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Page 1: Leila Alaoui

58 | du 24 au 30 octobre 2009 hebdomadaire

Leila Alaoui passe lentement sesdoigts sur la dernière photo de sonlivre No Pasara (Ne passera pas), unecollection de photos dressant le por-trait de jeunes Marocains qui rêvent

de passer de l'autre coté de la Méditerranée.La photo montre un jeune homme, la ving-taine, allongé à l'intérieur d'une barque rus-tique blanche et verte, son bras légèrementmusclé laisse timidement apparaître untatouage qui laisse penser que c'est un marinabsorbé par ses rêves de voyages. Sa barbede plusieurs jours, son air las et son regardde détresse indiquent son désir de partir. Ilsemble déconnecté de tout, il ne remarqueni la mer houleuse ni l'appareil photo dirigésur lui. «C'est une des photos qui m'a le plusmarquée», explique la photographe de 27 ans.«Je voulais expérimenter le trajet en barque versl'Europe. J'ai passé trois jours sur un bateauavec trois jeunes hommes qui avaient hreg etqui étaient revenus. C'est seulement le troisièmejour que j'ai sorti mon appareil photo. A unmoment, ils ont oublié que j'étais là, tout lemonde était allongé, le regard dans le vide, etc'est l'instant que j'ai choisi de capturer.»

De l’autre côté de la mer. LeilaAlaoui est née à Paris et a grandi à Marra-kech. Ses œuvres ont été exposées dans plu-sieurs villes du Maroc et en Espagne où ellea gagné un prix pour le concours Photoa-frica en mai 2009. Elle est aussi l'auteur dedeux ouvrages photo. Avec une mère pas-sionnée de photographie, elle a été très jeunesensibilisée au medium. A 18 ans, elle s'en-vole vers New York où elle poursuit des étudesde sociologie et de photographie documen-taire. Elle y passe huit ans durant lesquelselle se construit professionnellement. Ses pre-miers travaux sont des portraits en studio

d'hommes et defemmes anonymes. Lesphotos d'apparence simplemarquent par la beauté de la com-position et les émotions dégagées par lessujets. En 2008, elle rentre au Maroc avecle projet d'allier art et sociologie dans sontravail. Elle passe plusieurs mois dans desrégions reculées du Maroc, frappées par lamisère et fortement touchées par l'émigra-tion clandestine. «J’ai vécu au quotidien avecces jeunes et leurs familles, dans des conditionssouvent difficiles. J’avais besoin de m’impliquercomplètement avec eux. Il me fallait partagerleur réalité, la ressentir et la comprendre»,raconte-t-elle. «J’ai passé beaucoup de tempsà les observer, les écouter avant de pouvoir tra-duire leurs histoires en images».

Une des photos dans l'ouvrage No Pasara

montre un mur dans la ville de El Ksiba àquelques kilomètres de Beni Mellal où estécrit en grandes lettres “Halou al bab oulantertek” (ouvrez la porte ou je vais exploser).Cette photo symbolise le désespoir généralque Leila Alaoui a su capturer au fil desimages. Son reportage nous montre le quo-tidien de cette jeunesse désespérée dont leseul espoir pour une vie meilleure est de pas-ser de l'autre côté de la mer. Pas besoin detexte pour comprendre le désespoir de cesjeunes, les photos parlent pour eux, telle cellepoignante d'un jeune garçon debout devantdes déchets d'ordures portant un tee-shirt oùil est écrit “Andalucia” . La photographeexplique le choix de son sujet: «En tant que

photographe franco-marocaine, ayant eule privilège de voyager et d’être

exposée à différentes cul-tures, j’ai toujours porté

un intérêt à ceux quisont malheureuse-

ment privé deréaliser leur rêveau Maroc ouailleurs.»

Après NoPasara, L.A l a o u idécide defaire un

ouvrage réu-nissant qua-

rante artistesm a r o c a i n s

contemporains ,plasticiens, peintres,

photographes, cinéastes,sculpteurs, toutes générations

confondues. Il s'intitule 40 et nous trans-porte dans l'univers artistique de chacun dessujets. On y voit l'artiste Mohamed El Bazenroulé dans une des ses installations et MahiBinebine posant devant l'une de ses œuvres.

«En rentrant au Maroc, j’ai ressenti une forteeffervescence du monde de l’art. J’ai tout de suitevoulu aller à la rencontre de certains acteurs dela scène artistique marocaine», raconte LeilaAlaoui. Elle veut approfondir les sujets surlesquels elle a déjà travaillé. Prochain pro-jet : un film documentaire sur l'immigra-tion subsaharienne au Maroc.

AÏDA ALAMI

Prendre des photosartistiques qui traitentde problèmes sociaux,telle est l’ambitionde la jeune photographemarocaine Leila Alaoui.Portrait.

Cette photosymbolise ledésespoirgénéral queLeila Alaoui (ci-contre) a sucapturer au fildes images.

Artistes et marginauxsous l’objectif

PhotoCULTURE

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