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Les Français sont moroses, etne font pas confiance à leursdirigeants pour résoudre

leurs problèmes. Le phénomènen’est certes pas nouveau, mais ils’accentue dans des proportionsinquiétantes. C’est ce que révèle ledernierbaromètresur la«confian-ce en politique», réalisé par Opi-nionWaypour le Centre de recher-ches politiques de Sciences Po(Cevipof) et l’Institut Pierre-Men-dès-France.Uneétudeconduitedu7 au 22décembre 2010 auprès de1501personnes âgées de plus de18ans, et dont LeMonde publie lesrésultats en exclusivité.

Unmoral en berneQuandon leurdemandelesqualificatifsquicarac-térisent lemieux leur état d’espritactuel, les Français sont très clairs.34% répondent la « lassitude»,28% la «méfiance » et 28% la«morosité». Comme le montre lacomparaison avec les résultats dubaromètre précédent, réalisé endécembre2009, leur moral s’estnettement dégradé : en un an, la«lassitude» a gagné 8points dansl’ensemble de la population, etmême12pointsparmilesfemmes,11 points chez les moins de 35 anset 13pointsauseindesprofessionsintermédiaires.

Parallèlement, le pessimisme aprogressé.Fin2009,50%desFran-çais estimaient qu’un événementrécent leur avait fait perdreconfiance en l’avenir. Ils sontaujourd’hui 57%. Sans surprise,l’événementmajoritairement citéest lacriseéconomiqueetfinanciè-re. Une crise dont 65%desperson-nes interrogées estiment que laFrance ne sortira qu’après 2012.«Celamontreàquel point les Fran-çais sont désabusés, note PascalPerrineau, directeur du Cevipof.Non seulement, ils se voient dansun tunnel, mais ils sont persuadésd’y être pour longtemps.»

Unedéfiancegénéralisée Si l’op-timismedécline,c’estque lesFran-çais font de moins en moinsconfiance à ceux qui sont censésleur préparer des jours meilleurs.Ce sentiment ne date pas d’hier.Comme le rappelle Pascal Perri-neau, il s’est installé dans l’opi-nion au milieu des années 1980,

c’est-à-direaumomentoù«l’alter-nance entre la droite et la gauche acessé d’être considérée commeunevéritable alternative ». Mais, làencore, la tendance s’accentue :alors que, fin 2009, 56% des Fran-çais n’avaient confiance ni en ladroitenienlagauchepourgouver-ner, ils sont aujourd’hui 60%.

Certes, les responsables politi-ques ne sont pas seuls à voir leurcrédibilité vaciller. Dans notre«sociétédedéfiance»,pourrepren-dreletitred’unessaideséconomis-tesYannAlganetPierreCahuc (Ed.Rued’Ulm,2007), la suspiciontou-che la plupart des organisations.Crise oblige, la perte de confiance

affecte surtout les banques (20%,9 points de moins qu’en 2009) etles entreprises privées (37%,4pointsdemoins).Mais laméfian-ce vise des lieux traditionnelle-ment peu exposés à ce sentiment.Si les hôpitauxrestent en tête desorganisationsinspirantlaconfian-ce des Français, eux aussi voientcelle-ci décliner de 83% à 78%.

Dans ce contexte général de«déclindel’institution», selonl’ex-pression du sociologue FrançoisDubet, les dirigeants politiquessont très fragilisés. Avec un tauxdeconfiancede13%,enbaissed’unpointpar rapportà2009, lespartissontde loin les organisationsdontles Français se défient le plus.

Trèsfrappantest lediscréditquifrappe les élus locaux. Si la «primeà la proximité» reste une réalité,elle l’est bien moins qu’aupara-vant. Mais, si la confiance dans leprésidentde laRépublique s’érodemoins que celle des députés et desmaires, c’est aussi parce que sonétiage est très bas : 29%, soit9points de moins que le premierministre, le seul dont le taux deconfiancen’aitpasbaisséenunan.

La perspective de 2012 A quinzemois de l’élection présidentielle,reste à savoir comment ces chif-

fres se traduiront dans les urnes.Citant l’économiste et sociologueaméricain Albert Hirschman, Pas-cal Perrineau rappelle que « lemécontentementnourritgénérale-ment deux attitudes : le retrait oula contestation».

Or, aujourd’hui, les Françaishésitent.D’uncôté, l’influenceprê-tée à certains gestes décline : déjàfaible, la croyance en l’efficacitédesmanifestations(8%)etdesgrè-ves (6%) a chuté après l’échecde la

mobilisation contre la réformedes retraites (–3 et – 5points enunan). A l’inverse, le crédit des élec-tions progresse de 8 points, 56%des Français estimant que voterest lameilleure façond’influer surles décisions prises dans le pays.

Pour le politologue, ce chiffreestàlafoisrassurantet inquiétant.Rassurant car il signifie que, mal-gréleurcolère,«lesFrançaisneveu-lent pas brûler le navire et restentattachés aux outils de la démocra-tiereprésentative». Inquiétantpar-ceque«la scèneélectorale, enrede-venantcentrale, risquedecanaliserle sentiment de défiance».

Pour éviter qu’un tel sentimentneprévaleen2012,quecesoit sousla forme d’une abstention protes-tataire ou d’un repli vers des per-sonnalités situées aux marges dusystème, les candidats n’ont guèrele choix. Ilsdevrontavant tout ras-surer. Puisque nul ne croit plus enleur capacité de «changer la vie»,commelepromettaitFrançoisMit-terranden1981, lesdirigeantspoli-tiques sont d’abord jugés à l’aunede leur aptitude à protéger.

Ce besoin de protection, lié à lapeur du déclassement, se lit dansle fait que 40% des personnesinterrogées pensent que « la Fran-ce doit se protéger davantage dumonde», soit 10% de plus qu’en2009. Mais «cet appel au protec-tionnisme est aussi culturel», notePascalPerrineau.59%desFrançaispensentainsiqu’ilyatropd’immi-grés en France, soit 10% de plusqu’en 2009.

Le fait que ce sentiment soitdevenu majoritaire chez les jeu-nes (56% des 18-24 ans), les diplô-més (53% des bac +2) et les «sansreligion» (51%), autrement dit ausein de l’électorat traditionnel dela gauche, est sans doute l’un desrésultats lespluspréoccupantsdecette enquête, en particulier pourle Parti socialiste.p

ThomasWieder

Lespectredu21avril2002planesurl’électionprésidentiellede2012

«Nonseulement,ilssevoientdansuntunnel,maisilssontpersuadésd’yêtrepourlongtemps»

Pascal Perrineaudirecteur du Cevipof

LesFrançaisseméfientdeleursélusLebaromètreduCevipof sur«laconfianceenpolitique»met l’accentsur la lassitudeet lamorosité

Leniveaudeconfiancedanslesmaireschute

Analyse

Il faut prendre au sérieux Fran-çoisHollande,Michel Rocard ettous ceuxquimettent engardecontre le risque d’unnouveau21avril 2002. A quinzemois del’électionprésidentielle de 2012, lebaromètre sur la confiance enpoli-tiquedu centrede recherches poli-tiquesde Sciences Po (Cevipof)met en évidenceun triple phéno-mène: la crisemondiale créeunréflexede peur, de repli sur soi, derejet de tout ce qui vient de l’exté-rieur.

La capacité des politiques à pro-téger et surtout à assurer un ave-nirmeilleur est fortementmiseendoute. La défiance est d’autantplus forte quedes promesses derupture avaient été faites en 2007et qu’elles n’ont pas été tenues.Cette déception se lit notammentà travers les réponses de 21%des

Français qui déclarent avoir per-du confiance enNicolas Sarkozy.S’ajoutant aux47%qui disentn’avoir jamais eu confiance en lui,ils pointent «beaucoupdepromes-ses non tenues, undiscours parfoisconvaincant,mais qui ne semblejamais suivi d’effets».

SégolèneRoyal et FrançoisBay-rou, qui avaientvoulu incarnerune formede rupture il y aquatreans, subissent aussi ce contrecoup.Unepartie desFrançais leur repro-chentunmanquedecrédibilité ouune insuffisancedepropositions.

Le baromètre duCevipof com-plète les tendancesmises en évi-dence par un récent sondageBVAGallup, réalisé du 11octobre au13décembre 2010 dans 53pays:les Français seraient «les cham-pions dumonde dupessimisme»,notamment lorsqu’il s’agit d’envi-sager l’avenir économique. Le sen-timentde déclassement social,

qui travaillait déjà les classesmoyennes en 2007 et contrelequel tous les candidats avaienttenté d’apporter des réponses,continuede croître. Le terreau estpropice aux accidents électorauxdu type 21avril 2002, soit par

pousséede l’abstention, soit parmontée, dans les deux camps, decandidatures de contestation.

Un certain nombred’ élémentspermettent cependant de nuan-cer ces évolutions:Marine LePenabeauêtre le phénomènemédiati-

quede ce début d’année, avec desatouts du type «elle estmoinsagressive que sonpère, elle connaîtles préoccupations des Français»,le rejet reste fort. Et 68%des Fran-çais estimentn’avoir jamais euconfiance en elle.

Unepetite prime se dessine enfaveur de la gauche : la confianceen elle pour gouverner le paysaugmente de 7points par rapportà décembre2009pour s’établir à22%, alors qu’elle diminuede1point à droite (à 21%).

Il est significatif aussi deconstater que, dans les deuxcamps, la conscience dudangerexiste. A droite, Nicolas Sarkozyfait tout pour éviter lamultiplica-tion des candidatures de premiertour, au pointmêmede vouloirtendre lamain àDominique deVillepin. A gauche,MartineAubrymultiplie les appels au rassemble-ment, espérant pouvoir canaliser

à l’intérieur duparti l’énergie deSégolèneRoyal et à l’extérieur cel-le de Jean-LucMélenchonqui,tous les deux, incarnent une for-mede radicalisation.

Parallèlement, les principauxprétendants cherchent à renfor-cer leur crédibilité. A la lecture del’enquête duCevipof, on com-prendpourquoiNicolas Sarkozys’est lancé, depuis le remanie-mentministériel du 14novembre,dans sonopération «présidentiali-sation». Les 4%de Français dontil a gagné la confiance citent «sacarrure internationale, son efficaci-té dans les crises».

Etreprésident est l’undes raresatouts qui lui reste pour tenter deregagner la confiance des Français.La cartemérited’être jouéed’autantplus qu’enpleine criseéconomique la primen’est plus àla rupture,mais au sérieux. A cetégard, le socle deDominique

Strauss-Kahnparaît solide. 25%des Françaisdisent avoir toujourseuconfiance en lui et 25% recon-naissentqu’il a sugagner leurconfiance. Parmi les raisons invo-quées: «la façondont il dirige leFMI, sa compétence d’économiste»ouencore «ses prises de conscien-ce réalistes sur l’âge de la retraite».

Moinsbienplacée, avec 17%deFrançaisqui ont toujours euconfianceenelle et 15%quidisentqu’elle a sugagner leur confiance,MartineAubrypeut s’appuyer surd’autresatouts : sa capacité à ras-sembler la gauche son travail deproximitéàLille ou«son compor-tementassezdignemalgré les ora-gesauPS». Sur le fond, lespréten-dants socialistes auront toutefoisunegrossedifficulté à résoudre:concilier leurouverture aumondeavec le fort besoindeprotectionmanifestépar les Français. p

Françoise Fressoz

France

Le pessimisme gagne du terrain

QUELLE CONFIANCE AVEZ-VOUS DANS LES PERSONNALITÉS POLITIQUES SUIVANTES ?en%

QUELLE ESTVOTRE OPINION SUR LES PHRASES SUIVANTES ?en%

À QUI FAITES-VOUS CONFIANCEPOUR GOUVERNER LE PAYS ? en%

VOTRE PERCEPTION DES CHANCES DES JEUNESD’AUJOURD’HUI À RÉUSSIR MIEUXQUE LEURSPARENTS, en %

ESTIMEZ-VOUS QUE LA FRANCE SORTIRADE LA CRISE ÉCONOMIQUE...? en %

SOURCE : CEVIPOF*par rapport au sondage de décembre 2009

Confiance La gauche+ 7 %*

Ni la droite ni la gauche– 4 %*

Ne sais pas– 2 %*

La droite– 1 %*

Pas confiance Ne sais pas

D’accord Pas d’accord Ne sais pas

En 2011

Plus tard

Ne sais pas

En 2012

Autant– 2 %*

Moins+ 2 %*

Ne sais pas0 %*

Plus0 %*

Variation*(de la confiance)

Variation*(de l’accord)

Le président de la République actuel

Le premier ministre actuel

Vos conseillers régionaux

Votre conseiller général

Le maire de votre commune

29 65 6

22 21

56

1

8 26

65

1

27 3

69

1

–3%

38 56 6

42 52 6

43 51 6

52 42 6

0%

–11%

Il y a trop d’immigrés en France

Les couples homosexuels devraient avoir le droit de se marier civilement

Il faudrait rétablir la peine de mort

59 36 5 10%

58 36 6

34 60 6

0%

2%

–11%

–13%

PROCHESde la réalité et des préoc-cupationsdes habitants, les éluslocauxétaient jusqu’à présent lesresponsables politiques lesmieuxconsidérés des Français. Las. Enpremière ligne face la crise, ilssubissent à leur tour la défiancequi, selon le baromètre Cevipof-Opinionway, affecte les institu-tions et la classe dirigeante.

Lesmaires continuentdebénéfi-cierd’une imagepositivepour52%despersonnes interrogées.Mais leniveaudeconfiance à leurégardchutede 13points, par rap-port à laprécédente étudede2009. La coteduconseiller généralbaissede 11%avec43%de confian-ce, commecelle des conseillersrégionaux (42%, soit – 11%). Avec38% (–9%), lesdéputés subissent

uneréelle dégradationde leur ima-ge, cequi lesplace aumêmeniveauque lepremierministre,François Fillon.

«Face auxdifficultés, les éluslocaux représentent un rempartde protection. Or, toute unepartiedel’opinion a le sentiment que cefilet de sécurité est bel et bientroué», analyse Pascal Perrineau,directeur duCevipof. Selon lui, lacampagnedes élections régiona-les a accentué le fossé grandissantentre les élus et les Français.

«La gauche et le PS sont alléstrès loin sur le thèmedu contre-pouvoir qui protège contre leseffets de la crise et de la politiquedugouvernement.»Or, consta-te-t-il, «force est de reconnaîtreque les résultats ne sont pas au ren-

dez-vous». Ce décalage serait per-ceptible auprès des femmes dontle niveaude confiance chute de15%et parmi les professions inter-médiaires (–19%), les plus «tarau-dées», selon le chercheur, par lacrainte dudéclassement social.

Discrédit

La réformedes collectivités ter-ritorialespourrait bienparticiperde cette réactionde suspicion.Mêmesi l’enquête duCevipofnepermetpasd’envérifier l’impact,les critiques récurrentes duprési-dentde laRépublique et dugou-vernementà l’égardde la «com-plexité et du coût de l’empilementdes structures locales» contri-buent à ajouter dudiscrédit àl’égarddespouvoirs locaux. «Pour

justifier cette réforme, l’undes prin-cipauxargumentsportait sur lalutte contre la gabegie. A droite etau centre, ce discours a fini parprendre», relèveM.Perrineau.Avec celle des institutions, la réfor-medes finances locales induitepar la suppressionde la taxepro-fessionnelle a amplifié l’idéequeles collectivités locales, exsangues,vont, à leur tour, devoir contri-buer à lapolitique de rigueur.

L’enquête confirmequepour64%despersonnes sondées, l’exi-genced’honnêteté (+5%)prévautà l’égarddesélus. Parmi lesquali-tés requises, la bonneconnaissan-cedesdossiers (+6%) semblepré-domineraudétrimentde la capaci-té à tenir sespromesses (– 2%). p

Michel Delberghe

MarineLePenabeauêtrelephénomènemédiatiquedecedébutd’année,lerejetrestefort

130123Mardi 1er février 2011