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LE LITTORAL Quand refleurit le Régionalisme Un récent arrêté autorise les insti- tuteurs à organiser dans leurs écoles — en dehors des classes —• des " cours facultatifs de langues dialectales '. Aurait-on pensé que ledit arrêté put donner lieu à une controverse serrée entre membres de l'Académie Fran- çaise ? C est pourtant un fait. Le voici en deux mots. - M. Jacques de Lacretelle est contre, II craint que cette importance donnée à nos différents parlers régionaux ne nuise au maintien, primordial, de l'Unité Française. M. Charles Maurras est pour. Son répondant n'est autre que Mistral, dont l'audience est aujourd'hui uni- verselle. Mistral qui a dit dans un de ses poèmes : Pareil au soleil de juin qui adoucit la merise, ainsi le Félibrige, tempérant les querelles, de l'âpre politique où le coeur hait, pour la France faisait croître les patriotes enthousiastes du pays. Mistral qui, à propos de la réunion des Provinces française, a proclamé : 0 France, mère France, laisse-lui donc à la Provence, à ton joli Midi, la langue si douce dans laquelle elle te dit : Ma mère ! Le Temps' qui soutient la thèse de J. de Lacretelle, recommande en même temps le renforcement et même le culte des coutumes et traditions de nos diverses provinces. Mais alors "Le Temps ' se contredit : car le dialecte local n'est-il pas le complérrent naturel, le traducteur "essentiel" de ces coutumes et de ces traditions ? Ici nous sommes rasurés. Persuadés que le développement du véritable esprit régionaliste ne peut, dans un pays ayant les assises séculaires de la France, que renforcer le senti- ment national. Partisans absolus, faut-il l'ajouter, de la primauté à l'Ecole de l'enseigne- ment de la langue française ; le dialecte local enseigné à des esprits déjà formés par elle constituant alors un véritable enrichissement. Et partisans non moins ardents des échanges culturels de tous ordres entre les diverses régions françaises. D'accord ainsi avec le Président Tuby, orgar uateur de rrar ifest tbrs irterprcvindales avec d'autres grou- pements régionahstes : Daseurs cata- lans d'Amélie-Ips-Eai;is, Eccle "Ven- tadotr " de Tulle, Chômeurs de Comminges — d autres encore... Il aura fallu la plus sombre défaite pour que ressurgit le Régionalisme — avec ses réserves insoupçonnées — de forces profondes et constructives. Rappelons-nous le Message du 8 Septembre 1940, du Maréchal, Chef de l'Etat, dont la péroraison si émou- vante : Au chantre inspiré de la race latine et des trésors spirituels dont elle est l'héritière et qui constituent pour elle une promesse d'éternité. Et puisse notre renaissance française trouver en Mistral son guide et son maître, son animateur et son inspriaieur. Le Maréchal a choisi d'emblée — et faisant sien le voeu de notre Poète, c'est sur le renouveau total des Provinces Françaises qu'il compte pour édifier les bases nouvelles de l'Edifice Na- tional. Réjouissons-nous donc, dans cette page de "PROVENCE", de toute* les manifestations par quoi refleu iro ît les traditions de notre Folklore — et assurons leurs auteurs de notre aide et de notre amitié. Le "grand public" enfin, marche dans la bonne voie. Il n'est que de voir le succès de certaines organisations caractéristiques. •• ' Pour rester dans le cadre local, les diverses expositions artisanales qui ont heureusement alterné, la saison der- nière, aux habituelles expositions artis- LA VIE PROVENÇALE NATIVITÉ — Bois gravé extrait d'une Bible illustrée par Jupp Wintet dont nous reparlerons prochainement. s. I. 11052 UNE VEILLEE DE NOËL CHEZ MAITRE TISTET Revêtu de sa cape neuve et de son grand chapeau, Janin est parti avec sa femme Nourado "passer fête" chez son aïeul Maître Tistet en Basse-Provence où la famille s'assemble chaque année pour Noël. A leur arrive'e, la grande salle a déjà un air de fête : tout reluit, tout flamboie ; au plafond perd une énorme touffe de gui, de laurier, de branches d'oranger aux fruits d'or, de fleurs, de bonbons multicolores. La table "calendale 1 a reçu selon la tradition trois nappes, trois chandeliers, treize pains décorés de myrtes et de houx dont le plus gros, barré d'une croix, sera divisé en trois parts et donne' aux pauvre:., les plats de faïence décorée, IPS verreries et poteries rustiques brillent d'un vif éclat. Dans l'âtre, un bûcher est préparé pour recevoir "lou calendoun", énorme tronc d'arbre fruitier qui attend dans la cour enguirlandé de myrtes et de papier doré' son baptême solennel. Dans un angle, les enfants sont attirés par la crèche aux jolis santons bariolés qui s'augmente chaque année de sujets nouveaux et par les bran- ches de laurier chargées de bonbons et de fruits qui doivent leur être distribuées. En ce moment, Tistet offre les cadeaux aux serviteurs, du pain, du nougat, du vin cuit, des galettes à ceux qui passent Noël en famille, des vêtement; à ceux qui assistent au "gros souper" Les derniers convives arrivent ; la famille déjà nombreuse agrandit son cercle pour recevoir des amis isolés, une voisine pauvre, un enfant malheureux. Un religieux silence s'établit quand, à la tombée de la nuit, le vieillard se lève et allume un tiques, ont remporté un succès marqué. En Décembre dernier, le Concours de Crèches et Santons s'est imposé comme l'une de no ; manifestations lcc^les désormais classiques. Tout récemment, au Casino Muni- cipal, Mireille, restituée dans sa version originale par le Maître Reynaldô Hahn, et chantée par Géori Boue, était jouée devant une salle comble et enthou- siaste. Ce sont là des sons de cloches. Il en est d'autres — et précieux. Le plus récen: — d'une actualité teHte neuve, nous vient de l'Ecole de Filles de la Ferrage. Notre concitoyenne, Mlle Bertrand, excellente institutrice, a déjà passé de la théorie à la pratique, et son cours de Provençal remporte, auprès des jeunes élèves déjà pourvus du certificat d'études, un succès prio- metteur... D'autres sons de cloches se feront entendre. Nous nous en ferons l'écho auprès de nos lecteurs. Aujourd'hui, ceux-ci pourront ap- précier dans les colonnes voisines la qualité d'articles écrits pour eux par des collaborateurs qui illustrent bril- lament une thèse qui nous est chère et dont la défense s i p?se dans cef'e page : la connaissance des secrets du terroir donnant un charme tout par- ticulier à un style d'une élégance vraiment française... Louis GGIN. cierge de la Chandeleur. Chacun retient sa respi- ration pour observer la flamme : l'épi sera lourd si elle se courbe, léger si e'ie reste droite et alors là récolte sera mauvaise. Tous se précipitent pour aider à porter au moyen de cordes l'énorme bûche qui doit durer jusqu'à l'Epiphanie. On lui fait faire trois fois le tour de la table en chantant : « Cacho fiai, Bouto fieù. Dieu nous alègre, Calendo vèn, tout ben ven » avant de la déposer dans la cheminée. L'aïeul se met à genoux et allume le feu avec son cierge, les flammes crépitent et Titin le plus jeune enfant, s'avance portant un verre rempli d'un mélange de vin cuit et d'huile de la dernière récolte. En trois libations, il en verse le contenu sur la bûche, tandis que Maître Tistet prononce de sa voix grave les paroles consacrées : 11 Dioà nous fagué la gràci de véire l'an que vèn. Sa sian pas mai siguen pas mens. " Et il ajoute : « Dioù nous douné proun dé pan, proun dé vin e lou Paradis à la fin », cependant que Nourado murmure tout bas les paroles qu'on prononce chez elle, au pays gavot, en souvenir de ceux qui partent dans les Flandres ou aux Amériques : « Dioù nous saouvé nostis gens, aquest an e piei long rems. » Les chandelles sont allumées avec le feu béni et le '"gros souper' obligatoirement composé de neuf plats maigres commence. Janin déguste en gourmet la salade de céleris à l'anchois, les sar- dines farcies, - la muge aux olives, la sauce de cardes, la morue frite, le tian d'épmards au four, les escargots ; tandis que Nourado apprécie deux plats montagnards préparés à son intention : les lasagnes ou pâtes fraîches et les rissoles au maigie. Puis viennent les treize desserts : oreilles, tourte de "'cougourdo", fougassettes de Grasse, nougat, échaudés, tarte de noix au miel, galette aux fruits, oranges, pommes, poires, raisins, figues sèches et fruits confits copieusement arrosés de vin clairet. La conversation s'anime : les "vieux" racontent qu'en cette nuit merveilleuse on met des charbons ardents sur les nappes de Noël sans les brûler, que le "juste" plonge ses mains gantées de blanc dans les cendres du foyer et retire des cheveux d'ange au bout de ses doigts immaculés. Il faut, disent-ils, laisser les miettes du repas trois jours durant sur la table pour les âmes des ancêtres. Comme les débris de la bûche, elles ont le pou- voir de préserver de la foudre, des sortilèges, de la chute des enfants, de calmer la tempête si on les jette dans la mer, d'assurer une bonne récolte si on les disperse dans la campagne. Il faut aller de grand matin à la messe de Saint Etienne pour échapper durant l'année au danger des faux- témoignages. Il y a encore les "réconciliations ' de la veille de Noël. On met ce jour-là un point d'honneur à rendre visite, le premier, à son ennemi avec quelques parents et amis. Celui-ci offre une collation et l'on boit à la santé les uns des autres (( pendant un temps assez considé- rable ». Un quart d'heure après la visite est rendue dans les mêmes conditions. Mais le Père Cotton (1 ) cette année a demandé « d'abolir ces réconci- liations » qui l'an dernier avaient été trop par- faitîs et avaient été si bien arrosées que les nou- veaux amis n'avaient pas été en état d'honorer l'Enfant-Dieu à la messe de minuit. Jinin ne se fait pas prier pour chanter le Noël si populaire : Philippo émé soun sourrié, Venié dé La Gardo, Tout d'un cop, Vers Sant Vallté, Planto sa guimbardo, Entens uno voué d'en haut... - - LE FOLKLORE ET LES LIVRES LES RECULAS par (N. R. F., édit.). C est du folklore, non de musée, mais vivant que ce récit nous apporte. Avec lui, on a l'impression de remonter aux sources. Les Reculas sont un hameau " perdus dans des pays impossibles, plus loin que tout » (qui existe vraiment) où le soleil ne parait pas durant trois mois de l'année. Pour l'atteindre il faut faire un long voyage, en patache, puis à pied, le long d'un Val noir où coule l'Enragée, traverser le Maupas où descendent les avanlanches. Quand donc nous arrivons là-haut avec la jeune Béatrice qui vient passer l'hiver chez sa soeur, nous découvrons un monde neuf. Dans ce pays la source de l'air", où la lumière est d'un bleu de gentiane, choses et gens sont rebaptisé. Peu à peu nous fa:sons la connaissance d'hommes qui s'apel- lent : Hélion, Appolinaire, Florin, Fabrice, Hyacin- the et de femmes : Hermelinde, Emerentiane, Ermi-. me. Les autres personnages du drame sont les prai- ries du pays : la Pelouse-Exquise, Soleille-Boeufs, le Satin, la Soie, le Pré-Bleu ; et les montagnes : la Corne, la Crète-de- Vente-Fol, l'Aiguille dé Cris- tal, le Mont-Céleste, la Tête-Reculée et surtout le Carcan, celle qui barre le soleil. Même les étoiles ont des noms neufs : les Deux-Epis, les Trois- Frelons. Enfin et surtout le Soleil. Au début de l'hiver, avec la neige qui tombe, l'ombre gagne et bientôt le soleil disparaît. Ayant noué un foulard, croisé sa pèlerine, Adèle qui grelotte et change de figure, dit de sa voix d'hom- me : — Le 14 Novembre, Sai -1 Bertrand, le sai ît déglace, le soleil s'en va. Nomnte jours à compter. — A la Saint-Faustin, 15Février,les3leIreparôîi: ! jette lumière de sa voix de fontain-. De nouveau le timbre dur de Gatienne : — Saint Bertrand nous entraîne comme glace au Gslas... — Saint Faustin nous délivre ! chante Erminie, d'une voix parfumée comme un frêne. — Quand le soleil se détourne, on est petits. Tous il faudra ne faire qu'un, ajoute Emer ntiane. // n'y a plus alors que la chaleur dzs étables, avec les bêtes, le feu et la bonne amitié des gzns. Il y a aussi des drames simples, éternels. Enfin l'hiver se passe, les malheurs .sont évités, et le soleil reparaît (< le régulateur... celui qui donne des deux mains... celui qui ne meurt pas ». On assiste à la joie de ce petit groupe humain comme on lirait un récit d'explo- rateurs d anciennes et toujours neuves cérémonies marquent ce retour : la musique qui salue l'appari- tion du premier rayon, les dépôts que l'on fait sur le rocher de l'Offrande, la "prise de la terre" par les garçons de la vallée. Il faut savoir gré à Mme Borély de nous avoir transmis ces belles survivances qui arrivent toutes fraîches et vives de la montagne. Le récit, typique de la jeune littérature provençale, est digne d'elle, tissu d'images simples et puissantes, où le rêve colle à la terre, et qui rendent un son vrai. PERGAMIN. Un air de galoubet se fait entendre au dehors, dernier accent des aubades de Calène qui durent depuis un mois. On frappe à la porte. Un groupe de jeunes gens fait irruption dans la pièce, pré- sentant une grande corbeille remplie de gâteaux. Nanettè, la jeune fille de la maison s'avance, toute rougissante pour y déposer le sien où son nom est inscrit en rubans de pâte croustillante. Lés gâteaux airsi fournis par les jeunes filles sont po tés le lendemain su la place. Un jeune paysan plein d'éloquence monte sur une estrade, les met aux enchères, proclamant les noms, vantant les mérites et la bsauté de chacune. L=s gâteaux sont très disputés et les jeunes recueillent ainsi une somme qui servira à payer les tambourinaires qui les font danser. Le vin mousseux coule à flots en 1 honneur des visiteursl Enfin, les cloches sonnent. On se hâte Vî s l'c'gliie où se joue une pastorale avec les vieux Noêls et la cérémonie de YOffrande de l'Agneau. Nourado revoit sa petite chapelle de montagne où le curé offre aux bergers du vin rouge qu'ils boivent dans l'église pour se réchauffer. Au retour, on est heureux de trouver la grosse bûche flambant joyeusement, le bouillon chaud et l'on fait honneur aux plats de viande du réveillon. Cïtte Veillée, empreinte de joie, de bonté, d'art et de beauté, ce respect des traditions font sentir à ces Provençaux, la force, la noblesse, le spiritualisme de leur race, par quelles racines pro- fondes ils se rattachent au passé. En même temps, par un sentiment bien humain, s est allumé en eux le "feu nouveau", l'Espérance, dans l'an qui vient, dans l'Avenir. Marcelle MOURGUES.. (I) Marchetti. — Coustumes des Marseillais. '

Quand refleurit LA VIE PROVENÇALE le Régionalismearchivesjournaux.ville-cannes.fr/dossiers/littoral/1942/Jx5...Pareil au soleil de juin qui adoucit la merise,

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LE LITTORAL

Quand refleuritle Régionalisme

Un récent arrêté autorise les insti-tuteurs à organiser dans leurs écoles —en dehors des classes —• des " coursfacultatifs de langues dialectales '.

Aurait-on pensé que ledit arrêté putdonner lieu à une controverse serréeentre membres de l'Académie Fran-çaise ?

C est pourtant un fait. Le voici endeux mots. -

M. Jacques de Lacretelle est contre,II craint que cette importance donnéeà nos différents parlers régionaux nenuise au maintien, primordial, del'Unité Française.

M. Charles Maurras est pour. Sonrépondant n'est autre que Mistral,dont l'audience est aujourd'hui uni-verselle. Mistral qui a dit dans un deses poèmes :

Pareil au soleil de juin qui adoucit la merise, —ainsi le Félibrige, tempérant les querelles, — del'âpre politique où le cœur hait, — pour la Francefaisait croître les patriotes — enthousiastes du pays.

Mistral qui, à propos de la réuniondes Provinces française, a proclamé :

0 France, mère France, laisse-lui donc à laProvence, à ton joli Midi, la langue si douce danslaquelle elle te dit : Ma mère !

Le Temps' qui soutient la thèse deJ. de Lacretelle, recommande en mêmetemps le renforcement et même leculte des coutumes et traditions denos diverses provinces.

Mais alors "Le Temps ' se contredit :car le dialecte local n'est-il pas lecomplérrent naturel, le traducteur"essentiel" de ces coutumes et de cestraditions ?

Ici nous sommes rasurés.Persuadés que le développement du

véritable esprit régionaliste ne peut,dans un pays ayant les assises séculairesde la France, que renforcer le senti-ment national.

Partisans absolus, faut-il l'ajouter,de la primauté à l'Ecole de l'enseigne-ment de la langue française ; le dialectelocal enseigné à des esprits déjà forméspar elle constituant alors un véritableenrichissement.

Et partisans non moins ardents deséchanges culturels de tous ordres entreles diverses régions françaises.

D'accord ainsi avec le PrésidentTuby, orgar uateur de rrar ifest t b r sirterprcvindales avec d'autres grou-pements régionahstes : Daseurs cata-lans d'Amélie-Ips-Eai;is, Eccle "Ven-tadotr " de Tulle, Chômeurs deComminges — d autres encore...

Il aura fallu la plus sombre défaitepour que ressurgit le Régionalisme —avec ses réserves insoupçonnées — deforces profondes et constructives.

Rappelons-nous le Message du 8Septembre 1940, du Maréchal, Chefde l'Etat, dont la péroraison si émou-vante :

Au chantre inspiré de la race latine et des trésorsspirituels dont elle est l'héritière et qui constituentpour elle une promesse d'éternité.

Et puisse notre renaissance française trouver enMistral son guide et son maître, son animateur etson inspriaieur.

Le Maréchal a choisi d'emblée — etfaisant sien le vœu de notre Poète, c'estsur le renouveau total des ProvincesFrançaises qu'il compte pour édifierles bases nouvelles de l'Edifice Na-tional.

Réjouissons-nous donc, dans cettepage de "PROVENCE", de toute* lesmanifestations par quoi refleu iro îtles traditions de notre Folklore — etassurons leurs auteurs de notre aideet de notre amitié.

Le "grand public" enfin, marchedans la bonne voie. Il n'est que de voirle succès de certaines organisationscaractéristiques.

••' Pour rester dans le cadre local, lesdiverses expositions artisanales qui ontheureusement alterné, la saison der-nière, aux habituelles expositions artis-

LA VIE P R O V E N Ç A L E

NATIVITÉ — Bois gravé extrait d'une Bible illustrée par Jupp Wintet dontnous reparlerons prochainement. s. I. 11052

UNE VEILLEE DE NOËLCHEZ MAITRE TISTET

Revêtu de sa cape neuve et de son grandchapeau, Janin est parti avec sa femme Nourado"passer fête" chez son aïeul Maître Tistet enBasse-Provence où la famille s'assemble chaqueannée pour Noël.

A leur arrive'e, la grande salle a déjà un air defête : tout reluit, tout flamboie ; au plafond perdune énorme touffe de gui, de laurier, de branchesd'oranger aux fruits d'or, de fleurs, de bonbonsmulticolores. La table "calendale1 a reçu selonla tradition trois nappes, trois chandeliers, treizepains décorés de myrtes et de houx dont le plusgros, barré d'une croix, sera divisé en trois partset donne' aux pauvre:., les plats de faïence décorée,IPS verreries et poteries rustiques brillent d'unvif éclat. Dans l'âtre, un bûcher est préparé pourrecevoir "lou calendoun", énorme tronc d'arbrefruitier qui attend dans la cour enguirlandé demyrtes et de papier doré' son baptême solennel.Dans un angle, les enfants sont attirés par lacrèche aux jolis santons bariolés qui s'augmentechaque année de sujets nouveaux et par les bran-ches de laurier chargées de bonbons et de fruitsqui doivent leur être distribuées.

En ce moment, Tistet offre les cadeaux auxserviteurs, du pain, du nougat, du vin cuit, desgalettes à ceux qui passent Noël en famille, desvêtement; à ceux qui assistent au "gros souper"Les derniers convives arrivent ; la famille déjànombreuse agrandit son cercle pour recevoir desamis isolés, une voisine pauvre, un enfantmalheureux.

Un religieux silence s'établit quand, à latombée de la nuit, le vieillard se lève et allume un

tiques, ont remporté un succès marqué.En Décembre dernier, le Concours

de Crèches et Santons s'est imposécomme l'une de no ; manifestationslcc^les désormais classiques.

Tout récemment, au Casino Muni-cipal, Mireille, restituée dans sa versionoriginale par le Maître Reynaldô Hahn,et chantée par Géori Boue, était jouéedevant une salle comble et enthou-siaste. Ce sont là des sons de cloches.Il en est d'autres — et précieux. Leplus récen: — d'une actualité teHteneuve, nous vient de l'Ecole de Fillesde la Ferrage. Notre concitoyenne,Mlle Bertrand, excellente institutrice,a déjà passé de la théorie à la pratique,et son cours de Provençal remporte,auprès des jeunes élèves déjà pourvusdu certificat d'études, un succès prio-metteur...

D'autres sons de cloches se ferontentendre. Nous nous en ferons l'échoauprès de nos lecteurs.

Aujourd'hui, ceux-ci pourront ap-précier dans les colonnes voisines laqualité d'articles écrits pour eux pardes collaborateurs qui illustrent bril-lament une thèse qui nous est chère etdont la défense s i p?se dans cef'epage : la connaissance des secrets duterroir donnant un charme tout par-ticulier à un style d'une élégancevraiment française...

Louis GGIN.

cierge de la Chandeleur. Chacun retient sa respi-ration pour observer la flamme : l'épi sera lourdsi elle se courbe, léger si e'ie reste droite et alorslà récolte sera mauvaise. Tous se précipitent pouraider à porter au moyen de cordes l'énorme bûchequi doit durer jusqu'à l'Epiphanie. On lui faitfaire trois fois le tour de la table en chantant :« Cacho fiai, Bouto fieù. Dieu nous alègre, Calendo

vèn, tout ben ven » avant de la déposer dans lacheminée. L'aïeul se met à genoux et allume lefeu avec son cierge, les flammes crépitent et Titinle plus jeune enfant, s'avance portant un verrerempli d'un mélange de vin cuit et d'huile de ladernière récolte. En trois libations, il en verse lecontenu sur la bûche, tandis que Maître Tistetprononce de sa voix grave les paroles consacrées :11 Dioà nous fagué la gràci de véire l'an que vèn.Sa sian pas mai siguen pas mens. " Et il ajoute :« Dioù nous douné proun dé pan, proun dé vin elou Paradis à la fin », cependant que Nouradomurmure tout bas les paroles qu'on prononcechez elle, au pays gavot, en souvenir de ceux quipartent dans les Flandres ou aux Amériques :« Dioù nous saouvé nostis gens, aquest an e pieilong rems. »

Les chandelles sont allumées avec le feu béniet le '"gros souper' obligatoirement composé deneuf plats maigres commence. Janin déguste engourmet la salade de céleris à l'anchois, les sar-dines farcies, - la muge aux olives, la sauce decardes, la morue frite, le tian d'épmards au four,les escargots ; tandis que Nourado apprécie deuxplats montagnards préparés à son intention : leslasagnes ou pâtes fraîches et les rissoles au maigie.Puis viennent les treize desserts : oreilles, tourtede "'cougourdo", fougassettes de Grasse, nougat,échaudés, tarte de noix au miel, galette aux fruits,oranges, pommes, poires, raisins, figues sèches etfruits confits copieusement arrosés de vin clairet.

La conversation s'anime : les "vieux" racontentqu'en cette nuit merveilleuse on met des charbonsardents sur les nappes de Noël sans les brûler,que le "juste" plonge ses mains gantées de blancdans les cendres du foyer et retire des cheveuxd'ange au bout de ses doigts immaculés. Il faut,disent-ils, laisser les miettes du repas trois joursdurant sur la table pour les âmes des ancêtres.Comme les débris de la bûche, elles ont le pou-voir de préserver de la foudre, des sortilèges, dela chute des enfants, de calmer la tempête si onles jette dans la mer, d'assurer une bonne récoltesi on les disperse dans la campagne. Il faut allerde grand matin à la messe de Saint Etienne pouréchapper durant l'année au danger des faux-témoignages. Il y a encore les "réconciliations 'de la veille de Noël. On met ce jour-là un pointd'honneur à rendre visite, le premier, à sonennemi avec quelques parents et amis. Celui-cioffre une collation et l'on boit à la santé les unsdes autres (( pendant un temps assez considé-rable ». Un quart d'heure après la visite est renduedans les mêmes conditions. Mais le Père Cotton (1 )cette année a demandé « d'abolir ces réconci-liations » qui l'an dernier avaient été trop par-faitîs et avaient été si bien arrosées que les nou-veaux amis n'avaient pas été en état d'honorerl'Enfant-Dieu à la messe de minuit.

Jinin ne se fait pas prier pour chanter le Noëlsi populaire :

Philippo émé soun sourrié,Venié dé La Gardo,Tout d'un cop, Vers Sant Vallté,Planto sa guimbardo,Entens uno voué d'en haut... - -

LE FOLKLORE ET LES LIVRES

LES RECULASpar

(N. R. F., édit.).

C est du folklore, non de musée, mais vivant quece récit nous apporte. Avec lui, on a l'impressionde remonter aux sources.

Les Reculas sont un hameau " perdus dans despays impossibles, plus loin que tout » (qui existevraiment) où le soleil ne parait pas durant troismois de l'année. Pour l'atteindre il faut faire unlong voyage, en patache, puis à pied, le long d'unVal noir où coule l'Enragée, traverser le Maupasoù descendent les avanlanches.

Quand donc nous arrivons là-haut avec la jeuneBéatrice qui vient passer l'hiver chez sa sœur, nousdécouvrons un monde neuf. Dans ce pays "à lasource de l'air", où la lumière est d'un bleu degentiane, choses et gens sont rebaptisé. Peu à peunous fa:sons la connaissance d'hommes qui s'apel-lent : Hélion, Appolinaire, Florin, Fabrice, Hyacin-the et de femmes : Hermelinde, Emerentiane, Ermi-.me. Les autres personnages du drame sont les prai-ries du pays : la Pelouse-Exquise, Soleille-Bœufs,le Satin, la Soie, le Pré-Bleu ; et les montagnes :la Corne, la Crète-de- Vente-Fol, l'Aiguille dé Cris-tal, le Mont-Céleste, la Tête-Reculée et surtout leCarcan, celle qui barre le soleil. Même les étoilesont des noms neufs : les Deux-Epis, les Trois-Frelons. Enfin et surtout le Soleil.

Au début de l'hiver, avec la neige qui tombe,l'ombre gagne et bientôt le soleil disparaît. Ayantnoué un foulard, croisé sa pèlerine, Adèle quigrelotte et change de figure, dit de sa voix d'hom-me : — Le 14 Novembre, Sai -1 Bertrand, le sai îtdéglace, le soleil s'en va. Nomnte jours à compter.— A la Saint-Faustin, 15Février,les3leIreparôîi: !jette lumière de sa voix de fontain-.

De nouveau le timbre dur de Gatienne :— Saint Bertrand nous entraîne comme glace

au Gslas...— Saint Faustin nous délivre ! chante Erminie,

d'une voix parfumée comme un frêne.— Quand le soleil se détourne, on est petits.

Tous il faudra ne faire qu'un, ajoute Emer ntiane./ / n'y a plus alors que la chaleur dzs étables, avec

les bêtes, le feu et la bonne amitié des gzns. Il y aaussi des drames simples, éternels. Enfin l'hiver sepasse, les malheurs .sont évités, et le soleil reparaît(< le régulateur... celui qui donne des deux mains...celui qui ne meurt pas ». On assiste à la joie de cepetit groupe humain comme on lirait un récit d'explo-rateurs d anciennes et toujours neuves cérémoniesmarquent ce retour : la musique qui salue l'appari-tion du premier rayon, les dépôts que l'on fait surle rocher de l'Offrande, la "prise de la terre" parles garçons de la vallée.

Il faut savoir gré à Mme Borély de nous avoirtransmis ces belles survivances qui arrivent toutesfraîches et vives de la montagne. Le récit, typiquede la jeune littérature provençale, est digne d'elle,tissu d'images simples et puissantes, où le rêve colleà la terre, et qui rendent un son vrai.

PERGAMIN.

Un air de galoubet se fait entendre au dehors,dernier accent des aubades de Calène qui durentdepuis un mois. On frappe à la porte. Un groupede jeunes gens fait irruption dans la pièce, pré-sentant une grande corbeille remplie de gâteaux.Nanettè, la jeune fille de la maison s'avance, touterougissante pour y déposer le sien où son nomest inscrit en rubans de pâte croustillante. Lésgâteaux airsi fournis par les jeunes filles sontpo tés le lendemain su la place. Un jeune paysanplein d'éloquence monte sur une estrade, les metaux enchères, proclamant les noms, vantant lesmérites et la bsauté de chacune. L=s gâteaux sonttrès disputés et les jeunes recueillent ainsi unesomme qui servira à payer les tambourinaires quiles font danser.

Le vin mousseux coule à flots en 1 honneur desvisiteursl Enfin, les cloches sonnent. On se hâteVî s l'c'gliie où se joue une pastorale avec les vieuxNoêls et la cérémonie de YOffrande de l'Agneau.Nourado revoit sa petite chapelle de montagneoù le curé offre aux bergers du vin rouge qu'ilsboivent dans l'église pour se réchauffer.

Au retour, on est heureux de trouver la grossebûche flambant joyeusement, le bouillon chaudet l'on fait honneur aux plats de viande duréveillon.

Cïtte Veillée, empreinte de joie, de bonté,d'art et de beauté, ce respect des traditions fontsentir à ces Provençaux, la force, la noblesse, lespiritualisme de leur race, par quelles racines pro-fondes ils se rattachent au passé. En même temps,par un sentiment bien humain, s est allumé eneux le "feu nouveau", l'Espérance, dans l'an quivient, dans l'Avenir.

Marcelle MOURGUES..

(I) Marchetti. — Coustumes des Marseillais. '