LA BAUXITE de la SAINTE-BAUME
INTRODUCTION
La bauxite est un minerai daluminium que le chimiste Berthier, en 1821,
alors la recherche de minerai de fer pour le compte d'une socit
lyonnaise, dcouvrit prs du village des Baux-en-Provence. C'est une
roche de couleur rouge qu'il baptisa Bauxite, en rfrence au lieu de la
dcouverte. Lexploitation de la bauxite en France a dbut en 1873
autour du bassin de Brignoles et sest teinte en 1990. Jusquen 1939, la
France sera le premier producteur mondial dalumine, celle-ci tant
utilise pour la fabrication de laluminium par diffrents procds
chimiques, tels que ceux encore utiliss rcemment par lusine Pechiney
de Gardanne.
On compte plus de 24 concessions de Bauxite en rgion PACA, dont la
plupart sont concentres dans le bassin de Brignoles qui contient plusieurs
gros gisements dont celui de Mazaugues qui nous intresse plus
particulirement. Il existe aussi des petites poches de bauxite en
contrebas de la chane de la Sainte Baume, certaines ont t exploites
de faon artisanale.
La bauxite de Mazaugues (et plus gnralement de Provence) est de type
karstique (le nom 'karst' dsigne un rseau souterrain de rivires et de
galeries dans un massif calcaire). Contrairement aux gisements de Bauxite
latritique qui reprsente plus de 85% des gisements mondiaux, elle
repose sur une surface irrgulire, de morphologie karstique creuse dans
des calcaires ou des dolomies. Elle sest forme au Crtac moyen (Albien
suprieur-Cnomanien infrieur), la Provence possdait alors un climat
chaud et humide de type tropical. Nous verrons quil existe dautres
facteurs qui rentrent en jeu dans le processus de formation de la bauxite,
et que chaque gisement a une histoire gologique qui lui est propre. Nous
verrons aussi quessayer de reconstituer toutes les tapes de la gense
de la bauxite revient retracer en grande partie, lhistoire gologique de
la Provence.
1-HISTORIQUE DES EXPLOITATIONS
Les premires extractions de bauxite ont eu lieu dans la rgion dAuriol
vers 1860. La vritable exploitation de la bauxite provenale ne dbutera
qu'en 1873 aprs la dcouverte du site de Cabasse dans le Var, par le
gologue Daubre. Lexploitation stend rapidement autour de Brignoles
entre le bassin Ouest dont fait partie Mazaugues, et le bassin Est qui
s'tend du Val au Cannet des Maures. Cest lexploitation du bassin Est, le
plus important des deux, qui va faire de la France, le premier producteur
mondial de bauxite jusqu la deuxime guerre mondiale.
Le monopole de lextraction est attribu en 1895 lUnion des Bauxites,
filiale de la British Aluminium Company pour 10 ans. La moiti de la
production est envoye vers lAllemagne, lAngleterre, la Russie ou
lAutriche par le port de St Raphael, puis par celui de Toulon jusquaux
annes 1960. Lautre moiti de la production est traite proximit dans
les usines de Gardanne/Pechiney (1894) et de Marseille (la Barasse en
1908, Saint Louis des Aygalades en 1909). En 1914, la Provence produit
300000 tonnes de bauxite. LUnion des Bauxites est rapidement
concurrence par plusieurs filiales de grands groupes internationaux, dont
notamment le groupe germano-suisse Les Bauxites de France, arriv en
1905 qui acquit un des plus gros gisement: celui de Recoux entre le
Thoronet et le Cannet. Vint ensuite larrive massive de grosses socits
telles que Ugine, Lafarge et les Bauxites du Midi. La production passe
545000 tonnes en 1939.
Malgr une production de plus d1 million de tonnes en 1950 et de 2
millions en 1965, la production du bassin varois va devenir marginale face
la dcouverte dnormes gisements pendant la seconde guerre
notamment en Afrique et en Australie. La bauxite trangre arrive sur le
march franais des prix infrieurs, pour le plus grand bnfice de
lusine de Gardanne dont le premier convoi en provenance dAustralie
arrive en 1967, puis de Guine en 1972. Cependant, les mines varoises
squipent progressivement dengins mcaniss pour les carrires comme
des pelles, des chargeuses, des dumpers.La productivit passe de 2
millions 17 millions de tonnes par homme entre 1965 et 1970. La
bauxite emploie plus de 1000 personnes. Mais lavenir des mines reste
incertain face lpuisement des ressources et la concurrence
trangre. La mort programme du bassin et la crise mondiale vont crer
soulvements et grves, provoquant ainsi un ralentissement de la
production qui la chutera 1,6 millions de tonnes en 1975, puis moins
d1 million en 1985. Les bassins les moins rentables seront ferms, puis
les mines du bassin Ouest dont celle de Mazaugues. Cest en 1989 que
cessera la dernire exploitation, celle de la mine de Doze, prs de Cabasse
dans le bassin Est de Brignoles, laissant les collines dans un tat dvast
et pour la plupart non ramnages (Arnaud, 2003).
2 LOCALISATION DES GISEMENTS
Le principal gisement de bauxite du pays de la sainte Baume se trouve
dans les environs de Mazaugues. Le site de Mazaugues est parsem de
galeries en damier constituant un gigantesque labyrinthe (figure 1 et 2)
dont l'accs est interdit, le danger de s'y perdre tant bien rel. Les
galeries de mines recoupent en outre maintes fois un rseau karstique
trs dvelopp (plusieurs kilomtres), le rseau Sabre, que seuls des
splologues avertis peuvent parcourir. Ce rseau karstique, et par
consquent les galeries de mines auxquelles il est connect, recoupe
d'autre part plusieurs rivires souterraines alimentant le Caramy et
devient facilement inondable lors de forte pluie.
La couche de bauxite de ce gisement est recouverte dune vingtaine de
mtres de calcaire blanc pais (figure 3). La prsence de terrils (voir
figure 4) atteste de l'ancienne exploitation du minerai.
En plus du gisement de Mazaugues, d'autres poches de bauxite de
dimensions plus modestes sont parpilles sur le flanc Nord de la Sainte
Baume. Sur la route entre Nans-les-Pins et le Plan d'Aups, on peut
remarquer au dtour d'un virage, un affleurement de bauxite d environ 2
m d paisseur qui vient d'tre retaille pour largir certains virages
dangereux. Cette fine couche a fait l objet d une petite exploitation
artisanale (figure 5,6,7 et 8).
3- MINERALOGIE ET GENESE
La bauxite est une roche de couleur jaune rouge, sdimentaire ou
rsiduelle, compose essentiellement d'alumine (Al2O4), d'oxydes ferriques
et de divers minraux argileux ou titans. La couleur dpend directement
de la quantit relative de ces composants. Gnralement, plus il y a de
fer, plus la bauxite sera rouge. La bauxite du Var est peu riche en fer, mais
trs riche en aluminium comme on peut le constater dans le tableau ci-
dessous.
SiO2 Al2O4 Fe2O3 TiO2 CaO MgO H2O
% 5,2 72,7 1,6 0,8 0,6 2 16,2
Tableau 1 : composition chimique des principaux oxydes d une bauxite du
Var (Albin, 2001).
La bauxite contient des pisolithes, qui sont des boules de diamtre
suprieur 2 millimtres, de couleur sombre. La formation des pisolithes
est complexe et rsulte gnralement de l'accrtion de cristaux
mtalliques autour d'un noyau initial. Ce phnomne se produit
vraisemblablement grce une activit bactrienne (c'est le cas des
pisolithes actuels, figure 10), dans des palosols qui conduisent ensuite a
la formation de bauxite. La formation (ou gense) et la classification des
bauxites sont aujourd'hui encore sujets de nombreux dbats.
On distingue gnralement :
- Les bauxites latritiques (dites aussi autochtones, ou primaires), qui
sont formes directement sur la roche mre par altration in situ de
roches silicates alumineuses sous un climat tropicale humide par
lessivage qui a pour consquence la concentration sur place des lments
lourds mtalliques dont le fer et laluminium.. La France est dpourvue de
ce type de bauxite.
- Les bauxites karstiques (dites aussi allochtones, ou secondaire), la
roche mre initiale riche en alumine (roche cristalline, marne ou argile
kaolinique) ne provient pas de lendroit mme o sest forme la bauxite.
Les altrites (provenant de la roche mre une fois exonde et altre)
proviennent de roches voisines et ont t transports et disperss dans les
bassins sdimentaires voisins (allochtonie relative). Dans le cas de la
bauxite provenale, certains auteurs proposent galement une origine des
altrites riche en alumine beaucoup plus loignes (allochtonie absolue).
Ils suggrent que ces matriaux soient issu du lessivage de sols cristallins
en provenance du massif des maures, du massif Pyrno Corso-Sarde
(quasiment disparu aujourd'hui) voir mme du massif central.
Dans les dernires publications sur la bauxite provenale, il est dmontr
que les altrites ne sont pas transportes, mais voluent sur place dans le
karst partir de laltration du mur ou partir dune couche argileuse
kaolinique qui, elle, a t transporte (exemple de la bauxite des Baux).
Autrement dit, le profil bauxitique se ralise sur place et les seuls
dplacements de matriaux altrs se font lintrieur du karst par
soutirage, effondrement du mur, etc.
Lorsque les conditions de drainage et de protection ont t
optimales, lapparition et la conservation des hydroxydes dalumine a pu
tre possible, sans pour autant que ce soit une tape obligatoire. Ainsi,
chaque district porte une ligne daltrites qui lui est propre. De mme,
chaque gisement reprsente un stade plus ou moins avanc de lvolution
entre un ple kaolinique (altrite de base) et un ple bauxitique (stade
dvolution final). La bauxite est pige dans l'pikarst, c'est dire toutes
les formes superficielles du karst: dolines, lapiaz, cuvettes, diaclases,
...Parfois elle est entrane par les eaux de pluie l'intrieur mme du
karst o elle est remobilise dans les remplissages et les splothmes.
Il est important de retenir que de nombreux facteurs rgissent la
gense des bauxites (nature de la roche mre, morphologie du substrat,
succession de phases climatiques, volution structurale, etc) et quainsi,
chaque gisement de bauxite de karst a sa propre histoire gologique.
Mme si aujourdhui lactivit minire de la bauxite en Provence a disparu,
la complexit de sa formation continue encore aujourdhui dintriguer les
scientifiques. La bauxite na donc pas encore fini de rvler tous ses
secrets
4- STRATIGRAPHIE DES GISEMENTS
Pour les mineurs, puis par extension pour les gologues, les termes
antagonistes 'mur' et 'toit', relatifs une formation exploite, dsignent
respectivement la surface infrieure (le terrain immdiatement en
dessous) et la surface suprieure (le terrain immdiatement en dessus) de
la formation.
A Mazaugues, le mur est constitu de calcaires dolomitiques du
jurassique suprieur (Portlandien / Kimmridgien) d'environ 150 millions
d'annes (figure 9). Parfois la premire poque du Crtac, le Valanginien,
existe sous forme de lentilles. Plus la surface du mur est irrgulire et
karstifie, plus les poches qui contiennent la bauxite sont grandes et plus
la taille des gisements est importante. La cuvette de Mazaugues,
dallongement Est-Ouest, mesure plus de 30 km de long et quelques
kilomtres de large (Albin, 2001). Dans cette cuvette reposent des poches
plus ou moins isoles les unes des autres, circulaires ou elliptiques,
profondment karstifies, qui peuvent dpasser 50 mtres d'paisseur,
mais dextension latrale limite (de quelques mtres une centaine de
mtre).
Le toit est un calcaire massif de couleur gris clair, dune vingtaine de
mtres dpaisseur, riche en Rudistes et en coquillages benthiques dge
Coniacien (Philip, 1970). Entre la bauxite et le toit calcaire, on trouve
souvent sur le massif de la Sainte-Baume, une couche noirtre riche en
matire organique (facies charbonneux), plus particulirement enrichie en
Lamellibranches dge Turonien suprieur (90 Ma). Mme si ce toit gne
grandement par sa duret lexploitation de la bauxite, obligeant souvent
les exploitants creuser des galeries souterraines, comme cest le cas
Mazaugues, il joue un rle fondamental pour prserver des gisements
potentiels de lrosion.
Figure 9 : Coupe schmatique du gisement de Mazaugues
(daprs Albin, 2001).
Turonien suprieur facies charbonneux Santonien greso-argileux
Coniacien calcaire Rudistes Bauxite (paisseur x10) charbonneux
Jurassique suprieur dolomitique
Figure 10 : Texture pisolitique de la Bauxite du pays de la Ste Baume.
5-INTERPRETATION GEOLOGIQUE: LE RELIEF PROVENCAL DE
L'ERE SECONDAIRE
Nous avons vu plus haut, que le mur qui contient la bauxite est
constitu de couches calcaires du jurassique suprieur (Portlandien). A
cette poque, une grande plateforme carbonate sinstalle
progressivement en Provence dans une mer chaude et vraisemblablement
peu profonde. Le toit de la formation bauxitique est lui dge Turonien
suprieur. Or, entre le Portlandien et le Turonien, il devrait y avoir 50 Ma
de roches calcaires couvrant les poques du Crtac infrieur au moins.
C'est ce que les gologues appellent 'une lacune sdimentaire'.
Comment interprter cette lacune? Il n'y a que deux solutions
possibles: soit les roches du crtac infrieur n'ont pas exist l o il y a
la bauxite, soit elles ont t enleves. La ralit, comme nous allons le
voir, est un compromis. Remarquons d'abord que la premire solution est
quivalente au non dpt des roches , et donc au fait que le sol est
hors de l'eau, exond. La deuxime solution, ne peut tre conscutive
qu' des phnomnes d'rosion, et donc encore une fois sur un sol
exond.
De faon plus gnrale, on sait que dans la rgion de Marseille, la
srie stratigraphique prsente des variations dpaisseurs partir du
Crtac inferieur, certains niveaux faisant dfaut. Ces anomalies ne sont
pas dues uniquement une absence locale de dpt, mais aussi une
rosion conscutive des dformations intervenues aprs ces dpts
entre lAlbien et le Cnomanien inferieur. Cette lacune, qui correspond
un biseau drosion, est de plus en plus importante vers le Nord-Est de la
rgion de Marseille (figure 11). A lpoque, dassez vastes territoires ont
t mergs en Provence, et la formation de la bauxite dans des vides
karstiques en est une preuve irrfutable. Le sol tait dj dform par des
bauches de plis qui sont la consquence directe de ce que lon appelle le
bombement durancien (Philip, 1970). Il s agit d un soulvement de
l'corce terrestre conscutif au rapprochement des continents africain et
europen, qui eut lieu dans une fourchette allant de 108 93 millions
d'annes, dans la mer alpine (dpendante de Tthys) qui recouvrait la
Provence d'alors.
Figure 11 : Biseau drosion du Crtac moyen : passage de la srie complte
au Sud Ouest la srie rduite au Nord-Est. La lacune est souligne par la
bauxite (daprs Guieu et al, 2008).
C'est ainsi que les roches du crtac infrieur ont t rodes,
karstifies et ventuellement remplies de bauxite.
Concluons par un dernier petit vnement gologique reli la
bauxite. Nous avons vu plus haut que le toit qui recouvre la bauxite de
Mazaugues est compos de facies charbonneux d ge Turonien et de
calcaire dge Coniacien (voir figure 7). C'est le signe dun retour
progressif de la mer. Les facies charbonneux laguno-saumtres
constituent la premire tape de la transgression sur la bauxite venant
cacheter le minerai. Au dbut, il y a des zones locales dapprofondissement et des aires de rivage ou de non dpt. Les
transgressions ne sont pas franchement gnralises. Les calcaires
rudistes stablissent ensuite dbordant en certains endroits le Turonien,
lequel sest gnralement dpos dans les creux de la palotopographie
bauxitique. De la fin du Turonien et jusqu' la fin du Santonien, la mer
arrivera recouvrir les formations bauxitiques de Mazaugues. Il s'y
installera une vie rcifale dans une eau chaude et peu profonde comme en
tmoigne la prsence abondante des Rudistes.
BIBLIOGRAPHIE
- ALBIN M. (2001), Dictionnaire des roches et minraux.
Encyclopaedia universalis, pp.74-85.
- ARNAUD C. et GUILLON J.M. (2003), Les Gueules Rouges, un
sicle de bauxite dans le Var. 1e dition CDDP du Var, 1989 et
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Var.
- GUIEU G., RICOUR J., ROUIRE J. PHILIP J., MONTEAU R.
(2008), Dcouverte Gologique de Marseille et de son
environnement montagneux, 2e dition. Editions Jeanne Laffitte
Marseille. 224 p.
- PHILIP J. (1970), Les formations calcaires rudistes du
Crtac suprieur provenal et rhodanien. Thse Doctorat d'Etat,
Marseille, 438 p.
Pour en savoir plus
- Cartes gologiques de la France 1/50000, Aubagne-
Marseille, Cuers, BRGM.
- GOUVERNET C., GUIEU G., ROUSSET C., Guides gologiques
rgionaux, Provence, Masson.
- LAVILLE P. (1981), La formation bauxitique provenale.
Squence des facis chimiques et paleomorphologie Crtac.
Chronique de la recherche minire, Centre dtudes gologiques et
minires (C.E.G.M.), n 461, pp.5168.
- TRIAT J.M. (1982), Pierres utiles de Provence, Cahiers de
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