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LE LITTORAL

Quand refleuritle Régionalisme

Un récent arrêté autorise les insti-tuteurs à organiser dans leurs écoles —en dehors des classes —• des " coursfacultatifs de langues dialectales '.

Aurait-on pensé que ledit arrêté putdonner lieu à une controverse serréeentre membres de l'Académie Fran-çaise ?

C est pourtant un fait. Le voici endeux mots. -

M. Jacques de Lacretelle est contre,II craint que cette importance donnéeà nos différents parlers régionaux nenuise au maintien, primordial, del'Unité Française.

M. Charles Maurras est pour. Sonrépondant n'est autre que Mistral,dont l'audience est aujourd'hui uni-verselle. Mistral qui a dit dans un deses poèmes :

Pareil au soleil de juin qui adoucit la merise, —ainsi le Félibrige, tempérant les querelles, — del'âpre politique où le cœur hait, — pour la Francefaisait croître les patriotes — enthousiastes du pays.

Mistral qui, à propos de la réuniondes Provinces française, a proclamé :

0 France, mère France, laisse-lui donc à laProvence, à ton joli Midi, la langue si douce danslaquelle elle te dit : Ma mère !

Le Temps' qui soutient la thèse deJ. de Lacretelle, recommande en mêmetemps le renforcement et même leculte des coutumes et traditions denos diverses provinces.

Mais alors "Le Temps ' se contredit :car le dialecte local n'est-il pas lecomplérrent naturel, le traducteur"essentiel" de ces coutumes et de cestraditions ?

Ici nous sommes rasurés.Persuadés que le développement du

véritable esprit régionaliste ne peut,dans un pays ayant les assises séculairesde la France, que renforcer le senti-ment national.

Partisans absolus, faut-il l'ajouter,de la primauté à l'Ecole de l'enseigne-ment de la langue française ; le dialectelocal enseigné à des esprits déjà forméspar elle constituant alors un véritableenrichissement.

Et partisans non moins ardents deséchanges culturels de tous ordres entreles diverses régions françaises.

D'accord ainsi avec le PrésidentTuby, orgar uateur de rrar ifest t b r sirterprcvindales avec d'autres grou-pements régionahstes : Daseurs cata-lans d'Amélie-Ips-Eai;is, Eccle "Ven-tadotr " de Tulle, Chômeurs deComminges — d autres encore...

Il aura fallu la plus sombre défaitepour que ressurgit le Régionalisme —avec ses réserves insoupçonnées — deforces profondes et constructives.

Rappelons-nous le Message du 8Septembre 1940, du Maréchal, Chefde l'Etat, dont la péroraison si émou-vante :

Au chantre inspiré de la race latine et des trésorsspirituels dont elle est l'héritière et qui constituentpour elle une promesse d'éternité.

Et puisse notre renaissance française trouver enMistral son guide et son maître, son animateur etson inspriaieur.

Le Maréchal a choisi d'emblée — etfaisant sien le vœu de notre Poète, c'estsur le renouveau total des ProvincesFrançaises qu'il compte pour édifierles bases nouvelles de l'Edifice Na-tional.

Réjouissons-nous donc, dans cettepage de "PROVENCE", de toute* lesmanifestations par quoi refleu iro îtles traditions de notre Folklore — etassurons leurs auteurs de notre aideet de notre amitié.

Le "grand public" enfin, marchedans la bonne voie. Il n'est que de voirle succès de certaines organisationscaractéristiques.

••' Pour rester dans le cadre local, lesdiverses expositions artisanales qui ontheureusement alterné, la saison der-nière, aux habituelles expositions artis-

LA VIE P R O V E N Ç A L E

NATIVITÉ — Bois gravé extrait d'une Bible illustrée par Jupp Wintet dontnous reparlerons prochainement. s. I. 11052

UNE VEILLEE DE NOËLCHEZ MAITRE TISTET

Revêtu de sa cape neuve et de son grandchapeau, Janin est parti avec sa femme Nourado"passer fête" chez son aïeul Maître Tistet enBasse-Provence où la famille s'assemble chaqueannée pour Noël.

A leur arrive'e, la grande salle a déjà un air defête : tout reluit, tout flamboie ; au plafond perdune énorme touffe de gui, de laurier, de branchesd'oranger aux fruits d'or, de fleurs, de bonbonsmulticolores. La table "calendale1 a reçu selonla tradition trois nappes, trois chandeliers, treizepains décorés de myrtes et de houx dont le plusgros, barré d'une croix, sera divisé en trois partset donne' aux pauvre:., les plats de faïence décorée,IPS verreries et poteries rustiques brillent d'unvif éclat. Dans l'âtre, un bûcher est préparé pourrecevoir "lou calendoun", énorme tronc d'arbrefruitier qui attend dans la cour enguirlandé demyrtes et de papier doré' son baptême solennel.Dans un angle, les enfants sont attirés par lacrèche aux jolis santons bariolés qui s'augmentechaque année de sujets nouveaux et par les bran-ches de laurier chargées de bonbons et de fruitsqui doivent leur être distribuées.

En ce moment, Tistet offre les cadeaux auxserviteurs, du pain, du nougat, du vin cuit, desgalettes à ceux qui passent Noël en famille, desvêtement; à ceux qui assistent au "gros souper"Les derniers convives arrivent ; la famille déjànombreuse agrandit son cercle pour recevoir desamis isolés, une voisine pauvre, un enfantmalheureux.

Un religieux silence s'établit quand, à latombée de la nuit, le vieillard se lève et allume un

tiques, ont remporté un succès marqué.En Décembre dernier, le Concours

de Crèches et Santons s'est imposécomme l'une de no ; manifestationslcc^les désormais classiques.

Tout récemment, au Casino Muni-cipal, Mireille, restituée dans sa versionoriginale par le Maître Reynaldô Hahn,et chantée par Géori Boue, était jouéedevant une salle comble et enthou-siaste. Ce sont là des sons de cloches.Il en est d'autres — et précieux. Leplus récen: — d'une actualité teHteneuve, nous vient de l'Ecole de Fillesde la Ferrage. Notre concitoyenne,Mlle Bertrand, excellente institutrice,a déjà passé de la théorie à la pratique,et son cours de Provençal remporte,auprès des jeunes élèves déjà pourvusdu certificat d'études, un succès prio-metteur...

D'autres sons de cloches se ferontentendre. Nous nous en ferons l'échoauprès de nos lecteurs.

Aujourd'hui, ceux-ci pourront ap-précier dans les colonnes voisines laqualité d'articles écrits pour eux pardes collaborateurs qui illustrent bril-lament une thèse qui nous est chère etdont la défense s i p?se dans cef'epage : la connaissance des secrets duterroir donnant un charme tout par-ticulier à un style d'une élégancevraiment française...

Louis GGIN.

cierge de la Chandeleur. Chacun retient sa respi-ration pour observer la flamme : l'épi sera lourdsi elle se courbe, léger si e'ie reste droite et alorslà récolte sera mauvaise. Tous se précipitent pouraider à porter au moyen de cordes l'énorme bûchequi doit durer jusqu'à l'Epiphanie. On lui faitfaire trois fois le tour de la table en chantant :« Cacho fiai, Bouto fieù. Dieu nous alègre, Calendo

vèn, tout ben ven » avant de la déposer dans lacheminée. L'aïeul se met à genoux et allume lefeu avec son cierge, les flammes crépitent et Titinle plus jeune enfant, s'avance portant un verrerempli d'un mélange de vin cuit et d'huile de ladernière récolte. En trois libations, il en verse lecontenu sur la bûche, tandis que Maître Tistetprononce de sa voix grave les paroles consacrées :11 Dioà nous fagué la gràci de véire l'an que vèn.Sa sian pas mai siguen pas mens. " Et il ajoute :« Dioù nous douné proun dé pan, proun dé vin elou Paradis à la fin », cependant que Nouradomurmure tout bas les paroles qu'on prononcechez elle, au pays gavot, en souvenir de ceux quipartent dans les Flandres ou aux Amériques :« Dioù nous saouvé nostis gens, aquest an e pieilong rems. »

Les chandelles sont allumées avec le feu béniet le '"gros souper' obligatoirement composé deneuf plats maigres commence. Janin déguste engourmet la salade de céleris à l'anchois, les sar-dines farcies, - la muge aux olives, la sauce decardes, la morue frite, le tian d'épmards au four,les escargots ; tandis que Nourado apprécie deuxplats montagnards préparés à son intention : leslasagnes ou pâtes fraîches et les rissoles au maigie.Puis viennent les treize desserts : oreilles, tourtede "'cougourdo", fougassettes de Grasse, nougat,échaudés, tarte de noix au miel, galette aux fruits,oranges, pommes, poires, raisins, figues sèches etfruits confits copieusement arrosés de vin clairet.

La conversation s'anime : les "vieux" racontentqu'en cette nuit merveilleuse on met des charbonsardents sur les nappes de Noël sans les brûler,que le "juste" plonge ses mains gantées de blancdans les cendres du foyer et retire des cheveuxd'ange au bout de ses doigts immaculés. Il faut,disent-ils, laisser les miettes du repas trois joursdurant sur la table pour les âmes des ancêtres.Comme les débris de la bûche, elles ont le pou-voir de préserver de la foudre, des sortilèges, dela chute des enfants, de calmer la tempête si onles jette dans la mer, d'assurer une bonne récoltesi on les disperse dans la campagne. Il faut allerde grand matin à la messe de Saint Etienne pouréchapper durant l'année au danger des faux-témoignages. Il y a encore les "réconciliations 'de la veille de Noël. On met ce jour-là un pointd'honneur à rendre visite, le premier, à sonennemi avec quelques parents et amis. Celui-cioffre une collation et l'on boit à la santé les unsdes autres (( pendant un temps assez considé-rable ». Un quart d'heure après la visite est renduedans les mêmes conditions. Mais le Père Cotton (1 )cette année a demandé « d'abolir ces réconci-liations » qui l'an dernier avaient été trop par-faitîs et avaient été si bien arrosées que les nou-veaux amis n'avaient pas été en état d'honorerl'Enfant-Dieu à la messe de minuit.

Jinin ne se fait pas prier pour chanter le Noëlsi populaire :

Philippo émé soun sourrié,Venié dé La Gardo,Tout d'un cop, Vers Sant Vallté,Planto sa guimbardo,Entens uno voué d'en haut... - -

LE FOLKLORE ET LES LIVRES

LES RECULASpar

(N. R. F., édit.).

C est du folklore, non de musée, mais vivant quece récit nous apporte. Avec lui, on a l'impressionde remonter aux sources.

Les Reculas sont un hameau " perdus dans despays impossibles, plus loin que tout » (qui existevraiment) où le soleil ne parait pas durant troismois de l'année. Pour l'atteindre il faut faire unlong voyage, en patache, puis à pied, le long d'unVal noir où coule l'Enragée, traverser le Maupasoù descendent les avanlanches.

Quand donc nous arrivons là-haut avec la jeuneBéatrice qui vient passer l'hiver chez sa sœur, nousdécouvrons un monde neuf. Dans ce pays "à lasource de l'air", où la lumière est d'un bleu degentiane, choses et gens sont rebaptisé. Peu à peunous fa:sons la connaissance d'hommes qui s'apel-lent : Hélion, Appolinaire, Florin, Fabrice, Hyacin-the et de femmes : Hermelinde, Emerentiane, Ermi-.me. Les autres personnages du drame sont les prai-ries du pays : la Pelouse-Exquise, Soleille-Bœufs,le Satin, la Soie, le Pré-Bleu ; et les montagnes :la Corne, la Crète-de- Vente-Fol, l'Aiguille dé Cris-tal, le Mont-Céleste, la Tête-Reculée et surtout leCarcan, celle qui barre le soleil. Même les étoilesont des noms neufs : les Deux-Epis, les Trois-Frelons. Enfin et surtout le Soleil.

Au début de l'hiver, avec la neige qui tombe,l'ombre gagne et bientôt le soleil disparaît. Ayantnoué un foulard, croisé sa pèlerine, Adèle quigrelotte et change de figure, dit de sa voix d'hom-me : — Le 14 Novembre, Sai -1 Bertrand, le sai îtdéglace, le soleil s'en va. Nomnte jours à compter.— A la Saint-Faustin, 15Février,les3leIreparôîi: !jette lumière de sa voix de fontain-.

De nouveau le timbre dur de Gatienne :— Saint Bertrand nous entraîne comme glace

au Gslas...— Saint Faustin nous délivre ! chante Erminie,

d'une voix parfumée comme un frêne.— Quand le soleil se détourne, on est petits.

Tous il faudra ne faire qu'un, ajoute Emer ntiane./ / n'y a plus alors que la chaleur dzs étables, avec

les bêtes, le feu et la bonne amitié des gzns. Il y aaussi des drames simples, éternels. Enfin l'hiver sepasse, les malheurs .sont évités, et le soleil reparaît(< le régulateur... celui qui donne des deux mains...celui qui ne meurt pas ». On assiste à la joie de cepetit groupe humain comme on lirait un récit d'explo-rateurs d anciennes et toujours neuves cérémoniesmarquent ce retour : la musique qui salue l'appari-tion du premier rayon, les dépôts que l'on fait surle rocher de l'Offrande, la "prise de la terre" parles garçons de la vallée.

Il faut savoir gré à Mme Borély de nous avoirtransmis ces belles survivances qui arrivent toutesfraîches et vives de la montagne. Le récit, typiquede la jeune littérature provençale, est digne d'elle,tissu d'images simples et puissantes, où le rêve colleà la terre, et qui rendent un son vrai.

PERGAMIN.

Un air de galoubet se fait entendre au dehors,dernier accent des aubades de Calène qui durentdepuis un mois. On frappe à la porte. Un groupede jeunes gens fait irruption dans la pièce, pré-sentant une grande corbeille remplie de gâteaux.Nanettè, la jeune fille de la maison s'avance, touterougissante pour y déposer le sien où son nomest inscrit en rubans de pâte croustillante. Lésgâteaux airsi fournis par les jeunes filles sontpo tés le lendemain su la place. Un jeune paysanplein d'éloquence monte sur une estrade, les metaux enchères, proclamant les noms, vantant lesmérites et la bsauté de chacune. L=s gâteaux sonttrès disputés et les jeunes recueillent ainsi unesomme qui servira à payer les tambourinaires quiles font danser.

Le vin mousseux coule à flots en 1 honneur desvisiteursl Enfin, les cloches sonnent. On se hâteVî s l'c'gliie où se joue une pastorale avec les vieuxNoêls et la cérémonie de YOffrande de l'Agneau.Nourado revoit sa petite chapelle de montagneoù le curé offre aux bergers du vin rouge qu'ilsboivent dans l'église pour se réchauffer.

Au retour, on est heureux de trouver la grossebûche flambant joyeusement, le bouillon chaudet l'on fait honneur aux plats de viande duréveillon.

Cïtte Veillée, empreinte de joie, de bonté,d'art et de beauté, ce respect des traditions fontsentir à ces Provençaux, la force, la noblesse, lespiritualisme de leur race, par quelles racines pro-fondes ils se rattachent au passé. En même temps,par un sentiment bien humain, s est allumé eneux le "feu nouveau", l'Espérance, dans l'an quivient, dans l'Avenir.

Marcelle MOURGUES..

(I) Marchetti. — Coustumes des Marseillais. '

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