Voiture et Ville (en conflits)

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Synthèse d'articles tirés de mon blog

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Voiture et ville (en conflits)Octobre 2006. Stockholm Dans le numro 831 de Courrier International (du 5 au 11 octobre 2006), un article tir du Wall Street Journal fait le point sur la situation de lautomobile Stockholm, quelques mois aprs linstauration dun page urbain dans la capitale sudoise. Les journalistes (Leila Abbud et Jenny Clevstrom) insistent sur le fait que les habitants ont plbiscit par rfrendum le projet et que les observateurs trangers sont nombreux sur place. Il y aurait donc quelques dcouvertes sensationnelles attendre ?Rappelons dabord que la Sude compte un septime de la population franaise un peu moins de 9 millions dhabitants pour une superficie assez proche de celle de lHexagone (450 000 contre 550 000 km). Plus de 80 % des Sudois vivent en ville. Un sur cinq rside dans ou ct de la capitale. Les auteurs de larticle valuent en effet environ deux millions le nombre dhabitants que compte lagglomration de Stockholm. A proximit du littoral sud-est du pays, celle-ci stend sur des les fluviales entre un lac (Mlaren) et la mer Baltique. En labsence de reliefs contraignants et malgr lomniprsence des eaux de surface, les routes et autoroutes ont facilit ltalement de lagglomration, par talement de ses priphries (priurbanisation).Le rsultat est que le plan de Stockholm ressemble une toile. Les extrmits de chacune des branches se trouvent distantes dau moins vingt-cinq kilomtres du centre (sauf vers lest). Laroport international (Arlanda) est une quarantaine de kilomtres au nord, tandis que cinquante kilomtres sparent la banlieue sud-ouest de Sdertlje de celle au nord-est dAkersberga. Un primtre parisien ou londonien pour deux millions dhabitants.Seule la voiture permet un citadin de lagglomration de circuler, au moins lorsque les transports en commun ne desservent pas les trajets viss. Or les les de la partie centrale de Stockholm ne sont desservies que par un petit nombre de ponts routiers. Ceux-ci bloquent fatalement la circulation, entranant aux heures de pointe des bouchons importants. Mais les journalistes ne sintressent pas ces considrations gographiques. La grande affaire est ailleurs : le page, une exprience grandeur nature de contrle des comportements destine rguler plus efficacement le trafic pendant la journe et engager davantage dusagers emprunter les transports publics. Les rsultats paraissent nanmoins incohrents : 22 % de baisse lintrieur du primtre payant, mais pas dimpact significatif sur le nombre dusagers des transports en commun. On cherchera en vain une remarque ngative sur les consquences dune surveillance des allers et venues des habitants.Je prfre insister sur deux points. Le premier est quen Sude, comme dans de nombreux pays occidentaux, il y a une contradiction majeure entre une politique gnrale favorable pendant plusieurs dcennies lutilisation de lautomobile elle lest encore en grande partie et des dcisions ponctuelles visant au contraire lenrayer. Pour que les voitures occupent une place plus limite (souhaitable ?), il faut que leur nombre diminue, en particulier dans des espaces urbains aux dimensions fixes. Dans un Etat de droit, le seul procd acceptable est limpt, seul garant dune galit de traitement entre citoyen. A condition que les lecteurs valident la hausse des taxes sur lessence, ou sur les voitures. Lautre condition est que les densits urbaines augmentent au contraire de ce que lon observe dans le cadre de la priurbanisation avec une desserte consquente en transports en commun.Etablir un page octroi comme ici Stockholm, cest reconnatre que lon dlaisse la majeure partie de lagglomration, en dehors du centre-ville. Le page ne risque t-il pas en outre daccentuer la gentryfication (concentration des mnages les plus aiss dans les quartiers centraux) dun ct et la priurbanisation de lautre ? Dans le premier cas, les plus favoriss sont ceux qui nont pas besoin de faon quotidienne de leur voiture (et qui se trouvent donc dispenss de page) alors que dans le second cas, les automobilistes correspondent des citadins habitant en priphrie ; certains par got, dautres parce quils nont pas les moyens de payer un loyer ou dacheter un logement en cur de ville.*6 dcembre 2007. Genve Dans la deuxime agglomration suisse, 411 personnes ont rpondu la mi novembre une enqute sur le thme des transports urbains, et de la place rserver la voiture. L'encombrement du rseau genevois et la pollution atmosphrique qui en rsulte sous-tendent les douze questions poses des habitants de la cit. L'analyse fait ressortir quatre niveaux de rponses. Sept questions suscitent une quasi unanimit, c'est--dire entre 76 et 85 % d'opinions favorables. Elles tmoignent de l'tat d'esprit des sonds, et d'abord de l'impression d'envahissement qu'ils ressentent. Ils souhaitent en effet restreindre l'accs en voiture des frontaliers en crant des parkings Bardonnex et Annemasse (82 %) et restreindre l'accs en voiture des pendulaires vaudois en crant des parkings proches des CFF vaudois (76 %). Dans un cas comme dans l'autre, celui qui rside l'extrieur peu importe sa nationalit est vu comme un gneur et non comme quelqu'un qui se dplace pour travailler ou qui vient faire ses emplettes en ville. Qui s'en tonnera ? La trs large majorit approuvent les mesures visant amliorer leur cadre de vie : augmenter les zones pitonnes en centre-ville (76 %), achever la 3 voies entre Genve et Lausanne surtout en direction de la deuxime !? (80 %) et enfin rduire la fiscalit pour les entreprises qui favorisent les transports publics pour leurs employs (85 %). Dans ce dernier cas, les employs priurbains utilisant leur voiture sont visiblement exclus. Globalement, toutes ces mesures organisent la rarfaction des transports et agissent par ricochet sur le niveau des prix de l'immobilier, lment supplmentaire favorisant les propritaires. Les sonds plbiscitent de la mme faon les dcisions portant sur l'usage de la voiture : crer des parkings souterrains pour les habitants du centre-ville (83 %) et supprimer l'impt pour les voitures cologiques et sur les petites cylindres (81 %). Plus on parcourt de kilomtres, plus on a besoin d'une routire ; le propre d'un automobiliste effectuant des allers et venues entre le centre et la priphrie o il rside. Deux tiers des sonds dsirent justement augmenter l'impt sur les 4 x 4 et les grosses cylindres (64 %), mais aussi largir l'autoroute Genve Lausanne six voies (65 %). C'est le deuxime niveau de rponse. A une majorit simple troisime niveau on trouve les questions suivantes : raliser une grande traverse autoroutire (avec page) (53 %) et taxer les entreprises qui mettent des parkings disposition des employs en centre-ville (51 %). Beaucoup se sentent soudain concerns et condamnent cette mise en cause de leur propre situation. La douzime et dernire question n'a pas d'quivalent. Elle seule a dclench un vote ngatif. Car 35 % souhaitent instaurer un page urbain . Le doute n'est plus permis. Les politiques urbaines touchant la mobilit ne valent que lorsqu'elles sanctionnent les autres. Le page urbain constituerait une rponse efficace l'engorgement du rseau ? Impopulaire, elle risque de rester l'tat de simple postulat.Car Genve s'inscrit dans un carcan. Le canton genevois termine au sud-ouest le Mittelland, c'est--dire la Suisse des plateaux d'origine glaciaire, coincs entre le Jura (au nord-ouest) et les Alpes (au sud-est). A une altitude qui n'excde jamais 600 mtres, ceux-ci supportent la grande majorit des lacs que compte la Confdration, le Lman arrivant au sommet de la hirarchie, avec un peu plus de 580 km. En forme de banane empte, ce lac se vide dans le Rhne, unique fleuve exutoire. Le site originel de Genve correspond une colline dominant l'extrmit du Lman, au nord de la confluence entre l'Arve et le Rhne, ce fleuve qui spare aujourd'hui l'agglomration en deux. Mais l'environnement montagneux et lacustre s'est compliqu d'une dlimitation de frontire fige la fin du Premier Empire. Intgre la France en 1798, Genve rcupre son autonomie en 1813, l'arrive des troupes autrichiennes pourchassant les bataillons pars de la Grande Arme... [source] Elle se trouve depuis dans une impasse gopolitique, avec des frontires longtemps impermables. Sa vitalit conomique a cependant accompagn son talement spatial et transfrontalier. Car les Franais ont succomb depuis plusieurs dcennies l'attrait des salaires suisses. L'urbanisation de la valle de l'Arve ( et autour d'Annemasse) prolonge en France l'agglomration genevoise. En 2007, Genve touffe. Genve s'engorge, et La Tribune se fait l'cho (voir l'enqute voque au dpart) d'une exaspration grandissante de la population. Mais les hommes politiques ptissent d'attaques qui s'accordent par l'absence de cohrence et le calcul court terme. Le prsident de la chambre de commerce voque ainsi la construction d'un contournement de l'agglomration, un peu comme si la Suisse se situait au beau milieu des grandes plaines amricaines. Beaucoup esprent des grands travaux censs par enchantement rsoudre les problmes de circulation automobile. La traverse du Lman poserait (posera ?) le plus de difficults techniques, avec les implications financires que cela comporte. Or la ville a refus plusieurs reprises de fusionner administrativement avec le canton ponyme, qui largirait la capacit d'emprunt. Tous ces projets correspondent cependant une stimulation de l'offre. Sauf installation complmentaire d'un page, ils aboutiront comme en tmoignent des centaines d'agglomrations travers le monde une nouvelle augmentation du nombre de voitures ; et de nouveaux bouchons. Le dveloppement des transports publics achoppe sur la gographie de la population, et rentre par consquent en contradiction avec l'talement priurbain de Genve [source]. Un article amne le lecteur sur une piste plus intressante, la densification de l'habitat urbain. Rendre la ville habitable du point de vue des loyers impliquerait d'exproprier et de construire plus en hauteur. Il faudrait un Calvin, ou un Bonaparte... Pour l'heure, un observateur constate que Genve se dveloppe selon le modle californien, avec une priorit la voiture. Les gens habitent dans leur villa en priphrie, travaillent dans les zones industrielles, frquentent les grands centres commerciaux et les salles multiplex et nont plus aucun contact avec le centre-ville. Paralllement, ce centre est investi par les bobos, un retour sur la vie de quartier, les piceries bio et des mesures de restriction du trafic. On appelle ceci la gentryfication et on la voit dj luvre, notamment dans le quartier des Bains. Genevois, quelles solutions ?*17 septembre 2009. Agen Aprs des mois de rflexion, la mairie d'Agen a instaur une zone dite 30 km/h dans le centre de la ville. Les deux mois d't ont t ncessaires pour fixer les limites extrieures, repeindre les affichages au sol, installer les nouveaux panneaux et dos d'ne... Compte tenu de ce qu'est la ville d'Agen, un centre-ville trs dense et des rues trs troites, etc. Pour qu'on s'y sente bien, il faut que les voitures roulent doucement. Et donc on s'est raccroch une rglementation nationale qui est celle de la zone 30. Par une extraordinaire concidence le maire d'Agen, Jean Dionis du Sjour, appartient au Nouveau Centre, parti des anciens de l'UDF rallis Nicolas Sarkozy.Son adjointe Laurence Maoroff prcise que la zone 30 correspond une nouvelle approche de la circulation. Celle-ci dpasse la seule question de la vitesse des voitures : veut dire que les pitons ont la possibilit de traverser n'importe quel endroit, et pas forcment dans les passages matrialiss pour pitons, et veut dire que les cyclistes ont la possibilit de s'insrer dans la circulation et ont la possibilit de rouler double sens dans toutes les voies de circulation... Mme si le maire vante tous les bnfices attendre de son projet, il reconnat que la police ne tardera pas faire appliquer l'arrt municipal. Notre plan, c'est un mois de dialogue entre la police et les contrevenants, et un trs gros effort de communication, et aprs un dispositif permanent. Alors bien sr, le dispositif permanent inclut des sanctions. C'est normal. [...] Mon rve pour l'hyper-centre d'Agen, c'est que ce soit un cur qui batte fort, et qui retrouve un dynamisme commercial, o je vois des belles enseignes, des commerants qui nous amnent de beaux produits et qui en mme temps gagnent leur vie, gagnent de l'argent ; et je sais, en ayant voyag un petit peu en particulier en Allemagne, que pour qu'un cur vive bien, il faut que les voitures restent leur place. Donc nous avons maintenant toute une nouvelle communication faire pour rentrer dans la modernit et apprendre partager de faon un petit peu diffrente. [Jean Dionis du Sjour / Site officiel de la mairie]Sans les dsigner formellement, la zone 30 vise les actifs rsidant l'extrieur d'Agen. Les professions librales, les enseignants ou encore les personnels administratifs viennent travailler chaque jour dans le centre. Or, dans l'extrait vido mis en ligne, tout le monde s'exprime sauf eux. Le premier dile manifeste surtout son attention aux commerants, qui contribuent au budget de la commune. Les policiers interrogs rappellent qu'ils ont le mois de septembre pour dialoguer avec les contrevenants. Les amendes tomberont ensuite.Pour La Croix du 16 septembre 2009, Nicolas Csar a obtenu une interview de Jean Dionis du Sjour. Les gens sont exasprs par les excs de vitesse. A tel point que certaines personnes ges et jeunes mres de famille sortent moins en centre-ville. En cinq ans, on a recens 39 accidents de la route dans Agen. En cas d'accident avec un piton ou un cycliste en zone 30, juridiquement l'automobiliste est en tort, quelles que soient les circonstances de l'accident. Passons le non-sens cocasse : il risque d'y avoir plus d'excs de vitesse dans la zone 30 qu'avec une limite habituelle 50 km/heure. Une contradiction me gne davantage.Si la mairie s'inquite du nombre d'accidents sur la voie publique, pourquoi autorise-t-elle les pitons sortir des clous et les cyclistes remonter les rues en sens interdit ? Les usagers les plus mme de tomber ou de percuter un obstacle ne vont-ils par prendre plus de risque dans la zone 30 ? Dans La Croix, le maire d'Agen laisse percer le caractre insidieux de sa mesure. Il veut faire payer les automobilistes en cas d'accidents avec un piton et / ou un cycliste. Les Agenais vivant dans le centre ou proximit peuvent se passer de voiture. Le primtre urbain forme une sorte de carr de deux kilomtres de ct situ sur la rive droite de la Garonne : le premier pont sur le fleuve date de la Restauration [source]. La zone 30 contraria les visiteurs - pourquoi pas ? - mais galement les actifs rsidant hors d'Agen.Le Tartuffe de Molire circonvient Orgon pour pouser sa fille. Il contrefait le dvot, mais ne peut cacher sa vraie nature lorsqu'il se retrouve en tte tte avec l'pouse du prcdent. Ah ! Pour tre dvot, je n'en suis pas moins homme. Ses prires sont bruyantes et ses bonnes uvres annonces la cantonade. Lui qui n'oublie pas de lutiner dans l'ombre la premire venue, demande bien fort une servante de dissimuler sa poitrine. Par de pareils objets, les mes sont blesses. Et cela fait venir de coupables penses. Plus il disserte sur les trsors du Ciel, plus il agit dans le sens de ses intrts terrestres. Molire incite celui qui coute Tartuffe penser le contraire pour saisir ses vritables intentions. Il dessine un personnage retors, habile ne dire que l'essentiel. L'imposteur dit en effet ce que ses interlocuteurs veulent bien entendre. Il faut finalement Orgon plusieurs signes convergents pour dcouvrir la duplicit du dvot.Jean Dionis du Sjour ne se reconnatra sans doute pas dans cette comparaison. Il protestera de ses bonnes intentions l'gard de tous ses administrs. Il veut aussi inciter ses administrs privilgier les transports en commun. Des parkings relais ont t installs 1,5 km du centre-ville. L, chacun peut laisser gratuitement sa voiture pour prendre une navette qui l'emmnera dans le centre. Par ailleurs, les tarifs du stationnement en plein centre devraient augmenter d'ici quelques mois. [Nicolas Csar / La Croix] Les projets de transformation de rues importantes - le boulevard Carnot ? - en rues pitonnes conduiront pourtant rarfier le nombre de places de parking dans le centre.Il en rsultera un renchrissement du logement, et un renforcement de l'homognisation sociale (gentryfication). Geographedumonde (Des b.o.f.s aux bobos) a dj dcrit les mcanismes en jeu. Mon propos n'est pas de remettre en cause la rhabilitation du cur de la ville d'Agen, mais d'en montrer les consquences en terme de sgrgation sociale. Car la voiture rgne en matre ailleurs. Toute politique tarifaire ne prenant pas en compte la globalit du territoire et la majorit de la population se heurte un mur. La politique des transports mene Agen ou ailleurs renforcera les zones commerciales priphriques, c'est--dire l'inverse des promesses du moment.On peut contempler celles-ci sur les images satellitales. Deux appartiennent la commune d'Agen : l'est sur la route de Cahors, et au sud (ZAC Agen - sud). A cinq kilomtres vers le sud-est, le parc commercial de Siailles s'tend sur la commune priurbaine de Bon-Encontre : 2.600 habitants en 1962, 4.460 en 1982 et 6.000 en 2009 (Source). Sur l'autre rive du fleuve, en plaine zone inondable, le Passage d'Agen s'tire jusqu' l'autoroute A62, dite des deux mers. La population rsidentielle a l aussi nettement augment dans les dernires dcennies : 5.700 habitants en 1962 pour 9.000 habitants en 2005 (Source). L'un des deux sites d'activits de l'agglomration - avec celui plus excentr encore de Pont-du-Casse l'est - s'tire entre la quatre-voies et l'aroport d'Agen la Garenne, cinq kilomtres du centre.Les personnes vivant dans le dpartement du Lot-et-Garonne, plus ou moins dans l'orbite de l'agglomration, se contentent dj des hypermarchs entours de parkings. Clairement dcourags d'y entrer, se rendront-ils nouveau dans le centre ? Je crains qu'ils n'y viennent plus que pour des sorties nocturnes, ou des courses un peu exceptionnelles. Encore faut-il garder l'esprit la concurrence en la matire de Bordeaux et de Toulouse, toutes deux moins de cent-cinquante kilomtres d'Agen.La musification du cur d'Agen s'avrera peut-tre payante court terme, auprs d'une population retraite. La tartufferie de l'quipe municipale ne va pas plus loin, je pense. Dans l'immdiat, la zone 30 colle l'air du temps. Peut-tre ne changera-t-elle pas grand chose. Elle ne grve en tout cas pas le budget municipal, et assure donc bon compte la popularit de la municipalit. Mais outre la fuite des activits l'extrieur, le centre-ville se videra parce que trop cher et trop bruyant la nuit. A l'heure o les Tartuffes - qu'ils soient Agen ou non m'importe peu - se gargarisent de dveloppement durable et d'conomie d'nergie, cinq, dix ou vingt kilomtres, les pavillons piscine poussent comme des champignons. L'Agenais bnficie il est vrai d'un ensoleillement moyen (1.984 heure/an) suprieur de deux-cents heures celui de la rgion parisienne.*3 octobre 2011. Paris Dans les concerts de louanges, les solistes talentueux forcent toujours l'admiration. Il faut fliciter ce titre les journalistes anonymes du Nouvel-Observateur et leur irrespect discret. A Paris, le constructeur Bollor va en effet proposer la location des voitures lectriques. L'opration commence dbut dcembre. Tout le monde s'enthousiasme : Google recense plus de trois-cents articles plus ou moins inspirs par la dpche AFP. Les lus posent devant les premiers vhicules, et les journalistes couvrent l'vnement comme l'arrive du Tour de France sur les Champs-Elyses. Pendant ce temps-l, l'homme de la rue se prend rver au volant de l'engin (source). La voiture compacte permettra au conducteur de se glisser dans la circulation. Electrique, elle plaira aux colos. L'abonnement semble de surcrot accessible. Formidable.Grce l'article du Nouvel-Obs on retrouve les informations essentielles : 250 voitures en dcembre, 2.000 fin juin 2012 rparties entre 33 stations. Les Bluecars pourront rouler sur autoroute (vitesse maxi 130 km/h) et sortir de la ville puisque leur autonomie atteint 250 kilomtres. Il en cotera 12 euros par mois, auxquels viendront s'ajouter les cinq euros de premire utilisation.A 25.000 euros l'unit (source) les voitures reprsentent l'quivalent de 2.000 futures cotisations. A quelque chose prs, et nul doute que tout cela a t calcul, il faudra rpartir le vhicule entre autant de loueurs pour parvenir l'quilibre financier. Soudain je pense aux clubs de tennis, avec leurs cours vides les trois quarts de l'anne, et dans lesquels les abonns s'charpent la belle saison en fin de semaine pour obtenir les crneaux les plus recherchs. Mais dans le cas de la voiture aux 2.000 utilisateurs, la prouesse sera plus remarquable encore. Si l'on part de l'hypothse de douze crneaux d'une heure multiplis par trente jours, on obtient le chiffre de 360 crneaux. Que les vingt-quatre heures quotidiennes soient distribues et l'on parvient l'objectif raisonnable d'un crneau pour trois personnes et par mois. A deux ou trois heures du matin, peut-tre pourra t-on jouir seul des rues dsertes au volant d'une Bluecar ?Dans ce calcul primaire, je ne tiens compte ni des dpenses d'entretien, de nettoyage et de rparations, ni du montant de l'assurance (2.500 euros par an et par vhicule d'aprs le Nouvel-Obs) ni enfin du salaire des personnels affects aux stations. Car mille ambassadeurs indiqueront avec diplomatie aux conducteurs le soin apporter ces voitures pour lesquelles ils dpenseront moins que pour leurs tlphones portables ou que pour leur abonnement tlvision&Internet. Ils surveilleront ensuite la passation des clefs l'heure dite et l'tat des pare-chocs et des ailes froisss. Pour 12 euros, l'offre de location prsente sur le papier de nombreux avantages.J'ironise, comme on peut le voir, peu convaincu par les arguments de vente. Qu'importe puisque le ministre de l'industrie tombe pamoison. "Le pr-lancement d'Autolib, qui constitue le plus grand service mondial d'auto-partage lectrique, offre l'industrie franaise un trs beau succs [...] Depuis 2007, l'Etat a organis et accompagn une mobilisation sans prcdent des industriels en faveur du vhicule lectrique et hybride". Mais le Nouvel-Obs donne la clef de ce projet, dont il dit qu'il "constitue une vitrine de choix pour Bollor, qui a investi prs d'1,5 milliard d'euros dans la fabrication de sa voiture et de la batterie qui l'quipe. Cette batterie dispose en effet d'une technologie LMP (lithium-mtal-polymre), unique et brevete par le groupe, qui espre l'imposer aux constructeurs automobiles."Il y a donc de la part du groupe Bollor un calcul manifeste. L'opration cotera cher mais la perte se justifie autrement, comme une tape obligatoire dans la conqute de marchs. Tout porte croire que l'issue du projet est d'ores et dj connue (source). L'avenir dira si Bollor a fait un bon calcul. D'aucuns regretteront la participation des pouvoirs publics une campagne de publicit grandeur nature. Les lus avanceront que la voiture lectrique reprsente l'avenir. A tort.Deux rflexions s'imposent pour finir. Il s'agit d'une part du rapport dlicat entre les Parisiens et les Franciliens. Les premiers peuvent tout fait se passer de voitures compte tenu de la densit des transports en communs dans la commune-centre, ce qui n'est pas le cas des seconds. Les premiers circulent aisment tandis que les seconds ptissent de l'encombrement des axes routiers ['Ceinture et Sainte-Soulle'] et de la saturation du rseau de transports en commun franciliens : 'L'Afrique est dans l'attente, les Franciliens aussi'.L'offre de voitures lectriques ne profitera nanmoins pas aux seconds, mais bien aux premiers. Certes, Bollor annonce terme une augmentation du nombre de stations en dehors de Paris. Mais il faudra d'ici juin 2012 striliser 2.000 places de parking en surface : pour l'instant, il n'est pas possible de garer les voitures lectriques en souterrain (par mesure de scurit, apparemment). Cela implique la disparition de huit kilomtres (2.000 x 4 mtres) de trottoirs pour les automobilistes, parmi lesquels les Franciliens travaillant Paris. Le prix du garage risque fort d'augmenter en consquence; les propritaires apprcieront.Mais le projet Bollor se heurte d'autre part un problme plus aigu. Il y a trop de voitures en France. Comme le montraient en avril dernier les statistiques donnes par le journal Ouest-France ['Une auto, des totaux']. Du point de vue conomique, cologique ou spatial, le bilan ne fait pas de doutes. Les multiples incitations l'utilisation de la voiture ont abouti une complte saturation. Mme si l'on admet la supriorit des vhicules lectriques, le projet Bollor s'inscrit dans cette mme logique. Et je pars du principe que les cots de la fabrication de l'nergie et du retraitement des batteries rentrent dans le total.Comme en Loire-Atlantique ['Nantes, capitale du bouchon vert'], les Franciliens guettent une solution aux embouteillages : l'tude de l'Institut d'Amnagement et d'Urbanisme d'le-de-France de 2005 mriterait un toilettage (source). Mais l'agglomration s'tale ['Au fond Dupuy, le Grand Paris'] et le recours la voiture ne connat plus qu'une limite, celle du bouchon. Hors dimanches veilles de lundis fris, pas un jour dans l'anne le rseau routier francilien ne laisse filer ceux qui l'empruntent. Sytadin avertit en temps rel des accidents, des chantiers en cours et des embouteillages : autant dire constamment.La voiture lectrique incarnera Paris comme la tour Mdicis (incrustation) incarnera la banlieue. Alors quand la premire desservira la seconde, on parlera de la voiture Mdicis.*16 juin 2014 A mon chelle, celle d'un quarantenaire concern au premier chef, j'observe depuis une petite dcennie ce phnomne central qu'est la transformation du rapport entre l'homme dvelopp et son territoire. A l'aboutissement du processus, la proportion des ruraux profonds, c'est--dire de ceux rsidant hors de la ville et sans contact avec elle - non seulement du point de vue de la rsidence mais aussi par l'activit professionnelle- est tombe un niveau plancher.En France, 3 % des actifs travaillent dans l'agriculture et moins de 5 % de la population nationale vit dans ce que l'on appelle le rural profond. Dans un pays qui a compt jusqu' 30 millions de paysans, on ne dnombre plus aujourd'hui que 800.000 agriculteurs. Aux Etats-Unis, terre promise du nouveau peuple lu, les farmers reprsentent un peu plus de 1 % de la population active.C'est cependant du point de vue du rapport entre l'homme dvelopp et la ville que l'volution frappe plus encore. Un fait civilisationnel s'est impos avec le dveloppement des classes moyennes et de l'habitat pavillonnaire, la tertiarisation des activits mais aussi (j'y reviendrai) le rejet de la mixit sociale par une part plus ou moins minoritaire de la population. Dans le mme temps, le fait gographique s'est dissout. La ville dfinie depuis l'origine par sa densit, ses activits et les liens tisss entre ses habitants, a peu peu laiss place la ville tale, sans rites sociaux/religieux, sans lieux de commerce/march, sans artisanat/transformation des matires premires. En quelques dcennies, ces conqutes implicites ont t ramenes peu de choses, souvent des reliquats ou activits de niche pour ultra-riches.Alors rsumons...Quatre dynamiques urbaines se sont succdes au sein des aires urbaines de plus en plus largies dont l'onde se rpercute toujours, mme faiblement1.Du centre vers la priphrie (ds les annes 30 Chicago ou Los Angeles, aprs 45 ailleurs aux Etats-Unis ou en Europe), la voiture permet aux happy fiew de s'extraire des tracas de la ville, de quitter sa violence populaire et sa pollution. Les Etats-Unis - contrairement aux ides reues - n'initient pas cette rvolution, mais rattrapent leur retard aprs la Grande guerre. Dans le mme temps, l'urbanisme nat en tant que science pratique tandis que l'architecture thorise l'habit individuel.2.De l'extrieur vers le centre ( partir de la fin des annes 1960-70) l'augmentation du nombre de voitures et l'encombrement naissant des voies de communication se combinent. Les Etats chouent assurer une rgulation correcte, dpendants du ptrole, pris dans une politique de l'offre en infrastructures routires et en vhicules : la voiture, rve et emploi de l'ouvrier. Les temps de trajet augmentent alors que les classes moyennes issues de l'immigration gotent aux joies de la banlieue. Ds lors, celle-ci se transforme en repoussoir pour les catgories les plus aises. Arrivent les annes 80, celles de Wall Street et du retour des lites vers les centres gentryfis (et rhabilits, dans le cas de la France). Les prix montent, aiguisant les apptits.3.Du centre vers l'extrieur ( partir des annes 1990) La gentryfication fait dans un premier temps des heureux, qui vendent pour quelques bouches de pain des immeubles vtustes - sans confort ni garages - au cur des centres historiques, des terrains rests libres, des dents creuses dtruites pendant la guerre. Mais assez vite, la perversit du mcanisme apparat,. La gentryfication purge la ville de tous ceux qui peinent suivre l'lvation des prix, elle-mme gnratrice de surcots (scolarisation, impts locaux, panier de courses, services la personne, etc.). Les quartiers populaires disparaissent et le petit peuple des Halles parisiennes s'vanouit. Les repousss en banlieue prolongent le mouvement prcdent, mme s'ils s'en distinguent par tous les moyens, faisant contre mauvaise fortune bon cur, ou au contraire jaloux de ceux qui peuvent rester en centre-ville.4.De l'extrieur vers le centre (maintenant) Les baby-boomers vieillissent sans enfants, ne voient plus l'utilit de garder leurs maisons de banlieues. Tant qu'ils peuvent vendre dans des conditions financires qu'ils jugent satisfaisantes, ils en profitent. Ils cdent leurs maisons, la plupart du temps des couples (avec de jeunes enfants ou pas) qui paient cher cette acquisition : l'chelle de tout un pays, on assiste un transfert gnrationnel de richesses, des jeunes actifs vers les jeunes retraits. Ces derniers s'alignent sur les prix du march intra-urbains, quitte rduire leur surface habitable. Dans le centre, les prix montent, continuent de monter. Mais en priphrie, ils reculent dsormais, bloquant toute volution (centre/priphrie ou priphrie/centre).Aux Etats-Unis, deux tiers des Amricains, phares de l'homme dvelopp, rsident dans des suburbs, pour des motifs louables (vie tranquille, espace habitable, confort voiture/piscine, etc) ou d'autres inavous : le white flight dcolle avec la peur des bombardements (allemands et/ou japonais) mais surtout avec l'arrive des Noirs amricains dans les villes, librs enfin de l'odieuse sgrgation.Dans la France des annes 60-80 - aprs la fin de la guerre d'Algrie - se cumulent l'augmentation de l'immigration rclame par le patronat franais et le remplissage des grands ensembles mal conus de la reconstruction. Ceux qui alimentent le sprawl sont blancs, conscients de leurs avantages et statuts (en particulier dans la fonction publique), globalement sereins et gnreux, mais hostiles pour eux-mmes au melting pot.Les Franais ressentent et affrontent cette ralit diffremment en fonction de leurs situations gographiques plus que par leur niveau de salaire ou leur type d'emploi : point de lutte de classes l'horizon, mon sens ! Certains tirent profit, ou au minimum ne subissent que des effets indolores - exemple d'un propritaire cadre sup' vivant en centre-ville et ayant dj rembours son emprunt - quand bien d'autres pataugent dans la gestion quotidienne des transports, du paiement des loyers, ou pire de la recherche d'emplois trop rares. Ces deux France s'ignorent. Se hassent ?Le dbat sur la scurit routire (et la limitation 80 km/h) [photo Tlgramme] apporte une nouvelle pierre l'difice des tensions sociales. Ajoutons tout de suite pseudo dbat, car la question n'est pas de discuter s'il vaut mieux avoir un accident 90 qu' 80 km/h. A part quelques hurluberlus de mauvaise foi, personne ne peut affirmer que moins de vitesse produit autant d'accidents (sans mme parler des complications lies aux-dits accidents).On le sait depuis l'instauration du 50 km/h en ville [Tartuffe d'Agen], le dbat sur la scurit routire oppose d'un ct les raisonnables, de l'autre les motionnels. Les uns vivent au milieu de la ville, s'extraient sans peine des problmes de circulation parce que leur travail se situe plus ou moins proche de leur domicile, grce aux transports en commun et aux vlib'. Ils ne se montrent pas hostiles une certaine dose de mixit, comme dans les logements dits sociaux, condition que cette diversit d'origine reste modre et cantonne dans un systme scolaire parallle.Les priurbains se coltinent quant eux les bouchons et la banlieue. Or les temps de trajet vont s'allonger si l'on passe de 90 80 km/h. Ceux qui vendent leurs biens " 5 minutes du centre" comprennent l'impact d'une modification apparemment bnigne du code de la route. Ceux qui n'arrivent pas vendre saisissent qu'il faudra dclarer un temps de trajet plus long ! La valeur (dclinante) de leur bien va donc baisser encore.Ces priurbains concerns par la baisse 80 km/heure voient l'Etat incapable de rguler la circulation (et en particulier les bouchons pendulaires). Cet Etat s'apprte multiplier les rentres fiscales sous la forme d'amendes pour excs de vitesse; Tout cela sans rsoudre les problmes poss par le vieillissement des conducteurs titulaires, la conduite sans permis, ou les permis trop chers pour les entrants : la proposition d'un abaissement de l'ge 15 ans passe ct de la question du cot !Un nud gordien entrave dsormais toute volution, l o prcisment les pays concerns entamaient une transformation majeure; pas seulement en France, mais en Amrique du Nord (d'abord aux Etats-Unis) et en Europe. La rvolution de l'automobile et l'enrichissement rapide d'une frange de plus en plus large des socits dveloppes ont anim une dynamique urbaine sans prcdent depuis la rvolution industrielle, celle du chemin de fer et du premier capitalisme. Un internaute, sur Twitter m'annonce que "la civilisation de la voiture est finie". Voil ma rponse :" Votre remarque me fait penser Mao lanant la Rvolution culturelle "Que cent fleurs s'panouissent..." Je fais des visites de maisons de campagne (en Ille-et-Vilaine) pour me rapprocher de mon lieu d'enseignement. Des tas de biens ne trouvent plus d'acqureurs. Je vois des gens littralement ruins, qui ont achet, ont fait des travaux. Ont du changer de boulot et dmnager. Ces Franais-l ont peut-tre pch par lgret, excs de confiance. Peut-tre ont-ils t dup. En tout cas, ils grondent..."Le mme interlocuteur, penchant pour l'explication moraliste assne que les priurbains ont voulu tre des grenouilles plus grosses que le boeuf ! Conclusion personnelle :"Vous faites une mauvaise lecture. Les Franais qui depuis 20 ans ont achet hors agglomration, ceux des annes 1990-2000 les priurbains "rcents", n'avaient pas d'autres solutions que de partir : cause de l'envole des prix en ville ! Dans cet opra Bouffe, les comiques (sans le savoir) vont venir casser la scne en juste retour de leurs pitreries. En effet, sans leur aimable participation - achats de maisons " rnover" (comprenez puits sans fonds) ou de terrains ex-agricoles devenus par le miracle de la dcentralisation - pas de gentryfication en retour dans les centres-villes"...