1. COURS DE PHILOSOPHIE Pour toutes les sections de
lenseignement secondaire Albert MENDIRI
2. 2
3. 3 COURS DE PHILOSOPHIE Pour toutes les sections de
lenseignement secondaire Albert MENDIRI Professeur agrg de
philosophie a
4. 4
5. 5 AVANT-PROPOS Ce cours de philosophie est destin tous les
lycens de classes terminales, quelle que soit leur section, L, ES,
S, sections technologiques. Il et t plus opportun ou tout le moins
plus adapt de prvoir un cours spcifique pour chacune de ces
sections. Mais ignorant laccueil qui serait rserv ce genre de
production solitaire, non sollicit par une maison ddition et dont
le mode dexposition ne rpondait gure aux normes habituelles de ce
type douvrage depuis quelques dcennies, lentreprise aurait t trop
risque. En effet, la quasi totalit des manuels de philosophie se
prsente davantage comme des recueils de textes choisis que comme
des cours en bonne et due forme. Certes, ils contiennent presque
tous des introductions plus ou moins toffes pour chacun de leurs
chapitres, ces dernires se voyant ingalement accessibles la moyenne
des lves des classes concernes. Mais les textes illustrant ces
introductions ne sont pas intgrs aux cours eux-mmes, mme si la
plupart du temps ils y renvoient, et sont rarement accompagns par
des commentaires suffisamment clairants. Notre exprience de
lenseignement nous a confirm que ces manuels pouvaient tre, au
mieux, de bons outils de travail en classe mais quils ne
remplissaient aucunement la fonction dun vritable manuel, savoir la
possibilit dtre un recours pour le lycen ayant mal compris un cours
ou bien pour des familles dsirant apporter une aide leurs enfants.
Or, cette fonction du manuel, oublie aujourdhui dans le cadre de
ldition habituelle, influence en cela par les modes pdagogiques
officielles et dominantes, nous semble capitale dun point de vue
dmocratique. Nous rpondons ce titre aux proccupations
vigoureusement proclames par Condorcet en son temps. Car la
vritable cole prive nest pas linstitution officielle laquelle on
prte cette appellation, mais les cours individuels, privs, rmunrs,
gnralement rservs ce titre aux familles les plus aises, de surcrot
souvent de manire non dclare au fisc, ce qui ne fait dailleurs quen
aggraver le caractre anti-dmocratique. Tel est le premier objectif
de cet ouvrage. Cest assurment le plus noble et le plus urgent. De
manire plus immodeste, nous pensons quil peut tre, avant quils ne
tracent leurs propres sillons, une bonne base de travail ou une
source de repres utiles pour de jeunes collgues, riches de leur
culture universitaire, mais pauvres de leur indigence en termes de
formation pdagogique et ignorant par l mme le niveau exigible auprs
dun jeune public. Certes, ce cours ne se prsente pas comme un
paradigme et encore moins comme une norme destine tre suivie
aveuglment. Tous les enseignants savent, et ceci, sans doute, plus
particulirement lorsquil sagit de philosophie, combien un cours
quelconque revt un caractre personnel, porte la marque de
prfrences, de conceptions, de choix minemment subjectifs. Qui ne
voit combien cest ici le cas concernant les regroupements des thmes
oprs, leur enchanement, le dtail des questions abordes pour chacun
deux, le choix des propositions de sujets, les conseils
mthodologiques ou bibliographiques ainsi que la dmarche adopte
?
6. 6 Ajoutons qu limage de la plupart des enseignants, son
auteur na eu de cesse de remanier chaque anne les cours proposs
tout au long de sa longue carrire. Ce cours nest donc quun des
derniers avatars de tous ces remaniements successifs. Il et t publi
il y a quelques annes ou dans un futur proche, son contenu et t
diffrent, non pas dans son armature gnrale mais dans de multiples
dtails qui, regroups, lui donneraient une tonalit diffrente. A cet
gard, il est possible de faire un rapprochement entre la cration
dune uvre dart et llaboration dun cours de philosophie. Tous deux
sont des crations uniques, dun auteur unique, ralis dans des
circonstances uniques. Mme si leur ralisation respective est
sous-tendue par la rflexion la plus rigoureuse, luvre acheve porte
la marque de ces multiples singularits contingentes. Mais au-del de
cet aspect vivant et donc volutif que peut revtir un cours, demeure
cependant une certaine disposition desprit qui en guide les
changements effectus ou seulement potentiels. Nombre de puristes
souligneront le caractre excessivement simplifi de telle ou telle
analyse, de telle ou telle dfinition, de telle ou telle grande
conception dauteur, sans compter les quelques remarques
particulirement brves concernant lhistoire de la pense
philosophique. Il sagit l de choix dlibrs et revendiqus comme tels.
Nous nous sommes toujours refuss pratiquer un enseignement litiste,
centr sur les exigences les plus leves de la discipline enseigne,
sacrifiant sur lautel de ce rigorisme intellectuel les auditoires
auxquels ce discours se voit adress. Ce cours propos na de sens et
dintrt, en tant quexemple dune dmarche possible, un peu limage de
la morale provisoire de Descartes, qui se prsentait modestement
comme une philosophie provisoire de vie trs personnelle, que si
nous conservons en tte les objectifs qui ont guid sa conception :
en premier lieu, il sagit de susciter lintrt ou de rveiller la
capacit dtonnement de jeunes esprits pour des questions quils nont
jamais eu loccasion daborder, tout au moins en ces termes ; en
second lieu et par corollaire en quelque sorte, dvelopper par ce
moyen leur esprit critique ; enfin, de manire plus prosaque clturer
le programme qui nous est propos. Lensemble de ces exigences claire
notre manire de prsenter ce cours, ses dimensions et son contenu.
Les textes choisis afin dillustrer ou de prolonger le propos sont
intgrs au sein mme de nos analyses, sont constitutifs part entire
de ce dernier. Lattention du lecteur concernant nos commentaires ou
les textes qui les accompagnent est sollicite par le soulignement
des passages importants, des expressions cls, permettant ainsi une
ventuelle lecture en diagonale ou favorisant des recherches rapides
dinformation. Ce cours tant destin lensemble des sections de
lenseignement secondaire, nous nous sommes permis dindiquer, en
exergue des sous-titres, ce qui, nos yeux et au regard des
instructions officielles nous semblait plus particulirement
correspondre au programme de telle ou telle section. Bien entendu,
et au risque de surprendre certains confrres philosophes, ce
contenu mrite dtre allg au niveau des notes effectivement conserves
par les auditoires. Le temps allou pour le traitement du programme
officiel et qui, rappelons-le, doit intgrer en sus de lanalyse de
ses notions, ltude, si possible non bcle puisque destine en premier
lieu aux lves le plus en difficult, dextraits de texte en vue de
lventuel second groupe dpreuves du baccalaurat, sans compter le
temps consacr aux questions mthodologiques, aux corrigs de devoirs
ou mme le temps dvolu la rdaction de certains dentre eux en classe,
doit prendre en compte tous ces impratifs, rduisant dautant les
ambitions concernant ltendue du contenu culturel quil est
raisonnablement possible de transmettre.
7. 7 Les documents regroups en annexe du cours ont pour
fonction dinformer les lycens sur le contenu officiel de leur
programme, de leurs conseiller quelques brves indications de
lecture de passages clbres de lhistoire de la philosophie, de
mettre leur disposition un vocabulaire simplifi et essentiel, de
leur rappeler quelques traits schmatiques de doctrines dauteurs en
se limitant celles que nous avons utilises et sur les seules
questions par lesquelles nous les avons abordes, enfin en leur
indiquant des conseils mthodologiques prcis concernant la rdaction
de leurs preuves crites ou la passation de leurs ventuelles preuves
orales, ponctuant le tout par lexpos des types de sujets pouvant
illustrer de manire significative les thmes traits et susceptibles,
sous des formes approches, de faire lobjet de leur preuve dexamen.
Bref, cet ouvrage propose non seulement un cours mais se veut
galement un outil de travail qui, nous lesprons, rpondra au mieux
aux attentes des jeunes auditoires, beaucoup plus ouverts aux
grandes questions philosophiques et leurs exigences, beaucoup plus
assoiffs de savoir et de dcouverte que nombre dans ne sont parfois
disposs ladmettre.
8. 8
9. 9 SOMMAIRE Avant-propos 5 Quest-ce que la philosophie ? 19 I
La nature de la philosophie 19 1- Tout homme possde une philosophie
spontane (L, ES, S, Tech.) 19 2- Philosophie spontane et
philosophie critique (L, ES, S, Tech.) 19 3- La naissance de la
philosophie et le rle de la raison (L, ES, S) 20 II Lutilit de la
philosophie 22 1- Lutilit de la philosophie dans la recherche de
notre bien (L, ES, S, Tech) 22 2- La philosophie comme besoin
spirituel, comme expression de la curiosit naturelle de lesprit (L)
24 Quest-ce que lhomme ? 27 I La conscience constitue-t-elle
loriginalit de lhomme ? (L, ES, S) 27 1- La conscience immdiate et
la conscience rflchie 27 2- Pourquoi refuse-t-on ordinairement la
conscience lanimal ? 28 Le psychisme animal 28 Loriginalit de la
conscience 29 3- Peut-on dfinir la conscience ? (L) 29 4-
Quentend-on exactement par la pense ? (L, ES, S, Tech.) 30 5- La
conscience est-elle la source dun statut mtaphysique privilgi de
lhomme ? (L) 30 II Lhomme est un tre culturel 32 1- Les relations
entre nature et culture (L, ES, S, Tech.) 32 Quentendre par nature
et culture ? 32 Quappelle-t-on instincts ? 33 Lintelligence comme
capacit dapprentissage 33 Il faut distinguer instincts et besoins
33 Lhomme ne devient homme quau contact des hommes 34 Il est
difficile de distinguer entre les influences respectives de lhrdit
et du milieu 35 La culture transfigure les besoins naturels 38
Lhomme a vocation se dpasser indfiniment 39 2- La culture
exclut-elle toute ide de nature humaine ? (L, Tech.) 39 Lhypothse
de ltat de nature 39
10. 10 Existe-t-il des prdispositions naturelles en matire de
comportement chez lhomme ? 41 Nature humaine et transcendance 43 Le
rationnel et le raisonnable 44 Le refus de la transcendance
conduit-il la ngation de la nature humaine ? 45 Lide de norme sur
les plans biologique, sociologique, moral (L) 46 Lhomme est un
mystre (L) 47 La question morale 49 I Loriginalit de linterrogation
morale (L, ES, S) 49 1- Espace public et espace priv 49 2- Lide de
valeur 49 3- La raison dtre ventuelle dune morale provisoire (L) 50
II Peut-on dgager une essence de la morale ? (L, ES, S) 53 1- Lacte
moral est dsintress 53 2- Lacte moral dsintress prend pour fin la
personne humaine 54 3- La raison, et non le sentiment, est la
source de lacte moral 55 4- Lintrt de la morale authentique 56 La
moralit rside dans lintention et non dans lacte 56 Le sujet moral
gagne son autonomie par rapport aux traditions 57 La morale
authentique est une garantie contre la barbarie 58 La raison morale
peut juger de la valeur des traditions 58 Morale et bonheur sont
deux finalits distinctes 58 III Les limites des analyses de Kant ou
les doutes concernant lautorit de la raison 59 1- Peut-on renoncer
toute forme dintrt ? (L) 59 2- La raison peut-elle rsoudre le
conflit des valeurs ? 59 Peut-on viter le conflit des valeurs ? (L,
ES, S, Tech.) 59 La charit comme fondement de la morale (L) 60 Le
refus de la transcendance ou lhomme condamn inventer des valeurs
(L, ES, S) 61 3- Lintrt peut-il tre un fondement de lacte moral ?
(L) 64 IV La morale confronte la philosophie du soupon (L) 66 1-
Quappelle-t-on philosophie du soupon ? 66 2- La morale est-elle
lexpression dune idologie, des intrts dune classe dominante ? 67 3-
Le procs de la morale ou la qute de la valeur de la valeur 68 La
morale est fonde sur lide artificielle dgalit (Callicls) 68 Il ny a
pas que la morale qui est un danger mais toute forme de vrit
(Nietzsche) 70
11. 11 Conscience de soi et connaissance de soi 72 I La
conscience est-elle la seule forme de psychisme ? (L, ES, S) 72 1-
Les enjeux de la critique de la valeur de la conscience 72 2- La
notion dinconscient 72 Son quivocit 72 Les expriences mettant en
vidence un inconscient psychique 73 Lapport spcifique de Freud : le
rle de la sexualit dans linconscient psychique 74 Les
manifestations de linconscient psychique 75 Les manifestations
pathologiques de linconscient psychique 76 3- Les implications
philosophiques de la thorie de linconscient psychique 77 Nous ne
nous connatrions pas 77 La conscience rgnerait mais ne gouvernerait
pas. 78 Linconscient psychique serait lorigine de la culture 79 II
Linconscient psychique : hypothse ou ralit ? (L, ES, S) 80 1-
Rappel de lintrt de cette notion dinconscient psychique 80 2- Les
interrogations philosophiques suscites par les thories de Freud 81
La critique de la notion de censure (Sartre) 81 Le prtendu
inconscient psychique ne serait jamais quun inconscient corporel
(Alain) 82 3- Les critiques de nature scientifique 83 Lefficacit
pratique de la psychanalyse en question 83 La psychanalyse ne peut
tre rfute, donc ce nest pas une science (Popper) 84 III Qui suis-je
? (L) 86 Lhomme est un tre de dsir 88 I Besoin et dsir (L, ES, S,
Tech) 88 1- Les besoins humains 88 Les besoins communs avec lanimal
88 Les besoins propres lhomme 88 Existe-t-il des besoins naturels ?
89 La notion de pauvret (ES) 89 2- Dsir et conscience 90 Le dsir
comme source de dpassement et de richesse 90 Le dsir comme source
dinsatisfaction et de nostalgie 91 Le dsir comme source de ngation
des valeurs et de dsenchantement (L) 91 Lambivalence du dsir (L) 92
3- Quelle attitude adopter face au dsir ? 92 Il convient de laisser
libre cours ses dsirs 92 Le dsir nest que souffrance. Il faut
lradiquer. 93 Le dsir na de lgitimit que si lintelligence tient le
gouvernail 94
12. 12 II Le dsir dtre reconnu au cur de la relation avec
autrui (L, ES) 96 1- Autrui est constitutif de mon humanit et de ma
singularit 96 Autrui est constitutif de mon humanit 96 Autrui est
constitutif de ma singularit 96 2- Les limites de la relation avec
autrui 97 La solitude irrductible de la subjectivit 97 La rsistance
dautrui ma volont et la tentation de la violence 98 3- Le dsir
est-il, par essence, de nature mimtique ? (L) 100 III Le dsir
ultime de lhomme : tre heureux (L, ES, S, Tech.) 101 1- La notion
de bonheur na de sens que pour lhomme adulte 101 2- Il ne faut pas
confondre le bonheur et lidal de vie 102 La plnitude dexistence 102
Les attitudes spcifiquement humaines face lexistence 102 La
satisfaction de ces attentes doit obir un certain nombre dexigences
104 3- Le bonheur nest pas li la ralisation de toutes mes
aspirations 106 4- Le bonheur est-il vraiment lobjectif poursuivi
par les hommes ? (L) 108 La libert du sujet : A-t-elle pour
fondement la volont ou le dsir ? 109 I Examen de la notion de
libert intrieure (L, ES, S, Tech.) 109 1- Libre-arbitre et libert
intrieure 109 2- Libert intrieure, indpendance et libert politique
110 II La libert intrieure en question 111 1- La remise en cause
radicale de lide mme de libert (L) 112 2- La remise en cause du
seul libre-arbitre (L, ES, S, Tech.) 114 III La proclamation de la
libert radicale 116 1- Le dterminisme ne ruine pas lide de libert
(L) 117 Le problme de la libert dans le cadre des sciences humaines
117 Loi morale et libert 119 2- Le libre-arbitre est une vidence et
la libert une libration (L, ES, S, Tech.) 120 Le libre-arbitre est
infini 120 La libert est une libration 121 3- Nous sommes condamns
la libert (L, ES, S, Tech.) 123
13. 13 La libration de lhomme face son environnement : la pense
symbolique et la technique 128 I Le langage, tmoignage de la pense
128 1- Les deux proprits essentielles du langage 128 Le caractre
conventionnel du langage 128 Parler, cest crer 130 Les limites de
la communication animale 132 2- Le langage comme outil de
communication 133 Langage, langue, parole 133 Une langue nest pas
un instrument neutre de communication 134 Instrument social, une
langue est surtout adapte pour la communication pratique 137 Le
langage ne sert pas ncessairement communiquer des informations 139
3- Le langage crit, source des progrs de lhumanit 141 La langue
crite comme mmoire collective de lhumanit 141 Lcrit ou le langage
ltat pur 142 II La technique comme prolongement du corps et
incarnation des projets de la pense 143 1- La nature de la
technique (L, ES, S, Tech.) 143 Lorigine de la technique 143 Les
caractristiques de la pense technique 144 2- La technique dvoile la
nature de lactivit humaine, savoir le travail (L, ES, S) 146 Le
travail est-il lessence vritable de lhomme ? 146 Le travail
incarne-t-il la valeur et lhorizon indpassables de lhomme ? 148 3-
La technique est-elle un facteur de libration pour lhomme ? (L, ES,
S, Tech.) 152 Les trois perspectives ouvertes par lutilisation des
techniques 152 La technique comme facteur de libration de lhomme :
possibilits et perversions 154 4- Les ncessits de la vie collective
sexpriment par des changes de nature trs diverse (ES, Tech.) 156
Les changes conomiques 156 Les changes non conomiques 159 Lhomme
comme animal politique : les fins de la cit et les moyens pour y
parvenir 161 I Lorganisation de lautorit politique 161 1- La
ncessit de la socit et des lois Lhomme est un tre social (L, ES, S)
161 Ltat social est artificiel mais ncessaire (L, ES, S, Tech.) 162
2- Origine et fonction des lois 164 Les domaines de la loi (L, ES,
S, Tech.) 164 LEtat source des lois (L, ES, S) 165 LEtat de droit
(L, ES, S, Tech.) 166 La loi est contre-nature (L, ES, S, Tech.)
166
14. 14 LEtat arbitre partial du conflit de classe (L, ES, S)
167 LEtat proltarien est provisoire (L, ES, S) 169 Les anarchistes
ou le refus de tout Etat (L, ES, S) 170 LEtat totalitaire (L, ES,
S) 171 II Le bien commun 172 1- La scurit, premire des liberts 173
2- La libert comme expression de lintrt gnral 174 La dmocratie
idale ou la conciliation de la libert et de la loi (L, ES S, Tech.)
174 La conciliation du pouvoir et de la libert (L, ES S, Tech.) 178
3- La justice ou le respect de lgalit (L, ES, S, Tech.) 180 Justice
et nature de lhomme 180 Valeur et insuffisance de lgalit de droit
181 Les ncessaires et lgitimes ingalits 184 III Politique et
Ethique 188 1- Bonheur et politique 189 2- Morale et politique 190
La politique est trangre la morale 190 La dmocratie est dessence
morale 193 3- La distinction entre le droit naturel et le droit
positif (L, ES, S, Tech.) 195 Les sources de la lgitimit 195 La
comptence politique est-elle dordre technique ? (L, ES, S) 197 Le
droit la rvolte : lgitimit et limites (L, ES, S, Tech.) 198 Lart :
vasion du monde ou dvoilement du sens ? 200 I Loriginalit de luvre
dart et de sa cration 200 1- Quest-ce quune uvre dart ? (L, ES, S,
Tech.) 200 La naissance de lart 200 Les critres dune uvre dart 201
2- Lartisan et lartiste (L, ES, S, Tech.) 202 La cration artisanale
203 Le talent du crateur 204 La cration artistique 204 3- Lart est
un langage (L) 206 Loriginalit du langage de lart 206 Activit
artistique et activit ludique 207 Art et philosophie 208 Art et
spiritualit 209 Lart et les sciences objectives 209 II Les
fonctions possibles de lart 210 1- Art et ralit (L, ES, S, Tech.)
210 Lart doit-il exprimer une ralit vraie ? 210
15. 15 Lart doit-il tre simple imitation de la ralit sensible ?
211 Luvre dart svade du monde quotidien 213 Lart comme dvoilement
du rel peru 214 2- Art et engagement (L, ES, S) 216 Lart engag et
lart pour lart 216 Lart peut-il tout dire ? 218 3- Art et beaut (L,
ES, S) 219 Origine et porte mtaphysique de lide de beaut 219
Peut-on dgager des critres de beaut ? 221 Beaut naturelle et beaut
esthtique 221 La place de la beaut dans lart 223 III La lgitimit du
jugement de got (L, ES, S, Tech.) 224 1- La reconnaissance
empirique de la qualit 224 Le got comme capacit de discerner la
qualit 224 Le got sduque 224 Le crateur nest pas le propritaire du
sens de son uvre 225 2- Luniversalit des chefs-duvre 226 Le beau et
lagrable 226 Le sentiment de beaut et luniversalit de la condition
humaine 228 3- La beaut sprouve, elle ne se prouve pas 228 Le
savoir objectif ou la connaissance simposant tous les esprits 231 I
Les sciences formelles (L, ES, S) 231 1- La logique ou la science
du raisonnement correct Lorigine de la logique 231 Le principe de
non-contradiction et la dduction 232 Le caractre formel de la
logique 233 Du faux on peut tout dduire 233 Linduction est un faux
raisonnement 234 La logique contemporaine 234 2- Les mathmatiques,
science des formes et des nombres 235 Lobjet des mathmatiques 235
La dmonstration (+Tech.) 235 Les propositions indmontrables 236 Les
relations entre les mathmatiques et la nature 237 La vrit
mathmatique (+Tech.) 238 Les fondements des mathmatiques 239 II Les
sciences de la nature ou les sciences exactes 240 1- La naissance
de la science exprimentale (L) 240 Les mathmatiques sont-elles le
langage de la nature ? 240 La ncessit de lexprimentation (+Tech.)
241 Le rle central de la raison (+Tech.) 243
16. 16 2- Les obstacles pistmologiques (L) 245 Le premier
obstacle : la confiance accorde aux sens 245 Lobstacle du bon sens
246 Lobstacle du prjug idologique 247 La rsistance aux nouveaux
paradigmes 247 Les opinions nont pas droit de cit dans les sciences
248 3- Les limites de la vrit exprimentale (L) 249 Les vrits
scientifiques sont provisoires 249 Les thories sont-elles des
reprsentations de la ralit ? 251 4- La biologie ou ltude de cet
trange objet (L, S) 253 Loriginalit de ltre vivant 253
Lexprimentation en biologie 254 Explication par les causes et non
par la finalit 256 La confusion entre les exigences mthodologiques
et les conclusions philosophiques 257 III Les sciences de lhomme ou
les sciences dinterprtation 261 1- Le dbat propos des mthodes dtude
(L, ES, Tech.) 261 2- Une science de lhomme fort singulire :
lhistoire (L, ES) 264 Les deux sens du mot histoire 264 Lhistoire
traditionnelle 265 La nouvelle histoire 269 3- Les drives vers la
philosophie de lhistoire (L, ES) 271 Lide de loi de lhistoire nest
pas scientifique 271 Quentendre par sens de lhistoire ? 271 Le
dveloppement de la raison est la clef de lhistoire 272 La lutte des
classes conduit la libration de lhumanit 273 Les dangers des
philosophies de lhistoire 273 Lhomme face son destin ou les
interrogations mtaphysiques 275 I La raison permet-elle daccder la
vrit ? (L, ES, S, Tech.) 275 1- Les diffrentes approches de la vrit
La vrit est un jugement 275 La pense humaine est parente de la
pense divine 276 Le procs de lide de vrit 276 Lhomme intermdiaire
entre lignorance et le savoir 277 2- Les exigences de la pense
renvoient aux exigences de la ralit 278 Percevoir est un acte de la
pense. Le morceau de cire 278 Le rel se pense, il ne se peroit pas.
Lallgorie de la caverne 279 Lide dinfini conduit Dieu 282 Le
scientisme est un dogmatisme 282 3- La critique du savoir
mtaphysique 283 La critique de lempirisme 283 Les usages lgitimes
et illgitimes de la raison 284 La morale nous sauve du scepticisme
285 4- La vrit a une histoire 286
17. 17 5- La connaissance intuitive 286 6- Le Cogito , seule
connaissance absolue ? 288 II Le temps, la matire, lesprit : trois
nigmes mtaphysiques 289 1- Ltat actuel du questionnement
mtaphysique (L) 289 2- Lnigme du temps et de son irrationalit (L)
289 Le temps vcu 289 Peut-on penser le devenir ? 291 La nature du
temps 291 Les implications mtaphysiques du temps 292 Le problme de
la finitude et de la mort 294 3- Deux notions aussi familires
quobscures : la matire et lesprit (L, ES, S) 295 Lopposition entre
lidalisme et le matrialisme 295 Les conceptions trangres cette
opposition 296 Les fondements de lidalisme 297 Matire et esprit ne
sont pas des concepts scientifiques 297 4- La matire et lesprit la
lumire de la science contemporaine (L) 298 Le principe anthropique
ou le principe de complexit 298 Lhomme est-il seul dans lunivers ?
301 Les NDE et le caractre nigmatique de la conscience 302 III La
dmarche religieuse 303 1- Quest-ce quune religion ? (L, ES, S) 303
Le rle social des religions 304 Les croyances communes 305 2- La
foi nest pas une simple croyance (L, ES, S, Tech.) 306 Lexprience
spirituelle et la Rvlation 306 Le langage symbolique 307 3- Les
drives du sentiment religieux 308 La magie et la superstition 308
Lidoltrie 309 Le refus ou le mauvais usage de la raison 309 La
conception nave de la Providence 310 DOCUMENTS ANNEXES 313 Les
programmes officiels 315 I Programme des sries gnrales 315 II
Programme des sries technologiques 316 III Auteurs en vue des
preuves orales 317 IV Coefficients et horaires 318 Quelques pistes
de lecture 319 Documents gnraux 319 Extraits conseills chapitre par
chapitre 320 Documents utiles pour les classes prparatoires
322
18. 18 Elments de vocabulaire 323 Brves informations sur
quelques auteurs abords dans ce cours de philosophie 336 Panorama
historique des doctrines et contexte culturel 340 Mthodologie des
preuves dexamen 348 I Mthodologie de la dissertation 348 1- Choix
du sujet 348 2- Analyse plus approfondie des termes du sujet choisi
348 3- Amasser des lments dinformation 349 4- Elaboration dun plan
350 5- Lintroduction 353 6- La structure du dveloppement 355 7- La
conclusion 358 II Mthodologie de ltude de texte 359 1- Les
objectifs de ce sujet 359 2- Comment faciliter la comprhension du
texte ? 360 3- Lintroduction 362 4- Quel plan choisir pour une tude
de texte ? 362 5- Comment expliquer le texte ? 363 III Lpreuve
doral de rattrapage 367 Quelques repres concernant la notation 369
Exemples de sujets thme par thme 372 Quest-ce que la philosophie ?
372 Quest-ce que lhomme ? 374 La question morale 378 Conscience de
soi et connaissance de soi 382 Lhomme est un tre de dsir 384 La
libert du sujet a-t-elle pour fondement la volont ou le dsir ? 388
La libration de lhomme face son environnement : La pense symbolique
et la technique 393 Lhomme comme animal politique. Les fins de la
Cit et les moyens pour y parvenir 399 Lart : vasion du monde ou
dvoilement du sens ? 408 Le savoir objectif ou la connaissance
simposant tous les esprits 413 Lhomme face son destin ou les
interrogations mtaphysiques 422
19. 19 QUEST-CE QUE LA PHILOSOPHIE ? I La nature de la
philosophie 1 Tout homme possde une philosophie spontane (TL, TES,
TS, Sections technologiques) La philosophie est pour vous une
discipline nouvelle. Vous avez peut-tre remarqu quelle suscite dans
votre entourage la fois curiosit mais aussi moqueries diverses. De
la curiosit car nombreux sont ceux qui pressentent quelle touche
des questions essentielles sans savoir exactement lesquelles. Des
moqueries, car le philosophe est rput pour tre une personne souvent
inadapte la vie ordinaire, se posant des questions loignes des
proccupations de la vie quotidienne et proposant des rponses
complexes et incomprhensibles pour le commun des mortels. Afin de
dissiper tout malentendu, partons dun constat simple : vous-mmes et
toutes les personnes que vous connaissez possdent des opinions dans
des domaines trs varis. Quelles soient croyantes, athes,
indiffrentes, toutes se prononcent leur manire sur les questions
religieuses et sur le sens de lexistence humaine. Mme si elles nont
pas dengagement politique ou syndical prcis, toutes ont des
prfrences en la matire et portent des apprciations sur lactualit.
Chacun dentre nous se rfre des valeurs morales lorsque nous
admirons ou nous nous scandalisons sur tel ou tel comportement,
lorsque nous nous prononons sur des questions sensibles comme la
peine de mort, leuthanasie, la protection de lenvironnement, les
murs sexuelles etc. Toutes ces opinions sont guides par une
certaine ide du bien et du mal, par des convictions intimes, hrites
certes de notre ducation, de notre milieu, mais que nous avons fait
ntres. Lensemble de ces opinions, que nous estimons sincrement
justifies, qui guident et structurent notre vie, constitue une
philosophie. A ce titre, tout homme est philosophe et fait de la
philosophie comme monsieur Jourdain faisait de la prose, cest--dire
sans le savoir. 2 Philosophie spontane et philosophie critique (L,
ES, S, Tech) Lensemble de ces opinions constitue une philosophie
spontane. Cela ne signifie pas que les personnes concernes ne
rflchissent pas mais leurs opinions sont la plupart du temps
assises sur la tradition, lducation reue, lexprience vcue, les
influences subies et non sur une rflexion systmatique et
personnelle qui mettrait en relation ces diffrentes opinions et les
rattacherait des principes communs et mrement rflchis et quon a
coutume de dsigner par le nom de fondements. Non seulement ces
opinions sont atomises, indpendantes les unes des autres mais elles
ne trouvent pas leur justification, leur cohrence, leur unit par
rapport des principes premiers dont nous sommes conscients, qui
rsultent de notre rflexion personnelle et auxquels nous adhrons de
manire rflchie et raisonne. En revanche, si nous effectuons cette
dmarche de retrouver les racines communes de lensemble de nos
opinions, dune philosophie spontane, inconsciente delle-mme, nous
sommes passs une philosophie explicite, consciente delle-mme, bref
une posture intellectuelle laquelle on rserve habituellement le nom
de philosophie.
20. 20 Voici ce qucrit Gramsci, philosophe italien du XX sicle
ce propos : Il faut dtruire le prjug fort rpandu selon lequel la
philosophie serait quelque chose de trs difficile, tant donn quelle
est lactivit intellectuelle propre dune catgorie dtermine de
savants spcialiss ou de philosophes professionnels et faiseurs de
systmes. Il faut donc dmontrer au pralable que tous les hommes sont
philosophes , en dfinissant les limites et les caractres de cette
philosophie spontane qui est celle de tout le monde , autrement dit
de la philosophie qui est contenue : 1) dans le langage mme, lequel
est un ensemble de notions et de concepts dtermins, et non pas
seulement un ensemble de mots grammaticalement vides de contenu ;
2) dans le sens commun et le bon sens ; 3) dans la religion
populaire Ayant dmontr que tous les hommes sont philosophes, ft-ce
leur manire propre, inconsciemment, ds lors que dans la plus petite
manifestation dune activit quelconque, le langage , se trouve
contenue une conception dtermine du monde, on passe au second
moment, au moment de la critique et de la conscience, cest--dire
quon passe la question suivante : est-il prfrable de penser sans en
avoir une conscience critique, dune faon dsagrge et occasionnelle,
cest--dire de participer une conception du monde impose
mcaniquement par le monde extrieur, autrement dit par lun des
nombreux groupes sociaux dans lesquels chacun se voit
automatiquement impliqu depuis son entre dans le monde conscient ou
bien est-il prfrable dlaborer sa propre conception du monde de faon
consciente et critique et ainsi, en connexion avec ce travail que
lon doit son propre cerveau de participer activement la production
de lhistoire du monde, dtre le guide de soi-mme au lieu daccepter
passivement et lchement que le sceau soit mis de lextrieur notre
propre personnalit ?. 3 La naissance de la philosophie et le rle de
la raison (L, ES, S) Nous comprenons un peu mieux en quoi consiste
la philosophie. Ltymologie dune part, ses origines historiques
dautre part vont en prciser le sens. Philosophie signifie
tymologiquement amour ou qute (philo) de la sagesse (sophia) .
Traditionnellement, la sagesse est un ensemble de savoirs, souvent
rputs tre dtenus par des anciens ou par les gnrations prcdentes,
ceux qui ont lexprience de la vie et qui a pour objet de nous
guider dans notre existence, de savoir comment nous comporter afin
de lassumer de la meilleure manire et de nous apporter le plus de
satisfactions possibles. Toutes les civilisations ont labor des
sagesses ainsi comprises, souvent inspires, pour lessentiel, des
croyances religieuses dominantes. Cest le cas par exemple de la
sagesse hindoue, inspire par la religion des brahmanes et reposant
sur les Vdas , livre sacr. Or, la philosophie est
traditionnellement considre comme tant linvention des grecs du V
sicle av JC. Cette civilisation aurait invent la philosophie comme
elle aurait invent la dmocratie et les mathmatiques. Cette
affirmation peut tonner alors mme que nous savons bien quil existe
des sagesses antrieures trs riches, au mme titre que la plupart des
civilisations antrieures aux grecs du V sicle possdaient des
connaissances mathmatiques comme peuvent en tmoigner leurs
ralisations architecturales souvent remarquables ou bien encore
leurs connaissances cosmologiques leur permettant de dresser des
cartes du ciel ou dlaborer des calendriers. Do vient alors cet
honneur rserv aux grecs de cette poque ? Ils ont invent les
mathmatiques dans la mesure o une proposition est considre comme
telle si elle peut faire lobjet dune dmonstration. Les Grecs ont
invent la dmonstration. Jusque l, les
21. 21 connaissances mathmatiques avaient pour sources
lexprience, lobservation, bref taient ce titre de nature empirique.
Il en va de mme propos de la philosophie. La sagesse labore ne
repose plus sur la tradition, sur des croyances religieuses, sur
lexprience de la vie, mais sur une rflexion exclusivement
rationnelle. Est-ce dire que la raison nous dlivre un savoir en la
matire ou simplement des croyances rationnelles ? Les conclusions
ont t varies sur ce point. Mais ce qui demeure commun tous les
philosophes, quils fassent confiance la raison afin de parvenir
laborer une sagesse ou bien quils critiquent ses possibilits ou la
remettent radicalement en cause, tous lutilisent afin de parvenir
leurs conclusions. Cependant, au cours de cette dmarche, tous se
sentent profondment concerns par la recherche dune forme de vrit.
Leur dmarche nest pas quintellectuelle. Elle est mue par une grande
passion. Tous utilisent la raison dans leur qute , mme lorsquils en
contestent la validit en vue de parvenir des conclusions. Cest en
ce sens que la philosophie a pu tre dfinie comme un amour ou une
qute de la sagesse, entendue comme une dmarche guide par la raison
et alimente par une grande passion en vue de tenter de dvoiler le
sens de laventure humaine et au-del, de la ralit dans laquelle elle
se voit insre. On comprend ds lors loriginalit du discours
philosophique. Ce dernier se donne pour fonction dexpliciter et de
justifier ces fameux principes premiers, ces racines, ces
fondements qui conduisent ordonner toutes nos conclusions dans
quelque domaine que ce soit, leur donner cohrence et rigueur, les
relier entre elles, leur donner ainsi un caractre systmatique. A ce
titre, la philosophie se distingue de la simple littrature, y
compris celle qui sengage, qui exprime des convictions religieuses,
politiques, morales etc. loccasion dun roman, dune pice de thtre,
dune autobiographie, dun rcit historique etc. car lensemble des
ides mises au fil des pages ne revtent pas ce caractre systmatique,
ordonn et exclusif de toute autre considration, notamment
esthtiques ou romanesques. La philosophie qui y est contenue doit
tre explicite, synthtise, mise en perspective. A plus forte raison,
la philosophie ainsi dfinie se distingue-t-elle des simples
opinions hrites de notre ducation ou exprience personnelle, de ce
que nous avons appel la philosophie spontane. Kant qualifiait juste
titre cette dernire de philodoxie , cest-- dire dami (philo) de
lopinion (doxa).Car il ny a pas de philosophie vritable sans une
rflexion mene sur les fondements de nos opinions et conduite par la
raison. Nos opinions ne sont plus alors considres comme telles mais
comme une forme de savoir, contestable certes, mais nanmoins un
savoir si nous entendons par l des affirmations dont nous
connaissons les justifications ultimes ou les fondements ainsi que
la cohrence de leurs noncs dans la diversit des domaines sur
lesquels nous nous prononons Au XVIII sicle, Kant a propos de
regrouper les questions philosophiques autour de trois ples : Que
puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que mest-il permis desprer ?
Il ajoutait que ces trois questions essentielles pouvaient
elles-mmes se rsumer par celle-ci : Quest-ce que lhomme ? Que
puis-je savoir ? Autrement dit, quelles sont les capacits de la
pense humaine en vue de rpondre aux questions quelle se pose sur
les mystres de la nature et en particulier sur les possibilits et
les limites de la science, sur le sens de la destine humaine,
notamment la mort, sur lexistence ou non dun ou de plusieurs dieux,
sur les origines de lunivers, des organismes vivants, sur la nature
de lesprit etc.
22. 22 Que dois-je faire ? Il sagit ici de toutes les questions
relatives au bonheur individuel, aux valeurs morales, aux objectifs
politiques, aux problmes de socit comme le clonage, leuthanasie,
lhomoparentalit, la peine de mort, lutilisation des techniques
nouvelles par exemple lnergie nuclaire ou les OGM etc. Que mest-il
permis desprer ? Cette question est relative au sens de lexistence.
Que peut-on en attendre ? Les valeurs morales les plus hautes, la
beaut, les plaisirs sensibles, les joies de la connaissance, le
bonheur daimer et dtre aim et reconnu etc., tout cela renvoie-t- il
un sens qui nous dpasse, une transcendance, une esprance fonde que
tout mal, cest--dire tout ce qui dtruit ces sources de sens est
appel tre surmont, la mort en particulier ? Ou bien tout cela
est-il phmre, sans relle signification au-del de la sphre humaine,
le mal ayant toujours le dernier mot et nos proccupations, nos
raisons de vivre tant drisoires au regard du vaste monde au sein
duquel elles sinscrivent ? Ces dernires questions touchent donc des
proccupations religieuses. Mais la dmarche philosophique, dans son
souci dlaborer son discours en ayant recours la raison et non la
foi ou des croyances quelconques, quelle quen soit la nature, ft-ce
la croyance en lincroyance comme le dit Nietzsche, reprend de
telles questions mais sa manire. Il sagit alors de ce quon a
coutume de dsigner comme tant les questions mtaphysiques. Ces
questions sont les plus radicales, celles qui vont le plus loin
dans le questionnement, qui soulvent le problme du pourquoi , de la
raison dtre de toutes choses, de leur nature intime, de leur
valeur, de leur sens relativement laventure humaine. A cet gard,
tout questionnement philosophique qui va jusquau bout de son
entreprise, qui ne sarrte pas en chemin, aboutit forcment aux
questions mtaphysiques. Gusdorf, philosophe franais du XX sicle,
dfinit ainsi le questionnement mtaphysique : Chaque fois quon
interprte la nature de lhomme et son destin, chaque fois quon met
une hypothse sur la ralit de lunivers, chaque fois que lon parie
pour Dieu ou contre lui, on extrapole, on se prononce sur les fins
dernires de lhomme. On donne un sens lexistence, en posant la
question du pourquoi et non plus celle du comment . Il ne semble
pas que cette question du pourquoi puisse jamais tre dpasse
Remarquons qu lorigine, le terme de mtaphysique est n de
circonstances anecdotiques. Aristote, philosophe du V-IV sicles
avant JC, aprs avoir remis son diteur des tudes sur la nature, sur
la phusis en grec, lui avait confi les rflexions proprement
philosophiques souleves par cette dernire et portant sur les
raisons dtre de cette phusis . En consquence, lditeur dnomma ces
dernires considrations comme ce qui vient aprs la phusis , comme
mta-phusis ou mtaphysique. La tradition conserva ce terme pour
signifier toute dmarche philosophique sinterrogeant sur les raisons
dtre de toutes choses, sur leur existence ou non dabord et sil y a
lieu, sur leur nature II Lutilit de la philosophie 1 Lutilit de la
philosophie dans la recherche de notre bien (L, ES, S, Tech.)
Lenseignement de la philosophie doit les lycens qui attendent de
cette tude des rponses aux questions quils se posent. La
philosophie ne leur apportera pas des rponses mais de nouvelles
questions ou plus prcisment de nouvelles manires de se poser des
questions et de rflchir de manire critique sur nos tentatives de
rponses. Bref, la
23. 23 philosophie nest pas un savoir universel dans ses
conclusions et simposant tous les esprits comme peuvent ltre par
exemple les sciences de la nature ou les mathmatiques. Cest bien ce
que lui reprochent ses dtracteurs. Cette impuissance nous apporter
des rponses certaines, cette strilit la rendraient vaine et pour
tout dire inutile. Toute la question est de savoir ce quon entend
par utilit. Spontanment, lutilit rpond la question brutale A quoi
cela sert-il ? . Afin de vivre le mieux possible, nous sommes tents
de croire quil importe de connatre lexprience des gnrations passes,
de bien sintgrer dans la socit au sein de laquelle on vit, et donc
den connatre les usages, les lois, voire les moyens de contourner
ces dernires lorsque cela nous arrange, de se situer le plus haut
possible dans la hirarchie sociale, dacqurir le plus de plaisirs
possible sans sembarrasser de principes contraignants, et pour
prparer tout cela de recevoir une bonne ducation o la philosophie
peut ventuellement avoir sa place si elle favorise notre agilit
desprit. Tel est dailleurs le point de vue soutenu par Callicls,
personnage dune uvre de Platon, Gorgias et qui exprime la thse de
lopinion commune propos de lutilit de la philosophie en sopposant
celle de Socrate, qui incarne la philosophie, qui en est son hraut
: La philosophie, Socrate, nest sans doute pas sans charme, si lon
sy livre avec modration dans la jeunesse : mais si lon sy attarde
au-del dune juste mesure, cest une calamit. Quelque bien dou que
soit un homme, sil continue philosopher dans son ge mr, il est
impossible quil ne se rende pas tranger toutes les choses quil faut
connatre pour devenir un homme bien lev et considr. Le philosophe
ignore les lois qui rgissent la cit ; il ignore la manire dont il
faut parler aux autres dans les affaires prives et publiques ; il
ne sait rien des plaisirs ni des passions, et, pour tout dire dun
mot, sa connaissance de lhomme est nulle. Aussi, quand il se trouve
ml quelque affaire publique ou prive, il fait rire de lui, de mme
que les hommes dEtat, je suppose, lorsquils abordent vos entretiens
et vos discussions, sont ridicules Mais le mieux, suivant moi, est
de ntre tranger ni aux unes ni aux autres. La philosophie est bonne
connatre dans la mesure o elle sert lducation, et il ny a pas de
honte, quand on est jeune, philosopher. Mais lhomme mr qui continue
philosopher fait une chose ridicule, Socrate, et pour ma part
jprouve lgard de ces gens-l le mme sentiment qu lgard dun homme
fait qui bgaie et qui joue comme un enfant. Quand je vois un enfant
qui bgaie et qui joue, cest de son ge, jen suis ravi, je trouve
cela charmant, tout fait convenable lenfance dun homme libre ;
tandis que si jentends un bambin sexprimer avec nettet, cela me
chagrine, cela blesse mon oreille et me parat avoir quelque chose
de servile. Un homme fait qui bgaie et qui joue est ridicule ; ce
nest pas un homme, on a envie de le fouetter. Cette analyse, qui
semble relever du simple bon sens, comporte la rflexion plusieurs
insuffisances majeures. Elle est, en effet, centre sur les
meilleurs moyens en vue de parvenir ses fins. Or, quelle est la fin
ultime que poursuit tout homme, si ce nest le bonheur, son bien ou
tout au moins les satisfactions les plus hautes que peut lui
apporter lexistence ? Tous, tant que nous sommes, nous voulons tre
heureux proclame Platon. Pour ce faire, il nous faut rflchir sur
les objectifs que nous devons nous fixer ainsi que sur les
meilleurs moyens pour y parvenir. Fins et moyens nont rien
dvidents. A ce titre, cette rflexion nest pas rserve la priode de
la jeunesse. Qui ne voit que chaque priode de la vie soulve des
problmes spcifiques ? Ceux de ladolescence, ceux de
24. 24 lentre dans la vie active, ceux lis la fondation dun
foyer, ceux de la maturit, de la retraite, de la vieillesse ne sont
pas lvidence de mme nature. Lexigence de rflexion savre donc
permanente. Cest bien ce que soutient Epicure dans sa clbre Lettre
Mnce : Quand on est jeune il ne faut pas hsiter sadonner la
philosophie, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser den
poursuivre ltude. Car personne ne peut soutenir quil est trop jeune
ou trop vieux pour acqurir la sant de lme. Celui qui prtendrait que
lheure de philosopher nest pas encore venue ou quelle est dj passe,
ressemblerait celui qui dirait que lheure nest pas encore arrive
dtre heureux ou quelle est dj passe. Il faut donc que le jeune
homme aussi bien que le vieillard cultivent la philosophie . Mais,
dira-t-on, lducation, lexprience personnelle pourvoient cette qute
sans passer par la philosophie. Or, le philosophe se refuse penser
par procuration ou bien se fier une exprience bien limite de la
vie. Il veut penser par lui-mme et cet effet a recours la rflexion
rationnelle, cette lumire naturelle qui peut et doit nous clairer
dans nos choix. Telle est la voie propose par Descartes dans la
Prface aux Principes de la philosophie : Pour chaque homme en
particulier, il nest pas seulement utile de vivre avec ceux qui
sappliquent cette tude, mais quil est incomparablement meilleur de
sy appliquer soi-mme, comme sans doute il vaut beaucoup mieux se
servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par mme moyen
de la beaut des couleurs et de la lumire, que non pas de les avoir
ferms et suivre la conduite dun autre ; mais ce dernier est encore
meilleur que de les tenir ferms et navoir que soi pour se conduire.
Or, cest proprement avoir les yeux ferms, sans tcher jamais de les
ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir
toutes choses que notre vue dcouvre nest point comparable la
satisfaction que donne la connaissance de celles quon trouve par la
philosophie ; et, enfin, cette tude est plus ncessaire pour rgler
nos murs et nous conduire en cette vie, que nest lusage de nos yeux
pour guider nos pas. Les btes brutes, qui nont que leur corps
conserver, soccupent continuellement chercher de quoi le nourrir ;
mais les hommes, dont la principale partie est lesprit, devraient
employer leurs principaux soins la recherche de la sagesse, qui en
est la vraie nourriture . 2 La philosophie comme besoin spirituel,
comme expression de la curiosit naturelle de lesprit (L) Penser par
soi-mme afin de conduire sa vie, afin de guider ses pas est dj un
objectif minemment noble et utile. Mais cette entreprise npuise pas
lintrt de la philosophie. La rflexion philosophique se hisse un
objectif encore plus lev, plus profond, en harmonie avec les
exigences les plus hautes de lesprit. Il est vrai quaux questions
que se pose lhomme sur son destin et celui du monde, aucune rponse
certaine ne vient rcompenser sa recherche. Mais elle lui apporte
des satisfactions spirituelles irremplaables que B. Russell,
philosophe britannique du XX sicle a su parfaitement exprimer dans
Problmes de philosophie : La philosophie comprend de nombreuses
questions (dont certaines sont du plus profond intrt pour notre vie
spirituelle), qui, pour autant quon puisse le prvoir, doivent
demeurer insolubles, moins que les facults de lesprit humain ne
deviennent tout autres que ce quelles sont prsent. Lunivers
comporte-t-il une unit de plan et de but, ou bien nest-ce quune
rencontre fortuite datomes ? La connaissance fait-elle partie de
lunivers titre permanent, donnant ainsi lespoir dun accroissement
indfini de la sagesse, ou est-ce un accident transitoire
particulier une petite plante o la vie deviendra certainement
impossible plus tard ? Le bien et le mal ont-ils de limportance
pour lunivers ou seulement pour lhomme ? De telles questions sont
poses par la philosophie et rsolues de faons diffrentes par des
philosophes diffrents. Or, que des rponses soient possibles ou non,
celles
25. 25 que propose la philosophie ne sont jamais dune vrit
dmontrable. Pourtant, si faible que soit lespoir de dcouvrir une
rponse valable, lexamen persvrant de telles questions fait partie
des tches dvolues la philosophie ; celle-ci nous fait prendre
conscience de limportance de tels problmes ; elle examine toutes
les faons de les traiter et elle garde intact cet intrt spculatif
pour lunivers qui est en danger dtre ananti si nous nous bornons la
recherche dun savoir la certitude bien tablie . Lexamen des
questions qui se posent lhomme, des rponses possibles que lesprit
peut leur apporter conduit galement sinterroger sur les voies
permettant de conduire de telles conclusions. La philosophie tente
de ce fait de cerner lessence de chacune des activits humaines
lamenant connatre et agir, cest--dire les caractristiques
spcifiques, originales de chacune de ces activits, celles qui les
distinguent des autres, avec leurs possibilits, leurs finalits,
leurs limites. Cest ainsi quelle rflchit sur elle-mme et donc sur
les capacits de la raison en vue de se poser avec pertinence les
bonnes questions et sur la valeur et la porte des rponses imagines
; quelle sinterroge sur la nature exacte de la politique, de la
morale, de lart, de la science, de la technique, de la religion. La
philosophie, dans sa qute raisonne de rponses aux nigmes de
lexistence, doit, par exigence mthodologique, cerner de manire
rigoureuse et critique les fonctions des diffrents domaines de la
culture. Aristote faisait de la capacit dtonnement la vertu majeure
du philosophe. Ce dernier conserve la fracheur de lenfant de trois
ans qui sans cesse smerveille et stonne face sa dcouverte du monde.
Pour lenfant, il ny a rien dvident, de naturel, il ny a rien qui va
de soi. Le philosophe est quelquun qui a toujours une me denfant
mais avec lesprit dun adulte. Il incarne lunion de lmerveillement
et de la rigueur de la raison. Cest trs exactement ce que rappelle
Russell dans ce texte : La valeur de la philosophie doit en ralit
rsider dans son caractre incertain mme. Celui qui na aucune
teinture de philosophe traverse lexistence, prisonnier des prjugs
drivs du sens commun, des croyances habituelles son temps et son
pays et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopration ni
le consentement de la raison. Pour un tel individu, le monde tend
devenir dfini, fini, vident : les objets ordinaires ne font pas
natre de questions et les possibilits peu familires sont rejetes
avec mpris. Ds que nous commenons penser conformment la
philosophie, au contraire, nous voyonsque mme les choses les plus
ordinaires de la vie quotidienne posent des problmes auxquels on ne
trouve que des rponses trs incompltes. La philosophie, bien quelle
ne soit pas en mesure de nous donner avec certitude la rponse aux
doutes qui nous assigent, peut tout de mme suggrer des possibilits
qui largissent le champ de notre pense et dlivre celles-ci de la
tyrannie de lhabitude. Tout en branlant notre certitude concernant
la nature de ce qui nous entoure, elle accrot normment notre
connaissance dune ralit possible et diffrente ; elle fait
disparatre le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui nont
jamais parcouru la rgion du doute librateur, et elle garde intact
notre sentiment dmerveillement en nous faisant voir les choses
familires sous un aspect nouveau . Comme on le voit, la philosophie
a, en-dehors de toute autre considration, un intrt spirituel. Sur
ce plan, son utilit est comparable celle que peuvent prsenter les
arts. La musique, la peinture, la posie etc., nont aucune utilit
pratique. Mais ils nous permettent de nous arracher au mode du
quotidien, de nous merveiller, de nous faire goter les joies de
lesprit face ces mondes prodigieux que cre lartiste. Il en va de
mme du philosophe, qui par la rigueur de ses penses, par leur
radicalit nous fait pntrer dans des mondes ignors, nous dvoile des
horizons insouponns qui, vrai dire sont sans doute la matrice du
rel
26. 26 authentique, celui qui chappe laction et la rflexion
ordinaires, accapares par les soucis pratiques et les limites
offertes par la perception et le bon sens. Les analyses qui prcdent
soulignent que la rflexion philosophique nest pas mme dapporter des
rponses mais en revanche quelle a pour mission de prendre
conscience et donc de poser les questions pertinentes que soulvent
le destin de lhomme et de lunivers au sein duquel ce destin sinsre.
Platon, dans le Banquet cernait bien le problme lorsquil prtait un
de ces personnages, Diotime, dans son dialogue avec Socrate, les
propos suivants en vue de dfinir la nature et les objectifs de la
philosophie : Aucun des dieux ne philosophe et ne dsire devenir
savant, car il lest : et en gnral, si lon est savant, on ne
philosophe pas ; les ignorants non plus ne philosophent pas et ne
dsirent pas devenir savants ; car lignorance a prcisment ceci de
fcheux que, nayant ni beaut, ni bont, ni science, on sen croit
suffisamment pourvu. Or, quand on ne croit pas manquer dune chose,
on ne la dsire pas . Je demandai (Socrate) : quels sont donc,
Diotime, ceux qui philosophent, si ce ne sont ni les savants ni les
ignorants ? Un enfant mme, rpondit-elle, comprendrait tout de suite
que ce sont ceux qui sont entre les deux Ces remarques rejoignent
la rflexion polmique de Schopenhauer (XIX sicle) qui proclamait que
plus un homme est infrieur par lintelligence, moins pour lui,
lexistence a de mystre . Nietzsche ajoutait de manire plus directe
encore que le but de la philosophie consistait lutter contre la
btise, cette absence de rflexion qui conduit trop souvent une forme
indue et dsolante de contentement de soi. Lutter contre la btise :
vaste programme. Cest prcisment celui que vous propose cette anne
dinitiation la rflexion philosophique, certes limite, mais qui, il
faut lesprer, vous la fera aimer et peut-tre cultiver le restant de
votre vie.
27. 27 QUEST-CE QUE LHOMME ? I La conscience constitue-t-elle
loriginalit de lhomme ? 1 La conscience immdiate et la conscience
rflchie (L, ES, S) Le terme de conscience a un sens plus ou moins
tendu et cela nest pas sans provoquer des confusions ou des
difficults de comprhension lorsquon lvoque. Si on se rfre son
tymologie, conscience signifie cum scientia cest--dire accompagn de
savoir . Dans la conversation courante, lorsque nous disons par
exemple que nous avons conscience dun problme, cela signifie que
nous savons que ce problme se pose, que nous en connaissons la
nature. La conscience renvoie donc un savoir. Il nous faut donc
rflchir sur la nature exacte de ce savoir. En effet une simple
observation de notre vie intrieure, ce quon appelle une
introspection, nous conduit distinguer des degrs diffrents de
conscience. Il est clair que lintensit de notre conscience nest pas
la mme lorsque nous sommes concentrs, lorsque nous rvassons,
lorsque nous accomplissons un geste mcanique comme pdaler, geste
auquel nous ne prtons plus aucune attention. Cest ce titre quil est
devenu classique de distinguer entre la conscience immdiate et la
conscience rflchie. La conscience immdiate nous distingue en
quelque sorte dune pierre : sans vraiment y rflchir, je sais que je
suis prsent au monde, que telle ou telle ralit mentoure. En
revanche, lorsque je prte attention une ide, un sentiment, une
intention etc., je prends du recul par rapport moi-mme, ma propre
vie intrieure, je me vois en quelque sorte en train dexaminer cette
ide, ce sentiment, cette intention. Je ne me contente pas dtre
prsent au monde, je men rends compte, je sais que je le sais. Il
sagit alors de la conscience rflchie. Cette dernire dfinit la
conscience par excellence. Etre conscient ce nest pas seulement
savoir quon est prsent au monde, cest savoir quon le sait. La
conscience rflchie conduit donc distinguer un contenu de
conscience, un objet (ide, sentiment, intention, etc.) et un sujet
, cest--dire un tre qui sait quil rflchit sur cet objet de
conscience. La conscience rflchie entrane quintrieurement nous
sommes doubles, cest--dire sujet et objet. Nous sommes en quelque
sorte spectateur de nous- mmes ; nous nous percevons en train
davoir une ide, un sentiment, une intentionCe savoir sur nous-mmes,
cette perception de nous-mmes remettent en cause linnocence
premire, labsence de savoir, autrement dit ce qui nous caractrise
lorsque nous faisons corps avec nous-mmes, lorsque nous navons pas
ce type de recul. Cette perte dinnocence amne Sartre proclamer que
toute conscience est comdie . Parce que nous sommes conscients,
nous sommes condamns tre en reprsentation, choisir une certaine
image de nous- mmes, lincarner en quelque sorte. Notre personne,
cest--dire cet tre capable de dire Je devient par la force des
choses un personnage de composition comme lest un comdien. Dans
LEtre et le Nant , Sartre illustre bien cette manire dtre originale
du sujet conscient : Considrons ce garon de caf. Il a le geste vif
et appuy, un peu trop prcis, un peu trop rapide, il vient vers les
consommateurs dun pas un peu trop vif, il sincline avec un peu trop
dempressement, sa voix, ses yeux expriment un intrt un peu
trop
28. 28 plein de sollicitude pour la commande du client, enfin
le voil qui revient, en essayant dimiter dans sa dmarche la rigueur
inflexible don ne sait quel automate, tout en portant son plateau
avec une sorte de tmrit de funambule, en le mettant dans un
quilibre perptuellement instable et perptuellement rompu, quil
rtablit perptuellement dun mouvement lger du bras et de la main.
Toute sa conduite nous semble un jeu. Il sapplique enchaner ses
mouvements comme sils taient des mcanismes se commandant les uns
les autres, sa mimique et sa voix mme semblent des mcanismes ; il
se donne la prestesse et la rapidit impitoyable des choses. Il
joue, il samuse. Mais quoi joue-t-il ? Il ne faut pas lobserver
longtemps pour sen rendre compte : il joue tre garon de caf . 2
Pourquoi refuse-t-on ordinairement la conscience lanimal ? (L, ES,
S) Le psychisme animal Partageons-nous avec le monde animal la
conscience ainsi dfinie ? Cette question fait lobjet dun dbat dont
il est difficile de dire avec certitude sil est dorigine uniquement
smantique (quelle dfinition donnons-nous ce terme de conscience ?)
ou bien idologique (quelle ide nous faisons-nous de lhomme et de sa
place dans lunivers ?) ou bien encore scientifique (que peut nous
enseigner la biologie ou la neurologie en la matire ?). Les animaux
les plus proches de lhomme, notamment les animaux domestiques qui
nous entourent, possdent incontestablement une vie intrieure riche
: ils ont des motions (ils manifestent leurs joies, leurs peurs,
leurs envies, leur attachement etc.) ; ils ont des souvenirs et
sont capables de certains apprentissages. Sans ces capacits, le
cirque nexisterait pas. Le sens commun a tendance dire quil ne leur
manque que la parole , sous-entendu pour devenir lgal de lhomme.
Aussi a-t-on tendance leur accorder une forme de conscience et de
pense et considrer quil ny a entre eux et nous, au pire, quune
diffrence quantitative au niveau des facults. Cette conception
gradualiste de la prsence de la conscience de la bactrie lhomme est
aprs tout une thse quon ne peut exclure dun revers de main. Elle
est en vogue une poque o laffectivit pour lanimal dans les pays
riches est particulirement dveloppe et o lhomme est accus de
dtruire la nature, ce qui amne certains, dans le cadre du procs
instruit, relativiser limportance de lhomme pour mieux souligner
limposture de ses agissements. Bref, lidologie de lhomme roi de la
cration soutenu notamment par le christianisme, au culte de lhomme
dvelopp par lhumanisme classique, tend se substituer un
anti-humanisme gnreux dans ses intentions parce que color de
proccupations cologiques. Ce dbat prend surtout une importance sur
le plan purement thorique. A supposer que nous partagions la
conscience avec le monde animal, la diffrence quantitative avec ce
dernier savre incontestable. Il suffit pour sen convaincre de
prendre en considration la civilisation et ses prodigieuses
ralisations. Les efforts faits par certains chercheurs pour se
mettre en qute des rares et limites crations dans le monde animal
afin dy dceler des traces dune culture et le rapprocher du monde
humain savrent assez drisoires. Dailleurs la biologie claire sans
ambiguts possibles cet cart bant entre les deux mondes . Seul
lhomme moderne possde une partie suprieure du cerveau aussi
dveloppe, ce que lopinion commune dsigne sous le nom de matire
grise . Le cerveau de lhomme possderait 100 milliards de neurones
alors que le cerveau de lanimal le plus
29. 29 dvelopp aprs lhomme, savoir celui du chimpanz, nen
prsente que 9 milliards. Cet cart arithmtique est de plus
insuffisamment significatif ds lors que lon rappelle que chaque
neurone tablit dinnombrables connexions avec dautres neurones. Il
est ais de mesurer le gouffre anatomique et fonctionnel entre les
deux espces, rendant compte des diffrences dans les capacits de
cration entre monde animal et monde humain. Loriginalit de la
conscience A partir de ces considrations, il ny a rien dillgitime
davancer lhypothse selon laquelle la conscience incarnerait une
dimension spcifique de la ralit qui serait lapanage de lhumanit. De
mme que la vie incarne un niveau spcifique dorganisation par
rapport la matire inerte, de mme en irait-il de la conscience par
rapport aux modes dorganisation des systmes nerveux donnant
naissance aux diffrentes formes de psychisme animal. Si cette
hypothse se voit fonde, cela entrane une grande consquence sur le
plan thorique : la diffrence entre le monde animal et le monde
humain nest plus seulement quantitative mais qualitative. Cette
conclusion rejoint les analyses classiques en la matire concernant
les diffrences affectant les vies intrieures des deux mondes en
question. Lanimal prouve et exprime ses besoins par exemple : il a
faim ou soif ; il a peur ou il exprime sa joie ; il se souvient de
situations prcises. Il sait tout cela (tout au moins les espces
ayant un systme nerveux dvelopp). Mais il ne sait pas quil le sait.
Il ne sen rend pas compte. On a coutume de dire que lanimal, qui
possde tous ces vcus, vit prcisment mais il nexiste pas si on
entend par exister savoir quon vit . Cest cela la conscience : ce
nest pas seulement savoir, cest savoir quon sait. 3 Peut-on dfinir
la conscience ? (L) La question peut surprendre. Quelle est
loriginalit de la conscience ? Quelle est la caractristique qui en
fait sa spcificit ? Bref, quelle est son essence ? On dfinit
souvent la conscience par une capacit de recul par rapport soi-mme
; dans la mesure o un tre est conscient, il ne concide plus avec
lui-mme ; il ne se contente plus davoir des vcus, de penser etc.,
il se voit en train davoir peur, dexprimer sa joie, de penser, etc.
Mais cela ne suffit pas pour dfinir la conscience. En effet, une
machine peut-tre programme en vue dacqurir, dans le cadre des
limites de sa programmation, des capacits semblables. Searle, dans
Du cerveau au savoir (1984- 1985) souligne que lon peut crire un
programme qui permette un ordinateur de simuler la comprhension du
chinois. Ds lors, si lon pose lordinateur une question en chinois,
celui- ci va la confronter sa mmoire, ou sa base de donnes, et
fournir les rponses en chinois. Pourtant, il va de soi que
lordinateur ne comprend pas le chinois. Il naccde pas au sens.
Ainsi, la conscience ou ce quon appelle encore la subjectivit,
consistent dans cette capacit accder au sens. Or, cette capacit,
dans sa nature intime, chappe ce jour notre comprhension. Le
neurobiologiste peut toujours lui associer telles ou telles
structures crbrales prcises sans pour autant rendre compte de
laspect qualitatif de ce vcu, de cet accs au sens. La nature intime
de la conscience demeure bien ce jour un mystre mtaphysique.
30. 30 4 Quentend-on exactement par la pense ? (L, ES, S) La
notion de pense est plus prcise que celle de conscience, mme si
elle est lie cette dernire. La pense dsigne une capacit propre
lhomme de se reprsenter la ralit sans tre exclusivement tributaire
des informations dlivres par son corps ou ses organes des sens
(vue, oue, toucher, odorat etc.). En effet, un animal dvelopp sur
le plan du systme nerveux, limage des animaux familiers qui nous
entourent, possde des reprsentations du rel. Do proviennent ces
dernires ? Uniquement des informations sensibles, des informations
quil reoit par la mdiation de son corps. Il est en quelque sorte
prisonnier de son corps. En revanche, un sujet conscient peut
prendre un recul intrieur par rapport ces informations sensibles,
les modifier mentalement et par l mme distinguer le rel peru dun
rel possible. Lhomme peut exercer son imagination. Lide de possible
le conduit faire des hypothses scientifiques et mtaphysiques, crer
des uvres dart, imaginer des techniques etc. bref utiliser des
capacits de cration sans commune mesure avec celles des autres
espces. Il peut galement faire preuve dabstraction, autrement dit
il peut sparer mentalement ce qui est indissociablement uni dans la
ralit. Le sujet peroit une fleur mais il peut distinguer sa forme,
sa couleur, son odeur, sa consistance etc. Comme on le voit,
abstraire ne consiste pas sombrer dans lirralit mais se reprsenter
distinctement des aspects diffrents de cette ralit qui se prsentent
indissociables au sein de cette dernire. Si on entend par la pense
ces capacits dabstraction et cette possibilit dlaborer mentalement
un univers intrieur distinct de lunivers peru, il va de soi que
seul lhomme pense. Lhomme nest plus prisonnier de son corps et des
informations que ce dernier propose. La pense, dit Platon, nous
libre de la prison du corps . 5 La conscience est-elle la source
dun statut mtaphysique privilgi de lhomme ? (L) Ce dbat autour de
la nature et de limportance de la conscience est capital si lon
souhaite se prononcer sur le statut de lhomme dans lunivers. Voil
ce que Kant crit ce propos : Possder le Je dans sa reprsentation :
ce pouvoir lve lhomme au-dessus de tous les autres tres vivants sur
la terre. Par l, il est une personne ; et grce lunit de la
conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il
est une seule et mme personne, cest--dire un tre entirement
diffrent, par le rang et la dignit de choses comme le sont les
animaux sans raison, dont on peut disposer sa guise ; et ceci, mme
lorsquon ne peut pas encore dire le Je, car il la cependant dans sa
pense. Il faut remarquer que lenfant, qui sait dj parler assez
correctement, ne commence quassez tard dire Je ; avant, il parle de
soi la troisime personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et
il semble que pour lui une lumire vienne de se lever quand il
commence dire Je ; partir de ce jour, il ne revient jamais lautre
manire de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ;
maintenant il pense . (Anthropologie du point de vue pragmatique)
Pascal va dans le mme sens lorsquil proclame dans les Penses : La
grandeur de lhomme est grande en ce quil se connat misrable. Un
arbre ne se connat pas misrable. Cest donc tre misrable que de se
connatre misrable ; mais cest tre grand que de connatre quon est
misrable. Penser fait la grandeur de lhomme.
31. 31 Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tte
(car ce nest que lexprience qui nous apprend que la tte est plus
ncessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir lhomme sans
pense : ce serait une pierre ou une brute. Lhomme nest quun
roseau,, le plus faible de la nature ; mais cest un roseau pensant.
Il ne faut pas que lunivers entier sarme pour lcraser : une vapeur,
une goutte deau, suffit pour le tuer. Mais, quand lunivers
lcraserait, lhomme serait encore plus noble que ce qui le tue,
parce quil sait quil meurt, et lavantage que lunivers a sur lui,
lunivers nen sait rien. Toute notre dignit consiste donc en la
pense Ainsi, la conscience et la pense donnent lhomme une dignit
particulire par rapport toutes les autres espces animales. Car la
conscience rvle tout homme sa propre existence mais aussi sa
dimension morale. La conscience semble lui donner la libert qui lui
permet de surmonter, sil le veut, ses intrts gostes au nom de
valeurs suprieures. Cette possibilit qui lui est offerte le rend
responsable de ses actes. La perte de linnocence animale et la
noblesse ventuelle de ses choix moraux lui valent le respect qui
est attach toute personne humaine. A cette conception classique de
lhomme, qui fait de la conscience et de la pense les fondements de
sa dignit et de sa supriorit, soppose un autre courant de pense
dont Nietzsche est un des plus illustres reprsentants : Nous
considrons que cest par une conclusion prmature que la conscience
humaine a t si longtemps tenue pour le degr suprieur de lvolution
organique et la plus surprenante des choses terrestres, voire comme
leur efflorescence suprme et leur terme. Ce qui est plus
surprenant, cest bien plutt le corps. La splendide cohsion des
vivants les plus multiples, la faon dont les activits suprieures et
infrieures sajustent et sintgrent les unes aux autres, cette
obissance multiforme, non pas aveugle, bien moins encore mcanique,
mais critique, prudente, soigneuse, voire rebelle,- tout ce phnomne
du corps est, au point de vue intellectuel, aussi suprieur notre
conscience, notre esprit , nos faons de penser, de sentir et de
vouloir, que lalgbre est suprieure la table de multiplication. ( La
volont de puissance ) Dans Le Gai Savoir , Nietzsche relativise
limportance de la pense et de la conscience : Nous pourrions en
effet penser, sentir, vouloir, nous ressouvenir, nous pourrions de
mme agir dans tous les sens du terme : tout ceci naurait nullement
besoin d entrer dans notre conscience . La vie entire serait
possible sans pour autant se voir rflchie : cest effectivement
ainsi dailleurs que pour nous la majeure partie de la vie continue
scouler sans pareille rflexion- y compris mme notre vie pensante,
sensible, voulante - si malsonnant que puisse tre ceci aux oreilles
dun ancien philosophe. Pourquoi dailleurs absolument de la
conscience, ds lors quelle est superflue lessentiel ? A cette
dernire question, Nietzsche y rpond de la manire suivante : Je me
trouve en droit de supposer que la conscience ne sest dveloppe que
sous la pression du besoin de communiquer ; quelle ntait ncessaire
et utile au dbut que dans les rapports dhomme homme (notamment pour
le commandement), et quelle ne sest dveloppe que dans la mesure de
cette utilit. La conscience nest quun rseau de communications entre
hommes ; cest en cette seule qualit quelle a t force de se
dvelopper : lhomme qui vivait solitaire, en bte de proie, aurait pu
sen passer. Si nos actions, penses, sentiments et mouvements
parviennent - du moins en partie la surface de notre conscience,
cest le rsultat dune terrible ncessit qui a longtemps domin lhomme,
le plus menac de tous les animaux : il
32. 32 avait besoin de secours et de protection, il avait
besoin de son semblable, il tait oblig de savoir dire ce besoin, de
savoir se rendre intelligible ; et pour tout cela, en premier lieu,
il fallait quil et une conscience , quil st lui-mme ce qui lui
manquait, quil st ce quil sentait, quil st ce quil pensait. Car
comme toute crature vivante, lhomme, je le rpte, pense constamment,
mais il lignore ; la pense qui devient consciente ne reprsente que
la partie la plus infime, disons la plus superficielle, la plus
mauvaise, de tout ce quil pense : car il ny a que cette pense qui
sexprime en paroles, cest--dire en signes dchanges, ce qui rvle
lorigine mme de la conscience. Bref le dveloppement du langage et
le dveloppement de la conscience vont de pair. () Je pense comme on
le voit, que la conscience nappartient pas essentiellement
lexistence individuelle de lhomme, mais au contraire la partie de
sa nature qui est commune tout le troupeau ; quelle nest, en
consquence, subtilement dveloppe que dans la mesure de son utilit
pour la communaut, le troupeau ; et quen dpit de la meilleure
volont quil peut apporter se connatre , percevoir ce quil a de plus
individuel, nul de nous ne pourra jamais prendre conscience que de
son ct non individuel et moyen . Ces textes de Kant, Pascal,
Nietzsche, mettent en vidence les ambiguts propos de la dfinition
et de la nature mme de la conscience et de la pense. Il est clair
que pour Nietzsche la conscience, la pense sont assimiles au
psychisme en gnral. La conscience et la pense ne sont que des
aspects superficiels de ce psychisme, les aspects communs tous les
membres de lespce et qui napparaissent que sous la pression du
besoin et par lintermdiaire du langage. Ce qui est remarquable,
cest le corps et cette complexit du corps nest pas le propre de
lhomme. En revanche, pour la pense classique, non seulement la
conscience et la pense ne se rduisent pas un psychisme plus dvelopp
mais se prsentent comme des dimensions nouvelles de la ralit,
fondements de la spcificit et de la dignit particulires de lhomme.
Comme nous le verrons, ces deux interprtations diffrentes propos du
statut de la conscience et de la pense claireront nombre de
conclusions propos des capacits daction et de connaissance de
lespce humaine. II LHomme est un tre culturel 1 Les relations entre
la nature et la culture (L, ES, S, Tech.) Quentendre par nature et
culture ? La nature renvoie lensemble des ralits qui nont pas t
cres par lhomme, que ce soit le monde de la matire inerte, les tres
vivants et donc les caractristiques hrditaires de notre corps. A
loppos, la culture est lensemble des ralits matrielles et
spirituelles cres par lhomme. La culture devient donc synonyme de
la civilisation et non, comme on lentend frquemment, ltendue plus
ou moins importante de nos connaissances. De ce point de vue, tous
les aspects de la vie humaine se rattachent la culture, que ce soit
nos habitudes alimentaires, vestimentaires, le type dhabitat, nos
techniques, nos traditions profanes ou religieuses, nos croyances,
les modes dorganisation des socits, lensemble de nos savoirs, nos
uvres dart, nos langues de communicationetc. A ce titre, il ny a
pas dhomme sans culture. Tout homme possde peu ou prou des savoirs
et des pratiques dans les diffrents domaines voqus.
33. 33 Quappelle-t-on instincts ? Si les caractristiques
corporelles de lespce humaine se rattachent la nature, il nen irait
pas de mme concernant ses comportements. En effet, lhomme se
verrait dpourvu dinstincts. Cette affirmation se heurte des
rsistances dans la mesure o la notion dinstinct a un sens plus ou
moins large. Dans la conversation courante, nous attribuons
gnralement des instincts lhomme. On voque linstinct maternel,
linstinct sexuel, linstinct de survie etc. Mais il sagit l dune
extension abusive du sens de ce terme. Quest-ce quun instinct au
sens rigoureux du terme ? Il sagit de comportements inns, uniformes
chez tous les membres de la mme espce, parfaitement adapts leur
objectif et non susceptibles dvoluer sous leffet dun apprentissage.
Lexemple type est celui de laraigne, lpeire diadme de nos jardins,
qui tisse sa toile hexagonale et ce ds la naissance, compose de
fils successifs dont alternativement lun adhre aux pattes de
linsecte et lautre non, ce qui explique que laraigne en question ne
se rend pas prisonnire de sa propre toile. Linstinct renvoie donc
des comportements complexes, prcis, incarnant une mmoire hrditaire
et autorisant ladaptation de lanimal concern son environnement.
Lintelligence comme capacit dapprentissage Certes, lexemple de
laraigne apparatra extrme et en fin de compte peu significatif. Ce
qui est vrai pour des espces dont le systme nerveux est
rudimentaire peut-il sappliquer lensemble des espces animales,
notamment les animaux domestiques qui nous entourent ? Car ces
derniers sont capables dapprentissage. Si on considre que
lintelligence se dfinit par la capacit dapprentissage, alors ces
animaux possdent une forme dintelligence. Cependant, il est
galement incontestable quils adoptent des comportements identiques
tous les membres de leur espce, comportements qui ne rsultent pas
dun apprentissage. A ct de lintelligence, ils se voient donc
pourvus dinstincts. En somme, au fur et mesure du dveloppement du
systme nerveux la part dintelligence et donc la capacit
dapprentissage croissent et la part dinstincts ou de comportements
inns et rigides dcrot, dans la mesure o ces derniers deviennent
moins indispensables ladaptation leur environnement et leur survie.
Il y a donc l une logique de lvolution, qui vraisemblablement sous
la pression de la slection naturelle, ne conserve dans
lorganisation des tres vivants que les caractristiques utiles cette
survie. Or, si lon poursuit dans cette logique, on comprend que
lhomme, dont le cerveau est capable de tout apprendre soit dpourvu
dinstincts. Ces derniers, sils existaient, loin de le favoriser,
deviendraient de par leur rigidit et leur caractre strotyp, des
obstacles son progrs. Il semblerait que lhomme moderne, lhomo
sapiens sapiens, ne possde quun seul instinct,- et encore cela
est-il sujet discussion chez les anthropologues, cest--dire les
spcialistes tudiant lhomme- savoir celui de succion. En effet, un
enfant, ds la naissance, doit tre capable de tter sa mre, de se
nourrir sans passer par le pralable dun apprentissage en la matire.
Il faut distinguer instincts et besoins Mais alors quen est-il des
instincts que lopinion commune attribue lhomme ? Peut-on contester
lexistence dun instinct maternel ou sexuel par exemple ? Il
convient, afin
34. 34 dclairer ce dbat, de bien distinguer les notions de
besoin et dinstinct. Lhomme, au mme titre que laraigne, possde des
besoins, par exemple le besoin de se nourrir. Ce besoin se traduit
par un certain nombre de sensations dordre physiologique. En
revanche, linstinct renvoie non lexistence mme du besoin, mais la
manire de satisfaire ce besoin, aux moyens utiliss cet effet.
Laraigne tisse une toile afin de capturer ses proies. Toutes les
araignes de la mme espce font de mme, en ralisant exactement la mme
toile, sans jamais lavoir appris et sans que cette technique
naturelle soit perfectible grce un apprentissage. Si lhomme
possdait un instinct en vue de se nourrir, cela signifierait que
tous les hommes, de toutes les poques, de tous les milieux,
utiliseraient des techniques naturelles identiques, non apprises
par consquent et non susceptibles de progresser. Labsurdit dune
telle hypothse apparat alors clairement. Par rapport au besoin de
se nourrir, la diversit des moyens pour y parvenir, que ce soit
dans les techniques utilises ou bien dans le choix mme de la
nourriture, est patente. Il en va de mme concernant la satisfaction
du besoin sexuel o limagination de lhomme est fort riche. Cest
encore vrai propos du prtendu instinct maternel, puisque l encore
les manires de procder en matire dducation sont aussi varies que ne
le sont les civilisations humaines. Lhomme ne devient homme quau
contact des hommes Sil est vrai que lhomme se voit dpourvu
dinstinct, cela signifie que tous ses comportements, cest--dire
toutes ses manires de procder afin de satisfaire ses besoins
relvent dun apprentissage et nont aucun caractre naturel ou inn. En
ce sens lhomme a besoin dtre en contact avec dautres hommes pour se
comporter dune manire bien dfinie, correspondant aux
caractristiques de la socit au sein de laquelle il se trouve. Il y
a l une diffrence essentielle avec le monde animal. Un chaton lev
et nourri par une chienne par exemple adoptera nanmoins des
comportements propres son espce. En revanche des enfants abandonns
la naissance ne deviendront pas spontanment des hommes, car il ny a
pas de comportements hrditaires attachs lespce humaine. Ils ne
disposeraient pas dun langage naturel et donc ne pourraient pas
dvelopper leur pense potentielle puisque ce dveloppement est
indissociablement li celui de loutil pour lexprimer, savoir une
langue bien dfinie. Le cas clbre des enfants sauvages , notamment
des enfants loups , cest--dire denfants recueillis ds la naissance
par des louves, illustre parfaitement le propos. Ces enfants, qui
possdent les capacits dapprentissage propres lespce humaine, vont
tenter dimiter les loups, en se dplaant quatre pattes, en imitant
leurs cris etc. Mais, aprs avoir t repris en charge par les hommes,
vers lge de six ans, ils ne retrouveront jamais les capacits
humaines. En effet, lhomme est en quelque sorte un prmatur naturel.
Cest ce quon appelle le phnomne de notnie . A la naissance, il
possde la totalit de ses neurones mais encore peu de connexions
neuroniques. Ces dernires se mettront en place pour lessentiel lors
des deux premires annes. Cela suppose lintervention parallle dun
enzyme qui permet la mise en place de la myline, cette substance
grise qui assure les liaisons neuroniques. Or, cet enzyme nest
actif que lors des deux premires annes. Autrement dit, si cette
priode na pas t mise profit afin dachever pour lessentiel la
construction crbrale, il est ensuite trop tard. Lhomme ne devient
homme quau contact des hommes.
35. 35 Jean Rostand, dans Penses dun biologiste , en tire les
conclusions suivantes : Le biologique ignore le culturel. De tout
ce que lhomme a appris, prouv, ressenti au long des sicles, rien ne
sest dpos dans son organismeChaque gnration doit refaire tout
lapprentissageDe jeunes fourmis isoles de la fourmilire refont
demble une fourmilire parfaite. Mais de jeunes humains spars de
lhumanit ne pourraient reprendre qu la base ldification de la cit
humaine. La civilisation fourmi est inscrite dans les rflexes de
linsecteLa civilisation de lhomme est dans les bibliothques, dans
les muses, et dans les codes ; elle exprime les chromosomes
humains, elle ne sy imprime pas. Il est difficile de distingue
entre les influences respectives de lhrdit et du milieu Ce dbat
propos des influences de lhrdit et du milieu dans le comportement
humain est sensible car trop souvent pollu par des considrations
idologiques ou des prjugs, sans compter les conclusions
scientifiques encore incertaines. Lorigine de lintelligence, du
caractre, de la maladie mentale constitue les trois grands problmes
concerns par ce dbat. Lopinion commune se fonde sur la ressemblance
entre les gnrations pour accorder une importance dcisive lhrdit. Ce
critre de ressemblance prsente le mrite mais un mrite fallacieux-
de lvidence. Les chercheurs ne sont pas labri de ce genre de
prjugs. Ce fut le cas de Cyril Burt, charg au lendemain de la
seconde guerre mondiale par le gouvernement britannique de mener
une enqute afin de connatre les influences respectives de lhrdit et
du milieu concernant lintelligence. Les conclusions de Burt
dominrent la science pendant longtemps : la part de lhrdit slevait
80% et celle du milieu 20%. Ces conclusions se sont avres
doublement errones puisquelles accordaient tort la part prpondrante
lhrdit et quelles sparaient nettement hrdit et milieu alors mme
quils sont intimement lis. Elles relevaient de plus de la
falsification scientifique plus inconsciente que dlibre
semble-t-il. En effet, C. Burt avait logiquement choisi dtudier les
comportements intellectuels de vrais jumeaux spars la naissance et
duqus dans des milieux diffrents, afin de mettre en vidence le rle
dcisif de lhrdit. Porteurs du mme patrimoine chromosomique, si les
performances de ces jumeaux restaient identiques alors mme quils
voluaient dans des milieux diffrents, le rle capital de lhrdit se
verrait tabli. Convaincu ds le dpart de la validit de cette
conclusion, C. Burt fut amen inflchir les rsultats numriques et de
proche en proche valider son hypothse de dpart qui fut accepte en
dpit de linvitable troitesse de lchantillon tudi, tant il va de soi
que trouver des vrais jumeaux levs sparment ntait gure ais. La
difficult doprer de telles expriences explique que ces conclusions
dominrent plusieurs dcennies. A vrai dire ces conclusions
relevaient de lidologie et non de la science. Les partisans de
lordre social sont ports croire que seule lhrdit est responsable de
nos capacits, lgitimant ainsi la hirarchie sociale en place. A
loppos, les rvolutionnaires sont disposs soutenir que seul le
milieu joue un rle, justifiant ainsi leur combat politique.
Ajoutons que lactivit scientifique elle-mme ne fut pas labri de ces
influences idologiques ou de lextrmisme des conclusions apportes
ces questions. Aprs que la psychiatrie du dbut du XX sicle ait t
domine par les explications purement biologiques, un mouvement
inverse, le courant dit anti-psychiatrie , au milieu du XX sicle,
fit de la maladie mentale un simple symptme dune pathologie
sociale. Aujourdhui, il semble quun
36. 36 consensus scientifique se dgage prenant en compte les
deux facteurs en cause, savoir lhrdit et le milieu en soulignant
leurs relations indissociables et inextricables. Voil ce que Lucien
Malson, dans Les enfants sauvages affirme ce propos : Le
comportement, chez lhomme, ne doit pas lhrdit spcifique ce quil lui
doit chez lanimal. Le systme de besoins et de fonctions
biologiquesapparente lhomme tout tre anim sans le caractriser, sans
le dsigner comme membre de l espce humaine . En revanche cette
absence de dterminations particulires est parfaitement synonyme
dune prsence de possibles indfinis. A la vie close, domine et rgle
par une nature donne , se substitue ici lexistence ouverte,
cratrice et ordonnatrice dune nature acquise . Ainsi, sous laction
de circonstances culturelles, une pluralit de types sociaux et non
un seul type spcifique pourront-ils apparatre, diversifiant
lhumanit selon le temps et lespace. Ce que lanalyse mme des
similitudes retient de commun chez les hommes cest une structure de
possibilitsqui ne peut passer ltre sans un contexte social, quel
quil soit. Avant la rencontre dautruilhomme nest rien que des
virtualits Le problme de la nature humaine, cest en somme celui de
lhrdit psychologique, car si lhrdit biologique est un fait aussi
clair que le jour, rien nest plus contestable que la transmission
par le germe de proprits dfinies, dcelables, dans lordre de la
connaissance et de laffectivit- donc de laction ordre o lhumanit,
justement se laisse reconnatre. Le naturel, en lhomme, cest ce qui
tient lhrdit, le culturel cest ce qui tient lhritageIl nest pas
facile, dj, de fixer les frontires du naturel et du culturel dans
le domaine purement organique. La taille, le poids de lenfant, par
exemple, sont sous la dpendance de potentialits hrditaires, mais
aussi de conditions dexistence plus ou moins favorables quoffrent
le niveau et le mode de civilisation. Que la nourriture, la lumire,
la chaleur mais aussi laffection viennent manquer et le schma idal
de dveloppement se trouve gravement perturb. Dans le domaine
psychologique les difficults dun clivage rigoureux entre le naturel
et le culturel deviennent de pures et simples impossibilits. La vie
biologique a des conditions physiques extrieures qui lautorisent
tre et se manifester, la vie psychologique de lhomme des conditions
sociales qui lui permettent de surgir et de se perptuer. Chez
lanimal (du reste, de moins en moins nettement au fur et mesure que
lobservation glisse des espces infrieures aux espces suprieures) on
voit le comportement li aux automatismes corporels : lhrdit des
instincts nest au fond quune autre dsignation de lhrdit
physiologique. Chez lhomme, le concept dhrdit psychologique, au
contraire, si lon entend par l une transmission interne dides, de
sentiments et de vouloirs, et quels que soient les processus
organiques quon imagine leur source, perd toute signification
concevable . Ces analyses ne doivent pas conduire minimiser lextrme
le rle de lhrdit. Il est vrai que la science actuelle na dcel aucun
gne du caractre par exemple, si on entend par caractre la manire
habituelle et spontane de se comporter Pourtant les cas de
ressemblances troublantes de comportements entre lointains aeux et
enfants ntant jamais entrs en contact nest pas rare. De mme est-il
difficile de refuser que les ingalits corporelles, patentes dans
tous les domaines et concernant tous les organes, sarrtent par
miracle au cerveau. Comment expliquer par exemple le gnie prcoce de
Mozart uniquement par les effets de lducation ? A linverse, il va
de soi que si Mozart navait pas volu au sein dun milieu privilgi
notamment sur le plan musical, jamais son talent naturel ne se
serait exprim. Dailleurs, si les tudes scientifiques tablissent une
proximit incontestable des comportements de jumeaux vrais sur tous
les plans, intellectuel et affectif, mettant ainsi en vidence le
rle du patrimoine chromosomique, elles tablissent tout autant la
proximit