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  • Le durcissement des conflits environnementauxLe Monde | 07.06.2015 | Par Philippe Subra (professeur l'universit Paris VIII)

    La mort de Rmi Fraisse Sivens (Tarn), en octobre 2014, nous ramne trente-sept ans en arrire, lorsque Creys-Malville, dans lIsre, en 1977, un autre manifestant, Vital Michalon, oppos la construction du surgnrateurSuperphnix, avait lui aussi perdu la vie aprs un tir de grenade. Seuls les mots ont chang : les autonomes desannes 1970 sont devenus des zadistes . Dj, Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), en octobre 2012, latentative dvacuation de la zone dfendre a donn lieu un pisode de violence comparable, mme si le bilan ena t beaucoup moins dramatique. En fvrier 2014, Nantes, une manifestation des opposants la construction delaroport sest termine par des heurts violents entre casseurs et forces de lordre.

    Ces vnements sont la fois le signe dune radicalisation dune partie de la contestation et le rsultat dune rponsedisproportionne et maladroite de lEtat. Le pige tendu par les zadistes a fonctionn : loccupation impliquelvacuation, sauf ce que lEtat accepte labandon des projets contests ; lvacuation, elle, permet la rsistance etproduit des images, celles de manifestants aux mains presque nues contre des robocops bards de protections. A Sivens,la mort de Rmi Fraisse a fait basculer le rapport de force en faveur des antibarrage, au moins momentanment, alorsquils ne bnficiaient pratiquement daucun soutien local. A Notre-Dame-des-Landes, lintervention policire a souddavantage encore, autour des jeunes zadistes, lensemble des opposants.

    LEtat a certes les moyens dobtenir lvacuation dun tel site mais il est incapable de tenir le terrain, cest--diredempcher les occupants de revenir, car les effectifs ne suffisent pas rpondre toutes les missions de scuritpublique quil sest fixes, entre le plan Vigipirate, la protection des synagogues et des mosques et lencadrement desgrandes manifestations.

    Faut-il sattendre une multiplication des zones dfendre (ZAD) travers la France, qui rendrait caducs tous lesefforts faits depuis la loi Barnier de fvrier 1995 pour canaliser les conflits damnagement ? Est-ce la fin de ce quipourrait tre qualifi (et un peu abusivement) d Age dor de la concertation , avec prs de 80 dbats organiss par laCommission nationale du dbat public depuis 1997 ? Car le bilan de cette exprience du dbat public est globalementpositif.

    Linformation du public sest amliore, les grands matres douvrage SNCF Rseaux, le gestionnaire du rseau detransport du gaz GRT Gaz, EDF et sa filiale RTE, et les associations environnementalistes nationales, comme FranceNature Environnement, ont commenc voluer dans leurs pratiques, construisant une culture du dialogue. Les uns etles autres ont commenc se comporter comme des partenaires environnementaux , au sens o lon parle de partenaires sociaux pour le patronat et les syndicats de salaris.

    Le phnomne des ZAD est encore marginal et recouvre une grande diversit de situations : environ 200 militants Notre-Dame-des-Landes, beaucoup moins Sivens (mme sils taient 300 au moment de lvacuation du site) ou Roybon, dans lIsre, o cest un projet de Center Parcs qui est lorigine du conflit. Les autres (Agen, Rouen,Strasbourg, Dijon, etc.) peuvent tre qualifies de ZAD light ou virtuelles. Ces contestations, en plus de marginaux,comptent un certain nombre de militants aguerris parfois trs structurs intellectuellement, avec une excellente lecturedes rapports de force et de vraies comptences tactiques et stratgiques.

    Alliance solide

    Mais le fait le plus remarquable est ailleurs. A Notre-Dame-des-Landes, malgr la marginalit de leur mode de vie, leszadistes ont su nouer une alliance solide avec les autres catgories dopposants, ceux quon pourrait qualifier dopposants classiques : les lus des communes rurales concernes par le projet, les exploitants agricoles menacsdexpropriation, les naturalistes qui dfendent la biodiversit dun territoire relativement protg de la priurbanisation.Les modes daction diffrent, mais cette diversit est perue comme une complmentarit. Aux uns, les recours enjustice, les rencontres avec le prfet, les inventaires de la faune et de la flore ; aux autres, loccupation permanente dusite et la confrontation avec les forces de lordre.

    Les objectifs stratgiques ne concident que partiellement, tous veulent labandon du projet daroport, mais les zadistesenvisagent galement, en cas de victoire, de rcuprer une partie des terres dj expropries pour sy tablir et ydvelopper un mode de vie alternatif. Surtout, le combat men Notre-Dame-des-Landes nest pour eux quune batailledans un combat plus large, dchelle plantaire, contre la mondialisation. Cependant, les intrts quont en commun lesopposants la cration de laroport ont permis de dpasser ces diffrences qui dailleurs ne sont pas tues, mais, aucontraire, explicites et assumes. Chacun a fait un pas vers lautre, car chacun est conscient que sans lautre il nestrien .

    Il est impossible dvaluer le vivier de recrutement pour () loccupation permanente dun site, mais il nestcertainement pas assez important pour faire vivre en mme temps un grand nombre de ZAD.

  • La question est de savoir si dautres conflits peuvent susciter ailleurs une alliance de ce type, avec pour rsultatdempcher la mise en uvre des projets damnagement contests. Sans doute pas partout. Il y a dabord une questionde forces. Il est impossible dvaluer le vivier de recrutement pour cette pratique militante trs exigeante questloccupation permanente dun site, mais il nest certainement pas assez important pour faire vivre en mme temps ungrand nombre de ZAD. En revanche, on peut trs bien imaginer que sur certains projets emblmatiques et sur certainsprojets plus modestes de nouvelles zones dfendre se mettent en place dans les mois qui viennent.

    En second lieu, il faut certaines conditions pour quune ZAD simplante avec succs : une concertation mal mene outrop ancienne ( Notre-Dame-des-Landes, le dbat public date de 2003), des conflits dintrt trop manifestes du ctdes lus (comme Sivens, o ceux-ci dirigent la fois le conseil gnral et la Compagnie damnagement des coteauxde Gascogne, cest--dire le dcideur politique et le matre douvrage), le non-respect de certaines procdures (toujoursdans le Tarn : un autre barrage, celui de Fourogue, a t dclar illgal par la justice, une fois construit).

    Il faut aussi un terrain favorable : une zone humide, une terre de bocage, avec de nombreuses petites routes quipermettent de contourner les checkpoints de la gendarmerie, valent mieux que les espaces de grande culture, commedans la plaine dAlsace (projet de grand contournement ouest de Strasbourg). La proximit dune grande ville (Nantes,Toulouse, Grenoble) est un vrai plus car elle permet de trouver des soutiens dans la jeunesse tudiante et parmi lescitadins sensibles la cause cologique. Ces conditions ne sont pas suffisantes, mais elles sont ncessaires. Le soutiendune partie importante de la population locale, des agriculteurs, des lus locaux, est tout aussi important pour tablir unrapport de force avec lEtat.

    Rapport de force avec ltat

    Plusieurs facteurs vont dans le sens dun durcissement des luttes environnementales, les uns conjoncturels, les autresplus structurels. Il y a dabord le sentiment que peuvent prouver de nombreux militants dassister une rgression surles questions environnementales. Aprs avoir beaucoup mis sur le Grenelle en 2007, ils ne peuvent qutre inquietsdevant les signaux ngatifs que leur envoient depuis quatre ans les responsables politiques, de droite comme de gauche.Il y a eu la remarque de Nicolas Sarkozy en novembre 2011 ( Lenvironnement, a commence bien faire ), la piteusereculade du gouvernement socialiste sur lcotaxe, les rticences de Sgolne Royal dclencher la circulation alterne Paris malgr les pics de pollution, son refus proclam de lcologie punitive , sans oublier la fermeture deFessenheim, dcide mais dont on ne voit toujours pas le dbut dun commencement.

    Les dispositions de la loi Macron, actuellement en discussion au Parlement, qui cherchent scuriser lesinvestissements conomiques et raccourcir les dlais dautorisation en rformant certaines procdures, sont peruespar ces associations comme un vrai risque pour la dfense de lenvironnement. Le probable retour de la droite aupouvoir en 2017 devrait rveiller certaines luttes. La plupart des responsables des Rpublicains se sont prononcs pourle gaz de schiste. Si on en reprend lexploration, on peut parier que le sud-est de la France connatra une trs fortemobilisation, comme en 2011.

    Les errements des responsables dEurope Ecologie-Les Verts narrangent rien. Ils dcrdibilisent lide quon peut faireavancer lcologie en faisant de la politique et sur le terrain lectoral. Que reste-t-il si lcologie politique ne sert rienet si le dialogue ne fonctionne plus, sinon loption de laction de terrain, ventuellement violente, en rsistance auxdcisions dun Etat qui ne tiendrait pas ses engagements ?

    Si on largit encore la focale, on peut sinterroger sur le devenir dune partie de la socit franaise, surtout parmi lesjeunes, qui, faute dinsertion professionnelle, pourrait tre tents par une forme de scession sociale et culturelle :adopter un idal de vie alternatif la socit de plus en plus librale qui se met en place. Plus ce phnomne serarpandu, plus larges seront les possibilits de soutien de futures ZAD.

    La tenue de rfrendums locaux, propose par le rapport sur la dmocratie environnementale remis le 3 juin, est-elle denature inverser cette tendance ? Lide a le mrite de chercher une solution du ct de la dmocratie, mais la mise enpratique se heurtera un double problme, celui du primtre du territoire consult et celui de la participation au vote,donc de la lgitimit du rsultat. Il est galement douteux que les opposants locaux les plus radicaux se rallieront cettesolution.

    Philippe Subra (professeur l'universit Paris VIII)

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