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2012 - Vues d'ailleurs www.cevipof.com Vues d'ailleurs Vues de Bulgarie : des ressemblances éloquentes avec la présidentielle en France N°3 Février 2012 Antony Todorov Professeur associé au département de science politique à la nouvelle université bulgare de Sofia www.cevipof.com Centre de recherches politiques 2012 Elections

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Vues de Bulgarie : des ressemblances éloquentes avec la présidentielle en France

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Vues de Bulgarie : des ressemblances éloquentes avec la présidentielle en France

N°3Février 2012

Antony TodorovProfesseur associé au département de science politique à la nouvelle université bulgare de Sofia

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Centre de recherches politiques

2012Elections

La France et la Bulgarie sont politiquement assez différentes, et pourtant aujourd’hui elles subissent le même impact des processus politiques et sociaux à l’oeuvre dans l’Union européenne. Les problèmes relatifs à l’avenir de la démocratie représentative sont souvent les mêmes dans les deux pays.

La France comme modèle politique

L a R é p u b l i q u e f r a n ç a i s e e s t traditionnellement vue comme un modèle politique respectable dont la Bulgarie peut s’inspirer dans les moments de changements important des institutions politiques. C’était le cas en 1990-1991 lors des débats autour de la nouvelle constitution postcommuniste. Les références au régime politique de la Ve République étaient alors assez abondantes, et pendant l’automne 1990, avec le soutien de l’Ambassade de France à Sofia un jeune centre de recherche de la démocratie a organisé un séminaire constitutionnel auquel prennent part des juristes

éminents comme Robert Badinter, Didier Maus ou Pierre Avril pour ne pas tous les citer. En effet, la Bulgarie, comme la plupart des pays ex-communistes de l’Europe centrale et orientale, adopta le modèle constitutionnel appelé par Maurice Duverger « semi-présidentiel »1. Pourtant le régime politique institué par la Constitution bulgare de 1991 diffère beaucoup par rapport à la France  : en Bulgarie, on élit en même temps un vice-président (qui n’a pas en effet de pouvoir propre) et le parlementarisme est unicaméral2. Mais le « semi-présidentialisme » produit partout, en France comme en Bulgarie, des effets semblables et joue sur le système partisan. Cependant, en Bulgarie, le rôle politique du président de la République reste beaucoup moins fort qu’en France, ne serait-ce que parce qu’il n’a pas le droit de dissoudre l’Assemblée nationale comme son homologue français.

Les références au modèle semi-présidentiel français ont été omnoprésents tout au long des dix premières années de transition

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1 Cf. MILACIC (Slobodan) et CLARET (Philippe) (dir.), « Les systèmes post-communistes : approches comparatives », Revue d’études politiques et constitutionnelles est-européennes, Actes du séminaire international, Centre d’études et de recherches sur les Balkans de la Faculté de Droit de l’université Bordeaux-IV-Montesquieu, 21 septembre 2005, juillet 2006, 195 p. [ISSN 1632-451X]http://www.est-europa.univ-pau.fr/images/archives/2002-2008/2006_special.pdf2 TODOROV (Antony), « La Bulgarie  », Jean-Michel De Waele et Paul Magnette (dir.), Les Démocraties européennes  : approche comparée des systèmes politiques nationaux, Paris, Armand Colin, 2008. [ISBN 978-2-200-35126-7]

Vues de Bulgarie : des ressemblances éloquentes avec la présidentielle en France

Le régime politique de la Ve République a pu servir de référence voire de modèle à certains moments de changements ou de bouleversements politiques en Bulgarie. Vues de Bulgarie, les élections françaises de 2012 présentent des similitudes : disparition des clivages sociaux dans le débat politique et dans la structuration du système partisan, prolifération du discours populiste « attrape-tout », substitution au débat pol i t ique de la publi c i té pol i t ique, attention primordiale portée sur la vie privée des candidats.

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Antony TodorovProfesseur associé au département de

sciences politique à la nouvelle université bulgare de Sofia

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postcommuniste en Bulgarie. En 1993-1994, un Rassemblement pour la démocratie, tout en faisant référence au RPR et regroupant quelques petits partis libéraux, a proposé un amendement constitutionnel qui devait sensiblement augmenter le rôle du président dans le système institutionnel. Le thème a été repris par l’ancien président Jelev (1990-1997), le premier élu démocratiquement, et récemment relancé par un chef politique conservateur qui réclame l’adoption d’une toute nouvelle constitution.

La France comme pivot de l’Union européenne

Mais si la France est perçue comme un modèle institutionnel à suivre, elle est aussi considérée en Bulgarie comme un élément décisif de l’union. À la veille des élections en France prévalent les attentes au sujet du devenir de l’Europe, de la sortie de la crise de l’endettement, de l’adhésion future de la Bulgarie dans l’espace Schengen et dans la zone euro qui focalisent l’attention du public bulgare.

La plupart des réactions dans les média se réfèrent au rôle essentiel de la France et de l’Allemagne dans l’Europe, de leur coopération étroite et de leur prestige européen. Les journalistes bulgares ont vite appris à utiliser la plaisanterie avec le nom composite de « Merkozy » (Merkel + Sarkozy), souvent dans un sens critique, mais souvent juste comme un acronyme du tandem franco-allemand.

Il faut dire que la classe politique bulgare ne perçoit pas d’une manière unanimement positive cette étroite coopération entre la France et l’Allemagne. Certains secteurs plus conservateurs et plus pro-américains critiquent le tandem comme une tentative d’imposer une sorte de tutelle aux autres, une hégémonie qui ne respecte pas les différences au sein de l’UE. Ce

sont les mêmes milieux politiques qui n’ont pas accepté la position des deux pays au sujet de la seconde guerre en Irak en 2003. Aujourd’hui, cette partie de la classe politique bulgare, même si elle reste limitée, préfère soutenir l’euroscepticisme britannique plutôt que les efforts franco-allemands. Mais la plus grande partie de la classe politique est plutôt favorable aux démarches récentes des deux pays pour le soutien de l’euro et le maintien de la discipline fiscale, tout en restant réticents à l’extension de l’unification des taux des impôts dans la totalité de pays membres de l’UE.

Dans cette optique, l’intérêt du public bulgare au sujet des élections présidentielles en France touche essentiellement les positions du président français sur la crise en Europe. «  Les élections présidentielles en France concernent chaque Européen  » est le titre du quotidien influent Capital  du 2 février 20123. On se demande en Bulgarie quel candidat élu sera le plus approprié par rapport à la situation actuelle en Europe. Certains observateurs mettent l’accent sur le soutien exprimé par la chancelière Angela Merkel envers le candidat Nicolas Sarkozy et décrivent ce dernier comme « mieux accepté » par le partenaire allemand. Ils rappellent aussi le rôle du président français en 2007 pour la libération des infirmières bulgares détenues par le régime de Kadhafi en Lybie. D’autres, au contraire, pensent que le candidat des socialistes François Hollande sera plus consensuel dans l’UE, moins pa r tan t pour une «  Europe à deux vitesses » (l’expression est maintenant reprise en Bulgarie) et plus à l’écoute des attentes des nouveaux pays membres comme la Bulgarie.

Les élections présidentielles comparées

Quatre prétendants éligibles (Sarkozy, Hollande, Le Pen et Bayrou) avec deux favoris – c’est ainsi que la presse bulgare décrypte

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3 Capital Daily, 2 février 2012.

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l’élection présidentielle en France, tout en expliquant les différences majeures par rapport aux élections précédentes de 2002 et 2007. On note que c’est une situation particulière, où le président sortant, tout en se réclamant d’un héritage gaulliste, s’est construit un parti politique «  attrape-tout  », où le candidat présumé des socialistes Dominique Strauss-Kahn s’est retiré après le scandale et a été remplacé par l’actuel candidat, où Marine Le Pen dépasse les 20% dans les sondages et où le centriste François Bayrou est considéré comme pouvant s’inviter éventuellement au second tour bien que cela soit difficile.

La comparaison avec la Bulgarie est intéressante – l’élection présidentielle récente de novembre 2011 avait, elle aussi, la particularité d’être marquée par trois candidats censés être éligibles et un candidat de l’extrême droite qui, en 2006, était arrivé au second tour mais n’obtient désormais que 3,5% des suffrages. Opposition gauche-droite, comme en France, sauf que ce n’est pas la même droite ni la même gauche. Il y a un candidat (Rossen Plevneliev) d’une droite populiste mais pas extrémiste (qui, à la différence de la France n’est pas un chef partisan mais un entrepreneur)4, un candidat (Ivaylo Kalfin) d’une gauche postcommuniste ouverte vers le centre libéral (qui, lui aussi, n’est pas un chef partisan ni même membre formel du parti socialiste) et un candidat libéral (l’ancienne commissaire européenne Meglena Kuneva), qui fait campagne contre les partis politiques et se présente comme chef d’un mouvement de citoyens (ce qui n’est pas nécessairement une référence à Jean-Pierre Chevènement) 5.

L’existence d’une sorte de consensus politico-économique qui empêche un débat clair sur les enjeux de la société et laisse la critique du statu quo à des mouvements et partis populistes xénophobes et extrémistes, est aussi une des caractéristiques communes des deux pays. Même si, en Bulgarie, le parti extrémiste Ataka a perdu une part de son soutien électoral, ses thèmes majeurs semblent être repris par le parti au pouvoir GERB. La montée électorale (même s’il s’agit maintenant d’intentions de vote) du Front national en France est aussi symptomatique de la situation du système politique.

Des ressemblances-différences, au-delà desquelles on aperçoit pourtant des problèmes communs aux démocraties européennes  : disparition des clivages sociaux dans le débat politique et dans la structuration du système partisan, prolifération du discours populiste « attrape-tout », substitution au débat politique de la publicité politique, attention primordiale portée sur la vie privée des candidats. La démocratie représentative traverse un profond malaise en Europe et plus largement en Occident. Au point que certains critiques radicaux se posent la question au sujet de «  l’avenir du mariage entre le capitalisme et la démocratie »6.

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4 Le Monde, 29 octobre 2011.5 RAGARU (Nadège) « "Souriez  ! tout va mal"  : la Bulgarie de Bojko Borisov  : au lendemain des élections d’octobre 2011 », Paris, CERI, janvier 2012, 12 p. http://www.ceri-sciences-po.org/ressource/art_janv2012_nr.pdf6 SHIN (Sarah), “Slavoj Žižek at Occupy Wall Street: ‘We are not dreamers, we are the awakening from a dream which is turning into a nightmare’”, 10 October 2011.http://www.versobooks.com/blogs/736.

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Pour aller plus loin :

> MILACIC (Slobodan) et CLARET (Philippe) (dir.), « Les systèmes post-communistes : approches comparatives », Revue d’études politiques et constitutionnelles est-européennes, Actes du séminaire international, Centre d’études et de recherches sur les Balkans de la Faculté de Droit de l’université Bordeaux-IV-Montesquieu, 21 septembre 2005, juillet 2006, 195 p. [ISSN 1632-451X]http://www.est-europa.univ-pau.fr/images/archives/2002-2008/2006_special.pdf

> TODOROV (Antony), «  La Bulgarie  », Jean-Michel De Waele et Paul Magnette (dir.), Les Démocraties européennes : approche comparée des systèmes politiques nationaux, Paris, Armand Colin, 2008. [ISBN 978-2-200-35126-7]

> RAGARU (Nadège) « "Souriez ! tout va mal" : la Bulgarie de Bojko Borisov : au lendemain des élections d’octobre 2011 », Paris, CERI, janvier 2012, 12 p. http://www.ceri-sciences-po.org/ressource/art_janv2012_nr.pdf

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