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D.U. Gestion et résolution des conflits, négociation et médiation/ 2014
Université Paris Descartes
Du Burn-Out chez les éducateurs
(L’épuisement professionnel,
Comment faire face ? )
Barbara Graebling
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
PREMIERE PARTIE – Vers une définition du burn out 2
I -Le burn out ou épuisement professionnel (constat) 2
II – Le stress 4
1) L’approche physiologique et comportementale 4 2) L’approche cognitive 6
III – L’investissement professionnel 8
1) La motivation 9
2) L’auto-détermination 11
3) Le soi 14
IV – L’épuisement professionnel 15
1) L’individu (travaux de H.Freudenberger) 16
2) L’organisation (travaux de C.Maslach) 18
3) Burn Out et métiers de la relation d’aide - Rapport d’UNIFAF 20
4) Synthèse 22
DEUXIEME PARTIE – les entretiens 24
I – Analyse des entretiens 24
II – Discussion 36
TROISIEME PARTIE – Comment faire face ? 40
I – Pourquoi lutter contre le burn out 40
II – La posture des cadres de proximité 41
1) Donner du sens 42
2) Construire un programme 43
3) Dialoguer 44
III – Les professionnels de terrain 45
1) L’éthique 46
2) La relation éducative 49
CONCLUSION 52
BIBLIOGRAPHIE 53
1
INTRODUCTION
Exerçant auprès de professionnels des métiers du social et du médico-social, je fais le désolant constat,
chez un grand nombre d’entre eux, de leur état d’épuisement ou de leur banalisation des actes
professionnels.
J’ai voulu comprendre quelle pouvait être l’origine de ce malaise. En effet, ces professions se font
généralement avec un vrai choix d’engagement et voir après quelques années de pratique, des personnes
assez désespérées, ne comprenant plus le sens de leur travail et peu valorisées par leur métier est assez
questionnant. Il est important, particulièrement lorsque l’on travaille avec des êtres humains, d’être
enthousiaste et d’aimer ce qu’on fait.
J’ai tout d’abord tenté de comprendre le phénomène du stress, comment il survient ? Comment les
individus peuvent ou non le gérer. ? Toujours dans cette ligne, je me suis interrogée sur le
fonctionnement de la motivation pour comprendre quel est le moteur de l’investissement dans la vie
professionnelle. Ensuite, j’ai consulté les ouvrages et cherché à saisir l’esprit de deux auteurs
particulièrement reconnus car ayant ouvert l’un et l’autre le champ des recherches sur l’épuisement
professionnel. Tous deux ont orienté leur travail de façon un peu différente. H.Freudenberger se
questionne plutôt sur l’individu alors que C.Maslach attribue les raisons de l’épuisement aux
organisations. Puisque je parle ici des professionnels du social et du médicosocial il m’a paru intéressant
de consulter le rapport de l’UNIFAF (OPCA des métiers du social) qui a fait un travail riche sur ce
sujet.
Dans un deuxième temps j’ai ouvert un fil de conversation sur le forum LeSocial.fr afin de vérifier
auprès de professionnels anonymes ce qu’ils pouvaient exprimer à propos du burn out. Ils avaient tous
quelque chose de pertinent à en dire, ce qui m’a confortée dans l’idée de mener des entretiens. J’ai donc
rencontré 6 professionnels pour mener des entretiens semi-directifs. J’ai analysé leurs propos à partir
des éléments théoriques exposés en première partie.
A partir de cette analyse, j’ai essayé de dégager des points importants qui semblent poser problème dans
la pratique professionnelle et participer au stress et au découragement. Je souligne succinctement dans
la troisième partie, les éléments qui me sont apparus dans les entretiens comme devant faire l’objet
d’une réflexion et je suggère des pistes pour alimenter cette réflexion, autant pour les cadres
intermédiaires (les chefs de service) que pour les professionnels.
2
Première partie - Vers une définition du burn out
I - Le burn out ou épuisement professionnel (constat)
Après une carrière dans le social (établissement accueillant des adolescents en situation
familiale difficile), j’exerce différentes activités dont l’accompagnement de candidats à la
validation des acquis de l’expérience. J’accueille des candidats de toutes professions mais en
raison de ma spécialisation dans les métiers du social et du médico-social, les candidats
viennent majoritairement de ce champ professionnel. Les postulants au diplôme souhaitent
obtenir soit le diplôme de moniteur-éducateur, soit compléter celui-ci déjà obtenu en préparant
le diplôme d’éducateur spécialisé. Ce sont des métiers de la relation d’aide.
Ces professionnels accompagnent des publics en difficulté, publics très diversifiés avec
quelquefois des modes d’accueil, là aussi très diversifiés. Le champ social comprend
l’accompagnement d’enfants ou d’adolescents dont la situation familiale compromet leur
éducation voire les met en danger. L’accompagnement peut se faire dans le cadre familial ou
dans un établissement dans lequel ces jeunes sont accueillis. Les adultes en rupture sociale
peuvent également bénéficier d’aide avec par exemple un accueil en Centre d’hébergement
collectif ou individuel. Dans le champ médico-social, il s’agit de l’accompagnement de
personnes bénéficiant d’un statut accordé par la Maison Départementale du Handicap. Des
enfants déficients, souffrant de trouble(s) du développement, ou inadaptés à la vie sociale et
scolaire peuvent être soit accompagnés dans leur vie scolaire et familiale soit accueillis dans
des établissements spécialisés. Des personnes adultes souffrant de handicap peuvent également
être accueillies en établissement ou bénéficier d’accueil en journée. Ces exemples ne sont
absolument pas exhaustifs mais permettent de balayer succinctement ces deux champs de
travail.
Dès les premiers candidats reçus, j’entends des plaintes régulières sur les difficultés à exercer
leur métier. Les conflits professionnels ne doivent pas apparaître dans les écrits de la VAE et
bien que ces professionnels soient informés sur la nécessaire coupure à faire entre leur vécu et
la réflexion sur les éléments de la prise en charge du public, je reste attentive à leurs propos.
Manifestement ça déborde !
Un nombre important parmi les, environ, 30 candidats que j’ai accompagnés en individuel au
cours des 3 dernières années, me font part de leur constat de ne pas être entendus, d’avoir le
3
sentiment de ne pas être pris en compte. Généralement cette plainte s’adresse à leur hiérarchie
mais quelquefois il semble que l’équipe ne soit pas solidaire et que le travail se fasse
difficilement ensemble, chacun restant sur ses gardes vis-à-vis de ses collègues. Le travail avec
les salariés des autres professions s’avère aussi compliqué. Il n’y a pas de compréhension des
rôles et des différences de rôle chacun s’arrogeant les compétences du savoir. Puis ce qui
apparaît dans le discours c’est le manque de reconnaissance et souvent, la motivation qui a
conduit à s’engager dans l’obtention du diplôme (que ce soit moniteur éducateur ou éducateur
spécialisé) est d’être enfin reconnu. Certains espèrent même pouvoir trouver un autre emploi,
ayant désinvesti l’accompagnement de leur public. Leur travail semble ne plus avoir de sens.
Parallèlement à ces accompagnements en individuel, j’interviens dans une école du travail
social pour des candidats qui bénéficient de quelques heures complémentaires de formation
collective pour cette validation des acquis. Le thème du cours qui m’est attribué est
« expression et valorisation » J’ai, dans ce cadre, rencontré une cinquantaine de professionnels.
Le groupe ne permet pas d’entrer dans des considérations plus personnelles mais lorsque
j’aborde la question de l’exercice du métier et que je questionne pour repérer les actions mises
en place et la manière dont elles ont été construites je remarque qu’il est souvent très difficile
d’obtenir des réponses. Ces professionnels ne comprennent pas de quoi je parle, ils se regardent
et manifestement se demandent si nous pratiquons la même langue. Je donne quelques
exemples possibles et là, généralement, les personnes saisissent enfin mon propos, mais
réagissent par : - mais, c’est banal !!! La banalité dont ils parlent est en fait toute la richesse de
leur métier mais elle est mise de côté. La pratique, l’accompagnement, la relation, les actions
quotidiennes, toutes les idées qu’ils ont pour inventer, trouver des pistes, pour aider les
personnes ne semblent pas avoir d’intérêt. Bref, tous les éléments dont on dit qu’ils sont le
cœur du métier sont banalisés. L’accompagnement spécifique en fonction des publics demande
une adaptation constante pour aider les personnes à progresser et à s’intégrer. Apprendre les
rapports humains, les rapports sociaux, les échanges, demande souvent de la part des
professionnels un peu d’inventivité : modifier des règles sportives pour faire pratiquer
collectivement des enfants dits « inadaptés », créer des jeux pour que des adolescents
handicapés apprennent à gérer un budget, organiser des sorties pour des personnes handicapées
et les ouvrir à la culture, préparer des repas avec des adolescents pour partager avec eux des
moments chaleureux, prendre le temps de s’installer autour d’un café avec des familles en
centre de réinsertion sociale pour leur permettre de parler tranquillement de leurs inquiétudes.
4
Comment ne pas faire le lien entre cette appréciation dévalorisée de leurs actions quotidiennes
avec l’idée qu’ils se font de leur métier et par extension, d’eux-mêmes ?
Ils sont manifestement épuisés, certains sous traitements anxiolytiques, d’autres ont déjà dû être
en arrêt maladie. Beaucoup se disent stressés.
Manque de reconnaissance, absence de définition claire de leur métier, peu de sens donné aux
actions, difficultés à travailler avec les autres professionnels, peu ou pas de dialogue avec la
hiérarchie semble être le tableau récurrent qui apparait avec l’épuisement et la démotivation.
Quels éléments théoriques peuvent aider à comprendre ?
II - Le stress
Définition de l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail : Le stress est ressenti
lorsqu'un déséquilibre est perçu entre ce qui est exigé de la personne et les ressources dont elle
dispose pour répondre à ces exigences.
Le stress peut-être défini, soit comme la réponse de l’organisme exposé à des situations
potentiellement nocives, soit comme le résultat d’une interaction entre l’individu et son
environnement ou encore, la conséquence d’une transaction dynamique entre l’individu et la
situation.
1 – l’approche physiologique et comportementale
C’est d’abord une explication biologique qui définit le stress comme le syndrome d’adaptation.
(Hans Selye, 1956). Selye définit deux types de stress : le stress aidant et le stress nuisible. Le
stress aidant est bénéfique pour l'organisme humain (« eustress ») car il permet d’agir – la
parole étant considérée comme action - ce qui est nécessaire pour maintenir son équilibre. En
revanche le stress est nuisible, (« dystress ») dans les situations où l’on est empêché d’agir, par
manque de moyen, d’information ou par évaluation faussée de la situation. L’organisme a pour
objectif de maintenir son équilibre interne (homéostasie) Pour maintenir ou retrouver cet
équilibre, Selye propose un modèle, le syndrome général d’adaptation qui se déroule en trois
étapes :
a) la réaction d’alarme, - réponse de l’organisme face à la perturbation. L’individu
mobilise ses ressources.
5
b) la phase de résistance et d’adaptation - recharge des moyens de défense utilisés dans la
première phase
c) la phase d’épuisement – Soit les ressources sont suffisantes et l’individu retrouve son
niveau de résistance normal – soit les ressources sont épuisées, ou l’agression dure dans
le temps et l’adaptation devient impossible.
Pour Henri Laborit, le stress est lié à l’inhibition de l’action, comme il le démontre dans une
expérience de laboratoire :
Cette expérience se fait en 3 temps :
a) Un rat est placé dans une cage. Un signal annonce que le sol va être électrifié.
L’animal trouve très vite la solution pour entrer dans une cage mitoyenne dont le sol
n’est pas électrifié. Dans cette situation, aucun stress n’apparaît.
b) Un rat est placé dans une cage dont le sol est électrifié mais il n’a aucune solution pour
y échapper. L’action est inhibée. Le rat ne peut ni agir, ni fuir. La situation provoque
une hypertension. Si l’expérience est stoppée et la tension vérifiée un mois après, elle
n’a quasiment pas changé. La situation a provoqué une hypertension chronique. Si le rat
est disséqué, on découvre un ulcère à l’estomac.
c) Deux rats sont placés dans la cage sans possibilité de s’échapper. Ils deviennent
agressifs et se battent. Dans cette situation, Il n’y a pas de traces physiologiques de
stress, comme dans la première situation. Les comportements agressifs peuvent paraître
inadaptés mais il s’agit cependant d’une action qui permet d’évacuer le stress.
Ensuite il stipule qu’il y a deux attitudes possibles dans l’inhibition de l’action « celle de
l’attente en tension dans laquelle un espoir existe encore de pouvoir contrôler l’environnement
(elle est à l’origine de l’anxiété), et celle de la dépression dans laquelle il y a un abandon de
tout espoir. » (document internet olivier.hammam.free.fr/ Extrait de la colombe assassinée de
Laborit )
On retrouve ici la description faite par les professionnels qui tentent de sortir d’une situation
stressante dont ils ont bien repéré tous les symptômes et dans laquelle ils ont l’impression
d’être coincés. La recherche d’obtention du diplôme pour changer de lieu de travail va bien
dans ce sens.
6
Barbara Bonnefoy confirme que le stress peut expliquer le comportement d’engagement dans le
conflit.
Cependant, un agent stresseur déterminé n’appelle pas une réponse spécifique. Cette
explication physiologique et comportementale d’une adaptation à des agents stresseurs ne tient
pas compte des différences individuelles et des interactions avec le milieu.
2 – l’approche cognitive
Pour l’approche cognitive, ce ne sont pas les agents stresseurs qui sont seuls à l’origine du
stress mais la façon dont l’individu va les appréhender et les gérer. Un même agent peut être
source de stress pour certains mais source de défi et de dépassement de soi pour d’autres. Il ne
s’agit donc pas d’une simple réaction stimulus-réponse dans laquelle toutes les situations
provoqueraient une réaction identique mais l’interaction entre certaines caractéristiques de
l’individu et du contexte qui sont sources de conflit ou qui génèrent des comportements
d’ajustement.
Dans la définition du lieu de contrôle – ou LOC - l’évaluation du stress peut être liée à la
façon dont l’individu en attribue la cause soit comme indépendant de sa volonté, il ne peut agir
sur la situation, on parle alors de lieu de contrôle externe, soit il se considère comme pouvant
agir sur la situation, on parle alors de lieu de contrôle interne (Rotter 1966).
Pour Bandura (1977) c’est le sentiment d’auto-efficacité personnelle qui permet de
modeler l’environnement. Ce sentiment renvoie à la confiance que le sujet a en ses capacités,
notion proche de l’estime de soi, alors que le lieu de contrôle interne/externe renvoie plutôt à
un trait de personnalité acquis par apprentissage social.
L’attitude des individus face à une situation possiblement stressante en modifie la
perception. L’anxiété-trait est un élément durable de la personnalité qui accentue les
potentialités d’une situation stressante en l’évaluant comme dangereuse voire menaçante.
L’anxiété-état est plus épisodique et reste cadrée dans le temps.
L’endurance (Hardiness) correspond au sens de la maîtrise personnelle face aux
évènements et à penser que les problèmes sont des défis plus que des menaces.
Les modèles interactionnistes dépassent donc ceux impliquant des relations causales linéaires.
C’est bien la rencontre entre l’individu et le contexte qui peut être pathogène ou salutogène et
non les facteurs pris séparément. Cependant, cette conception implique que ce seraient ces
facteurs qui auraient une fonction protectrice ou pathogène. Un autre modèle : le modèle
7
transactionnaliste prend en compte l’individu et le contexte dans une relation qui permet la
modification de l’un et de l’autre dans un mouvement dynamique.
Ce modèle est introduit par Lazarus et Folkmann (1984) (in Psychologie de la santé M.
Bruchon- Schweitzer – Dunod - 2002 - ; Le stress, Laurent Guillet – De Boeck 2012) Les trois
niveaux de stress y sont inclus: social, psychologique, et physiologique. L’individu et son
environnement sont compris dans une relation dynamique interagissante, le stress étant l’écart
entre les exigences situationnelles et les capacités d’un sujet, réelles ou perçues.
Dans ce modèle, le processus d’évaluation donne une signification à la situation. Les variables
personnelles : valeurs, croyances, responsabilité, ressources influent sur la perception de la
situation qui elle-même peut impliquer des pressions sociales, être ambigüe ou menaçante, …
en fait, représenter un contexte subjectif. Les stratégies d’ajustement mises en place pour faire
face à la situation : réponses cognitives, émotionnelles et comportementales tendent à, soit
modifier la situation soit modifier l’individu qui vit la situation.
On remarque régulièrement dans les descriptions des professionnels cet écart entre leurs valeurs
personnelles et les ressources avec les attentes de l’institution.
L’évaluation se fait en plusieurs phases : L’évaluation primaire correspond au stress perçu
(modifications physiologiques), l’évaluation secondaire au contrôle perçu (sentiments positifs
ou négatifs), puis une phase de réévaluation (importance des conséquences). Dans le stress
perçu, la subjectivité de la situation est aussi évaluée en fonction des ressources disponibles.
Le contrôle perçu est une croyance qu’a l’individu d’avoir ou non les ressources suffisantes
pour gérer la situation. Un degré élevé de contrôle perçu favorise un bon ajustement au travail
mais un degré peu élevé de contrôle perçu peut être compensé par le soutien social perçu. Le
soutien social perçu n’est pas le soutien réellement reçu mais l’évaluation, là aussi subjective,
satisfaisante ou non, qui est faite des ressources sociales potentiellement disponibles face aux
exigences de la situation vécue comme stressante. Cette évaluation se fait en termes de
disponibilité et/ou de qualité de l’aide possible. Une évaluation positive atténue l’impact d’un
évènement, d’autant plus si ce soutien perçu est considéré comme un soutien de qualité. Il
renforcerait alors le contrôle perçu et encouragerait l’individu à adopter des stratégies actives
face aux évènements (stratégies centrées sur le problème) plutôt que des stratégies passives
(stratégies centrées sur l’émotion) Ces stratégies d’ajustement aux situations stressantes sont
définies sous le terme de coping (to cope = faire face) Lazarus (1966) D’abord identifié aux
concepts de défenses associés à la psychanalyse, le coping a un rôle complémentaire de celles
8
ci. Les défenses agissent pour réduire la tension liée à des conflits intrapsychiques ou à
d’anciens évènements de vie. Leur action est inconsciente, rigide et distord généralement la
réalité. Pour certains auteurs, il est nécessaire d’y inclure les stratégies, conscientes et
inconscientes de régulation émotionnelle et de résolution de problème pour s’ajuster à un
évènement actuel perçu comme menaçant. Inscrit dans la perspective transactionnaliste de
gestion du stress, c’est un processus multidimensionnel, qui aide à faire face aux différents
aspects mais aussi aux différents enjeux des situations et adapté au contexte. Les stratégies
d’ajustement utilisées peuvent être cognitives ou comportementales, centrées sur le problème
ou centrées sur l’émotion.
Les stratégies centrées sur l’émotion dites stratégies passives ou évitantes, peuvent être
positives dans les situations incontrôlables. C’est plus l’adéquation de la stratégie à la situation
qui est essentielle. Une stratégie centrée sur l’émotion, par exemple : relaxation, activité
sportive pour évacuer le stress dans une situation sans contrôle possible est préférable à une
stratégie centrée sur le problème alors que les connaissances ou moyens pour résoudre la
situation ne sont pas à disposition. Si l’individu dispose des moyens nécessaires pour résoudre
le problème, ou bien lorsqu’il a la possibilité de les rechercher, les stratégies dites actives ou
vigilantes, c'est-à-dire centrées sur le problème sont plus adaptées.
Le peu de distanciation inévitable dans les métiers de la relation d’aide mais aussi
l’engagement affectif incontournable ne favorise pas la réflexion nécessaire pour construire des
stratégies adaptées. La recherche des moyens pour construire une action centrée sur le
problème nécessite un travail en collaboration qui est souvent rendu impossible par la non prise
en compte du stress vécu dans le quotidien par les professionnels et de l’engagement
relationnel.
Malgré toutes les difficultés rencontrées dans la vie professionnelle dont le stress est un
élément important, qu’est-ce qui engage tant dans un métier ?
III - L’investissement professionnel
Différents éléments sont à prendre à compte et celui qui parait central pour les organisations et
pour les managers, c’est la motivation des personnes.
9
1) La motivation
La motivation est le moteur ou la force interne qui nous fait agir et qui induit nos
comportements de façon durable. La motivation est changeante, elle évolue pour une même
personne, dans le temps ou en fonction de circonstances. Elle peut se définir comme étant le
facteur de déclenchement de l’activité, de la direction de l’activité, de l’intensité et de la
persistance du comportement. Différentes théories expliquent ce qu’est la motivation mais
probablement qu’aucune à elle seule ne peut être un modèle définitif et unique.
Les premières explications concernent la réduction des besoins physiologiques afin de
maintenir au mieux l’équilibre homéostasique de l’organisme par la recherche d’apaisement
ou l’évitement des tensions.
Pour la psychanalyse c’est l’expression des désirs cachés qui se sont noués, dès
l’enfance, sur des objets d’investissements.
Pour l’approche comportementale c’est le cadre des théories de l’apprentissage qui
explique la motivation par un comportement appris.
Dans le cadre des motivations sociales, on trouve le besoin d’accomplissement. Ce
besoin vise autant une satisfaction personnelle qu’une reconnaissance sociale.
Dans le cadre de la psychologie humaniste c’est la pyramide de Maslow et ses
différentes étapes qui expliqueraient le ressort de la motivation. Les besoins sont
hiérarchiquement organisés et la satisfaction de l’un permettrait de passer à l’étape suivante.
Les besoins élémentaires situés en bas de la pyramide représentent les besoins physiologiques,
puis viennent les besoins concernant la sécurité matérielle, l’affection et l’acceptation par les
autres puis les besoins cognitifs et enfin la réalisation de soi.
La psychologie sociale prend en compte l’effet combiné de la situation et de la
personne.
La motivation centrale sur laquelle s’adossent toutes les autres, est le besoin d’appartenance à
un groupe « l’appartenance à un groupe aide les individus à survivre psychologiquement et
physiquement » (Susan Fiske 2008 page 29)
Après la nécessité d’avoir des relations fortes et stables qui caractérisent ce besoin
d’appartenance, Susan Fiske (2008) classe les motivations en deux catégories
les motivations plutôt cognitives : comprendre et contrôler
les motivations plutôt affectives : se valoriser, faire confiance
10
Comprendre : comprendre son environnement afin de pouvoir agir ou réagir en cas de nécessité
et comprendre pour donner du sens. Les échanges de théories explicatives des évènements entre
les personnes et la construction d’éléments communs qui font ensuite référence sont une
élaboration des représentations sociales. Cette compréhension partagée permet de s’adapter à la
vie dans le groupe.
Contrôler : se sentir compétent et efficace, avoir des responsabilités, savoir que l’on peut
obtenir du soutien en cas de nécessité. Chacun aspire à comprendre le lien entre le
comportement et les résultats. Si tel n’est pas le cas, les gens recherchent les informations et
font des efforts constants pour prendre la situation en main et tenter de réussir à atteindre leurs
buts. Un certain nombre d’études démontrent que les personnes qui contrôlent la situation dans
leur environnement sont en meilleure santé et se sentent plus heureux.
Comprendre et contrôler sont de nature cognitive et « concernent avant tout, la prise
d’information, les pensées, les croyances, ainsi que la résolution de problème » (Susan Fiske
2008 page 35)
La valorisation de soi : estime personnelle et possibilité de se perfectionner – besoin de
s’accomplir. Le Feed back positif aide à se sentir bien au sein du groupe, cimente les relations
et participe à la continuité et l’équilibre du groupe
La confiance, forme d’intelligence sociale, contribue à la vie dans les groupes en facilitant les
échanges d’information et les ressources. Elle permet aussi une entraide pour éviter les
difficultés. Faire confiance permet de percevoir le monde comme bienveillant alors que
l’absence de confiance génère un climat d’insécurité.
Dans le cadre de la psychologie cognitive, E.L. Deci et R.MRyan (2005) ont étudié
l’impact des besoins d’autonomie et de compétence sur la motivation individuelle pour laquelle
ils distinguent deux types de motivation : la motivation extrinsèque et la motivation intrinsèque.
La motivation extrinsèque s’appuie sur les avantages dérivés de l’activité comme le
salaire, une promotion ; pour les enfants ou les étudiants, des bonnes notes ou la
réussite aux examens. (causalité externe)
La motivation intrinsèque représente le plaisir que procure une activité, comme
satisfaisant le besoin de se réaliser, le besoin d’autonomie ainsi que le besoin de se
sentir compétent. (causalité interne) Etre compétent implique de développer ses
capacités par l’accumulation de connaissances et d’expérimentation afin d’interagir
11
avec son milieu (professionnel par exemple) mais également à rechercher la maîtrise
des compétences.
Ces chercheurs ont développé plus avant ces concepts, dans le cadre de la théorie de
l’autodétermination.
2) L’auto détermination
Naturellement porté vers le défi, l’intégration de nouvelles connaissances, la recherche de liens
sociaux, l’individu interagit avec son environnement qui favorise ou entrave ses potentialités.
Pour la théorie de l’autodétermination la réalisation de soi est le critère d’existence de bien
être.
La réalisation de soi passe par la satisfaction des besoins psychologiques
fondamentaux : autonomie, compétences, relations aux autres,
satisfaction qui facilite la croissance, l’intégrité et le bien-être. L’autonomie c’est décider soi
même de son action et pouvoir la réaliser ; la compétence renvoie au sentiment d’efficacité
personnelle et de maîtrise de l’environnement ; la relation aux autres comprend l’appartenance
et le sentiment d’avoir de la valeur pour d’autres personnes.
Ces besoins sont la source de l’énergie humaine et la recherche de leur satisfaction est un but
qui fournit le sens de l’activité.
On retrouve ici la motivation comme moteur de l’activité. Il est possible de classer plusieurs
types de régulation de la motivation sur un continuum qui comprend une échelle de six
indicateurs ( Ryan et Deci 2002) :
trois types de régulation considérés comme autodéterminés :
Motivation intrinsèque,
Motivation extrinsèque avec régulation intégrée et
Motivation extrinsèque avec régulation identifiée (motivations autonomes)
et deux types comme contraintes :
Motivation extrinsèque avec régulation introjectée,
Motivation extrinsèque avec régulation externe (motivations contrôlées)
Et pour terminer
l’amotivation.
12
Les motivations autonomes :
La motivation intrinsèque : on accomplit des tâches dont la réalisation apporte en elles-
mêmes la satisfaction et en se sentant à l’origine du comportement. Un feed-back positif
augmente la motivation intrinsèque en informant sur les compétences, mais un évènement
extérieur, incitateur à la réalisation de la tâche qui déplacerait la motivation vers une causalité
externe a un effet de désinvestissement, l’individu ressentant son action comme contrôlée de
l’extérieur. Cependant, le climat dans lequel les évènements extérieurs interviennent est
prépondérant pour l’interprétation qui en sera faite et donc pour leurs effets.
Régulation intégrée : La motivation extrinsèque est totalement intégrée à la
personnalité, aux valeurs, à l’identité même. Le comportement est en harmonie avec les valeurs
et se maintient durablement.
Régulation identifiée ; les tâches à réaliser sont comprises comme une nécessité,
acceptée et reconnue. Même si elles ne sont pas agréables à exécuter elles sont considérées
comme importantes pour la réalisation de certains objectifs ou concordant avec les valeurs
personnelles. Cette étape participe à l’intégration des mœurs, des coutumes et des valeurs
sociales.
Les Motivations contraintes :
Régulation introjectée : Il y a un certain accord entre la valeur personnelle et la
réalisation des tâches attendues ou exigées par l’environnement. Par exemple, atteindre tel
objectif permettra de s’identifier comme bon professionnel. Le contexte peut donc permettre
de faire ressortir un intérêt personnel. Il s’agit ici d’une pression interne afin d’éviter une
culpabilité ou satisfaire des attentes sociales afin de satisfaire un sentiment de valeur personnel,
mais les contraintes n’ont pas été totalement appropriées comme faisant partie de soi.
Ce n’est pas le cas de la Régulation externe qui engage dans l’action pour éviter un problème
ou par obligation de conformité. Si la pression externe disparait, le comportement n’est pas
maintenu durablement. Elle répond aussi à la fonction économique du travail.
A l’extrême du continuum on trouve l’amotivation, absence totale de motivation, concept
proche de la résignation acquise.
Les personnes ayant une forte motivation autonome sont en meilleure santé, plus énergiques,
mieux investies dans leur vie professionnelle. Corrélativement, les personnes qui ont un indice
13
plus élevé de motivation contrôlée ou d’amotivation ont plus de conséquences négatives dans
leur vie. Il est important de souligner que tous les types de motivation sont présents chez les
individus mais à des degrés divers. C’est la plus grande importance de l’un ou l’autre type de
motivation qui a des conséquences salutaires ou non.
C’est la satisfaction des besoins psychologiques : autonomie, compétence, appartenance, qui
influe sur la motivation et dont les effets seront : un bien être physiologique et psychologique et
une meilleure adaptation à l’environnement et au contexte. A l’inverse, lorsque
l’environnement social entrave les besoins, cela génère mal-être, aliénation et
dysfonctionnement.
La théorie de l’autodétermination prend en compte le contexte (qui favorise ou entrave les
besoins) mais aussi les ressources internes des individus. Les orientations causales (Deci et
Ryan 1985) définissent trois orientations motivationnelles : autonome, contrôlée et
impersonnelle chacune étant plus ou moins importante chez chaque individu.
L’orientation autonome particularise les personnes plutôt proactives et qui ont plus tendance à
assumer la responsabilité de leurs actes. Cette orientation est reliée aux régulations, intrinsèque,
intégrée et identifiée.
L’orientation contrôlée spécifie plutôt les personnes qui agissent en fonction de différentes
formes de contrôle qu’elles perçoivent de l’environnement. Elles sont plus sensibles aux
attentes des autres qu’à leur propre volonté. Cette orientation est reliée aux régulations, externe
et introjectée.
L’orientation impersonnelle caractérise les personnes qui estiment que la réussite échappe à
leur contrôle et se sentent inefficaces pour modifier les évènements. Cette orientation est reliée
à l’amotivation.
« Ces orientations sont le résultat des interactions sociales antérieures de l’individu » (Deci et
Ryan – 1985)
Pour compléter cet ensemble, on peut indiquer le contenu des buts (Deci et Ryan 2002) qui
précise l’effet plus satisfaisant de la réalisation de buts directement reliés aux besoins
fondamentaux et désignés comme buts intrinsèques (développement personnel..) par rapport
aux buts extrinsèques (l’argent, la renommée personnelle…)
14
Pour la théorie de l’autodétermination, l’actualisation de soi et l’environnement social sont les
deux pôles de l’interface qui caractérise l’individu.
Tableau proposé par P.Sarrazin et al..
On peut remarquer dans les différents commentaires des professionnels que les choix des
institutions s’orientent le plus souvent vers une réponse au législateur (mise en application des
nouvelles lois, et de l’évaluation externe) en oubliant l’individu. Les motivations externalisées
découragent les acteurs qui désinvestissent leur rôle.
3 ) Le Soi
Il en existe de nombreuses définitions mais nous allons retenir ici : le concept de soi qui
correspond à la façon de nous définir, l’estime de soi à la façon dont nous nous évaluons et la
présentation de soi, la façon dont nous nous présentons, aux autres mais aussi à nous même.
Ces composantes correspondent respectivement à la cognition, aux affects et au comportement.
Le soi se construit progressivement par l’accumulation des expériences et dans l’interaction
avec le milieu social et culturel, se développe et évolue en fonction des besoins de la personne.
Le concept de Soi : Les éléments de la connaissance de soi, informations sur soi, compétences,
expériences, permettent de maintenir une stabilité interne mais autorisent aussi une flexibilité
15
suffisante pour s’adapter lorsque l’environnement le nécessite, comme par exemple les
interactions dans le monde professionnel. Ces interactions peuvent favoriser l’épanouissement
ou au contraire engager dans un processus aliénant. En effet, une croyance sur Soi forte
construite à partir de compétences référencées et reconnues rend l’individu moins malléable. A
contrario une croyance sur Soi faible rend plus dépendant et donc plus vulnérable.
L’estime de Soi :
L’auto évaluation se construit aussi à partir des interactions avec un désir de maintenir une
évaluation de soi positive. L’estime de soi est une composante centrale du Soi et en lien avec
les valeurs. L’estime de soi est corrélée à l’écart entre le soi réel et l’idéal de Soi.
Une faible estime de soi signifie peu de ressources pour lutter contre des menaces provenant de
l’environnement. Les personnes ayant une faible estime, ont tendance à expliquer les
évènements négatifs par des causes internes et pour se protéger, elles développent un
comportement très conformiste, ce qui génère des difficultés à s’adapter.
Plus l’estime de soi est forte, plus elle est stable et plus l’estime de soi est faible, plus elle est
instable, sensible aux variations situationnelles.
La présentation de Soi :
C’est la façon de se présenter pour maîtriser l’impression que nous allons donner de nous
même afin de contrôler nos interactions. L’autoprésentation peut s’apparenter à un rôle que
nous devons jouer.
Ces conceptions de soi définissent une construction qui permet de réguler la conduite humaine
en fonction des situations. Le Soi est un élément central dans les changements de la motivation
au travail.
Il n’est pas inutile d’ajouter que l’identité sociale est une partie du Concept de Soi. « Cette
partie du concept de soi qui provient de la conscience qu’a l’individu d’appartenir à un groupe
social (ou à des groupes sociaux), ainsi que la valeur et la signification émotionnelle qu’il
attache à cette appartenance » (Tajfel, 1981) » L’identité sociale s’articule entre des facteurs
16
cognitifs (catégorisation sociale) et motivationnels (vouloir se distinguer positivement sur une
échelle de valeurs)
Une identité professionnelle mal définie fragilise encore plus les professionnels de terrain. Ne
pouvant clairement construire des objectifs, avec des outils définis par leur métier, ils sont
régulièrement interpelés par la hiérarchie ou les autres acteurs de leur environnement
(psychologues, aide sociale, juge pour enfants) qui leur disent quoi faire. Dans ce contexte, ils
ne donnent pas l’impression de pouvoir se situer clairement, s’affirmer dans leur propre
dimension.
IV - L’épuisement professionnel
Le stress prolongé et permanent qui use l’individu a été étudié depuis quelques années.
D’abord c’est Harold B.Bradley (1969) qui apparente ce stress comme spécifique au travail et
l’intitule Burn Out.
A la suite de ce premier article deux études plus approfondies vont paraitre :
Les premières recherches sont celles de Herbert.Freudenberger (1974) qui réitère cette
définition du burn out comme l’exposition à un stress permanent, et peu de temps après ce sont
les travaux de Christina Maslach (1976) qui sont publiés. Ce sont aujourd’hui les deux auteurs
reconnus comme ayant ouvert la voie aux travaux de recherche approfondis sur l’épuisement
professionnel. Par ailleurs, une étude a été menée en France par UNIFAF, l’OPCA des
établissements sociaux et médico-sociaux et un rapport a été publié en 2006 sur le burn out des
professionnels de ces secteurs d’activité.
1) L’individu (travaux de H Freudenberger)
Freudenberger est psychiatre, psychanalyste. C’est d’abord son expérience personnelle qui va
le confronter au burn out. Après ses heures de travail il intervient bénévolement dans une « free
clinic » à New York qui accueille de jeunes toxicomanes. Il s’investit totalement dans ce projet
que ce soit en temps ou émotionnellement. Il ne compte pas les heures de travail et reste
souvent tard dans la nuit. Il est totalement tourné vers une réussite nécessaire, ne peut plus
penser sereinement aux difficultés qui se présentent et ne perçoit pas les changements qui
17
commencent à s’opérer en lui malgré les remarques de ses amis et de sa famille :
amaigrissement, toutes ses idées sont orientées vers son action bénévole, il ne s’occupe plus de
sa famille… jusqu’au jour où il ne peut plus se lever et dort durant 48 heures d’affilée.
- " En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois
victimes d'incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre
monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consommer comme sous l'action des
flammes, ne laissant qu'un vide immense à l'intérieur, même si l'enveloppe externe semble plus ou
moins intacte" (, Freudenberger 1980, page 3)
Il observe alors les équipes de bénévoles qui travaillent avec lui et remarque que rapidement,
environ après un an, tout le monde se démobilise et semble beaucoup moins motivé par cet
engagement. Les bénévoles se heurtent à d’innombrables difficultés, les jeunes toxicomanes ne
répondant pas à leurs espoirs d’évolution. La réussite attendue ne se réalise pas. Cependant,
l’image que les bénévoles ont d’eux-mêmes, l’idée qu’ils s’étaient faite de leur réussite,
l’image de héros qu’ils s’étaient attribuée, ne leur permet pas de prendre conscience de la
situation. Leur volonté d’aboutir aux objectifs qu’ils s’étaient fixés pour valider ce qu’ils
imaginaient de leur réussite personnelle les engage un peu plus, en investissement émotionnel
et en temps, dans leurs activités professionnelles. Les personnes ont donc tendance dans un
premier temps, à surinvestir. L’hyperactivité se révèle être un des premiers éléments, le premier
signe que le dérapage est engagé. Moins les résultats sont présents, plus la personne investit en
espérant compenser, comme si l’absence de résultats était due à son manque de compétence et
qu’elle serait donc seule responsable d’un échec. Puis, le stress s’installe et la déception
entraîne la fuite, les conflits entre collègues, le cynisme et les attitudes négatives vis-à-vis du
public qui vont constituer le tableau symptomatologique. Ce sont ensuite les symptômes
physiques qui apparaissent : fatigue, insomnies, symptômes physiques du stress, douleurs
diverses. Une étape de plus et la personne semble totalement dépressive. Cependant, les
symptômes de la dépression vont différer de ceux habituellement reconnus, car ici il n’y a pas
de dépréciation personnelle ou pas seulement mais essentiellement de la colère.
De plus la personne est désorientée, absorbée dans ses pensées en permanence et ne peut plus
faire face à ses obligations familiales et professionnelles. Les échanges intellectuels et donc la
réflexion nécessaire pour la profession deviennent impossibles.
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D’après Freudenberger, il y a un décalage entre l’idéal que s’était fixé la personne dans sa
réalisation professionnelle avec la réalité qui ne correspond pas à ses attentes, à ses espoirs.
C’est ce décalage, cette atteinte dans l’image de soi, qui va engendrer l’épuisement, « que l’on
diagnostique chez les idéalistes »( Freudenberger 1980 page 35.)
Cette première description met donc l’accent sur les symptômes et sur la cause de cet
épuisement qui serait dû à un fort investissement personnel, qui ne conduit pas à produire la
« récompense » attendue.
Il s’agit donc essentiellement de facteurs individuels même si Freudenberger souligne que les
attentes sociales vis-à-vis des individus ont un impact sur l’image que la personne a d’elle-
même et influencent donc, de manière indirecte, le risque de burn out.
On peut noter dans ces travaux, que l’investissement intense des bénévoles déçus par
l’impossibilité d’atteindre des objectifs qu’ils s’étaient eux-mêmes fixés, donne l’impression
que les choix et les possibilités des personnes accompagnés n’ont pas réellement été pris en
compte.
2) L’organisation (travaux de Christina Maslach)
Dans un monde qui change et qui privilégie la finance, le profit immédiat sans en mesurer les
conséquences à plus long terme, le décalage entre l’individu et le travail est trop important.
Les valeurs de l’entreprise qui ne sont pas suffisamment clarifiées au profit d’une vague
formulation de la mission globale et les politiques pour atteindre des objectifs assez abstraits,
par ailleurs en décalage avec le vécu quotidien des professionnels est une source de stress
importante.
La disparité entre la fin et les moyens, les stratégies qui ne permettent pas dans la réalité
d’atteindre les objectifs fixés entrainent un désengagement des personnes dans leur activité
professionnelle.
Les conséquences sont immédiates avec moins de possibilité de contrôle sur les actions, donc
une perte d’autonomie, moins de reconnaissance pour ce qui est accompli qui laisse un
sentiment d’injustice, des écarts entre les valeurs personnelles et les attentes professionnelles.
Les relations se dégradent et l’esprit de groupe qui était un soutien dans la vie professionnelle,
disparaît.
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« Le burn out est l’indice de la séparation entre ce que les gens sont et ce qu’ils doivent faire »
(C.Maslach,M.P.Leiter 2011, page 42)
Les trois dimensions en sont l’épuisement émotionnel, le cynisme, l’inefficacité :
La charge émotionnelle est trop lourde et devient chronique poussant au-delà des limites
émotionnelles de l’individu.
Le cynisme se caractérise par une attitude distante et impersonnelle. On traite un cas et plus une
personne.
Cette attitude dévalorise le rôle professionnel, engage une baisse de l’accomplissement
et donne le sentiment d’être inefficace et inutile jusqu’à l’impression d’être en échec personnel.
Pour C. Maslach, ce n’est pas l’individu qui est en cause mais l’environnement humain dans
lequel il travaille.
« La structure et le fonctionnement de l’entreprise déterminent la façon dont les gens
interagissent et font leur job «(C.Maslach,M.P.Leiter 2011 page 44)
Les auteurs soulignent l’importance des émotions négatives qui gomment le plaisir qu’il y
avait à travailler et qui alimentait la motivation. Les échangent deviennent hostiles et émaillés
de sarcasmes et de critiques. Les relations se dégradent, les différends et les conflits entre
collègues ou avec la hiérarchie deviennent récurrents. Le travail d’équipe se délite et l’hostilité
engendre l’hostilité et la spirale descendante du burn out est engagée. L’expression de
sentiments négatifs affecte l’entourage qui renvoie des émotions négatives en isolant les
personnes ce qui entretient la spirale négative. Isolées, elles sont confortées dans l’idée qu’il
s’agit de leur échec personnel. Elles recherchent d’ailleurs des solutions personnelles :
psychothérapie, changement de carrière. L’entreprise attribue également la cause à l’individu
et l’enferme un peu plus. Si celui-ci a des attentes vis-à-vis de sa hiérarchie, l’incompréhension
est totale et les conflits s’aggravent.
Christina Maslach(1993) relève que la mise à distance et le désengagement se retrouvent dans
les stratégies verbales catégorisant les clients sous des termes abstraits, techniques, ou
stigmatisants. Elle utilise le terme de dépersonnalisation pour désigner ces attitudes. D’autres
stratégies sont aussi mises en place comme une application stricte du règlement afin de limiter
l’implication personnelle. La perte d’efficacité qui s’ensuit provoque absentéisme et turn over.
20
En 1996, elle publie, Le Maslach Burnout Inventory’s ( MBI) avec Susan Jakson et Michael
Leiter, un test qui permet de mesurer le syndrome d’épuisement professionnel.
Ici, on peut recouper exactement les descriptions faites par les professionnels de terrain. Ils sont
écrasés par l’organisation qui les rend toujours coupables des difficultés. Leur hiérarchie les
pense trop fragiles, leur suggère de se faire aider (ailleurs) et éventuellement se débarrasse des
plus fragiles. Ces professionnels ne perçoivent pas que leurs difficultés dans leur entourage
familial ou social proviennent de cet épuisement et ils ont le sentiment qu’effectivement ils ne
sont pas capables d’assumer leurs différents rôles en raison de dysfonctionnements personnels.
3) Burn out et métiers de la relation d’aide (rapport UNIFAF)
Dans un premier temps les recherches sur le burn out ont mis en évidence l’impact majeur de
l’activité professionnelle dans les métiers de la relation d’aide sur l’état de santé des
professionnels. Les recherches se sont étendues progressivement à d’autres professions.
Cependant toutes font état d’un risque plus élevé pour les professionnels en contact avec du
public.
Puisque il s’agit ici de traiter spécifiquement de l’épuisement professionnel dans les métiers du
social et du médico-social, il est intéressant d’aller voir ce qu’en dit l’UNIFAF (OPCA des
établissements sociaux et médico-sociaux) dans le rapport effectué à l’occasion de la mise en
place d’un programme de formation en direction des professionnels en souffrance.
En 2006, donc avant les lois sur les risques psychosociaux, UNIFAF Rhône Alpes, a mis en
place un programme de formation pour les personnels du social et du médico-social afin de
tenter de trouver des solutions au mal être grandissant dans la profession. Celui-ci n’était pas
encore suffisamment identifié et ce programme devient ainsi un bilan des situations vécues et
propose des pistes de travail pour prendre en compte ces problèmes.
Il en ressort un risque majeur d’abord dans la prise en charge, éducative, sociale ou
thérapeutique en lien avec l’évolution des publics en situation de plus en plus extrême mais
également une modification de la culture professionnelle en lien avec des changements dans les
politiques sociales et dans l’organisation du monde médico-social. Les établissements se
positionnent dorénavant plus comme des supers structures gestionnaires. Les cadres de
proximité portent ces changements au sein des établissements ce qui provoque des tensions
avec les professionnels de terrain qui ont le sentiment d’une disparition des valeurs
21
fondamentales du métier. Les nouveaux éléments à prendre en compte dans les établissements
provoquent une surcharge de travail, impliquant les professionnels dans diverses commissions
et réunions. L’objectif premier est de leur permettre de maîtriser de nouveaux outils mais dans
les faits, ces temps sont plus généralement vécus comme alimentant l’éloignement d’avec les
personnes accompagnées.
Par ailleurs, les désaccords sur le contenu des prises en charge ne sont pas arbitrés ce qui
entretient des différends voire des conflits dans les équipes. Des luttes entre les différents corps
de métiers participent au climat conflictuel. De plus, le mode d’organisation de l’activité n’est
pas toujours adéquat ce qui provoque un manque d’encadrement pendant les temps forts des
prises en charge.
On note aussi qu’une analyse des signalements de maltraitance institutionnelle dans les
établissements, montre que dans 70 % des cas signalés on repère un dysfonctionnement
organisationnel dans la structure d’accueil. Cela confirme ce qui était déjà suspecté à savoir que
l’institution peut devenir maltraitante autant des professionnels que du public. Cette relation
entre la souffrance au travail et la maltraitance institutionnelle est une particularité, une
spécificité du secteur social, médico-social, sanitaire et social.
Page 12 du rapport « Si l’attribution à des causes personnelles ou au contraire à des causes
environnementales, a toujours opposé les acteurs du monde du travail, l’approche
psychosociale du risque tranche très clairement dans ce débat en privilégiant avant tout les
causes environnementales de travail, c’est-à-dire l’activité et ses conditions relationnelles,
organisationnelles et sociales d’exercice. »
Pour une compréhension d’une situation de stress prolongé et de souffrance au travail, c’est
donc dans un premier temps l’analyse de l’environnement de travail et du lien à l’activité
professionnelle qui sera privilégiée. Si les conditions de travail sont acceptables, il sera
nécessaire, dans un deuxième temps de faire une recherche des causes dans la situation
personnelle des individus.
En effet le lien cause-effet n’est pas spécifique et les conséquences ne sont pas les mêmes selon
les personnes mais aussi selon les compensations des facteurs entre eux. Les actions de
prévention consistent d’ailleurs lorsque le risque ne peut pas être supprimé, à développer des
mécanismes de compensation.
22
4) Synthèse
Tout d’abord la description des symptômes physiques ainsi que celle de la dégradation de la
santé en général est commune à tous les travaux concernant le burn out. On repère
systématiquement les symptômes identifiant le burn out : l’épuisement émotionnel, la
dépersonnalisation ou constat de cynisme dans les relations, l’inefficacité. L’apparition des
symptômes se fait toujours dans cette chronologie.
Les personnes qui souffrent d’épuisement sont généralement celles qui sont les plus idéalistes
et donc profondément engagées dans leur profession et même fortement engagées
émotionnellement. On remarque chez elles une grande volonté de réussir. Les objectifs ne sont
pas toujours clairement définis par l’institution ou par la hiérarchie ou sont irréalistes ce qui
laisse le champ plus libre à un engagement (trop) personnel. L’institution dans ce cas ne
représente pas le cadre nécessaire qui permettrait d’enrayer cet excès d’espoir dans une réussite
un peu trop absolue. Par ailleurs, les actions demandées ou attendues peuvent être en
inadéquation avec les valeurs ou l’analyse de la situation que fait le professionnel et ne pas
toujours avoir un sens cohérent. Les moyens ne sont pas toujours présents que ce soit la
formation suffisante, le travail en pluridisciplinarité, l‘organisation, et/ou les temps de réflexion
collective. La hiérarchie parait défaillante et pour le moins absente, éloignée des réalités de
terrain, alors que, particulièrement pour les cadres de proximité, leur rôle serait d’être plus
engagés auprès des équipes, de connaître et comprendre les situations, entendre les différents
points de vue et prendre des décisions en tenant compte de tous ces éléments. Finalement, les
professionnels de terrain se retrouvent très seuls.
Toutes ces difficultés sont à mettre en parallèle avec les besoins non satisfaits des
professionnels : besoin d’autonomie, besoin de contrôler ses actions, besoin de reconnaissance
et réalisation de soi à travers son métier, ces besoins concourant à la valeur que chacun
s’accorde, participant de l’identité professionnelle et de l’identité personnelle.
Ayala Pines (A.Pines,E.Aronson, D. Kafry 1990) précise même que l’épuisement et la lassitude
peuvent s’installer uniquement dans les situations où ces besoins ne sont pas satisfaits et donc
éteindre la motivation.
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A partir de ces éléments, il est possible d’établir des critères qui vont permettre d’analyser les
entretiens semi-directifs réalisés auprès des professionnels. Un fil de conversation sur un
forum spécialisé peut sur certains points enrichir la réflexion.
L’identification ou la définition de l’épuisement par les professionnels ou de leur
souffrance et les conséquences
Comment ont-ils vécu le fait de craquer ?
La/les difficultés rencontrées /l’évaluation qu’en fait le professionnel
Le soutien collectif, pluridisciplinaire ou hiérarchique
L’orientation, l’organisation des activités, les objectifs, les valeurs (projet
d’établissement et projet de service)
Les professionnels se sentent-ils reconnus dans leur fonction ?
Quels sont les outils leur permettant d’exercer leur métier ?
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Deuxième partie - Les entretiens
Avant d’organiser les entretiens, j’ai engagé un fil de conversation sur un site spécialisé :
Lesocial.fr. Il est difficile de relancer la conversation avec les internautes. Cependant, ces
premières réactions m’ont permis de confirmer la faisabilité des entretiens.
J’ai ensuite rencontré six professionnels. J’ai précisé que je réalisais un travail de recherche
sur le burn out des professionnels du social. Je n’ai pas évalué leur épuisement au moyen d’un
questionnaire par exemple, mais j’ai considéré que leur acceptation à une participation valait
comme une évaluation de leur part d’avoir souffert ou de souffrir d’un burn out.
I - Analyse des entretiens
Comment ont-ils évalué leurs difficultés comme étant un épuisement professionnel, ou un
burn out ? Quels sont les indices qui leur ont fait suspecter qu’ils étaient envahis par leurs
problèmes professionnels ?
Marina : Je n’arrivais pas à aller travailler, alors j’allais voir mon médecin. Je n’arrivais pas à
sortir de chez moi le WE – Je prenais une RTT le lundi mais le mardi je n’y arrivais pas non
plus. Le médecin me donnait des anti dépresseurs. / Je vais voir un médecin, le mien étant en
congés. Ce médecin m’a posé un tas de question et m’a dit que je souffrais de troubles
psychosociaux, m’a dit qu’il fallait que je change de traitement et que j’aille voir un
psychothérapeute. Je suis allée voir sur internet et j’ai vu des descriptions du burn out et j’ai
reconnu ce que j’avais.
Cédric : Au départ, je repère rien puisque j’ai la tête dans le guidon, je suis aveugle à tous les
symptômes qui pourraient m’alerter que je ne vais pas bien ou que je devrais lever le pied /
Donc épuisé, quand je rentrais chez moi j’avais pas digéré mon temps de soirée, des nuits j’ai
envie de dire très courtes, très agitées, ça veut dire qu’on repart le lendemain pas forcément
détendu, j’ai pas envie de dire avec une boule au ventre mais quand même un stress à se dire
aujourd’hui je suis encore à devoir faire mes preuves/ mon corps souffrait, j’avais mal aux
genoux, mal aux reins, j’ai eu un zona, tellement ça me rongeait de l’intérieur ; savoir si j’allais
continuer ou pas, démissionner ou pas, je rentrais chez moi, j’avais plein de crachats sur mon
dos ; non seulement c’était dur avec la hiérarchie mais c’était dur aussi avec les enfants.
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Lorsque j’ai été arrêté les enfants ont été surpris. / La médecine du travail – elle a dit on va
vous mettre en arrêt - 4 mois d’arrêt maladie, - c’est toujours dans mon dossier
Elise : je m’en suis pas rendu compte au début à quel point ça me prenait la tête ; ah mais je
m’en suis pas rendu compte parce que j’avais la tête dans le guidon/– je rentrais chez moi le
soir et mon ami me disait : mais il faut que tu fasses quelque chose, tu te rends pas compte, tu
es où là ? Mais non, je comprenais pas, tellement j’étais barrée dans ce truc là/ Je me suis mise
à pleurer au travail,/ je me rappelle pas comment je suis sortie de l’établissement, apparemment
je me suis arrêtée au secrétariat pour dire que je partais et je suis arrivée chez moi, je sais même
pas comment /je suis allée voir mon médecin généraliste ; lui il a compris en me voyant qu’il y
avait eu un clash à mon travail,/ Il m’a donné 15 jours d’arrêt. 15 jours après je suis retournée
le voir parce que je me sentais incapable de retourner travailler. Je le voyais bien parce que
chez moi, j’étais incapable de faire à manger, de m’occuper de la maison, et une perte de
confiance totale
Frédéric : La difficulté c’est de se détacher après le travail ; au bout de 7 ans, là je n’y arrive
plus ça prend sur notre vie personnelle –la vie personnelle le soir avec ma compagne, la nuit
aussi, ça me trotte – c’est des nuits blanches, c’est ça qui devient difficile même les we aussi,
quand on fait beaucoup de ballades avec ma compagne, ça me prend, ça me taraude, qu’est-ce
que j’ai fait, qu’est ce que j’ai pas fait. Pendant les vacances aussi, avant j’arrivais à me mettre
en jachère, vraiment oublier le travail/ J’ai un traitement anxiolytique.
Chantal : je me suis sentie en insécurité/ d’avoir tous les matins, du mal à partir au travail, de
retarder le moment de partir de , à la limite, de vouloir prendre quelque chose pour me rassurer
– emmener un livre pour lire le midi, je lisais jamais, emmener ma facture, tiens je ferai mon
chèque à midi mais je le faisais jamais, mais je le savais mais il fallait que j’emmène quelque
chose de la maison / quand je repartais le soir du travail de pas avoir eu le temps de penser de la
journée,/ J’ai eu une extinction de voix pendant 3 semaines. Cortisone, ça ne revenait pas, donc
j’ai été en arrêt de travail une semaine, reprise du travail, / J’ai fait un lumbago donc encore un
arrêt de travail. J’ai repris le travail et encore quelque chose et encore en arrêt. Je suis allée voir
un psychiatre. Il s’est mis en contact avec la médecine du travail et j’ai été mise à mi-temps
thérapeutique pendant un an.
Liliane : je n’étais plus patiente, je commençais à crier, / J’ai eu beaucoup d’absences les deux
dernières années (ensuite elle a démissionné)
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Chacun est totalement investi dans son travail et aucun des signes avant coureurs d’un
épuisement ne semblent les alerter. Ils sont fixés sur ce qu’ils ont à faire. Ils ne perçoivent pas
qu’ils perdent pied et que leur travail perd en qualité. Leur condition physique et
psychologique s’est dégradée peu à peu mais leur volonté d’atteindre les objectifs reste intacte
et ils ne perçoivent plus rien de leur état. C’est seulement au point extrême qu’ils réagissent en
allant voir un médecin qui pose le diagnostic.
Comment ont-ils vécu le fait de craquer ?
Marina : Ben oui, je suis responsable d’avoir craqué.
Cédric : moi je me sentais pas bien, pas un bon éducateur, comme une merde, c’est comme ça
que je me vivais
Elise : je ne faisais peut-être pas ce qu’il faut, / c’était parce que je savais pas bien m’y prendre,
j’ai entendu des choses de cet ordre là
Frédéric : (parle d’un autre lieu de travail où il considère que les conditions étaient plus
favorables) :
On n’était pas jugé
Chantal : J’ai l’impression d’être partie comme une voleuse,
Liliane : Quand on avait le cadre d’astreinte pour lui signaler qu’un enfant était pas rentré ou
était parti, c’était la première question : qu’est-ce que vous avez fait pour l’en empêcher ?
La culpabilité apparaît clairement même si la manière de la dire est détournée – en parlant d’un
autre lieu par exemple où elle n’existait pas - Il semble que ce sentiment de culpabilité soit
présent très tôt dans l’épuisement, culpabilité qui peut aussi être suscitée par l’entourage
professionnel voire par les cadres et on pourrait se questionner sur la part de cette culpabilité
dans l’impossibilité pour les professionnels de reconnaître leur mal être.
Après coup, Ils cherchent à comprendre, veulent donner du sens à cette lente descente, cette
brûlure interne dirait H. Freudengerber, ou ce craquage dirait C. Maslach.
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Comment est-ce que les professionnels expliquent l’enchaînement et l’ampleur des
problèmes ?
Marina : J’en faisais un peu trop/ Une chef de service qui a fait un remplacement a vu que je
m’investissais trop dans une situation très compliquée. Je n’ai jamais eu autant de situations
aussi compliquées en étant seule. / C’est un travail très dur le suivi AEMO Il faut avoir des
nerfs d’acier – ce que je n’ai pas/ ça fait quand même 6 situations sur les 29 qui étaient très
difficiles. / Les temps de synthèses sont agités. Tout le monde parle, on peut pas réfléchir
tranquille, aller au bout d’une idée. / Ce qu’on dit est tourné en dérision, on n’a pas plus de
piste de réflexion, Il n’y a pas de reconnaissance.
Cédric : c’est une période où il y a un turn over dans l’équipe, /. Je pense que je me suis
retrouvé un moment, le pilier de l’équipe et il a fallu gérer des personnes nouvelles et puis ce
travail, il fallait que je prouve, ça faisait 5/6 ans que j’étais là , j’avais déjà passé 2 ans difficiles
où je n’avais pas l’adhésion de ma hiérarchie/ l’impression de porter seul l’équipe/ j’agis en
disant je veux me persuader d’être reconnu comme bon éducateur et d’un autre côté on a
l’impression que plus on en fait et plus on vous en donne à faire . Et c’est ce qui s’est passé,
comme on est perçu comme quelqu’un qui est actif qui va jusque au bout de son action et qui
sait pas dire non – moi je ne savais pas dire non à mon chef – ce qui fait que dès qu’il y avait un
remplacement à faire ou un écrit en urgence à faire pour une visite ou pour un psychiatre, ou
un rapport d’incident, aujourd’hui j’ai envie de dire que c’est toujours travailler dans l’urgence
qui crée cet état de stress en fin de compte – on doit toujours avoir une capacité d’adaptation et
à un moment ma capacité d’adaptation s’est trouvée diminuée parce que j’étais usé à toujours
réagir à l’urgence, au quart de tour, à l’instant pour le moment d’après. / l’outil informatique est
intrusif dans notre vie privée, on reçoit des mails pour nous dire qu’il faut penser à telle ou telle
chose pour le lendemain à un moment donné on se demande où est la limite du début et de la
fin du travail
Elise : Ben oui, j’ai pris des coups, j’avais même des bleus sur les seins, et puis quand j’ai
averti la direction il faut faire quelque chose parce que moi j’en peux plus et carrément plus
mais c’était parce que je savais pas bien m’y prendre, j’ai entendu des choses de cet ordre là ; y
a eu ça et quand j’ai commencé à tirer un peu plus fort la sonnette d’alarme , comme par
hasard, enfin je l’ai perçu comme ça , on fait tout pour ne pas en parler, même plus en réunion ;
si on essaye de parler de Jérémy, on bifurque pour changer de sujet parce que…/ Il y avait pas
si longtemps que ça que l’on pouvait prononcer le mot autisme dans cet établissement ; J’ai
essayé de tirer la sonnette d’alarme, ça a fait un flop – je suis allée voir je ne sais combien de
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fois les psys,/ Moi, je voulais que l’on réfléchisse à son retour, comment on le prend en charge,
qu’est-ce qu’on fait avec ce jeune,
Frédéric c’est cet enfant surtout qui m’a… cette année surtout, les autres enfants on avait des
espaces pour en parler mais là vraiment cet enfant, ça nous a mis au sein de l’équipe en
mésentente avec les collègues, on n’est pas sur la même longueur d’onde, il nous a mis aussi en
difficulté / comme on parle (en équipe pluridisciplinaire) de moins en moins des enfants mais
qu’on parle des conflits d’équipe alors../ Des conflits entre les éducateurs et la direction mais
moi je ne me sens pas concerné. Mais ça envahit tout./ c’est pas réglé pendant les réunions alors
vous sortez des réunions, vous êtes sur votre faim/ plus d’espace pour en parler – vous rentrez
avec ça chez vous et vous attendez la réunion pour en parler mais y a pas d’espace pour en
parler
Chantal : il y avait de la violence entre les adultes, entre les enfants il y en a toujours eu mais il
y avait de la violence des enfants sur les adultes, des adultes sur les enfants, entre les adultes
entre eux , je dirais même entre la direction et le personnel,/ quand je repartais le soir du travail
de pas avoir eu le temps de penser de la journée,/ prise dans le mouvement sans arrêt, le
mouvement, le mouvement, le mouvement, sans arrêt tout le temps et donc pas de place pour
penser pour se poser ; / on arrivait plus à parler d’autre chose que des problèmes au travail et
plus à rire, à sourire, on était toujours tendus, je me sentais toujours tendue./ Ben si, il y avait
des temps de réunion mais on parlait pas ; c’était pas de la réflexion, c’était de l’organisation ;
c’était les projets, les orientations des jeunes, une sortie, un conseil de discipline demandé par
quelqu’un on en parle un peu mais point./ quand j’avais un problème avec un jeune, j’allais voir
son psy, mais des fois il le voyait pas donc il pouvait rien m’en dire mais c’était pas grave parce
que je pouvais quand même m’exprimer sur ce qui se passait et le psy m’en renvoyait quelque
chose – moi je le faisais mais j’avais pas de temps pour le faire, je prévenais ma chef de
service que je serais en retard mais j’avais pas le droit, elle me le disait, j’avais pas le droit,
mais je le faisais quand même
Liliane : quand j’ai été embauchée, un jour il y avait un enfant qui faisait une maquette, il m’a
demandé un cutter pour faire sa maquette, je lui ai donné et le collègue, le soir, me dit qu’il a
éventré des matelas – en fait il ne fallait pas lui donner de cutter à cet enfant – tout le monde le
savait mais moi je venais d’arriver – personne ne m’avait rien dit, il fallait que je me débrouille
toute seule ;/ il y avait les réunions de synthèse, de coordination etc. d’organisation, des projets
à mettre en place, oui on discutait des problèmes mais on ne trouvait pas de solution/
29
Si certains font état d’une surcharge de travail, ce qui parait réellement récurrent c’est l’absence
de dialogue, de réflexion et de pensée. Etre en permanence dans l’action, sans aucune
réflexion, empêche de se détacher, de prendre un peu de distance vis-à-vis des situations
toujours émotivement impliquantes, dans ce type de profession. Alors que l’épuisement
professionnel empêche de penser, on perçoit ici que cette absence de pensée peut être aussi à
l’origine de l’enchaînement des problèmes.
Peuvent-ils compter sur le soutien de leurs collègues, sur leur hiérarchie ou sur d’autres
professionnels ?
Marina : Votre chef de service vous soutenait ? (elle rigole) Elle le disait : Allez ! Je vous
soutiens ! Mais elle n’a pas pris du temps pour un rendez-vous une fois de temps en temps, je
sais pas une fois par semaine ou même une fois par mois pour qu’on puisse parler des
situations.
Cédric : à partir du moment où on ne rentre plus dans le moule de l’ITEP et qu’on est un peu
trop montré du doigt/ Parce que vous êtes en difficulté, vous devenez le paria des autres, des
collègues, de la hiérarchie ? De tout le monde. La configuration de l’ITEP ce sont des unités
qui vivent en autarcie ; on a pas de lien ensemble.
Elise : J’ai essayé de tirer la sonnette d’alarme, ça a fait un flop – je suis allée voir je ne sais
combien de fois les psys,/ le fait d’être complètement isolée dans mon groupe, parce que tout le
monde avait la trouille de Jérémy, donc j’étais une pestiférée aussi, et j’ai eu un sentiment de
solitude professionnelle mais énorme/ Des fois j’appelais au secours, personne ne venait, j’étais
toute seule / On est tellement dans le système qu’après on ne sait même plus demander de
l’aide.
Frédéric : Oui, il y a un manque de soutien, un manque de piste, de formation. Tout le monde
dit que c’est difficile. On nous dit il faut les tenir (les enfants). Il y a des éducateurs qui disent
être à la limite de la maltraitance. Ils sont pas soutenus.
Chantal : à partir du moment où je me suis sentie en insécurité, j’ai pris rendez-vous avec le
directeur pour lui dire : « là, il y a quelque chose qui va pas, parce que moi je me suis toujours
sentie en sécurité même dans les moments les plus difficiles et maintenant je ne suis plus en
sécurité c’est qu’il se passe quelque chose dans l’institution » et il m’a répondu : » les enfants
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sont là pour leur violence pas pour leurs cors aux pieds « donc qu’on me réponde ça et pas
autre chose et qu’on ne m’aide pas, c’est bien de la violence aussi ça. / de l’aide apportée par
notre chef de service, non il n’y en avait pas. / on était seul et on arrivait plus à communiquer
Liliane : il ne fallait pas solliciter ni le chef de service, ni le directeur, ni les collègues – c’était
à nous de gérer cette violence au quotidien ; moi je comprenais pas, les autres éducateurs me
disaient, c’est à nous de nous débrouiller, moi j’étais pas d’accord je voulais que la hiérarchie
intervienne et nous soutienne / En fait il y avait des rumeurs entre collègue. Pas de soutien, de
l’animosité entre plusieurs professionnels, tout était prétexte à se plaindre les uns des autres.
On remarque l’isolement de tous. Ils ne se sentent pas soutenus, ni par leurs collègues, ni par la
hiérarchie.
Il est utile de saisir comment les personnels peuvent comprendre les attentes de l’institution.
Pour se situer dans une organisation, il est nécessaire que les objectifs de cette organisation
soient clairs et clairement compris, que les attentes vis-à-vis du personnel soient aussi bien
délimitées.
Quels sont les objectifs de l’institution et quelles sont les attentes vis-à-vis des
professionnels ? Quel cadre est posé ?
Marina : Quels sont les critères pour écrire les rapports ? Chacun voit Il n’y a pas un
cadre précis ? Non, d’ailleurs j’ai dit à ma chef de service que j’ai vu des rapports dans
lesquels il y a des jugements sur les familles de la part des éducateurs ! Elle m’a dit que ça ne
me regardait pas. Donc chacun évalue en fonction de quoi, alors ? Ben .. En fait on doit
décider, il faudrait faire un travail sur nous même, on a que nous.
Cédric : à l’époque je vivais mon travail comme un.., je me réduisais à un simple gardiennage,
je ne voyais pas où allait mon action, comment la diriger Quand vous avez commencé cet
atelier, vous saviez ce que vous faisiez ? C’était un bouche trou – il fallait remplir les deux
heures qu’on m’avait demandées/ Au lieu de subir il vaut mieux agir ; déjà c’était encore un
sujet, j’aurais pu être rancunier vis-à-vis de mon chef, / Voilà, je suis dans une situation, où je
dois prouver que je suis capable de gérer un groupe l’après midi et en essayant de mettre une
thématique parce que si je dois faire des choses.. – pendant tout ce mois là, j’étais colère,
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colère, mais vraiment colère, de m’imposer quelque chose à laquelle je n’avais pas réfléchi,
colère d’être déjà en situation de travail parce que les enfants étaient déjà présents, ça faisait un
mois qu’on roulait et que je faisais un pseudo occupationnel à ne pas savoir quoi faire, quoi
mener comme activité, je voyais pas. Il a fallu que ma colère s’amenuise, s’éteigne pour me
dire je vais pas faire 10 mois comme ça sinon je vais péter un plomb, d’où la création petit à
petit, après avoir analysé le groupe que j’avais que je suis arrivé à construire l’atelier 4 saisons.
/ Moi j’ai eu la chance d’avoir un groupe fixe, les autres comme ils savent pas ce qu’ils vont
faire, les gamins, ça génère du stress, de l’angoisse, autant chez les éducateurs que chez les
jeunes, je le vois bien que le vendredi c’est de l’occupationnel – ils triment ils se demandent ce
qu’ils vont pouvoir faire, mais on leur a pas donné les moyens.
Quand un éducateur est recruté, l’institution ne prend pas le temps de lui expliquer le sens
du travail, il faut qu’il se débrouille ?C’est la formation sur le terrain, l’information sur le
terrain entre collègues – y a pas forcément, les pistes ou les conseils que la direction pourrait
donner ne sont pas les bonnes clés, j’ai en mémoire l’exemple d’un jeune salarié à qui la
direction a dit, il faut être ferme dès que vous arrivez il faut installer votre autorité, ben lui il a
pas craqué mais les enfants ont craqué sur lui.
Elise : Le projet d’établissement ? On reçoit des personnes déficientes, des personnes avec
TED mais il n’y a pas de groupe spécifique et ces personnes sont mélangées avec les autres.
Qu’en dit le centre ressource autisme ? Qu’il ne faut pas mélanger les personnes avec autisme
avec les autres. Ce n’est pas la même prise en charge. Il y a des choses qu’on peut mettre en
place et qui peuvent quand même servir pour les déficients intellectuels. Mais ne serait-ce que
ce qui est de l’ordre de la communication. Ils sont en général plus visuels. Il y a des choses que
j’ai apprises, un planning pour chaque gamin qu’il a dans sa poche, à tout moment s’il est
angoissé il peut regarder Est-ce que vous êtes en train de me dire qu’il n’y a pas tout ça ? J’ai
posé la question sur les méthodes ; D’accord mais il faudrait peut-être que tout le monde sache
ce qu’est le PECS par exemple (communication par image) comment on fonctionne avec les
personnes autistes, comment on met ça en place Les gens ne connaissent pas les méthodes, la
manière de faire avec les autistes ? Non Alors il y a un projet d’accueillir des personnes
autistes mais y a-t-il un projet éducatif pour ces personnes ? Non, on va pas les aider les
personnes autistes, ça ne fonctionnera pas ça c’est sûr ; Est-ce que ce sont les éducateurs qui
montent les projets, qui se débrouillent ? Ben oui, ce sont les éducateurs qui se débrouillent.
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Frédéric : (dans cette institution tous les éducateurs doivent animer un ou plusieurs ateliers) Ça
fonctionne bien votre atelier ? Oui très bien, je vais aussi en ouvrir un à l’extérieur pour une
association qui s’occupe de femmes en difficulté. L’atelier slam, ça a été un combat au début,
c’était apparenté à de l’art de la rue, au rap, j’ai dû argumenter, faire 5/6 pages pour expliquer,
j’ai dû faire mes preuves. Finalement à la kermesse quand ils voient les enfants slamer …– pas
de prise de risque, s’autoriser à..C’est quoi les risques ? Je ne sais pas, peut-être la peur que je
leur apprenne des gros mots, ils faisaient allusion au rap Qui ? La direction – j’ai proposé un
projet écrit, bien développé – et la kermesse ça fait vitrine. L’atelier boxe aussi – c’est la
pédopsychiatre qui l’a soutenu ce projet - l’ancienne directrice avait peur qu’ils utilisent la
boxe pour se battre et la pédopsychiatre lui a expliqué qu’au contraire ils pouvaient s’extraire
de leur violence avec un contenant, un cadrant.
Chantal : Ben le projet (moi j’étais sur la scolarité) c’était d’amener les jeunes à réintégrer une
scolarité normale, apprendre à lire et à écrire parce que la majorité ne savait pas, sortir de
l’institution en ayant des bases scolaires, voilà mais. / Les éducateurs qui sont arrivés les
dernières années n’étaient pas dans la violence, mais ils démarraient, ils savaient pas faire. Il y
en avait beaucoup qui savaient pas. La difficulté dans ce genre d’institution c’est de trouver du
monde pour travailler là. Parce que les adolescents caractériels, les gens y courent pas après.
Donc y avait des stagiaires, des contrats CES, des gens jeunes ou des gens qui avaient 40 ou 50
ans et qui avaient besoin de travailler et qui venaient là mais qui restaient pas, qui savaient pas
ce qu’il fallait faire, qui faisaient rien.
Le travail au quotidien parait déjà très compliqué. La question du projet de l’institution
semblait tomber à plat, cependant on peut échanger sur les actions quotidiennes. Elles ne sont
généralement pas reconnues comme faisant partie d’un ensemble général et d’ailleurs chacun se
« débrouille. » Ce qui parait surprenant c’est que les éducateurs semblent gérer le public
comme ils peuvent, en assumer la responsabilité au quotidien et que les orientations des
institutions sont absentes, incohérentes, pas comprises ou trop générales pour en tirer des
applications concrètes qui donneraient du sens aux actions des professionnels. Pour autant ils
travaillent et on remarque même qu’ils doivent quelquefois lutter pour mettre en place des
actions qu’ils maitrisent, pour lesquelles ils ont ailleurs plusieurs années d’expérience.
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Se sentent-ils reconnus, considérés, respectés, pris en compte ?
Marina : Il n’y a pas de reconnaissance. Mes collègues me disaient : tu n’as qu’a les placer (les
enfants) Je ne peux pas faire ça comme ça ! Tout le monde sait que c’est difficile mais personne
n’en parle, les responsables n’en parlent pas, on doit endosser, on est payé pour ça, on doit faire
face. Il y a des chefs de service qui sont plus reconnaissants que d’autres mais la nôtre est très
égocentrique, mais elle a quand même accepté qu’on fasse de l’analyse des pratiques. Il y a
déjà eu un remplaçant qui savait dire les choses, nous rassurer, être dans la reconnaissance, il
analysait plus les situations et restituait plus nos efforts. Il s’adaptait vraiment aux questions
qu’on se posait, il commençait pas ses phrases par des reproches ou des sous-entendus.
Cédric : en juin on est appelé sur notre temps libre pour faire des réunions d’équipe pour
organiser la rentrée de septembre, faire les plannings, construire les groupes et en septembre
tout ce travail là n’est pas pris en compte, on tient pas compte de ce qu’on a dit de ce qu’on a
pensé, elle est où la reconnaissance ? là je commençais à bouillir. On vous a imposé des
horaires ? Oui on m’a imposé des horaires et en plus de façon pas judicieuse ; j’apprends en
septembre que je travaille le vendredi après midi en collaboration avec l’éducateur technique
mais cette information là je l’ai que sur un planning hebdomadaire, sur une ligne, je n’ai aucune
autre information, c'est-à-dire que depuis le 1er
septembre jusqu’à la fin. / Si j’étais en usine le
résultat de mon travail serait concret et palpable – là, ce n’est pas du tout le cas, donc ce qui
veut dire que la reconnaissance que j’ai aujourd’hui c’est 10 ans après les premiers jeunes dont
je me suis occupé qui reviennent et qui évoquent avec moi ce qu’ils ont retenu de leur vie dans
l’institution, les moments forts, les moments les moins agréables et la reconnaissance est là,
quand je vois un ancien qui pousse la porte de l’institution.
Elise : des examens de sang pour contrôler son traitement, qui n’étaient vraiment pas bon, et le
médecin a baissé son traitement. J’ai pas été au courant et puis je me suis aperçu qu’il avait de
plus en plus de stéréotypies et qu’il commençait à être agressif avec moi ; je me demande ce
qui se passe et là j’apprends que son traitement a été baissé , on va lui en donner un autre ; je
vais voir le psychiatre pour savoir ce qu’il y a, je ne suis pas au courant et il me dit ben oui, au
niveau de sa santé, les analyses de sang sont vraiment très mauvaises, on va mettre un autre
traitement en place./Je suis allée en formation, j’avais plein de documents, des fiches pour faire
des transmissions, les éléments de travail avec les autistes, comment on écrit un projet
personnalisé pour une personne autiste, ce n’est pas la même façon que pour un enfant
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déficient, il y a des choses à préciser, ce pavé, je l’ai donné à ma chef de service quand je suis
rentrée de formation. Je lui ai dit, ça c’est une mine d’or, dis moi ce qu’on peut utiliser dans
l’établissement ; elle m’a dit, ah oui ça m’intéresse ; la semaine suivante le « paveton » était
dans mon casier avec un mot : merci, j’ai photocopié ce qui m’intéressait, pour l’instant on
continue comme toujours. Là, j’étais déconfite – ça a été un déclencheur. Je me suis dit, ils
m’ont payé une formation et le retour que j’en ai c’est ça, ce truc ça m’a fait culpabiliser, je me
suis éclatée, j’ai appris plein de choses, j’ai compris un peu mieux comment on s’occupe des
personnes autistes et je vais pouvoir mettre quelque chose en place et là, fff, ben non, tu vas pas
t’en occuper comme il faudrait, tu continues comme avant ; ça veut dire quoi ? ça veut dire
qu’on veut pas avancer, qu’on m’a empêché d’avancer et pendant ce temps là on maltraite les
enfants. /
Frédéric : le pôle éducatif n’est pas assez entendu, écouté, manque de confiance – il y a même
une expression : on est bon qu’à donner du dentifrice aux enfants. Pour dire un peu le mal être.
/ de plus en plus, il y a non reconnaissance de l’identité éducative ; par la direction mais aussi
par le pôle thérapeutique – quelquefois il y a des décisions qui sont prises entre le pôle de
direction et le pôle thérapeutique sans associer les éducateurs. Des décisions sur quoi ?Les
orientations des enfants, des rendez-vous, sur des traitements là ça me concerne aussi, parfois
un enfant qui n’arrive pas à dormir – on pense à un traitement léger et on découvre qu’il a de
l’atarax, voilà – vous vous dites qu’est ce qui se passe ? on aurait aimé que ce soit parlé ; ce
qui est difficile c’est qu’après vous avez les parents qui vous disent qu’ils ont lu dans le cahier
que l’infirmière a noté que l’enfant a de l’atarax, mais comment ça ? Alors, là vous êtes
démuni – on leur suggère de téléphoner à l’infirmière et à la pédopsychiatre – mais on a le
sentiment que c’est à deux vitesses. – il y a d’autres exemples où les éducateurs ne sont pas
associés ?Oui, des rendez-vous famille Qui prend les rendez-vous ?La chef de service
coordinatrice –avant c’était parlé ensemble. Avant Noël je vois arriver le papa de Sullivan qui a
un rendez-vous avec la pédopsychiatre alors que je ne suis pas au courant et je suis référent de
cet enfant.
C’est un papa qui vient de l’autre bout de la France donc c’est difficile de le faire se déplacer
alors là on aurait pu « faire d’une pierre deux coups » mince alors. J’en parle parce que ça me
concerne et on me répond : bah oui, on a oublié, on n’a pas pensé – c’est particulier.
Chantal : je faisais des projets, je cherchais des idées, je les transmettais par écrit à ma chef de
service et puis voilà, mais ça faisait rien ; un jour je lui ai expliqué ça, j’ai réfléchi à des
manières de s’en sortir, j’ai eu des idées, je vous ai donné des projets, ils sont où ? Elle a ouvert
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son tiroir et ma pile de projets était là. Elle en a jamais rien fait. / Il y avait une nouvelle chef de
service. J’ai cru que ça allait changer. Elle a tenu compte de chacun. J’étais à mi temps et chez
moi je travaillais pour construire des projets et préparer la rentrée suivante. A la rentrée
suivante je devais avoir un nouveau poste et je l’ai pas eu. Elle l’a donné à quelqu’un d’autre.
Elle a pris mes idées, elle a mis en place mes projets mais avec quelqu’un d’autre. Plus jeune.
Je devais avoir une autre salle mieux aménagée, avec un ordinateur et assez pour occuper les
jeunes, faire un sas en fait et je voulais sortir avec les jeunes pour faire des enquêtes métier.
Leur faire découvrir des métiers ; j’avais pris rendez-vous avec des entreprises, on avait
commencé et ensuite on faisait des comptes rendus, je faisais faire des comptes rendus par les
jeunes de ce qu’on avait vu ; ça marchait bien – c’était plus concret, je ne voulais plus être dans
le vague, avoir des vrais projets. Entre temps j’avais fait une formation universitaire «
approche psychopathologique et éducative des adolescents difficiles » C’est à partir de cette
formation que j’ai pu construire des projets mais ils ont été utilisés par quelqu’un d’autre.
Dit ouvertement ou non, l’absence de reconnaissance est flagrante. Des décisions sont prises
concernant les enfants ou les personnes suivies sans même que les éducateurs concernés soient
informés. L’énergie qu’ils mettent en œuvre pour trouver des solutions dans le cadre des prises
en charge n’est absolument pas prise en compte.
Quels sont les outils de l’éducateur ?
Marina : notre seul outil c’est nous même.
Cédric : C’est à nous de construire des outils.
Elise : Avoir des projets
Frédéric : les outils, c’est l’équipe, les réunions, les formations. Et le travail avec les partenaires
et avec la famille.
Chantal : Dans mon cas, en premier c’était l’accueil et le silence
Liliane : C’est ce qu’on a au quotidien
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A cette question, ils ont peu de chose à dire alors que de définir les outils, permettrait aussi de
définir un peu mieux leur métier et leur identité professionnelle. Ils ont des outils, ils s’en
servent mais n’ont pas forcément le sentiment que ce soient de vrais dispositifs éducatifs, de
réelles compétences. Difficiles dans ces conditions d’analyser les effets puisqu’il n’y a pas
d’attente de résultat spécifique.
Je relève à ce sujet deux commentaires d’internaute - Plumette : Notre problème est que
souvent nous parvenons à nous décrire mais par la négation (ex: hé oh moi je ne suis pas psy
ou un simple animateur!) Nous avons des difficultés à nous décrire, décrire notre spécificité et
nos compétences
Et Flo : La grande spécificité de l'éducateur est le fait qu'il doive trouver en autonomie des
moyens d'atteindre des objectifs pour l'usager en mêlant quelques connaissances pratiques à sa
propre personnalité. Car finalement, notre savoir-être est notre seul véritable outil pour
accompagner.
II - Discussion
Dans le discours de chacun apparaît l’investissement important dans leur travail. Ils sont
totalement habités par les résultats possibles et perdent de vue leur propre souffrance.
Cependant les résultats attendus n’apparaissent pas clairement. Nous retrouvons ici les causes
du burn out signalées par H.Freudenberger. Il parait évident de ne pas oublier de signaler le
sentiment de culpabilité de ces professionnels. Est-ce que l’impossibilité de percevoir leur
propre souffrance n’est pas finalement en lien avec ce sentiment ? Leurs explications donnent
aussi l’impression que cette culpabilité vient comme seule raison possible de leur épuisement.
En les questionnant un peu plus on perçoit l’absence de distanciation – donc un investissement
trop important – qu’ils expliquent par le manque de temps de réflexion, d’échanges, de travail
pluridisciplinaire. Ils sont aspirés par l’action et n’ont plus de temps pour penser.
L’impossibilité de réfléchir est également citée sur le fil de discussion du forum le social.
( Dédale, on ne me demande plus de réfléchir, d’improviser, de prendre des risques, de
débattre, d’échanger, d'inventer, de prendre des initiatives, mais juste d'écrire des projets que
personne ne lit, que nous n'arrivons pas en mettre en œuvre - Laure, on se bat pour donner du
sens aux actions, pour que les choses qui sont faites (entretiens, accompagnements divers,
projets perso etc.) soient réfléchies en amont et en aval, pour qu'il y ait de la réflexion et que
les actes prennent compte de la singularité des personnes - ) Ils se disent en général assez
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isolés, sans soutien, quelquefois uniquement de la hiérarchie ou des psychologues et
quelquefois aussi de leurs collègues. Chacun tente de se préserver comme il peut et ne
s’implique pas dans les difficultés de l’autre. Les cadres ne perçoivent pas la souffrance des
professionnels de terrain ou ne savent pas comment y remédier. Ils ont même des attitudes
culpabilisantes à leur égard et la première dépersonnalisation est peut-être ici. Voici à ce sujet,
le commentaire de Nabs sur le forum le Social : Le burn out, c'est la déshumanisation des
éducateurs, des maîtresses de maison, des stagiaires, de tout le personnel. Il y a certainement
une relation à faire entre ce qu’ils vivent en tant que professionnels et l’attitude qu’ils peuvent
ensuite avoir avec les personnes accompagnées. Cette dépersonnalisation des publics,
soulignée autant par H.Freudenberger que par C.Maslach transparaît quelquefois dans leur
attitude désespérée. Finalement les professionnels ne voient plus que les difficultés ou les
problèmes de comportement des personnes accompagnées. Un manque d’empathie pour les
personnes accompagnées note Flo, sur le forum le social. On remarque aussi l’impossibilité de
définir clairement les projets des institutions, ce qui est spécifiquement attendu dans leur
service et quel rôle ils ont à y jouer. Les définitions très généralistes ne peuvent pas leur
permettre de clarifier leur propre fonction. Les objectifs généraux et à très long terme ne
constituent pas des supports suffisants pour construire des actions sur le court terme et dans le
quotidien, dans l’ici et maintenant. Ces actions ont donc peu de sens quant à leurs effets
possibles. Laure, sur le forum, l’expose ainsi : Les objectifs de l'établissement sont expliqués
dans les projets associatifs et d'établissement, mais bien souvent tout ça ce n'est que de l'écrit
pour faire joli, car dans la réalité les moyens ne sont pas donnés pour parvenir aux objectifs
cités (en gros viser à l'autonomie, l'épanouissement, la socialisation etc etc).
On retrouve ici les manques de l’organisation soulignés par C.Maslach : des projets trop
généraux ou pas clairs, pas suffisamment de temps pour penser, se distancier et construire des
actions soutenues par la hiérarchie, des rôles mal définis.
Par ailleurs il est important de noter l’absence de reconnaissance. Les publics avec lesquels les
éducateurs travaillent ne sont pas dans la capacité d’être dans un échange reconnaissant de
l’aide apportée. Sauf, comme le souligne Cédric, lorsqu’un jeune devenu adulte, revient saluer
et dire tout ce que son passage dans l’institution lui a apporté, et que là, l’éducateur a quand
même le sentiment d’avoir posé sa petite brique. La reconnaissance est attendue de la part de la
hiérarchie et personne ne parait l’obtenir. Pas de reconnaissance ni dans les actions
quotidiennes, ni dans la volonté d’amener de nouveaux projets pour trouver des solutions aux
problèmes qui paraissent insolubles. On a vu que même là, les propositions ne sont pas
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retenues, les compétences non prises en compte. Ils ne peuvent pas dans ces conditions
exploiter leur capacité et tenter de maîtriser les difficultés rencontrées. Ils subissent mais il
n’est pas question qu’ils aient des idées pour traiter les problèmes, ce qui ne peut que leur
renvoyer une image négative d’eux-mêmes. Ils ne peuvent qu’être perdus et ne plus savoir
quoi faire. Alors qu’ils portent seuls l’accompagnement des publics, on pourrait se dire qu’ils
ont un peu d’autonomie. Ce serait confondre la réflexion collective permettant de trouver des
solutions en fonction des connaissances, des compétences et de la qualité de la relation qui a été
nouée, qui serait une manière de travailler en autonomie, avec l’isolement dans lequel se
retrouvent ces professionnels. Ces professions d’aide engagent émotionnellement. Le travail de
réflexion collectif et le positionnement des cadres n’est pas un frein à l’autonomie mais au
contraire la possibilité de l’atteindre. On ne retrouve donc pas ici les besoins
fondamentaux indiqués dans la théorie de l’autodétermination : autonomie, compétence,
relation aux autres qui permettent de se réaliser. En reprenant la définition de la motivation de
Susan Fiske on note que l’appartenance à un groupe semble plus que compromise par les
conflits et par l’absence de définition claire des rôles. Cette absence de définition claire peut
influer sur la perception que l’on a dans les propos, du manque de considération vis-à-vis de
ces professionnels comme s’ils étaient quantité négligeable, perception qu’ils semblent avoir
aussi d’eux-mêmes. Le besoin de comprendre et de contrôler n’est pas pris en compte par
l’institution puisque leurs propositions restent dans les tiroirs. Les éducateurs semblent exclus
de certaines décisions prises par d’autres membres de l’équipe pluridisciplinaire ou par la
hiérarchie. Ils ne peuvent donc rien maîtriser. Il est bien difficile dans ce cas de travailler en
confiance et de garder un peu d’estime de soi.
Il est nécessaire que le travail s’effectue dans un cadre spécifique. Laisser seul l’éducateur
porter les situations c’est prendre le risque qu’il s’engage dans une évaluation des
problématiques plus centrée sur l’émotion que sur le problème lui-même et qu’il s’enlise.
L’éducateur n’est pas un expert qui peut gérer seul les accompagnements puisqu’il s’agit d’une
relation humaine. Dans ce domaine ce n’est pas de l’expertise mais un cheminement progressif
qui constitue l’essence du travail. Un cheminement fait d’essais, de recherches et d’à peu près.
Nous avons vu dans la gestion transactionnaliste du stress que le soutien perçu influence le
contrôle perçu. Il faut souligner qu’il existe encore dans un certain nombre d’institutions la
possibilité de bénéficier d’analyse des pratiques avec des intervenants extérieurs. En l’absence
de soutien réel ou possible, de temps d’analyse des pratiques mais tout autant du soutien de la
hiérarchie, on ne peut attendre des éducateurs qu’ils soient très efficaces longtemps dans leur
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recherche de solution et dans l’accompagnement quotidien. D’ailleurs sans plus aucune
solution ils finissent par craquer.
La question n’a pas été ouvertement posée lors des entretiens mais où sont les cadres de
proximité ? Ce qui transparaît c’est la surcharge de travail administratif mais aussi le besoin de
se protéger eux-mêmes des situations qui paraissent inextricables.
Sur le forum, quelques commentaires signalent également l’absence des cadres : Laure : au
contraire il serait + que nécessaire que la direction ait connaissance des enjeux de
l'accompagnement des personnes, et des problématiques liées à chacune d'entre elles. Flo :
Laure je rejoins absolument ton point de vue par rapport au fossé qui se creuse entre les
professionnels du terrain et la hiérarchie qui est de plus en plus happée par des questions
d'ordre politique, Alex : je pense que les conseils généraux, les a.r.s, (agences régionales de
santé) les directions oublient les difficultés que nous rencontrons au quotidien dans la prise en
charge des publics accueillis.
Finalement, toutes ces remarques laissent le sentiment que les professionnels de terrain et le
personnel d’encadrement ne regardent pas dans la même direction.
Nous voyons dans ces cas d’usure professionnelle des arrêts maladie à répétition ou de très
longue durée, certains évoquent un fort turn over dans leur institution. Ces éléments démontrent
en eux mêmes la nécessité de trouver des solutions pour tenter de sortir de ces
dysfonctionnements coûteux financièrement et humainement.
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Troisième partie : Comment faire face ?
I - Pourquoi lutter contre le burn out ?
Il serait possible de mettre en avant la loi qui fait maintenant obligation à l’employeur d’être
attentif à la santé des salariés comme précisé dans l’article L 4121-1 du code du travail :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé
physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des
circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Mais il est tout aussi essentiel de rappeler le coût engendré par les arrêts de travail successifs
ou prolongés. On remarque également dans certains établissements un turn over important.
Cela signifie une recherche constante de nouveau personnel, pas toujours qualifié, qu’il faut
former rapidement, en ne les laissant pas seuls dans un premier temps. Cette urgence annonce
une surcharge de travail pour les professionnels en poste qui doivent former leurs nouveaux
collègues. Il n’est pas rare que cela se reproduise plusieurs fois dans l’année. Les personnes
accueillies ou accompagnées ne peuvent qu’être insécurisées par ce manque de repère constant
ce qui engendre moins d’efficacité dans les actions. Nous avons aussi noté dans le rapport de
l’UNIFAF que 70 % des signalements de mauvais traitements au public révèlent qu’ils ont lieu
dans des établissements ayant un dysfonctionnement avéré. Il est donc possible de constater un
lien évident entre l’état de santé du personnel et la bientraitance, ou la maltraitance du public.
Les professionnels comme les établissements font état d’une aggravation des symptômes des
personnes accompagnées. Les personnes en difficulté subissent les changements sociaux, et
l’augmentation des difficultés qui y sont liées ainsi qu’une restriction de l’aide et de
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l’accompagnement en raison des réductions budgétaires. Les personnes accompagnées
présentent donc de plus en plus souvent des situations très dégradées. Les établissements n’y
peuvent certes pas grand-chose, alors qu’ils sont eux-mêmes dans l’obligation d’être attentifs à
leurs dépenses. Toutefois, nous avons remarqué que ce n’est pas la plainte essentielle des
professionnels. Ceux-ci attendent du sens, du soutien, un positionnement clair de leur
hiérarchie et une prise en compte de la réalité de terrain et des problématiques des publics dans
les décisions qui sont prises. De plus en plus, la formation des cadres en raison des
modifications du secteur, les oriente vers la gestion qu’elle soit financière ou administrative et
ne prépare pas toujours à rester dans une suffisante proximité ou une juste distance des équipes,
à comprendre les attentes et les besoins des personnels, à savoir faire faire. Certains
établissements ont d’ailleurs renoncé à ce que les cadres de proximité, surchargés par les tâches
administratives, jouent ce rôle, en nommant des éducateurs, coordonnateurs de l’équipe. Les
éducateurs qui sont dans cette position ne savent pas mieux comment s’y prendre et sont
souvent en difficulté avec leurs collègues en raison de leur statut très flou. Le conflit se déplace
mais continue de perdurer.
On peut continuer d’ajouter des strates le problème restera le même, voire s’amplifiera.
Est-ce que les cadres de proximité peuvent agir ?
Comment peuvent-ils faire pour permettre aux équipes de se sentir soutenues, respectées et
reconnues ?
Est-ce que les éducateurs peuvent aussi repenser leur positionnement afin de ne pas se laisser
envahir par les comportements des personnes qu’ils accompagnent ?
Sans revoir les fonctions des uns et des autres dans leur totalité, il peut être envisageable de
reprendre les points qui semblent importants pour l’équilibre de tous et qui constituent des
points d’appui pour faire face aux difficultés.
II - La posture des cadres de proximité.
. Depuis quelques années les orientations du travail social ont favorisé des méthodes de
management importées du monde de l’entreprise pour laquelle l’impératif est le profit à
n’importe quel prix (humain et social). Il est tout à fait paradoxal de « faire du social » dans
ces conditions au risque de diluer le sens des pratiques.
42
Le projet d’établissement définit – pour la partie qui nous intéresse – la stratégie et les objectifs
mais plus encore, à travers cette définition, il est censé réunir les actions de tous les membres
de l’organisation autour des besoins du public.
Mais une internaute signale : le projet d’établissement, les écrits, c’est pour faire joli. Ce
qu’elle indique par ses propos est l’absence de sens. Comment définir le sens ? Il est possible
de retenir ici ce mot comme indiquant une direction et une signification.
1) Donner du sens
Penser des objectifs réalistes donne une direction, penser les actions nécessaires pour atteindre
les objectifs, en lien avec des valeurs communes donne une signification au travail. Il est
essentiel que les dires et les actes soient concordants et le sens ainsi porté par les cadres
légitime leur position. Par exemple, si l’on parle d’objectif, avec n’importe quel public et dans
n’importe quelle structure, c’est quasiment toujours l’autonomie qui est citée en premier
comme l’objectif logique et incontournable. L’inconvénient est qu’il s’agit d’un mot valise, que
tout le monde lui attribue une signification différente, en fonction de sa propre histoire, de ses
émotions, de son intérêt et que finalement personne ne comprend de quoi parle l’autre.
Il est donc essentiel de clarifier cet aspect, toujours en lien avec les valeurs, et de se fixer des
étapes faciles à atteindre pour éviter les confusions et pour générer une rétroaction positive, ce
qui sera gratifiant pour tous. Ce ne sont pas des consignes qu’il s’agit de transmettre mais un
dialogue qu’il est nécessaire de construire. Comme le dit M. Detchessahar « C’est bien d’une
activité de type dialogique dont il est ici question, et pas d’une communication de nature
instrumentale ou monologique. »
« Dans la discussion, la nature, la finalité et le sens de l’action à entreprendre ensemble sont
en jeu. » Et « l’espace de discussion est le medium à travers lequel se réalise l’ensemble des
arrangements, compromis et bricolages que supposent l’incomplétude de la prescription »
Il est important ici de rester attentif aux motivations et de ne pas perdre du vue l’intérêt du
public qui reste prioritaire au risque de se laisser envahir et de mal interpréter la commande
sociale. Nous avons vu que passer de la motivation autonome à la motivation contrainte
désengage totalement les acteurs.
Il est tout autant essentiel de réfléchir à la manière d’avancer dans la direction souhaitée. Sans
cela, le risque est de voir des professionnels exiger des personnes un comportement conforme
43
aux attentes et créer un climat contraignant, sans percevoir la violence sous jacente qui va
générer une ambiance conflictuelle et qui sera attribuée aux problématiques difficiles des
personnes accompagnées. En bref, il y a risque de malentendu entre la fin et les moyens, la fin
semblant urgente et les moyens n’étant pas correctement définis. En conséquence, l’espace
entre la situation actuelle et le résultat attendu est rétréci alors que l’action éducative ne peut
se faire que pas à pas et même à petit pas. En effet, si les outils pour exercer leur métier ne sont
pas suffisamment déterminés, avec le cadre de proximité, dans un travail d’élaboration en
équipe, tous les gestes quotidiens ne sont pas reconnus par les professionnels comme des outils
potentiels, faute d’être reconnus par la hiérarchie. Ces temps quotidiens sont pourtant d’une
grande importance pour créer des liens sécurisés, de la confiance et de l’être ensemble. Ce sont
des éléments qui constituent les outils essentiels de l’éducation spécialisée et pourtant nous
avons vu que les professionnels sont en grande difficultés quand il s’agit de décrire leurs outils.
Le rôle des professionnels est d’autant moins compréhensible que les attentes de l’institution
sont confuses. Ce métier représente en fait plusieurs professions en fonction des types
d’établissements et des publics ce qui ajoute un facteur rendant l’identité professionnelle bien
souvent incertaine. Il est donc incontournable de préciser les compétences attendues et
nécessaires définissant le rôle, car « l’ambiguïté du rôle est l’un des déterminants du stress
professionnel » (M.Bruchon-Schweitzer – page 282).
2) Construire un programme
L’institution a un projet dans lequel apparaissent les valeurs défendues. Les services éducatifs
ont généralement aussi des projets. Un projet c’est une intention mais qui ne décrit pas toujours
une réalisation possible. C’est toujours à venir, et on y retrouve trop souvent des généralités qui
ne peuvent soit être traduites en concret, soit ne pas avoir le même sens pour tout le monde.
Un travail de concertation permettra de s’engager vers une compréhension et un accord sur la
définition des actions. (Dans la concertation) « Les processus reposent sur une participation
des acteurs, active et souvent de longue durée, à la prise de décision, dans une optique de
coopération » H.Touzard (2006). Ainsi, construire un programme qui reprend ce qui existe, ce
qui se crée, à partir des outils enfin définis des professionnels, constituera un ensemble
d’éléments qui seront plus facilement dialogués et réinterrogés en équipe autour des objectifs
collectifs et individuels mais aussi en terme plus pragmatiques sur ce qu’y est vécu. Il est
possible d’y ajouter l’intérêt des actes quotidiens, leurs valeurs dans l’accompagnement et
souligner leur place dans les outils professionnels en spécifiant leur utilité et leur nécessité
éducative valorisant les actions et encourageant ainsi les professionnels à être réellement
44
acteurs dans les accompagnements. Trop de professionnels ont le sentiment de faire de
l’occupationnel, de la garderie (dans le sens péjoratif) de n’être là, comme le disait Frédéric,
que pour passer le tube de dentifrice. En un mot, ils ne se sentent pas reconnus car leurs
actions ne sont pas valorisées alors que chaque moment participe à la construction de la relation
éducative qui est centrale et incontournable, la base de tout travail éducatif. Certes cet aspect
n’est pas toujours évaluable mais c’est pourtant la force et l’épaisseur du lien créé qui est au
centre de ce métier, le levier de tout travail éducatif. Il n’est pas inutile de le rappeler afin de
continuer à donner du sens aux temps quotidiens et aux actions menées. Susan Fiske,
psychologue sociale précise bien que la nécessité d’avoir des relations fortes et durables est le
premier élément sur lequel s’adossent toute motivation. Il est donc prioritaire de travailler dans
ce sens avec tous les publics. Quant aux autres actions éducatives, (les activités, les ateliers, les
sorties, l’accès à la culture, les temps de dialogue, l’accompagnement dans une vie plus
autonome…) elles sont aussi d’une grande richesse qu’il est important d’expliciter pour ne pas
donner l’impression aux professionnels de faire de l’animation ou de l’occupationnel mais de
bien leur attribuer leur sens éducatif et socialisant. Cette manière de construire, avec une
équipe, des balises concernant ses actions, en signifiant l’intérêt de son travail pour le public
concerné est plus complexe mais plus opérant que de construire des règles et des normes à
l’infini qui laissent les professionnels en situation de gérer les personnes en leur faisant ingérer
des codes de comportement comme si l’éducation et la vie sociale se résumaient à absorber des
règlements.
3) Dialoguer
Même s’il est possible après quelques années d’expérience de trouver une juste distance, la
relation humaine reste engageante et difficile. Dans le temps d’analyse des pratiques, il est
faisable de travailler les enjeux et les nœuds de la relation éducative, cependant il n’est
généralement pas possible d’y élaborer des stratégies de travail. En dehors de ce temps
d’analyse des pratiques ou de toutes formes de réflexion, il est nécessaire que le cadre de
proximité reste à l’écoute des professionnels. Comme le précise M Detchessahar, « la
construction de la santé au travail dépend de la qualité des dynamiques communicationnelles
autour du travail. » Ce lien peut aussi se construire comme un espace sécurisé. Par exemple,
dans les entretiens réalisés, Marina explique qu’un de ses chefs de service savait prendre le
temps de l’écouter mais elle a aussi remarqué qu’il construisait ses phrases de manière à ne pas
lui faire de reproche, ne pas l’enfoncer, et l’encourager à trouver des solutions. Cette seule
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attitude lui permettait de travailler dans de bien meilleures conditions. Ce temps d’échange aide
à se centrer sur les solutions à mettre en place dans l’accompagnement.
Les difficultés sont récurrentes et pouvoir parler de ses doutes et de ses questionnements à sa
hiérarchie, lorsque les autres formes de travail ne suffisent pas ou ne suffisent plus, se sentir
entendu, participe à la reconnaissance et au soutien nécessaire pour remettre la pensée en
marche. La relative distance du cadre de proximité vis-à-vis des situations lui permet de se
décaler de la subjectivité inévitable et d’être dans une dynamique d’objectivation. De plus, sa
position l’engage à prendre des décisions, particulièrement lorsque plusieurs options de travail
sont envisagées ou lorsque apparaissent des désaccords dans l’équipe et connaître les situations
et les difficultés des professionnels sont des éléments utiles et nécessaires pour assumer cette
partie de sa fonction. Nous avons vu dans le rapport UNIFAF que cet aspect attendu par les
professionnels était souvent sans suite et donnait l’impression de ne pas pouvoir compter sur sa
hiérarchie.
Les cadres ont aussi tout intérêt à connaître le personnel, les difficultés de chacun, les
compétences plus spécifiques ou les talents individuels afin d’équilibrer le travail. Même
quand, ou même si les personnes ont toutes le même diplôme, les spécificités sont à prendre en
compte. Il est illusoire d’espérer de tous les mêmes qualités et la même aisance pour toutes les
compétences. Une bonne connaissance des équipes peut éviter des déceptions pour les cadres
qui attendent quelquefois certaines aptitudes ou certaines réactions impossibles en fonction des
personnalités. Particulièrement dans le domaine des relations humaines cette part n’est pas à
écarter car elle constitue une fraction importante de la façon d’investir son métier et de
l’exercer. Derrière le diplôme il y a des individus. Signifier aux professionnels des attentes qui
correspondent à leurs capacités, ou à leur domaine de prédilection est fortement motivant et
participe grandement à leur épanouissement personnel. « Nourrir les ressources
motivationnelles internes favorise l’autonomie et provoque un sentiment de compétence et une
émotion positive » (Johnmarshall Reeve 2012)
Finalement, nous pouvons reprendre l’origine du mot manager qui vient du français : ménager,
c'est-à-dire prendre soin, faire attention à.
III – Les professionnels de terrain
Les professionnels sont influencés par l’organisation dans laquelle ils travaillent que ce soit par
les orientations, les valeurs, les attentes à leur égard et la façon dont tous ces éléments sont mis
en œuvre par la hiérarchie.
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Cependant, il est aussi évident que leur identité professionnelle reste floue par delà les
contraintes de l’environnement immédiat. Les formations proposent une approche de
différentes disciplines : sociologie, psychologie, droit, médiations éducatives,… sans pour
autant constituer un corpus bien défini et « il est difficile de décrire les activités précises d’un
éducateur et combien les savoirs théoriques à l’œuvre dans leur pratique sont souvent mal
maitrisés par les professionnels ou du moins très peu explicites. » (Laurent Cambon – 2012)
Sans pour autant verser dans la description d’Alice Miller (1984) qui dénonce les méthodes
proposées par les pédagogues des siècles derniers qui préconisaient un dressage rigoureux et
violent des enfants, on remarque souvent une attitude éducative qui ressemble plus à un
rapport de force qu’à « l’aide au développement de la personnalité et à l’épanouissement de la
personne » comme indiqué dans le référentiel métier des éducateurs. Cette attitude démontre le
manque de distanciation par rapport aux difficultés mais aussi le manque de repère en terme de
savoir, savoir faire et savoir être qui s’articulent dans l’identité professionnelle.
Les professionnels souvent habités par un esprit militant qui a d’ailleurs participé à la création
de ce métier restent méfiants vis-à-vis des textes. Les politiques sociales ne tiennent pas
toujours compte des réalités de terrain auxquelles ils sont confrontés et ils remarquent que les
politiques engagées participent souvent à la dégradation des situations des personnes.
Certainement dans cet état d’esprit les professionnels ne se saisissent pas des référentiels qui
définissent leur métier, alors que la description qui en est faite et les fonctions qui leur sont
attribuées seraient un atout dans leur travail quotidien puisque dépassant le cadre institutionnel
qui peut être restrictif.
1) L’éthique
Bruno André Giraudon propose de détailler la trilogie : savoir, savoir faire, savoir être en
Savoir = Théorie + pratique - Savoir faire = Techniques + pratique - Savoir être = pratique +
éthique.
L’éthique est de plus en plus au cœur des questionnements. La loi de 2002.2 rénovant l’action
sociale impose de nouvelles pratiques dont l’interprétation qui en est faite participe au
délitement des relations entre les professionnels et leur public. L’éthique vient rappeler de ne
pas escamoter la dimension humaine.
L’éthique du Care propose comme traduction possible : le prendre soin, le souci de l’autre.
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Dans les professions du social il est primordial de le situer comme ligne conductrice de tout le
travail engagé.
Comment éviter de définir les difficultés des personnes par leur comportement inadéquat ? En
effet, il n’est pas rare d’entendre : celui-ci est intolérant à la frustration, celle-ci est agressive,
untel ne fait aucun effort pour maintenir sa scolarité, ou l’autre est toujours en conflit avec ses
voisins etc… ce à quoi on propose, du cadre, des limites, des interdits. Cette manière de
concevoir le métier est plus que restrictive et ne peut qu’installer un rapport de force continuel
qui ne fera qu’aggraver les comportements à moins que les personnes ne finissent par se
soumettre aux exigences des professionnels.
Lorsque Laurent remarque que la cuisine de l’appartement qu’occupe ce jeune majeur est en
désordre et que la vaisselle n’est pas faite, il commence par lui rappeler le « cadre » c'est-à-
dire les conditions d’occupation de l’appartement. André réagit vivement, le ton monte et
Laurent le menace de le faire revenir dans l’établissement, le privant ainsi de ce début
d’indépendance. André cèdera !
Juliette se plaint car elle a prêté un vêtement à Irène et que celle-ci ne lui rend pas prétextant
qu’elle ne sait pas ce qu’elle en a fait. Le conflit éclate et la réaction de l’éducatrice est juste de
rappeler que le règlement interdit les prêts !
L’accompagnement éducatif ne se réduit pas à appliquer ou faire respecter des règles. A aucun
moment ces jeunes n’ont été pris en compte, n’ont pu dire leur ressenti et construire des
solutions avec les éducateurs qui leur permettraient de comprendre le sens des interdits et
éviteraient d’appuyer sur la culpabilité. Les relations sont faites d’interactions et il est certain
que ces personnes nourriront une certaine animosité contre les éducateurs ou pour le moins le
sentiment de ne pas compter. On attribuera leur attitude à leur personnalité, à leur pathologie ou
à leur manque d’éducation. L’interaction dans laquelle les professionnels jouent un rôle sera
complètement escamotée. L’accompagnement éducatif sera plus compliqué si les personnes
accompagnées sont réticentes parce que ne se sentant pas considérées pour ce qu’elles sont.
Alors que nous voyons que l’épuisement professionnel entraîne un certain cynisme,
(H.Freudenberger, C.Maslach) une déshumanisation, une manière de traiter les personnes
comme des dossiers ou comme des cas, à oublier l’empathie nécessaire, nous remarquons dans
ce type de travail éducatif, que le manque de prise en compte du ressenti de l’individu fait
quelquefois partie des méthodes de travail, et par conséquent précède et finalement influe sur
le risque d’épuisement professionnel.
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Toujours dans cette ligne, les éducateurs sont dans l’obligation depuis la loi de 2002.2
d’élaborer des projets individualisés. Cette obligation a été instituée afin de lutter contre la non
prise en compte des individus, de leurs envies, de leurs choix et engager la profession à agir
dans le sens des attentes ou des besoins des personnes.
Toutefois, la tentation est grande d’influer sur les choix des bénéficiaires, ou d’imposer des
exigences venant de l’institution qui souhaite des résultats rapides, selon que les personnes
soient dans la possibilité ou l’impossibilité d’émettre un avis. Alors, les professionnels, se
piègent eux-mêmes en y prévoyant des modifications du comportement qui deviennent
contractuelles et ce particulièrement dans les établissements ou services éducatifs qui se veulent
normatifs. Est-il possible que quelqu’un modifie son comportement parce qu’un projet qu’il ne
maîtrise pas complètement, l’y engage ? C’est ici la disparition du sujet par la recherche de
l’obtention d’un comportement adapté obtenu par une « douce » contrainte. Le résultat risque
d’être une amplification des comportements négatifs des personnes et une méfiance vis-à-vis
des éducateurs. Cela participera à l’impression des professionnels de ne pas pouvoir atteindre
les objectifs fixés, (H.Freudenberger ) leur donnera le sentiment que leur travail n’a pas de sens
et alimentera un sentiment d’échec. Comment faire ? L’écoute du dit et du non dit participe de
l’éthique en invitant à comprendre l’autre et à lui donner une dimension dans l’espace de
l’accompagnement. Il est certain que l’équilibre est difficile à trouver entre l’empathie
nécessaire et la distance protectrice pour le professionnel.
Ecouter ce n’est pas mener une banale conversation mais se situer dans une position de
professionnel qui décrypte le discours de l’autre pour lui permettre d’exister. L’écoute est une
technique qui s’apprend. Les éducateurs auraient tout intérêt à s’y former. Il s’agit dans
l’accompagnement éducatif de comprendre le point de vue de l’autre et d’entrer dans son cadre
de référence. De comprendre les comportements, les attitudes inadéquats comme une
expression d’un mal être dont il faut d’abord dénouer le sens. Comprendre c’est aussi accepter
une vision de l’environnement et des situations qui est différente de la sienne et qui peut
paraître quelquefois incompréhensible pour le professionnel. C’est aussi savoir écouter sans
juger, sans faire de reproche, sans moraliser. Par exemple, Caroline, mandataire judiciaire veut
absolument faire démolir la maison d’un de ses bénéficiaires. Elle est insalubre, il y a des rats
et elle n’accepte pas que cet homme vive dans ces conditions. Finalement, elle comprendra que
cette maison est celle de la mère de cet homme et qu’il vénère tout ce qui lui a appartenu. Tant
qu’elle s’obstinera à vouloir le faire quitter son domicile, il restera sur la défensive. Ce qui lui
49
parait à elle inconcevable comme cadre de vie, est à cet instant, essentiel pour lui ce que
finalement elle acceptera.
Tom est exclu d’un établissement parce qu’il a fortement bousculé une éducatrice. Il arrive
dans un nouvel établissement, tendu et sur la défensive. Il a la possibilité de dire sa version des
faits. Sans réaction jugeante ou moralisante face à lui, il dira sa souffrance de ne pas avoir été
considéré et respecté ce qui d’après lui a généré son geste. La possibilité d’expliquer ce qu’il a
ressenti l’apaise et la discussion sereine qui s’engage l’aidera à penser d’autres attitudes en cas
de difficulté. Il pourra ainsi donner du sens à son acte et saura mieux mettre en avant dans
l’avenir ce besoin de respect mais dans le dialogue.
L’attitude bienveillante, indispensable dans cette écoute, implique de ne pas juger, de ne pas
minimiser ce qui peut être important pour l’autre mais qui parait insignifiant à la personne qui
écoute et de tenter de comprendre même ce que l’on considère comme inacceptable, dans une
intention d’accueil, ce qui ne veut pas dire, être d’accord. C’est aussi quelquefois mettre les
mots sur ce que l’autre ne peut pas verbaliser, des émotions qui les submergent, qui dirigent
leur comportement et qui n’ont pas de sens tant que quelqu’un n’aura pas aidé à mettre les mots
sur ces ressentis.
Prendre ainsi en compte la personne, ses questionnements, ses angoisses mais aussi ses envies
et ses projets aidera à ne pas projeter ses propres attentes et évitera ainsi d’être en décalage
entre les objectifs que l’on se fixe et la réalité des possibilités de la personne ou de son choix de
cheminement différent de ce qu’on imaginait.
2) La relation éducative
La difficile progression ou l’absence de changement est quelquefois attribuée à la mauvaise
volonté des personnes. Pourtant comme le dit Philippe Gaberan 2012 – page 49 « A quelques
très rares exceptions près, il n’y a pas d’individu qui choisisse stratégiquement de se tenir en
dehors de l’existence et fasse délibérément le choix d’être exclu ou assisté ».
Il n’est pas rare d’entendre : il ou elle changera que s’il en a la volonté ou bien, s’il ne prend
pas conscience qu’il est seul responsable de ses difficultés, on ne peut rien faire. En tenant ce
discours, les professionnels mésestiment l’importance de la relation qu’ils peuvent créer, qui
étant satisfaisante pour les personnes accompagnées devient le levier de tout changement mais
quelquefois aussi de toute envie de changement. « Pour être satisfaisant, le lien social entre
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soi-même et l’autre doit être caractérisé par le fait que l’autre personne se soucie de mon bien
être et que ce que je suis authentiquement est considéré comme important aux yeux de
l’autre. » (Johnmarshall Reeve 2012) La relation éducative est le premier outil de l’éducateur.
Denise est éducatrice en Centre d’Hébergement et de Réadaptation Sociale qui accueille sur
son service des familles en appartement ou en petit pavillon. Dans une des familles, elle
remarque que c’est Madame qui prend toutes les décisions, qui gère, très mal, le budget alors
que Monsieur semble passif, ne dit jamais rien, n’intervient pas dans les échanges et ne parle
jamais de lui. Il lui a proposé de venir voir le jardin qu’il a décidé d’entretenir. Denise n’a pas
le temps et n’en voit pas l’intérêt. L’important pour elle c’est qu’il s’implique dans la gestion
du budget (il y a énormément de dettes) et dans l’éducation des enfants. Conseillée par des
collègues, elle va prendre le temps d’aller voir ce qu’il a mis en place. Il a prévu un jardin
potager et lui explique en détail tout ce qu’il a entrepris. Lorsqu’ils rentrent dans la maison et
s’installent autour d’un café, il commence à parler de lui et lui raconte son parcours. Après
coup, elle comprendra qu’il tenait à montrer, sans pouvoir le verbaliser, qu’il s’investissait de
cette façon dans sa famille, en participant à la nourrir. La reconnaissance qu’elle lui a adressée
en prenant 20 minutes a été un déclencheur pour lui. Il a pris une place plus importante dans les
échanges avec l’éducatrice et sa position, certes toujours un peu en retrait a fait évoluer la
situation difficile de cette famille.
L’éducateur a une place importante, souvent plus importante qu’il ne le pense, dans l’esprit des
personnes qu’il accompagne. Le geste en direction de l’autre, l’attention qu’il porte, construit
un lien qui va les faire cheminer ensemble. La relation, sécurisante et contenante, est centrale
dans le travail et peut être considérée comme constituant l’outil principal du professionnel.
Evidemment comme toute relation, celle-ci engage émotionnellement. Il est illusoire de croire
qu’il est possible d’éviter tous sentiments. Certains le pensent, le disent : les sentiments dans le
travail social c’est dangereux ! Il faut garder ses distances ! Nier ce qui existe inévitablement
parce que partie constituante de l’être humain, empêche de travailler cet aspect et
particulièrement dans les temps prévus à cet effet (peu importe le nom qu’on leur donne :
analyse des pratiques, supervision…) D’ailleurs cette volonté de ne pas laisser ses sentiments
émerger se traduit généralement par une déshumanisation des personnes aidées, alors qu’être à
l’écoute de soi même aide aussi à comprendre l’autre comme le dit Michael Lemay « Le
pifomètre est parfaitement scientifique. Nous sommes des harpes qui vibrent et c’est dans
l’écoute des notes émises par ces harpes, y compris les fausses notes, que nous pouvons
rejoindre l’autre. »
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De quoi ont besoin les individus pour grandir, s’épanouir, se réaliser ? De sécurité, de
confiance, de comprendre le monde environnant, de reconnaissance. Le public accompagné
dans les structures sociales et médico-sociales en a tout autant besoin. Les difficultés de ces
personnes révèlent généralement ces manques. Ce qu’elles ont appris de la vie, les souffrances
qu’elles portent sont actives dans la relation éducative, ce qui rend celle-ci complexe et met à
mal les éducateurs, attaquant quelquefois l’estime d’eux-mêmes. C’est tout le travail de la juste
distance, jamais définitivement acquise, qui aide à ne pas vivre avec l’autre sa souffrance, à ne
pas prendre contre soi des réactions inappropriées, et à saisir la volonté d’exister chez l’autre.
La fonction de la relation éducative est de permettre de trouver cette sécurité, cette
reconnaissance et la possibilité de se sentir en confiance. Pour ce faire, il est aussi central de ne
pas considérer l’autre uniquement dans son histoire et avec ses symptômes ou sa pathologie
(ce qui est généralement très bien travaillé dans les services) mais de s’inscrire avec lui dans
l’ici et maintenant. Chaque moment de la vie, chaque relation, chaque interaction modifient la
perception du monde des individus et aussi la perception qu’ils ont d’eux-mêmes. La relation
éducative participe donc de ces modifications.
Se situer dans un compagnonnage, donc être avec mais à côté, ne pas décider pour l’autre du
chemin qu’il doit prendre et l’accepter, proposer un espace sécure où pourra s’exprimer toutes
les potentialités, n’empêche pas que le métier d’éducateur reste un métier difficile fait
d’incertitudes, mais pour autant cette façon d’aborder le métier participe grandement à éloigner
le burn out. La bientraitance du public, le refus de jouer le rôle du contrôle social, répondront
aussi aux aspirations de réalisation personnelle des éducateurs qui s’engagent souvent dans ce
métier avec un besoin d’y exprimer leur propre part d’humanité.
Définir ainsi des outils spécifiques d’un métier participe à la construction de l’identité
professionnelle. Une plus grande certitude dans la définition de soi même et de ses possibilités
participe à construire une position d’acteur. C’est un atout pour élaborer des objectifs, les
proposer, les défendre avec des arguments plus solides. Cela participe de la conception de soi
même et améliore sa propre estime.
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CONCLUSION
Le stress prolongé qui entraîne un épuisement, une brûlure interne, voit son origine dans des
fonctionnements d’établissements qui ne prennent pas en compte les besoins de l’individu mais
aussi dans des attentes irréalistes des professionnels qui se fixent des objectifs inatteignables.
Même si des lois récentes dans les métiers du social et du médico-social interviennent dans une
réorganisation du travail quotidien c’est la réalité quotidienne, l’expérience, les
questionnements des professionnels qui ne sont manifestement pas suffisamment pris en
compte dans l’organisation du travail.
Faire face au stress demande d’utiliser des outils qui engagent dans le dialogue et la
concertation entre les équipes et la hiérarchie pour donner du sens aux actions. Plus qu’ailleurs
peut-être cette manière de faire est ici nécessaire car l’investissement et l’état de santé des
professionnels a des conséquences directes sur le public accompagné.
Par ailleurs, les professionnels ont tout intérêt à se saisir des référentiels définissant leur
métier, à y inclure les points essentiels : l’éthique, la bienveillance, l’écoute, la relation, comme
socle de leur professionnalité. Ces éléments sont d’ailleurs inscrits dans les recommandations
de bonnes pratiques/ la bientraitance, émises par l’ANESM (Agence Nationale de l’Evaluation
des Etablissements Sociaux et Médico-sociaux) et s’imposent donc à tous. Utiliser des moyens,
des outils les spécifiant en dehors de leur cadre institutionnel, les aidera à structurer leur travail,
et à s’inscrire dans une identité professionnelle habituellement trop incertaine. Ils pourront
construire des objectifs plus réalistes mais aussi avoir des arguments pour expliciter ou soutenir
leur position, tout en évitant le face à face dans les établissements qui dysfonctionnent.
53
Bibliographie
Livres
* Marilou Bruchon-Schweitzer « Psychologie de la santé »Ed. Dunod 2002 – page 288-388 –
les transactions entre individus et environnement
* Laurent Cambon « Etre éducateur spécialisé » Lieux Dits – 2012
* Henri Chabrol – Stacey Callahan « Mécanismes de Défense et Coping » –Dunod - 2005
* Susan Fiske « Psychologie sociale » - De Boeck 2008 – les motivations sociales de base
(page 24 à 43) –
* H.Freudenberger « L’épuisement professionnel » – Ed Gaëtan Morin - 1987-
* Laurent Guillet « le stress » De Boeck - 2012
* Philippe Gaberan « La relation éducative, un outil professionnel pour un projet humaniste »
Eres - 2012
* Marc Jeannerod « Le cerveau intime » - Ed. Odile Jacob- 2005
* Christina Maslach/ Michael P. Leiter « Le burn out » – Les Arènes - 2011
* Alice Miller –« C’est pour ton bien » –Aubier - 1984
* Lin Grimaud/Alain Jouve et Paule Sanchou « Clinique et management : rupture ou
transition » sous la direction de - Ed. L’empan - 2013
* Ayala Pines “Le burn out” - Ed. Le jour, éditeur 1990
* Johnmarshall Reeve Psychologie de la motivation et des émotions – DeBoeck 2012
Articles
Jean Cartry rencontre Michel Lemay – une synthèse de l’éducation spécialisée et de la
pédopsychiatrie – lien social n° 1043 – décembre 2011
De Keyser V & Hansez I. Vers une perspective transactionnelle du stress au travail : pistes
d’évaluations méthodologiques. Cahiers de Médecine du Travail 33 – 1996
Detchessahar Mathieu, « Faire face aux risques psycho-sociaux : quelques éléments d'un
management par la discussion »,
Négociations, 2013/1 n° 19
54
Jennifer Lagardia, Richard M Ryan, Buts personnels, Besoins psychologiques fondamentaux et
bien être : théorie de l’autodétermination et Applications. – Revue Québécoise de Psychologie
Vol.21 ; n°2 -2000
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Documents internet
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Marilou Bruchon-Schweitzer – au-delà du modèle transactionnel – vers un modèle intégratif en
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J.Forest et G.A. Mageau La motivation au travail selon la théorie de l’autodétermination –
2008 – www.ordrepsy.qc.ca (magazine psychologie Québec)
Olivier Hammam /Extrait de la colombe assassinée de Laborit -www. olivier.hammam.free.fr
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conséquences positives dans différents milieux de vie : les apports de la théorie de
l’autodétermination –2011 - www.researchgate.net
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Audio Visuel
Télé : Philosophie –Arte – Mars 2014 – Pascal Chabot – Burn out (le travail c’est la santé)
Radio : radio libertaire : 15 émissions avec Henri Laborit sur Youtube.fr
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Mémoire : – Adama N’Diaye – doctorant CERMAT Conflits dans le secteur sanitaire et social
– entre rupture et culture
Thèse : Noëlle Lidvan – Burn out : Emergences et stratégie d’adaptation – le cas de la
médecine d’urgence (1ère partie)
Rapports :
Rapport au 1er
ministre Février 2010 – Bien être et efficacité au travail
Henri Lachman / Christian Larose / Muriel Péricard --- sous la direction de Marguerite Moleux
– membre de l’inspection générale des affaires sociales -
Rapport UNIFAF Christelle Roussell Monfajon avec Gilbert Mignacca /Christian Jayet/Julie
Barbery/Laeticia Parenne -