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Evolution de la médecine japonaise 1 Évolution de la médecine japonaise face au modèle chinois Des origines jusqu’au milieu du XVIII e siècle – L’autonomie par la synthèse 1 par Mieko MACÉ (membre du GDR 798 du CNRS chargée de cours à l’Université de Paris II) Reposant sur le savoir continental transmis dans un premier temps par l’intermédiaire de la Corée 2 , puis recherchée directement à la source en Chine, la médecine traditionnelle japonaise ne peut être dissociée de son modèle chinois. Mais contrairement à ce que laisserait supposer une vue rapide des choses, son histoire ne se présente pas comme un simple processus d’assimilation de la médecine continentale. Derrière un certain nombre d’analogies évidentes, puisqu’il s’agit du même savoir, on peut déceler très tôt une sorte de décalage entre les deux médecines. Ainsi, si le Japon, comme les autres cultures d’Extrême-orient reçut la marque des grands courants de pensée connus sous le nom de bouddhisme, confucianisme, taoïsme, ceux-ci n’eurent qu’une influence indirecte 1 Au seuil de cet article, je tiens à remercier le docteur Alain Briot des précieuses remarques qu’il m’a communiquées à la lecture d’une première version de ce travail. Dans la dernière version, je me suis efforcée de tenir compte des critiques et des remarques qu’à bien voulu me faire M. Jacques Gernet que je ne saurais assez remercier de sa bienveillance. Il est bien entendu que les opinions soutenues dans ce texte et les erreurs qui pourraient subsister n’engagent que ma compétence. 2 Sur la médecine coréenne introduite au Japon, voir Miki (Sakae), Chôsen.igaku oyobi shippeishi, Chôsen.ishoshi, Shinmura (Taku), Kodai iryôkanjinsei no kenkyû p. 5-16.

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Evolution de la médecine japonaise 1

Évolution de la médecine japonaise face au modèle chinois

Des origines jusqu’au milieu du XVIIIe siècle– L’autonomie par la synthèse1 –

par Mieko MACÉ(membre du GDR 798 du CNRS

chargée de cours à l’Université de Paris II)

Reposant sur le savoir continental transmis dans un premier temps par l’intermédiaire de la Corée2, puis recherchée directement à la source en Chine, la médecine traditionnelle japonaise ne peut être dissociée de son modèle chinois. Mais contrairement à ce que laisserait supposer une vue rapide des choses, son histoire ne se présente pas comme un simple processus d’assimilation de la médecine continentale. Derrière un certain nombre d’analogies évidentes, puisqu’il s’agit du même savoir, on peut déceler très tôt une sorte de décalage entre les deux médecines. Ainsi, si le Japon, comme les autres cultures d’Extrême-orient reçut la marque des grands courants de pensée connus sous le nom de bouddhisme, confucianisme, taoïsme, ceux-ci n’eurent qu’une influence indirecte

1Au seuil de cet article, je tiens à remercier le docteur Alain Briot des précieuses remarques qu’il m’a communiquées à la lecture d’une première version de ce travail. Dans la dernière version, je me suis efforcée de tenir compte des critiques et des remarques qu’à bien voulu me faire M. Jacques Gernet que je ne saurais assez remercier de sa bienveillance. Il est bien entendu que les opinions soutenues dans ce texte et les erreurs qui pourraient subsister n’engagent que ma compétence.

2Sur la médecine coréenne introduite au Japon, voir Miki (Sakae), Chôsen.igaku oyobi shippeishi, Chôsen.ishoshi, Shinmura (Taku), Kodai iryôkanjinsei no kenkyû p. 5-16.

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sur le savoir médical. Alors que ces courants se firent sentir en Chine jusque dans les théories de base comme celles du souffle, du rôle des cinq agents ou encore des causes des maladies, au Japon, on se contenta d’adopter les importantes modifications intervenues en Chine à la suite surtout de l’influence du confucianisme à partir des Song, en les considérant seulement comme des progrès relatifs dans le savoir médical. Autrement dit, ces différents courants ne furent pas au Japon la source d’une réflexion médicale propre.

D’autre part, si jusqu’au XVe siècle, le parallélisme entre la médecine japonaise et la science chinoise est évident, on commence alors à observer une approche différente au Japon. En effet, et c’est là leur originalité, les Japonais de cette époque plus pragmatiques, plus intéressés par l’efficacité des thérapeutiques que par la théorie, commencèrent à s’échapper de la vision globalisante liée aux théories traditionnelles. L’effondrement de l’organisation médicale d’Etat les avait libérés dès le XIIe siècle du carcan de l’enseignement officiel des grands classiques comme le Neijing 内経3. Ils ne placèrent pas leur problématique dans la recherche d’une relation directe entre les connaissances en pathologie, et la qualité des soins cliniques. Ils préparèrent ainsi une lente maturation qui permit, deux siècles plus tard au moment du véritable contact avec la science occidentale, aux Japonais d’être prêts dans différents domaines à assimiler l’évolution des sciences naturelles en plein essor en Europe.

Dès que l’on étudie d’un peu plus près l’histoire de la médecine japonaise en la confrontant avec celle de la médecine chinoise, nous remarquons plusieurs lignes de force qui s’en dégagent. Tout d’abord, à l’époque de Heian, puis de nouveau vers à la fin du XVIe  siècle, la volonté très ferme des Japonais d’assimiler le savoir médical chinois dans son intégralité. Puis l’émergence dans ce domaine du savoir

3Il est intéressant de noter que les quatre grands médecins des Jin et des Yuan   : Zhang Zongzheng, Liu Wansu, Li Dongyuan et Zhu Dangxi qui apportèrent une nouvelle approche et de nouvelles thérapeutiques à la médecine traditionnelle, étaient à l’exception du premier, des médecins privés, donc autonomes. Miyashita (Saburô), Sôgen no iroryô p. 155, 165-166.

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d’un réalisme qui amena les médecins japonais, à partir du XIVe siècle et jusqu’au XVIIe   siècle, à une médecine plus pragmatique. Cette orientation leur permit de rejeter une grande partie des théories de base de la médecine chinoise dès le XVIIe   siècle avant même d’être confronté à la médecine occidentale à partir du milieu du XVIIe siècle.

Cette capacité à percevoir ce nouveau savoir étranger ne peut donc se comprendre sans le long cheminement au cours duquel le Japon assimila les sciences chinoises tout en se situant à part dans le monde sinisé. Ceci, peut être parce qu’il a toujours conservé une certaine autonomie culturelle.

Avant la médecine

En effet, situé à la périphérie du monde chinois, le Japon est longtemps resté relativement en marge du foyer principal de la « civilisation » en Extrême-Orient. Et fait au moins aussi important, il l’adoptera par une démarche volontaire. Mais auparavant, c’est une vision de la maladie fort éloignée de celle des traités médicaux chinois que l’on peut observer dans ce monde d’avant l’histoire.

Comme le laisse supposer la «  voie des démons  » 鬼道 (jap. kidô ch. guidao), que suivait la mystérieuse Himiko selon la notice relative aux Wa 倭 de la monographie sur les Wei 魏志 du Sanguo zhi 三国志, ce qui allait devenir le Japon a connu vraisemblablement très tôt des pratiques de type chamanistique. Mais curieusement, les premiers documents écrits japonais, Kojiki 古事記 (712), Nihonshoki 日本書紀 (720) etc., n’apportent pour ainsi dire pas de témoignages directs de telles pratiques.

Ce qui ressort des textes, c’est une vision, somme toute, très réaliste de la maladie, puisque. comme la mort, elle est présentée dans les mythes comme inséparable de la condition humaine. Les divinités

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de la maladie forment couple avec celles de la guérison4. Comme la souillure avec la pureté, l’une est impensable sans l’autre. L’autre évidence qui pourrait paraître contradictoire, c’est le caractère extérieur de la maladie qui est toujours considérée comme une attaque venue du dehors. Cette conception va de pair avec celle du corps comme extériorité. En effet, avant l’arrivée du lexique anatomique chinois, l’ancien japonais ne disposait, semble-t-il, d’aucun terme pour désigner les organes internes5, si ce n’est wata, mot assez vague qui signifie aussi bourre et est employé pour les entrailles. Cette croyance en l’extériorité des maux explique le recours à la divination pour la recherche des causes du désordre que représentent les maladies. L’une de celles qui semblent avoir été le plus souvent retenues, fut la sanction, tatari 祟り, d’une faute infligée par une divinité.

Cette sanction est automatique et n’implique pas !a responsabilité morale de celui qui la subit. D’autre part, faute et sanction se trouvaient réunies dans le même concept de maux, tsumi 罪, expression d’un désordre.

Pour rétablir l’harmonie, l’ordre, la bonne santé, la purification était le premier moyen qui s’offrait. Comme l’indique expressément la Prière de la grande purification, Oharae no norito 大祓の祝詞, ce rite est censé expulser les souillures, les maux. Parallèlement à ces rites défensifs, on propitiait aussi les divinités dangereuses (et toutes les divinités pouvaient l’être) par des offrandes. Ainsi, la première épidémie rapportée par la tradition sous le règne de Sujin 崇神 est

4Après son passage au Pays de Ne, domaine de la mort et de la souillure. Izanaki donne naissance en se débarrassant de ses vêtements aux divinités Yaso magatsuhi no kami et Oho magatsuhi no kami, divinités courbes, mauvaises auxquelles sont immédiatement opposées Kamu nahobi no kami et Oho nahobi no kami, divinités rectificatrices, guérisseuses. cf. Kojiki (Nihon koten bungaku taikei désormais NKBT) p. 70-1.

5Ogawa (Teizô), Meijizen Nihonkaibôgakushi in Meijizen nihonigakushi vol. 1 p.  58- 60. Kindaichi (Haruhiko), Nihongo. vol. 1 p 182.

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combattue par l’instauration d’un culte à la divinité de Miwa6 . Il va sans dire que ce type de réaction n’est pas spécifique au Japon.

Purifications et offrandes n’excluaient pas l’usage d’autres pratiques et particulièrement de médications. Mais cette médication indigène est fort mal connue, car très tôt c’est le savoir continental qui servira de référence. Dès le milieu du Ve siècle si l’on en croit les récits du règne de l’empereur Ingyô 允恭天皇, ce fut un médecin du

royaume coréen de Paekche qui fut appelé pour guérir le souverain7. Dans l’organisation sociale antérieure aux codes, il semble que les kusuribe 薬部, clan des herboristes, ait été en grande partie composé d’immigrés venus de Corée, comme la famille de médecins des Naniwa 難波, qui serait arrivée au Japon sous le règne de Yûryaku 雄

略天皇 (457 ?- 479 ?) ou de son prédécesseur Ankô 安康天皇8.L’introduction massive du savoir continental sous forme

d’ouvrages médicaux, dès, semble-t-il. le règne de Kimmei 欽明 (540-571)9, fit disparaître une grande partie des recettes indigènes, mais ne bouleversa pas immédiatement les conceptions japonaises des maladies. Le bouddhisme et le taoïsme apportaient de nouvelles méthodes de purification ou de conjuration qui vinrent compléter les anciennes pratiques. Pourtant le bouddhisme était porteur d’une nouvelle perception de la maladie. Devenue le signe même de la condition misérable de la vie humaine. la maladie fut considérée comme une souillure dont il faut se préserver, surtout qu’elle était expliquée comme rétribution des mauvais actes. Mais d’autre part, c’est aussi un des aspects les plus évidents de l’état pitoyable de la

6L’empereur apprit par divination que la divinité réclamait un culte et que celui-ci devait être célébré par un de ses descendants. Kojiki NKBT p. 178-181.

7 Kojiki NKBT p. 290-291.8Shinsenshôjiroku, Ukyôshoban ge (Shinsenshôjiroku no kenkyû),

Honbunhen, p. 305. Nihonshoki NKBT, p.  454-5, 478-9.9Shinsenshôjiroku, Sakyôshoban ge (op. cit.) p.  285. Ishihara (Akira), Nihon

seirigakuzenshi in Meijizen nihon igakushi vol. 2 p. 12

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condition humaine. Et en ce sens, elle doit attirer la compassion de ceux qui suivent la voie des bodhisattva et acquièrent ainsi des mérites. C’est sans doute pourquoi, dès le règne de Suiko 推古 (593-628), des moines envoyés en Chine revinrent avec des ouvrages médicaux10 et vraisemblablement une formation de médecin, annonçant ainsi les moines-médecins de l’époque de Nara11.

La prédominance des moines

L’installation de la capitale à Heijôkyô 平城京 par l’impératrice Genmei 元明天皇 (708-714) en 710 marqua une des dernières étapes de l’établissement de l’Etat régi par les codes dont la mise en œuvre s’était poursuivie tout le long du VIIe siècle. En adoptant, de la Chine des Tang, ce modèle d’organisation politique et sociale, le Japon faisait sien l’idéal qui sous-tendait ce système. L’harmonie mise en place au centre du pouvoir avec la constitution d’un corps de fonctionnaires recrutés en théorie pour leur seule compétence, devait rayonner dans tout le pays et amener la paix et l’abondance. Cette volonté délibérée de suivre la voie empruntée par la Chine n’aurait pu se manifester concrètement sans des relations de plus en plus intenses avec l’empire des Tang alors à son apogée, et les pays qui, comme le royaume coréen de Silla, étaient entrés dans son orbite culturelle. Ce ne fut pas seulement un modèle d’organisation politique qui fut transplanté, mais l’ensemble des références culturelles véhiculées par l’écriture. Le bouddhisme occupe comme dans la Chine des Tang une place privilégiée. Devenu religion d’Etat,

109e mois 16e année du règne de Suiko. départ pour la cour des Sui de moines comme Fukui (Nihonshoki NKBT p.   192-3). Retour au Japon de médecins   : Fukui, Enichi (Nihonshoki. Suiko 31, NKBT, p.   205). Dans les biographies des moines éminents en Chine, il est assez courant de voir qu’ils exercent la médecine.

11Sur les rapports entre l’exorcisme et la médecine avant le VIIIe s. voir La maladie. les kami et les bouddha au VIIe, Macé (F.), in Médecine et société à paraître chez l’Harmattan.

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ce fut une des principales composantes de l’univers mental de l’aristocratie, avant de gagner progressivement le reste de la population.

Comme les autres savoirs, la médecine ne pouvait être dorénavant que chinoise. Nous savons que durant le VIIIe siècle plusieurs traités de médecine et de pharmacopée chinois furent introduits au Japon avec la masse de livres rapportée du continent par les ambassades ou les immigrés12. Cela dit, du fait de la pauvreté de nos sources, nous ignorons de nombreux aspects de l’organisation médicale de cette époque. Notre principale information provient du texte même des codes qui comportent une section relative à la médecine et aux maladies, Ishitsuryô 医疾令, incluse dans le livre 9 du Code de Yôrô 養老 achevé en 718. Comme nous avons déjà donné dans un autre travail une traduction de ce texte ainsi qu’une présentation globale de l’organisation médicale qu’il met en place13, nous nous contenterons ici de quelques remarques. Tout d’abord, le texte japonais reprend celui des codes des Tang, à quelques nuances près. Le décalage le plus important se situe au niveau de l’ampleur du personnel prévu14, beaucoup moins nombreux au Japon. Mais si ce texte nous renseigne sur les intentions de l’Etat en matière de santé au début du VIIIe   siècle, nous n’avons malheureusement pas les moyens de vérifier dans quelle mesure il fut réellement appliqué au cours de ce siècle. De fait, nous connaissons la liste des ouvrages au programme des études médicales, mais nous ignorons le niveau de connaissance atteint par les médecins fonctionnaires de l’époque de Nara dont l’activité n’a curieusement pas laissé de trace dans nos sources.

12Déjà dans la section relative à la médecine et aux maladies des codes de Taihô (701), repris dans ceux de Yôro (718) figurent les grands classiques de la médecine et de la pharmacopée, Jiayi Jing, Xiao ping fang, Maijing, Suwen, Lingshu, Huangdi neijing taisu, Shennong bencaojing jizhu. cf. Macé (M.), thèse de 3e cycle, p. 37-38.

13cf. Macé (M.) op. cit. p. l8-114.14Miyashita (Saburô). Zuitô jidai no iryô in Chûgoku chûsei kagakugijutsushi

no kenkyû p. 267.

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Notons que pour la même époque en Chine, nous ignorons aussi l’état de la médecine officielle.

Les seules lumières que nous ayons sur la pratique médicale concerne les produits pharmaceutiques. Les magasins du Shôsôin 正倉院 qui renferment les objets ayant appartenu à l’empereur Shômu 聖武天皇 (724-748), offerts au Tôdaiji 東大寺 à l’occasion de la

cérémonie du 47e Jour après le décès, ont conservé non seulement une liste de 60 produits pharmaceutiques comprenant des métaux et des végétaux venus de Chine ou d’Asie centrale (Rushanabutsu shujukusuri chô 盧遮那仏種種薬帳), mais aussi, chance extraordinaire, une trentaine de ces produits eux-mêmes15. Nous savons de plus qu’ils n’étaient pas considérés comme des curiosités mais qu’ils furent effectivement utilisés. En effet, on a retrouvé à l’emplacement de Heijokyô des plaquettes de bois, objets qui remplaçaient dans les usages courants le papier trop précieux, où des fonctionnaires demandaient l’autorisation de sortir du Shôsôin certains produits pour en faire un usage médical. D’autre part, on a fait remarquer que plusieurs produits (la racine de ginseng 人参, l’écorce de cinnamomum cassia 桂心, le rhizome de rhubarbe 大黄, la racine de réglisse 甘草, le

miel) étaient en plus grande quantité que d’autres16. Ce qui laisse supposer que dès cette époque les médecins japonais s’efforcèrent de mettre en pratique les connaissances et les procédés thérapeutiques contenus dans les grands traités de médecine et les pharmacopées du continent.

On peut avoir une confirmation indirecte de la diffusion de ces traités grâce à un poème de Yamanoue no Okura 山上億良 (circa 660-733), intitulé « De ma souffrance dans une longue maladie » (痾自

15cf. Asahina (Y). (sous la direction de), Shosô.in yakubutsu où se trouvent tous les renseignements souhaités sur les produits pharmaceutiques offerts au Tôdaiji.

16Takahashi (Shintarô), Chûgoku no yakubutsu ryohô to sono eikyô in Meijizen nihon yakubutsugakushi vol.2 p.   326. Tous ces produits figurent parmi les produits importants des siècles suivants. cf. Macé (M.) op. cit. p. 486-505.

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哀文) (Livre V du Man.yô shû 万葉集). Deux passages sont particulièrement intéressants pour notre propos. L’un évoque des médecins légendaires chinois comme Yu Fu 踰付 mentionné entre autre dans un commentaire du Zhou li (疾醫注), Bian Que 扁鵲 cité dans le Shiji 史記 (J-45), ou encore l’auteur bien réel du Shanghan lun 傷寒論, Zhang Zhongjing 張仲景. L’autre se réfère à l’art d’atteindre une longue vie 長生 et mentionne le Baopuzi 抱朴子 et Shennong 神農. De plus, comme le note H.  Omodaka, Yamanoue no Okura utilise dans ce poème de nombreuses expressions tirées du Huainanzi 淮南子

et du Baopuzi 抱朴子17. Comme rien ne permet de penser que Yamanoue ait été une exception, on peut avancer que les aristocrates japonais de la première moitié du VIIIe   siècle ne connaissaient pas seulement les grands classiques littéraires mais aussi les ouvrages liés à la médecine et au taoïsme. La liaison entre ces deux domaines étant assurée par la voie pour nourrir la vie qui semble avoir beaucoup intéressé les nobles et peut-être même des membres d’autres couches de la population. Nous savons, en effet, que déjà vers 730, des pratiques magiques et divinatoires inspirées du taoïsme étaient observées en milieu populaire18.

Pourtant ce ne furent ni des lettrés taoïsants, ni des médecins fonctionnaires qui laissèrent leur nom en tant que médecins, mais des moines au premier rang desquels figure Jianzhen (jap. Ganjin) 鑑真

(687-763)19, le célèbre introducteur de la discipline monastique au Japon. Si beaucoup de moines se spécialisèrent dans la médecine, c’est

17cf..Omodaka (H.), Man.yôshû chûshaku vol. 5 p. 286.18cf. Shimode (S), Nihonkodai no jingi to dôkyô, id. Dôkyô - sono kôdô to shisô.

Nakamura (Shôhachi), Nihon no dôkyô in Dôkyô vol. 3 p. 3-23. Macé (M.) op. cit. p.   410-418 où sont présentées l’introduction et l’évolution du taoïsme au Japon jusqu’à la fin du VIIe siècle.

19Considéré par ses contemporains chinois et japonais comme un grand connaisseur en médecine. D’après les citations de ses prescriptions dans l’Ishinpô (J. 6, 8, 19), il semble avoir surtout préconisé des métaux, présumés par la tradition apporter l’immortalité. Ce qui reflète bien la vogue des drogues alchimiques à la cour des Tang.

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qu’elle faisait partie des cinq disciplines complémentaires (pancha vidya) des études bouddhiques. D’autre part, leur connaissance de la langue chinoise, indispensable pour lire les sûtra, leur donnait accès à tous les traités médicaux. Enfin, il n’est pas impossible que la place prépondérante qu’occupait alors le bouddhisme, ait donné aux moines une sorte de monopole de la pratique médicale. Ceci est aussi vrai de la Chine des Tang. En effet, ce sont des moines médecins, Sô.i 僧医, et leurs assistants, kanbyô zenji 看病禅師 qui furent appelés au chevet des empereurs ou des aristocrates souffrants, pour appliquer des procédés thérapeutiques, réciter des sûtra ou des dharani (陀罹

尼)20. Les kanbyô zenji paraissent avoir été surtout spécialisés dans la récitation de sûtra pour obtenir le secours de leur pouvoir magique. Ce rôle nous renvoie à une autre catégorie de personnes, les maîtres incantateurs jugonshi 呪禁師 dont le nom et la fonction sont venus de

la cour des Sui21. D’après l’Ishitsuryô (paragraphe 16), ils devaient combattre les esprits malfaisants en se fortifiant eux-mêmes par la puissance magique de leurs incantations. Ils disparurent au début du IXe siècle, sans que l’on puisse savoir quelle avait été réellement leur fonction22. Bien entendu, la récitation de sûtra pour obtenir une guérison, n’est pas un phénomène nouveau puisque déjà à la fin du VIIe siècle nous savons que l’on avait fait lire dans ce but le sûtra du bouddha guérisseur, Yakushikyô 薬師経 ou celui de Kannon 観音経23. Mais ce qui est différent sous le règne de Shômu, c’est que les moines participent directement aux soins et qu’ils occupent toute la place autour de l’empereur souffrant. On compte plus d’une centaine de

20Sur les activités des moines à cette époque cf. Shinmura (Taku), Nihon iryô shakaishi no kenkyû p. 344-347.

21Sur l’évolution de cet art en Chine, voir Sawada Mizuho Chûgoku no juhô p. 61-88

22cf. Macé (M.) op. cit. p. 415.23Nihonshoki, Akamitori 1.5.2 cf Macé (F.), La mort et les funérailles dans le

Japon ancien, p. 370, 470. Il faut préciser que ces titres peuvent renvoyer à des textes différents du Taishô issaikyô 大正一切經.

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kanbyôzenji au chevet de l’empereur en 75624.Le bouddhisme fut aussi indirectement à l’origine de la fondation

des premiers établissements caritatifs au Japon. L’Hôpital de la compassion, Hiden.in 悲田院 chargé de s’occuper des pauvres et des personnes en difficulté (personnes très âgées sans enfants, etc.), et l’Hospice, Yaku.in 施薬院 destiné aux malades. Ces deux

établissements furent créés en 72325 à l’initiative de l’impératrice et financés par la famille impériale et certains membres de la haute aristocratie. Ces fondations hors codes concrétisaient, en quelque sorte, !a vocation d’Etat providence, idéologie implicite du système de l’Etat régi par les codes.

Une médecine de l’aristocratie

Depuis le transfert de la capitale de Heijokyô à Heiankyô 平安京, (785-1185) (actuelle Kyôto), l’organisation médicale d’Etat semble avoir été marquée, par rapport à l’époque précédente et dans un premier temps, par une application en profondeur des codes avec pourtant un certain nombre de modifications administratives touchant surtout les questions de hiérarchie des médecins fonctionnaires à la cour et de la formation des médecins de province, modifications non négligeables puisqu’elles finirent par entraîner l’effondrement progressif de ce système.

Si, au cours du VIIIe  siècle, l’aide sociale menée soit directement par l’Etat, soit par les moines, occupe une place remarquable, ces activités de compassion pour reprendre la terminologie bouddhique, perdent peu à peu de leur importance dans les siècles suivants. En

24Shokunihongi Tenpyôshôhô 8 (756) 5. 24.25cf. Macé (M.) op. cit.p. 115-128, Yamazaki (Tasuku), Edokimae nihon ijihôsei

no kenkyû p.     617-620. P. Demiéville, Byô in Hôbôgirin fasc.   3 p.   248-9, également Gernet (J.), Les aspects économiques du bouddhisme p. 214-216. Il est à noter qu’en Chine les activités de charité connurent un essor extraordinaire sous les Song, parallèlement à la rédaction des Recueils de prescriptions d’Etat. Ishihara (A). Nihon no igaku, p. 81.

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effet. le bouddhisme qui était devenu très tôt, et de façon indiscutable au VIIIe siècle, le cadre de pensée de l’aristocratie, s’orienta de plus en plus, au niveau de ses grandes institutions vers la satisfaction des ambitions et des désirs personnels des hauts fonctionnaires, délaissant les autres activités, au moins jusqu’à la fin du XIIe  siècle. Ainsi les moines aussi bien de la secte Tendai 天台宗 que de celle du

Shingon 真言宗, dès la fin du IXe   siècle, se préoccupèrent plus, semble-t-il, du développement et du perfectionnement de diverses formes de rites ésotériques en grande partie pour répondre à la demande des puissants et gagner ainsi leurs faveurs que du sort des malades ou des défavorisés26. A ce propos, il est intéressant de préciser que contrairement à ce qui s’observa au VIIIe siècle et à ce qui se passera du XIIe siècle au XVIe siècle, la plupart des moines de cette époque paraissent s’être contentés de pratiques rituelles au chevet des malades sans participer directement aux soins thérapeutiques qu’ils laissaient aux médecins fonctionnaires27. Dans ces conditions. il n’est pas étonnant d’observer la disparition quasi totale des activités de secours vers la fin du IXe siècle. A leur place, nous trouvons un certain nombre de rites comme celui de la grande purification ou la récitation de sûtra, destinés à obtenir la protection et l’intervention de la vertu bienveillante des bouddha et des kami28.

D’autre part, une des caractéristiques de l’organisation médicale de l’époque de Heian, se situe dans la limitation de son champ d’action au seul monde de la cour. En ceci, elle suivait fidèlement l’exemple de la Chine des Tang où la santé des gens du peuple n’était pas considérée comme du ressort de l’organisation officielle29.

26Sur l’évolution du bouddhisme ésotérique, cf. Hayami (Tasuku), Heiankizoku shakai to bukkyô. Murayama (Shûichi), Kodaibukkyô no chûseiteki tenkai.

27cf. Shinmura (Taku), Chûsei.iryô shakaishi no kenkyû p. 241, 348-9.28cf. Macé (M) op. cit. p. ll5-130. 29cf. Miyashita (Saburô), Zuitô jidai no iryô p. 286

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Cela ne signifie pas qu’on se soit complètement désintéressé du bien-être du peuple. On l’abordait de façon indirecte. Ainsi, suivant la philosophie de l’Etat régi par les codes, l’office des remèdes (tenyakuryô 典薬寮) et l’organisation médicale dans son ensemble avaient pour tâche principale de préserver la santé de l’empereur, et c’est l’influence bienfaisante de celui-ci qui, se diffusant dans tout le pays, pouvait aider l’ensemble de la population. L’Office préparait bien des remèdes pour soigner les épidémies, mais pour combattre ces dernières, on eut, comme nous venons de le voir, de plus en plus tendance à recourir à des rites du bouddhisme ésotérique ou à la grande purification.

Nous retrouvons ici un des traits constants de la médecine de Heian, les pratiques médicales, rituelles et religieuses sont intimement liées. Un des meilleurs exemples en est sans doute l’absorption par l’empereur et tous ceux qui le pouvaient, le premier jour de l’an, du toso 屠蘇30, saké aux herbes médicinales. Cette boisson entre dans la catégorie des remèdes destinés à maintenir ou restaurer la santé, mais sa préparation comme sa consommation se faisaient sous forme rituelle. De nombreux autres rites saisonniers accompagnés de remèdes comme le bain d’acore du 5e mois, ou purement rituels comme la grande purification du 6e mois avaient le même but   : chasser les mauvaises influences et restaurer la bonne santé. Ces rites qui formaient la principale occupation de la cour, absorbaient une grande partie de son temps et de ses revenus. Ces pratiques répondaient à une des préoccupations les plus importante des nobles de ce temps, la santé. Certes, ce souci n’est le privilège ni de cette classe ni de cette époque. Mais l’aristocratie de Heian, obnubilée par la peur des épidémies et des autres maladies, et à la recherche d’une longue vie ou même de l’éternelle jeunesse, semble avoir placé la santé au centre de ses pensées et de sa vie tant privée que publique.

30cf. Macé (M) op. cit. p. 288.

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On comprend mieux alors l’apparition et le succès de médications spécialement conçues pour prolonger la vie31. Dans le but d’atteindre une éternelle jeunesse, un certain nombre de membres de l’aristocratie eurent recours à des drogues taoïstes à base de plantes médicinales comme le lyciet 枸杞, ou de produits d’origine animale comme les nids de guêpes 露蜂房, voire de métaux ou de minéraux comme le cinabre 丹砂, les stalactites 鍾乳石. (Dans le même ordre d’idée, il faut signaler une pilule à base de Chebulae fructus, le Kairoku gan 訶梨勒丸 consommée en grande quantité par les aristocrates de

Heian. Citée dans le sûtra Suvarna prabhâsa, Konkô.myô.kyo 金光明経32,

elle est censée soigner toutes sortes de maladies33.) L’absorption des drogues taoïstes rencontra pourtant l’opposition de la plupart des médecins fonctionnaires de cette époque. Tanba no Yasuyori 丹波康頼

(auteur d’une encyclopédie médicale au Xe   siècle) en premier. Se référant aux traités pharmaceutiques chinois, ils considéraient l’absorption de ces drogues alchimiques comme dangereuses. Ils préféraient préconiser des techniques comme les pratiques respiratoires, la gymnastique (dôin 導引), mais aussi une certaine discipline de vie incluant la diététique.

Ce n’est pas seulement des techniques de ce type qui furent empruntées à la Chine, c’est l’ensemble du savoir médical de ce temps qui dérivait directement de la médecine des Sui et des Tang. Pourtant, il est important de rappeler que les Japonais de l’époque de

31cf. Masuo (Shinichirô), Chôsei kyûshi no hôhô to keifu in Chûgoku kodai yôsei shisô no sôgôteki kenkyû p. 730.

32Taishôissaikyô p. 663.33cf.  Macé (M) op. cit. p. 433-6. Sur la consommation de lyciet cf. Miyoshi.

(Kiyoyuki), Fukuyakuchûrôgenki in Seijiyôryaku, vol 95, sur les nids de guêpe cf. Fusôryakki Kanpyô 1 (889) 8. 10., sur les drogues à base de cinabre cf. Shokunihonkôki Kashô 3 (850), Teishinkôki Engi 11 (911) 10. 18, sur les stalactites cf. Fukuyakuchûrôgenki (op. cit.). Sandai jitsuroku Jôgan 1 (859) 2. 7, sur le karirokugan cf. Shôyûki 18 iv 993, 16 xii 1023,10 xi 1027, Gyokuyô 13 iv 1175 etc. cf. aussi Takahashi (Shintarô), Chûgoku no yakubutsuryôhô to sono eikyô in Meijizen nihon yakubutsugakushi vol. 2 p.   406., Shinmura (Taku), Chûsei. iryôshakaishi no kenkyû p.  239, 279.

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Heian ne considéraient plus la Chine comme le modèle absolu. Si l’assimilation rapide de la civilisation chinoise sous toutes ses formes caractérise le Japon des VIIe et VIIIe siècles, l’époque suivante, celle de Heian, fut marquée par une sorte d’équilibre entre le prestige de la Chine et une affirmation de la valeur du Japon et de ses particularités. Pour se limiter au domaine de la médecine, on peut noter que l’empereur Heizei 平城天皇 (806-809) ordonna la compilation d’un recueil regroupant les recettes indigènes connues dans tout le pays, pour préserver les traditions médicales nationales menacées de disparition par la médecine continentale. Ceci dit, ce mouvement resta marginal. Pour se rendre compte de l’importance de la Chine dans cette catégorie du savoir, il suffit de regarder la liste des traités chinois de médecine et de pharmacopée, représentant plus de mille rouleaux, qui figure dans le Catalogue des ouvrages existant actuellement au Japon, Nihonkoku kenzaishomokuroku 日本国見在書目録, rédigé vers 891. Ces ouvrages ne sont pas restés enfermés dans la bibliothèque de la cour, ils sont cités dans les notes journalières ou la correspondance des nobles du temps.

Mais le meilleur exemple de la diffusion et de l’impact de ce savoir, est sans doute l’Ishinpô 医心方, compilation achevée en 984 de près de trois cents traités des Sui et des Tang ou de périodes antérieures alors disponibles au Japon. L’auteur, Tanba no Yasuyori (912-995) qui était docteur en acupuncture, rassembla en trente volumes les principales théories pathologiques concernant les maladies les plus importantes, ainsi que les procédés thérapeutiques essentiels. Pour ce faire, il se référa surtout aux grands traités chinois compilés entre le VIe et le Xe   siècle qui eux-mêmes reprennent fidèlement les théories de base des deux plus grands classiques de la médecine chinoise, le Suwen 素問 et le Lingshu 霊枢 (rédigés entre le

IIe siècle av. J.-C. et le IIe siècle ap. J.-C.). Mais bien que ses références soient uniquement chinoises, on ne peut pas dire que l’Ishinpô soit une simple compilation. En effet, Tanba no Yasuyori y fait preuve non seulement d’une connaissance approfondie de ses sources, mais aussi

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du souci d’adapter les procédés thérapeutiques chinois aux conditions locales japonaises34. Il se démarque d’une autre façon, bien involontairement cette fois, de la médecine continentale. En effet, bien meilleur connaisseur des textes et des théories que clinicien expérimenté, il paraît avoir méconnu l’examen du pouls (Myakushin 脈診)35 et la théorie des méridiens qui sont pourtant à la base de l’application de l’acupuncture. Comme plusieurs spécialistes japonais l’ont déjà signalé36, l’auteur qui consacre un livre entier, le deuxième, à l’acupuncture et au moxa, ne traite des pouls que dans un seul passage (chapitre 1 du volume 1), et fait de même pour les méridiens (chapitre 1 du volume 22).

Sur ce point précis, il s’écarte de façon décisive de son maître et modèle, Sun Simiao qui, lui, maîtrisait ces techniques. Mais plutôt qu’une faiblesse personnelle, imputable au seul Tanba, il semble préférable d’y voir le reflet de l’état général de la médecine japonaise de son temps qui, faute d’un apprentissage pratique suffisant, n’avait pas encore assimilé les techniques les plus délicates de la médecine chinoise.

Ceci nous conduit à une des particularités de la médecine de Heian. A la différence de ce qui est indiqué dans les grands classiques chinois bien connus des Japonais de l’Antiquité, comme le Huangdi neijing taisu 黄帝内経太素, on semble, au Japon, avoir eu une prédilection comme moyen thérapeutique, pour les médications à base de produits végétaux et pour la moxibustion, toutes deux pourtant considérées dans le Neijing comme de simples soins complémentaires ou des succédanés de l’acupuncture37.

34Sakurai (Kensuke), Ishinpô shoin no nisanno koisho ni tsuite p. 717-8, 1989. 35Comme nous le verrons ci-dessous, les Japonais commencent à

expérimenter cette technique durant l’époque de Kamakura. cf. Ishihara (Akira), Meijizen nihon.igakushi vol. 2 p. 69.

36cf. par ex. Shinmura (Taku), Kodai iryôkanjinsei no kenkyû p.  93-637cf.Taisu J. 14, Yamada (Keiji), Shinkyû to tôeki no kigen p.  30, 32. Sur les

moyens thérapeutiques appliqués à cette époque cf. Macé (M.). La médecine dans la civilisation de Heian p. 31-36.

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La place prédominante occupée par les produits d’origine végétale dans les soins cliniques, permet de supposer que les Japonais étaient alors parvenus à un haut niveau de connaissance dans le domaine de la pharmacopée où l’assimilation du savoir chinois fut aussi remarquable que dans le domaine médical. Les spécialistes japonais de cette époque connaissaient par les traités continentaux à peu près 1 000 produits chinois. Et pour ceux qui n’existaient pas au Japon, ils avaient réussi à trouver 520 végétaux équivalents disponibles dans leur pays38. Bien évidemment toute la population ne pouvait bénéficier de ces connaissances. Seuls les fonctionnaires avaient la possibilité de se procurer auprès de l’Office des remèdes, les médications dont ils avaient besoin. Les autres devaient les acheter dans la mesure de leurs moyens sur les marchés de la capitale ou en province.

Grâce à une véritable et complète assimilation du savoir médical chinois, au moins dans sa partie théorique, la médecine japonaise de l’époque de Heian semble avoir répondu dans une assez large mesure à l’attente que l’on plaçait en elle. Il n’en reste pas moins que du point de vue actuel de la science médicale, l’imbrication des actes religieux et médicaux exécutés en vue de la guérison risque de conduire à une attitude critique vis à vis de cette médecine que l’on pourrait qualifier un peu facilement de pré-scientifique. Mais il ne faut pas oublier que la séparation, qui va s’amorcer à l’époque suivante pour devenir effective aux XVe, XVIe  siècles, entre le domaine religieux et celui de la médecine, n’aurait pas été possible sans le travail préalable d’assimilation de la science chinoise et la mise en circulation, certes encore restreinte, de produits pharmaceutiques.

38Honzôwamyô, dictionnaire sino-japonais des produits pharmaceutiques du début du xe s., il mentionne 1  025 produits différents   : pierres, métaux, herbes, arbres, insectes, poissons. Tanba no Yasuyori en mentionne 850 dans l‘Ishinpô.

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Pragmatisme et spécialisation

Au XIIe siècle, la croyance générale était que le monde était entré dans l’âge de la fin de la loi bouddhique. Pendant cette période de dégénérescence, les hommes désormais incapables de suivre les anciens enseignements devaient chercher leur salut par d’autres voies. Les bouleversements sociaux et politiques ne pouvaient que les conforter dans cette opinion. Mais si une partie de l’ancien monde s’écroula, ce ne fut pas le retour au chaos.

Un nouvel équilibre s’établit avec la victoire des armées de Minamoto no Yoritomo 源頼朝 (1147-1199) à la bataille de Dan no ura

壇之浦 en 118539. C’était l’aboutissement d’une évolution que l’on

perçoit dès le Xe siècle. On vit alors apparaître dans tous les domaines des tendances de plus en plus centrifuges, particulièrement dans celui de l’organisation fiscale. A partir de la fin du XIe  siècle, les grandes familles de province, et surtout celle de l’Est contrecarraient les initiatives du pouvoir alors détenu par les empereurs retirés. Le régime de l’Etat régi par les codes, après avoir servi de cadre à la vie politique, économique et sociale durant quatre siècles, dut céder une partie de ses prérogatives à une organisation d’un autre type, le gouvernement des guerriers du Bakufu de Kamakura.

Le Bakufu ne remit pas en cause l’ensemble de l’ancien système, ainsi ne toucha-t-il pas à l’organisation médicale qui continua à fonctionner à Kyôto. L’équilibre qui s’institua entre les deux pouvoirs allait durer jusqu’au début du XIVe   siècle. Il explique que les médecins fonctionnaires formés à la chinoise dans le cadre du système des codes aient pu être appelés sans difficulté en consultation à Kamakura au chevet des dignitaires du gouvernement des guerriers. Peu à peu l’attraction du nouveau pouvoir se fit plus forte et on vit au début du XIVe  siècle des médecins quittent Kyôto pour

39Pour une présentation des événements historiques cf. Hérail (F) (sous la direction de) Histoire du Japon.

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s’installer à Kamakura40 sans doute attirés par les cadeaux somptueux qu’ils recevaient en honoraire, sabre, chevaux, étoffes et même rangs de cour. Cette pratique des cadeaux-honoraires qui se développa parmi les médecins fonctionnaires41, associée à la monopolisation des postes importants de l’organisation médicale par les membres d’un nombre restreint de familles, rendit peu à peu caduc le système mis en place par les codes et donna naissance à une nouvelle catégorie de médecins, les kaigyô.i 開業医42. Indépendants de la cour, ils ne recevaient plus de pension, mais vivaient des seuls honoraires perçus en échange de leur consultation.

Dans la lignée de l’Ishinpô, symbole de la réussite de l’assimilation du savoir médical des Sui et des Tang, la médecine de l’époque de Kamakura suivit de près l’évolution qui s’était produite en Chine sous les Song. On voit ainsi apparaître dans les traités japonais de cette époque, de nouvelles théories chinoises comme celle des Cinq circulations et des Six souffles, Wuyun Liuqi shuo 五連六気説, qui fut amorcée sous les Tang et mise au point sous les Song, ou celle de Chen Yan 陳言 concernant l’origine des maladies, développée dans le Sanyinjiyi bingyuanlun 三因極一病源論, achevé en 1174. Cela ne signifie pas pourtant que les médecins japonais se contentèrent d’imiter les dernières nouveautés venues du continent. Tout en s’efforçant d’élaborer une sorte de synthèse entre ces nouvelles théories, celles qui dataient des Song et celles d’origine indienne transmises par le bouddhisme, ils paraissent avoir eu une certaine propension à privilégier l’expérience clinique43.

Ces efforts se concrétisèrent vers la fin de la période, au début du XIVe siècle, par la rédaction de deux traités qui marquèrent l’histoire

40Ishihara (Akira), Nihon no igaku p. 56.41Macé op. cit. p. l29-30.42Ishihara (Akira) op. cit. p. 56-7. 43D’autre part, nous pouvons remarquer que la forte tendance à la

spécialisation médicale, caractéristique de la médecine des Song, n’a eu que peu d’effet pour la médecine japonaise de cette époque.

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de la médecine au Japon, tous les deux œuvres du moine médecin Kajiwara no Shôzen 梶原性全 (1265-1337). Tout d’abord le Ton.i shô 頓医抄, achevé vers 1304, il constitue le premier ouvrage de ce type rédigé non pas en chinois nu mais avec l’accompagnement de signes qui en permettaient la lecture en japonais. Ceci dans le but d’être plus facilement consulté en cas d’urgence. Il innove aussi en consacrant deux chapitres entiers (livres 43 et 44) aux 5 viscères, cinq zang 五臟 et aux 6 réceptacles, six fu 六腑, ainsi qu’aux douze méridiens principaux. Le plus remarquable pour l’histoire de la médecine dans ces deux chapitres, c’est la présence au début du livre 44 de la reproduction améliorée des neufs dessins anatomiques dressés d’après nature vers 1045 sous les Song, par Song Jing 宋景. Comme plusieurs spécialistes l’ont fait remarquer, ce sont les plus anciens, et longtemps les seuls, dessins faits lors d’une dissection en Asie orientale44. Marque évidente de l’intérêt de l’auteur pour les aspects anatomiques et physiologiques du corps humain. Cet intérêt trouve, bien évidemment, sa source en Chine, mais on ne peut s’empêcher de penser que Kajiwara lui-même avait pris conscience, pour mettre au point des applications thérapeutiques personnelles, de l’importance de connaissances plus précises dans ce domaine. Son regard de praticien scrupuleux se manifeste dans ses descriptions d’une exactitude certes encore approximative de l’emplacement des différents organes   : poumons, cœur, foie, vésicule biliaire, rate, estomac, intestins, reins, vessie, estomac dont il connaît la fonction digestive. Autre particularité, un chapitre (livre 41) traitant de l’examen du pouls. Kajiwara no Shôzen, à la différence de Tanba no Yasuyori, semble avoir maîtrisé cette technique. Il donne en effet des descriptions détaillées de plusieurs types de pouls alarmant ou dangereux correspondant aux différentes maladies qui frappaient le

44Ogawa (Teizô), Meijizen kaibôgakushi in Meijizen nihon.igakushi vol.   1 p.   56. Watanabe (Kôzô), Gensonsuru chûgoku kinsei made no gozôrokufuzu no gaisetsu in Nihon ishigaku zasshi vol. 7, 1-3 p. 134, 1956. Ishihara (Akira) Nihon no igaku p. 48. Miyashita op. cit., p. 148-9.

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plus les Japonais de son temps. Cette science du pouls est tirée très probablement de Chabing zhinan 察病指南 de Shi Guitang 施桂堂 des Song, ouvrage qui semble avoir été beaucoup utilisé par les médecins japonais de ce temps45.

Le second traité du même auteur, intitulé Man.an pô 万安方 fut achevé vers 1327. A la différence du premier, il se présente comme une encyclopédie sur le modèle du Shengji zonglu 聖済総録, encyclopédie médicale des Song. Achevé vers 1118, il comprend plus de 20 000 remèdes. Il se compose bien entendu de citations de traités chinois mais aussi de réflexions et de critiques reposant sur l’expérience de médecin de son auteur. Ce regard critique sur ce qui restait la source du savoir médical montre le chemin parcouru depuis l’Ishinpô, la somme médicale de Heian. Kajiwara ouvre ainsi la voie à une approche pragmatique et scientifique de la médecine, qui déterminera son évolution postérieure au Japon.

Ceci n’est sans doute pas sans rapport avec une autre caractéristique de la médecine de Kamakura, la coupure qui se dessine entre la pratique médicale et des rites religieux comme les exorcismes. Chose d’autant plus remarquable que dans le Shengji zonglu dont nous venons de parler, tout un chapitre traite des différentes formes d’exorcismes46. Cette séparation de deux domaines jusqu’alors étroitement liés ne s’observe pas seulement chez les médecins, mais aussi dans le milieu de l’aristocratie dont les journaux et la correspondance, à partir de cette époque, ne mentionnent presque plus d’exorcisme, sauf pour certaines maladies comme la malaria47. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que ce type de pratiques aient alors disparu dans toutes les couches de la population. Bien au

45Ishihara (Akira), Meijizen nihon.igakushi vol. 2 p. 69.46Mais en Chine aussi, à peu près deux siècles et demi apres l’achèvement

du Shengji zonglu, les exorcismes semblent commencer à disparaître progressivement du corpus médical. Miyashita op. cit. p. 141. Leijing de Zhang Jiebin (1624) J. 12 sur Ies thérapeutiques vol.   1 p.   351. Kano (Yoshimitsu) Chûgokuigaku no tanjô p. 252.

47Shinmura (Taku), Nihon iryôshakaishi no kenkyû p. 399.

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contraire, c’est à partir du XIVe siècle que prit véritablement son essor un courant religieux syncrétique, le Shugendô 修験道, dont les rites en grande partie empruntés au bouddhisme ésotérique, répondaient à l’angoisse d’une population entièrement démunie face à la maladie qui prenait pour elle le visage de monstres insaisissables. Les ascètes du Shugendô ne se contentèrent pas de pratiquer des exorcismes, ils diffusèrent aussi quelques recettes et des rudiments de savoir médical, reconstituant à un autre niveau l’imbrication qui avait existé jusqu’à la période précédente dans les élites.

Il ne faut, d’autre part, pas croire qu’à l’époque de Kamakura le bouddhisme avait perdu toute influence dans le milieu médical. Si le moine Kajiwara no Shôzen ne fait que très peu d’allusion aux concepts bouddhiques, il n’en est pas moins évident que son cas reste exceptionnel. De plus, la spécialisation de différents domaines, mouvement que l’on peut considérer comme un progrès pour la science médicale, s’effectua en partie dans l’orbite du bouddhisme. Ainsi, le plus ancien traité de gynécologie japonais, le Sanseiruijûshô 産生類聚抄 rédigé vers 1312 par un auteur malheureusement inconnu, ne mentionne en dehors de l’Ishinpô que des textes bouddhiques. En fait, contrairement à l’image que peuvent donner les deux sommets de la science médicale de Kamakura, les liens entre le bouddhisme et la médecine se resserrèrent encore à cette époque. Renouant avec la tradition du VIIIe   siècle, des moines se mirent à l’étude de la médecine en s’appuyant sur des textes bouddhiques comme le Mohe zhiguan 摩訶止観, le Suvarna- prabhâsa 金光明最勝王経

ou le Mahâ-prajnâpâramitâs’âstra 大智度論48, ainsi que sur les traités médicaux des Song. Ces moines médecins, sô.i 僧医, comblaient le vide laissé par la disparition des médecins de province prévus par les codes49. Ils formèrent aussi une sorte de réponse à la dégradation de la profession médicale dont certains membres se préoccupaient plus

48Hattori (Toshirô), Kamakura jidai igakushi no kenkyû p.  39-46. Shinmura (Taku), Bukkyô igaku in Bukkyô bunka jiten p. 877.

49Hattori op. cit. p. 54.

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de l’importance de leurs honoraires que de l’acquisition d’une réelle compétence médicale. Ils furent enfin à l’origine d’une extraordinaire diffusion des connaissances et des techniques médicales dans tout le Japon.

Le renouveau du bouddhisme à l’époque de Kamakura, conjugué avec le relatif déclin de l’organisation médicale étatique, se traduisit par la reprise des activités charitables qui avaient disparu à la période précédente. Ce fut surtout le fait des moines des nouvelles sectes, Shingon risshû 真言律宗, Jôdoshû 浄土宗, Rinzaishû 臨済宗. C’est ainsi que le moine Ninshô 忍性 (1217-1303), poursuivant les activités de son maître Eizon 叡尊 (1201-1290), fondateur du Shingon Risshû, créa le Kitayama jûhachikenko 北山十八間戸, premier établissement d’accueil pour les lépreux, dans la province de Yamato (actuel département de Nara), mais aussi plusieurs centaines d’autres établissements aussi bien dans les environs de Kyôto que de Kamakura. Son activité s’étendit aussi à la construction de ponts, de puits, de routes, etc. Kamakura, considérée comme une période de troubles et de violence, fut aussi l’époque où les établissements de charité connurent le plus grand essor.

C’est encore le bouddhisme et en liaison avec des préoccupations d’ordre médicales qui fut à l’origine de l’introduction du thé au Japon. Eisai 栄西, (1141-1215), introducteur du Zen 禅 de l’école Rinzai au Japon, rapporta après deux longs séjours en Chine des graines de thé, considéré alors comme un produit diététique. En 1214, il offrit au shôgun Minamoto no Sanetomo 源実朝 un livre qu’il avait achevé trois ans auparavant, consacré à l’utilisation des feuilles de mûrier et à l’absorption du thé, intitulé Kissayôjôki 喫茶養生記. D’après cet ouvrage, pour celui qui met sa foi dans les bouddhas, les feuilles de mûrier et le thé rétablissent l’harmonie entre les cinq viscères zang et fortifient contre les diverses maladies50.

50Fujinami (Gôichi), Nihon eiseishi p. 44-5, Ishihara (Akira). Nihon no igaku p. 44-5.

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Diversification des membres de la profession médicale

La chute du Bakufu de Kamakura en 1333 marqua au Japon le début d’une nouvelle période de guerre civile qui devait durer soixante ans. Le milieu médical comme les autres parties de la société fut atteint par les bouleversements qui transformèrent alors le Japon. Dès le début du schisme qui opposa la cour du Sud à celle du Nord au début de cette période, les médecins fonctionnaires qui s’étaient installés à Kamakura au siège de l’ancien Bakufu, revinrent à la capitale où se trouvait désormais le gouvernement des guerriers. D’autre part, beaucoup d’activités caritatives, notamment celles de la secte Shingon risshû, durent être suspendues du fait de la perte de leur assise financière.

Du point de vue plus strictement médical, on peut dire que l’époque de Muromachi (1338-1573) fut marquée par le déclin des grandes familles de médecins fonctionnaires qui avaient acquis une sorte de monopole de connaissance et de la transmission de la médecine chinoise des Sui et des Tang. Parallèlement on vit apparaître une médecine empirique dans les domaines de la chirurgie militaire, des traitements externes, de l’ophtalmologie et de la gynécologie. Il est à noter que cette nouvelle approche ne fut pas le fait des médecins professionnels formés à la chinoise, mais de personnes issues de milieux modestes, guerriers ou moines, pour qui la pratique médicale représentait une chance de promotion sociale51. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont les moines qui vont donner le ton. En effet, à partir de la fin du XIVe   siècle, les médecins professionnels commencèrent à se raser la tête et à prendre l’habit de moine. Cette tendance se généralisa rapidement et au XVIe   siècle, il n’était plus possible de distinguer les médecins, y compris les médecins fonctionnaires de la cour, des moines médecins. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour voir des médecins refuser de se

51 cf. Shinmura (Taku), Nihon iryô shakaishi no kenkyû p. 349-353.

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plier à cet usage52. Le renouvellement de la pratique médicale par des personnes qui n’appartenaient pas au milieu traditionnel de la médecine, n’est pas sans analogie avec ce que l’on observe en Occident où la naissance de la chirurgie, ainsi que le montre l’exemple d’Ambroise Paré, est liée à des métiers comme celui de barbier plus ou moins méprisés des détenteurs traditionnels du savoir médical.

Les médecins professionnels classiques n’en disparurent pas pour autant. Comme leurs prédécesseurs, ils suivirent avec attention les changements intervenus en Chine. Ils s’efforcèrent d’introduire et d’assimiler la médecine des Ming où se trouvent juxtaposées des théories d’époques diverses, Song, Jin, Yuan, n’hésitant pas pour ce faire à se rendre sur le continent. Mais à la différence des époques précédentes, ils semblent s’être moins souciés d’opérer une synthèse des nouvelles orientations de leur savoir de référence, que d’en réaliser directement une adaptation aux conditions locales. Si nous prenons le Fukuden hô 福田方53 du moine Yûrin 有林 (dates inconnues), rédigé très probablement quelques années avant 1470, c’est-à-dire un siècle et demi après le Ton.ishô, la différence apparaît nettement. Au lieu d’une compilation reprenant les catégories traditionnelles, l’auteur se livre à un reclassement des rubriques théoriques en ne retenant que les parties qu’il estime nécessaires, celles qui peuvent s’appliquer à des thérapeutiques précises. Profondément bouddhiste, Yûrin, comme Kajiwara no Shôzen, parait avoir rédigé ce traité pour faire connaître au plus grand nombre le savoir médical chinois et avant tout ses applications pratiques. Il l’a donc lui aussi écrit en chinois d’un style simple et clair accompagné des signes permettant une lecture japonaise aisée. Il traite successivement de l’étiologie, des symptômes, de l’état du pouls, du

52cf. Otsuka (Keisetsu), Kinseizenki no igaku p.   523, Hattori (Toshirô), Muromachi azuchi momoyama jidai igakushi no kenkyû p. 357-9.

53Ce traité (manuscrit du Naikaku bunko) est consultable en fac-similé (éd. Kagakushoin 1987). L’auteur s’intéresse comme Kajiwara no Shôzen à l’aspect anatomique du corps et à l’examen du pouls.

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diagnostic, de la distinction des maladies en cas de symptômes analogues et des thérapeutiques appropriées. Dans la ligne de ce que nous avons observé à l’époque de Kamakura, on peut remarquer qu’au cours du XVe   siècle, les médecins japonais, jugeant le savoir médical chinois un peu trop scolastique affirmèrent de manière encore plus nette leur volonté de privilégier une approche plus pragmatique mieux adaptée à la réalité concrète des maladies à soigner.

Il existe au moins un exemple d’une tentative plus radicale de se détacher de ]a médecine continentale. Il s’agit d’un traité du XIVe   siècle, rédigé entièrement en Japonais, intitulé Gotaishinbunshû 五体身分集 (Recueil sur les cinq divisions du corps) de Seisai 生西. Comme son titre l’indique, cet ouvrage en deux volumes est divisé en chapitres qui traitent des différentes parties du corps, commençant par la tête, il finit par les pieds. L’auteur ne se réfère presque jamais à des sources chinoises. De plus les soins qui y sont indiqués semblent surtout d’origine populaire et indigène. Ainsi, que ce soit par la langue utilisée ou par son contenu, cet ouvrage réussit pour la première fois la gageure de présenter un savoir médical indépendant de la science chinoise pourtant toujours dominante54.

Mais cette tentative ne représente qu’un des courants de la médecine de ce temps qui se caractérise par une certaine confusion due à la coexistence d’orientations très différentes. En effet, à côté d’un Yûrin ou d’un Seisai, beaucoup de médecins professionnels avaient recours au Recueil de prescriptions d’Etat des Song, le Taipinghuimin he jijufang 太平恵民和剤局方 au lieu de rechercher les soins cliniques qui répondissent véritablement aux besoins des patients, ils se servaient de recueils de ce type qui donnaient directement des prescriptions faciles à mettre en pratique55. Ce qui dénote, outre un niveau de connaissances médicales assez bas, le

54Malheureusement cet ouvrage ne nous est pas parvenu dans son intégralité. Des copies partielles sont conservées à la bibliothèque de la Diète et au centre d’informations de l’Université de Keiô.

55Ishihara (Akira), Nihon no igaku p. 76, Kanpô p. 82.

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souci de ne pas prendre de risques, car ces prescriptions ne demandaient pas de compétences professionnelles très poussées.

La diffusion de ce genre de prescriptions entraîna un développement du marché des produits pharmaceutiques, avec pour conséquence la mise en circulation d’une plus grande variété de produits et donc de meilleures connaissances dans ce domaine où, par exemple, l’auteur du Fukuden hô fait montre d’une compétence bien supérieure à celle de Kajiwara no Shôzen56. Mais cette expansion du commerce des remèdes, surtout à partir de la seconde moitié du XVe   siècle et dans la région de Kyôto, si elle enrichit de nombreux négociants, mais aussi de grands monastères comme le Tôdaiji, ou le Saidaiji 西大寺, et quelques nobles, ne fut pas toujours perçue comme un progrès par les membres de la profession médicale. Beaucoup de ces remèdes mis si facilement à la disposition de la population étaient en effet censés guérir toutes les maladies57. Cette vulgarisation excessive du savoir médical chinois suscita, semble-t-il, une réaction qui prônait une médecine plus sérieuse, celle des Ming. En Chine même, les médecins avaient déjà été confrontés à ce type de problèmes. Sous les Jin et les Yuan, des autorités comme Liu Wansu 劉完素 (1110-1200) ou Zhu Dangxi 朱丹渓 (1281-1358) avaient sévèrement critiqué le recours au Taipinghumin hejijufang dont les prescriptions pouvaient avoir des effets non désirables58.

Cette réaction explique la rédaction de la première compilation faite au Japon des prescriptions mentionnées dans le Shanghan lun. Ce traité, pourtant cité dans l’Ishinpô (livres 2, 9, 10, 16, 20, 25) et le Man.anpô (J.6), était longtemps dans l’oubli aussi bien au Japon qu’en Chine même où, malgré la rédaction du Qianjin yifang 千金翼方 par

Sun Simiao (VIIe   siècle) qui s’en inspire directement, il fut négligé

56Takahashi (Shintarô), Chûgoku no yakubutsuryôhô to sono eikyô in Meijizen nihon yakubutsugakushi vol . 2 p. 418.

57Takahashi (S)., op. cit. p.   424, Shinmura (Taku), Chûsei.iryôshakaishi no kenkyû p. 132, 138.

58Yabuuchi (Kiyoshi), Sôgenjidai ni okeru kagakusgijutsu no tenkai p.   16. Miyashita op. cit. p. 157.

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jusqu’à sa redécouverte sous les Ming59. La compilation, le Zokutenkôhôhiyôshô 続添鴻宝秘要抄 qui comprend huit volumes fut achevée en 1508 par Saka Jôun 坂淨運60. Dans le premier volume, l’auteur, en s’appuyant bien-entendu surtout sur le Shanghan lun, s’intéresse particulièrement à l’examen du pouls et en présente une description détaillée des différents types61. Il répondait ainsi à une demande de plus en plus forte du milieu médical qui, depuis le XIIIe  siècle, s’efforçait de mettre en pratique cette technique délicate. En complément du Shanhan lun, le Chabing zhinan que nous avons mentionné ci-dessus, joua un rôle très important dans ce domaine. A partir des environs de 1530, il fut non seulement imprimé à plusieurs reprises sur planche, mais fut aussi souvent recopié dans la deuxième moitié du XVIe siècle.

Il faut rappeler à ce propos que l’examen du pouls avait été conçu, au départ, en Chine comme une technique de diagnostic précédant l’application de l’acupuncture. Si cet examen se développa bien au Japon à partir du XIIIe  siècle, il n’en alla pas de même de cet art. En effet, alors qu’en Chine la pratique des aiguilles avait connu un nouvel essor sous les Song du Nord et bénéficia de la protection impériale62, il faut attendre le XVIe   siècle pour trouver au Japon de grands maîtres comme Misono Isai 御園意齋 (?-1616), fondateur d’une nouvelle école qui propagea la technique appelée uchibari 打

59L’étude philologique et analytique du Shangan lun fut commencée, semble-t-il, sous les song du Nord (Yabuuchi op. cit. p. 11, 22. Chen Bongxian Zhengguo yixueshi p.  76) pour l’intégrer dans la synthèse du Suwen. Mais la véritable compréhension du système établi par l’auteur de ce traité est attribuée à Yu Chang du XVIIe s. cf. aussi Takahashi op. cit. p. 429-30. Ishihara (A.) Nihon no igaku p. 97.

60Malheureusement cet ouvrage ne nous est pas parvenu dans son intégralité. Des copies partielles sont conservées à la bibliothèque de l’Université de Kyôto et à celle de la Diète.

61Cf. aussi Hattori (Toshirô), Muromachi azuchi momoyama jidai igakushi no kenkyû p. 236, 251.

62Ishihara (Akira), Kanpô p. 72-74.

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鍼63 qu’il avait lui-même mise au point. Pourtant, malgré de telles

figures, au XVIe   siècle, l’acupuncture était encore loin de jouer au Japon un rôle aussi important que la moxibustion dans les soins thérapeutiques. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe   siècle, quand il fut officiellement encouragé par le shôgun Tsunayoshi (1680-1709) que cet art put vraiment s’épanouir64.

Les XIVe, XVe et XVIe  siècles furent donc du point de vue de la science médicale une période de tâtonnement où l’on voit apparaître les premières tentatives pour constituer une médecine japonaise autonome. Jusqu’à cette époque, on ne peut que noter la difficulté qu’avaient eu les Japonais à prendre leurs distances vis-à-vis du savoir médical continental qui avait été accepté au départ comme un système global, comme un savoir entièrement achevé, ce qui mena la médecine japonaise à la suite de son homologue chinoise, à une sorte d’impasse en ce qui concerne les connaissances scientifiques sur les mécanismes du corps, qui, bien entendu, au Japon comme en Occident, ne seront effectives qu’au XXe siècle. Presque toute l’énergie de la pensée médicale s’épuisa en conflits d’interprétation stériles. Malgré quelques tentatives de réactions sous les Song du Nord, les Chinois dans l’ensemble, n’étaient pas arrivés à se libérer de leur approche traditionnelle qui consistait à reprendre et à commenter les grands classiques et leurs anciens commentaires, en médecine comme dans les autres disciplines. Ils n’étaient donc pas parvenus à porter un regard lucide sur les savoirs auréolés du prestige de l’Antiquité et de l’autorité qu’elle confère. Mais c’est pourtant le modèle chinois qui domine et qui le fera encore pendant presque deux siècles, à cette nuance près que les médecins japonais, moins versés dans les débats théoriques, semblent avoir porté une attention plus soucieuse du concret que leurs confrères du continent, à la pratique et à l’efficacité

63Briot (Alain), Histoire de l’acupuncture japonaise, inédit, p. 764Hirose (H.), Shinkyû no rekishi p. 168.

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des thérapeutiques employées65.

Synthèse de la médecine continentale vers une médecine positiviste

La période qui se situe entre la chute du Bakufu de Muromachi en 1573 et l’établissement de celui d’Edo 江戸 en 1603, fut dominée par deux grands chefs de guerre Oda Nobunaga 織田信長 (1534-1582) et Toyotomi Hideyoshi 豊臣秀吉 (1536-1598). Chacun à son tour, ils réussirent, à l’issue d’incessantes campagnes militaires, à réunifier sous leur autorité le Japon qui s’était morcelé en principautés rivales, ayant à leur tête des seigneurs, daimyô 大名 entourés chacun d’une cour plus ou moins importante. Si bien que cette période tout en étant marquée par la violence de guerres quasi-permanentes, vit aussi s’épanouir une civilisation d’un grand raffinement. C’est par exemple le moment où se développa l’art du thé.

En ce qui concerne la médecine, on retrouve la même urgence et le même bouillonnement culturel. Il va sans dire que la multiplication des combats entraîna celle des blessures et plus particulièrement celles dues aux armes à feu nouvellement introduites. Il fallut donc trouver des soins rapides et efficaces. De plus, l’instabilité sociale et politique rendit la société moins apte à réagir aux maux endémiques. Dans le même temps, l’arrivée des Occidentaux en 1549 et la crise que traversaient les anciennes formes de transmission du savoir, permirent une nouvelle approche de la médecine. Celle-ci est représentée par le plus grand médecin de ce temps, Manase Dôsan 曲直瀬道三 (1507-1594). Comme ses prédécesseurs, il se pencha sur la médecine chinoise et travailla à une synthèse des théories des Jin et des Yuan. Mais surtout, il acquit une expérience clinique qui en fit un

65Si l’on observe parmi les médecins professionnels deux tendances opposées, détachement et dépendance vis à vis de la médecine chinoise, les nobles, eux, se réfèrent surtout aux traités chinois. cf. Shinmura, Chûsei iryôshakaishi no kenkyû, p. 130. Hattori, T. op. cit. p. 197

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précurseur de la médecine « moderne ».Il innova aussi dans le domaine de la transmission du savoir. Le

déclin à partir du XIIe  siècle de l’organisation médicale d’Etat et du système de formation de médecins fonctionnaires qui lui était lié, laissa le champ libre au petit nombre de familles qui avaient monopolisé les fonctions officielles et donc le savoir. Celui-ci fut désormais transmis en tant que tradition secrète de père en fils ou de maître à disciple. D’autre part, il existait aussi la formation dont Manase lui-même bénéficia, celle des monastères. Confronté à cette relative carence, il décida de créer la première école privée du Japon, le Keiteki.in 啓迪院 en 1546, anticipant ainsi sur les nombreuses fondations d’établissements de formation médicale qui virent le jour au milieu du XVIIIe  siècle sur l’initiative du Bakufu d’Edo, des fiefs ou de personnes privées. Son objectif était de former de futurs médecins selon les principes exposés par Li Dongyuan 李東垣 (1180-1228) et Zhu Dangxi (1281-1358), les deux grandes figures de la médecine des Jin et des Yuan. Il en avait eu connaissance par son maître Tashiro Sanki 田代三喜 (1465-1537), lui aussi moine du Tendai, qui avait séjourné 12 ans en Chine à partir de 1486. Pour ses disciples qui furent près de huit cents, Manase rédigea le Kirigami 切紙 recueil de ses secrets professionnels. Cet ouvrage dont certains passages remontent à 1542, fut composé pour le reste entre 1566 et 158166. Parmi ses 40 chapitres figure une célèbre liste de 57 préceptes de déontologie médicale. L’auteur y exprime non seulement des principes professionnels afin de mieux appliquer les méthodes thérapeutiques, mais aussi des injonctions morales, presque universelles dans ce domaine67, tirées des grands classiques chinois. Ce qui n’a rien d’étonnant si l’on sait que Manase étudia pendant plusieurs années, à partir de 1528, les grands textes du confucianisme

66Fac-similé publié dans la collection Kinsei kanpô igakusho shûsei 4 1ère période. Meichôshuppan.

67A. Briot a déjà signalé le rapprochement possible avec le serment d’Hippocrate. op. cit. p. 9.

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et du taoïsme dans un établissement célèbre en son temps l’«  école Ashikaga », Ashikaga gakkô 足利学校. De plus, il fit montre dans son enseignement d’une préférence marquée pour le confucianisme alors qu’il rejetait tout emprunt au bouddhisme. Ne quitta-t-il pas l’habit monastique lorsqu’il alla s’installer comme médecin à Kyôto68. Le 12e précepte, inspiré du Suwen (ch. 2) dit par exemple que les médecins soignent les maladies qui ne sont pas encore déclarées et non celles qui le sont déjà (治未病不治已病) (cf. 素問第二 是故聖人不治已病治未

病). Le 14e, sans doute tiré de la biographie de Bian Que dans le Shiji (J.  45) rapporte que sur les patients qui croient en l’exorcisme et non aux médecins, les traitements ne sont pas efficaces (信巫不信醫之患者治之而无効) (cf. 史記巻 四十五 故病有六不治 信巫不信醫六不治也). Manase fut sans doute le premier médecin au Japon à avoir mené de front son propre perfectionnement professionnel et la responsabilité complète de la formation de futurs médecins.

Autre point où s’affirme son originalité, la séparation nette qu’il fait entre le domaine médical et le religieux en général et le bouddhisme en particulier. Bien qu’il ait été lui-même moine dans sa jeunesse dans la secte Tendai. En effet, jusqu’à la fin du XVe siècle, les médecins n’avaient pas pris conscience de la difficulté à conduire une véritable expérience clinique au sein de la vision bouddhique de la maladie, vision qui constituait un des éléments essentiels du monde médical. Dôsan n’alla pourtant pas jusqu’au bout de son positivisme, somme toute, encore relatif. Il ne renia jamais la science médicale qu’il avait apprise à l’école des grands maîtres chinois. Il ne faut donc pas faire l’anachronisme de rechercher chez lui l’image d’un clinicien se référant avant tout à des connaissances anatomiques et physiologiques. Pourtant à la lecture de ses écrits, nous sommes frappés par son rejet d’un savoir purement théorique. Ce qui lui importe, c’est de trouver, rapporter, améliorer l’efficacité des thérapeutiques. Il refuse donc de se conformer à l’enseignement

68Hattori (T.) op. cit., p. 430-442.

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d’une seule école (cf. 11e et 54e préceptes, 不醫一織、以醫用聖法非妄意也). Ainsi, dans la synthèse qu’il présente de la médecine des Jin et des Yuan, il insiste sur la nécessité de tenir compte des différences de climat, et de mœurs qui existent entre la Chine et le Japon69.

Sa célébrité fut définitivement assurée en 1574, à l’occasion de l’offrande qu’il fit à l’empereur Ogimachi (正親町天皇) (1558-1586) de

son principal traité, le Keiteki shû 啓迪集70, qu’il avait achevé trois ans auparavant. Comme on pouvait s’y attendre, il s’y réfère surtout aux deux grands maîtres de la médecine des Jin et des Yuan, mais n’hésite pas non plus à préconiser, si son expérience clinique lui en avait montré la nécessité, des thérapeutiques indiquées dans les grands classiques comme le Nanjing 難経 ou le Qianjin fang 千金方 et qui n’avaient pas été reprises par ses maîtres. D’une façon plus générale, il attache une grande importance à l’élaboration d’un diagnostic exact basé sur l’observation minutieuse de l’état du malade. Pour lui, comme pour la plupart des autres médecins de son époque, la technique de base dans ce domaine demeurait l’examen du pouls71 qu’il demandait d’effectuer avec le plus grand soin possible. Il se maintient d’autre part, dans la tradition japonaise de la médecine chinoise, en accordant beaucoup d’attention à l’application de la moxibustion (30e précepte, 灸穴之枢要可記憶). En effet, cette dernière figure dans chacun des 63 chapitres de l’ouvrage qui suivent tous le même plan   : appellation de la maladie, symptômes analogues, sources, examen du pouls comme moyen de diagnostic, pronostic, thérapeutiques à employer, application de la moxibustion, thérapeutiques rares, symptômes de la dernière phase de la maladie, régime alimentaire.

69La nécessité de tenir compte des différences régionales, climatiques, culturelles, etc. est déjà soulignée dans le Suwen (J.78). Mais Manase est le premier japonais à en montrer l’importance en tant que clinicien.

70Publié dans la collection Kinsei kanpô igakusho shûsei 2, 3 1e période. 71Sur l’importance de cette technique comme moyen de diagnostic à cette

époque voir Hattori (T.) op. cit. p. 106.

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Grâce à sa compétence et à son expérience de clinicien hors pair, il ne pouvait qu’être attiré par la théorie appelée Qi xue tan (souffle, sang, liquide du corps 気血痰) selon laquelle sang et liquide sont considérés comme des transformations du souffle, théorie développée chez Zhu Dangxi pour expliquer les processus pathologiques. C’est à lui que revient donc le mérite d’avoir introduit au Japon cette théorie qui fut reprise et affinée par les médecins postérieurs, ceux de l’école des classiques de l’époque d’Edo et qui forme de nos jours une des conceptions centrales de la médecine traditionnelle japonaise.

Dans le cadre même de la médecine traditionnelle, il innova en mettant au point avec son fils adoptif Gensaku (玄朔), une méthode de diagnostic dite abdominale Fukushin (腹診) qui fut désormais considérée comme une des techniques les plus importantes dans ce domaine. Dôsan et Gensaku avaient eu l’intuition de cette méthode à la suite de leur expérience clinique, comme, selon eux, c’est au niveau de l’abdomen qu’apparaît l’état du souffle, c’est là qu’il faut le lire. Fidèles au système des écoles, ils ne divulguèrent pas, semble-t-il, ce mode de diagnostic qu’ils considéraient comme un secret professionnel de première importance72.

La pharmacopée ne pouvait rester étrangère à un tel esprit. Grand connaisseur des produits pharmaceutiques sino-japonais, Manase Dôsan savait non seulement distinguer ceux qui venaient de Chine de ceux du Japon, mais fut aussi le premier à promouvoir une recherche systématique, basée sur ses propres expériences cliniques, sur la fonction des produits pharmaceutiques en vue de leur utilisation dans les différentes préparations. Problèmes qu’il aborde dans une dizaine de traités73.

Esprit ouvert, d’une compétence professionnelle reconnue, il avait gagné la confiance de nombre de ses contemporains, aussi bien chez les membres des classes dominantes que parmi les couches

72Yakazu (Dômei), Manase gensaku kaisetsu in Kinsei kanpô igakusho shûsei 6 p. 32, Otsuka (Keisetsu), Kinsei zenki no igaku in Nihon shisô taikei 63 p. 517.

73Takahashi (S.), op. cit. p. 431.

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populaires. Il n’est donc pas étonnant que sa renommée soit parvenue jusqu’aux missionnaires portugais et espagnols qui arrivaient alors au Japon. L’un deux, le célèbre Luis Frois (? -1597) parle de lui avec admiration dans une de ses lettres74. En 1584, un autre missionnaire résidant à Funai (府内) (actuel Oita), qui souffrait d’une lithiase urinaire (?), vint même jusqu’à Kyôto pour le consulter. Au fur et à mesure des consultations, ils en seraient venus à parler de religion. C’est du moins ce que rapporte Luis Frois dans une lettre datée du 27 août 1585 où il annonce aussi la conversion du célèbre médecin au christianisme75. Bien que ce soit notre seule source, plusieurs spécialistes admettent cette conversion76. Mais il est important de noter que malgré ses contacts avec les Portugais et le grand intérêt qu’il portait à leurs connaissances médicales, on ne trouve dans son œuvre aucune trace d’emprunt à la science occidentale.

Novateur dans beaucoup de domaine, ayant réussi à établir une médecine japonaise plus autonome et à faire les premiers pas vers la médecine moderne, Manase Dôsan est aussi considéré comme le fondateur de «   l’école des successeurs   » Goseiha (後世派) qui se réclamait de Li Dongyuan et de Zhu Dangxi des Yuan et qui entra en conflit au siècle suivant avec l’école qui, elle revendiquait comme ancêtre Zhang Zhongiing des Han postérieurs, et dont le précurseur était un de ses contemporains, Nagata Tokuhon (永田徳本) (1513- 1630).

Comme un certain nombre d’autres médecins de son temps, Nagata Tokuhon avait émis de grandes réserves à propos de la médecine des Yuan. Il mit donc sur pied sa propre méthode thérapeutique en se basant sur les travaux de Zhang Zhongjing qui avaient été présentés dans leur intégralité au début du XVIe siècle par Saka Jô.un. Les remèdes drastiques qu’il mit au point en se fondant en

74Hattori (T.), op. cit. p. 347.75Hattori (T.), op. cit. p. 425.76Ebisawa (Yûdô), Kirishitan no shakai katsudô oyobi nanban.igaku p.   264,

Ishihara (A)., Nihon no igaku p. 106, etc..

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grande partie sur sa propre expérience77, donnèrent selon la rumeur du temps des résultats exceptionnels. Ses nombreuses références au Shanghan lun en firent le pionnier de « l’école ancienne » Kohôha (古

方派) qui prépara au début du XVIIIe   siècle, le tournant décisif qui permit aux médecins japonais d’assimiler la médecine occidentale.

Au XVIe siècle, comme nous l’avons déjà vu à propos de Manase, les contacts avec l’Occident n’eurent pas l’ampleur et la profondeur que l’on pouvait attendre de la confrontation de deux pensées si différentes en apparence. L’arrivée des jésuites au Japon en 1549, amena plusieurs grands seigneurs du Kyûshû et de la région située au Sud-Est de Kyôto comme les Ôtomo (大友), les Arima (有馬), les Ômura (大村) à se convertir au christianisme, sans doute en grande

partie afin de pouvoir profiter du commerce d’importation78 très florissant et des informations en provenance de l’Occident.

On pourrait facilement imaginer que, dans ce contexte, de nouvelles méthodes thérapeutiques en grand nombre et de nombreux produits pharmaceutiques jusqu’alors inconnus auraient été apportés au Japon. Pourtant, comme plusieurs spécialistes l’ont déjà signalé, le nombre de produits d’origine européenne importés à cette époque fut extrêmement limité, les seuls notables sont l’huile d’olive et la térébenthine. En fait, la plupart des produits utilisés pour les traitements par les missionnaires furent soit japonais, soit chinois et déjà bien connus des Japonais comme la réglisse, la noix d’arec (檳榔

子), le cinabre, etc.79.Ce n’est pas étonnant si l’on songe que, comme le montre

l’exemple de l’auteur de la conversion supposée de Manase, les

77Ishihara, op. cit. p. 83.78Depuis les premiers échanges jusqu’à l’arrêt du commerce en 1590, les

bateaux portugais et espagnols apportaient tous les ans des cargaisons de fil et d’étoffe de soie, de l’or etc. cf. Takase (K.), Iezusukai to nihon.vol.  1, p.  649. Kôda (Shigetomo), Nichiôtsûkôshi, p. 66.

79Akamatsu (Kaneyoshi), Meijizen nihonyakubutsushi vol. 1 p.  57-8. Koga (J.), Seiyôijutsudenraishi p. 5.

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missionnaires résidant au Japon à la fin du XVIe  siècle ne paraissent pas avoir eu la conviction de la supériorité de leur savoir en ce qui concerne la pathologie interne et qu’ils n’hésitaient pas, par exemple, à se faire soigner pour des maladies du système digestif par des médecins japonais, beaucoup plus efficaces que les médecins européens. Les missionnaires qui avaient des connaissances médicales comme Luis de Almeida (1525-1583) ne donnèrent de leçons que dans le domaine des traitements externes80. Leurs seuls apports semblent avoir été la prescription d’œufs de poule, de lait81 et de vin comme produits diététiques fortifiants et la transmission de la théorie des humeurs qui, selon Ishihara A.82, influença les théories pathologiques de certains médecins japonais jusqu’au début du XVIIIe siècle.

En fait, ce qui marqua le plus, ce fut la fondation d’hôpitaux et d’hospices dans tout le Japon. En raison des guerres civiles qui avaient ravagé le pays, les gens les plus défavorisés avaient été laissés complètement à l’abandon. Ni l’Etat presque disparu, ni les moines aux ressources diminuées, ni même les médecins ne pouvaient s’en occuper. Aussi lorsqu’en 1556, Luis de Almeida bâtit à Funai le premier hôpital à l’occidentale qui compta jusqu’à plus de cent malades à certains moments, il répondait à un besoin réel de la population83. Les traitements externes appliqués dans cet hôpital et dans ceux qui furent construits à sa suite ne furent pas seulement une chance pour les plus démunis, mais une occasion pour ceux qui

80Ishihara (A)., Nihon no igaku, p. 90. Akamatsu (K.) op. cit. p. 146. 81Au Xe siècle déjà, nobles et hauts fonctionnaires consommaient du lait

en tant que fortifiant, on s’en servait aussi dans certains rites bouddhiques pour obtenir la prospérité et la sécurité du pays. cf. Macé (M.).Thèse p. 94.

82Ishihara (A.), Nihon byôrigaku zenshi p.   373 in Meijizen nihonigakushi vol.   2. Nihon no igaku p.   90-5. Voir également Briot (A.), Panorama de la médecine japonaise des origines à Meiji  in Médecine et société au Japon, p. 10, à paraître chez l’Harmattan, Koga (Jûjirô), Seiyôijutsudenraishi, p.   2-21. Yamagata (Shôichi), Keichôshisetsu to Nanbanigaku in Nihonishigaku zasshi vol. 29, n. 1 p. 12.

83 Yamazaki (T.), Edokimae nihon ijihôsei no kenkyû p. 418.

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s’intéressaient à la médecine de découvrir de nouveaux procédés thérapeutiques qu’ils diffusèrent par la suite. Cette diffusion fut favorisée par la protection qu’Oda Nobunaga alors au sommet de sa puissance accorda aux missionnaires. Environ vingt ans après la construction de l’hôpital de Funai, il les autorisa à ouvrir une église à Kyôto, le Nanbanji (南蛮寺), le monastère des barbares du sud. Outre le souci de combattre le quasi-monopole religieux du bouddhisme, Oda Nobunaga pensa, sans doute, pouvoir ainsi améliorer dans une certaine mesure le sort déplorable des couches populaires. Forts de la protection du détenteur du pouvoir, les missionnaires à commencer par Luis Frois ouvrirent au Nanbanji un centre de soins qui resta actif jusqu’à sa destruction en 1587 par Toyotomi Hideyoshi, successeur d’Oda Nobunaga et auteur des premiers édits d’interdiction du christianisme. Les traitements externes dont il est question au XVIe siècle ne correspondent pas bien entendu à la chirurgie telle que nous l’entendons aujourd’hui. Ils n’en demeure pas moins qu’ils donnèrent naissance à plusieurs écoles dites des soins externes des barbares du sud, Nanban geka ryû (南蛮外科流) qui subsistèrent

jusqu’au XVIIIe siècle, renforçant certains courants apparus à l’époque de Muromachi qui s’appuyaient sur des expériences empiriques.

Si l’action des jésuites rayonna surtout autour de Kyôto puis d’Osaka, les franciscains venus de Manille qui débarquèrent à partir du milieu du XVIe siècle concentrèrent leurs efforts vers le Nord où ils fondèrent des hospices pour l’accueil des lépreux particulièrement nombreux au Japon depuis l’Antiquité. Avant même les édits d’interdiction, l’action des missionnaires connut un premier coup d’arrêt en 1560, quand la papauté interdit aux jésuites la recherche, l’enseignement et la mise en pratique de la science médicale84. Désormais leur activité devait se limiter à la seule assistance charitable. Enfin, même avant ces contraintes, il ne faut peut-être pas trop surestimer l’activité médicale des missionnaires. Comme le souligne Takase K., ce type d’activité n’était pas leur but principal. Ils

84Akamatsu (K.), op. cit. p. 47.

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devaient d’abord évangéliser et peut-être surtout défendre les intérêts de leur pays85.

On peut donc dire que la médecine occidentale du XVIe  siècle ne bouleversa ni la pratique, ni le savoir médical japonais. De plus, il faut souligner que son influence aurait été encore plus faible, comme ce fut le cas en Chine, sans la crise sociale et politique que traversa alors le Japon, crise qui remit en cause le principe d’autorité dans tous les domaines. Enfin, il faut rappeler que cette médecine occidentale en était encore à ses balbutiements.

En fin de compte, la médecine du XVIe siècle reste encore presque entièrement sous la dépendance du savoir médical chinois à l’exception des traitements externes. Même les plus grandes figures de la médecine de cette époque, malgré leur position positiviste en tant que cliniciens, ne peuvent être comparés à Vésale (1514-64)86 qui fit faire un progrès décisif aux connaissances anatomiques à la fin de ce même siècle.

Orthodoxie et retour aux classiques

Après une longue période de guerre civile, la société japonaise se stabilisa avec l’instauration d’un pouvoir fort, celui de la famille des

85Takase (K.), op. cit. p. 64.86Andreas Vesalius, né à Bruxelles, fit ses études de médecine à Louvain et

à Paris. Il fut nommé comme professeur d’anatomie et de chirurgie à l’université de Padoue en 1537. Son principal titre de gloire est la publication de son De corporis humani fabrica libri septem (660  p. et plus de 300 planches gravées) 1543, année où un bateau portugais naufragé apporta pour la première fois au Japon des armes à feu. C’est aussi l’année de la publication de «  De la révolution des corps célestes  » de Copernic. L’anatomie de Vésale, reprenant les travaux de prédécesseurs comme Realdo Colombo (env. 1510-1559) et ne se fiant qu’a l’observation directe, renversa la théorie de Galien qui était jusqu’alors l’autorité incontestée en Europe. Il affirma entre autre que la membrane séparant les deux ventricules n’étant pas percée, il ne pouvait y avoir de communication. cf. Grmek. (M.), La Première révolution biologique. p. 99-100.

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Tokukagawa qui fonda en 1603 le Bakufu d’Edo. Pour asseoir son emprise sur la société et se donner une légitimité qui ne reposât plus seulement sur la force militaire, le Bakufu encouragea l’étude du confucianisme sous sa forme orthodoxe, celle du néo-confucianisme, introduite au Japon par l’intermédiaire des moines zen alors que les docteurs de la cour perpétuaient des commentaires plus anciens. On observa alors le même phénomène qu’en Chine sous les Song87, l’encouragement accordé à l’étude des classiques confucéens donna une impulsion extraordinaire à l’enseignement, ce qui eut des répercussions dans tous les domaines du savoir. On assista donc à l’époque d’Edo à une diffusion sur une grande échelle de la science médicale et des procédés thérapeutiques.

La médecine du XVIe siècle avait connu une première étape vers l’autonomie vis à vis du modèle chinois, et vers la modernité grâce à un Manase Dôsan. Mais nous avons vu que dès cette époque apparaissaient les germes d’un éclatement du milieu médical. Certains à la suite de Manase prônaient la médecine des Jin et des Yuan et représentèrent l’orthodoxie, d’autres préféraient se reporter directement au Shanghan lun. On retrouve ici un débat très proche de celui qui anima les confucianistes divisés entre partisans du néo-confucianisme, celui des Song, et ceux qui voulaient revenir au sens ancien des classiques. Pour certains médecins, le retour aux sources, le Shanghan lun de Zhang Zhongiing, était ressenti comme une nécessité. Il leur permettait d’échapper au savoir clos des théories orthodoxes et de rechercher dans le passé ce qui pourrait les conduire à une meilleure connaissance de la médecine et particulièrement des processus pathologiques et de l’application des remèdes. Leur volonté de se reporter directement aux textes de base, sans passer par les commentaires postérieurs, montre une tournure d’esprit positive qui s’appliqua aussi à Yamawaki Tôyô (山脇東洋) (1705-1762), Maeno Ryôtaku (前野良沢) (1723-1803), Sugita Genpaku (杉田玄白)

87 Gernet (J.), A propos des influences de la tradition confucéenne sur la sociéte chinoise, 3e séminaire franco-japonais organisé par l’Université de Sophia, 1988.

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(1733-1817) avaient réussi à acquérir des connaissances anatomiques suffisamment développées, en traduisant intégralement un traité d’anatomie allemand dans sa version hollandaise. Pour pouvoir être à même de comprendre la valeur de la médecine occidentale, et l’assimiler.

On observe le même approfondissement dans le domaine de la pharmacopée. La circulation des produits et des remèdes qui avait connu un premier développement au XVe, qui s’accentua dans les marchés des villes qui s’étendirent aux pieds des châteaux, fut prise en charge par des guildes spécialisées, kabunakama (株仲間). Il en résulta un accroissement du nombre des produits facilement disponibles, ce qui suscita des études de type encyclopédique. Ce n’est donc pas un hasard si le célèbre Bencao gangmu (本草綱目), qui reposait implicitement sur une nouvelle classification, fut offert en 1607 au shôgun Tokugawa leyasu (徳川家康) (1542-1616) par son conseiller, le philosophe confucéen Hayashi Razan (林羅山) (1583-1657). Sous cette impulsion, les connaissances s’affinèrent et se spécialisèrent. On étudia les problèmes de la collecte, de la production, des prescriptions etc. Les commerçants et les lettrés organisèrent des expositions de produits pharmaceutiques disponibles au Japon, les bussankai (物産会) qui rassemblaient des

produits japonais, chinois et occidentaux88. Si bien que les connaissances pharmaceutiques de l’époque d’Edo qui reposaient à l’origine sur les pharmacopées traditionnelles chinoises, finirent par former un savoir proche des sciences naturelles occidentales.

Dans ce domaine aussi, l’évolution interne et les contacts extérieurs se conjuguèrent. Le shôgun Yoshimune (吉宗) (1684-1751) qui soutint aussi l’art de l’acupuncture en plein essor au Japon depuis le XVIe   siècle encouragea les intellectuels à étudier les ouvrages

88 Takahashi (S.), Chûgoku no yakubutsu ryôhô to sono eikyô p. 462.

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occidentaux de sciences naturelles89 pour développer leurs connaissances en botanique et en produits pharmaceutiques mais aussi en médecine, ce qui amènera la première traduction d’un traité d’anatomie.

Ainsi, les Japonais purent acquérir près d’un siècle avant les Chinois, une vision plus scientifique de leur propre corps, ayant enfin surmonté l’obstacle intellectuel constitué par les théories traditionnelles chinoises devenues obsolètes car coupées d’une approche directe et objective du corps. Il est significatif qu’en Chine, un livre comme le Renshenshuogai (人身説概), œuvre du missionnaire Jean Terrenz (1575-1630), publié avant 1628 et traitant de l’aspect physiologique du corps, ne fut guère diffusé et n’eut pour ainsi dire aucune influence sur les connaissances anatomiques dans ce pays. Il en fut de même pour la traduction en mandchou d’une partie du traité d’anatomie de Pierre Dionis (1645-1718) que l’empereur Xangxi (康煕) des Quing avait demandé au jésuite Parennin. A la fin du

XVIIIe   siècle encore, les dessins anatomiques dressés directement à partir de cadavres par le célèbre Wang Qingren (王清任) (1768-1832), qu’il commença en 1797, ne touchèrent qu’une minorité à cause, semble-t-il, des préjugés de la tradition confucéenne qui ne voulait

89Nous connaissons par exemple le Crvydt-boeck (version hollandaise de 1618) de Rembertus Dodonaeus, arrivé au Japon en 1659, le Naeukeurige beschryving van de natuur der vier-voetige dieren (version hollandaise de 1660) de John Jonston, introduit au Japon en 1663, le Naauwkeurige beschryving der aardgewassen (1696) de Abraham Munting, le Nederlandtse herbarius of kruydt-boeck (1670) de Petrus Nylandt etc. Voir Yabe (Ichirô) Honzôgaku p.  261-263 in Bakumatsu no yôgaku.

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pas envisager de porter atteinte à l’intégrité du corps90. Cette sorte de refus de la réalité observable ne peut qu’étonner si l’on songe qu’au départ, c’est une connaissance empirique qui était à la base de cette médecine91.

Au début de cet article, je m’étais donné pour tâche de montrer que la médecine japonaise ne pouvait se ramener à un simple décalque de la science continentale. D’une part, parce que la science chinoise elle-même ne fut pas immuable, et que le décalage dans la transmission des dernières nouveautés amenèrent, au Japon, des confrontations et des rapprochements imprévus dans le milieu d’origine. De plus, et peut-être surtout, bien que la médecine continentale fût restée, tout le long de la période, la référence unique et incontestée, elle ne fut pas transposée dans son intégralité et sans altération.

En effet, ce survol de l’histoire de la médecine japonaise suffit à démontrer, du moins je l’espère, que la médecine est un des domaines privilégiés où l’on peut observer le travail de sélection opéré par les japonais parmi les savoirs importés du continent. Plus précisément dans le domaine de la médecine dont il est question ici, nous pouvons discerner ce travail de sélection dès le IXe siècle. Il s’opère à plusieurs niveaux   : d’abord au niveau théorique –   sélection de passages en retenant surtout ceux qui sont assez concis, mais en omettant les explications trop théoriques, par exemple celles qui sont liées à la théorie des cinq agents   ; au niveau technique –   ignorance de la

90Sur le Renshenshuogai voir Ishihara (Akira), Saiko no kanbun seirigakusho in Sôgô igaku vol.  8 n.  2. 1961. Ogawa (Teizô), Igaku no rekishi Chûkôshinsho p.   123-5. Sur l’attitude des chinois vis à vis de la dissection cf. la lettre de Parennin adressée de Pékin à J.J. Dortous de Mairan du 11 août 1730 in Lettres édifiantes et curieuses, Ed. originale Paris 21-76-183, trad. jap. in Chûgoku no igaku to gijutsu, Toyôbunko 301, p.   165. De plus, dès les Tang, les codes interdisent d’ouvrir les cadavres, même ceux des criminels (zeidaolu). Cette interdiction fut reprise dans les codes japonais de Taihô, Zokutôritsu, 10, Ritsuryô. Nihonshisôtaikei, p. 92.

91Yamada (Keiji), Kôteidaikei no seiritsu in Shisô août 1979, p.  94-108.

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théorie des méridiens, une plus grande importance accordée à la moxibustion alors que selon la médecine chinoise cette technique n’est considérée que comme un complément à l’acupuncture, refonte de la présentation des points d’acupuncture en fonction de leur emplacement sur le corps divisé en dix parties, présentation considérée comme plus facile à utiliser lors de l’application clinique ; au niveau de la préparation des remèdes – limitation du nombre des remèdes prescrits en fonction de la disponibilité des produits qu’ils soient japonais –   similaires ou équivalents  – ou importés, omission des remèdes composés d’un trop grand nombre de produits pharmaceutiques difficilement trouvables ou introuvables sur place, etc.92

Cette sélection fut dans un premier temps justifiée par la réalité à laquelle les japonais se trouvaient confrontés. Alors que les Chinois n’étaient pas arrivés à sortir de leur système clos malgré des contacts assez étroits avec le monde islamique sous les Yuan et avec les Occidentaux à partir du XVIe   siècle, les Japonais réussirent dès le XVIe   siècle à établir une certaine autonomie vis-à-vis de la vision globalisante de la science chinoise traditionnelle, savoir dominant depuis presque mille ans au Japon comme dans le reste de l’Extrême-Orient, ceci grâce, au départ, à une compréhension synthétique de ce savoir continental.

Le meilleur exemple de cette constatation à première vue contradictoire fut, comme nous l’avons longuement montré, Manase Dôsan, qui, poussé par une conscience professionnelle aiguë, fit preuve d’un esprit critique très développé.

Il finit par dépasser le simple stade de l’assimilation et de la synthèse de la médecine chinoise, pour arriver à une approche plus objective qui lui permit de dire par exemple   : «  Nous considérons (seulement) les remèdes dont l’efficacité est prouvée en cas cliniques comme précieux et les remèdes inefficaces comme peu importants  »

92Voir par exemple Macé (M.), La médecine dans la civilisation de l’époque de Heian, p.  36-8.

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以中病貴 以不中病賤93. Cela ne signifie pourtant pas qu’il ait renié l’héritage de la science chinoise, il ajoute en effet : « Si les médecins de maintenant ne lisent pas d’une manière approfondie les pharmacopées et ne connaissent pas à fond le Neijing, et créent inconsidérément eux-mêmes des préparations pharmaceutiques, il leur est difficile de ne pas tromper leurs patients. » 今之医者若非熟読

本草探究内経 而軽自製方 難不誤人94 ; « Quand on examine les parties gauche et droite et le corps entier du patient en saisissant bien les processus pathologiques (d’où vient l’origine de la maladie), l’état du pouls (qu’on lit) et les processus pathologiques (qui nous apparaissent) correspondent immédiatement. Il faut à ce moment-là soigner le patient en appliquant des remèdes appropriés. Il faut que cela se passe ainsi à chaque consultation.  » 弁知病證而即診察左右三

部、忽脉證対合 則以応剤宜治之 毎診如此95. Manase Dôsan fut ainsi le premier parmi les médecins japonais à avoir pris conscience de la continuité entre l’observation des processus pathologiques, le diagnostic et l’application des remèdes. D’un autre côté, il ne reconnut que la valeur des thérapeutiques reposant sur des fondements théoriques sûrs, comme je l’ai montré ailleurs96.

Manase fut donc, paradoxalement pour la médecine des deux siècles suivants, à la fois un précurseur puisqu’il ouvrit la voie à l’observation clinique, et en même temps la référence principale de ceux qui se rattachaient à la tradition, plus précisément celle de la médecine chinoise des Jin et des Yuan.

L’exemple de la médecine nous montre ainsi la complexité de la problématique concernant la transmission et la confrontation de

93Manase (Dôsan), 26e précepte de déontologie in Kirigami op. cit.94Manase (Dôsan), Trois enseignements in Kirigami op. cit.95Manase (Dôsan), le texte qui se trouve à la fin de la déontologie in

Kirigami op. cit.96Macé (M.) communication faite à l’Institut Finlandais de Paris en juin 91

L’éveil de la pensée scientifique et l’héritage du savoir traditionnel dans la médecine japonaise du XVI s. au XVIII s., à paraître en 92.

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divers savoirs dans les contextes culturels différents.Il nous montre aussi comment la crise générale de l’autorité à

l’époque des Provinces en guerre, permit aux plus exigeants des médecins japonais de prendre une certaine distance vis-à-vis de leurs «  autorités  », les écoles japonaises traditionnelles et, par conséquent, certains aspects du savoir continental. Il n’est pourtant pas question pour l’heure de parler de rupture, mais d’une mise en perspective. Les japonais des débuts des temps modernes n’ont pas accompli de révolution épistémologique. Et ce ne sont pas leurs contacts avec les Occidentaux qui auraient pu les aider, car ils furent en fin de compte de peu d’effets, au moins dans ce domaine. Faut-il rappeler que la médecine occidentale, plus mécaniste, n’était guère plus scientifique que la chinoise ou la japonaise qui avaient eu l’intuition de la fonction hormonale. L’image des viscères et de l’intérieur du corps humain en général commençait certes à devenir plus réaliste, mais cela n’avait encore que des répercussions infimes sur l’efficacité thérapeutique.

On a dit que, la science chinoise, grâce et à cause de sa vision globalisante qui rendait compte de l’homme et de la Nature dans une même explication du monde, réussissait à expliquer de façon satisfaisante pour l’esprit tous les phénomènes physiques sans avoir à passer par le doute méthodique et l’expérimentation. Mais elle s’interdisait par là même le progrès scientifique qui suppose une remise en cause des modèles acquis, et la destruction des systèmes clos. L’Occident, dont les cadres conceptuels paraissent avoir été plus étroits et moins subtiles que ceux de la Chine, fut contraint de s’y opposer. Ce serait cette nécessaire opposition qui lui aurait permis d’inventer la science moderne. Le Japon se situerait entre ces deux cas de figure. S’il n’a pas participé à la genèse de la science moderne, ce fut l’un des rares pays non-occidentaux, sinon le seul, à assimiler aussi tôt la démarche scientifique. Cette extraordinaire capacité d’assimilation aurait été impensable sans la longue expérience de la confrontation au savoir chinois qui avait été adopté comme le seul imaginable. Les différents décalages, ajustements, ont fini par jeter les bases d’une approche du corps et des maladies, qui rendait

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finalement inéluctable la rupture d’avec le savoir traditionnel. La longue assimilation et rumination de la science chinoise aboutit donc à la possibilité de s’en passer et de la rejeter. Ceci ne peut se comprendre que par l’évolution interne de l’ensemble de la société japonaise, mais aussi par la conscience de plus en plus aiguë de la distance culturelle qui séparait la Chine du Japon.

Si cet article s’arrête au milieu du XVIIIe  siècle, c’est que c’est le moment où la majorité des médecins japonais formés bien entendu à la chinoise commence à se détacher de la médecine traditionnelle, ayant pris conscience de ses limites. La médecine japonaise entre alors dans une nouvelle phase, radicalement différente. Elle se trouve, en effet, en présence d’une médecine occidentale qui a déjà accompli sa première révolution scientifique. Cette nouvelle science médicale qui pénétra progressivement au Japon à partir du XVIIIe  siècle, reposait sur l’observation directe et l’expérimentation, aidés par des découvertes scientifiques comme le microscope. Elle n’obligea pas seulement les médecins japonais à acquérir de nouvelles connaissances, elle les força à se séparer complètement de leurs anciens cadres de références, ceux de la médecine chinoise. Il va sans dire que cette extraordinaire adaptation n’aurait pu s’effectuer sans la distance critique que les Japonais ont toujours observé vis-à-vis de la civilisation continentale.

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