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L es Français sont moroses, et ne font pas confiance à leurs dirigeants pour résoudre leurs problèmes. Le phénomène n’est certes pas nouveau, mais il s’accentue dans des proportions inquiétantes. C’est ce que révèle le dernierbaromètresurla «confian- ce en politique», réalisé par Opi- nionWay pour le Centre de recher- ches politiques de Sciences Po (Cevipof) et l’Institut Pierre-Men- dès-France.Uneétudeconduitedu 7 au 22 décembre 2010 auprès de 1501personnes âgées de plus de 18ans,etdont Le Monde publie les résultats en exclusivité. Unmoralenberne Quandonleur demandelesqualificatifsquicarac- térisent le mieux leur état d’esprit actuel, les Français sont très clairs. 34% répondent la «lassitude», 28% la «méfiance» et 28% la «morosité». Comme le montre la comparaison avec les résultats du baromètre précédent, réalisé en décembre2009, leur moral s’est nettement dégradé: en un an, la «lassitude» a gagné 8points dans l’ensemble de la population, et même12pointsparmilesfemmes, 11 points chez les moins de 35 ans et13pointsauseindesprofessions intermédiaires. Parallèlement, le pessimisme a progressé.Fin2009,50%desFran- çais estimaient qu’un événement récent leur avait fait perdre confiance en l’avenir. Ils sont aujourd’hui 57%. Sans surprise, l’événement majoritairement cité estlacriseéconomiqueetfinanciè- re.Unecrisedont65%desperson- nes interrogées estiment que la France ne sortira qu’après 2012. «CelamontreàquelpointlesFran- çais sont désabusés, note Pascal Perrineau, directeur du Cevipof. Non seulement, ils se voient dans un tunnel, mais ils sont persuadés d’yêtrepourlongtemps.» Unedéfiancegénéralisée Sil’op- timismedécline,c’estquelesFran- çais font de moins en moins confiance à ceux qui sont censés leur préparer des jours meilleurs. Ce sentiment ne date pas d’hier. Comme le rappelle Pascal Perri- neau, il s’est installé dans l’opi- nion au milieu des années 1980, c’est-à-direaumomentoù«l’alter- nanceentreladroiteetlagauchea cessé d’être considérée comme une véritable alternative». Mais, là encore, la tendance s’accentue: alors que, fin 2009, 56% des Fran- çais n’avaient confiance ni en la droitenienlagauchepourgouver- ner, ils sont aujourd’hui 60%. Certes, les responsables politi- ques ne sont pas seuls à voir leur crédibilité vaciller. Dans notre «sociétédedéfiance»,pourrepren- dreletitred’unessaideséconomis- tesYannAlganetPierreCahuc(Ed. Rued’Ulm,2007),lasuspiciontou- che la plupart des organisations. Crise oblige, la perte de confiance affecte surtout les banques (20%, 9 points de moins qu’en 2009) et les entreprises privées (37%, 4pointsdemoins).Maislaméfian- ce vise des lieux traditionnelle- ment peu exposés à ce sentiment. Si les hôpitauxrestent en tête des organisationsinspirantlaconfian- ce des Français, eux aussi voient celle-cidéclinerde 83%à78%. Dans ce contexte général de «déclindel’institution»,selonl’ex- pression du sociologue François Dubet, les dirigeants politiques sont très fragilisés. Avec un taux deconfiancede13%,enbaissed’un pointparrapportà2009,lespartis sontdeloinlesorganisationsdont les Français se défient le plus. Trèsfrappantestlediscréditqui frappeleséluslocaux.Sila «prime à la proximité» reste une réalité, elle l’est bien moins qu’aupara- vant. Mais, si la confiance dans le président de la République s’érode moins que celle des députés et des maires, c’est aussi parce que son étiage est très bas: 29%, soit 9points de moins que le premier ministre, le seul dont le taux de confiancen’aitpasbaisséenunan. Laperspectivede2012 A quinze mois de l’élection présidentielle, reste à savoir comment ces chif- fres se traduiront dans les urnes. Citant l’économiste et sociologue américain Albert Hirschman, Pas- cal Perrineau rappelle que «le mécontentementnourritgénérale- ment deux attitudes: le retrait ou lacontestation». Or, aujourd’hui, les Français hésitent.D’uncôté,l’influenceprê- tée à certains gestes décline: déjà faible, la croyance en l’efficacité desmanifestations(8%)etdesgrè- ves(6%)achutéaprèsl’échecdela mobilisation contre la réforme desretraites(–3et–5pointsenun an). A l’inverse, le crédit des élec- tions progresse de 8 points, 56 % des Français estimant que voter est la meilleure façon d’influer sur les décisions prises dans le pays. Pour le politologue, ce chiffre estàlafoisrassurantetinquiétant. Rassurant car il signifie que, mal- gréleurcolère, «lesFrançaisneveu- lent pas brûler le navire et restent attachés aux outils de la démocra- tiereprésentative».Inquiétantpar- ceque «lascèneélectorale,enrede- venantcentrale,risquedecanaliser lesentimentdedéfiance». Pour éviter qu’un tel sentiment neprévaleen2012,quecesoitsous la forme d’une abstention protes- tataire ou d’un repli vers des per- sonnalités situées aux marges du système, les candidats n’ont guère lechoix.Ilsdevrontavanttoutras- surer. Puisque nul ne croit plus en leur capacité de «changer la vie», commelepromettaitFrançoisMit- terranden1981,lesdirigeantspoli- tiques sont d’abord jugés à l’aune de leur aptitude à protéger. Ce besoin de protection, lié à la peur du déclassement, se lit dans le fait que 40 % des personnes interrogées pensent que «laFran- ce doit se protéger davantage du monde», soit 10 % de plus qu’en 2009. Mais «cet appel au protec- tionnisme est aussi culturel», note PascalPerrineau.59%desFrançais pensentainsiqu’ilyatropd’immi- grés en France, soit 10% de plus qu’en 2009. Le fait que ce sentiment soit devenu majoritaire chez les jeu- nes (56% des 18-24 ans), les diplô- més(53%desbac+2)etles«sans religion» (51%), autrement dit au sein de l’électorat traditionnel de la gauche, est sans doute l’un des résultatslespluspréoccupantsde cette enquête, en particulier pour le Parti socialiste. p Thomas Wieder Lespectredu21avril2002planesurl’électionprésidentiellede2012 «Nonseulement, ilssevoientdansun tunnel,maisilssont persuadésd’yêtre pourlongtemps» PascalPerrineau directeurduCevipof LesFrançaisseméfientdeleursélus Le baromètre du Cevipof sur « la confiance en politique » met l’accent sur la lassitude et la morosité Leniveaudeconfiancedanslesmaireschute Analyse Il faut prendre au sérieux Fran- çois Hollande, Michel Rocard et tous ceux qui mettent en garde contre le risque d’un nouveau 21avril2002.Aquinzemoisde l’élection présidentielle de 2012, le baromètre sur la confiance en poli- tique du centre de recherches poli- tiques de Sciences Po (Cevipof) met en évidence un triple phéno- mène:lacrisemondialecréeun réflexe de peur, de repli sur soi, de rejet de tout ce qui vient de l’exté- rieur. La capacité des politiques à pro- téger et surtout à assurer un ave- nir meilleur est fortement mise en doute. La défiance est d’autant plus forte que des promesses de rupture avaient été faites en 2007 et qu’elles n’ont pas été tenues. Cette déception se lit notamment àtraverslesréponsesde21%des Français qui déclarent avoir per- du confiance en Nicolas Sarkozy. S’ajoutantaux47%quidisent n’avoir jamais eu confiance en lui, ils pointent «beaucoupdepromes- sesnontenues,undiscoursparfois convaincant, mais qui ne semble jamaissuivid’effets». Ségolène Royal et François Bay- rou, qui avaient voulu incarner uneformederuptureilyaquatre ans, subissent aussi ce contrecoup. Une partie des Français leur repro- chent un manque de crédibilité ou une insuffisance de propositions. Le baromètre du Cevipof com- plète les tendances mises en évi- dence par un récent sondage BVA Gallup, réalisé du 11octobre au 13décembre2010dans53pays: les Français seraient «lescham- pionsdumondedupessimisme», notamment lorsqu’il s’agit d’envi- sager l’avenir économique. Le sen- timent de déclassement social, qui travaillait déjà les classes moyennes en 2007 et contre lequel tous les candidats avaient tenté d’apporter des réponses, continue de croître. Le terreau est propice aux accidents électoraux dutype21avril2002,soitpar poussée de l’abstention, soit par montée, dans les deux camps, de candidatures de contestation. Un certain nombre d’ éléments permettent cependant de nuan- cercesévolutions:MarineLePen a beau être le phénomène médiati- que de ce début d’année, avec des atouts du type «elleestmoins agressive que son père, elle connaît lespréoccupationsdesFrançais», lerejetrestefort.Et68%desFran- çais estiment n’avoir jamais eu confiance en elle. Une petite prime se dessine en faveurdelagauche:laconfiance en elle pour gouverner le pays augmente de 7points par rapport à décembre2009 pour s’établir à 22%,alorsqu’ellediminuede 1pointàdroite(à21%). Il est significatif aussi de constater que, dans les deux camps, la conscience du danger existe. A droite, Nicolas Sarkozy fait tout pour éviter la multiplica- tion des candidatures de premier tour, au point même de vouloir tendre la main à Dominique de Villepin. A gauche, Martine Aubry multiplie les appels au rassemble- ment, espérant pouvoir canaliser à l’intérieur du parti l’énergie de Ségolène Royal et à l’extérieur cel- le de Jean-Luc Mélenchon qui, tous les deux, incarnent une for- me de radicalisation. Parallèlement, les principaux prétendants cherchent à renfor- cer leur crédibilité. A la lecture de l’enquête du Cevipof, on com- prend pourquoi Nicolas Sarkozy s’est lancé, depuis le remanie- ment ministériel du 14novembre, dans son opération «présidentiali- sation».Les4%deFrançaisdont il a gagné la confiance citent «sa carrure internationale, son efficaci- tédanslescrises». Etre président est l’un des rares atouts qui lui reste pour tenter de regagner la confiance des Français. La carte mérite d’être jouée d’autant plus qu’en pleine crise économique la prime n’est plus à la rupture, mais au sérieux. A cet égard, le socle de Dominique Strauss-Kahn paraît solide. 25% des Français disent avoir toujours euconfianceenluiet25%recon- naissent qu’il a su gagner leur confiance. Parmi les raisons invo- quées: «lafaçondontildirigele FMI,sacompétenced’économiste» ou encore «sesprisesdeconscien- ceréalistessurl’âgedelaretraite». Moinsbienplacée,avec17%de Français qui ont toujours eu confianceenelleet15%quidisent qu’elle a su gagner leur confiance, Martine Aubry peut s’appuyer sur d’autresatouts:sacapacitéàras- sembler la gauche son travail de proximité à Lille ou «soncompor- tementassezdignemalgrélesora- gesauPS». Surlefond,lespréten- dants socialistes auront toutefois unegrossedifficultéàrésoudre: concilier leur ouverture au monde avec le fort besoin de protection manifesté par les Français. p Françoise Fressoz France Le pessimisme gagne du terrain QUELLECONFIANCEAVEZ-VOUSDANSLESPERSONNALITÉSPOLITIQUESSUIVANTES? en% QUELLEESTVOTREOPINIONSURLESPHRASESSUIVANTES? en% ÀQUIFAITES-VOUSCONFIANCE POURGOUVERNERLEPAYS?en% VOTREPERCEPTIONDESCHANCESDESJEUNES D’AUJOURD’HUIÀRÉUSSIRMIEUXQUELEURS PARENTS,en% ESTIMEZ-VOUSQUELAFRANCESORTIRA DELACRISEÉCONOMIQUE...?en% SOURCE:CEVIPOF *parrapportausondagededécembre2009 Confiance Lagauche +7%* Niladroitenilagauche –4%* Nesaispas –2%* Ladroite –1%* Pasconfiance Nesaispas D’accord Pasd’accord Nesaispas En2011 Plustard Nesaispas En2012 Autant –2%* Moins +2%* Nesaispas 0%* Plus 0%* Variation* (delaconfiance) Variation* (del’accord) LeprésidentdelaRépubliqueactuel Lepremierministreactuel Vosconseillersrégionaux Votreconseillergénéral Lemairedevotrecommune 29 65 6 22 21 56 1 8 26 65 1 27 3 69 1 –3% 38 56 6 42 52 6 43 51 6 52 42 6 0% –11% Ilyatropd’immigrésenFrance Lescoupleshomosexuelsdevraientavoirledroitdesemariercivilement Ilfaudraitrétablirlapeinedemort 59 36 5 10% 58 36 6 34 60 6 0% 2% –11% –13% PROCHES de la réalité et des préoc- cupations des habitants, les élus locaux étaient jusqu’à présent les responsables politiques les mieux considérés des Français. Las. En première ligne face la crise, ils subissent à leur tour la défiance qui, selon le baromètre Cevipof- Opinionway, affecte les institu- tions et la classe dirigeante. Lesmaires continuent de bénéfi- cier d’une image positive pour 52% des personnes interrogées. Maisleniveaudeconfianceàleur égardchutede13points,parrap- portàlaprécédenteétudede 2009. La cote du conseiller général baissede11%avec43%deconfian- ce, comme celle des conseillers régionaux(42%,soit–11%).Avec 38%(–9%),lesdéputéssubissent une réelle dégradation de leur ima- ge,cequilesplaceaumême niveau que le premier ministre, François Fillon. «Faceauxdifficultés,lesélus locaux représentent un rempart de protection. Or, toute une partie del’opinionalesentimentquece filetdesécuritéestbeletbien troué», analyse Pascal Perrineau, directeur du Cevipof. Selon lui, la campagne des élections régiona- les a accentué le fossé grandissant entre les élus et les Français. «LagaucheetlePSsontallés trèsloinsurlethèmeducontre- pouvoir qui protège contre les effetsdelacriseetdelapolitique dugouvernement.» Or, consta- te-t-il, «forceestdereconnaître quelesrésultatsnesontpasauren- dez-vous». Ce décalage serait per- ceptible auprès des femmes dont le niveau de confiance chute de 15% et parmi les professions inter- médiaires(–19%),lesplus «tarau- dées», selon le chercheur, par la crainte du déclassement social. Discrédit La réforme des collectivités ter- ritoriales pourrait bien participer de cette réaction de suspicion. Même si l’enquête du Cevipof ne permet pas d’en vérifier l’impact, les critiques récurrentes du prési- dent de la République et du gou- vernement à l’égard de la «com- plexitéetducoûtdel’empilement desstructureslocales» contri- buent à ajouter du discrédit à l’égard des pouvoirs locaux. «Pour justifiercetteréforme,l’undesprin- cipauxargumentsportaitsurla luttecontrelagabegie.Adroiteet aucentre,cediscoursafinipar prendre»,relèveM.Perrineau. Avec celle des institutions, la réfor- me des finances locales induite par la suppression de la taxe pro- fessionnelle a amplifié l’idée que les collectivités locales, exsangues, vont, à leur tour, devoir contri- buer à la politique de rigueur. L’enquête confirme que pour 64% des personnes sondées, l’exi- genced’honnêteté(+5%)prévaut à l’égard des élus. Parmi les quali- tés requises, la bonne connaissan- cedesdossiers(+6%)semblepré- domineraudétrimentdelacapaci- téàtenirsespromesses(–2%). p Michel Delberghe MarineLePen abeauêtre lephénomène médiatique decedébutd’année, lerejetrestefort 13 0123 Mardi 1 er février 2011

LMD 01022011

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Lepessimismegagneduterrain VOTREPERCEPTIONDESCHANCESDESJEUNES D’AUJOURD’HUIÀRÉUSSIRMIEUXQUELEURS PARENTS,en% 0% 0% Autant –2% * 2% Ladroite –1% * Nesaispas –2% * 22 21 ÀQUIFAITES-VOUSCONFIANCE POURGOUVERNERLEPAYS?en% ESTIMEZ-VOUSQUELAFRANCESORTIRA DELACRISEÉCONOMIQUE...?en% En2012 Nesaispas En2011 Lemairedevotrecommune Plustard PascalPerrineau directeurduCevipof –13% –3% Lescoupleshomosexuelsdevraientavoirledroitdesemariercivilement Variation* Variation* –11% –11% 69 56 1

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Page 1: LMD 01022011

Les Français sont moroses, etne font pas confiance à leursdirigeants pour résoudre

leurs problèmes. Le phénomènen’est certes pas nouveau, mais ils’accentue dans des proportionsinquiétantes. C’est ce que révèle ledernierbaromètresur la«confian-ce en politique», réalisé par Opi-nionWaypour le Centre de recher-ches politiques de Sciences Po(Cevipof) et l’Institut Pierre-Men-dès-France.Uneétudeconduitedu7 au 22décembre 2010 auprès de1501personnes âgées de plus de18ans, et dont LeMonde publie lesrésultats en exclusivité.

Unmoral en berneQuandon leurdemandelesqualificatifsquicarac-térisent lemieux leur état d’espritactuel, les Français sont très clairs.34% répondent la « lassitude»,28% la «méfiance » et 28% la«morosité». Comme le montre lacomparaison avec les résultats dubaromètre précédent, réalisé endécembre2009, leur moral s’estnettement dégradé : en un an, la«lassitude» a gagné 8points dansl’ensemble de la population, etmême12pointsparmilesfemmes,11 points chez les moins de 35 anset 13pointsauseindesprofessionsintermédiaires.

Parallèlement, le pessimisme aprogressé.Fin2009,50%desFran-çais estimaient qu’un événementrécent leur avait fait perdreconfiance en l’avenir. Ils sontaujourd’hui 57%. Sans surprise,l’événementmajoritairement citéest lacriseéconomiqueetfinanciè-re. Une crise dont 65%desperson-nes interrogées estiment que laFrance ne sortira qu’après 2012.«Celamontreàquel point les Fran-çais sont désabusés, note PascalPerrineau, directeur du Cevipof.Non seulement, ils se voient dansun tunnel, mais ils sont persuadésd’y être pour longtemps.»

Unedéfiancegénéralisée Si l’op-timismedécline,c’estque lesFran-çais font de moins en moinsconfiance à ceux qui sont censésleur préparer des jours meilleurs.Ce sentiment ne date pas d’hier.Comme le rappelle Pascal Perri-neau, il s’est installé dans l’opi-nion au milieu des années 1980,

c’est-à-direaumomentoù«l’alter-nance entre la droite et la gauche acessé d’être considérée commeunevéritable alternative ». Mais, làencore, la tendance s’accentue :alors que, fin 2009, 56% des Fran-çais n’avaient confiance ni en ladroitenienlagauchepourgouver-ner, ils sont aujourd’hui 60%.

Certes, les responsables politi-ques ne sont pas seuls à voir leurcrédibilité vaciller. Dans notre«sociétédedéfiance»,pourrepren-dreletitred’unessaideséconomis-tesYannAlganetPierreCahuc (Ed.Rued’Ulm,2007), la suspiciontou-che la plupart des organisations.Crise oblige, la perte de confiance

affecte surtout les banques (20%,9 points de moins qu’en 2009) etles entreprises privées (37%,4pointsdemoins).Mais laméfian-ce vise des lieux traditionnelle-ment peu exposés à ce sentiment.Si les hôpitauxrestent en tête desorganisationsinspirantlaconfian-ce des Français, eux aussi voientcelle-ci décliner de 83% à 78%.

Dans ce contexte général de«déclindel’institution», selonl’ex-pression du sociologue FrançoisDubet, les dirigeants politiquessont très fragilisés. Avec un tauxdeconfiancede13%,enbaissed’unpointpar rapportà2009, lespartissontde loin les organisationsdontles Français se défient le plus.

Trèsfrappantest lediscréditquifrappe les élus locaux. Si la «primeà la proximité» reste une réalité,elle l’est bien moins qu’aupara-vant. Mais, si la confiance dans leprésidentde laRépublique s’érodemoins que celle des députés et desmaires, c’est aussi parce que sonétiage est très bas : 29%, soit9points de moins que le premierministre, le seul dont le taux deconfiancen’aitpasbaisséenunan.

La perspective de 2012 A quinzemois de l’élection présidentielle,reste à savoir comment ces chif-

fres se traduiront dans les urnes.Citant l’économiste et sociologueaméricain Albert Hirschman, Pas-cal Perrineau rappelle que « lemécontentementnourritgénérale-ment deux attitudes : le retrait oula contestation».

Or, aujourd’hui, les Françaishésitent.D’uncôté, l’influenceprê-tée à certains gestes décline : déjàfaible, la croyance en l’efficacitédesmanifestations(8%)etdesgrè-ves (6%) a chuté après l’échecde la

mobilisation contre la réformedes retraites (–3 et – 5points enunan). A l’inverse, le crédit des élec-tions progresse de 8 points, 56%des Français estimant que voterest lameilleure façond’influer surles décisions prises dans le pays.

Pour le politologue, ce chiffreestàlafoisrassurantet inquiétant.Rassurant car il signifie que, mal-gréleurcolère,«lesFrançaisneveu-lent pas brûler le navire et restentattachés aux outils de la démocra-tiereprésentative». Inquiétantpar-ceque«la scèneélectorale, enrede-venantcentrale, risquedecanaliserle sentiment de défiance».

Pour éviter qu’un tel sentimentneprévaleen2012,quecesoit sousla forme d’une abstention protes-tataire ou d’un repli vers des per-sonnalités situées aux marges dusystème, les candidats n’ont guèrele choix. Ilsdevrontavant tout ras-surer. Puisque nul ne croit plus enleur capacité de «changer la vie»,commelepromettaitFrançoisMit-terranden1981, lesdirigeantspoli-tiques sont d’abord jugés à l’aunede leur aptitude à protéger.

Ce besoin de protection, lié à lapeur du déclassement, se lit dansle fait que 40% des personnesinterrogées pensent que « la Fran-ce doit se protéger davantage dumonde», soit 10% de plus qu’en2009. Mais «cet appel au protec-tionnisme est aussi culturel», notePascalPerrineau.59%desFrançaispensentainsiqu’ilyatropd’immi-grés en France, soit 10% de plusqu’en 2009.

Le fait que ce sentiment soitdevenu majoritaire chez les jeu-nes (56% des 18-24 ans), les diplô-més (53% des bac +2) et les «sansreligion» (51%), autrement dit ausein de l’électorat traditionnel dela gauche, est sans doute l’un desrésultats lespluspréoccupantsdecette enquête, en particulier pourle Parti socialiste.p

ThomasWieder

Lespectredu21avril2002planesurl’électionprésidentiellede2012

«Nonseulement,ilssevoientdansuntunnel,maisilssontpersuadésd’yêtrepourlongtemps»

Pascal Perrineaudirecteur du Cevipof

LesFrançaisseméfientdeleursélusLebaromètreduCevipof sur«laconfianceenpolitique»met l’accentsur la lassitudeet lamorosité

Leniveaudeconfiancedanslesmaireschute

Analyse

Il faut prendre au sérieux Fran-çoisHollande,Michel Rocard ettous ceuxquimettent engardecontre le risque d’unnouveau21avril 2002. A quinzemois del’électionprésidentielle de 2012, lebaromètre sur la confiance enpoli-tiquedu centrede recherches poli-tiquesde Sciences Po (Cevipof)met en évidenceun triple phéno-mène: la crisemondiale créeunréflexede peur, de repli sur soi, derejet de tout ce qui vient de l’exté-rieur.

La capacité des politiques à pro-téger et surtout à assurer un ave-nirmeilleur est fortementmiseendoute. La défiance est d’autantplus forte quedes promesses derupture avaient été faites en 2007et qu’elles n’ont pas été tenues.Cette déception se lit notammentà travers les réponses de 21%des

Français qui déclarent avoir per-du confiance enNicolas Sarkozy.S’ajoutant aux47%qui disentn’avoir jamais eu confiance en lui,ils pointent «beaucoupdepromes-ses non tenues, undiscours parfoisconvaincant,mais qui ne semblejamais suivi d’effets».

SégolèneRoyal et FrançoisBay-rou, qui avaientvoulu incarnerune formede rupture il y aquatreans, subissent aussi ce contrecoup.Unepartie desFrançais leur repro-chentunmanquedecrédibilité ouune insuffisancedepropositions.

Le baromètre duCevipof com-plète les tendancesmises en évi-dence par un récent sondageBVAGallup, réalisé du 11octobre au13décembre 2010 dans 53pays:les Français seraient «les cham-pions dumonde dupessimisme»,notamment lorsqu’il s’agit d’envi-sager l’avenir économique. Le sen-timentde déclassement social,

qui travaillait déjà les classesmoyennes en 2007 et contrelequel tous les candidats avaienttenté d’apporter des réponses,continuede croître. Le terreau estpropice aux accidents électorauxdu type 21avril 2002, soit par

pousséede l’abstention, soit parmontée, dans les deux camps, decandidatures de contestation.

Un certain nombred’ élémentspermettent cependant de nuan-cer ces évolutions:Marine LePenabeauêtre le phénomènemédiati-

quede ce début d’année, avec desatouts du type «elle estmoinsagressive que sonpère, elle connaîtles préoccupations des Français»,le rejet reste fort. Et 68%des Fran-çais estimentn’avoir jamais euconfiance en elle.

Unepetite prime se dessine enfaveur de la gauche : la confianceen elle pour gouverner le paysaugmente de 7points par rapportà décembre2009pour s’établir à22%, alors qu’elle diminuede1point à droite (à 21%).

Il est significatif aussi deconstater que, dans les deuxcamps, la conscience dudangerexiste. A droite, Nicolas Sarkozyfait tout pour éviter lamultiplica-tion des candidatures de premiertour, au pointmêmede vouloirtendre lamain àDominique deVillepin. A gauche,MartineAubrymultiplie les appels au rassemble-ment, espérant pouvoir canaliser

à l’intérieur duparti l’énergie deSégolèneRoyal et à l’extérieur cel-le de Jean-LucMélenchonqui,tous les deux, incarnent une for-mede radicalisation.

Parallèlement, les principauxprétendants cherchent à renfor-cer leur crédibilité. A la lecture del’enquête duCevipof, on com-prendpourquoiNicolas Sarkozys’est lancé, depuis le remanie-mentministériel du 14novembre,dans sonopération «présidentiali-sation». Les 4%de Français dontil a gagné la confiance citent «sacarrure internationale, son efficaci-té dans les crises».

Etreprésident est l’undes raresatouts qui lui reste pour tenter deregagner la confiance des Français.La cartemérited’être jouéed’autantplus qu’enpleine criseéconomique la primen’est plus àla rupture,mais au sérieux. A cetégard, le socle deDominique

Strauss-Kahnparaît solide. 25%des Françaisdisent avoir toujourseuconfiance en lui et 25% recon-naissentqu’il a sugagner leurconfiance. Parmi les raisons invo-quées: «la façondont il dirige leFMI, sa compétence d’économiste»ouencore «ses prises de conscien-ce réalistes sur l’âge de la retraite».

Moinsbienplacée, avec 17%deFrançaisqui ont toujours euconfianceenelle et 15%quidisentqu’elle a sugagner leur confiance,MartineAubrypeut s’appuyer surd’autresatouts : sa capacité à ras-sembler la gauche son travail deproximitéàLille ou«son compor-tementassezdignemalgré les ora-gesauPS». Sur le fond, lespréten-dants socialistes auront toutefoisunegrossedifficulté à résoudre:concilier leurouverture aumondeavec le fort besoindeprotectionmanifestépar les Français. p

Françoise Fressoz

France

Le pessimisme gagne du terrain

QUELLE CONFIANCE AVEZ-VOUS DANS LES PERSONNALITÉS POLITIQUES SUIVANTES ?en%

QUELLE ESTVOTRE OPINION SUR LES PHRASES SUIVANTES ?en%

À QUI FAITES-VOUS CONFIANCEPOUR GOUVERNER LE PAYS ? en%

VOTRE PERCEPTION DES CHANCES DES JEUNESD’AUJOURD’HUI À RÉUSSIR MIEUXQUE LEURSPARENTS, en %

ESTIMEZ-VOUS QUE LA FRANCE SORTIRADE LA CRISE ÉCONOMIQUE...? en %

SOURCE : CEVIPOF*par rapport au sondage de décembre 2009

Confiance La gauche+ 7 %*

Ni la droite ni la gauche– 4 %*

Ne sais pas– 2 %*

La droite– 1 %*

Pas confiance Ne sais pas

D’accord Pas d’accord Ne sais pas

En 2011

Plus tard

Ne sais pas

En 2012

Autant– 2 %*

Moins+ 2 %*

Ne sais pas0 %*

Plus0 %*

Variation*(de la confiance)

Variation*(de l’accord)

Le président de la République actuel

Le premier ministre actuel

Vos conseillers régionaux

Votre conseiller général

Le maire de votre commune

29 65 6

22 21

56

1

8 26

65

1

27 3

69

1

–3%

38 56 6

42 52 6

43 51 6

52 42 6

0%

–11%

Il y a trop d’immigrés en France

Les couples homosexuels devraient avoir le droit de se marier civilement

Il faudrait rétablir la peine de mort

59 36 5 10%

58 36 6

34 60 6

0%

2%

–11%

–13%

PROCHESde la réalité et des préoc-cupationsdes habitants, les éluslocauxétaient jusqu’à présent lesresponsables politiques lesmieuxconsidérés des Français. Las. Enpremière ligne face la crise, ilssubissent à leur tour la défiancequi, selon le baromètre Cevipof-Opinionway, affecte les institu-tions et la classe dirigeante.

Lesmaires continuentdebénéfi-cierd’une imagepositivepour52%despersonnes interrogées.Mais leniveaudeconfiance à leurégardchutede 13points, par rap-port à laprécédente étudede2009. La coteduconseiller généralbaissede 11%avec43%de confian-ce, commecelle des conseillersrégionaux (42%, soit – 11%). Avec38% (–9%), lesdéputés subissent

uneréelle dégradationde leur ima-ge, cequi lesplace aumêmeniveauque lepremierministre,François Fillon.

«Face auxdifficultés, les éluslocaux représentent un rempartde protection. Or, toute unepartiedel’opinion a le sentiment que cefilet de sécurité est bel et bientroué», analyse Pascal Perrineau,directeur duCevipof. Selon lui, lacampagnedes élections régiona-les a accentué le fossé grandissantentre les élus et les Français.

«La gauche et le PS sont alléstrès loin sur le thèmedu contre-pouvoir qui protège contre leseffets de la crise et de la politiquedugouvernement.»Or, consta-te-t-il, «force est de reconnaîtreque les résultats ne sont pas au ren-

dez-vous». Ce décalage serait per-ceptible auprès des femmes dontle niveaude confiance chute de15%et parmi les professions inter-médiaires (–19%), les plus «tarau-dées», selon le chercheur, par lacrainte dudéclassement social.

Discrédit

La réformedes collectivités ter-ritorialespourrait bienparticiperde cette réactionde suspicion.Mêmesi l’enquête duCevipofnepermetpasd’envérifier l’impact,les critiques récurrentes duprési-dentde laRépublique et dugou-vernementà l’égardde la «com-plexité et du coût de l’empilementdes structures locales» contri-buent à ajouter dudiscrédit àl’égarddespouvoirs locaux. «Pour

justifier cette réforme, l’undes prin-cipauxargumentsportait sur lalutte contre la gabegie. A droite etau centre, ce discours a fini parprendre», relèveM.Perrineau.Avec celle des institutions, la réfor-medes finances locales induitepar la suppressionde la taxepro-fessionnelle a amplifié l’idéequeles collectivités locales, exsangues,vont, à leur tour, devoir contri-buer à lapolitique de rigueur.

L’enquête confirmequepour64%despersonnes sondées, l’exi-genced’honnêteté (+5%)prévautà l’égarddesélus. Parmi lesquali-tés requises, la bonneconnaissan-cedesdossiers (+6%) semblepré-domineraudétrimentde la capaci-té à tenir sespromesses (– 2%). p

Michel Delberghe

MarineLePenabeauêtrelephénomènemédiatiquedecedébutd’année,lerejetrestefort

130123Mardi 1er février 2011