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Uber, Airbnb, booking.com … seront-ils les leaders de demain ?

Mon post précédent — publié le 11 Janvier dernier — visait à cerner un peu mieux les nouveaux acteurs et à mesurer leur impact sur la société. Mais peuvent-ils devenir les leaders de demain ? Le socle est immuable ! Les nouveaux acteurs ont un impact considérable sur la société et notre économie. Personne ne saurait le contester. Les start-up créent de l'emploi et génèrent de la croissance. Par leur inventivité, elles créent de nouvelles façons de faire, de vivre, de penser ou de consommer. Elles apportent du bien-être et génèrent des remises en cause salutaires. Pour autant, sont-elles appelées à devenir toutes des leaders ? Les sociétés Apple, Microsoft ou Google ont été des startups et peuvent aujourd'hui être considérées comme des leaders. Pas uniquement pour leur réussite commerciale mais plutôt parce qu'elles ont su créer des ruptures, trouver de nouvelles voies de développement et inspirer des générations entières. Si la taille et le succès peuvent être importants, ils deviennent secondaires lorsqu'il est question de leadership. On ne suit pas une entreprise pour ces raisons. Le monde dans lequel nous vivons — j'allais écrire "vivions" — est très cartésien. Nous aimons que tout soit carré, formaté, précis. Nous parlons et réfléchissons avec notre cortex. Mais la société qui se dessine peu à peu est différente.

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“Une entreprise peut devenir leader lorsqu'elle bouleverse le statu quo en créant de la valeur”

Les problèmes ne sont plus aussi simples à décortiquer qu'ils l'étaient autrefois et les solutions ne sont plus évidentes. Hier, il fallait en priorité posséder un QI élevé pour diriger, demain cela ne sera pas suffisant. Il faudra en plus une intelligence émotionnelle très développée et un réel sens relationnel. Une entreprise — cela est vrai pour un individu aussi — peut devenir leader lorsqu'elle bouleverse le statu quo en créant de la valeur. En générant du positif. Plus de positif que de négatif. Des femmes et des hommes parce qu'ils écrivent leur vie comme un roman ont une résonance particulière sur les autres. Ainsi, j'ai rejoint HP[1] pour de nombreuses raisons. L'une d'entre elles tient dans l'admiration que je portais depuis mes années d'études à ses deux fondateurs, Bill Hewlett et Dave Packard. Ils ont compris que la culture était tout, ont fait de la "HP Way" un mythe managérial et ont tracé la voie de la Silicon Valley. Je crois sincèrement que même si tout change très vite — grâce au progrès technique en particulier — nos critères pour qualifier un individu ou une entreprise en tant que leader évoluent peu. Pourquoi ? Parce que les attributs du leadership qui forment le socle de base sont toujours les mêmes : le courage, l'authenticité, l'exemplarité, l'éthique, la persévérance, l'humilité, ...

Le leadership est une question de perception

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Il y a peu, j’intervenais sur le thème du leadership dans le cadre d’un programme de master spécialisé[2]. L’un des participants me posa justement cette question : « Voyez-vous dans ce que certains appellent les nouveaux barbares les leaders de demain ? ». Trouvant l'interrogation pertinente, je demandais au groupe d’y réfléchir. La description qu’ils firent de ces nouveaux acteurs fut plus proche de perturbateurs enrichis que de dirigeants aguerris. A mon sens, ils se trompaient. Nous jugeons souvent au travers d’un prisme qui n’est plus adapté. Comme je l'évoquais précédemment, la qualification de leader est souvent attribuée aux êtres capables de changer le statu quo. Steve Jobs en est le parfait exemple. Les nouveaux startupers s’apparentent à une forme de leadership en ce sens qu’ils créent des ruptures et des changements de paradigmes. Ils mettent très souvent fin aux rentes de situation [3] en inventant des modèles d’affaires totalement originaux, des accès aux marchés novateurs ou de nouveaux modes de consommation. Ils parviennent ainsi à modifier profondément l’équilibre de pans entiers de notre économie. Pour comprendre, il faut revenir aux bases de la théorie. Qu’est-ce qu’un leader ? La définition la plus courte et la plus efficace que je connaisse est la suivante: « un leader est quelqu’un que l’on a envie de suivre ». Il faut donc en premier lieu générer l’envie. Ce n’est pas vous qui décidez en effet d’être un leader mais les autres qui vous attribuent ou non ce statut. Parce que justement ils en ont envie. Ensuite pour être un leader, il faut être suivi [4]. Or justement, cette nouvelle vague d’entrepreneurs remplit la plupart du temps ces deux conditions. Ils savent insuffler aux autres la passion — le feu sacré qui brûle en eux —, et savent transmettre ce désir intense de vous voir les accompagner dans la poursuite de leurs rêves. Ils sont alors de véritables leaders d’influence !

“Pour être un leader, il faut être suivi” Mais pour percevoir ce potentiel, il faut impérativement séparer le succès apparent de la valorisation boursière d'un autre — que je qualifierais volontairement de réel — lié à la plue-value générée. Parmi les créations, certaines se trouvent dans la première catégorie, très peu au final dans la seconde. Mais c'est pourtant cette dernière qui génère des leaders. Si la taille de l'entreprise — on peut être n°1 d'un secteur sans être pour autant perçu comme le leader — n'est pas un critère de leadership, la valorisation boursière ne l'est pas plus. Seul compte le sens porté par le leader, qu'il s'agisse d'un individu ou d'une entreprise. Quel est leur apport ? Les start-up — lorsqu’elles réussissent — insufflent un vent nouveau. Une nouvelle façon de faire. Il s’agit de la contribution directe des « startupers » à l’économie mondiale. Mais il existe une autre raison de se féliciter de leur action. Et elle est toute aussi forte. L’impact est plus indirect, plus inattendu, mais il est bien réel.

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En « ubérisant » chaque parcelle de l’économie, chaque entreprise, chaque secteur d’activité, les « startupers » obligent les leaders en place — les fameux narcissiques dont nous parlions dans le premier post — à se remettre en cause, à rester en alerte, à se concentrer sur leur travail. Or les narcissiques ne sont jamais aussi performants que lorsqu’ils sont sous pression. Les chaines hôtelières — que nous venons juste d’évoquer — ne se seraient pas transformées sans la menace de nouveaux acteurs. En utilisant les mêmes supports et outils — essentiellement numériques — les "classiques" se réinventent sous leur impulsion. Ils n’ont clairement pas ou plus le choix. La voiture connectée, l’hôpital numérique ou la ville intelligente sont quelques exemples notables.

Le rôle déterminant des pouvoirs publics Bien sûr car ils poussent à la réinvention. Ils créent des entreprises et participent à la création de richesse. Ils génèrent beaucoup de valeur. Ils poussent les entreprises dites traditionnelles, les institutions, les individus, à revoir leur copie sous peine de se mettre en danger et d’être … « ubérisés ». Grâce à eux, le monde est en train de se redéfinir. Tout s’accélère. Et il ne s’agit pas que de performances économiques ou financières. Les start-up et leurs fondateurs — grâce au numérique — ont réveillé l’économie et au final la société toute entière ! Le monde des start-up est en train de forcer la redéfinition du modèle social. Le modèle salarial de la vieille Europe tangue. Nous sentons bien qu'il ne peut plus résister très longtemps à la déferlante de ces nouveaux acteurs. Il serait vain de vouloir le protéger alors qu'il montre aujourd’hui ses limites. Les pouvoirs publics ont une énorme responsabilité — une chance en réalité — celle d’accompagner le mouvement et de faire preuve d’innovation sociale.

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Adapter plutôt que d'être pris de court, tout en évitant les débordements, celle d'une possible précarité redoutée de tous. Aux pouvoirs en place de prendre les mesures adéquates pour capter ce potentiel sans mettre leurs concitoyens en situation de fragilité extrême. Mais sans casser non plus la dynamique économique, sans isoler la France du reste du monde. Les start-up et leurs fondateurs — grâce au numérique — ont réveillé l’économie et au final la société toute entière ! Une société qui en avait bien besoin. Le système capitaliste classique glisse tranquillement vers une économie partagée, collaborative, où la valeur sera de plus en plus répartie dans l'écosystème et où l’environnement ne sera plus un facteur périphérique. Donc à la question "Uber, Airbnb, booking.com ... seront-ils les leaders de demain ?", la réponse est : pas forcément. Certaines de ces sociétés le seront, d'autres pas, indépendamment de leurs résultats économiques et financiers. Il en a toujours été ainsi. Mais toutes auront un rôle dans la construction du monde de demain, celui que nous léguerons aux générations futures. Et ce mouvement m'enthousiasme beaucoup. Mais ça, vous l’aviez peut-être déjà deviné ! A suivre une série de plusieurs billets : "Que faire pour éviter d'être "ubérisé" ou "disrupté" ?" ... Hum... Vaste question ! Restons connectés ! [1] Aujourd'hui HP a été séparé en deux sociétés, HP Inc. (PC et systèmes d'impression) et Hewlett Packard Enterprise (serveurs, stockage, réseau, logiciels et services). [2] Je suis également professeur affilié à HEC Paris. [3] Selon la théorie économique de la rente. [4] Les anglo-saxons parlent de « followers »


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