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Page 1: Le projet fou d un Français à Sao Paulo - StarckLe projet fou d ’un Français à Sao Paulo URBANISME Alexandre Allard bâtit une cité du futur au centre de la mégapole brésilienne

Le projet fou d ’un Français à Sao PauloURBANISME Alexandre Allardbâtit une cité du futur au centrede la mégapole brésilienne. Avecce dessein hors norme, il tient sarevanche sur l ’échec de l ’hôtelde la Marine à Paris

Envoyée spéciale

Sao Paulo (Brésil)

Il est presque minuit au Brésil.L ’ heure où Paris s’éveille et oùAlexandre Allard, 50 ans, n ’a toujours pas sommeil. L ’entrepreneurau regard bleu roi est habitué à chevaucher les fuseaux horaires entreSao Paulo, Londres, les Antilleset le golfe de Sperone, en Corse.Toujours en mouvement, dans lesaéroports, les restaurants, les hôtels,les showrooms ou les salons professionnels. Cette année, sa maquettede Cidade Matarazzo a fait sensation au Mipim de Cannes, le grandraout mondial des professionnelsde l’immobilier.

A l’entendre, le projet est l ’archétype de la ville du XXI e siècle, aussiphysique que connectée. Une citéradieuse qui a trouvé l’ hospitalitédans une friche de 5 hectares situéeen bordure de l ’avenue Paulista,les Champs-Elysées de Sao Paulo,arpentée chaque jour par plus de1 million de personnes. « Ici, nousallons changer le monde, c ’est ladernière- grande aventure occidentale », s'enflamme ce fils d ’expatsné à Washington et qui a grandi enCôte d ’ivoire, à Abidjan. Mégalo ouvisionnaire ? L ’avenir le dira. Pourl ’ instant, le point d ’arrivée de sonodyssée personnelle est une utopieurbaine à 600 millions d ’euros encours de construction.

Sur place, le chantier bat sonplein. Un millier d ’ouvriers, une

soixantaine d ’ingénieurs et unedizaine de grues s’affairent pourfaire sortir de terre d ’ici l’été 2020une tour boisée de 25 étages remplie d’appartements et de chambresd’hôtel, enterrer des routes, creuser en sous-sol des parkings et uncentre de logistique, et agencer unmarché bio à ciel ouvert. Il faut aussioffrir une nouvelle vie aux pavillonshospitaliers et à la maternité érigés au début du siècle dernier, quihébergeront 350 boutiques, unetrentaine de restaurants et unemaison de la créativité. Et replanter 10 000 arbres extraits de la forêtatlantique. « Nous avons découvertun site envahi par des lianes dontnous allons faire un lieu d ’expérienceunique au monde et le symbole decette mégapole », décrit AlexandreAllard, un casque vissé Sur la tête.

D ’un geste ample, il pointe le futuremplacement de Tupi. Un monument iconi que, deux fois plus hautque le Christ rédempteur qui surplombe la baie de la grande rivale,Rio de Janeiro. Conçu par l’artistebelge Aime Quinze, il consisteraen un empilement de poutrellesmulticolores célébrant la diversitéinhérente à la capitale économiquedu Brésil. Sao Paulo est la premièreville noire des Amériques, et abriteles plus importantes communautéslibanaise, j aponaise et italienne horsde leurs pays d ’origine.

Une utopie urbaineà 600 millions d ’eurosL ’entrepreneur veut faire de cetécrin parsemé d’arbres flamboyantsunespace« ouvert aux millionnairescomme à ceux qui n ’ont que 2 eurosen poche » et un lieu de réinsertion.Des sans-abri recrutés sur la basedu volontariat vont être formés à

la culture, à la récolte et à la logistique pour gérer quelque 200 fermesurbaines sur des terrains offerts parla Ville, et écouler leurs produitssur place. Il a aussi embarqué dansson aventure tropicale ses amisles « starchitectes >>français JeanNouvel, Rudy Ricciotti et PhilippeStarck, et des grands noms du designcomme les Brésiliens Fernando etHumberto Campana. « C ’est unprojet né de l’architecture mentaleinouïe d ’Alexandre Allard et de sapassion folle pour le Brésil. C ’est un lieuqui vous envoûte comme un livre deGarcia Marquez », analyse PhilippeStarck, qui a effectué une trentainede voyages sur place.

Plus de 33 000 personnes portentla traîne du bâtisseur Allard, dontune kyrielle d ’artisans placés sousla houlette du groupe Ateliers deFrance. Si le projet met à l’ honneurles talents tricolores, il n’utilise quedes matières premières brésiliennestravaillées par des filières d ’excellence 100 % locales. « On territorialisé les emplois et les matériaux,on transmet des savoir-faire et onintervient en préservant la mémoiredes bâtiments, jusqu ’à la patine quirecouvre leurs murs », s’enthousiasme Rudy Ricciotti.

de 18 à 25MILLIONS

Le nombre de visiteursattendus chaque année

à Cidade Matarazzo

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Alexandre Allard a investi toutesses économies dans un projet qu ’ildécrit comme « toutes [s]es expériences en une seule, de la base dedonnées à la mode en passant parla microfinance ». Le conglomérat hongkongais Chow Tai Fook,premier joaillier au monde etpropriétaire de la chaîne hôtelièreRosewood, contribue toutefoispour moitié à son financement.« M. Cheng, le patron de Chow TaiFook, c ’est l’équivalent d ’un BernardArnault survolté », situe-t-il- Maisle Français conserve le contrôleavec 51 % du capital. Le retour surinvestissement proviendra desrevenus immobiliers, des pourcentages sur les ventes des commerces et des recettes tirées del ’exploitation des données clients.Line masse critique puisque l’entrepreneur prévoit d ’accueillir entre18 et 25 millions de visiteurs paran. « Nous allons créer un universqui fusionne enfin les mondes physique et numérique », revendique-t-il. Comment? Avec une version4.0 du modèle qui a fait sa fortunelorsqu ’ il avait 30 ans.

L ’ancien fondateur de Consodata,la plus grande base de données deconsommateurs, revendue 500 millions d ’euros en 2000, a fait sesgammes dans l ’ informatique etle marketing direct. A CidadeMatarazzo, une application trufféed ’intelligence artificielle codévelop-pée avec Farfetçh, un des championsaméricains de l’e-commerce, servirade sésame pour accéder au site. Ellerenseignera sur la personnalité, lesgoûts et les attentes exprimées ouanticipées des visiteurs. De quoitransformer leurs données enachats de nuitées, de culture, dedivertissements, de gastronomie,

de mode ou encore de produits bio.«En tapant avec votre smartphonesur un produit, vous concrétiserezun désir sans aucun irritant et dansun lieu très émotionnel », veut croireJacques Brault, ancien patron deDarty-Fnac au Brésil, qui le secondedans ce projet.

Delà « démolition »à la « reconstruction party »Ici, le self-made-man tient sarevanche sur l’échec de l ’hôtel dela Marine, place de la Concorde,à Paris, qui le « chatouille encorenégativement ». Ce lieu qu ’il rêvaitde transformer en Villa Médicis destemps modernes sera définitivemententerré par une commission pilotée par Valéry Giscard d ’Estaing en2011. C ’était après sa remise à flot del ’hôtel Royal Monceau, précédéed’ une des fêtes les plus déjantéesde la planète. Acte fondateur de lamédiatisation d ’Alexandre Allard,la « démolition party » restera ungrand moment de libération collective. «Et mon invasion créativecontre la bourgeoisie française avecdes VIP en tenue de soirée occupés àcasser trois étages de l’hôtel, en présence de cinq ministres de la Culture,avec en même temps des concertsd ’Adele, deKanye West, de Raphaël,de Thomas Dutronc », égrène-t-il,hilare. Avec un talent consommépour faire le buzz, l’entrepreneurvoit beaucoup plus grand pourl ’inauguration de Cidade Matarazzo.Une.., « reconstruction party » avec,prévient-il, « un concert géant, toutle quartier bouclé et 2 millions depersonnes rassemblées à l ’occasionde la journée internationale de ladiversité ». •

BRUNABASINI

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L’entrepreneur Alexandre Allard, le 24 avril, sur le chantier pharaonique de Cidade Matarazzo. paulo fridman /polaris pourlejdd


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