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Conte-moi au coin du jour
Assis-toé mon homme. Assis-toé pis ouvre tes oreilles ben grandes, pis ton cœur ben large
parce que c’que j’vais t’raconter aujourd’hui, c’est pas facile à croire. Ça prend ben
d’limaginaire pis ben du tit-bois à étincelles dans les yeux pour arriver à admettre que c’que
j’vais t’dire est vrai. Écoute-moé, pis laisse toé aller au rêce. Laisse-toé flotter sur la magie que
j’avais t’conter…
Y’a une fois… y’a des fois… En fait, y’a une éternité où est-ce que partout où tu marches y’a d’la
poussière d’étoiles. Y’a du beau, y’a du vrai, y’a du bien partout où est-ce que le bout de ton
esprit peut ben te mener. Y’a des arbres d’aurores boréales, y’a des chemins de feux d’artifices,
y’a des vols de sorcières, des rassemblements de loups-garous, des grands sages à la barbe
longue, des p’tits lutins au chapeau pointu… Y’a toute c’qu’un p’tit homme comme toé, pis un
vieux monsieur comme moé peuvent imaginer… Pis ben plus encore! Écoute… c’est beau ! C’est
plein d’feux follets, d’géants, d’sirènes pis de toute c’que tu veux.
- Est-ce qu’il y a des princesses là-bas aussi grand-papa ?
Oh oui tit homme ! y’en a, pis des ben jolies demoiselles en plus de ça ! Y’en a surtout – elle va
t’plaire, ça j’en suis sûr- qui est belle, mais belle! Ele a des yeux de bord de mer au coucher du
soleil, un sourire en collier d’perles, une peau d’crystal, pis des lèvres de pétales de roses… c’te
princesse là, mon homme, elle te fait fondre le plus tough des gars en un battement d’cil. On
s’retrouve dans la mer de ses yeux, on a l’impression d’nager en plein dans la beauté elle-même,
on s’laisse flotter dans son éclat d’rire…
- Oh wow ! Pis y’a tu des enfants aussi grand-papa ?
Y’en a une, deux, quatre tonnes tit homme ! y’en a partout ! Pis là-bas, tu peux jouer à c’qui
t’plaît. Tu peux aiguiser tes crayures pis t’dessiner tout c’que tu veux. Juste besoin d’un crayon
d’bois pis d’ton imagination, pis te v’là parti en mer comme un pirate ou à la recherche d’un
dragon à terrasser. Tu peux voler avec les oiseaux, pis nager avec les poissons. Tu peux… Tu
peux …
- Pourquoi tu pleures grand-papa ? Ça l’air beau là-bas comme tu le dis. Moi j’ai envie d’y
aller, grand-papa. J’ai pas peur de ça les dragons ! Pis avec mon crayon de bois pis mon
imagination, je vais être en sécurité, tu sais… j’vais t’envoyer plein d’lettres. J’vais
d’mander à la belle princesse de m’aider. Elle va vouloir, hein Grand-papa ?
Oui… oui, tit homme, elle va vouloir…
- Grand-papa ?
Oui ?
-Raconte-moi comment c’est beau la mort, j’vais fermer les yeux juste un peu, j’suis fatigué…
Mais j’t’écoute grand-papa…J’t’écoute…
[…]
C’était de loin la plus belle pierre tombale. Ce sont les couleurs qui ont attiré mon œil. Au loin,
un vieil homme refermait un livre de conte qu’il déposa tendrement sur la terre fraîchement
retournée. Il sortit lentement de sa poche une boîte de crayons de bois qu’il pressa au côté de
l’ouvrage multicolore. Il porta un dernier regard à la sépulture où se dessinaient un énorme
dragon, un preux chevalier, un bal de sorcières et, au centre, une jolie princesse aux yeux de
bord de mer.
Marianne Bernier Gaudreault