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14 JUILLET-AOûT 2011    |    LA BANQUE SUISSE Profil Kaspar Villiger (70 ans)  est président du conseil  d’administration d’UBS depuis  deux ans. Il a une formation  d’ingénieur mécanicien EPF.  Il a dirigé le groupe familial  Villiger de 1966 à 1989, avant  d’être élu au Conseil fédéral,  qu’il a quitté en 2003.   Justification. Kaspar  Villiger assure qu’UBS n’a  jamais menacé de quitter  la Suisse. Mais il veut que  le pays évite «de graves  erreurs en matière de  régulation».

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Articles de Michel Juvet dans Le Temps, Banque Bordier Genève

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14    JUIllet-août 2011    |    LA BANQUE SUISSE

ProfilKaspar Villiger (70 ans) est président du conseil d’administration d’UBS depuis deux ans. Il a une formation d’ingénieur mécanicien ePF. Il a dirigé le groupe familial Villiger de 1966 à 1989, avant d’être élu au Conseil fédéral, qu’il a quitté en 2003.  

Justification. Kaspar Villiger assure qu’UBS n’a jamais menacé de quitter la Suisse. Mais il veut que le pays évite «de graves erreurs en matière de régulation».

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Kaspar Villiger

«Au contraire, je suis partisan du Swiss Finish»

L’ancien conseiller fédéral et président d’UBS se défend contre les critiques qu’on lui adresse. Beat Balzli, armin müller

ne devriez-vous pas jouer un rôle plus autonome aux côtés du CeO d’UBS Oswald Grübel? On a l’impression que vous restez un spectateur passif.

C’est vous qui avez cette impres-sion. Le fait que le président et le CEO apportent les mêmes réponses aux questions fondamentales ne devrait pas surprendre. Devrions-nous pas-ser notre temps à contredire l’autre pour mieux correspondre à certaines attentes du public? C’est nul.

mais il est contre-productif de brandir la menace d’un départ à l’étranger.

Je n’ai jamais brandi cette menace.

Oswald Grübel oui.Il ne l’a pas dit ainsi. Si, pour des

raisons liées au capital, on ne peut plus réaliser en Suisse des opérations stratégiquement indispensables, il est tout de même plus honnête de l’annoncer maintenant. Nous avons toujours affirmé notre appartenance à la Suisse. Je n’ai assumé ce travail que parce qu’il est important pour notre pays. Je pouvais très bien vivre sans ça. Ce que je dis à propos des réglementations, je le dis pour éviter que la Suisse ne commette d’erreurs en matière de régulation.

le public comprend mal que le président d’une grande banque qui a été sauvée par l’etat s’exprime contre le modèle «too big to fail».

Nous approuvons le concept de base du modèle. Vous le constatez en vous référant à mes discours. Le portrait que certains commentaires brossent de moi n’est ni véridique ni vérifié.

apparemment, Credit Suisse s’accommode des nouvelles règles. Pourquoi pas vous?

Examinez la réponse des deux banques à la procédure de consulta-tion et comparez-les! La différence n’est pas bien grande.

Pourquoi votre critique du projet est-elle si véhémente?

L’est-elle? Une chose est sûre: il ne doit plus jamais se produire qu’un Etat doive sauver une grande banque. Le fait que cela se soit produit n’est pas uniquement lié à la crise financière. Cela a aussi à voir avec les erreurs que la banque a commises. La première ligne de défense est donc claire: nous devons d’abord faire nos devoirs dans la gestion du risque et dans la gou-vernance d’entreprise. Et en plus il faut une autorité de surveillance du marché forte et compétente.

et les exigences de capital propre?La réglementation de Bâle III

est juste. On pourrait chipoter sur les détails, mais davantage de fonds propres et une meilleure qualité de capital s’avèrent indispensables.

Vous vous opposez au Swiss Finish et au fait que les grandes banques suisses doivent posséder plus de fonds propres parce que leur grande taille représente un risque pour la petite Suisse.

Au contraire, je suis partisan du Swiss Finish. Que nous devions déte-nir plus de capital, être plus parfaits que la concurrence, ok, d’accord! Seulement, tout dépend de com-bien sera ce supplément. Il ne faut pas fixer un taux avant de savoir ce que vont faire les principales places financières.

en tout cas, cela rend les banques suisses plus sûres, ce qui est un argument pour le client.

Entièrement d’accord. Il faut simplement savoir qu’il y aura des conséquences pour la Suisse si le décalage avec les places financières concurrentes est hors de proportion. Nous avons étayé tout cela dans la procédure de consultation. Après tout, c’est à ça que servent les consul-tations. Maintenant la balle est dans le camp du Parlement. Par ailleurs, UBS est bien armée: très bien capi-talisée, profitable en dépit de risques comparativement bas.

au fond, UBS a-t-elle besoin de la banque d’investissement?

Je me suis aussi posé la question quand je suis arrivé à la banque. Je rencontre beaucoup de clients, parfois fortunés, et je constate que le grand avantage par rapport à la concurrence internationale est clai-rement ce lien entre gestion de for-tune et banque d’investissement. On peut réduire les transactions pour compte propre et concentrer la banque d’investissement sur les besoins des clients. Nous l’avons fait. La question qui se pose est jusqu’à quel point peut-on condenser l’in-vestment banking tout en restant attractif pour les clients?

le repositionnement de la banque d’investissement est-il déjà décidé?

Nous avons accompli pas mal de choses. Il nous faut maintenant voir quelles seront les répercussions des réglementations.

Continuerez-vous à réduire votre effectif cette année?

Il va de soi que nous examinons » Phot

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de près l’évolution des coûts. Nous sommes convaincus que nous avons maintenant une base qui nous permet d’être compétitifs.

et dans la gestion de fortune? Où en est le contentieux avec l’allemagne sur l’argent au noir?

Je ne peux pas m’exprimer sur les négociations en cours.

le secret bancaire est en lambeaux. il n’est plus guère un argument de marketing.

Si le secret bancaire a été réduit à sa plus simple expression, la confi-dentialité restera une qualité-clé en Suisse. Les nouvelles prescrip-tions compliquent énormément les opérations internationales. Ce qui accroît dramatiquement les efforts à consentir par les banques et cer-taines auront de la peine à suivre.

le changement structurel se poursuit?

Probablement. Les banques suisses devront faire davantage d’efforts au niveau de la perfor-mance. Ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé.

Hans J. Bär a dit un jour: «le secret bancaire a rendu gras et impotent.»

Je ne le dirais pas en termes aussi sévères. C’est sûr qu’à l’ave-nir on ne nous fera pas de cadeaux. Il y a énormément d’argent déposé en Suisse. Pas pour des raisons fiscales, plutôt pour notre large gamme de services. Si nous ne fournissons pas de prestations de qualité à nos clients, il est possible que cet argent ne reste pas ici.

Croyez-vous encore à la place financière suisse?

Nos bonnes conditions-cadres sont le résultat d’un long travail politique et économique.

Comment la place suisse pourra-t-elle s’affirmer face à des concurrents comme Singapour?

La réglementation de l’OCDE sur l’entraide en cas de soustraction fiscale est aussi la norme à Singa-pour. Ils n’ont aucun intérêt à attirer des fonds douteux.

restructuration stratégique

Qui veut encore de sa banque

d’investissement?UBS pense délocaliser sa banque d’affaires,

assure la rumeur. Une stratégie qui pourrait intéresser d’autres établissements

suisses. edOUard BOlleter

La rumeur a été lancée dans les médias il y a quelques semaines et certains pré-tendent que les dirigeants

d’UBS l’avaient fait savoir entre les lignes depuis longtemps. L’avenir de la banque d’affaires du grand établissement suisse est en pleine discussion et de nombreux scéna-rios se dessinent pour ce qui était encore considéré comme un des piliers de l’activité de la banque il y a quelques mois.

Selon les dernières supputa-tions, UBS chercherait à délocali-ser sa banque d’investissement vers des cieux plus cléments du point de vue législatif afin d’échapper aux rigueurs réglementaires hel-vétiques. Que ce soit vers Londres, Singapour ou même New York, le lieu de destination importe peu en définitive. Un potentiel démé-nagement de la banque d’affaires d’UBS serait avant tout le reflet d’un questionnement latent dans de nombreuses banques en Suisse que faire aujourd’hui de sa banque d’investissement?

Selon plusieurs témoignages, la place financière suisse va connaître ces prochains mois des annonces importantes concernant l’activité de banque d’investissement. Les structures légales pourraient chan-ger, les dirigeants chercheraient dorénavant à séparer clairement la gestion de fortune traditionnelle des autres activités bancaires.

Séparation en plusieurs structures distinctes, entrée en Bourse, vente ou même abandon pur et simple de l’activité de banque d’affaires, les options sont nombreuses et elles diffèrent selon la taille des établis-sements. Beaucoup sont actuelle-ment à l’étude. Nous faisons le point sur un phénomène qui risque de remodeler considérablement l’acti-vité bancaire suisse ces prochains mois.

Cloisonner les risquesLe groupe UBS a démenti les

rumeurs de délocalisation à venir de sa banque d’affaires. Pourtant, des spécialistes du marché ima-ginent aisément qu’une réflexion soit en cours à ce sujet à la tête de l’établissement. Pour une raison tout à fait spécifique. Les chan-gements devraient porter sur un remaniement des structures légales de la grande banque afin de cloisonner les risques des dif-férentes activités. Une délocalisa-tion permettrait alors de séparer les structures légalement d’une façon nette et précise. C’est peut-être cette volonté de séparation qui a lancé la rumeur de délocali-sation. Reste que certains milieux politiques ainsi que les autorités fédérales pourraient officieuse-ment voir d’un bon œil cette sépa-ration, les milliards de pertes de la banque d’affaires d’UBS ayant traumatisé tout le pays. Les cen-

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taines d’emplois perdus en Suisse et les pertes fiscales prévisibles en cas de délocalisation seraient alors des dégâts collatéraux politique-ment «acceptables». «Mais il ne faut pas oublier que les employés de la banque d’affaires sont déjà là où est l’activité (New York, Londres, Hongkong, Singapour, etc.) et les impôts sont payés en grande partie là où est produit le bénéfice», note Loïc Bhend, analyste à la banque Bordier. Il donne ensuite son avis technique: «Les nouvelles exi-gences suisses de fonds propres à hauteur de 19% sont très élevées pour la banque d’affaires. C’est un désavantage compétitif au niveau mondial. Il est possible qu’UBS fasse du lobbying à ce sujet. En cas de scénario de délocalisation de cette activité, l’UBS devrait trou-ver une place financière où les exigences en fonds propres sont moindres qu’en Suisse, ce qui n’est pas difficile», ajoute Loïc Bhend qui ne favorise pas les Etats-Unis pour autant car «le risque juridique y est nettement supérieur et la part des bénéfices taxés aux Etats-Unis en cas de filialisation serait supérieure. Or le taux d’imposition n’y est pas particulièrement avantageux.»

très inconstantesEt pourquoi veulent-ils tous

aujourd’hui se «débarrasser» de leur activité de banque d’investissement? Véritable locomotive des grandes banques il y a quelques années, la planète financière ne jurait que par la banque d’investissement et ses «gros coups» très rémunérateurs. Chaque établissement d’envergure a alors beaucoup investi en hommes et en structures afin de rivaliser sur ce marché excessivement porteur.

Mais l’activité est perverse, elle peut être bénéficiaire en milliards une année et causer des pertes gigantesques l’exercice suivant. Une inconstance directement liée à la santé de l’économie. Un parcours cyclique qui rend les bilans ban-caires très compliqués à anticiper, contrairement à la gestion de for-tune, plus «stable» avec les années.

Après des mois de crise et d’incer-titudes, les banques ont tiré quelques leçons de sagesse. La pérennité et la

sécurité à long terme offertes par l’activité de private banking sont aujourd’hui une priorité. C’est pour certains bel et bien le concept de banque intégrée qui est en sursis. Loïc Bhend apporte des précisions: «Il faut quand même signaler que depuis la crise les banques ont beau-coup recapitalisé et rééquilibré leurs bilans. Alors que la filialisation de certaines activités est effective-ment une solution d’avenir.» «Dans

le cas d’une filialisation, on essaie justement de diminuer les besoins en fonds propres, à taille équiva-lente. Donc on réduit le risque pour les autres activités et finalement le groupe en entier (par cloisonne-ment), mais pas pour la banque d’in-vestissement elle-même», explique l’analyste de la banque Bordier.

Séparer clairement les activités permet d’éviter une contagion dan-gereuse en cas de retournements négatifs des opérations de banques d’investissements. La pérennité des activités traditionnelles pourrait même être en jeu en cas de «faillite» d’une autre entité, juridiquement liée et dépendante du groupe.

En outre, les banques veulent redorer leur blason. Les scandales

liés aux énormes rémunérations des banquiers d’affaires ont fortement sali l’image de la place financière dans son ensemble. Si l’on considère également les risques de manipula-tion ou de délit d’initié inhérents à certaines opérations, on comprend que la banque d’investissement soit devenue un danger réputationnel et légal pour ses propriétaires.

Que faire de son entité?Les réflexions en cours chez

UBS sont symptomatiques de ce que traversent les établissements qui connaissent encore des activités intégrées. Et ils sont nombreux et de toutes tailles en Suisse. Des mandats ont été lancés par des établissements dans le but de trouver une solution adéquate et de se séparer de l’activité de banque d’affaires. Les possibili-tés sont alors nombreuses pour une banque.

Pour les grands établissements, à l’image d’UBS, l’abandon de l’acti-vité est évidemment hors de ques-tion. Comme on l’a vu, une délo-calisation ou une séparation légale plus ou moins franche est alors un des scénarios requis. «Il existe pour les grands groupes la possibilité de séparer les activités sous une même holding, à l’exemple de ce que vient de faire Swiss Re. On garde le nom de l’établissement ainsi que ses divi-sions, mais le danger de contamina-tion est bien moindre», détaille Loïc Bhend.

Pour des établissements plus modestes, la situation est très diffé-rente. Selon l’urgence ou les priorités de l’institution, la revente ou l’aban-don de l’activité liée à la banque d’in-vestissement est alors envisageable. Une séparation de l’activité dans une structure neutre suivie d’une mise en Bourse sont également possibles, bien que moins probables.

«En Suisse romande, le problème ne se pose pas. il n’existe plus d’éta-blissements avec une grosse activité de banque d’affaires car il faut une taille critique dépassant largement les besoins régionaux. Certaines structures font encore du conseil en fusion et acquisition ou de l’analyse. En ce moment, il y a peu d’acheteurs pour ce genre d’activités», conclut Loïc Bhend. Ph

oto:

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Les employés de la banque d’affaires sont déjà là où est l’activité

et les impôts sont payés en grande partie là où est produit le bénéfice.

Loïc Bhend / Bordier

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