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RF nov. 2012 Victoria et les Victoriens D’après Roland Marx, Le journal et la correspondance de Victoria 1 , le site Victoria Web, le Dictionary of National Biographies. Vitality, conscientiousness, pride and simplicity (Lytton Stratchey, 1880-1932) Pourquoi Victoria ? Pourquoi avoir choisi ce thème ? D’abord parce que ces derniers mois on a beaucoup parlé de la monarchie britannique et de la reine Elisabeth II qui a célébré en 2012 son jubile de diamant, c'est-à-dire 60 années de règne. Or la reine Victoria avait montré le chemin à son arrière-arrière-petite-fille en célébrant en 1898 le soixantième anniversaire de son couronnement, trois ans avant de disparaitre. Dans ce contexte, il ne me semblait pas inintéressant d’évoquer ce personnage qui a donné son nom non pas à un siècle comme Périclès ou Auguste, mais à une mentalité, celle des Victoriens, dont, même nous autres Européens du « Continent », avons été imprégnés. Sur Victoria on a beaucoup écrit (près de 300 ouvrages à la British Library) et au cours des décennies les historiens ont dit tout et son contraire, passant de l’hagiographie teintée de 1 La première lettre d Victoria date du 25 novembre 1828. Elle est adressée à son oncle Léopold qui n’est pas encore Roi des Belges ; il s’agit de lui souhaiter son anniversaire. La dernière lettre, plutôt un extrait des on journal date du 14 décembre 1878 et concerne la mort de sa fille Alice, Grande Duchesse de Hesse Darmstadt, le jour anniversaire de son père le Prince Albert. 1

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RF nov. 2012

Victoria et les VictoriensD’après Roland Marx, Le journal et la correspondance de Victoria1, le site Victoria Web, le Dictionary

of National Biographies.

Vitality, conscientiousness, pride and simplicity(Lytton Stratchey, 1880-1932)

Pourquoi Victoria ?Pourquoi avoir choisi ce thème ? D’abord parce que ces derniers mois on a beaucoup parlé de la monarchie britannique et de la reine Elisabeth II qui a célébré en 2012 son jubile de diamant, c'est-à-dire 60 années de règne. Or la reine Victoria avait montré le chemin à son arrière-arrière-petite-fille en célébrant en 1898 le soixantième anniversaire de son couronnement, trois ans avant de disparaitre. Dans ce contexte, il ne me semblait pas inintéressant d’évoquer ce personnage qui a donné son nom non pas à un siècle comme Périclès ou Auguste, mais à une mentalité, celle des Victoriens, dont, même nous autres Européens du « Continent », avons été imprégnés.

Sur Victoria on a beaucoup écrit (près de 300 ouvrages à la British Library) et au cours des décennies les historiens ont dit tout et son contraire, passant de l’hagiographie teintée de nostalgie à une critique amère et réaliste. Elle-même a beaucoup écrit. Une édition d’extraits de sa correspondance et de son journal occupe quelque 9 volumes2. Devant l’ampleur du sujet je n’ai pu me résoudre à adopter une présentation académique chronologique. Je vous propose une approche kaléidoscopique où se mêlent la vie de famille et celles des familles régnantes, l’histoire politique et diplomatique, les anecdotes, quelques personnages familiers de la reine ou qui ont marqué son règne. Ces perspectives sont regroupées autour de trois thèmes : La reine Victoria et sa famille, la reine Victoria et les affaires de l’Etat, la reine Victoria et les autres. En guise de préambule, et pour rafraichir des souvenirs peut-être un peu anciens, je présenterai une brève chronologie d’événements qui ont marqué le personnage de la reine

1 La première lettre d Victoria date du 25 novembre 1828. Elle est adressée à son oncle Léopold qui n’est pas encore Roi des Belges ; il s’agit de lui souhaiter son anniversaire. La dernière lettre, plutôt un extrait des on journal date du 14 décembre 1878 et concerne la mort de sa fille Alice, Grande Duchesse de Hesse Darmstadt, le jour anniversaire de son père le Prince Albert.2 Je me suis contenté de parcourir les 5 volumes concernant la période 1837-1878 disponible à la Bibliothèque Nationale. C’est une lecture agréable car la reine avait des idées claires et un style limpide.

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Victoria et qui ont marqué ses contemporains. Pour conclure j’évoquerai ce que la reine Victoria a laissé à son pays et ce que ses contemporains, les Victoriens nous ont laissé.

Commençons par une très brève chronologie pour fixer les idées. Ce sont quelques événements qui ponctuent la vie personnelle ou publique de Victoria et qui méritent d’être rappelés.

Année Victoria Royaume-Uni Monde1819 Naissance1825 1er Chemin de fer

Commercial1832-1835

Réformes électorales,Economiques, sociales

1837 Devient reine1840 Mariage avec Albert

Naissance de Vicky1843 Visite à Eu

1ère entente cordiale1846-48

Famine en Irlande

1848 Echec des manifestations chartistes

Printemps des Peuples

1851 Exposition universelle Coup d’Etat de Napoléon1854-55

Guerre de Crimée

1857 Albert Prince Consort Inde : Grande Mutinerie

1861 Mort d’Albert1864 Affaire des duchés

1861-65

Guerre de Sécession

1867 Réforme électorale1872 Victoria revient sur la scène politique Début d’une crise

économique ; « grande dépression »

1876 Impératrice des Indes1888 Jubilé d’or Mort de Guillaume Ier1894 Début affaire Dreyfus1898 Jubilé de diamant Fachoda 1898-1902

Guerre des Boers

1901 Décès

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1. La reine Victoria et sa famille

1.1. La cadette d’une famille au lustre terniRegardons un arbre généalogique: la couronne aurait dû aller à Charlotte fille de George IV. Mais cette malheureuse Charlotte meurt en couches en 1817, avant même que son père n’accède au trône. Inutile de dire qu’après la mort de cette princesse héritière, les frères du futur roi George IV se sont dépêchés de convoler en juste noces, quitte à mettre fin à une liaison parfois heureuse et ancienne. Frederick déjà marié n’a pas d’enfant3. Guillaume4 épouse une princesse allemande, Adelaïde de Saxe-Meiningen, qui lui donne deux filles, mais elles meurent toutes deux. Edouard, duc de Kent épouse une veuve, Victoria de Saxe-Cobourg et Gotha ; ils seront les parents de la reine Victoria, née le 24 mai 1819. Les autres frères viennent après dans l’ordre de succession (cf. généalogie p. 17).

La famille royale, la dynastie Hanovre d’origine allemande, est nombreuse ; ses mœurs sont à l’image de celles de la haute aristocratie, libertines au mieux,. George III le grand-père monta sur le trône à 22 ans et régna 60 ans (1760-1820). Il eut 15 enfants légitimes et aucune maitresse. Il perdit la raison et en 1810 dut accepter la régence de son fils ainé le duc de Galles, futur George IV. La vie sentimentale du Régent a défrayé la chronique. Marié légitimement avec une veuve5 de six années son ainée, mais sans l’assentiment du roi son père ce qui invalidait le mariage, il se maria une seconde fois avec sa cousine Caroline de Brunswick, sur ordre du roi et afin que ce dernier apure ses dettes. Le couple eut une fille Charlotte puis se sépara après que le prince eût demandé sans succès le divorce pour adultère. Plus tard les maitresses, dont certaines eurent un rôle politique se succédèrent. A la fin de sa vie, il était obèse (111kg) et sans doute atteint de démence. Le second fils de George III, Frederick duc d’York, se distingua par des trafics de promotions dans l’armée. Guillaume, duc de Clarence, eut dix enfants illégitimes avec une actrice, avant de se marier comme indiqué plus haut. Ernest, duc de Cumberland et futur roi de Hanovre était accusé d’avoir assassiné un de ses domestiques et d’avoir eu un enfant avec une de ses sœurs, la princesse Sophie. Jolie parentèle, et l’on comprend que Victoria devenue reine à 18 ans, ait cherché à s’affirmer en s’opposant à cette tradition de mœurs dissolues.

1.2. L’héritièreL’enfance de Victoria est triste : son père est mort ; sa mère est sous l’influence de son intendant Conroy, un intriguant qui, dominant la mère espère dominer son héritière de fille. Guillaume IV n’aime pas sa belle-sœur et se montre pingre. Victoria n’a pas d’amies de son âge, ce qui explique une certaine froideur : elle n’a pas l’habitude de s’épancher. En revanche elle a une gouvernante allemande le baronne Louise Lehsen, une luthérienne austère fille de pasteur, qui lui inculque le goût du travail et de l’effort.

Victoria reçoit une bonne « formation de jeune fille » pour l’époque. Elle a lu les auteurs classiques, parle anglais, allemand, français et un peu l’italien. Ses lettres à son oncle Léopold sont truffées d’expressions imagées françaises et allemandes. Elle apprend le chant et le piano et adore l’opéra, Bellini, Rossini, Donizetti. Victoria a un vrai talent de peintre. Ses dessins et ses aquarelles représentent avec spontanéité des paysages et des scènes de la vie quotidienne.

3 Frederick, duc d’York meurt en 1827, avant George IV.4 Ce prince n’était pas supposé régner. Avec sa première femme une actrice irlandaise (Mrs Jordan) il eut 10 enfants. Sa seconde femme Adélaïde de Saxe-Cobourg Meiningen (1792-1849) prit soin de cette nombreuse progéniture. Guillaume IV ne supportait pas la mère de Victoria, d’où la tristesse de l’enfance de cette dernière5 Maria Anna Fitzherbert (1756-1837), deux fois veuve, catholique, épousa le Prince de Galles en 1785. Elle vécut avec lui jusqu’en 1811.

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La reine est petite : 4 pieds 11 pouces soit 1,60m, mais elle possède un port de reine ; elle n’a pas de menton et des yeux protubérants. Elle est en général mal habillée : vêtements peu gracieux, couleurs criantes, bonnets ridicules. Devenue veuve le noir sera sa seule couleur.

1.3. L’oncle à défaut du père et un Premier Ministre paternel.A défaut de père, elle a un oncle qu’elle vénère : Léopold de Saxe-Cobourg Saalfeld (1790-1865) , le frère de sa mère dénommée Victoria elle aussi. C’est un homme brillant et séduisant. Il avait épousé Charlotte la fille de George IV. C’est donc le cousin germain par alliance de Victoria. Il devint roi des Belges en 1831. Une relation quasi filiale s’établit. C’est à son oncle que Victoria se confie et lui fait part des difficultés qu’elle rencontre. L’oncle est très au fait des affaires britanniques ; c’est un homme subtil et expérimenté. Ses conseils sont généralement suivis.

En arrivant au pouvoir à la mort de son oncle le 20 juin 1837, Victoria a 18 ans. Elle n’a naturellement aucune expérience politique. On s’attend à ce que sa mère et peut-être Conroy se tiennent à ses côtés et la soutiennent de leur présence. Ses premiers pas de reine, elle les fait seule. Seule, elle reçoit les dignitaires venus lui annoncer la mort du roi ; seule, le même jour, elle préside à son premier conseil privé (Privy Council). Notons toutefois que les premières années de son règne se passent alors que Lord Melbourne est Premier Ministre (ministère de 1835 à 1841), et Lord Melbourne a pour la reine une affection quasi paternelle.

1.4. La Reine et le Prince Consort son cousinLéopold avait réussi à marier sa sœur Victoria au duc de Kent. Il réussira ensuite à faire épouser son neveu Albert de Saxe-Cobourg à sa nièce Victoria. La première rencontre a lieu en 1836. Victoria est sensible au charme de son cousin. Albert est à nouveau invité en octobre 1839. Tout va alors très vite. Victoria demande à son cousin de l’épouser le 15 du même mois. Le mariage a lieu le 10 février de l’année suivante. En décembre nait Vicky leur premier enfant.

Albert a le même âge que Victoria. C’est un joli garçon. Il est intelligent, sportif (escrime et équitation) et a reçu une bonne formation (université de Bonn). Il est sérieux – pas volage – travailleur et s’intéresse à tout, aussi bien la musique – c’est un bon organiste – qu’à l’économie et aux techniques. Il sera un mari aimant (9 enfants en 17 ans) et un père attentionné. Ce serait en raison du soin qu’il portait à la nursery qu’aucun de ses enfants ne serait mort en bas âge.

Mais la situation du prince est délicate. A son arrivée, l’opinion ne lui est pas favorable : encore un Allemand et un prince pauvre. La reine nomme les membres de son entourage ; la Chambre des Communes réduit sa liste civile (30.000 £ au lieu des 50.000 demandées), on lui refuse d’être élevé à la pairie. « I am the husband, not the master in the house ». Cette situation est mal vécue par la reine: elle tient à ses prérogatives ; c’est elle la souveraine à qui appartiennent les décisions et la préséance dans la vie publique. En revanche, comme beaucoup de femmes de son époque, elle considère normal que le mari ait le dernier mot. Alors dans la sphère privée, c’est lui le maitre ; il s’occupe de l’éducation des enfants et de l’installation du ménage (achat d’Osborne dans l’Ile de Wight et de Balmoral en Ecosse). Dans les lettres qu’il adresse à sa femme, Albert a un ton paternaliste : « My beloved child ; mein Frauschen ». Albert sait bien qu’il domine intellectuellement son épouse et elle en est consciente et l’accepte. Dans la sphère publique c’est elle qui commande, le Prince ne participe en rien aux affaires d’Etat, au début de leur mariage à tout le moins.

Petit à petit, les choses vont changer. La reine est fatiguée par ses grossesses. Le nouveau Premier Ministre Robert Peel qui arrive en 1841 s’est lié d’amitié avec le Prince. La reine consulte le prince, lui donne accès aux documents d’Etat, l’associe aux entretiens avec les ministres. Il devient le

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secrétaire particulier de la reine, ce qu’on appellerait maintenant un directeur de cabinet. En 1851, il préside à l’organisation de l’Exposition Universelle ; c’est un grand succès. En tant que chancelier de l’Université de Cambridge, il fait introduire de nouvelles disciplines dans les programmes (histoire naturelle, histoire moderne) il est sensible à la situation des masses laborieuses (philanthropie) il s’intéresse au progrès scientifique. Pour le remercier de son dévouement à la cause britannique, la reine le nomme Prince Consort en 1857. Protocolairement, il est le premier après la souveraine.

Albert, bourreau de travail, musicien sensible mais étroitement rigoureux a toujours été considéré comme un étranger par l’aristocratie anglaise. Albert aime la vie simple de famille ; Victoria qui aimait le théâtre et l’opéra accepte cette vie bourgeoise qui sert de modèle à la middle-class britannique durant des décennies. Cette adéquation entre les goûts du couple royal et ceux de la classe montante qui accède au pouvoir politique et économique sera pour beaucoup dans glorification de la souveraine.

Il meurt le 14 décembre 1861, de diphtérie selon les médecins de l’époque, peut-être d’un cancer. La reine est brisée. Pendant plus de 10 ans, elle n’apparaitra pratiquement plus en public, comportement qui ne manquera pas d’être critiqué par les tenants d’un régime républicain, et à cette époque il y en avait.

1.5. La « grand-mère de l’Europe »Sur ses neuf enfants deux devinrent roi : Edouard et Vicky, impératrice d’Allemagne, pour quelques mois seulement. Parmi ses petits-enfants, on compte George V, l’Empereur d’Allemagne Guillaume II, la reine de Grèce épouse de Constantin Ier, la tsarine épouse de Nicolas II, la reine de Suède épouse de Gustave VI, la reine d’Espagne épouse d’Alphonse XIII, la reine de Roumanie, épouse de Ferdinand. Les ressemblances entre rois de grands Etats sont troublantes; elles n’ont pas empêché les guerres et d’abord la première guerre mondiale.

2. Victoria et les affaires de l’Etat : politiques, sociétales, diplomatiques.

Observons tout d’abord que la reine Victoria est travailleuse et consciencieuse. Elle s’astreint à lire et à annoter toutes les dépêches que lui adressent les Ministres et d’abord le Premier Ministre. A titre d’exemple, elle lit chaque année quelque 28.000 dépêches diplomatiques. De plus, comme nous le verrons au chapitre suivant elle tient à faire respecter ses prérogatives royales. La reine Victoria travaille et suit de près les affaires de l’Etat.

Au temps de Victoria les domaines d’intervention de l’Etat central sont bien plus limités que maintenant. De plus une idéologie libérale hostile aux interventions de l’Etat dans le domaine économique et une confiance dans « la main invisible du marché » cantonnent la législation économique aux questions fiscales, douanières et monétaires. A l’inverse de son mari, elle n’a pas reçu une formation qui la prédispose à s’intéresser aux questions scientifiques, industrielles ou économiques. Les questions qui la préoccupent et sur lesquelles elle peut exprimer un avis concernent le fonctionnement des institutions, l’évolution de la société, la politique extérieure.

2.1. Une monarchie parlementaire et constitutionnelleLe Royaume-Uni est composé de quatre nations : l’Angleterre, le Pays de Galles (rattaché à l’Angleterre en 1536), l’Ecosse (1707) et l’Irlande (1801). Tout au long de sa vie, Victoria s’attache à connaitre et à être connue de « ses quatre nations ». Chaque année elle fait un long séjour en été à

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Balmoral en Ecosse ; elle se rend plusieurs fois en Irlande, dont la dernière fois en 1900 durant plusieurs semaines, en dépit du climat d’insécurité. En cela la reine Victoria a contribué à la cohésion du Royaume-Uni.

Le pouvoir est assuré conjointement par la reine, la Chambre des Communes dont les membres sont élus6 et par la Chambre des Lords dont les membres sont nommés par le souverain, la fonction étant en général héréditaire. Le gouvernement qui propose les lois et qui est responsable de leur application est issu du Parlement. Depuis le milieu du XVIIIème siècle, le gouvernement démissionne s’il est désavoué par le Parlement (motion de défiance, projet de loi non voté).

Les pouvoirs du souverain sont loin d’être nuls ; mais ils sont limités par des contre-pouvoirs. Il n’y a pas à proprement parler de séparation de pouvoirs – à titre d’exemple, les lois votées doivent recevoir l’approbation du roi (royal assent) pour être exécutoires ; les ambassadeurs et les évêques anglicans sont nommés par le roi, sur proposition du Premier Ministre – mais équilibre des pouvoirs.

C’est une monarchie constitutionnelle dans la mesure où le gouvernement fonctionne en application de règles, mais ces règles ne sont pas écrites. Elles relèvent de la coutume et sont le résultat de l’histoire.

Quand Victoria monte sur le trône, seuls les Etats-Unis et la Belgique disposent d’une constitution écrite émanant de la volonté populaire. En France, le roi Louis-Philippe se dit roi constitutionnel ; mais il applique une charte « octroyée » par ses prédécesseurs et non négociée. Dans d’autres pays européens disposant d’une constitution les souverains font tout pour se dispenser de l’appliquer (Sardaigne, Prusse, Espagne, Portugal, …), … d’où 1848.

La Couronne n’apparait pas en première ligne, la politique étant décidée par le gouvernement qui représente les intérêts de la majorité de la nation politique, c'est-à-dire de la classe possédante et petit à petit de l’ensemble de la population « mâle ». La Couronne et la Chambre des Lords incarnent la continuité ; selon Bagehot, ce sont « the dignified parts of the Constitution » à l’égard desquelles tout un chacun conçoit de la « reverence ». La Chambre des Communes et le gouvernement incarnent le changement (les réformes) ; ce sont « the efficient parts of the Constitution ». Cette organisation, fille de l’histoire et non pas expression d’une vision théorique du monde ainsi que l’entend Edmund Burke, explique en partie pourquoi la Couronne britannique a réussi à traverser les crises révolutionnaires du XIXème siècle.

La jeune reine Victoria, sur les conseils avisés de Melbourne puis de son mari, a compris le fonctionnement du système et s’applique à en respecter les règles, parfois à son corps défendant. Elle a le droit d’être informée, le droit de mettre en garde, le droit d’encourager. La reine règne mais ne gouverne pas. Ce qui était vrai pour Victoria est encore vrai pour la reine Elisabeth.

2.2. Deux partis qui évoluentLa politique britannique est théoriquement dominée par deux partis : les Tories et les Whigs7. Les deux partis se font face dans la salle du parlement. Les Tories représentent les intérêts de l’aristocratie foncière proche de la Cour, de l’Eglise établie, et de l’armée. Les Whigs sont plus proches de la gentry de province, des milieux d’affaires (commerce, transports, banque, industrie) et des églises non conformistes ou dissidentes (dissenters). Le XIXème siècle est caractérisé par une alternance des 6 Ils représentent la petite propriété foncière et la classe bourgeoise des villes. Seuls les possédants participent à la vie politique.7 Les termes tory et whig ont commencé à être utilisés au cours de la Crise de l’Exclusion (1778-1781). Les partisans de l’accession au trône du duc d’York, le futur Jacques II, bien que catholique, étaient les tories (en Irlande des espèces de bandits), les opposants étaient les whigs (en Ecosse des presbytériens qui s’opposèrent à Charles Ier).

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deux partis au pouvoir, avec parfois des gouvernements de coalition. Durant le règne de Victoria, les partis ont pratiquement exercé le pouvoir durant le même nombre d’années, avec un petit avantage pour les whigs (34 ans, contre 28 ans).

A partir de 1874, cette organisation bipartite est troublée par l’arrivée à Westminster de 59 Irlandais formant le parti nationaliste irlandais qui sera jusqu’à la première guerre mondiale l‘arbitre entre les deux formations traditionnelles. De plus les deux partis traditionnels connaissent des crises dues à une appréciation différente de situations nouvelles. En voici deux exemples.

En 1846, Robert Peel, chef des Tories fait passer une législation abolissant les taxes sur les blés importés. Par l’abrogation des Corn Laws, c’est la fin d’un protectionnisme favorable à l’aristocratie foncière. Les partisans de Peel font alors cause commune avec les Whigs dont les intérêts commerciaux vont dans le sens d’une ouverture des marchés. Les Tories reviendront au pouvoir en force en 1866, Disraeli entrant au gouvernement.

En 1886, William Gladstone propose une loi donnant une autonomie à l’Irlande (Home Rule). Le parti whig se divise. Les Unionistes, favorables au maintien de l’Irlande au sein du Royaume-Uni voteront avec les Tories.

A la fin du siècle, les Tories, appelés désormais Conservateurs, renforcés par les Unionistes, sont les défenseurs du colonialisme qui prend la forme de l’Empire britannique, ce qui implique une politique étrangère marquée par un discours belliciste8, une marine prête à intervenir partout (politique de la canonnière) et des troupes nombreuses et entrainées. Naturellement les Tories sont opposés à l’autonomie de l’Irlande.

Les Whigs, désormais appelés Libéraux sont moins sensibles aux sirènes de l’impérialisme dont ils comprennent l’incompatibilité avec les valeurs anglaises traditionnelles, et sont sensibles au coût de la gestion d’un si vaste empire. Ils sont partisans de l’autonomie irlandaise ainsi que de réformes sociales touchant les ouvriers agricoles et le prolétariat industriel Mais les Unionistes avec Joseph Chamberlain estiment que le « commerce suit le drapeau » et justifient ainsi l’extension de l’Empire source de nouveaux marchés.

Selon la constitution, la reine ne doit pas avoir une attitude partisane. Mises à part ses inclinations plus ou moins marquées pour tel ou tel ministre, Victoria, qui s’intéresse peu aux questions économiques, n’est pas a priori favorable aux réformes de Peel. Elle est fondamentalement hostile aux idées de Gladstone concernant l’Irlande. Elles lui semblent contraires au patriotisme. En revanche apporter la civilisation à des populations sous-développées lui paraît une noble tâche dont le Royaume-Uni, et elle-même, peuvent s’enorgueillir.

2.3. Tradition et réformes vers le suffrage universel.La réforme de 1832 a étendu le suffrage censitaire à des petits propriétaires, voire des locataires (tenants) moyens dans les campagnes et à une bourgeoisie commerciale ou industrielle dans les villes (payer un loyer de 10£). Les réformes de 1867 puis de 1884 et 1885 ont transformé radicalement le système : il ne faut plus être propriétaire pour participer à la vie politique. Il suffit de mener une vie « respectable », c’est-à-dire disposer d’un domicile fixe et payer des impôts locaux. C’est un pas décisif vers la démocratie. La reine n’a pas été hostile à ce mouvement et a même incité personnellement les Lords à ne pas s’opposer à certaines des réformes. Le tableau suivant résume grossièrement l’évolution du collège électoral.

8 Cf. discours de Joseph Chamberlain au moment de Fachoda cité par R. Marx, Victoria, p. 428.

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Evolution du droit de vote9

Date Avant 1832 Après 1832 Avant 1867 Après 1867 1884-1885Electeurs (M) 0,4 0,65 1 2 5,5% population adulte mâle

9 15 20 40 60

A partir de 1875, le mouvement féministe prend forme et revendique les droits politiques avec Millicent Garret Fawcett et Emmeline Pankhurst. Ce mouvement « rend la reine si furieuse qu’elle en est à ne plus savoir se tenir10 ».

2.4. Le système social.Au cours des 64 ans de son règne, la reine a vu le nombre de ses sujets augmenter de 50% passant de 27M à 42M. Cette évolution est due à une baisse de la mortalité (meilleure alimentation, meilleure hygiène) et au maintien d’une fertilité élevée, environ 6 enfants par couple11. Remarquons que Victoria avec ses 9 enfants ne fait pas exception. La famille anglaise moyenne, à la nombreuse descendance, se reconnait dans la famille royale. Pendant ce temps la France passait de 34,5M à 39M.

C’est une population urbaine ; dès 1851 la population du Royaume-Uni se répartit à parts égales entre les villes et les campagnes. En France cela n’arrivera qu’en 1920.

L’atelier du mondeL’expression était d’abord utilisée pour qualifier les Midlands, puis étendue dans les années 1860 à toute la Grande-Bretagne Quelques chiffres pour 1870

Fonte et cotonnades la Grande-Bretagne produit la moitié de la production mondiale. Production de houille : 112 M. tonnes ; Allemagne : 26 ; France 13 ; USA 10. Production globale : 1/5 production globale mondiale.

Mais il y a des crises : celle de la pomme de terre en 1846-48, avec ses conséquences dramatiques pour l’Irlande ; celle de la famine du coton en 1864 liée à la fin de la Guerre de Sécession. Les années 1850-70 sont des années d’or pour l’agriculture. A partir de 1873, on parle d’une «  grande dépression ». Les marchés européens sont plus concurrentiels et les marchés des colonies prennent le relais, d’où une politique plus protectionniste.

Remarquons que dès 1820 la balance commerciale est déficitaire : le Royaume-Uni achète plus de produits provenant de l’étranger qu’il n’y en vend. Le solde des échanges extérieurs est néanmoins positif grâce aux services (transports, assurances, services financiers). C’est la naissance de la City.

Un système social fondamentalement inégalitaire.Au sommet de l’édifice social, les Pairs du royaume qui constituent la Chambre des Lords : 163 en 1700 ; 257 en 1800. Ils représentent la fortune foncière qui n’est pas divisée à chaque génération comme en France12. ¼ des terres appartiennent à 1200 familles, la moitié à 7400. Les grands domaines comprennent entre 4.000 et 8.000 hectares. Les nouveaux pairs sont issus des branches cadettes des grandes familles de l’aristocratie terrienne. Donc origine sociale inchangée. Il faut attendre 1835 pour qu’un banquier soit nommé lord (Alexander Baring) et 1856 pour qu’un industriel

9 En 1846, on compte en France 1 électeur pour 150 habitants et en Angleterre 1 électeur pour 26 habitants.10 Théodore Martin, dans ses souvenirs, cité par R. Marx, Victoria, p. 462.11 Andrew Hinde, England’s Population, Oxford University Press, 2003.12 En France, le majorat a été supprimé en 1835 et définitivement aboli en 1848.

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le soit (Edward Strutt)13. Jusqu’en 1837, et en dépit de la réforme de 1832, la Chambre des Communes est également formée de gentlemen, c'est-à-dire de personnes possédant des terres et alliées aux grands propriétaires fonciers. Le cabinet Melbourne de 1837 à 1841 compte 9 nobles sur 10 membres. En 1895, dans le gouvernement de Lord Salisbury, il y a encore 10 pairs sur 19 ministres. Il y a des hommes nés pour gouverner et c’est bien ce que pense la classe dominante.

La classe dominante représente quelque 40.000 personnes qui disposent de plus de 1500£ par an. C’est moins de 0,5% de la population active (10M). Les revenus de ses membres sont considérables. 300.000 £ pour le duc de Bedford, l’homme le plus riche du royaume ; sachant qu’un ouvrier agricole gagne 30£ par an en moyenne, le rapport est de 1 à 10.000.

Victoria à la suite d’Albert juge sévèrement les mœurs de la haute aristocratie : les classes les plus élevées sont frivoles, avides de plaisirs, sans cœur, égoïstes, immorales, et s’adonnent au jeu14. » Le rôle prépondérant joué par la classe dominante est assez bien supporté par les classes inférieures. C’est la déférence qui est considérée par Bagehot comme un élément constitutif de la « Constitution »anglaise.

La montée de la classe moyenneL’apparition d’une classe moyenne est caractéristique de l’ère victorienne. Elle est le fruit de la Révolution industrielle et de l’enrichissement général qu’elle entraina. La classe moyenne est variée : Les revenus vont de 100 à 1000 £ par an. Il y a la upper middle class, celle des « professions » (médecine, droit) et la lower middle class, celle du « trade » (commerce, employés). Elle réside principalement en ville. Par le travail, elle a accédé à l’aisance, aux droits politiques et à la respectabilité ; celle-ci se mesure à la qualité de l’habitat (domestiques et piano), le style de vie (sobriété et fidélité), les manières, l’éducation, les loisirs. Les classes moyennes se reconnaissent dans Victoria qui partagent ses valeurs et ses goûts.

Classes moyennes et supérieures représentent 20% à 30% de la population.

Classes laborieuses, classes dangereuses.Elles représentent 70 à 80% de la population. Il y a les indigents recueillis par les workhouses sorte de bagnes où le travail forcé est la règle générale15, les travailleurs et travailleuses de la sous-traitance (sweat shop) affreusement exploités, l’aristocratie ouvrière, décrite par Engels, maitrisant un métier, moins affectée par les crises économiques, enclins à s’organiser dans le cadre de syndicats de métier pour trouver des compromis avec les employeurs en matière de salaires et de conditions de travail.

Les révolutions évitéesCette société est naturellement instable. L’agitation sociale est récurrente. L’armée doit parfois intervenir. Une des plus importantes est la manifestation chartiste du 9 avril 1848 qui effraya la population de Londres en réunissant plusieurs centaines de milliers de manifestants mais qui se termina calmement sous la pluie. Elle n’atteint jamais la forme révolutionnaire et violente que connait la France. Plusieurs raisons s’ajoutent à l’influence apaisante de la « déférence » déjà mentionnée :

13 Les pairs sont en grande majorité anglicans. Le premier pair catholique ayant retrouvé son siège est le duc de Norfolk en 1829. Le premier pair juif est Nathaniel Rothschild en 1885.14 The higher classes are so frivolous, pleasure-seeking, heartless, selfish, immoral, and gambling, that it makes one think of the days before the French Revolution”. Lier l’immoralité de la classe dirigeante aux violences révolutionnaires est une attitude parfaitement victorienne.

15 Les Workhouses sont conçus pour inciter les chômeurs à tout accepter plutôt que l’aide publique

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Les réformes électorales qui, en dépit de leurs conséquences immédiates limitées, ancrent dans l’opinion publique la certitude qu’une évolution favorable est possible par des voies non violentes.

L’enrichissement constant qui irrigue, de manière certes inégale, toutes les classes de la société et qui donne par exemple aux catégories inférieures de la classe moyenne (lower middle class) accès à des produits (confort domestique) ou à des services (tourisme) réservés précédemment aux classes supérieures.

Une propagande très bien acceptée et fondée des success stories bien connues illustrant le thème : «aide- toi le ciel t’aidera », ou encore « en travaillant, en vivant selon la morale protestante et en économisant tu deviendras riche toi aussi ». Le meilleur exemple est le fameux ouvrage de Smile, Self Help, vendu à des centaines de milliers d’exemplaires qui donne des recettes pour grimper dans l’échelle sociale.

Peu informée des problèmes sociaux, la reine ne voit pas là un domaine nouveau d’intervention de l’Etat. L’amélioration du sort des pauvres relève plutôt de la charité individuelle, des églises et d’une discipline personnelle qui peut être encouragée par des prédicateurs. La monarchie peut alors servir d’exemple et d’incitateur. A cet égard, elle a une grande considération pour William Booth, le « général » de l’Armée du Salut ainsi que pour les initiatives publiques ou privées tendant à améliorer les conditions d’hygiène dans les villes (égouts et eau potable). Mais pour la reine, le plus important est le maintien de l’ordre. Les crimes individuels comme ceux de Jacques l’Eventreur la font réagir au point de donner des conseils au chef de la police quant à la façon de débusquer l’assassin.

2.5. La politique extérieure.La politique extérieure est le domaine de prédilection de Victoria. Elle connait les chefs d’Etat, qui souvent sont des parents plus ou moins proches. C’est donc un peu une affaire de famille et des lettres personnelles peuvent désamorcer des affaires mal engagées par les chancelleries. De plus, on n’humilie pas un parent ou un ami. Avec les années, elle acquiert dans ce domaine une expérience certaine. Quelques principes simples guident son action :

En Europe, l’équilibre des nations. Les ambitions de la France en direction de la rive gauche du Rhin et de l’Espagne sont à craindre. Celles de la Prusse sur le reste de l’Allemagne également. Les méthodes de Bismarck ne lui plaisent pas. La Russie ne doit pas menacer l’Empire Ottoman ni s’approcher de l’Inde.

Le maintien des familles régnantes, sous réserve qu’elles acceptent une libéralisation de leurs institutions. Elle redoute les mouvements populaires, ceux d’Italie par exemple. 1848 ne lui laisse pas de bons souvenirs et elle se réjouit que l’ordre règne à Paris avec Napoléon.

La création de l’Empire britannique et les relations avec la France sont au cœur de ses préoccupations

L’impératrice des Indes et les déboires d’Afrique du Sud.Depuis le traité de Paris en 1763 qui mit fin à la guerre de Sept Ans, les Britanniques, débarrassés des Français, avaient les mains libres en Inde. La Compagnie des Indes Orientales (East India Company) qui disposait d’une administration (notamment fiscale), d’une école de formation de fonctionnaires et surtout d’une armée, s’employait à accroitre les territoires relevant de son autorité. Elle profitait des différends entre les princes pour exercer un arbitrage qui se terminait par un protectorat ou par une pure et simple annexion. En 1849, la quasi-totalité de l’Inde est sous la domination de la Compagnie, soit par administration directe, soit plus souvent par administration indirecte (indirect rule). Cette

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dernière solution, bien moins onéreuse que l’administration directe et plus présentable aux contempteurs de la colonisation, laisse aux autorités locales la gestion des affaires, sous réserve qu’elle soit conforme aux intérêts britanniques et que les recettes locales (taxes) financent le coût de l’administration coloniale, services londoniens compris.

En 1857 la Grande Mutinerie met en évidence les insuffisances de la gestion de la Compagnie des Indes: mépris manifeste pour les traditions indiennes, officiers médiocres, administrateurs civils choisis par faveur plutôt qu’en fonction des compétences, politique trop favorable aux notables locaux plutôt qu’aux intérêts de la population. Après de sanglants massacres qui ont marqué les esprits, le gouvernement reprend la situation en main et assure directement les fonctions déléguées précédemment à la Compagnie des Indes. Le calme est rétabli, souvent d’une main de fer. L’Inde, surtout à partir de la « Grande Dépression » de 1873, joue un rôle important dans le commerce extérieur du Royaume-Uni, et apparait comme le « Joyau de la Couronne ». En 1876, le Parlement à l’instigation de Disraeli, accorde le titre d’« Impératrice des Indes » à la reine Victoria. Désormais, elle signe Victoria R & I. Cette distinction satisfait sa vanité. La reine doyenne des monarchies européennes, se trouvait en effet mal à l’aise face à un Empereur d’Allemagne ou un Tsar de Russie. Mais cette titulature nouvelle soulève des critiques dans l’opinion, notamment chez les Libéraux par la voix de Gladstone puis de Granville. Pour la nouvelle impératrice, ces critiques semblent incompréhensibles et relever de parti pris partisan. En 1901, les sujets indiens de la nouvelle Impératrice s’élèvent à 294 millions.

Le règne de Victoria fut marqué par l’autonomie des colonies de population blanche – Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud– au sein du Commonwealth. Le jubile de 1887 célébra l’existence de cette fédération originale d’anciennes colonies qui conservaient un lien puissant avec le Royaume Uni en la personne du souverain.

Période moins glorieuse : la Guerre des Boers (1899-1902). La reine prend fait et cause pour la conquête par les armes du Transvaal qui lui apparait comme une légitime manifestation de patriotisme.

Victoria et la France.On peut examiner la question sous trois aspects : le pays, la politique et les dirigeants.

Le comportement de Victoria vis-à-vis de la France et des Français est d’abord tributaire de l’opinion, elle-même souvent faite de simplifications hâtives et de stéréotypes. Pour John Bull, les Français sont légers, versatiles et violents. Légers en prenant des décisions mal préparées, celle de déclarer la guerre à la Prusse pour satisfaire une opinion égarée par la presse et sans avoir pris conscience de la supériorité de l’armée allemande ; versatiles en changeant de régime à chaque génération ; violents en réglant dans la rue et sur des barricades des problèmes qui auraient pu trouver une solution par des réformes consenties. De plus les Français sont depuis 1792 les vecteurs d’une idéologie égalitariste qui est fondamentalement en opposition aux principes conservateurs sur lesquels repose la monarchie britannique. Albert ne mâche pas ses mots: « Quand ils sont en nombre je les déteste ; individuellement ils m’amusent. »

Avec la France, ce que Victoria craint le plus, c’est le désordre. L’arrivée d’un régime fort avec Napoléon III n’a rien pour lui déplaire. Le 4 décembre 1851, elle a connaissance du coup d’Etat en France. Elle parle de « wonderful proceedings at Paris », donc de merveilleux événements. Ensuite elle demande à ce que l’ambassadeur Normanby reste totalement neutre. Entre temps, Palmerston avait reçu Walewski16 et lui avait exprimé «  his entire approbation of the act of the President » … and

16 Walewski, fils naturel de Napoléon Ier, était alors ambassadeur de France à Londres.

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« his conviction that he could not have acted otherwise ». Palmerston aurait eu vent d’une descente à Paris de la duchesse d’Orléans avec son fils cadet pour faire valoir ses droits.

Victoria conserve de très bons souvenirs des séjours officiels qu’elle y a faits. Son premier voyage en France date de 1843. C’est une visite à Louis Philippe au château d’Eu qui ne dure que 5 jours. Pour la première fois depuis le Camp du Drap d’or (1520) un souverain anglais se rend en France. Elle a aimé Paris qu’elle a visité en 1844 à l’invitation de Louis-Philippe, puis en 1855 à l’invitation de Napoléon III lors de l’Exposition universelle. Elle a adoré son séjour, marqué par une visite au tombeau de Napoléon aux Invalides au bras du Neveu et une splendide réception à Versailles. « I never saw anything more beautiful and gay than Paris. I am delighted, enchanted, amused and interested », écrit-elle à son oncle. De plus à Paris l’air lui parait plus léger qu’à Londres et elle n’y a pas mal à la tête. A partir de 1882, elle vient régulièrement à Nice ou dans d’autres villes de la Côte d’Azur durant l’hiver ; en tout une année. La r eine séjourna également à Aix les Bains en 1885, 87 et 90. Il s’agissait de visites incognito sous le nom de comtesse de Balmoral. Au cours de ces séjours Victoria a visité Chambéry et Annecy et s’est même rendu à la Grande Chartreuse où elle a pu pénétrer avec la permission du pape. Elle était alors très populaire.

Les relations entre le Royaume Uni et la France durant le règne de Victoria ont connu des crises et entre ces crises des périodes de relations cordiales qui ont conduit à l’Entente cordiale. Les crises trouvent leur origine dans la rivalité des deux pays qui veulent s’implanter ou développer leur influence au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie. Louis Philippe souhaite se rapprocher des Bourbons d’Espagne, ce qui ne plait pas à Londres. Les interventions de Napoléon III en Italie puis au Mexique ne plaisent pas non plus. Dans ces périodes de crise, le rôle de Victoria est important : elle calme le jeu. Elle a compris que rien ne sert d’humilier la partie adverse ; ce sera par exemple le cas après Fachoda en 1898. En revanche, elle n’oublie pas les mauvais coups. Par exemple la soi-disant trahison de Guizot lors de l’affaire des mariages espagnols en 1846. Elle a été de bonne foi en renonçant à soutenir une candidature allemande ; le maintien de la candidature française (duc de Montpensier, fils de Louis Philippe) pour la main de la future reine Isabelle l’a outragée. En fait, on peut se demander si Victoria n’a pas été déçue par les tentatives de rapprochement cordial avec la France. Avec Louis Philippe, l’écueil a été les mariages espagnols ; avec Napoléon la malheureuse politique des pourboires puis la désastreuse déclaration de guerre à l’Allemagne. Quand arrive la IIIème République, la reine échaudée est sur ses gardes. Son fils Edouard VII ira plus loin, avec une république qu’il connait bien.

Les relations avec les chefs d’Etat sont très bonnes. Elle a de l’amitié, presque de l’affection pour Louis Philippe. Quand il vient en Angleterre, elle le protège contre sa tendance naturelle à jouer au jeune homme en dépit de son âge avancé. Quant à Napoléon III, elle subit son charme ainsi que celui d’Eugénie. Naturellement l’Empereur a su la flatter en vantant les mérites … du prince Albert. Notons que Louis Philippe, lui aussi, avait eu la bonne idée d’appeler Albert « mon frère », ce qui le faisait entrer dans la grande famille des rois, à un moment où son statut était encore indécis.

Les deux princes ont connu l’exil. Victoria les a chaleureusement accueillis avec des mots d’une extrême délicatesse. Les deux sont morts en Angleterre. Dans son journal, elle en a fait des portraits saisissants. Elle s’intéresse à leur honnêteté : Louis Philippe veut toujours avoir le dernier mot et manipule ses interlocuteurs ; pour Napoléon III, la fin justifie les moyens. Les deux sont séduisants, mais sont-ils vraiment fiables ?

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Victoria germanophile ?Cette germanophilie est le fruit de son origine, de son mariage et de la proximité religieuse17. Cette germanophilie se manifeste au moment de la guerre des duchés en 186418. Le cabinet l’incite à une plus grande réserve. Palmerston lui demande de ne pas manifester des positions que l’opinion publique ne partage pas. En 1866 au moment de la guerre austro-prussienne, la reine suggère au roi de Prusse Guillaume de se séparer de Bismarck, suggestion qui entraine une réaction vigoureuse du souverain. Le cabinet se cantonne dans une neutralité attentiste de splendide isolement.

3. Victoria et les autres.

3.1. Les chefs d’Etat, ses « frères » s’agissant de souverains.Victoria se fait un devoir d’entretenir de bonnes de bonnes relations personnelles avec les chefs d’Etat, rois, princes, quitte à ce que son gouvernement s’occupe de manière moins aimable des intérêts du pays. Beaucoup sont ses cousins et, plus tard ses descendants. Elle a entretenu des relations cordiales avec Victor-Emmanuel, roi d’Italie, qui pourtant se trouvait plus à l’aise dans un corps de garde que dans un salon. Elle a de la mansuétude pour les princes indiens dépossédés. Elle recommande qu’ils reçoivent une indemnité leur permettant de vivre décemment. Le pape Pie IX reçoit un message de sympathie quand il lui fait part des outrages que les républicains lui ont fait subir lors de l’éphémère république romaine de 1849. Quant aux présidents de républiques, je ne pense pas qu’elle en ait rencontré beaucoup. Parfois elle utilise sa position d’aïeule pour faire la leçon, ce qui est plus ou moins bien perçu. En 1896, le raid de Jameson, commandité par Londres, destiné à intimider le gouvernement du Transvaal a échoué. Le jeune empereur Guillaume II félicite Kruger le président de l’Etat du Transvaal. Victoria est furieuse et manifeste le déplaisir que son petit-fils lui a causé. Guillaume se cache derrière une initiative de son gouvernement qu’il ne pouvait empêcher. Salisbury le premier ministre du moment, pour éviter un incident susceptible d dégénérer, incite la reine à accepter les excuses de façade de son petit- fils.

3 2. Ministres et Premiers Ministres.Les relations officielles entre la souveraine et le monde politique transitent par le Premier Ministre. Le ministre des Affaires étrangères entretient également des relations régulières avec la reine. Elle a eu 10 Premiers Ministres à son service qui ont dirigé 20 gouvernements. Elle éprouvait de l’estime pour ses Premiers Ministres, même quand elle ne partageait pas du tout leurs opinions. Les divergences provenaient d’une vision différente de l’intérêt du pays, mais le point de vue du Premier Ministre prévalait toujours. Les relations sont parfaitement courtoises, toujours loyales, mais marquées au sceau d’un protocole exigeant. Quand une personnalité accepte de devenir Premier Ministre, elle baise la main de la reine. Quand la Premier rencontre la reine, il reste debout. Les correspondances sont rédigées à la troisième personne.

17 Cette proximité se manifeste en 1874, au moment de la querelle du « ritualisme » (conséquence du mouvement « tractarien » qui prône un retour à des rites qui ressemblent à ceux du culte catholique). Victoria, dans sa correspondance avec le Kaiser, fait état d’une alliance naturelle entre les Britanniques et le peuple allemand, en majorité protestant.18 Sur l’origine de cette guerre citons Palmerston « Only three persons have ever understood the Sleswich-Holstein business: the Prince Consort who is dead, a German professor who has got mad and I who had forgotten all about it0.” En fait les deux duchés relèvent de la couronne danoise, mais la loi salique s’y applique. Du vivant du roi Frederick VII une convention avait été signée pour éviter cette situation. A sa mort, l’héritier « salique » Frederick Augustenbourg ne respecte pas la convention. Il est soutenu par un parti allemand. Les duchés sont envahis par des troupes de la Confédération germanique puis par celles de la Prusse et de l’Autriche. Dans cette affaire la belle famille du fils de Victoria est en guerre avec celle de sa fille.

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Victoria affectionnait Melbourne, son mentor19. Albert n’aimait pas Melbourne jugé trop épicurien et représentant une figure paternelle qu’il jalousait. En revanche, il lui a fait reconnaitre les grandes qualités de Peel. Elle avait une franche aversion pour Palmerston : elle n’appréciait pas sa diplomatie rugueuse et sa politique antifrançaise et antiaméricaine, son inclination vers les mouvements libéraux d’Europe continentale, mouvement qui mettaient en péril les dynasties au pouvoir. De plus Palmerston la mettait devant le fait accompli au motif qu’il n’avait pas le loisir de l’informer au préalable de ses décisions. Elle lui fait alors des représentations, sur le ton du chef de service rappelant à l’ordre un collaborateur peu respectueux des procédures ; mais il n’en a cure. Elle n’aimait pas Gladstone qui l’intimidait et la glaçait. C’était un intellectuel high church, favorable au home rule en Irlande et peu sensible aux sirènes de l’impérialisme. En revanche, elle adorait Disraeli, un personnage « romantique et subtil », comme le disait Napoléon III, qui flattait son ego féminin. Elle était « sa reine des fées », il la fit impératrice des Indes ; il était son Dizzy, elle en fit le Lord Beaconsfield.

3.2. Les serviteursSa gouvernante, la baronne de Lehsen fut très proche de la jeune reine et lui servait de confidente jusqu’à son mariage. Les choses changèrent alors car le Prince Albert ne souhaitait aucune influence étrangère à la sienne. D’où le départ de la baronne dans des conditions un peu précipitées dès 1842. Orpheline dès son jeune âge, Victoria avait sans doute besoin d’une présence masculine incarnant l’image paternelle qui lui avait manqué. Albert a parfaitement joué ce rôle. Il fallut ensuite le remplacer. A partir de 1865, Mr John Brown (1826-1883) joue un rôle important auprès de la reine. C’est un bel Ecossais qui a été au service de son mari. Il devient une espèce d’officier d’ordonnance ou de chef de cabinet qui gère sa vie matérielle quotidienne. La famille de Victoria ne le supporte pas, d’autant que la reine l’impose à sa table. Il ose lui parler vertement. Des plaques rappelleront son souvenir à Balmoral et à Windsor. Parfaitement désintéressé, John Brown n’a pas abusé de sa position, mais le culte mortuaire que la reine lui portrait semblait bien exagéré. Il n’en va pas de même pour les deux serviteurs indiens qui ont joué un rôle de même nature à la fin de sa vie. Mohammed Buxh et Abdul Karim ont joué de leur charme afin d’obtenir avantages et présents, pour eux et leurs familles. Abdul Karim était alors considéré comme un espion au service de la communauté musulmane.

Le commun des mortelsUn cliché (catchphrase) « we are not amused” traduisant un tempérament distant et guindé cache plus de simplicité et de spontanéité. L’anecdote du chef de gare d’Aix les Bains dont elle va serrer la main est un exemple20. Par ailleurs, elle prend part aux ennuis ou les malheurs arrivant à ceux qui la servent.

En revanche : durant 50 ans, aucune femme divorcée n’a été admise à la cour. Elle fronçait les sourcils à la vue d’une veuve remariée, bien que sa propre mère se fût remariée. L’émancipation des femmes est une « wicked folly21 ». Les femmes ne doivent surtout pas se rendre « asexed » en

19 Melbourne à Victoria : « Je vous ai vue quotidiennement, et chaque jour cela me plaisait davantage ». Melbourne continue à entretenir une correspondance privée avec la reine après son départ du gouvernement bien que cela soit anticonstitutionnel. De son propre mouvement et incité par le baron Stockmar, l’agent d’Albert, Melbourne met fin à ses conseils. 20 Lord d’un voyage à Aix les Bains elle doit se réfugier dans le petit bureau du chef de gare d’Aix pour éviter d’être mouillée par un orage. L’année suivante, lorsqu’elle descend du train, elle quitte sa suite pour lui serrer la main.21 Strachey, Lytton. Eminent Victorians. 1918. London: Chatto & Windus, 1922. Internet Archive. Web. 2 January 2012._____. Queen Victoria. 1921. London: Chatto & Windus (Phoenix), 1928. Print.

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occupant des fonctions de médecin ou d’avocat. Elles perdraient alors tout droit à la protection des hommes.

Toute sa vie, Victoria a été populaire. L’exposition de 1851 puis les deux jubilés de 1888 et 1898 ont été des occasions de liesse populaire. Cela ne l'a pas empêché d’être l’objet d’un attentat à sept reprises. Il s’agissait souvent de déséquilibrés qui n’ont pas été condamnés ; également d’hommes sains mais peu adroits dont les peines ont été commuées.

3.3. Les animauxVictoria comme tous les aristocrates de l’époque aime la vie d’extérieur, donc les chevaux et les chiens. Dans ses portraits ou ses photographies, il est rare de ne pas voir un chien à ses côtés. Elle est sensible aux sévices souvent infligés aux animaux et souhaite que les meilleurs vétérinaires prennent position pour déterminer comment tuer le moins cruellement les animaux de boucherie. La Société pour la Prévention de la Cruauté envers les Animaux date de 1824, donc antérieure à Victoria.

Conclusion : l’héritage de Victoria.Le long règne de Victoria a permis au Royaume-Uni de passer sans violences prolongées d’un régime parlementaire ploutocratique (seule les possédants participent à la vie politique) à une démocratie caractérisée par un suffrage masculin presque universel. Il a permis également de mettre au point, dans cette démocratie nouvelle, un équilibre des pouvoirs entre le souverain, le gouvernement et le Parlement. Mise à part une réforme de la Chambre des Lords intervenue en 1911, la Constitution Britannique telle qu’appliquée par Victoria n’a pas évolué jusqu’à la fin du XXème siècle. De plus en créant le Commonwealth, le règne de Victoria a ouvert la voie à des relations apaisées avec d’anciennes colonies. C’est un superbe exemple d’évolution continue sans ruptures. Naturellement l’expansion économique facilitait bien des choses.

Certaines évolutions de la société restent associées au temps de Victoria. Ce sont des mots ou des expressions qui nous sont familiers mais qui caractérisent le mode de vie et la mentalité de la société victorienne. En voici quelques-uns tirés de notre parler de tous les jours, ou presque :

Nursery et nurse : les enfants sont au centre des préoccupations ; ils sont placés entre des mains compétentes

Sport et les sports : des loisirs sains qui forment le caractère et entrainent le corps ; mais aussi une nouvelle sorte de distractions adaptées à la société urbaine et facilitées par les nouveaux moyens de communication (trains, trams) et d’information (presses à vapeur pour les journaux)

Scoutisme : préparation à une guerre de guérilla comme pendant la Guerre des Boers

Gentleman : un idéal masculin

Sphère domestique, sphère publique : distinction du rôle des hommes et des femmes dans la société. Célébration du rôle des femmes, l’ange du foyer

Double standard : en matière de mœurs et de comportement sexuel, ce qui est toléré chez un homme ne l’est pas chez une femme

Suffragettes : égalité des sexes

Club : lieu de rencontre et d’activités partagés (société urbaine). Nos associations en sont issues.

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Boycott : méthode non violente destinée à isoler économiquement un propriétaire n’appliquant pas une législation sociale qu’il n’appréciait pas22.

Je termine sur ce mot boycott en vous invitant à ne pas boycotter les prochaines conférences.

22 Charles Boycott (1832-1897) d’origine huguenote commence sa carrière dans l’armée. Il achète un domaine en Irlande et sert également de régisseur à Lord Erne, un grand propriétaire anglais (il possède 16.000ha et Boycott en administre 600). Un différend oppose Boycott à ses locataires au sujet du montant des loyers. Ces derniers se mettent en grève (sept 1880). A ce moment, Parnell, dont la Land League demande les 3 F (Fair rents, Fixity of tenure, Freedom of sale) suggère aux paysans mécontents de leur propriétaire une tactique non violente qui consiste à éviter tout contact avec ce dernier. C’est ce qui sera mis en œuvre à l’égard de Boycott, et Boycott devra se réfugier en Angleterre.

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