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43 Architectures de plantes de l’Ile Robinson Crusoe, Archipel Juan Fernández, Chili Francis Hallé Philippe Danton Christophe Perrier Il y a plus de trente ans, Roelof A.A. Oldeman isolait et délimitait les concepts de base de l’architecture — séquence, modèle, réitération— en forêt humide de Guyane ; l’un de nous faisait de même en Côte d’Ivoire et au Congo (Hallé et Oldeman, 1970; Oldeman, 1974; Hallé et al., 1978). Dans ce type de forêts à très bas niveaux de contraintes climatiques, il est admis que les concepts architecturaux fonctionnent, permettant à la fois de reconnaître les plantes et de mieux les décrire. A l’occasion d’un séjour sur l’île Robinson Crusoe*, il nous a semblé intéressant de tester la validité de ces concepts dans un environnement climatiquement rude, profondément différent de celui où ils ont été définis —et sur une flore endémique d’une originalité exceptionnelle. L’Archipel Juan Fernández A 33° de latitude Sud, l’archipel Juan Fernández se situe dans le Pacifique, au large du port chilien de Valparaíso. Il est constitué de trois îles et de plusieurs cailloux isolés (morros). (Figure 1). Alejandro Selkirk, (4464 hectares), est à 800 km à l’Ouest de Valparaíso, d’où son nom espagnol de Masafuera. D’accès difficile, sans port, elle ne fournit qu’un habitat temporaire; elle contient le point culminant de l’archipel, le Cerro los Inocentes (1319 m). (Figure 2). Santa Clara, la plus petite (223 hectares), n’est qu’un îlot sec et inhabité. Son nom ancien d’Ile des Chèvres évoque la disparition de la végétation arbustive qui la couvrait. (Figure 3). Robinson Crusoe, ou Masatierra, est à 670 km du continent. Sa superficie est de 4711 hectares. Elle abrite le seul village permanent de l’archipel, San Juan Bautista (600 habitants); elle est desservie par bateau depuis Valparaiso et par avion depuis Santiago du Chili (Danton et al, 1999) (Figure 3). Géologie, Topographie Il s’agit de trois îles océaniques résultant vraisemblablement de l’activité d’un " point chaud ". Les relevés bathymétriques révèlent des Figure 1.- L’archipel Juan Fernández, à 700 km à l’Ouest de Valparaíso Figure 2.- L’île Alejandro Selkirk ou Masafuera.

Architectures de plantes de l’Ile Robinson Crusoe, Archipel Juan Fernández, Chili; Francis Hallé, Philippe Danton, Christophe Perrier

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Architectures de plantesde l’Ile Robinson Crusoe,

Archipel Juan Fernández, ChiliFrancis Hallé

Philippe Danton Christophe Perrier

Il y a plus de trente ans, Roelof A.A. Oldeman isolait et délimitait les concepts de base de l’architecture —séquence, modèle, réitération— en forêt humide de Guyane ; l’un de nous faisait de même en Côte d’Ivoire et auCongo (Hallé et Oldeman, 1970; Oldeman, 1974; Hallé et al., 1978). Dans ce type de forêts à très bas niveauxde contraintes climatiques, il est admis que les concepts architecturaux fonctionnent, permettant à la fois dereconnaître les plantes et de mieux les décrire. A l’occasion d’un séjour sur l’île Robinson Crusoe*, il nous asemblé intéressant de tester la validité de ces concepts dans un environnement climatiquement rude, profondémentdifférent de celui où ils ont été définis —et sur une flore endémique d’une originalité exceptionnelle.

L’Archipel Juan FernándezA 33° de latitude Sud, l’archipel Juan

Fernández se situe dans le Pacifique, aularge du port chilien de Valparaíso. Il estconstitué de trois îles et de plusieurscailloux isolés (morros). (Figure 1).

Alejandro Selkirk, (4464 hectares), està 800 km à l’Ouest de Valparaíso, d’où sonnom espagnol de Masafuera. D’accèsdifficile, sans port, elle ne fournit qu’unhabitat temporaire; elle contient le point

culminant de l’archipel, le Cerro los

Inocentes (1319 m). (Figure 2).

Santa Clara, la plus petite (223 hectares), n’est qu’un îlot sec etinhabité. Son nom ancien d’Ile des Chèvres évoque la disparition de lavégétation arbustive qui la couvrait. (Figure 3).

Robinson Crusoe, ou Masatierra, est à 670 km du continent. Sasuperficie est de 4711 hectares. Elle abrite le seul village permanent del’archipel, San Juan Bautista (600 habitants); elle est desservie parbateau depuis Valparaiso et par avion depuis Santiago du Chili (Dantonet al, 1999) (Figure 3).

Géologie, Topographie Il s’agit de trois îles océaniques résultant vraisemblablement de

l’activité d’un " point chaud ". Les relevés bathymétriques révèlent des

Figure 1.- L’archipel Juan Fernández, à 700 km à l’Ouest de Valparaíso

Figure 2.- L’île Alejandro Selkirk ouMasafuera.

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montagnes sous-marines qui complètent l’archipel, formant unechaîne Est-Ouest de 400 km de longueur (Stuessy et al., 1984)(Figure 4).

Santa Clara et la partie Ouest de Robinson Crusoe sont sortiesde l’eau les premières, il y a 5, 8 millions d’années, d’où une érosiontrès avancée. La partie Est de Robinson Crusoe est plus jeune -entre 4,2 et 3,8 millions d’années - et le relief y est marqué par delarges vallées propices à l’installation humaine. Alejandro Selkirk,la plus jeune,n’est sortie del’eau qu’il y a2,4 millionsd’années etl ’ a c t i v i t é

volcanique s’y faisait encore sentir il y a un million d’années,ce qui explique son relief jeune marqué de profonds canyons.Du fait qu’elles sont récentes, ces trois îles ont une topographietrès forte, voire vertigineuse. Des falaises verticales de plusieurscentaines de mètres de hauteur y sont fréquentes.

Les roches, essentiellement basaltiques (Stuessy et al.,1984) portent des sols acides qui peuvent être très fertiles,mais qui sont également fragiles, peu épais, susceptibles deglisser vers la mer sur des pentes fortes ou d’être détruits etemportés par l’érosion éolienne, surtout s’ils sont déforestés.

Le ClimatLe climat est tempéré chaud, l’archipel Juan Fernández étant situé à la même latitude, au Sud, que Madère

dans l’hémisphère Nord. Les températures à San Juan Bautista sont en moyenne de 18°C, avec une amplitudede 6 à 25,5°C. L’hiver, de juin à septembre, est sensible mais doux ; le gel n’existe pas à Robinson Crusoe(Masatierra), mais il existe à Alejandro Selkirk (Masafuera) où les altitudes sont plus élevées et où la neige estparfois signalée sur les sommets (Skottsberg, 1952).

Les vents, principalement du secteur Sud, sont parfois forts, atteignant 50 nœuds (= 90 km/h).La pluviométrie est de 1041,5 mm à San Juan Bautista, avec une variabilité interannuelle importante, de 871

à 1459 mm. Toutefois, ces chiffres ne concernent que les basses altitudes, les seules où la pluviométrie ait étérelevée ; il est certain qu’elle est beaucoup plus forte sur les hautes pentes si l’on en juge par la riche flore defougères qui s’y déploie (Skotttsberg, 1952).

Les sommets sont très fréquemment dans les nuages, ce qui est un élément important de l’écologie des hautespentes ; les orages seraient rares, voire absents, mais la grêle a été signalée.

Avec de telles conditions climatiques, on conçoit que la végétation d’origine ait été forestière, du niveau dela mer jusqu’aux sommets les plus élevés, mais l’état actuel de dégradation oblige à prendre en compte lepeuplement humain, ainsi que les animaux et les végétaux qui l’ont accompagné.

Le Peuplement humainLes îles furent découvertes en novembre 1574 par le navigateur espagnol Juan Fernández qui recherchait une

route maritime permettant de descendre vers le Sud, le long de la côte chilienne, tout en échappant au courant

Figure 3.- Les îles Robinson Crusoe, ouMasatierra, et Santa Clara.

Figure 4.- Des montagnes sous-marines complètentl’archipel Juan Fernández. D’après Stuessy et al.(1984).

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de Humboldt. A Masatierra, Juan Fernández débarqua les premiers habitants, ainsi que quelques couples dechèvres et —vraisemblablement— de rats. C’est à cette époque que débute le déboisement des basses pentes,notamment pour la construction navale et l’exploitation du bois de Santal.

Après divers échecs de l’implantation humaine, une population stable s’installa en 1877, avec la création deconserveries par Alfred de Roth. L’activité industrielle contribua à l’augmentation de la population ainsi qu’àl’implantation d’animaux domestiques, moutons, vaches, chevaux, et de divers animaux sauvages, lapins degarenne et Coatis. Les liaisons de plus en plus fréquentes avec le continent permirent l’arrivée de nombreusesespèces végétales dont certaines devinrent des pestes.

La population actuelle de l’archipel est évaluée à 600 personnes; le tourisme, encore timide, tend à s’amplifier.

La Flore endémiqueLes jugements élogieux n’ont jamais manqué, dès les premières expéditions botaniques. “Les îles Juan Fernández

sont fameuses pour leurs formes endémiques si nombreuses et si particulières”; cette phrase de Carl Skottsbergdate de 1922 (dans Skottsberg, 1952). “Le taux d’endémisme est l’un des plus élevés de la planète” (Pascal,2002; Danton, en prép.) puisqu’il est évalué à 62,5%. Il s’agit de “l’une des flores endémiques les plus intéressantesdu monde” (Marticorena et al., 1998).

Tout ceci a justifié dès 1935 l’instauration du Parque Nacional Archipiélago Juan Fernández, qui couvre 92%de la surface des. îles et, en 1977, l’inscription de l’archipel parmi les Réserves Mondiales de la Biosphère parl’UNESCO.

On compte actuellement dans l’archipel 211 espèces indigènes de plantes vasculaires, dont 132 endémiques.Le nombre des genres endémiques s’élève à 11.

Thyrsopteris Kunze, 1 sp. dans les fougères DicksoniaceaeMegalachne Steudel, 2 sp. et Podophorus Philippi, 1 sp. disparue, dans les PoaceaeJuania Drude, 1 sp. dans les PalmiersCuminia Colla, 1 sp. avec deux variétés, dans les LamiaceaeLactoris Philippi, 1 sp. dans les LactoridaceaeSelkirkia Hemsley, 1 sp. dans les Boraginaceae, et enfin, dans les Asteraceae :Centaurodendron Johow, 2 sp.Dendroseris D. Don, qui est, avec 11 sp. le plus grand genre de l’archipel.Robinsonia D.C., 8 sp.Yunquea Skottsberg, 1 sp.

En outre, l’île Robinson Crusoe compte une famille endémique, celle des Lactoridaceae Engler, qui se limiteà une espèce unique, Lactoris fernandeziana Philippi, dont la position systématique fait l’objet de nombreuseshypothèses (Tobe et al., 1993).

Les menaces sur la Flore endémiqueCette remarquable flore endémique est, hélas, en voie de disparition du fait de la pression qu’exercent sur elle

depuis quatre siècles les populations humaines des îles accompagnées d’une série de pestes animales et végétales.Le danger de disparition est tout à fait réel : le Santal endémique, Santalum fernandezianum F. Phil. semble êtreéteint depuis 1910 par suite de sa surexploitation ; le genre Podophorus n’a jamais été retrouvé et il en est demême pour Robinsonia macrocephala Decne., Eryngium sarcophyllum Hook.& Arn. ou Chenopodium nesodendronSkottsb., recherchés activement, mais sans succès, depuis 1997. Robinsonia berteroi (D.C.) Sanders, S.&M., n’estplus représenté que par un arbre mâle, d’ailleurs en très mauvais état, et sur Masafuera, Dendroseris giganteaJohow est dans le même cas.

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En ce qui concerne les pestes animales —rats, lapins, moutons, coatis, chèvres, vaches, chevaux— elles ontune activité d’autant plus destructrice que la faune des îles ne comportait à l’origine aucun mammifère terrestre.

Les espèces végétales introduites sont toutes potentiellement dangereuses pour la flore locale; il convientcependant d’en distinguer deux groupes.

Les arbres exotiques plantés à partir de 1930 —Cyprès, Pins, Eucalyptus, Albizia, Acacias— dont l’éradicationn’est pas souhaitable puisqu’ils constituent la ressource en bois de San Juan Bautista. Il est cependant nécessaireet relativement aisé de limiter l’extension de ces espèces en procédant à des abattages dès qu’elles s’implantentà une altitude supérieure à 150 mètres et en dehors des abords du village (Bahia Cumberland).

Les pestes végétales représentent un problème beaucoup plus grave, vis-à-vis de la flore endémique; elles sontplus dangereuses encore que les pestes animales car elles sont plus difficiles à éradiquer. Il s’agit surtout de troisespèces exotiques:

• Le “Maqui”, Aristotelia chilensis (Elaeocarpaceae), un petit arbre à croissance rapide introduit pour la fabrica-tion des casiers à langoustes.

• La “Zarzamora”, Rubus ulmifolius (Rosaceae), une ronce d’origine européenne d’une extrême vigueur introduitevers 1920; la flore d’origine ne comportant aucune liane, les arbres locaux se laissent rapidement surcimer etmeurent.

• La “Murtilla”, Ugni molinae (Myrtaceae), un arbrisseau importé de l’île de Chiloe, au Sud du Chili, qui tendà recouvrir les crêtes d’un manteau monospécifique au détriment des endémiques et notamment de l’espècelocale Ugni selkirkii.

Le trio Maqui-Zarzamora-Murtilla est rendu plus dangereux encore par la présence du Merle Turdus falklandiimagellanicus, qui disperse les graines de ces trois plantes zoochores depuis le niveau de la mer jusqu’aux pointsculminants des îles.

Dans ces conditions, l’un des buts de l’approche architecturale va être d’interpréter l’évidente supériorité despestes végétales sur les espèces endémiques. Les caractères architecturaux permettent-ils d’expliquer qu’uneplante soit “peste” ou “victime”?

L’Approche architecturaleCe qui suit concerne essentiellement Robinson Crusoe ou Masatierra qui est d’ailleurs la plus riche des trois

îles sur le plan floristique. Quelques espèces originaires de Masafuera et de Santa Clara ont été incluses dansl’étude.

Intentionnellement, il n’a été tenu compte ni des arbres exotiques utilisés pour le reboisement (voir plushaut), ni de la flore des jardins; ces derniers, groupés autour de San Juan Bautista, sont souvent très soignés,riches en fruitiers —Agrumes, Châtaigniers, Nispero, Goyaviers, Avocatiers, Papayers, Poiriers, Noyers, Oliviers,Figuiers, Vigne, Pêchers, Grenadiers, etc…— ainsi qu’en plantes ornementales —Troènes, Montbretias,Valérianes, Hortensias, Balsamines, Camelias, Scabieuses, Roses, Pelargoniums, Bougainvillées, etc…

Sur les 22 modèles architecturaux actuellement recensés, 12 ont été retrouvés parmi les plantes de Masatierra; il est intéressant de constater que le concept de modèle architectural est valable et que les endémiques prennentplace aisément —à quelques détails près— dans les modèles connus (Hallé et Oldeman, 1970; Hallé et al.,1978).

Le modèle de HOLTTUM est représenté par cinq Asteraceae:

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Dendroseris pinnata (Bertero ex Decne.) Hook. et Arn. (Figure 5).Dendroseris berteroana (Decne.) Hook. et Arn.Dendroseris regia Skottsb., endémique de Masafuera.Centaurodendron palmiforme Skottsb.Yunquea tenzii Skottsb., connu uniquement du sommet du Cerro El

Yunque.

Carl Skottsberg avait repéré cette forme de plante; parmi ce qu’ilappelait les “Arbres en rosettes”, il distinguait le “type palmiforme” àinflorescence terminale, ce qui correspond à notre modèle deHOLTTUM.

Cette architecture très particulière, ajoutée à la présence de feuillescomposées pennées, nous semble justifier le maintien du genrePhoenicosoris Skottsb. dont le caractère majeur, sur le planarchitectural, est la monocarpie.

Le modèle de CORNER a été trouvé chez deux fougèresarborescentes:

Dicksonia berteroana(Colla) Hook,Dicksoniaceae.

Blechnum cycadifolium(Colla) Sturm, Blechnaceae(Figure 6).

Ces deux espèces marquent profondément les paysages, la premièreen sous-bois, la seconde sur les pentes ensoleillées où, sous le nom de“Pluma indio”, elle est devenue symbolique de la végétation insulaire.Il caractérise aussi “la Chonta”, Juania australis (Mart.) Drude ex Hook.f., Arecaceae, et Plantago fernandezia Bertero ex Barnéoud,Plantaginaceae, qui atteint parfois une hauteur de 4 mètres sur lesfalaises boisées (Figure 6).

Le modèle de CHAMBERLAIN semble ne concerner que le genreGunnera L. Sa présence a été vérifiée chez G. peltata Phil. et G. bracteataSteud ex Bennett, Gunneraceae (Figure 7).

Le modèle de TOMLINSON est représenté par Thyrsopteris elegansKunze, une fougère arborescente rampante des Dicksoniaceae (Figure8); par Peperomia berteroana Miq., Piperaceae des falaises (Figure 8);par deux Campanulaceae, Wahlenbergia fernandeziana A. DC. et W.grahamiae Hemsl., également des falaises, et enfin par une Lobeliaceaeintroduite depuis la côte du Chili et naturalisée, Lobelia tupa L.

Le modèle de LEEUWENBERG est de très loin le mieux représentédans la flore locale de Masatierra. Carl Skottsberg donne une excellentedescription de cette forme qu’il nomme le “type Candélabre”. La listeest longue, des plantes qui se conforment au modèle de Leeuwenberg:

Figure 5.- Dendroseris pinnata, uneAsteraceae monocarpique qui atteint 5mètres de hauteur, avec une faiblecroissance en diamètre. A gauche, lestade juvénile.

Figure 6.- A gauche, Blechnumcycadifolium, une fougère arborescentede 3 mètres de hauteur ; des groupesde feuilles fertiles (au centre) alternentavec des groupes de feuillesassimilatrices. A droite, Plantagofernandezia, une Plantaginaceaemonocaule atteignant 4 mètres dehauteur.

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Chenopodium sanctae-clarae Johow, Chenopodiaceae.Chenopodium crusoeanum Skottsb., Chenopodiaceae (Figure 9).Eryngium bupleuroides Hook. et Arn., Apiaceae, “Pomponero” (Figure 9).Eryngium fernandezianum Skottsb., Apiaceae.Eryngium inaccessum Skottsb., Apiaceae.Eryngium sarcophyllum Hook.& Arn., Apiaceae, endémique de Masafuera.Selkirkia berteroi (Colla) Hemsl., Boraginaceae.Ochagavia elegans Phil., Bromeliaceae, “Ajo dulce” (Figure 9), ainsi que chez bon nombre d’Asteraceae

endémiques:Centaurodendron dracaenoides Johow.Dendroseris gigantea Johow.Dendroseris litoralis Skottsb., “el col de Juan

Fernández”, une plante populaire, souvent plantée à SanJuan Bautista (Figure 10).

Dendroseris macrantha (Bertero & Decne.) Skottsb.Dendroseris macrophylla D. Don.Dendroseris marginata (Bertero ex Decne.) Hook. et

Arn.Erigeron fernandezianus (Colla) Solbrig (Figure 10).Robinsonia evenia Phil. (Figure 10).Robinsonia gayana Decne. (Figure 10).Robinsonia gracilis Decne. (Figure 10).Robinsonia masafuerae Skottsb., endémique de

Masafuera.Robinsonia thurifera Decne., “Incienso”.

Le modèle de SCARRONE nécessite une mention particulière; il n’est représenté sous sa forme typique quechez deux endémiques devenues extrêmement rares, dont la ramification en étages est clairement visible:

Dendroseris neriifolia (Decne.) Hook. & Arn. dont il n’existe plus que deux exemplaires dans la Quebrada ElLapiz, mais qui est cultivé dans certains jardins de San Juan Bautista (Figure 11) et Robinsonia berteroi (DC.)

Sanders, Stuessy & Marticorena, dont on neconnaît plus qu’un exemplaire mâle, enmauvais état, dans une vallée forestièresituée sous le Mirador de Selkirk, endirection de l’Ouest.

L’architecture de cette plante a pu êtreconfirmée grâce à la photographie publiéepar C. Skottsberg (1952) (Figure 12).

Le modèle de SCARRONE présente àMasatierra une intéressante variante, danslaquelle se trouve maintenue la ramificationen étages antérieure à la floraison ; maislorsque cette dernière apparaît distalement sur

un axe, celui-ci se défolie et finit par mouriraprès la dispersion des fruits. La nécroseprogresse vers le bas, soit jusqu’aux ramifica-tions inférieures, soit jusqu’au niveau d’un ou

Figure 7.- Gunnera peltata, Gunneraceae. Lesinflorescences sont terminales et, le long du tronc, desarticles longs alternent avec des articles courts. Leslimbes foliaires atteignent 1,5 mètre de diamètre.

Figure 8.- A gauche, Thyrsopteris elegans, une fougère arborescenteatteignant une hauteur de 4 mètres. Les folioles basales (en gris)sont seules fertiles. A droite, Peperomia berteroana, une Piperaceaepoussant sur les falaises; les tiges dépassent 1 mètre de longueur.

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plusieurs relais qui apparaissent postérieurement àla floraison.

Plusieurs mètres d’axes peuvent être perdus parcet étrange mécanisme qui n’est pas sans analogieavec la monocarpie du modèle de HOLTTUM.Les axes morts ne sont pas soumis à élagage maisrestent dressés au-dessus de la plante, offrant uneforte prise au vent; leur disparition, par simpleérosion du bois mort, peut nécessiter un ou deuxans.

Cette variante du modèle de SCARRONE a ététrouvée par Skottsberg chez Robinsonia macrocephalaDecne. [syn.: Symphyochaeta macrocephala (Decne.)Skottsb.], dont il analyse et figure le mécanisme decroissance. Cette espèce endémique est

actuellement disparue. Fort heureusement, cettearchitecture originale subsiste chez:

• Dendroseris micrantha (Bertero ex Decne.)Hook.& Arn. observé sous le rocher du Camote(Figure 13) et• Dendroseris pruinata (Johow) Skottsb. dont unbel exemplaire a été vu au Cerro Alto (Figure 14).

Cette même variante du modèle de SCARRONE existe chez une endémique des Canaries, Aeoniumholochrysum, Crassulaceae, et différentes autres espèces du genre Aeonium Webb. et Berth.

Le modèle de KORIBA n’a été trouvé que chez Pernettya rigida (Bertero ex Colla) DC., la seule Ericaceae del’archipel, localement appelée " Murtillón "(Figure 15).

Le modèle de STONE apparaît chez uneGrossulariaceae, Escallonia callcottiae Hook.&Arn. (Figure 16) ainsi que chez le “Boldo”,Peumus boldus Molina, Monimiaceae, uneplante médicinale chilienne plantée dans lesjardins de San Juan Bautista.

Le modèle de ATTIMS est celui deCoprosma oliveri Fosberg, Rubiaceae. Haloragismasatierrana Skottsb., Haloragidaceae (Figure17), Rhaphithamnus venustus (Phil.) B.L. Rob.,une Verbenaceae arborescente connue sousle nom de “Juan Bueno” et peut-être aussi de

Figure 9.- A gauche, Chenopodium crusoeanum, uneChenopodiaceae arbustive atteignant 3 mètres de haut; laramification est abondante et d’aspect anarchique. Au centre,Eryngium bupleuroides, une Apiaceae dont la ramification est, aucontraire, absolument schématique. Hauteur: 1,5 mètre. A droite,la ramification de la Bromeliaceae Ochagavia elegans est égalementrégulière et aisément prévisible; cette plante forme des coussinssur les falaises.

Figure 10.- Le modèle de LEEUWENBERG chez les Asteraceaeendémiques. A gauche, en bas, Erigeron fernandezianus, une espèce sub-herbacée atteignant 1 mètre de haut; il est fréquentque l’axe 1 porte deux étages d’axes 2. A gauche, en haut, Dendroseris litoralis, “el col de Juan Fernández”; ce petit arbreaux beaux capitules jaunes atteint 4 mètres et ses feuilles peuvent avoir près d’un mètre de longueur. Au milieu, un exemplairefemelle de Robinsonia gayana. Hauteur : 1,2 mètre. A droite, en bas, Robinsonia gracilis. Hauteur: 2 mètres. A droite, en haut,Robinsonia evenia, un arbuste atteignant une hauteur de 2,5 mètre, représenté ici dans sa position habituelle, épiphyte surune fougère arborescente.

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l’Urticaceae Boehmeria excelsa (Bertero ex Steud.) Wedd.qui semble pouvoir réaliser indifféremment ce modèle oule suivant.

Le modèle de RAUH occupe la deuxième place enfréquence et contient quelques espèces importantes pourl’écologie insulaire:

Aristotelia chilensis

(Molina) Stuntz, Elaeocarpaceae, le “Maqui”(Fig. 18).

Boehmeria excelsa (Bertero ex Steud.)Wedd., Urticaceae. Voir ci-dessus.

Cuminia eriantha (Benth.) Benth.,Lamiaceae

Drimys confertifolia Phil., Winteraceae, le“Canelo” (Figure 18).

Fagara mayu (Bertero ex Colla) Engl.,Rutaceae, le “Najanrillo” (Fig. 18).

Ugni molinae

Turcz., Myrtaceae, la “Murtilla”.Ugni selkirkii (Hook.& Arn.) O. Berg.,

“Murtillón”.

Le modèle de CHAMPAGNAT est celui du“Palqui”, Cestrum parqui L’Hérit., une Solan-aceae chilienne, (Figure 19), de la “Zarzamora”,Rubus ulmifolius Schott, Rosaceae (Figure 23)et de Berberis corymbosa Hook. et Arn.

Enfin, le modèle de TROLL est représenté

Figure 11.- Dendroseris neriifolia, une Asteraceaearbustive de 2 mètres de hauteur, à tronc monopodial;les étages de branches sont indiqués par des flèches.

Figure 12.- Robinsoniaberteroi, une Asteraceae arbustive d’une hauteur totale de5,5 mètres; les étages de branches sont indiqués par desflèches.

Figure 13.- Dendroseris pruinata, une Asteraceaearbustive chez laquelle la floraison entraîne desnécroses d’axes (en noir). Hauteur : 2 mètres. A droite,la forme de jeunesse.

Figure 14.- Dendroserismicrantha est un autre exemple d’Asteraceae chez laquelle lafloraison entraîne des nécroses d’axes (en noir). Hauteur: 1,5mètres.

Figure 15.- Pernettya rigida est la seule Ericaceae des îles JuanFernández ; c’est aussi le premier exemple du modèle deKORIBA dans cette famille. Un arbuste de 1 à 2 mètres dehauteur.

Figure 16.- Escalloniacalcottiae est une Grossulariaceae buissonnante de 2 mètres.Les très vieux exemplaires deviennent des arbres.

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par la “Luma”, Myrceugenia fernandeziana (Hook. et Arn.) Johow, Myrtaceae ,qui est l’arbre le plus abondant dans les forêts de Masatierra (Figure 20). Laplagiotropie généralisée du modèle de TROLL est bien visible sur les jeunes“Lumas” en sous-bois; l’adulte a des axes dressés, une sexualité latérale et seconforme au modèle de ATTIMS.

Le modèle de TROLL a également été trouvé chez la seule Flacourtiaceae del’île, Azara serrata Ruíz & Pavón, chez la Papilionaceae Sophora fernandeziana

(Phil.) Skottsb. et Lactoris fernandeziana Phil., endémique de Masatierra etmembre unique de la famille des Lactoridaceae (Figure 21).

Avec 12 modèles recensés pour 4711 hectares, la flore de Masatierra estrelativement riche en architectures, ce qui n’est pas surprenant, compte tenude la latitude (33°). La diversité architecturale diminue à mesure que l’ons’éloigne de l’Equateur (Hallé et al., 1978) et ce chiffre de 12 modèles paraîtconforme au caractère “tempéré chaud” du climat de l’île.

Il reste à déterminer si ces donnéesarchitecturales permettent d’interpréter,au moins dans une certaine mesure, lasupériorité du trio Maqui-Zarzamora-Murtilla sur les endémiques et,inversement, l’évidente vulnérabilité deces dernières.

L’Architecture des pestes végétalesLa liste ci-dessus concerne exclusivement les modèles et elle ne

mentionne pas la réitération de ces modèles (Hallé et al., 1978), autrecomposante de l’architecture végétale. La forme de croissance observéesur le terrain est un ensemble formé par ces deux composantes, le modèleet sa réitération.

Nous proposons l’idée qu’il existe une balance entre ces deux composantes: lorsque l’une augmente, l’autrediminue, d’où résulte un continuum entre deux situations extrêmes; quelques exemples sont ici nécessaires.

Figure 17.- Haloragis masatierranaest une Haloragidaceae herbacéeou sous-ligneuse de 1 mètre dehauteur.

Figure 18.- Le modèle de RAUH. A gauche, le Maqui, Aristotelia chilensis, uneElaeocarpaceae arborescente devenue l’une des principales pestes végétales del’île. Au centre, Drimys confertifolia, Winteraceae; cet arbre atteignant 15 mètresest l’une des composantes principales des forêts primaires. A droite, le Naranjillo,Fagara mayu, Rutaceae, atteint 20 mètres de hauteur: c’est le plus grand arbre dela forêt primaire.

Figure 19.- Cestrum parqui est uneSolanaceae buissonnante atteignant2 mètres de hauteur.

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L’un des extrêmes est constitué par des plantesincapables de réitérer et dont la forme reste exactement,pendant toute leur vie, celle de leur modèle architectural:Cocos, Elaeis, Juania et beaucoup d’autres palmiers sont dansce cas.

Une situation presque identique s’observe chez desplantes dont la réitération se limite à la régénération desaxes amputés, ou des axes dont l’orientation initiale a étéaccidentellement modifiée: Cyathea, Dicksonia,Encephalartos, Cycas, Araucaria, Abies, quelquesAngiospermes comme Pandanus, Garcinia, Platonia,Allanblackia, Schumanniophyton. Cette situation est rare;elle ne concerne que des plantes anciennes, des arbrestropicaux pour la plupart, dépourvus d’aptitudes à lacompétition entre espèces.

L’essentiel du continuum est constitué par des planteschez lesquelles les deux composantes s’expriment, aisémentvisibles l’une et l’autre. En partant d’Agathis, Sequoia ou

Pinus, chez lesquelles la “composante modèle” est encorefavorisée, on arrive à Quercus, Shorea, Eucalyptus,Vochysia, Aesculus, Terminalia ou Tectona, dont les deuxcomposantes, modèle et réitération, s’expriment defaçon équilibrée, sans hégémonie de l’une sur l’autre. Ilne semble pas que cette situation d’équilibre soitparticulièrement propice à l’émergence de “pestesvégétales”; bien entendu, l’architecture n’étant qu’uncaractère parmi d’autres, cette émergence peut provenirdes performances de la sexualité: Buddleja davidii,Ailanthus altissima ou Miconia calvescens pourraient êtredans ce cas.

Enfin, à l’autre extrême, on trouve des plantes chezlesquelles le modèle se fait beaucoup plus discret,l’essentiel de la forme de croissance étant dû aumécanisme de la réitération (Hallé et al.,1978) au senslarge, y compris l’émission de rejets basaux ou dedrageons, et la possibilité de marcotter spontanément.Les trois principales pestes des îles Juan Fernández sontdans ce cas, le Maqui, Aristotelia chilensis, la Zarzamora,Rubus ulmifolius et la Murtilla, Ugni molinae. Ces plantes

Figure 20.- La Luma, Myrceugenia fernandeziana, uneMyrtaceae atteignant une hauteur de 15 mètres, estl’arbre le plus commun des forêts primaires. Ici, ensous-bois, la forme juvénile est plagiotrope, avec desétages foliaires disposés horizontalement. A lalumière, chez la Luma adulte, les axes sont verticaux.

Figure 21.- Lactoris fernandezia, Lactoridaceae, est unarbrisseau charnu et fragile, aux nœuds renflés, nedépassant par 1,5 mètre. Quelle que soit la hauteur de laplante, sa partie distale se courbe à l’horizontale, formantun plateau assimilateur; ce dernier est vu par dessus enhaut à droite. En bas, les tiges âgées s’affaissent; laréitération complète le buissonnement basal.

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se comparent, sur le plan architectural, àdes pantropicales comme Ximeniaamericana, Sambucus spp, Lantana camaraou Chromolaena odorata.

Il semble que les pestes se recrutentpréférentiellement chez des plantes dont laréitération montre une tendance àl’hégémonie. Chez le Maqui et la Murtilla,le modèle de RAUH est réduit à sa plussimple expression, avec un nombre d’étagesde branches qui se limite généralement à 2,voire un seul; sur certains rejets basaux deMaqui, on n’observe aucune branchelatérale et l’axe s’affaisse sans s’être ramifié:le modèle disparaît, submergé par lapuissance de la réitération. En ce quiconcerne la Zarzamora, le modèle deCHAMPAGNAT est, en lui-même, trèspeu contraignant puisqu’il n’est fondé quesur l’affaissement des axes successifs.

L’affaissement, dû à la gravité et à un boispeu abondant ou particulièrement souple, est un autre caractère de ces pestes, bien visible chez le Maqui ou laZarzamora. Leurs axes affaissés meurent ou s’empilent les uns sur les autres en une couche épaisse de plusieursmètres, dense, sombre et hostile (= roncier) qu’aucune plantule n’est capable de traverser: seules peuventatteindre la lumière les réitérations basales émises par la Zarzamora ou le Maqui. Ce qui précède permet decomprendre la forme de croissance du Maqui (Figure 22).

La multiplication végétative est un facteursupplémentaire de l’agressivité des pestes. Ledrageonnement et l’émission de rejets souterrainspermettent à la Zarzamora de s’implanter de proche enproche et de gagner en surface au détriment de la florelocale qu’elle recouvre (Figure 23).

La multiplication végétative de la Murtilla se fait parl’émission souterraine, à des profondeurs variables, d’unréseau de stolons en arceaux (Figure 24), ne portantque des feuilles en écailles. Ces stolons sont ensuitecapables de se dédifférencier, soit apicalement, soitlatéralement, ce qui a pour résultat d’augmenter levolume du clone de Murtilla (Figure 25).

A ce syndrome de caractères architecturaux quiconfèrent l’agressivité végétative, vient s’ajouterl’efficacité de la dispersion des graines, favorisée parl’avifaune locale (voir ci-dessus). Tout cela explique quele trio Maqui-Zarzamora-Murtilla constitue une véritablemenace pour les espèces endémiques.

Figure 22.- Affaissement, buissonnement basal et réitération chez le Maqui.Le modèle architectural, à gauche, s’estompe et finit par disparaître. Ledessin est simplifié ; au centre, les axes sont si nombreux qu’aucune lumièrene traverse. Hauteur: 5 mètres.

Figure 23.- Affaissement, buissonnement basal,réitération et multiplication végétative par drageonschez la Zarzamora. Cette liane forme des ronciers de 4mètres de hauteur et elle surcime des arbres de 10mètres.

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Ces dernières, par exemple les Asteraceae quisont le symbole de l’endémisme insulaire —Centaurodendron, Dendroseris, Robinsonia,Yunquea— ont un modèle architecturalcontraignant qui les prive de plasticité écologique;dépourvues à la fois de réitération, de possibilitésd’affaissement et de multiplication végétative, ellesont, en outre, adopté des mécanismes de pertesd’axes ou de monocarpie, qui étaient adaptés aucontexte paisible d’une île intacte, mais quiprennent un caractère “suicidaire” face aux pestes.On comprend la vulnérabilité de ces précieusesendémiques, dans la compétition avec le trio Maqui-Zarzamora-Murtilla. La dispersion des graines parle vent, si elle a permis à leurs ancêtres des’implanter dans les îles, est un mécanisme tropaléatoire pour leur permettre de résister à l’avancéeimplacable des espèces zoochores.

Une solution, le Jardin botaniqueDans le contexte actuel, la lutte contre les pestes

végétales des Juan Fernández est sans espoir.L’arrachage manuel, pour efficace qu’il soit,consomme trop d’énergie pour pouvoir être étenduà l’échelle des îles: la population réduite et latopographie souvent vertigineuse rendent leproblème inextricable.

C’est pourquoi, dans l’immédiat,il semble que la seule solutionréaliste soit la création d’un JardinBotanique. Situé à proximité duvillage de San Juan Bautista, ceJardin aurait pour vocation lasauvegarde des 132 espècesendémiques de l’archipel.

Figure 24.- Buissonnement basal et multiplication végétativepar stolons souterrains chez la Murtilla. Les stolons sont feuilléslorsqu’ils sont jeunes, ce qui permet de les distinguer aisémentdes racines. Par la suite, la distinction reste aisée sur le plananatomique : la racine a une section circulaire et une moëlleréduite, le stolon a une section quadrangulaire et une moëlleabondante.

Figure 25.- L’accroissement d’un clone de Murtill Santa Clara, la plus petite(223 hectares), n’est qu’un îlot sec et inhabité. Son nom ancien d’Ile des Chèvresévoque la disparition de la végétation arbustive qui la couvrait (Figure 3)

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Au-delà de sa fonction biologique, au-delà de son attrait touristique, ce Jardin permettrait à la populationîlienne de manifester son attachement à un patrimoine naturel dont elle est fière et qui est partie intégrante deson identité culturelle.

San Juan Bautista, février 2003 Francis Hallé Philippe Danton Christophe Perrier

RemerciementsNous exprimons nos chaleureux remerciements à la Fondation Yves Rocher qui a assuré le financement de

nos voyages, dans le cadre d’une enquête botanique consacrée à l’archipel depuis 1997.

Nos remerciements vont également à la CONAF, dont les guides, les gardes et les marins ont assurél’encadrement des sorties sur le terrain, ainsi qu’à Juan Vera Álvarez, directeur de la Météorologie pour l’ileRobinson Crusoe, qui nous a aimablement communiqué les données sur le climat pour la période 1961-2001.

BibliographieDanton, P. (en préparation). Plantas silvestres de la Isla Robinson Crusoe; Guía de reconocimiento.Danton, P., Breteau, E. et Baffray, M. 1999. Les îles de Robinson, Trésor vivant des mers du Sud entre légende etréalité.

Yves Rocher / Nathan, Paris.Hallé, F. et Oldeman, R.A.A. 1970. Essai sur l’architecture et la dynamique de croissance des arbrestropicaux. Masson,

Paris.Hallé, F., Oldeman, R.A.A. & Tomlinson, P.B. 1978. Tropical trees and forests, an architectural analysis. Springer Verlag,

Berlin-Heidelberg-New York.Marticorena, C., Stuessy, T.F. and Baeza, C.M. 1998. Catalogue of the vascular flora of the Robinson Crusoe or Juan

Fernández Islands, Chile. Gayana Bot. 55(2): 187-211.Oldeman, R.A.A. 1974. Architecture de la forêt guyanaise. ORSTOM, Paris.Pascal, O. 2002 Plantes et forêts de Mayotte. MNHN-Paris et Espaces Naturels 53, 108 pages.Skottsberg, C. 1952. The natural history of Juan Fernández and Easter Island. Almqvist & Wiksells, Uppsala.Stuessy, T.F., Foland, K.A., Sutter, R.W., Sanders, R.W. and Silva, M.O. 1984. Botanical and Geological significance of

Potassium-Argon. Dates from the Juan Fernández Islands. Science, 225: 49-51.Tobe, H., stuessy, T.F. and Baea, C.M. 1993. Embryology and Karyomorphology of Lactordaceae. Am. J. Bot. 80(8): 933-

946.