conflit focal » qui était supposé restaitpourtant un avatar du « conflit nucléaire » et infantile, etces conflits étaient eux-mêmes définis par French commepulsionnels. Ensuite le débat a été ouvert : faut-il alorssélectionner les patients ? Sélection qui définirait en partiela spécificité elle-même, mais les avis divergents sur cesmodalités n’ont pas abouti à une définition stable.

Pour nous ce n’est pas par ce côté que le problème est àsaisir. On oublie souvent qu’au départ le critèrethérapeutique n’était pas au premier plan, mais ce quiimportait c’était l’étude de l’interaction entre patient etthérapeute. Cela a donné une exigence de rendre compte au plusprès du processus, du point de vue du patient et du point devue de l’analyste. La brièveté permettait justementl’exhaustion des interactions et celle des interventions. Làoù Freud avait précisé au contraire que le début et la fin del’analyse étaient seulement aptes au compte-rendu par rapportau cours du traitement plus difficile à exposer.

Une autre tendance est de voir après Ferenczi dans cette formede thérapie une possibilité d’activation du processus quiserait spécifique. Freud avait répondu à Ferenczi : « Mais

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quelle que soit la forme de cette psychothérapie populaire etde ses éléments, les parties les plus importantes, les plusactives demeureront celles qui auront été empruntées à lastricte psychanalyse dénuée de tout parti pris. [4]» Alexanderprit dans les années quarante le parti d’activer le transferten modifiant le rythme, en interrompant le traitement ou enprenant le contre-pied de la situation de transfert.Aujourd’hui, certains manient par exemple une activationcalculée de l’angoisse.

En usant du terme de traitement rapide à Barcelone en 2005,nous avons choisi d’accentuer une question de rythme plus quede durée, rythme qui donnerait son style au traitement. J.-A.Miller soulignait cela : « C’est sans doute que nous neconnaissons que la cure analytique longue à effets rapides.Question : peut-on définir en psychanalyse quelque chose commeune cure rapide ? [5]» Les moments cruciaux d’une cureclassique se présentent souvent comme des moments rapides quipeuvent servir d’inspiration au traitement rapide. Quelle estdans cette perspective du traitement rapide la place dutransfert ? La brièveté ne laisse que peu de place à undéploiement de la répétition. Mais par contre n’y a-t-il pasdes éléments essentiels qui se révèlent cependant dans ladimension du transfert, d’où le souci pour le « relationnel »qui ferait symptôme ? Ce que Balint recherchait avecl’interaction c’est aussi ces effets spontanés et rapides dutransfert qui ne prennent pas ensuite le tour de larépétition. Lacan nous a aussi montré que le transfert n’estpas simple reproduction du passé mais bien production d’uneréalité nouvelle.

Autre question : est-ce le temps que l’on limite ou le but, lavisée même qui doit être définie, là où elle peut semblerindéfinie dans la psychanalyse ? Mais cet indéfini d’apparenceest lui-même pris dans la haute définition supposée àl’analyse de l’analyste et à son désir… Désir de l’analysteque Lacan met justement au centre du transfert. À ce niveau il

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n’y a pas d’analyste qui s’autoriserait de son « application »à la tâche ! On remarque que bien des traitements prendrontune forme singulière non pas par rapport au « cadre », maispar rapport à la modulation apportée à l’action de l’analystepar le temps, par la « focalisation » de sa décision, ou parson désir. Le point commun entre les traitements brefs et lacure, c’est l’idée que la terminaison peut en définirl’existence même. J.-A. Miller soulignait à Barcelone que :« Lacan a l’idée que les analyses se terminent bel et bien. Etces cas sont précieux parce qu’ils démontrent le caractèrefini de l’expérience, même s’il s’agit seulement d’un seulcycle. On peut toujours refaire des tours, mais chaque cyclede l’expérience a sa complétude. Ce serait une nouvelle thèse: l’analyse est tellement terminable qu’elle se termineplusieurs fois (rires), qu’elle aime terminer, et termine defaçon répétitive. Cela suit l’expérience de près. Il y a unefin finale, et comme l’analyse aime terminer, elle termine ànouveau. C’est dire qu’elle oblige à recommencer – pourterminer.[6] »

Souvent, on voit que le sujet lui-même ou l’analyste peuventdécider de mettre le mot fin avant ce qui est fixé. Est-cealors précipitation, prudence, ou impasse ? Quel est le rôlede l’analyste et de son désir dans cet arrêt rapide facilementattribué au patient, ou au cadre ?

P.-G. Gueguen remarquait à Barcelone à propos de la fin :« Non pas que le patient ait épuisé toutes les ressourcesqu’une cure analytique pourrait lui offrir, mais simplementparce que le mieux obtenu ne le contraint nullement às’engager plus loin. [7]» Il y voyait une liberté. Mais ons’aperçoit aussi que souvent, pas toujours, ce traitementrapide, fonctionne comme un préliminaire à une analyse. Celane veut pas dire qu’il s’agit justement d’un traitementpréliminaire.

L’anonymat de l’institution, voire le caractère multiple desintervenants peut être facilitateur pour des sujets forclos en

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déshérence de l’Un. Mais ce qui est à prendre aussi en comptec’est l’effet de l’époque et de son rapport au temps sur lafaçon de percevoir et de traiter le malaise. À ce propos, dansson dernier article paru dans l’Hebdo Blog, Miquel Bassolsremarquait que : « Dans cette conjoncture, il y a un paradoxequi fait notre actualité : plus on promeut l’éternité poursujet, plus on le pousse à l’urgence subjective ; plus ondéplace le sujet dans la chaîne infinie du signifiant, plus onobtient son angoisse comme signe d’un réel, plus on trouve unsujet hyperactif, un sujet poussé à l’acte.[8]»

Un traitement reste pour nous le traitement du réel par lesymbolique, avec parfois quelques retours !

[1] Balint Enid, Balint Michael, Ornstein Paul H., Lapsychothérapie focale. Un exemple de psychanalyse appliquée,Payot, 1963, p. 15.

[2] Coren Alex, Short-term psychothérapy, A psychodynamicApproach, Karnac books, 2001, p. 167.

[3] Ibid., p. 72.

[4] Freud S., La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1975,pp. 140-141.

[5] Miller J.-A., « Effets thérapeutiques rapides enpsychanalyse », La Conversation de Barcelone, Le Paon, 2005,p. 35.

[6] Ibid., p. 53.

[7] Ibid.

[8] Bassols M., « Le corps parlant et ses états d’urgence »,l’Hebdo Blog, 14/02/2016, article disponible en ligne.

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Diagnostiquer : un effort depoésie

Querelle diagnostique ou phénomène clinique ?

Lors de l’après-midi casuistique de mars 2015[1], Jacques-Alain Miller a souligné que le diagnostic n’est plus envigueur dans une clinique qui prend acte du « tout le mondedélire » lacanien. Dans ce contexte, a-t-il ajouté, lediagnostic ne se dit plus, il est sous-entendu. Par ailleurs,ce qui est à mettre en avant est l’interrogatoire clinique entant qu’il permet de constater le phénomène, le préciser et ledécrire très brièvement. Cette description concise est del’ordre d’une nomination.

Si le clinicien ne peut se passer d’une connaissance ducatalogue de la vraie psychiatrie, à distinguer du DSM, sacompétence à décrire le tableau clinique dépend de son talentde bien dire, celui qui lui permet de nommer le phénomène touten n’effaçant pas le sujet derrière le rapport clinique. Legénie de Clérambault est ici source d’inspiration. Parlant desrapports que Clérambault rédigeait chaque jour par dizaine,Paul Guiraud, qui a préfacé son Œuvre Psychiatrique, lesqualifie de « certificats sur mesures, œuvres d’art autant quede science ». En une ou deux pages, Clérambault savait« épouser sans lacune et sans défaut la personnalité dumalade, ne reculant pas devant le néologisme qui étaittoujours de filiation authentique. On peut dire qu’il apresque créé une école littéraire qui devrait être celle de

toutes les administrations [2]. »

L’usager du DSM 5 peut se contenter de noter le code 297.1(F22) pour indiquer que le patient souffre de Delusional

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disorder. Ensuite, son art se réduit à préciser s’il s’agit dutype érotomaniaque, grandiose, de jalousie, de persécution,somatique ou « mixed ». A l’opposé, les descriptionslittéraires de Clérambault dans ses courts « certificats »donnent à la personne décrite une consistance vivante. Il nes’agit pas seulement d’un tableau clinique, mais d’uneprésence, une épaisseur de corps, nourrie à l’occasion par descitations du patient. Ainsi, on croit entendre la voixd’Amélie, lingère dans une maison religieuse, décrivantl’étrangeté de l’automatisme mental qui la parasite. « Quandon dit “on”, dit-elle, on a l’air de parler de deuxpersonnes…Il y a quelque chose qui parle quand il veut, et quiarrête quand il ne parle plus. » Plus loin, Clérambault noteconcernant Amélie que « son érotisme se manifeste par dessourires et des rougeurs prolongés » ou encore qu’elle« commence et elle arrête des gestes impulsifs. Elle dit touthaut ce qu’elle suppose que nos pensons. » C’est comme si lelecteur participait à l’entretien quand il lit sous la plumede Clérambault : « Une moitié d’elle se fatigant à la fin del’interrogatoire et lui inspirant à ne pas répondre, une autremoitié, qui nous est favorable, s’irrite, et à haute voix ellerebiffe l’autre : « on veut répondre, laissez, on attendrabien un peu.[3] » On songe ici à L’amante anglaise deMarguerite Duras qui nous permet de toucher du doigt laréticence psychotique à partir de la mise en scène du lien quis’installe entre l’auteur du crime et l’homme qui l’interrogepour tenter de cerner le trou indicible de sa motivation. Etquand Clérambault conclut de façon laconique « En résumé :Automatisme. Érotisme. Mysticisme. Mégalomanie », ces mots quiappartiennent à une classification universelle, sonttransformés en nominations de quelques phénomènes éminemmentsinguliers du cas d’Amélie.

Les présentations de malades du Dr Lacan témoignent del’enseignement de Clérambault qu’il reconnaît comme son seulmaître en psychiatrie. Telles que nous les dépeint Jacques-Alain Miller[4], elles relèvent de la tragédie grecque, sauf

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que les participants à la présentation, à la fois chœur etpublic, sont dans une attente non pas d’une catharsis, maisd’un diagnostic qui serait le dernier mot sur le patient.Lacan esquive cette attente en faisant un pas de côté. Ilarrive à affirmer le diagnostic, et dans le même temps lesuspendre et le problématiser pour en prolonger l’étude. Saréférence à la classification est là pour dire la normalité dusujet psychotique qui ne manque pas de reconnaître l’Autredans l’automatisme mental qui le traverse. Pour le reste,Lacan suit le fil freudien d’une nomination de la jouissancesingulière qui l’emporte sur la nomenclature psychiatrique. Eneffet, Ernst Lanzer est entré dans l’histoire de lapsychanalyse sous le nom de L’homme aux rats plutôt que commeun cas de névrose obsessionnelle. De même, on pense à SergueïConstantinovitch Pankejeff comme étant L’homme aux loups avantde considérer le cas de névrose infantile, diagnostic par lasuite contesté.

Ainsi, aux côtés de la nosographie psychiatrique qui convient,la psychanalyse tente d’épouser au plus près non seulement lapersonnalité mais aussi la jouissance sujet. La nomination desphénomènes relève d’une compétence littéraire, plus quescientifique. Rien de mieux pour se former à cet effort denomination que la cure elle-même. Savoir nommer sa proprejouissance est une condition préalable au bien dire relatif àla nomination de la jouissance de l’autre. Diagnostiquer,c’est faire un effort de poésie.

[1] BOSQUIN-CAROZ, P. Compte rendu de l’Après-midi casuistiquedes CPCT et associations apparentées (FIPA).

[2] de CLERAMBAULT, G., Œuvre psychiatrique, PUF, Paris, 1942.

[3] Ibid. p. 457- 458.

[4] MILLER J.-A., « Enseignements de la présentation demalades », La conversation d’Arcachon, Paris, Le Seuil, 1997,p. 285-304.

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Les parents, partenaires del’expérienceDans l’expérience analytique avec le jeune enfant, on estsouvent amenés à se poser la question : Qui parle ?, à partirdu moment où se constate dans cette période de la vie lafonction de partenaire porte-parole, de la personne qui estamenée à s’occuper de cet enfant : le parent.

Ce dernier est en effet appelé à parler pour faire valoir leséléments de l’existence – besoins, demandes, désirs – del’enfant. Aussi, comme l’indique J.-A. Miller, « concernantl’enfant, on ne prend pas seulement les messages de bien-êtrenégatif du sujet, mais également les messages de bien-êtrenégatif, les malaises, venant des parents, venant des voisins,venant de l’école… Si, pour les adultes, on met la pédaledouce, pour les enfants, on prend en compte les messages

venant de l’entourage. »1

Ce constat fait apercevoir que parler, pour un sujet, relèved’abord de l’Autre : c’est d’abord l’Autre qui parle. L’énoncé« j’ai faim » par exemple, a d’abord été de l’Autre. L’Autreinterprète, en effet, les cris de l’enfant avant qu’un sujetne les assume par sa propre énonciation. Dans un premier sens,le parent est pour ainsi dire l’Autre de l’enfant, quel’analyste est amené à rencontrer.

Dans cette structure élémentaire où c’est d’abord l’Autre quiparle, c’est-à-dire qui demande, le sujet supposé est alorsdans une position particulière : à la fois il lui faut uneplace dans cet Autre pour s’instituer comme sujet d’uneénonciation possible, et en même temps, le langage étanttoujours de l’Autre, il en conservera comme un sentiment

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d’illégitimité : on n’est pas propriétaire du langage.

Le sujet va donc osciller entre le fait de parler et d’êtreparlé, ce que Jacques-Alain Miller précise ainsi : « Quelquechose (…) n’a pas précipité, au sens de Lacan, dans le rapport

du sujet de l’énoncé et de l’énonciation. »2

Pourtant il s’agit, dans la perspective d’une expérienceanalytique, de faire surgir le sujet dans l’enfant, et pour

cela, on peut être amené à « interpréter les parents »3, c’est-à-dire introduire l’équivoque, le malentendu en un Autre qui

parfois est asphyxiant4.

L’effet est alors double : que l’enfant assume sa propreénonciation ; que le parent soit rendu, lui aussi, à sonstatut de sujet, se délestant d’incarner l’Autre de l’enfant.

Les exposés cliniques que nous entendrons le samedi 12 marssous le thème : « Les parents, partenaires de l’expérience »,nous permettront d’explorer ces différents cas de figure.

1 – Miller J.-A., « Interpréter l’enfant », Interpréterl’enfant, col. La petite Girafe n°3, Paris, Navarin, 2015, p.22.

2 – Ibid.

3 – Ibid.

4 – Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants,col. La petite Girafe n°1, Paris, Navarin, 2011, p. 18-19.

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Avec les organisateurs de lasoirée du 12 mars : y’a d’lajoie !L’Hebdo Blog : En tant que directrice du CPCT Aquitaine,comment avez-vous œuvré pour encadrer l’organisation de cetévénement qui nécessite une logistique importante ?

Dominique Gentes : Quand le CPCT Aquitaine a été invité àaccueillir la 1ère Journée de la FIPA à Bordeaux, le choix dulieu s’est imposé comme une évidence au comité d’organisationlocale : Le Rocher de Palmer à Cenon – première scène desmusiques et des cultures du monde en Aquitaine – est à deuxpas du lieu de naissance du CPCT à Bordeaux, qui soufflera sesdix bougies l’an prochain.

Le samedi 12 mars 2016, la 1ère Journée de la FIPA sera donc àl’affiche du Rocher de Palmer.

Sa configuration est idéale pour accueillir cette première :d’un accès facile en tram (ligne A : arrêt Buttinière) ou envoiture (grand parking attenant), une grande salle confortabledotée d’une régie numérique et des coursives spacieuses pourla mise en place d’une librairie et d’un buffet pour ledéjeuner.

S’enseignant de ses journées annuelles, le CPCT Aquitaine avoulu que cette 1ère Journée de la FIPA soit également unmoment de convivialité et d’échange, d’où la mise en placed’un buffet (compris dans le montant de l’inscription).

En plus de l’équipe du comité d’organisation locale, trenteintervenants du CPCT local se sont mobilisés pour accueillirles participants dans les meilleures conditions et participerà cette première qui sera, à n’en pas douter, riched’enseignements sur la pratique de la psychanalyse appliquée.

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HB : La responsabilité d’organiser une soirée dansante àl’issue de nos travaux vous a été confiée. Que pouvez-vousnous dire sur la façon dont vous l’avez envisagée pour qu’ellesoit à la fois festive et conviviale ?

Guillaume Roy et Suzanne Marchand : La réflexion du choix dulieu et de l’esprit de la soirée a été collégiale, menée avecle comité d’organisation de la journée. C’est le désir rockqui à mon sens l’a emporté. Bordeaux est réputée pour sonXVIIIième siècle, pour ses grands écrivains (Montaigne,Montesquieu, Mauriac, Sollers), mais c’est aussi une villerock. Je suis musicien et via un collègue et ami musicien,j’ai contacté un groupe de rockeurs aguerris, les Mad and Men.Je les ai rencontrés récemment à une répétition et comme ondit, « ils envoient ». Sans dévoiler leur programme, je peuxvous dire qu’il va résonner et faire bouger celles et ceux quiaiment la danse rebelle des années 60 à nos jours. Et puis,c’est un groupe de rock fait pour s’entendre avec despsychanalystes : le « Mad » de leur nom de scène indique à lafois le Mad de « madness » et le Mad de « Mademoiselle ».

Très concrètement, la soirée aura lieu dans la salle duChâteau du diable à Cenon, une salle accessible en 15 min detramway depuis le centre de Bordeaux.

Début des festivités à 20h30. Au menu, grand buffet etsélection de vins de Bordeaux. 21h30 : début du concert de Madand Men. 23h00 : Never stop dancing, la soirée continue au sond’une playlist internationale. Au plaisir de vous y retrouver!

Last but not least, il est impératif de réserver votre placeen écrivant à l’adresse suivante : [email protected] sera possible d’effectuer le règlement lors de la journéeau Rocher de Palmer (30 euros, prix qui comprend le buffet +le concert).

Attention : pas de règlement ni d’inscription le soir même.

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Propos recueillis par Audrey Cavernes et Geneviève Cloutour-Monribot.

Temporalités du corps parlantL’on pourrait si l’on se retournait sur les cinq numéroscomposés par la nouvelle équipe de l’Hebdo blog depuis janvier2016 aisément tirer un fil, dans l’après-coup comme il se doitdans notre champ.

Du retour sur l’annulation des Journées 45 à la politique dela passe aujourd’hui, en faisant un détour par l’instant devoir en tant que détaché de toute aperception ou encore lerefus que ces pages se fassent le mausolée des événementsadvenus dans notre communauté de travail, la question du tempsest en effet au cœur des débats et réflexions qui font vivrenotre École : qu’elle soit remise en cause du « temps pourcomprendre » et précipitation vers le « temps pour conclure »ou nouvelle épaisseur donnée au présent par l’orientationtoujours plus poussée des psychanalystes vers le réel, latemporalité est au cœur de toute analyse lacanienne et se voitelle aussi bousculée par l’ère du parlêtre.

Aussi consacrons-nous ce numéro à interroger, aux côtés deMiquel Bassols qui nous livre son retour précieux sur lasoirée préparatoire au futur congrès de l’AMP, les différentesfaçons dont les corps parlants tentent de répondre à l’urgenceimposée par notre civilisation. Multiplication des objets quinous maintiennent toujours à côté de notre substancejouissante tout en espérant la combler, promesse d’éternité dela science comme de la religion qui ne font qu’accélérer le

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pousse-à-la-satisfaction qu’exige la pulsion : nous avons àrépondre à ces nouvelles distorsions temporelles, quiréinterrogent le temps logique dégagé autrefois par Lacan, etnous obligent à faire un pas de côté, bien au-delà desconsidérations sur le manque à être du sujet du signifiant, etcertainement pas comme conservateurs d’un temps passé mythiqueoù chaque chose était soi-disant à sa place, advenant en sontemps ou encore promoteurs du temps de la rétroaction comme duretour du refoulé.

Où se tenir quand s’abat la hache du réel, et quelle positionadopter face à l’urgence dans laquelle sont précipités noscorps passés au tamis des mots, mais pas seulement ? Autant dequestions pour lesquelles nos auteurs s’efforcent de vouslivrer des pistes en se hâtant lentement.

Virginie Leblanc.

Le corps parlant et ses étatsd’urgenceEn chemin vers le Xe Congrès de l’AMP qui aura lieu à Rio deJaneiro, au mois d’avril prochain, sur « Le corps parlant. Surl’inconscient au XXIe siècle », la soirée spéciale de l’AMP celundi 1er février a pris un versant d’actualité pour traiterce sujet. Cette actualité marque à nouveau la temporalité denos Écoles. Les événements des derniers mois à Paris,difficiles pour tous mais particulièrement pour nos collèguesfrançais, ainsi que les situations de violence générée dansd’autres lieux, nous amènent à une réflexion sur lessituations d’urgence subjective produites par l’irruption d’unréel dont nous sommes encore loin de voir toutes les

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conséquences.

Ce que nous désignons, à partir de l’enseignement de Lacan,par le corps parlant vit en réalité en permanent « étatd’urgence » par le fait qu’il est habité par la pulsion, cetteexigence immédiate de satisfaction. Que se passe-t-il quandcette exigence se fait présente depuis l’extérieur, dans larupture même des liens sociaux, comme pure pulsion de mort, ettoujours sous une forme distincte pour chaque sujet ? Lesétats d’urgence prennent dans chaque cas des modes singuliersde réponse qui échappent à toute explication sociologique.

Les collègues, membres du Conseil de l’AMP qui vivent dans desvilles diverses de nos Écoles, ont traité cette question dansla soirée avec le tact et la fine sagesse qu’on peut tirer del’enseignement de Lacan. Un même fil a traversé cesélaborations, celui du temps logique qui marque toujours laréponse du sujet de l’inconscient au réel impossible àsymboliser. Et cela dans l’articulation de deux dimensionstemporelles.

Il y a d’une part le temps du langage, un temps qui se posecomme éternel dans la mesure où on peut toujours ajouter unsignifiant à un autre signifiant dans un glissement infini dela signification. Cela a été de toujours – c’est le cas de ledire – le temps de la religion, du sens même qui dansl’imaginaire pose cette infinitude comme inhérente au temps.Le paradoxe c’est qu’aujourd’hui c’est la techno-science mêmequi promeut déjà cette éternité en prenant la relève del’Autre du langage dans une course d’Achille poursuivant satortue. En fait, on croit à l’éternité plus que ce qu’oncroit. Le sujet du langage, le sujet de la chaîne signifiantese pose comme éternel, tel que le fantasme obsessionnel lefait entendre jusqu’à éprouver la torture d’assister à sapropre mort. C’est ce sujet éternel du signifiant dont un Sadevoulait effacer toute trace de la surface de la terre.

D’autre part, l’expérience d’avoir un corps parlant implique

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l’expérience d’une limite temporelle, et cela toujours commeune urgence subjective. Dans la mesure où le corps est uncorps parlant, affecté de la jouissance, de la pulsionjustement appelée par Freud « pulsion de mort », il estmortel.

Entre ces deux dimensions, le destin du corps parlant est jouédans ses états d’urgence. Dans cette perspective, le tempslogique déployé par Lacan au commencement de son enseignement,– ce temps marqué par l’instant du regard, le temps pourcomprendre et le moment de conclure – implique toujours, eneffet, un sophisme, c’est à dire un raisonnement logique quiinclut une certaine tromperie. Il se pose comme un temps quise développe à partir de la structure du langage dans lesrails du signifiant mais il y a dans son train un voyageursecret : la pulsion même qui habite dans l’instant du regardet qui fait sa boucle autour d’un objet qui est le regardmême. Le regard comme objet pulsionnel introduit un court-circuit dans le temps logique, un court-circuit dans le tempspour comprendre, qui précipite le sujet dans l’acte dans lahâte, dans l’urgence. On ne peut pas résoudre la conclusion del’acte dans le temps logique sans faire entrer la pulsion dansson train. C’est par cette raison qu’il s’agit finalement d’unsophisme dans ce temps logique qui n’échappe pas à la doubledimension temporelle du temps infini du langage et du tempscyclique de la pulsion. C’est la pulsion en fait qui précipitele sujet dans son acte.

Dans cette conjoncture, il y a un paradoxe qui fait notreactualité : plus on promeut l’éternité pour sujet, plus on lepousse à l’urgence subjective ; plus on déplace le sujet dansla chaîne infinie du signifiant, plus on obtient son angoissecomme signe d’un réel, plus on trouve un sujet hyperactif, unsujet poussé à l’acte.

Le sujet de notre temps vit donc entre la métonymie infinieinduite par le langage et l’expérience du corps limité par lapulsion de mort et son exigence de satisfaction immédiate. En

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fait, c’est le temps qui nous impose la techno-science avecses gadgets, du portable à Internet : on est toujours pousséailleurs, on est toujours ailleurs que là où est notre corpsparlant. Le temps pulsionnel introduit ce court-circuit dansle temps du langage, il y fait irruption d’une façon quiarrive même à l’angoisse. On connaît déjà les effets diversd’addiction, de jouissance dans ce déplacement infini quipousse le sujet à l’urgence de l’acte.

Le corps parlant est ce nouage même entre le corps et lalangueque nous désignons aussi avec le concept de pulsion. Lapulsion est toujours l’expérience d’une urgence subjective parrapport au temps infini du langage. Du côté de la pulsion,comme on le verra dans les exposés de cette soirée, on esttoujours trop en retard ou bien trop en avance.

Ce « trop » qui habite le corps parlant est ce qui se faitprésent dans toute expérience traumatique qui motive l’urgencesubjective.

Dans cette perspective, notre collègue Oscar Zack, de BuenosAires, fait une subtile reconsidération du temps logique oùl’urgence subjective devient le signe d’un réel impossible àsupporter mais aussi le facteur nécessaire pour arriver aumoment de conclure dans ce temps. C’est en fait la remarquequ’on peut déjà trouver chez Lacan dans son discours de Romede 1953 : « Rien de créé qui n’apparaisse dans l’urgence,rien dans l’urgence qui n’engendre son dépassement dans laparole. » L’urgence subjective est la condition de toutecréation effective. En même temps, la parole, le temps dulangage, sont la condition de toute création pour dépassercette urgence. Dans cette articulation entre les deux temps,il n’y a jamais de rencontre prévisible, il n’y a que la purecontingence.

Juan Fernando Pérez, de Medellín, reprend à nouveau le tempslogique comme temps de l’angoisse : entre la menace quisuspend l’acte face à la figure de l’Autre méchant et le

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combat qui le transforme en ennemi. Et il souligne deuxréponses possibles qu’il a rencontrées dans la clinique desétats d’urgence : l’insomnie, une sorte de « procrastinationcirculaire », et l’état d’alerte généralisée qui précipite lafuite, la hâte, devant un signe quelconque de danger. L’étatd’urgence prend sa place donc entre procrastination et hâtesans pouvoir rencontrer le kairós aristotélicien, le momentopportun de l’acte. Dans cette conjoncture de l’impossible, ilnous propose la subtilité d’un « style tardif » qui habiteraitl’acte de création.

De son côté, Marcus André Vieira, directeur du prochainCongrès de l’AMP à Rio de Janeiro, introduit l’instance dusurmoi et de l’angoisse dans l’urgence subjective. Notreparadigme pour traiter l’urgence est l’angoisse qu’il fautfaire dé-consister à rebours du surmoi, cette voix qui regardele sujet en lui imposant une jouissance. Il introduit unnouvel élément dans la logique temporelle de l’urgence, c’estla « résonance asémantique » de la voix dans le corps parlant,instance de lalangue hors sens, partie non signifiante de lavoix, croisement entre signifiant et jouissance, qui n’a pasun objet prédéterminé mais qui introduit le temps de lacontingence. Un savoir faire, donc, avec la contingence pourfaire face à l’urgence du surmoi.

Patricia Bosquin Caroz, enfin, nous fait part d’une expériencedécidément subjective en deux temps à partir des deuxévénements tragiques qui ont secoué la ville de Paris lesderniers mois : celui des attentats du 7 et 9 janvier 2015 àCharlie Hebdo et l’Hyper Cacher, et celui des attentats du 13novembre. Il y a eu, en effet, deux réponses différentes àchaque événement, une identification massive au signifiantmaître et la bascule du groupe formé comme réponse àl’irruption d’un réel entre un silence imposé et un silencevoulu, entre le silence imposé par la terreur et un silenceparlant qui s’est fait présent aussi dans le rues de la ville.Il y a donc un temps de silence nécessaire au temps pour

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comprendre dans un deuil.

Enfin, si on peut conclure dans une formule pour scander cenouveau temps logique qui marque le temps de l’urgencesubjective de notre temps, on peut prendre la formule lancéepar Éric Laurent dans un débat riche en nuances : « Finiel’éternité ! »

9 Février 2016, dans l’après-coup de la soirée préparatoire au

congrès de l’AMP, qui s’est tenue au local de l’ECF le 1er

février 2016.

Le temps du réveilLa question du temps a traversé tous les exposés desintervenants à la dernière soirée de l’AMP à l’École le 1erfévrier, centrée sur « Le corps parlant et ses étatsd’urgence ». En effet, le temps est indissociable de l’abordde tout phénomène dans le dernier Lacan, comme le remarquaitÉric Laurent lors de la discussion.

Oscar Zack, notre collègue de Buenos Aires a évoqué l’urgencecomme reformulation du temps logique dans ce qu’il a appelé« le sophisme de l’urgence » qui implique une précipitation dumoment de conclure. Il a formulé une hypothèse : lacontingence de l’acte de l’analyse pouvait répondre à lacontingence de la rencontre du corps et de la langue. Il yaurait donc dans l’analyse une rencontre de deux contingences.

Juan Fernando Perez de Medellín s’est intéressé à la réponseface à la rencontre avec le réel : sidération où le tempssubjectif est figé ou hâte où l’acte se précipite en urgencesubjective. Il a également évoqué le style tardif (comme chezLacan) qu’il a opposé à la procrastination à propos des

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urgences subjectives (insomnie procratinatrice). Le styletardif implique qu’il n’y a pas de temps à perdre.

Patricia Bosquin-Caroz a centré son intervention sur le tempsde l’après-coup à propos des attentats du 13 novembre. Toutcomme O. Zack, elle a souligné que face à ces attentats, iln’y a pas eu de temps pour comprendre, mais on est passé del’instant de voir au moment de conclure avec l’annulation desJournées. Le temps pour comprendre est venu plus tard, aprèsl’effet d’après-coup advenu lors des Journées de l’ELP àBarcelone « Crises » où la vérité du trauma s’est imposée àelle. Selon la distinction proposée par Patrick Boucheron[1],les attentats nous ont assommés, alors que ceux de janviernous avaient sommés (dans les deux sens du terme), sommé plusde quatre millions de personnes à descendre dans la rue et àfaire somme, sommé de nous réunir et de débattre. Lesderniers attentats ont empêché les corps parlants de serencontrer, dans une aspiration à la sécurité des corps. Ilsont morcelé les corps, envers du culte de l’Un.

Tous les invités ont insisté sur le lien entre l’événementtraumatique et l’angoisse du corps parlant. Ainsi, MarcusAndré Vierra a souligné à partir de son exemple sur la balleperdue que l’angoisse vient dans un deuxième temps, lorsque lapolice proclame que chacun doit rester chez soi car le pirepeut arriver ou lorsque la voix des rumeurs envahit l’espacepublic. Comme pour la mante religieuse, il est impossible delocaliser cette voix qui n’est pas sans rapport avec celle dusurmoi. L’urgence est du côté de cette voix surmoïque quiimpose de jouir sans préciser dans quel objet. Il va s’agiralors de faire déconsister cette angoisse de l’urgence.

F. Perez précise que l’angoisse est ce qui réveille le corpsparlant. À partir du Séminaire L’angoisse, Lacan définitl’inconscient comme discours de l’Autre, c’est-à-dire ducorps, du corps en tant qu’il est troué, qu’il angoisse. Cetteangoisse structurante permet l’éveil du sujet qui le faitsortir du rêve d’éternité. Par son style tardif mettant en

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fonction de la hâte, il nous détourne de l’idéal et del’éternité pour nous concentrer sur la jouissance, précise É.Laurent.

[1] Boucheron P., « Les événements de janvier nous somment,ceux de novembre nous assomment », Libération, 6 janvier 2016,http://www.liberation.fr/debats/2016/01/06/patrick-boucheron-les-evenements-de-janvier-nous-somment-ceux-de-novembre-nous-assomment_1424729

Sarah Kane avant l’éclipsePour un sujet mort, déchu du langage et du monde, mais nonencore suicidé, que reste-t-il, sinon l’écriture, comme l’apuissamment relevé François Leguil qui nous fit percevoir enquoi nous pouvions nous laisser enseigner, et non passeulement par l’auteure Sarah Kane, auto-disparue à l’âge de29 ans, dévorée par sa psychose.

Nous laisser enseigner, qu’est-ce à dire ? Textuellement :c’est eux qui savent. A savoir faire confiance à la structurede ce lieu où l’on est immergé : un auteur et son texte, quitémoignent de la phase mélancolique de la psychose quiconduira la jeune femme à s’éclipser du monde, comme dudécalage et de l’impuissance du psychiatre et de l’imposantemédication qui défaille à accompagner la jeune femme ; faireconfiance, aussi, aux effets et à l’irradiation du texte surune troupe théâtrale qui s’en empare pour lui donner l’écrind’une mise en scène qui fait saillir ce qui fut de toujoursperdu par le sujet : l’Autre de l’amour et ses déclinaisons,la vitalité, tous deux magnifiés par le danseur et chorégraphecongolais DeLaVallet Bidiefono, qui n’en accentue que plus

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encore ce dont la jeune Sarah est démunie.

Quant au texte, il est immensément porté, incarné, par lajeune comédienne Sarah Llorca. C’est la musique électrique deBenoît Lugué et Mathieu Blardone qui nous prend, elle, par lamain, par l’oreille devrait-on dire, dans la première partiede la pièce, et elle ne tient pas un rôle mineur. Clinique, letexte certes l’est, tel qu’on peut le lire dans la traductionet la mise en page d’Evelyne Pieiller. D’une clinique froide,implacable même, et qui est l’implacabilité du désespoir. Leparti pris de la jeune troupe est ici tout autre que de nousmettre en présence d’un long monologue s’échappant d’un uniqueacteur immobile, rythmée par les fulgurances mélancoliques etmaniaques, et qui ne ferait que mobiliser chez le spectateursa répulsion à ce qu’on le fasse participer, de gré ou deforce, au « désordre au joint le plus intime du sentiment devie » , qui est la basse continue du spectacle. La mise enscène en prend donc le contrepied, nous convoquant à resterprésent, à entourer ce sujet sur le point de rejoindre sonpoint mort, nous convoquant aussi à assister au pitoyableexercice du psychiatre, qui voudrait rester désimpliqué dans« une relation professionnelle ». Le public est donc convoquéà une place de l’Autre de l’accueil, de l’accompagnement,sinon de l’amour. Et il faut bien dire que c’est une place quilui sied mieux que celle de le fixer à celle d’une jouissancevoyeuriste.

La mise en scène, la chorégraphie, la musique, ont aussi cettefonction d’occuper la place de la vitalité annulée, éteinte,désactivée, du corps du sujet « Mon corps décompense/moncorps s’envole de son côté ». Corps sur lequel la langue n’aplus prise, laquelle par moments s’emballe en un enchaînementdes mots, fuite, fugue. L’artiste, encore une fois ici,perfore le spectacle lisse du monde en ouvrant cette fenêtrepar la langue et l’écriture, faisant tout autant signe aupsychanalyste certes, mais aussi à tous ceux qui seconfrontent à la folie. Avec cette question à la clé : où

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situer le délire ? Du monde et de sa dite « santé mentale »,ou du sujet fou, c’est-à-dire de la folie de chacun.

La compagnie Du hasard objectif, en résidence au Théâtre del’Aquarium, y donne plusieurs représentations de la pièce deSarah Kane, 4.48 PSYCHOSE, du 2 au 21 février. L’envers deParis, en la personne de Philippe Bénichou et Christiane Page,en était, ce samedi 6 février, le partenaire attentif, avecFrançois Leguil, psychanalyste, psychiatre, membre de l’ECF,pour débattre avec et les acteurs et la salle.Mise en scène et scénographiée par Sara Llorca et CharlesVitez, le texte de la pièce avait été traduit par EvelynePieiller (L’Arche Éditeur). La chorégraphie est de DeLaValletBidiefono, la musique de Benoît Lugué et Mathieu Blardone,son : Olivier Renet, costumes : Emmanuelle Thomas, lumière :Léo Thévenon, régie lumière : Anaï Guayamarès, régie son :Sarah Bradley. Les comédiens sont DeLaVallet Bidiefono,Mathieu Blardone, Sara Llorca, Benoît Lugué, Antonin MeyerEsquerré