Revue generale
Marqueurs biologiques de l’infarctus du myocarde
Cardiac biomarkers for diagnosis of myocardial infarction
G. Godet a,*, M. Bernard b, S. Ben Ayed c
a Departement d’anesthesie et reanimation 2, hopital Pontchaillou, 2, rue Henri-Le-Guilloux, 35033 Rennes cedex, Franceb Service de biochimie, hopital Pitie-Salpetriere, 47–81, boulevard de l’Hopital, 75851 Paris cedex 13, France
c Laboratoire, clinique Montlouis, Paris, France
Recu le 5 septembre 2008 ; accepte le 14 janvier 2009
Disponible sur Internet le 21 mars 2009
Resume
Le diagnostic de l’infarctus du myocarde postoperatoire est souvent difficile, les criteres habituels de diagnostic s’averant peu sensibles
(examen clinique, ECG pour les infarctus non-transmuraux), peu specifiques (marqueurs enzymatiques, anomalies echographiques), ou difficiles
de realisation et d’interpretation (anomalies scintigraphiques). La mise a la disposition des cliniciens de marqueurs biochimiques cardiospe-
cifiques, ont permis des 1995, de revoir la place de la biologie dans le diagnostic de l’infarctus du myocarde postoperatoire. Le but de cette revue de
la litterature est de dresser un etat des lieux apres 13 ans d’utilisation du dosage des troponines.
# 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.
Mots cles : Infarctus du myocarde ; Marqueurs biologique ; Troponines ; Cardiologie ; Chirurgie ; Traumatologie
Abstract
Diagnosis of postoperative myocardial infarction is often difficult, based on tools with a low sensitivity (clinical symptoms, EKG), or with a low
specifity (old biomarkers, echocardiographic abnormalities) or inadequate for clinical practice (scintigraphy). Since 1995, clinicians may use more
cardiospecific markers (troponin) allowing to modify strategy for postoperative myocardial infarction diagnosis. The aim of this review is to
resume such an attitude.
# 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Myocardial infarction; Cardiac biomarkers; Troponin; Cardiology; Surgery; Trauma
Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 28 (2009) 321–331
1. Introduction
Le diagnostic de l’infarctus du myocarde postoperatoire est
souvent difficile, les criteres habituels de diagnostic s’averant
peu sensibles (examen clinique, ECG pour les infarctus non-
transmuraux), peu specifiques (marqueurs enzymatiques,
anomalies echographiques), ou difficiles de realisation et
d’interpretation (anomalies scintigraphiques).
La mise a la disposition des cliniciens de marqueurs
biochimiques cardiospecifiques, ont permis des 1995, de revoir
la place de la biologie dans le diagnostic de l’infarctus du
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (G. Godet).
0750-7658/$ – see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserve
doi:10.1016/j.annfar.2009.01.017
myocarde postoperatoire [1–4]. Le but de cette revue de la
litterature est de dresser un etat des lieux apres 13 ans
d’utilisation du dosage des troponines.
2. Marqueurs du passe
Jusqu’au milieu des annees 1990, on disposait du dosage de
quelques proteines dont des marqueurs enzymatiques, pour le
diagnostic de l’infarctus du myocarde postoperatoire. Le
dosage de certaines isoenzymes essentiellement cardiaques
avait permis de gagner en specificite, mais les difficultes
d’interpretation n’avaient pas permis a celles-ci de remporter la
conviction des cliniciens, meme en utilisant des index propres a
chaque situation.
´s.
Fig. 1. Complexe des troponines.
G. Godet et al. / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 28 (2009) 321–331322
Ces principaux parametres qui pouvaient etre doses pour
evaluer la souffrance myocardique et diagnostiquer l’infarctus
du myocarde postoperatoire, etaient les suivants :
2.1. Myoglobine
La myoglobine est une proteine de bas poids moleculaire,
abondante dans le muscle cardiaque mais egalement le muscle
squelettique. Elle est donc rapidement liberee par la cellule
myocardique infarcie et rapidement eliminee par voie renale,
sauf en cas d’insuffisance renale. Des taux eleves, faussement
positifs, peuvent donc etre observes, en cas d’atteinte
musculaire ou d’insuffisance renale.
Le dosage est realise par les methodes classiques
d’immunoanalyse (immunonephelemetrie, immunoturbidime-
trie, immunoenzymofluorimetrie et immunochimilumines-
cence).
L’interet du dosage de la myoglobine est sa rapidite, chez un
patient vu rapidement, dans les six premieres heures de son
infarctus. Sa valeur predictive negative est excellente, une
valeur normale permettant d’exclure le diagnostic. Un autre
interet est lie a sa cinetique rapide, permettant de suivre les
recidives precoces d’infarctus et l’evaluation des techniques de
reperfusion coronaire. La plus grande limite de ce dosage est
son absence de cardiospecificite, la myoglobine pouvant etre
liberee dans toutes les situations de chirurgie, en traumatologie,
chez les patients atteints de myopathies, lors des rhabdomyo-
lyses et dans les etats de choc. L’insuffisance renale severe
engendre egalement des faux-positifs.
Son interet majeur demeure l’exclusion d’infarctus en cas de
resultat negatif.
2.2. Isoenzyme MB de la creatine kinase (CK–MB)
La creatine-kinase existe sous forme de plusieurs isomeres
composes de chaınes differentes, M et B. L’isomere MB,
predominant au niveau myocardique, n’est cependant pas
specifique de celui-ci, puisque des taux de 3 % peuvent etre
retrouves dans le muscle squelettique, de 5 % dans la rate et la
prostate.
Le dosage de l’isoenzyme CK–MB peut se faire par de
nombreuses techniques. Des methodes electrophoretiques
permettent de mesurer de maniere assez precise l’activite
enzymatique de l’isoenzyme CK–MB, mais ces techniques sont
longues et donc peu adaptees a l’urgence. Les methodes par
inhibition immunologique sont l’objet de nombreux faux-
positifs, notamment par l’absence de distinction des sous-unites
B, mais egalement de la CK mitochondriale, etc. Les methodes
immunologiques de type sandwich, permettant une determina-
tion massique de l’isoenzyme CK–MB, sont tres sensibles.
Mais comme pour la myoglobine, le dosage est ininter-
pretable en cas de taux anormalement eleve de CK totale
(chirurgie, effort musculaire intense, etc.). Dans ces situations,
certains ont propose de rapporter les resultats de l’isoenzyme
CK–MB au dosage de CK totale en utilisant des index relatifs.
Malgre tout, le dosage de l’isoenzyme CK–MB reste tres
imparfait dans les contextes chirurgicaux [5].
3. Marqueurs actuels : le complexe des troponines
3.1. Caracteristiques des troponines
Les troponines sont un complexe de trois polypeptides de
structures differentes : C, T et I (Fig. 1).
La troponine C, site de fixation du calcium, est un
polypeptide de petit poids moleculaire (18 000 Da), qui existe
sous forme identique dans le myocarde et dans le muscle strie.
La troponine T (TnT), de poids moleculaire plus important
(37 500 Da) existe sous de nombreuses formes moleculaires
distinctes, avec deux isoformes cardiaques et 12 isoformes
musculaires. L’identite de sequence entre les isoformes
cardiaques et musculaires est de 90 % ; et l’heterogeneite
repose seulement sur six a 11 acides amines.
La troponine I (TnI), inhibitrice de l’activite ATPase de la
tete de myosine, existe sous trois formes differentes : deux
specifiques des muscles stries a contraction lente ou rapide et un
specifique du myocarde (TnIc). Une chaıne N-terminale de plus
de 30 acides amines rend compte de la faible homologie entre
formes musculaires et cardiaques de TnI.
Dans le genome humain, huit genes codant les troponines
ont ete identifies et leur localisation precisee. Parmi ces genes,
deux d’entre eux (TNNI3) et (TNNT2) codent respectivement
de maniere specifique les troponines I (TnIc) et T (TnTc)
cardiaques. En revanche, un meme gene (TNNC1) code non
seulement la troponine C cardiaque, mais egalement celle qui
est exprimee dans les fibres lentes du muscle strie squelettique,
rendant impossible l’utilisation de la troponine C comme
marqueur specifique du cardiomyocyte.
Les TnIc et TnTc renferment des serines et des threonines
qui peuvent etre phosphorylees in vivo, modifiant la capacite de
contraction de la fibre musculaire : il peut ainsi exister des
formes phosphorylees ou non de ces proteines. De plus, la TnIc,
contrairement a la TnT, renferme deux cysteines dans sa
sequence : il peut donc exister des formes oxydees et reduites de
la TnIc.
L’existence de ces differentes formes de la TnIc (complexee,
libre, reduite ou oxydee, phosphorylee ou non) a des incidences
en termes de reconnaissance par les anticorps utilises lors des
Tableau 1
Offre industrielle pour le dosage quantitatif de la troponine. Donnees des fournisseurs au 1er janvier 2005.
Societe Appareil Limite de
detection (mg/l)
99e percentile
(mg/l)
CV 10 %
(mg/l)
CV 20 %
(mg/l)
Norme fabricant
(mg/l)
Abbott diagnostic Axsym 2e G (nov 2004) < 0,02 0,04 0,16 – 0,16
Abbott diagnostic Architect < 0,01 0,012 0,032 – 0,032
Bayer health care ACS 180 SE 0,40 0,18
Diagnostic division Advia Centaur 0,030 0,15 0,33 0,15 0,1–1
Beckman Coulter Access/Access 2 UniCel
Dxl 800 Synchron Lxi 725
0,004 0,04 0,06 0,03 0,06
Biomerieux Vidas 0,040 0,04 0,085 0,06 0,1
Dade–Behring Dim RxL HM Dim RxL
Max Xpand HM
0,040 0,07 0,14 0,08 0,14
Dade–Behring Stratus CS 0,030 0,07 0,06 < 0,04 0,14
Diasorin Liaison 0,005 0,034 0,06 0,03 0,06
DPC Immulite 2000 0,200 0,32–0,39 0,5 0,30 0,4
OCD Vitros ECi 0,038 0,08 0,12 a 0,18 0,05 0,08–0,4
Tosoh bioscience AIA 600 II, 21, 1800 0,020 0,08 0,1 0,06 0,1
Roche diagnostics Elecsys 0,010 < 0,01 0,03 0,01 0,03–0,1
Ann Biol Clin, vol 63, n8 3, mai–juin 2005.
Tableau 2
Principales caracteristiques des differents marqueurs.
Poids
moleculaire
(Da)
Delai
d’obtention
d’un taux
pathologique
Pic Delai de
normalisation
Myoglobine 17800 1 a 4 h 6 a 7 h 24 h
TnIc 23500 3 a 12 h 24 h 5 a 10 j
TnTc 33000 3 a 12 h 12 a 48 h 5 a 14 j
CK–MB 86000 3 a 12 h 24 h 48 a 72 h
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dosages. Ces anticorps doivent reconnaıtre l’ensemble de ces
formes et idealement de facon equimoleculaire, afin d’optimi-
ser les performances des dosages. De plus, les anticorps doivent
etre diriges contre des regions de la molecule peu sensibles a la
proteolyse. Enfin, comme la TnIc referme dans sa sequence des
regions basiques, ces dernieres peuvent former des complexes
avec des molecules chargees negativement comme l’heparine.
La selection d’anticorps reconnaissant des epitopes specifi-
ques cardiaques (TnTc et TnIc) a permis la mise au point
d’immunodosages specifiques de ces proteines. Pour la TnT, son
dosage a ete initialement developpe par Katus et al. [6] et meme si
un seul fabricant le commercialise (Roche Diagnostics), il existe
des differences entre les valeurs obtenues avec les anticorps de
premiere ou de derniere generation. En ce qui concerne la TnIc,
son dosage est encore en cours de standardisation. L’heteroge-
neite des seuils decisionnels de chacun des dosages proposes
dans le commerce peut etre expliquee en partie par l’absence de
correspondance entre les systemes antigene-anticorps utilises par
les differents fabricants.
Le Tableau 1 rapporte les techniques existantes et les valeurs
couramment admises.
3.2. Cinetique comparee
De poids moleculaires differents, les differents marqueurs de
lyse myocardique ont des cinetiques differentes, ce qui peut
conditionner leur utilisation dans le diagnostic de l’infarctus.
Le Tableau 2 et la Fig. 2 reprennent ces principales
caracteristiques.
Il est possible que la TnIc soit moins sensible que la TnT pour
detecter des atteintes myocardiques subcliniques, des micro-
necroses ou des modifications structurales du ventricule droit [7].
3.3. Fiabilite du dosage et interferences
Si en absence de pathologie cardiaque, la concentration de
troponine dans le sang circulant est tres faible, chez les malades
elle peut etre tres elevee. Cela necessite d’un point de vue
analytique une large etendue de mesure de la methode. De plus,
il existe une grande heterogeneite dans les formes circulantes
de troponine : des formes libres de la TnIc et des complexes
binaires (I et C) ou tertiaires (C, I et T), des formes ayant subi
des transformations post-traductionnelles (oxydees ou reduites,
phosphorylees ou non) de cinetiques differentes, ont ete mises
en evidence, ce qui pourrait expliquer les differences entre les
techniques de dosage [8–10]. En effet, les anticorps du marche
reconnaissent bien les differentes formes mais pas les memes
epitopes et avec des affinites differentes.
Par ailleurs, des interferences dans le dosage de la TnIc
notamment, ont pu etre rattachees a la perfusion, chez des
patients sans facteur de risque coronaire, de solutes de
remplissage type hydroxyethylamidon [11]. Cette interference
est probable, liee a un effet matrice, mais negligeable pour des
volumes de remplissage compatibles avec les donnees de
l’AMM de ces produits [12]. En presence de dilutions
croissantes de gelatines fluides modifiees, d’hydroxylethyla-
midon et d’albumine humaine, on observe une majoration de
l’ordre de 10 % des valeurs non nulles de TnIc, pour des
dilutions superieures a 40 % par le produit de remplissage. Ces
surestimations dans la determination de la TnIc sont plus
importantes avec l’albumine humaine. Les valeurs nulles de
TnIc ne sont jamais modifiees. La determination reste donc
fiable pour des patients ayant recu des produits de remplissage
aux concentrations habituellement utilisees [11,12]. Actuelle-
ment, avec les nouvelles generations de TnIc et l’efficacite des
Fig. 2. Cinetique comparee des differents marqueurs biologiques.
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procedures de lavage lors des immunodosages, ces inter-
ferences tendent a disparaıtre.
En reanimation, certains auteurs ont observe des valeurs
elevees de TnIc et cela de facon inattendue, chez des patients
infectes ou en etat de choc septique [13]. La principale
explication est egalement la plus rationnelle : le myocarde,
comme le foie, le rein, le tube digestif et le cerveau, peut
souffrir d’un etat hemodynamique precaire, les myocytes
liberant donc de la TnIc. Des elevations parfois considerables
peuvent ainsi etre observees chez des patients jeunes sans
facteur de risque coronaire. On observe ici un parfait modele de
dommage myocardique. Plus troublante est l’existence
d’interferences dans d’autres immunodosages lors de pre-
levement de patients atteints de choc septique. L’explication
pourrait etre fournie par les resultats d’une etude in vitro
realisee sur des pools de serums depourvus des parametres a
doser (TnIc, hCG. . .). Ces serums ont ete surcharges en
colonies bacteriennes de bacilles gram negatif et de strepto-
coques de type A. Dans ces conditions, il a ete observe une
relation lineaire entre la concentration bacterienne et les valeurs
des parametres biochimiques doses [14].
On a suspecte la possibilite d’une perturbation du dosage
des troponines en cas de modification de la fonction renale
[7,15,16]. Cette interference presente deux volets :
� il existe une difference importante entre TnT et TnIc en ce qui
concerne leur cinetique. Du fait de leurs poids moleculaires
respectifs, la premiere peut avoir une elimination retardee en
cas d’insuffisance renale, aigue ou chronique et des taux
faussement augmentes, ce qui peut conduire a des diagnostics
d’infarctus du myocarde par exces avec la TnT [15–18] ;
� depuis le developpement de la deuxieme, voire troisieme
generation de dosages de la TnT, les anticorps utilises, ne
detectant pas les isoformes squelettiques de la TnT, seraient
entierement cardiospecifiques. Le dosage de la TnT n’est
donc plus perturbe par l’existence d’isoformes musculaires,
augmentees chez l’insuffisant renal.
3.4. Apport du dosage de la Troponine I cardiaque
3.4.1. En cardiologie
En cardiologie, alors que d’apres l’OMS, le diagnostic de
l’infarctus repose sur l’existence d’au moins deux des trois
anomalies suivantes : douleur, modifications ECG, elevation
d’enzymes seriques, on se trouve souvent confronte a des
situations ou la douleur est absente (patient diabetique,
transplante cardiaque), ou l’ECG est atypique (infarctus sans
onde Q, non-transmural, mais de pronostic aussi severe que les
infarctus transmuraux), ou difficile a interpreter (existence d’un
bloc de branche gauche ou d’un pacemaker). On concoit donc
l’interet d’un marqueur fiable, meme dans ces situations [19].
La tres grande sensibilite de la TnIc pour le diagnostic de
l’infarctus est la cause d’une augmentation apparente de la
maladie, de pres d’un tiers dans l’etude de Ferguson et al. [20].
Il existe donc un benefice pour les patients qui sont maintenant
mieux detectes. Mais cela pose avec acuite la necessite d’une
remise a niveau de la politique de sante, puisque plus de patients
doivent avoir une prise en charge en milieu specialise.
Les differents experts (NACB et ESC/ACC) [21–23] en
redefinissant les criteres de diagnostic d’infarctus ont egalement
donne des recommandations sur l’utilisation de ce nouveau
biomarqueur utilise comme « gold standard ». Le seuil retenu est
le 99e percentile etabli sur une population de sujets sains [24]. La
precision du dosage etant plus faible pour les valeurs basses, les
experts ont ajoute un second critere pour la valeur seuil : un
coefficient de variation analytique inferieur a 10 %, ce qui permet
de s’assurer que le test utilise reste tres precis a ces valeurs basses
[24,25]. Cette valeur tres basse est en accord avec les etudes
portant sur les SCA montrant qu’une elevation meme minime de
la troponine dans les premieres heures suivant le debut d’une
douleur thoracique etait le facteur predictif independant de
survenue de complications majeures [26].
Un probleme frequent de la cardiologie est celui des angors
instables [27–30]. Un marqueur fiable va permettre de faire la
part entre deux pathologies sans solution de continuite : la crise
d’angor et l’infarctus authentique, la premiere pouvant realiser
a bas bruit de veritables micronecroses. La TnIc va permettre ici
d’affiner le diagnostic, notamment dans le cadre de l’urgence
grace a la biologie delocalisee [31], mais egalement d’evaluer
le pronostic de la maladie coronaire.
De plus, comme pour les autres marqueurs, on dispose avec
la TnIc d’un bon marqueur de l’efficacite des traitements a
visee coronaire, thrombolyse ou angioplastie [32–34]. La TnIc
permet egalement de juger des effets deleteres eventuels en
radiologie interventionnelle en pediatrie [35] et lors des
fulgurations [36]. Les concentrations de TnIc ne sont pas
modifiees par les cardioversions [37].
En dehors de la maladie coronaire, on accorde un role
pronostique aux valeurs de TnIc dans les myocardites [38],
mais ces elevations de troponine sont peut-etre, dans ce
contexte, en rapport avec un spasme coronaire.
Un apport du dosage de la troponine est de permettre un
pronostic sur l’evolutivite de la maladie coronaire [27,39–41].
Antman, dans l’etude TIMI IIIB, a montre une augmentation de
la mortalite de cause cardiaque, proportionnelle aux valeurs de
TnIc observees [39,40] (Fig. 3).
3.4.2. En chirurgie non cardiaque
C’est dans un contexte chirurgical que le diagnostic de
l’infarctus est le plus difficile.
Fig. 3. Relation entre le taux de TnIc et la mortalite a 42 jours (d’apres [39] :
etude TIMI IIIB, Antman et al., N Engl J Med 1996;335:1342–9).
Fig. 4. a : pics de CK–MB ; b : pics de ratio CK–MB/CK totale ; c : pics de
troponine Ic, [54].
G. Godet et al. / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 28 (2009) 321–331 325
La douleur est presque toujours absente (analgesie
residuelle, modification de l’integration de la douleur),
l’ECG est difficilement contributif (10 % seulement des
infarctus du myocarde postoperatoires sont marques par une
onde Q, alors que les troubles de repolarisation doivent persister
au moins 48 heures pour etayer le diagnostic) [42–44]. L’acte
chirurgical entraıne une elevation parfois importante des
enzymes seriques (attrition chirurgicale, rhabdomyolyse dans
le contexte de la chirurgie vasculaire) [46–51].
Dans ce contexte, la TnIc est un marqueur specifique [52] et
sensible de l’infarctus du myocarde postoperatoire [53].
Des valeurs de TnIc superieures ou egales a 1,5 mg/l sont
pathognomoniques d’un infarctus [54]. Jusqu’en 2000, il etait
plus difficile de conclure sur les valeurs intermediaires (entre
0,2 et 1,5 mg/l). Mais, depuis le developpement des dernieres
trousses de dosage des troponines, on dispose d’une meilleure
sensibilite et d’une limite de detection pouvant aller jusqu’a
0,03 mg/l. On considere qu’il existe un simple continuum entre
le simple angor et l’infarctus, passant par la necrose
rudimentaire.
Comme en cardiologie medicale, un interet majeur du
dosage de la TnIc est d’avoir egalement un role pronostique
dans la maladie coronaire. Ce caractere pronostique a ete
retrouve apres chirurgie aortique et dans plusieurs types de
chirurgie [52,55–62].
Un seul auteur a demontre ce meme role predictif pour la
TnT [50].
Les Fig. 4a–c, empruntees a Adams et al. [54], illustrent bien
les sensibilites et specificites respectives de CK–MB, du ratio
CK–MB/CK totale et de la TnIc en postoperatoire de chirurgie
non cardiaque chez des patients indemnes ou non d’infarctus.
Seule la TnIc n’est pas entachee de faux-positifs ou de faux-
negatifs.
L’interet de la TnIc en chirurgie non cardiaque a d’abord ete
note en chirurgie vasculaire reglee [60,63–66] ou en urgence
[67], mais egalement en chirurgie viscerale [68], orthopedique
[69–71], pediatrique, urologique ou gynecologique [72,73].
C’est dans ce contexte chirurgical que la TnIc a largement
contribue au concept de dommage myocardique : en periode
postoperatoire, les necroses myocardiques sont le plus souvent,
non pas transmurales, mais rudimentaires ou sous-endocardi-
ques. Cette particularite rend d’ailleurs compte de la plus
grande difficulte d’interpretation de l’ECG. Des auteurs ont
parle alors de « myocardial damage » [55]. Ce dommage
myocardique n’est pas consecutif a une thrombose coronaire
mais plutot a des phenomenes ischemiques d’origine hemo-
dynamique (dans une acceptation large du terme, avec
principalement un role des diminutions de pression de
perfusion coronaire et/ou une augmentation de la contrainte
systolique du ventriculaire gauche (acces hypertensif, tachy-
cardie) et/ou une baisse du transport de l’oxygene (hypo-
volemie, anemie aigue). Les lesions de necrose sont ainsi moins
Fig. 5. « Cutoff » de troponine Ic chez des patients operes avec cardioplegie et/
ou hypothermie profonde [107].
G. Godet et al. / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 28 (2009) 321–331326
profondes mais de plus grande etendue, non systematisees a des
segments de parenchyme myocardique. Ces lesions non
transmurales ont le meme pronostic a court et long termes
que les infarctus transmuraux, ce qui rend evidemment
primordial leur diagnostic. La ponderation de la masse infarcie
est apprehendable de maniere approchee par la mesure de l’aire
sous la courbe (cinetique de la TnIc en fonction du temps).
Une litterature abondante a, depuis les premieres publica-
tions, confirme la place de ce marqueur pour le diagnostic de la
necrose myocardique postoperatoire en chirurgie non-car-
diaque par des travaux cliniques [38,40,43,52,53,59–62,68,74–
78] et affirme par des revues ou des editoriaux [79–83] et
rarement contredits [8,61].
Plus recemment, la place du dosage de la TnT a ete propose
avec la meme fiabilite [6,47,51,59,84,85].
La superiorite de la TnIc sur le dosage de la CK–MB a ete
prouve par de nombreux travaux [54,64,66,69,75–77,86–89].
3.4.3. En chirurgie cardiaque
Dans ce type de chirurgie, une atteinte cardiaque mecanique
est constante, consecutive aux manipulations directes du
muscle, aux decharges et canulations et peut-etre minoree
par la technique de cardioplegie. Les sensibilites et specificites
de la TnIc expliquent l’observation de valeurs augmentees dans
la periode postoperatoire, meme en l’absence de complications
[48,90,91]. Il faut donc dans ce type de chirurgie, etablir des
« cutoff », peut-etre propres a chaque equipe, bien que les
premiers resultats publies soient tous assez concordants : un
taux entre 10 et 15 mg/l semblent etre la valeur frontiere
entre patients indemnes et patients atteints de complications
cardiaques [48,90–101] en chirurgie coronaire. Des « cutoff »
specifiques doivent etre recherches dans les autres procedures
de chirurgie cardiaque telles que chirurgie valvulaire [101], ou
chirurgie coronaire a cœur battant [102–106].
Par analogie, un « cutoff » doit etre determine pour les
procedures chirurgicales plus lourdes comprenant cardioplegie
et arret circulatoire en hypothermie profonde, cette derniere
abaissant peut-etre le seuil des valeurs a considerer comme
pathologiques. La figure ci-dessous rapporte les valeurs de TnIc
dans trois groupes de patients avec ou sans complication
cardiaque apres : chirurgie coronaire (groupe 1), chirurgie de
l’aorte ascendante ou de la crosse en hypothermie profonde,
avec cardioplegie (groupe 2) et apres chirurgie de l’aorte
thoracique descendante en hypothermie profonde, la thoraco-
tomie gauche rendant techniquement difficile la realisation
d’une cardioplegie (groupe 3). Un « cutoff » est defini pour
chaque groupe comme la valeur moyenne + deux deviations
standards des patients indemnes de complication cardiaque.
Pour les trois groupes de patients, la specificite et la sensibilite
de la TnIc sont retrouvees puisque tous les patients indemnes
ont des valeurs a j1 inferieures au « cutoff » et tous les patients
avec complications cardiaques postoperatoires ont des valeurs
superieures a ce « cutoff ». On doit noter que les patients sans
cardioplegie (groupe 3) ont des valeurs moyennes plus elevees
que ceux du groupe 1, ce qui affirme l’importance de la
cardioplegie ; les valeurs intermediaires retrouvees dans le
groupe 2 sont en faveur de l’existence d’une cardioprotection
par le froid [107]. Ces resultats preliminaires sont confirmes sur
un plus grand collectif de patients.
La Fig. 5 rapporte les « cutoff » de TnIc chez des patients
operes avec cardioplegie et/ou hypothermie profonde [107].
Des travaux qui comparent differentes solutions de
cardioplegie, la TnIc etant dans ces etudes, l’« end point »
retenu, ont ete publies [108–111], confirmant la fiabilite du
marqueur.
Des etudes sur le preconditionnement cardiaque s’appuient
maintenant sur la TnIc [112,113].
Les equipes de chirurgie cardiopediatrique l’utilisent
largement, meme chez des patients qui sont a l’evidence,
indemnes de lesions coronaires, mais chez qui on veut
monitorer le dommage myocardique [72,114,115].
Enfin, plus recemment, on retrouve un role pronostique de la
TnIc apres chirurgie cardiaque, sur la mortalite hospitaliere
[116].
3.4.3.1. Cas particulier de la transplantation cardiaque. La
transplantation cardiaque semble beneficier egalement de ce
nouveau dosage. La TnIc paraıt avoir une incidence
pronostique sur le resultat de la greffe. On constate une
normalisation rapide des taux de TnIc apres greffe a evolution
favorable, une elevation plus importante et une decroissance
plus lente en cas d’echec de la greffe. La TnIc permet
egalement la detection des rejets massifs, les simples rejets
« immunologiques » ne se traduisant pas par une elevation de la
TnIc [117–119]. Ces resultats ne sont pas retrouves par d’autres
auteurs [120].
3.4.4. En traumatologie et en reanimation
Les resultats sont egalement encourageants dans le domaine
de la traumatologie, ou la TnIc represente une aide au
diagnostic puisque les lesions des muscles stries n’interferent
pas sur son dosage [121–124]. Dans ce domaine egalement, la
TnT etait en retrait, notamment dans le diagnostic des
contusions myocardiques [125], essentiellement du fait de la
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possible existence d’une insuffisance renale dans ce contexte du
fait d’un manque de specificite des anticorps. L’amelioration de
leur specificite semble avoir regle ce probleme, mais des etudes
seront necessaires pour demontrer si l’augmentation de la TnT
reflete reellement une atteint myocardique chez les patients en
insuffisance renale chronique et /ou en dialyse. La TnT, en
revanche, est tres bien correlee aux modifications de la FRS
mesuree par ETO chez les sujets en etat de mort cerebrale, ce
qui represente une aide au bilan pretransplantation des greffons
cardiaques [125,126].
4. Approche actuelle de l’utilisation du dosage de laTnIc
Un premier progres important nous est fourni par l’industrie
qui nous permet de disposer de techniques plus sensibles,
permettant de raisonner sur des valeurs seuils tres basses, mais
avec encore des grandes differences d’une technique a l’autre
[127]. Ces seuls points meritent d’ailleurs de se poser, avec
acuite, le probleme de la redefinition des valeurs « cutoff » de
TnIc, etablies historiquement par confrontation avec des
marqueurs tels que la CK–MB, marqueur moins sensible que
la TnIc. En corollaire, la litterature medicale sur le sujet doit se
faire plus rigoureuse, rapportant les techniques utilisees de
dosage, leur sensibilite, leur precision, les temps de pre-
levement et les valeurs retenues comme pathologiques. Cela
doit etre une priorite a la fois des auteurs et des redacteurs des
revues medicales [128].
On assiste, par ailleurs, a une profonde evolution du
raisonnement medical en ce qui concerne le diagnostic des
complications cardiaques postoperatoires. Cette periode post-
operatoire est marquee par l’existence de nombreux facteurs
qui exposent le patient a risque a la survenue de ces
complications. Certains facteurs sont directement lies a
l’existence de lesions coronaires, considerees comme vulnera-
bles, qui peuvent etre l’objet de rupture de plaques
atheromateuses. D’autres facteurs sont lies plus specifiquement
au patient, egalement qualifiable de vulnerable, avec, dans cette
periode postoperatoire, l’existence de nombreux facteurs qui
peuvent faire le lit des complications cardiaques : augmentation
du risque thrombogene avec en particulier un etat d’hyper-
agregabilite, augmentation de l’activite adrenergique en rapport
notamment avec la douleur postoperatoire, mais on peut citer
egalement tous les facteurs qui contribuent a modifier la
balance energetique du myocarde tels qu’une anemie, une
instabilite hemodynamique et/ou une tachycardie. La TnIc est
sans doute le marqueur qui va permettre de mieux comprendre
la physiopathogenie de l’infarctus et du dommage myocardique
postoperatoire. Des maintenant, on peut observer des profils
cinetiques des taux de TnIc tres differents, quand ils sont
pathologiques :
� infarctus avec elevation de la TnIc au-dessus d’une valeur
« cutoff », de survenue immediate (24 a 48 heures) ;
� infarctus avec elevation de la TnIc au-dessus d’une valeur
« cutoff », de survenue retardee (� 4 jours), mais qui apparaıt
apres une elevation intermediaire de la TnIc ;
� elevation intermediaire du marqueur qui reste toujours en-
dessous du seuil pathognomonique d’infarctus : on parle alors
de dommage myocardique.
Ces differents profils n’ont pas qu’un interet descriptif
puisqu’ils semblent etroitement correles a la mortalite des
patients [78]. Une analyse retrospective de 1152 patients operes
consecutivement de chirurgie aortique sous-renale, monitores
systematiquement par le dosage de la TnIc de la periode de
reveil jusqu’a j3 postoperatoire, a montre une mortalite
hospitaliere significativement augmentee par rapport aux
patients indemnes d’elevation de la TnIc (2,8 %), chez les
patients ayant presente un dommage myocardique post-
operatoire (7,5 % chez 106 patients), mais surtout chez les
patients avec infarctus postoperatoire, qu’il soit immediat
(24,8 % chez 21 patients) ou differe (20,7 % chez 37 patients).
En resume, les progres analytiques du dosage des troponines,
notamment la TnIc, potentialisent leurs qualites diagnostiques
(augmentation de la sensibilite, determination du 99e percentile
sur des donneurs sains) et font de ces molecules un marqueur de
choix pour evaluer les dommages myocardiques mineurs.
Ce marqueur permet d’affirmer ou d’exclure un infarctus, de
suivre un patient avec angor instable, de surveiller l’efficacite
d’un traitement de revascularisation coronaire, mais surtout
permet le diagnostic d’infarctus du myocarde postoperatoire,
dans tous les types de chirurgie. De plus, les lesions musculaires
dues a l’acte chirurgical et l’insuffisance renale n’engendrent
pas de faux-positifs pour son dosage. Certains medicaments
(produits de remplissage) et certaines situations medicales
(infections) perturbent le dosage en le majorant de l’ordre de
10 %, ce qui ne conduit jamais a modifier un diagnostic ou la
prise en charge des patients.
Au total, le diagnostic d’infarctus du myocarde peut etre
pose sur des anomalies cliniques, des modifications ECG, des
elevations de marqueurs biochimiques, des modifications
echographiques, isotopiques ou en resonance magnetique,
des constatations autopsiques.
La frequence de diagnostic de l’infarctus myocardique va
dependre non seulement de l’outil diagnostique utilise, mais
egalement de la frequence d’utilisation de cet outil. Ainsi, des
prelevements quotidiens de certains marqueurs tels que la CK–
MB peuvent ignorer un pic d’elevation, compte tenu de sa
cinetique, conduisant a une sous-estimation du diagnostic. A
l’oppose, la non-specificite de certains marqueurs peut conduire
a une surestimation du diagnostic. Certaines anomalies ECG
(modification prolongee du segment ST d’au moins trois jours
pour affirmer le diagnostic) peuvent conduire a un diagnostic
retarde. D’autres techniques ne sont pas utilisables en urgence et/
ou repetables. L’utilisation d’un marqueur plus sensible et plus
specifique, utilisable en routine clinique, permet de porter au
mieux le diagnostic, avec de maniere certaine une frequence
apparente accrue. Mais, la troponine permet de poser ce
diagnostic avec un bon niveau de preuve, apporte par une etroite
correlation entre les elevations du marqueur et le pronostic du
patient. Ainsi, toute elevation de la troponine est marquee par une
augmentation de la morbimortalite a 30 jours, six mois, un an et
meme au-dela d’un an.
G. Godet et al. / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 28 (2009) 321–331328
Neanmoins, l’utilisation de ce marqueur ne doit etre
recommandee que chez des patients coronariens patents ou a
risque de maladie coronaire, ou chez des patients presentant des
anomalies cliniques de dysfonction cardiaque. De plus,
l’utilisation de ce marqueur ne peut affranchir de la pratique
d’ECG chez le sujet a risque, car ce dernier examen peut
permettre un diagnostic plus rapide, notamment dans les
situations de thrombose d’artere coronaire native ou de
thrombose intrastent.
En conclusion, la troponine est le parametre sensible et
specifique attendu par les cliniciens dans les contextes
perioperatoires.
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