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Zilkha, Nathalie - Une Vie, Une Seule

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UNE VIE, UNE SEULE.Limites, pertes, renoncement, regainNathalie Zilkha P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2005/4 - Vol. 69pages 1133 à 1140

ISSN 0035-2942

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2005-4-page-1133.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Zilkha Nathalie, « Une vie, une seule. » Limites, pertes, renoncement, regain,

Revue française de psychanalyse, 2005/4 Vol. 69, p. 1133-1140. DOI : 10.3917/rfp.694.1133

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Une vie, une seule.Limites, pertes, renoncement, regain

Nathalie ZILKHA

« Mais cette exigence d’éternité est trop net-tement un succès de notre vie de souhait pourpouvoir prétendre à une valeur de réalité. Ledouloureux aussi peut être vrai. Je ne pouvaisme résoudre ni à contester l’universelle passa-gèreté ni à obtenir par contrainte une excep-tion pour le beau et le parfait. »

Freud, 1916.

Freud nous invite à apprécier la passagèreté comme « une valeur de raretédans le temps » (1916 a, p. 322). Si nous pouvons facilement nous consoler de ladisparition des splendeurs de la nature qui, elle, refleurira au printemps, àl’instar du « jeune poète révolté » ou de l’ « ami taciturne » qui accompagnentFreud dans sa promenade, nous sommes profondément atteints, lorsque noussommes confrontés à notre finitude ou à celle de nos proches. « Nous réconcilieravec la mort » (Freud, 1915 b) devient alors autrement difficile ; les divers sub-terfuges que nous trouvons habituellement pour y parvenir se révèlent insuffi-sants ou dépassés. La pulsion se rebiffe, ne se laisse pas impressionner par la réa-lité ni dompter par notre secondarité. Impérieuse, elle réclame son « dû ». Lacrise du milieu de vie se réfère à un tel vécu. Notons d’emblée que l’expressionconsacrée de « milieu de vie » illustre formidablement notre embarras dès qu’ils’agit de penser notre caducité ; en effet, nous ne savons pas quand nous allonsmourir et de plus, quelle que soit notre espérance de vie, le temps après le milieude vie n’est pas superposable au temps antérieur, il ne le double pas.

Le thème proposé par les rédacteurs, « les pulsions au milieu de la vie »,nous précipite davantage encore dans la complexité de notre réalité psychique.La formulation choisie nous encourage à considérer de manière différentielle,Rev. franç. Psychanal., 4/2005

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suivant le moment de la vie, l’articulation de l’atemporalité des exigences pul-sionnelles et de la permanence de l’infantile avec la reconnaissance de la tempo-ralité et de notre finitude. Elle nous engage aussi à spécifier la conflictualité enjeu dans ces temps différents.

Si passé, présent et avenir sont comme « enfilés sur le cordeau du désir quiles traverse » ainsi que le suggère Freud (1908 e, p. 39), peut-on penser qu’ilss’y organisent de manière différente, éventuellement autrement complexe, avecle temps qui passe ? Et que penser des remaniements du surmoi et de l’idéal dumoi, nuances ou affinements, qui accompagnent le milieu de la vie et les inévi-tables limites, pertes et renoncements qu’il implique ?

Par ailleurs, le thème proposé suggère l’idée d’une jonction voire d’unesuperposition entre un âge de la vie et une problématique singulière. Si ce liensemble évident dans les conjonctures les plus favorables, il ne va pas forcémentde soi. De penser leur éventuelle disjonction est tout aussi délicat mais peut serévéler intéressant. Ainsi, si quand tout se passe suffisamment bien le sujet enarrive tout naturellement, par la vie, à ce travail psychique, pour d’autres, chezlesquels le temps de l’enfance et de l’adolescence semble s’être figé dans un« toujours actuel », cette crise pourra être le résultat du travail psychanaly-tique. Il me semble en effet intéressant de penser le milieu de la vie comme lerésultat d’une expérience affective et d’un travail psychique.

Après quelques considérations générales sur la crise du milieu de la vie, jem’intéresserai plus spécifiquement à la remise en travail de la logique phalliquenarcissique qu’elle appelle presque inévitablement et la poursuite du travaild’adolescence qu’elle permet alors. Si chaque époque de la vie comporte sespropres enjeux de développement, le travail psychique appelle des reprises etdéborde largement un âge précis.

Je me réfère notamment au travail de Christian David, « Le deuil de soi-même » (1996), dans lequel il développe l’idée que dans ce travail de deuil spéci-fique l’affect face à la mort va jouer le rôle de l’événement : « En dehors del’éventuelle confrontation (objective et subjective) avec l’horreur de sa propreannihilation, de tels séismes psychiques n’ont effectivement pas lieu mais lasourde et permanente alerte par l’angoisse de mort fondamentale entraîne, parses effets spécifiques, la connaissance affective d’un destin d’inéluctable destruc-tion. Connaissance qui est au principe du travail de deuil de soi. » (p. 24) SiDavid évoque surtout l’affect d’angoisse, je pense que les affects dépressifspèsent aussi de tout leur poids dans ce cheminement ainsi que l’a élaboré ElliotJaques (1963) dans sa célèbre recherche « La mort et la crise du milieu de la vie »ou encore Winnicott dans « La défense maniaque » (1935)1. De l’élaboration

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1. Un travail qu’il a d’ailleurs écrit à 39 ans.

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approfondie des angoisses dépressives et du dépassement des défenses mania-ques pourra advenir une transformation dans la Weltanschauung1 et une profon-deur nouvelle dans l’expérience de la vie et la réalité intérieure.

Ce travail de crise est précipité par des causes externes et internes, des évé-nements extérieurs, variations ou défaillances dans les multiples étayages telsque les développe René Kaës (1979) : le corps, l’objet, l’environnement ou le soi(auto-étayage). Le modèle proposé par Kaës est pertinent pour ce qu’onappelle communément la crise du milieu de la vie où chacun de ces étayagespeut être remis en question ou bouleversé. De M’Uzan (1968), Pontalis (1976)et Anzieu (1981) l’ont par exemple bien décrit chez Freud. De même, le conceptd’ « intercrise » développé par Jean Guillaumin (1979) nous permettrait demieux saisir l’influence, les échos, sur la crise traversée par le sujet, de la crisedu milieu de la vie du conjoint, de celle du couple, de la crise d’adolescence del’enfant ou encore de la crise de fin de vie du parent.

UNE VIE, UNE SEULE : CELLE-CI

La reconnaissance toujours fragile, relative et progressive de notre finitudeprend des formes différentes avec le temps qui passe. Ainsi, plus encore que lacertitude d’une mort qui paraît encore lointaine, souvent mes analysants àl’orée du milieu de la vie expriment leur conscience aiguisée de n’avoir qu’unevie et une seule, celle qu’ils vivent. Aucune autre ne leur sera « offerte » et laleur n’est pas une répétition générale, c’est leur vie déjà bien entamée. Par ail-leurs, le temps restant ne redoublera pas le temps passé et ne leur redonnera pasforcément les occasions manquées.

Dans « La mort et le voyage dans le temps », René Roussillon nous offreune illustration personnelle intéressante de ce qui est ainsi convoqué : « (...) Jevenais d’avoir 40 ans, chacun sait parmi nous qu’on traverse alors une crise, unecrise dans notre rapport à la mort, la limite, la finitude. Ce jour-là je quittais leterrain de tennis sur une défaite, un match imperdable, échec inexplicable,je regagnais dépité le club-house ; peut-être le chaud soleil de l’été fit-ilalors miroiter les vitres du bâtiment, sans doute de manière fugace entre-aperçus-je mon image reflétée, je m’emparais alors avec étonnement de la penséescabreuse qui parallèlement m’habitait. Dans mon autre vie, je ne perdrais pasce match-là » (1999, p. 36). Roussillon développe le sens de cette pensée « répa-ratrice » : « C’était plutôt l’idée d’une autre vie, la même vie mais autre, sansl’échec, cet échec-là et les autres, la même vie purifiée des blessures, rebirth,

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1. Conception du monde.

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recommencement, autre chance sans l’erreur : comme un fragment de rêve insi-nué au sein de ma secondarité assurée d’elle-même, sans humour et avec ce qu’ilfallait de conviction pour y déceler l’exercice d’une croyance » (ibid.).

QUAND JE SERAI GRAND(E)...

Depuis que nous sommes petits, nous nous réconfortons avec des promes-ses, des espoirs, des illusions, des projets : « Quand je serai grand(e), je... »,« Plus tard... ». Ces mouvements de consolation qui mettent en tension les diffé-rences des sexes et des générations sont souvent des variations sur le thème denos angoisses de castration ( « Ça poussera plus tard » ) ou de nos désirs œdi-piens ( « Quand papa (maman) sera mort(e), je me marierai avec maman(papa) » ). Il vient un temps où nous ne pouvons plus nous consoler ainsi.

RATTRAPÉ(E) PAR LE TEMPS

Contrairement au sortir de l’adolescence, par exemple, le renoncement neconcerne alors plus seulement le passé mais le présent et le futur. Le sujet est enquelque sorte rattrapé par le temps ou par son âge. L’accomplissement de cer-tains désirs et la réalisation de certains projets deviennent caduques, impossibles.Le désir inabouti de maternité en est une figure paradigmatique. Aussi doulou-reux soit-il, le renoncement à la réalisation du désir d’avoir un enfant, que ce soitle premier ou « le dernier », n’est que l’une des figures prises par ce travail dedeuil dans le milieu de la vie. Ce désir, frustré ou inabouti, incarne de manièreextrêmement condensée l’essentiel des pertes et des limites à cette époque. J’ensuis venue à penser que la réalité psychique nous joue un drôle de tour lorsqu’ellenous amène à investir d’une valence phallique cela même qui nous manque et àcroire que la réalisation de ce désir nous comblerait entièrement. Avec la frustra-tion, les aspirations et les projets de l’adulte semblent avoir été repris par lasexualité infantile et le phallique en particulier. Par ailleurs, dans ces situations,la logique phallique narcissique semble en quelque sorte se porter au secours de ladéfense maniaque contre le manque et la perte, et réciproquement. Une telleconfiguration rencontre toutefois souvent une butée avec « le milieu de la vie ».

40 ANS : LE SOMMET ET... LE DÉCLIN ?

L’anniversaire concentre, voire actualise de façon insistante la probléma-tique du sujet face au temps qui passe. Cela m’a paru particulièrement clair

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lorsque, en l’espace de quelques mois, six de mes analysants ont fêté leurs40 ans. Chez les uns cela a été l’occasion d’un désespoir immense, d’une pro-fonde tristesse ou encore a contrario d’une fête à caractère maniaque ; chez lesautres, le théâtre de mouvements œdipiens habituellement autrement refoulés.Autour du déballage de cadeaux se sont cristallisées la reviviscence de mouve-ments de rivalité et d’envie, l’actualisation des déceptions œdipiennes, voire,plus rarement, celle d’un vécu de triomphe, autant de conflits que le sujetpensait dépassés.

À la veille de ses 40 ans, un analysant se plaint amèrement : « 40 ansc’est le sommet... puis c’est la descente, la chute ! » Dans la logique phal-lique qui le contraint, s’il a atteint la cime, il ne peut pas aller plus haut ; ilne peut que (re)descendre, décliner ou tomber. La chute pourrait mêmel’amener jusqu’au retour dans le tréfonds maternel. Ce cri du cœur suitd’ailleurs le récit d’un rêve dans lequel il se figure conduisant ses parentsdans sa voiture avec pour tout volant un « joy-stick ». Dans le rêve ils’embourbe et refuse l’aide qu’on lui propose. Pendant les semaines suivan-tes, cet analysant oscille entre des mouvements hypomaniaques avec desreprésentations phalliques narcissiques et des mouvements de régression quenous comprenons comme des plongées anticipées à visée défensive face à lamenace du retour de l’état antérieur projeté sur l’analyse. Mais ces mouve-ments maniaques dénient et masquent aussi des affects dépressifs et lemanque ; j’en suis venue à comprendre que c’est un modèle que l’objetmaternel lui a fourni pour lutter contre la dépressivité.

Le travail avec cet analysant m’a aussi donné à penser autour des remanie-ments de l’idéal du moi chez l’adulte. Cet homme n’était jamais satisfait de sesperformances dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée. Ce n’étaitjamais assez bien, il ne lisait jamais assez, ne publiait pas suffisamment. Avec letemps, il lui a fallu progressivement reconnaître ses failles et ses limites : il nepourra pas tout faire, pas tout lire, pas tout écrire. Ce qui évoque le développe-ment de Janine Chasseguet-Smirgel (1975) sur les remaniements de l’idéal dumoi avec l’amour de l’organisation œdipienne du stade génital, dont je repren-drai un élément : « La réalité (interne et externe) susceptible d’apporter dessatisfactions narcissiques et pulsionnelles est investie positivement. L’idéal dumoi se projettera pour une part sur l’accès à la réalité elle-même. Sur le planintellectuel, la vérité sera préférée à l’Illusion, la science à la superstition. Sur leplan amoureux, le partenaire sera aimé dans sa finitude et sa vulnérabilité etnon pour une perfection imaginaire (...) » (p. 67). Si cette transformation del’idéal du moi débute à l’adolescence, elle se poursuit à l’âge adulte et trouvetout naturellement un moment fécond de réorganisation à l’entrée dans lemilieu de la vie.

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« REGAIN »

À l’instar d’Anzieu, je pense intéressant de considérer que la crise dumilieu de la vie permet aussi le retour d’aspects de la réalité psychique laissés decôté, en suspens, et contribue à leur éventuelle intégration nouvelle. « Commedans toute crise, il y a un bouleversement intérieur, une exacerbation de lapathologie de l’individu, une mise en question des structures acquises, interneset externes, une régression à des ressources inemployées qu’il ne faut pas secontenter d’entrevoir mais dont il reste à se saisir1 et c’est la fabrication hâtived’un nouvel équilibre, ou c’est le dépassement créateur, ou, si la régression netrouve que du vide, c’est le risque d’une décompensation, d’un retrait de la vie,d’un refuge dans la maladie, voire d’un consentement à la mort, psychique ouphysique » (D. Anzieu, p. 19).

Si Elliot Jaques a travaillé sur la manière dont la crise du milieu de la vievient mettre en tension et au travail les angoisses dépressives et la positiondépressive, peut-être est-il pertinent de considérer cela plus globalement. Endécouvrant le travail de Hélène Deutsch sur la ménopause (1926), j’ai été inté-ressée par le parallèle qu’elle suggère entre la ménopause et l’adolescence. Cer-tes, elle en parle d’une part comme si la ménopause venait défaire les acquis del’adolescence, d’autre part comme si on pouvait reprendre un même chemine-ment à rebours. Mais son intuition me paraît riche lorsqu’elle suggère un lienentre la manière dont une femme vit sa ménopause et le vécu de sa puberté. Lemilieu de la vie offre, en effet, une occasion précieuse de remettre en chantierun remaniement qui a débuté à l’adolescence mais qui n’a pu alors se fairequ’en partie et qui gagne largement à être poursuivi.

« UNE GRAND-MÈRE TOUTE NEUVE EN ANALYSE »

À travers une deuxième illustration clinique, je voudrais explorer le travailpsychique d’une analysante à la naissance d’un troisième petit-fils. Autour dumoment de cette naissance, après un long travail sur sa problématique précoceet sa conflictualité adolescente, elle vit un grand amour. Supportant mieux sapulsionnalité, tant libidinale qu’agressive, elle me dit que, si elle avait vécu untel amour auparavant, elle n’aurait peut-être pas souhaité avoir un enfant.

À la faveur de la naissance de son petit-fils, l’infantile est fortement « re-convoqué ». Après avoir évoqué sa joie, l’analysante se remémore la naissance

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1. Mes italiques.

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de ses propres enfants, puis la naissance de ses petits frères et la jalousie qu’ellea pu ressentir à leur égard. La culpabilité prend alors rapidement le dessus, ellese reproche d’avoir été une mauvaise mère et imagine qu’elle ne sera qu’unegrand-mère insuffisamment disponible. Elle fait un lapsus, se dit « distant » et,s’entendant parler d’elle-même au masculin, ajoute : « Je ressens de la distance,parce que je n’ai quand même pas accouché de ce petit garçon. Mais c’estcomme si je ressentais dans ma tête toute l’implication et la responsabilité d’unefemme qui accouche. C’est comme deux bandes de couleur, l’une claire, l’autrebrun calme, sans effusion, sans bouillonnement. Et je me sens maintenant dansle côté brun calme, je suis séparée de la bande claire et mouvante... C’est gênanttout ça, quelque part en moi je prendrai bien la place de ma fille parce que jesaurai mieux faire qu’elle. »

Deux semaines plus tard, en s’allongeant sur le divan, elle me dit qu’elle setrouve si bien sur mon « canapé ». Il lui revient un rêve dans lequel elle sefigure enceinte, dans la famille de son gendre. Cette réactivation œdipienne, fré-quemment retrouvée, trouve ici une expression transférentielle : elle imagineque je pourrais connaître le père de son gendre. Elle exprime sa surprise :« Mais pourquoi enceinte ? Zut. J’ai coupé ça il y a très longtemps, ce désir jel’ai coupé... » Elle se reprend, étonnée : « En fait, j’en parle ces temps-ci avecmon mari actuel, un peu comme un jeu, comme si cela était encore possible. Jeregrette que cela ne le soit plus. Je n’ai pas connu le désir que naisse quelquechose d’un amour. Je regrette d’avoir dépassé l’âge que quelque chose naisse del’amour que je vis aujourd’hui... Même si ce n’est plus possible, j’ai pu le res-sentir une fois dans ma vie. »

Cette femme se vivait « sans âge, dans un monde sans différence de généra-tions », voire, il m’a longtemps semblé, sans différence des sexes. Lorsqu’elle estdevenue grand-mère pour la première fois, « une grand-mère toute neuve enanalyse », comme elle le disait, elle s’est sentie « naviguer à travers une tornaded’émotions ». La différence des générations a été remise en chantier. Elle a rêvéde sa grand-mère « archi-vieille, sortie de sa tombe mais toujours très impo-sante ». Elle avait associé : « Je me vois plus vieille, entrée dans le cercle desvieillards. Comment font-elles les autres grand-mères, celles qui ne sont pas enanalyse ?... Je voudrais que vous vous penchiez sur moi comme une mère sur sonenfant... Pourquoi devrais-je enterrer tout cela ? » À la faveur de la conjonctionde ces événements heureux et de son analyse, son organisation précédente estmise en crise. Affleurent des désirs, des fantasmes, des conflits, des mouvementsidentificatoires multiples.

Des limites, des pertes, des renoncements et des regains, les poètes en parlentbien mieux que nous. Je pense notamment à Regain de Giono et à la descriptionqu’il nous offre de son héros Panturle après un long cheminement fait de détache-

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ment, de renonciation, de réorganisation pulsionnelle et de labours, une évolu-tion qui a transformé une terre mère désertique et glacée en un terrain fertile,celui de la terre que Panturle travaille, mais aussi, et surtout, celui de son cœur.

« Alors, tout à coup, là, debout, il a appris la grande victoire.« Il lui a passé devant les yeux, l’image de la terre ancienne, renfrognée et poilue avec sesaigres genêts et ses herbes en couteau. Il a connu d’un coup, cette lande terrible qu’ilétait, lui, large ouvert au grand vent enragé, à toutes ces choses qu’on ne peut combattresans l’aide de la vie.« Il est debout devant ses champs. Il a ses grands pantalons de velours brun, à côtes, ilsemble vêtu avec un morceau de ses labours. (...)« Il est solidement enfoncé dans la terre comme une colonne. »

J’aime à penser qu’à la solidité et à l’ancrage du sujet au milieu de la viecontribue aussi la tolérance à l’angoisse et au doute, tolérance que Winnicott(1935) relie à la capacité accrue du sujet de faire avec sa réalité intérieure.

Nathalie Zilkha5, chemin de Malombré

1206 GenèveSuisse

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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