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SAMEDI 28 JUIN 2014 LE JOURNAL DU JURA

RIFFS HIFI 27

ANGE Périple sur la trace des fées dans la patrie du mythique groupe français

Où Décamps fait prendre uncoup de jeune à Emile Jacotey

PIERRE-YVES THEURILLAT

C’est dans la vallée du Breu-chin, dans le village de Saint-Bresson, à la «Principauté» de laNoiseraie comme il l’appelle,une magnifique ferme de pierreet sa maison, que Christian Dé-campsnousfait leplaisirdel’invi-tationpourunepassionnanteen-trevue. A une poignée deminutes d’un concert qui feradate dans les mémoires. La 11eConvention du Fan’s Clubd’Ange, «Unpieddans lamarge»qu’ils s’appellent, regroupera900personnes sous un chapiteau decirque, avides de découvrir lenouvel album d’Ange in vivo, unalbum recréant l’univers d’EmileJacotey, «le petit vieux de tous lestemps», sous le titre d’«Emile Ja-coteyRésurrection».

Passion intacteQuarante ans séparent les deux

productions. Quelles différen-ces?«Il y amoins de cette folie quetu ne contrôles pas, comme lorsquej’étais un jeune chanteur!» an-nonce d’emblée Décamps, quipeut bien avoir définitivementgagné le professionnalisme quifaisait tant défaut autour de luiendeuxgénérationspleinesd’in-fatigables aventures, lui interdi-sant ainsi qu’à Ange, sans doutemalgré lui-même, la porte, l’ac-cès auPanthéon, celui d’une«re-connaissance pour toujours». Carla vie d’artiste reste dur métier.Fort heureusement, la passionest là, intacte.

PhilosophieL’amour lumineux aussi, que sa

simple présence permet. «On aenregistré ici, à la Noiseraie, enhuis clos.C’est lebatteurqui l’apro-duit, mais on a fait l’album ensem-ble», dit-il. Alors oui, il ne cachepas des divergences parfois, aucœur du groupe, mais corrige:«Iln’yapasdenon-dits entrenous,et nous savons que nous avons faitun bel album!» Humbles petitsFrançais, se targuant d’une évi-dence vis-à-vis de la lointaineAmérique:«Onaplusde légendesqu’eux», rigole le poète assoifféde vérités, qui estime que son

meilleur tube, dans le fond, c’estsa carrière tout entière. «Le tra-vail sur cet album est assez expéri-mental, d’une belle modernité.C’est cela qu’on a voulu rendre, etpas du copier-coller. Une nouvellefloraison, plutôt. King Crimsonnous inspirait à l’époque, au-jourd’hui ce serait plutôt SigurRõs,les Islandais.Onaaimécemélangede sonde claviers, ces fréquences eteffets mêlés, comme mélangerl’harmonium d’il y a deux siècles

avec la technodemaintenant.Pourmoi, l’intemporalité, c’est l’avenir!»Et le petit Christian, du haut deses 68 balais, a pris du grade enhumilité.Avant, c’était lui-mêmele philosophe.Mais dans ses pro-posdu jour, il enciteunautre,uncertain Johnny Hallyday: «Lamode, c’est ce qui se démode le plussouvent!» Il le dit en ricanantcomme un gosse fier de ses bêti-ses. L’irrespect n’est cependantpas le fort du bonhomme, car sareconnaissance pour le travaildesgensqu’ilapprécieestsponta-née, directe.

Docu filméOn parle clips, productions in-

teractives, lots d’aujourd’hui:«Notreclip,àAnge,c’est lascène!»,précise-t-il. Ilyabienpourtantceprojet de faire un filmdocumen-taire «à la Arte», tourné danscettebelle campagnedeLuxeuil-les-Bains.Undécorcampagnard,justement, qui sied toujours àAnge, et à Christian Décamps,son incarnation vivante, lui quivit là autour, dans ce «pays auxmille étangs». Un documentairedevrait donc être édité prochai-nement, réalisé en captation parune équipe hollandaise. «Avec

Emile Jacotey, on a fait d’un ano-nyme une célébrité, plus populaireque l’abbé Pierre!», poursuit-il.Avant la résurrection du pèreEmile, il y a bien eu «Moyen-Age», l’avant-dernier albumd’une longue liste: «Un astéroïdefantôme, un fossé… le précurseurd’une renaissance!», comme enparle l’auteur des mythiques«Au-delà du délire» et «Guet-Apens». Le collègue Brenz ques-tionne le patriarche. Cette idée

de ressusciter «Emile Jacotey»en a fait médire plus d’un, c’estvrai….«Ilyauratoujoursdes inté-gristes», renvoie le chanteur. «En1974, on m’avait dit qu’on ne tou-chaitpasàBrel, ceque j’avaispour-tant fait.» Et, dans l’ordre de samémoire, il continue: «Mais lanostalgie n’a rien de bon. C’est unesouched’arbre, çan’avancepas!Lavie?C’est vivredans l’irréel. En réa-lité, on n’existe pas. C’est un par-cours. Le temps? Un cycle natureljusqu’à la vieillesse.Naître–Paraî-tre – Disparaître…» Voilà latriade.

Médias... boliquesChristian Décamps évoque le

monde médiatique: «Les médiasgèrent l’âme des gens, ils les tien-nent!», s’en désole-t-il. Et depoursuivre,à l’attentioncette foisdes promoteurs musicaux:«Chez nous, il y a le concept desscènes demusiques actuelles. De laprogrammation sectaire. On net’ouvre pas les portes, on te blo-que!» Ironie du sort, alors que leband a écumé toutes les scènesde France et deNavarre? Lui saitqu’il n’y a pas que des gens del’Est français composant son pu-blic. Quelques individus sont

aussi venus de Belgique, deSuisse, d’Angleterre, etmêmeduJapon.Une terre insulaire que le

groupe Ange a eu le bonheur defouler, en marge de la tournéedes40ansd’existencedugroupe,les quarantièmes rugissants:«Les anniversaires, comme les en-terrements, çaaide toujours, oui…LeJaponaétéuneexpérience com-plètement prolifique. Pas d’embou-teillages, une circulation fluide. Cepays est un paradoxe vivant… Cesont des individualistes-commu-nautaristes qui ne jugent pas lesautres. Et puis, quelle courtoisie...»

PolitiqueMarié pour la troisième fois en

une existence passablement ri-che à ce titre, à force de vénérerl’AmouravecungrandA, il parti-cipe de loin à la vie villageoise,politique.Regardela télé.«Enpo-litique, dit-il en citant un illustreinconnu, dire la vérité, c’est chan-ger de mensonge!» Et d’ajouter:«Ils ont envie de déclencher unconflit mondial, tu le sens!» Et depourfendre le grand bla-bla queconstitue lamontée duFront na-tional dans son pays… «Alorsqu’il y a eu 60% d’abstention lorsdes dernières élections et qu’ils ontperdu 10%!»nargue-t-il.

Infatigable créateurMais quant à lui-même sur le-

quel il revient, il entend bienfaire ce métier d’artiste jusqu’aubout, «jusqu’à ce que mon physi-que ne me le permette plus»,comme il aime à le dire d’unerencontre journalistique à uneautre, laissant son fils Tristan li-bre de continuer ou non l’aven-ture Ange, messager entre Dieuet leshommes.Pour lui, unvaga-bond, plutôt. Ses errances, l’au-teur les confine dans divers al-bumsetpublications.Commeceprojet qu’il intitule délicieuse-ment «Poivre et Seul».Alors qu’il confie volontiers ces

quelques pensées fleuries d’hu-manité, la tension monte per-ceptiblement. Elle trouvera solu-tion dans l’accomplissementscénique qui suivra.On y arrive!

CÉLESTE HARMONIE

Cet Ange ne passera jamaisPIERRE-ALAIN BRENZIKOFER

Etdirequ’ilaurafallucetteesca-pade à Saint-Bresson, sorte deChampoz niché entre Haute-Saône et ligne bleue des Vosges,pour que l’évidence nous re-vienne telle un boomerang.Oui,Ange restera dans l’histoirecomme le groupe de la Franceprofonde. Celle des provinces,comme on disait quand les roisrégnaient à la placedeHollande.Et quand bien même le gang deChristianDécamps a venduplusde 3 millions d’albums dans cesseventies héroïques, soulevé les30 000 spectateurs de Reading,tout en déflorant l’Hexagone, leparisianisme épistolaire s’esttoujourspincé lenezàsonévoca-tion. Comme si ces ruraux, por-teurs de médiévaleurs toujoursactuelles, puaient des pieds.

La recette de PanoramixEt pourtant, Christian Dé-

camps, vieux druide surfant surles modes, possède toujours larecette de Panoramix. Celle quirendsesvers invincibleset truffésde légendes. Christian Dé-camps, donc, leader d’un combosingulièrement rajeuni, quinousa fait les honneurs de sa fermejuchée sur les hauts de Saint-Bresson, justement. A défaut debotter dans le ballon de Billy, ona véritablement cheminé sur latrace des fées. Et sur cellesd’Emile Jacotey, à l’origine dumythique album éponyme toutjuste sorti voilà 40 ans. Un vieuxmaréchal-ferrant. «Le petitvieux de tous les temps», plutôt,que le groupe a décidé de ressus-citer par le biais d’«Emile Jaco-tey Résurrection». Une puremerveille, c’est le moins qu’onpuisseécrire.Tous les titresorigi-nels magnifiés, plus quatre nou-veaux morceaux du même cali-bre?

La fête à EmileLa sortie de l’album coïncidait

justement avec les deux pre-miers concertsde la tournéediteJacotey.«La fêteàEmile»,queças’appelait. Soit deux gigs mythi-ques organisés deux jours desuite à Saint-Bresson sous chapi-teau. L’occasion de voir commu-nier chaque soir presque 1000pèlerins accourus de toute laFrance forcément profonde. Pasvraiment jeunes, certes,mais ar-borant souvent le célèbre béretde l’Emileet leT-shirtgravépourl’occasion.C’est qu’Angepeut compter sur

un noyau de fans incondition-nels, réunis au sein de l’associa-tion «Un pied dans la marge».Ce sont eux qui financent les al-

bums, notamment. Une gardedu feu ma foi très efficace, ausein de laquelle on trouve sou-ventM.lemaireet le sous-préfet,comme le chantait Trenet. Sûre-ment le notaire, aussi, et,commeàSaint-Bresson, leprési-dent du Conseil régional. Oui,une famille dans toute l’accep-tion du terme.

Le Graal, tout simplementAssister à un concert d’Ange

dans son fief, c’est un peucomme palper le Graal. Frus-trant, certes, quand on consi-dère que cette formation, qui atoujours l’estimedes géants de lagalaxie prog anglaise, doit jouerles galériens pour subsister.Avant l’arrivée sur scène des hé-ros,«Unpieddanslamarge»et letout puissant Comité des fêtesde Saint-Bresson avaient bienfait les choses. Balade initiatiquesur la trace des fées, lâcher du fa-meux ballon de Billy, ambiancemédiévale et dédicaces de PhilUmbdenstock, historique dessi-nateur des pochettes? Là-haut,l’Emile a dû apprécier. Toutcomme son fils René, assis aupremier rang et portant fière-ment ses plus que 80 balais.Son père, c’est celui qui avait

raconté à Christian Décampstoutesces légendesdejadisquelamémoire collective peine à con-server. Heureusement, il y aAnge.Apart leprécité, les autresmusiciens originels se sont cas-sés.Marrededevoirmangerdelavache enragée, pour faire sim-ple. Mais quelle relève! En plusdu survolté fiston Tristan, quiremplace très avantageusementl’oncle Francis aux claviers, leguitariste Hassan Hadji a quel-que chose en lui de Jeff Beck. Etque dire de la section rythmi-que? Thierry Sidhoum, le bas-siste, et Ben Cazzulini, le juvé-nile batteur, assurent un soutienlittéralement infernal. Et puis, ily a forcément le père. Toujoursaussi charismatique, le Chris-tian.Possédéseraitdépréciateur,inspiré au-dessous de la réalité.

Parfum d’éternitéEt quelle jouissance que de re-

découvrir ces hymnes éternelscomme «Les noces», «Le mar-chand de planètes», «Aurélia»et évidemment «Ode à Emile»magnifiésparungangdont leni-veaumusical est sans pareil dansl’Hexagone d’aujourd’hui. Unappel du pied pour Le Chant duGros? Après tout, rien ne res-semble plus à l’esprit du Jurasuisse que celui de son homolo-gue français.Non, cet Ange-là ne passera ja-

mais!

●«King Crimson nous inspirait àl’époque. Aujourd’hui, ce seraitplutôt Sigur Rõs, les Islandais.»CHRISTIAN DÉCAMPS CHANTEUR DU GROUPE FRANÇAIS ANGE

Décamps père et fils jouant «Parallèles amoureuses» lors de la Convention du Fan’s Club d’Ange. Le JDJ était de la partie. MARC PAYGNARD-LDD

Ange au complet a le sourire au terme du concert. JERÔME TAVEL-LDD

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