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Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 2006 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 21 déc. 2020 04:22 Ciné-Bulles Yolande Racine, directrice générale de la Cinémathèque québécoise Marie Claude Mirandette Volume 24, numéro 4, automne 2006 URI : https://id.erudit.org/iderudit/33579ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique) Découvrir la revue Citer ce document Mirandette, M. C. (2006). Yolande Racine, directrice générale de la Cinémathèque québécoise. Ciné-Bulles, 24 (4), 24–30.

Yolande Racine, directrice générale de la Cinémathèque québécoise · Une bonne partie des problèmes actuels (financement, installations, fréquentation) de la Cinémathèque

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Page 1: Yolande Racine, directrice générale de la Cinémathèque québécoise · Une bonne partie des problèmes actuels (financement, installations, fréquentation) de la Cinémathèque

Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 2006 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 21 déc. 2020 04:22

Ciné-Bulles

Yolande Racine, directrice générale de la CinémathèquequébécoiseMarie Claude Mirandette

Volume 24, numéro 4, automne 2006

URI : https://id.erudit.org/iderudit/33579ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN0820-8921 (imprimé)1923-3221 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce documentMirandette, M. C. (2006). Yolande Racine, directrice générale de laCinémathèque québécoise. Ciné-Bulles, 24 (4), 24–30.

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Avant-propos Une bonne partie des problèmes actuels (financement, installations, fréquentation) de la Cinémathèque québécoise ont débuté à la suite de son agrandissement en 1996. Si Robert Daudelin, alors directeur général et grand amoureux du septième art, a su faire progresser la Cinémathèque québécoise pendant 30 ans avant de tirer sa révérence à l'automne 2002, il n 'aura pas su ta faire grandir. Ces rénovations, qui allaient être décriées par plusieurs — jamais sur la place publique, bien entendu! — sont à l'origine des difficultés rencontrées par l'institution depuis 10 ans. De la salle Claude-Jutra privée de projecteur vidéo même si à l'époque les supports de diffusion se multiplient (l'erreur n 'a été corrigée que récemment) à la salle Fernand-Seguin affublée d'un écran à peine plus grand que celui d'un cinéma maison (on vient tout juste d'installer un écran d'un format appro­prié) en passant par une mezzanine inutile, une boutique si bien cachée qu 'elle était toujours déserte (fermée définitivement depuis quelques années), un bistro invisible de la rue (diminuant d'autant son attraction), des salles d'expositions aux horaires variables, une médiathèque au décor froid et peu propice à la recherche : nombreuses auront été les décisions discutables prises à cette époque.

Cette nouvelle Cinémathèque québécoise à la superficie imposante et aux services accrus voit rapidement son déficit exploser et atteindre en quelques années les 600 000 $. C'est le début de la crise... Après le départ de Daudelin, le conseil d'adminis­tration, avec Monique Simard à sa tête, s'attelle à la difficile tâche de dénicher la nouvelle personne apte à prendre la barre de l'institution. Le poste est convoité mais la perle rare n'existe pas. Il faut connaître le cinéma et les chiffres, mais surtout être en mesure de s'imposer au sein d'un lieu où une forte culture institutionnelle offre peu de marge de manœuvre. Ce sera finalement Robert Boivin, une bonne tête, un bel enthousiasme jusqu'à ce qu'il découvre les vrais chiffres, le déficit énorme (lui aurait-on caché certaines choses pour éviter son recul devant le poste? Certains le disent). Il propose des solutions, parle de coupures nécessaires, mais personne ne veut le suivre. La greffe ne prend pas, le conseil d'administration le largue, il démissionne en août 2004. Retour à la case départ. Le président à cette époque, Kevin Tierney (qui produira Bon Cop Bad Cop...), assure alors l'intérim à la direction générale. Sauf que cette fois-ci, les joueurs intéressés au poste sont moins nom­breux : on le serait à moins quand on pense au sort réservé à Robert Boivin. Il aura fallu sept mois pour trouver la directrice générale actuelle. Yolande Racine, historienne de l'art contemporain, muséologue de carrière, entre en fonction en mars 2005.

Au moment où se déroule l'entretien, le 24 août dernier, Yolande Racine semble bien en selle. C'est avec générosité et candeur qu'elle a répondu aux questions de Ciné-Bulles sur les défis actuels de cette institution indispensable qu'est la Cinémathèque québécoise. (ÉRIC PERRON)

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ENTRETIEN Yolande Racine, directrice générale

de la Cinémathèque québécoise

« Il y a beaucoup de problèmes à la Cinémathèque. On les règle un par un,

on les règle bien, on les règle à fond, de sorte qu'ils ne reviennent pas. » Yolande Racine

MARIE CLAUDE MIRANDETTE

'iné-Bulles : Ça fait maintenant 18 mois que vous êtes à la barre de la Cinémathèque québécoise. Com­ment évaluez-vous l'état de l'institution, compte tenu de ses problèmes financiers?

Yolande Racine : Je dirais d'abord qu'il y a de nom­breux défis à relever. Nous en avons relevé quelques-uns, dans des mesures variables. Il est certain que sur le plan financier, tout le monde a fait un gros effort cette année pour tenter de redresser la situa­tion et elle s'est redressée passablement. Il reste encore un déficit accumulé à combler, nous ne som­mes pas encore tout à fait sortis du bois, mais le bout de chemin réalisé est important car la crédibilité de l'institution est en jeu. En ce qui concerne la program­mation, je trouve que celle de cet automne est excep­tionnellement belle. C'est un défi à relever chaque année et l'équipe de conservation y parvient avec beaucoup de savoir-faire. Il est certain qu'on tente également de développer notre clientèle. Je ne peux pas dire que nous ayons mis l'accent sur ce point l'année dernière, mais on a quand même augmenté notre clientèle de 20 %. Cette augmentation s'est surtout fait sentir du côté des expositions. Je crois que la réouverture des salles d'exposition, qui étaient fermées au moment de mon arrivée, a été un mo­teur qui a aidé à notre « petite renaissance ». La nou­velle exposition N'ajustez pas votre appareil — rendue possible grâce à une donation — a contri­bué à cela. Cette dernière a peut-être permis de faire redécouvrir l'exposition Formes en mouvement qui est en place depuis quelques années, mais qui de-

Yolande Racine

meure extrêmement intéressante et pertinente. Les familles et les enfants adorent ces expositions; les camps de jour, l'été, viennent les visiter et ils ont beaucoup de plaisir. Au chapitre du bilan, il faut parler également de la mise sur pied de la Fonda­tion de la Cinémathèque québécoise qui va nous per­mettre de respirer sur le plan financier en faisant de la sollicitation, en organisant des soirées-bénéfice. Je crois qu'on peut intéresser des commanditaires.

Revenons sur ce qu 'on a désigné comme la crise financière de la Cinémathèque québécoise. Au mo­ment de l'agrandissement en 1996, l'institution traîne

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ENTRETIEN Yolande Racine, directrice générale de la Cinémathèque québécoise

Le hall d'entrée de la Cinémathèque québécoise et le foyer Luce-Guilbault

déjà un léger déficit. Après la réouverture, il explose. Plusieurs autres institutions culturelles québécoi­ses, privées ou publiques, mises sur pied au cours des dernières décennies ont connu des crises de financement à la suite de leur expansion. Un peu comme si une fois les infrastructures réalisées, tout l'argent était mobilisé par l'immobilier et le per­sonnel et qu 'il ne restait à peu près rien pour la fonction première d'une institution muséale : la con­servation et la diffusion du patrimoine.

C'est un peu ce qui est arrivé ici quand on a eu de l'argent pour l'immobilier. Quand tu construis, tu donnes toujours un peu d'expansion à ton mandat. Tu te dis : on va faire un peu de services éducatifs, on va avoir un café. Ça demande des ressources pour payer ces nouveaux services et les employés qui y sont rattachés. C'est là où le bât blesse et pres­que toutes les institutions qui ont connu une expan­sion ont eu des difficultés financières l'année sui­vante.

Diriez-vous que vous étiez totalement au fait de la réelle situation financière de l'institution quand vous avez accepté d'en prendre les rênes?

Je fais comme tout le monde, je lis les journaux! (rires) Je connaissais bien la situation, mais je me dis toujours qu'il n'y a pas de situation difficile pour laquelle il n'existe pas de solution, plusieurs solutions. Il s'agit de savoir trouver les bonnes.

La situation a été par moments très alarmiste. On a même évoqué la possibilité de fermer pour une durée indéterminée les activités publiques de la Cinémathèque, comme les projections...

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« Quand tu construis,

tu donnes toujours un peu

d'expansion à ton mandat.

Tu te dis : on va faire un peu de services

éducatifs, on va avoir un café. Ça demande

des ressources pour payer

ces nouveaux services et les employés qui y

sont rattachés. »

Il y avait plusieurs solutions possibles, pas seule­ment la fermeture. On peut aller dans deux sens : soit dans le sens du rétrécissement, soit dans celui de l'ouverture. Je crois plus à l'ouverture, c'est-à-dire aller chercher du financement additionnel plu­tôt que de fermer, car un repli sur soi-même n'est jamais bon. Une institution ne peut pas faire ça; une institution est là pour le public et elle doit être ouverte. Je crois à cette orientation et c'est ce que j'essaye de faire.

Dans le milieu culturel, on a généralement ten­dance à considérer la Cinémathèque comme une institution où il y a une certaine aisance, notam­ment en ce qui concerne les salaires des employés qui sont assez élevés — en moyenne 36 000 $ par année pour la cinquantaine d'employés, ce qui inclut les guichetiers, les employés d'entretien et ceux à temps partiel. Toutes les institutions culturelles souffrent de sous-financement et dès qu 'on sort de Montréal, ce salaire est pratiquement celui d'un directeur de musée...

On parle ici du milieu culturel qui n'est pas le mieux rémunéré si l'on le compare à d'autres! Mais à l'in­térieur de la plage culturelle, je pense qu'on se défend bien et que ça montre qu'on accorde de l'importance aux ressources humaines. On est une boîte de services et si on n'a pas de ressources humaines compétentes et « heureuses » de faire le travail qu'elles font, ça va mal. En même temps, en termes de pourcentage du budget dévolu à la masse salariale (soit un peu moins de 50 %), pour une entreprise de services, c'est assez normal. Effecti­vement, les conditions de travail sont relativement bonnes et je crois que c'est important. Je ne crois pas qu'il faille niveler par le bas dans le milieu culturel, parce qu'en faisant cela, on minimise la valeur de notre travail.

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La situation de la Cinémathèque a ceci de particu­lier que c 'est un organisme privé qui a néanmoins un mandat de conservation octroyé par l'État. Com­ment envisagez-vous de diversifier les sources de financement? Comment abordez-vous la probléma­tique de passer d'un mode de survie à un mode de développement?

C'est une très bonne question. D'abord, il faut préci­ser que nous sommes un organisme sans but lucratif. Nous sommes subventionnés par diverses instances gouvernementales — municipale, provinciale et, un peu, fédérale. Il est certain que nous apprécions ce financement. Mais nous jouons un rôle social important. Nous sommes la seule cinémathèque au Québec et nous jouons un rôle majeur dans la con­servation et la diffusion du patrimoine cinémato­graphique. Le financement que nous recevons du ministère de la Culture et des Communications du Québec, notamment, est la preuve d'une reconnais­sance de ce rôle. Par contre, on apprécierait que le gouvernement fédéral contribue davantage au bud­get de fonctionnement de la Cinémathèque. Le mon­tant qu'on reçoit actuellement du fédéral est voué à la diffusion et non à la conservation. Or, la conser­vation, c'est ce qui coûte le plus cher.

Lors de l'agrandissement en 1996, il y a eu des choix qu 'on pourrait qualifier de discutables dans l'amé­nagement de plusieurs espaces. Prenons un seul exemple : la salle Fernand-Seguin, dont la peti­tesse de l'écran a été décriée par plusieurs.

Ça a été changé et il y a maintenant un grand écran. C'est une merveilleuse salle très intimiste pour des conférences, pour présenter de la vidéo d'art, des choses de ce type. C'est vrai que c'est une salle qui s'est cherchée un peu au fil des ans. On travaille justement à sa relance en janvier avec une program­mation axée sur les différentes disciplines artisti­ques.

Revenons à l'espace et à l'architecture. De la rue, la Cinémathèque n 'est pas un lieu accueillant, c 'est tout noir. On a l'impression que c'est un endroit fermé, secret. Quand on y entre les premières fois, on a un peu le sentiment de déranger, comme si c 'était réservé à un public averti. Cela ne dessert-il pas la Cinémathèque?

Je pense qu'il faut en effet un certain courage pour entrer à la Cinémathèque. Et c'est dommage! Je le déplore, mais ça a été un choix esthétique fait au

« Nous sommes la seule

cinémathèque au Québec

et nous jouons un rôle majeur

dans la conservation et la diffusion du patrimoine cinématogra­

phique. Le financement que

nous recevons du ministère de

la Culture et des Communications

du Québec, notamment, est la preuve

d'une reconnais­sance de ce rôle.

Par contre, on apprécierait que le gouvernement

fédéral contribue davantage au

budget de fonc­tionnement de la Cinémathèque. »

moment de la construction, l'idée étant d'évoquer la boîte noire. C'est une esthétique froide, très puis­sante. Conceptuellement et intellectuellement par­lant, c'est très intéressant et cette analogie est très forte. Par contre, du point de vue de l'ouverture au public, c'est effectivement moins réussi puisque lors­qu'on regarde la Cinémathèque de l'extérieur, on ne voit rien et on peut avoir l'impression que c'est fermé.

Malgré de nouveaux outils de diffusion comme votre site Internet, il y a eu une baisse substantielle de la fréquentation des deux salles de projection au cours des dernières années1.

Il faut dire qu'on a diminué le nombre de séances à cause des problèmes financiers. Mais on a connu une augmentation globale de 20 % cette année...

// est certain que la fermeture temporaire a eu une incidence sur Vaffluence, mais ce ne sont pas quel­ques semaines de projection en période creuse durant l'été qui peuvent expliquer une telle diminution.

C'est inquiétant et on cherche à augmenter la fré­quentation.

Cela peut s'expliquer de différentes façons : ou bien vos programmations n 'intéressent pas le public ou bien vous ne parvenez pas à les rendre suffisam­ment attrayantes.

On s'entend que c'est dû à la crise.

En partie peut-être, mais ça ne peut pas être entiè­rement dû à ça.

Peut-être qu'à ce niveau-là, il n'y a pas ou peu d'amé­liorations possibles. Je ne suis pas de cet avis.

Compte tenu de la nature de ce que vous diffusez, il y a, à Montréal, un vaste bassin de population qui devrait s'intéresser à vos activités. On y compte tout de même de multiples programmes de cinéma, collégiaux et universitaires, et un important milieu cinématographique...

Assistances totales des salles Claude-Jutra et Fernand-Seguin excluant les festivals puisqu'il ne s'agit pas de séances programmées par la Cinémathèque : 42 348 en 2000-2001 ; 44 558 en 2001-2002; 48 289 en 2002-2003; 43 948 en 2003-2004; 20 328 en 2004-2005; 24 806 en 2005-2006. (Source : Rapports annuels de la Cinémathèque québécoise)

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ENTRETIEN Yolande Racine, directrice générale de la Cinémathèque québécoise

Ça dépend peut-être de la manière dont on présente les films et non des œuvres comme telles. On peut faire un effort sur la façon dont on les présente en évaluant les heures de diffusion, les regroupements qu'on opère, etc. Et revoir la promotion. On ne fait pas beaucoup de promotion parce qu'on n'a pas vraiment de budget pour ça. Si on avait un peu d'ar­gent pour promouvoir nos activités, ça nous aide­rait à aller chercher une clientèle et à la renouveler. On a une clientèle fidèle et on y tient, mais on vou­drait s'ouvrir à une clientèle plus jeune...

Comment pensez-vous intéresser les jeunes qui ne fréquentent pratiquement pas la Cinémathèque. C'est une génération qui a grandi avec les VHS puis les DVD, une génération qui a d'autres habi­tudes de visionnement... La majorité des étudiants en communications à qui j'enseigne au Cégep du Vieux Montréal ne sait même pas où se trouve la Cinémathèque. Et ce n 'est pas faute de leur en par­ler. Ils passent devant tous les jours...

On travaille, entre autres, avec des professeurs de cinéma, à un projet de carte privilège à prix abor­dable qui permettrait aux gens d'avoir accès à prix modique à une certaine quantité de projections. Mais je fais la même constatation que vous : lors­que j'arrive le matin, je vois les gens sortir du métro, s'en aller à l'UQAM, au Cégep ou ailleurs... Tous

La salle Claude-Jutra

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ces gens passent devant la Cinémathèque et per­sonne ne voit rien. Comment ça se fait? C'est noir à l'intérieur de l'immeuble, on n'a jamais fait de véritable promotion et c'est une institution qui a longtemps été tournée sur elle-même...

On a souvent l'impression que le difficile rapport entre la Cinémathèque et le public réside dans le fait que celui-ci voit l'institution comme un lieu réservé aux initiés.

Je pense qu'il y a un virage à faire, celui que les musées ont fait dans les années 1980. On a appelé ça le « virage client ». Je crois que nous aurions inté­rêt à considérer cette voie.

Cette approche dite clientéliste avait pourtant pro­voqué une vive réaction à l'époque. Il y avait alors une crise de financement des institutions culturelles et les gouvernements, appuyés par l'opinion publi­que, exigeaient des musées qu 'ils arrêtent de compter sur le financement public, sans pour autant proposer de pistes de solution. Moins de financement public, mais pas de virage commercial. Comment alors par­venir à régler le problème récurrent du finance­ment?

Avec le recul, je crois qu'ils ont fait le bon choix et qu'ils ont sauvé leur peau. La Cinémathèque doit elle aussi sauver sa peau et cela fait partie des choix qu'elle doit faire. Nous sommes conscients qu'il s'agit là de choses sur lesquelles nous devons tra­vailler. On devrait voir des résultats dans les années à venir. On ne peut pas tout faire en même temps, ni tout faire tout de suite. Il y a beaucoup de problè­mes à la Cinémathèque. On les règle un par un, on les règle bien, on les règle à fond, de sorte qu'ils ne reviennent pas. D'ici quelques années, on les réglera tous, selon moi. Mais on ne peut pas agir de façon précipitée et de façon draconnienne. Aussi, il y a une culture institutionnelle qu'on ne peut changer brutalement. C'est im-pos-si-ble! On détruirait tout ce qu'est la Cinémathèque si on voulait agir trop vite. J'ai été conservatrice au Musée des beaux-arts de Montréal, ce virage je l'ai vu et vécu en tant que professionnelle comme quelque chose de difficile, compte tenu de ma culture d'historienne de l'art. Mais il faut aussi se demander pour qui on fait notre travail. On le fait pour la communauté et on veut partager notre passion, faire connaître et aimer ce qu'on aime. C'est encore plus vrai quand on le fait grâce à des fonds publics. Il y a un retour dans la communauté à assurer.

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Aperçus des expositions Formes en mouvement et N'ajustez pas votre appareil

J'aimerais qu 'on parle du dépôt légal. Comment se déroule la mise en place de ce nouveau mandat substantiel?

C'est un gros mandat qui s'inscrit tout à fait dans le prolongement de notre mission. Pour le moment, ça se passe très bien. Ça se fait en partie à Montréal, mais aussi au centre de conservation de Boucher­ville. On a reçu jusqu'à présent une soixantaine de titres, en majorité des films pour la télévision. Ce qui est formidable avec le dépôt légal, c'est que ça vient régulariser le geste de déposer une copie de chaque œuvre produite alors qu'autrefois, il fallait faire des efforts considérables pour convaincre les gens de le faire.

Vous allez recevoir beaucoup d'éléments. L'éva­luation parlait d'environ 35 à 40 longs métrages, 300 courts et 1 400 documents télévisuels annuel­lement. Dans combien de temps aurez-vous atteint vos limites d'espace dans vos locaux de conserva­tion?

Dans cinq ans.

Cinq ans, c'est presque demain!

Ça nous permet de voir à quel rythme les choses arrivent et d'évaluer si nos prévisions étaient bon­nes. En même temps, vous savez, quand on acquiert des fonds, on acquiert un ensemble de choses qui ne sont pas toutes pertinentes pour nous et il faut évaluer ces fonds-là, même si c'est long et difficile. Cet été, par exemple, on est allé chercher du finan­cement pour traiter un fonds de TVA qui nous a été donné. C'est un fonds très important, mais tant qu'il

« Ce qui est formidable avec

le dépôt légal, c 'est que ça vient

régulariser le geste de

déposer une copie

de chaque œuvre produite alors qu 'autrefois, il fallait faire

des efforts considérables

pour convaincre les gens de

le faire. »

n'est pas traité, il n'est pas accessible. Pour ce qui est de l'espace, pour l'instant nous élaguons.

Ce qui n 'est pas simple, cela peut même être déchi­rant. Dans le cas de donations, il faut respecter l'engagement pris vis-à-vis des donateurs. Il y a aussi toute la question des modes. Il faut faire très attention de ne pas regretter plus tard ce qu 'on a élagué en voulant faire de la place par l'intérieur.

Déjà, on espère que le traitement et l'élagage nous permettra de dégager de l'espace. Mais éventuel­lement, il va falloir songer à agrandir, parce que le dépôt légal implique de conserver tout.

La nomination récente de Jacques Bensimon à titre de président du conseil d'administration de la Ciné­mathèque a fait sourciller plusieurs personnes étant donné qu 'il est à la tête de l'Office national du film du Canada (ONF) et commissaire officiel du gouver­nement à la cinématographie nationale. Pourtant, ce ne sont pas les candidats de choix qui manquent dans le milieu cinématographique! Comment voyez-vous ce nouveau rapprochement entre les directions des deux institutions qu 'on pourrait percevoir comme potentiellement conflictuelles ?

La Cinémathèque et l'ONF ont depuis longtemps travaillé ensemble — pensons à la production du coffret Raoul Barré, entre autres — et l'on croit que M. Bensimon peut jouer un rôle à la Cinéma­thèque, en particulier sur le plan du financement et du rayonnement, grâce à ses contacts gouverne­mentaux et dans le milieu du cinéma.

// est évident que la résorption du déficit actuel freine les activités et le développement de la Ciné­mathèque. Qu'avez-vous hâte de voir s'améliorer?

C\NE3ULLES VOLUME 24 NUMÉRO 4 .29

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ENTRETIEN Yolande Racine, directrice générale de la Cinémathèque québécoise

Certaines fonctions sont plus atrophiées que d'au­tres à cause du manque de ressources humaines, de ressources financières... J'aimerais parvenir à don­ner le plein déploiement à chacune des fonctions que nous remplissons. Je pense, par exemple, à la fonction éducative. On ne fait pas beaucoup d'édu­cation. Il y a une demi-personne affectée à cela, alors c'est très chaotique.

// s'agit là pourtant d'une des fonctions premières d'une institution comme la vôtre! Certes, il y a la conservation et la diffusion, mais tout l'aspect édu­catif est fondamental, surtout auprès des jeunes si on veut les sensibiliser à l'art cinématographique.

Oui. D'autant que les jeunes sont les clients de de­main. Il faut partager cette culture avec eux afin qu'ils la véhiculent à leur tour. Je crois que c'est un rôle fondamental pour la Cinémathèque et qu'on ne remplit pas cette fonction comme on le devrait. On fait seulement de petites choses, ce qui n'est pas suffisant. Il faut absolument développer cela. C'est très important. Il faut se demander aussi si la Mé­diathèque joue pleinement son rôle. Est-ce qu'on peut l'améliorer? Est-ce qu'elle peut devenir une véritable médiathèque, un centre de ressources médiatiques, par exemple? Ce sont des questions qu'on doit se poser.

C'est très ambitieux et ça demande de l'argent. Dans un contexte où l'on « rationalise » partout et où il y a de plus en plus de joueurs pour les mêmes pro­grammes gouvernementaux, est-ce vraiment envisa­geable?

Il ne faut pas croire que c'est impossible! C'est possible! Il faut être optimiste et y croire. Il faut de

« J'aimerais parvenir à

donner le plein déploiement à chacune

des fonctions que nous

remplissons. Je pense,

par exemple, à la fonction

éducative. On ne fait pas

beaucoup d'éducation.

Il y a une demi-personne affectée à cela, alors c 'est très

chaotique. »

l'imagination, de l'énergie dans le travail et surtout beaucoup, beaucoup de créativité. Il y a des solutions. Mais il faut les créer, les imaginer, les inventer...

Et vous sentez que l'équipe en place est prête à vous suivre dans cette direction ?

Je pense que oui, je l'espère. Parce que je sens que le personnel est follement amoureux de la Cinéma­thèque. Les gens sont très passionnés et ils veulent son bien. Maintenant, comment va-t-on concrétiser cela et de quelle manière va-t-on le faire? Cela reste à développer, ensemble. Le gros du défi, il est peut-être là aussi. Il y a un défi en matière de finance­ment, mais il faut savoir aussi comment on peut arti­culer ensemble le développement de la Cinéma­thèque. On a dit qu'on ne voulait pas bousculer les choses, qu'on voulait faire les choses dans un ordre et à un rythme qui soient acceptables. Mais com­ment va-t-on faire ça, pour le bien de la Cinéma­thèque? Il y a là un défi parce qu'il faut encore apprendre à travailler ensemble. Je ne pense pas qu'on l'ait encore appris vraiment. Je le dis bien humblement et bien sincèrement. Et je souhaite que tout le monde embarque dans ce projet parce que c'est ensemble qu'on va réussir à faire quelque chose pour la Cinémathèque. Sinon, ça va rester un lieu de confrontation, et je pense que ce n'est pas souhaitable pour les destinataires de l'œuvre qu'on fait à la Cinémathèque.

Voulez-vous ajouter quelque chose?

Je suis un peu moralisatrice vers la fin, mais je crois beaucoup à cette démarche.

Merci! •

La médiathèque Guy-L.-Côté

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