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Burn Out - Phénomène croissant de société

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AU SOMMAIRE

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Dossier réalisé par Chloé GOUDENHOOFT

“Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel,est marqué par l’absence quasi-totale d’énergie, lit-on sur le site Internet d’Anne-France Bouchy, psy-chologue clinicienne et psychothérapeute, interrogéedans le cadre de ce dossier. C’est un véritable phéno-mène de société, relayé de manière quasi quotidiennedans la presse.” Ce syndrome ne doit pas être confonduavec une dépression, et ne doit pas être traité commetelle. Il survient à la suite d’un surmenage profes-sionnel, lorsqu’une personne a placé le travail aucentre de sa vie jusqu’à épuisement, faisant fi de lasphère personnelle et de sa santé. “Cela n’arrive pasaux paresseux”, comme le rappelle la psychologue.Néanmoins, le salarié concerné est loin d’être seulen cause  : s’il n’a pas su dire stop à la surcharge detravail qu’il avait à traiter, c’est aussi parce que lapression environnante et ses supérieurs ont toujoursexigé de lui plus que ce qu’il pouvait donner, sansreconnaître son travail ni s’attarder sur les signauxd’alerte qui étaient lancés.

Mais une fois que la crise a lieu, ce fameux jour où ilest impossible de se lever, où les pieds refusentd’avancer, que faire  ? Prendre du repos, certes, maispas seulement. Car le risque de rechute est grand sila pression ne retombe pas et s’il n’y a pas de réflexionsur ce qui vient de se passer, du point de vue du col-laborateur comme de celui de l’entreprise. Les per-sonnes qui se remettent d’un burn-out n’en sortentjamais indemnes. Si pour la grande majorité, leretour se fait dans la même entreprise, il n’empêcheque leur rapport au travail a désormais changé. Maisce n’est pas forcément pour le pire  : plus en mesurede prendre soin d’eux-mêmes et de leur santé, lessalariés qui se sont relevés d’un burn-out serontsouvent plus fiables et parfois plus efficaces sanss’épuiser au travail. Ils sauront désormais mieuxdoser leurs efforts tout en restant efficaces, même sil’implication pour le travail ne sera plus jamais lamême qu’auparavant.

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Pour se remettre d’un burn-out, il est important d’évacuer physiquement le stress accumulé mais aussi de revoir ses méthodes de fonctionnement comme la place occupée par le travail dans sa vie. La prise en charge doit être effectuée par un spécialiste pour éviter la rechute, comme l’explique Catherine Vasez, psychologue et fondatrice de No Burn-out, un réseau suisse spécialisé sur la question.

“Il faut retourner en poste avant la guérison complète”

Que faire lorsqu’une personne estime être victime d’unsyndrome d’épuisement?Il faut d’abord voir s’il ne s’agit pas d’un autre problème. Untrouble du sommeil récurrent peut produire les mêmes symp-tômes qu’un burn-out, de même que le manque de fer oul’apnée du sommeil. Changer les méthodes de travail n’auradonc pas d’impact. Quand l’épuisement survient, le généralisteréalise un bilan de santé avec prise de sang, détection de pro-blèmes cardio-vasculaires... Le stress produit beaucoup dedégâts à ce niveau comme sur la digestion. Il faut le contrôler.La fatigue peut aussi être due à des troubles hormonaux ou detyroïde. Une fois que le médecin détecte qu’il s’agit bien d’unburn-out, il faut s’orienter vers un professionnel qui connaît laquestion. La prise en charge peut être effectuée par un psycho-logue, un médecin ou un psychiatre mais qui connaisse bien letraitement.

Combien de temps faut-il pour s’en remettre ?Pour un burn-out classique, sans autres complications, l’arrêtde travail dure environ deux mois.  Ensuite, il faut déjà songerà la manière dont la personne va retourner au travail. Laguérison se fait en trois phases. D’abord, il faut remonter leniveau d’énergie. Si c’est possible, il faut se couper de tous lessoucis du travail pour se ressourcer. Un certain nombre derègles est à suivre, comme bouger le corps pour retrouver unedynamique. Quand un salarié fait un burn-out, il souffre del’accumulation d’un stress chronique. Or le stress permet d’agir,de se préparer à une action physique. Lorsque le corps en atrop accumulé, il est rempli de tensions et s’épuise. Il fautannuler ces tensions et se décharger de ce stress. On peutfavoriser le sport, mais jardiner ou se balader dans la forêtpeuvent suffire. Il faut aussi consulter un psychothérapeutepour opérer des changements psychiques et éliminer les tensionsaccumulées dans l’entreprise. La deuxième phase consiste à analyser ce qu’il s’est passé et se

demander pourquoi la personne est allée si loin et s’est épuiséede la sorte, dans le but de retrouver plus tard un nouveléquilibre. La troisième phase consiste enfin à retourner au travail avantmême d’être guéri. Certains malades attendent d’être complè-tement remis, or, ils ont besoin du terrain professionnel pourse renforcer. Il faut de nouveau être confronté à des périodesde stress, à des contraintes et à des enjeux professionnels enétant encore un peu fragile pour apprendre à développer uneattitude saine et des mécanismes de protection.

Quel est le bon moment pour retourner à son poste ?Quand la personne a retrouvé 50 % de son énergie. Elle estencore très fatiguée mais c’est important qu’elle retournetravailler pour les raisons que je viens de mentionner. Il fautaussi qu’elle ait compris comment travailler différemment auniveau des relations avec les autres, de la charge de travail, etqu’elle sache pourquoi elle s’est épuisée. À ce moment, les per-sonnes concernées ne se sentent pas toujours prêtes à retournerau travail. Elles vont y aller en tremblant. C’est normal car ellessont encore fragiles, mais c’est aussi le travail qui va les rendreplus fortes et leur permettre de mieux comprendre ce qu’il s’estpassé. Pour y parvenir, il vaut mieux organiser un retourprogressif, d’abord à 50 % par exemple, et avec accompagnement.Il faut les encourager. Une fois de retour, il faut environ 6 moispour retrouver un équilibre stable1.

Est-il toujours justifié de quitter son travail  ?Non, et il est même possible de revenir à son ancien poste sansque rien n’ait été modifié. En revanche, les salariés eux-mêmesdoivent changer et travailler différemment. Il faut aussi com-prendre que le fait de vouloir quitter sa profession peut aussiêtre un symptôme. Le but, c’est que la personne retourne à sontravail. Bien sûr, c’est le bon moment pour faire un bilan decarrière et de ses priorités dans la vie, mais au final, seuls 20 %

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de mes patients ont changé de métier. Cela ne veut pas direque ceux qui restent ne partent pas un ou deux ans plus tard.Mais il est important de changer en étant dans de bonnesconditions, et non par fuite. Il faut d’abord guérir.

Le risque de rechute est-il important ?Il est très important si la personne n’a pas eu la bonne prise encharge thérapeutique. Si un médecin dit à un salarié de sereposer quelques semaines et qu’il retourne au travail dès qu’ilva mieux, le risque est de 100 % car la personne ne s’est pasremise en question. En revanche, s’il y a un bon accompagnementet que la personne a modifié tout ce qu’elle devait changerdans son fonctionnement, elle ne devrait pas rechuter. ■

1- Selon Anne-France Bouchy, psychologue clinicienne et psychothérapeute, il faut entre 6 à 18 mois pour se remettre d’un burn-out. Sabine Bataille, sociologue spécialiste de la reconstruction post burn-out, estime aussi de 6 mois à 2 ans le temps nécessairepour s’en remettre. Voir leur point de vue p. 80-82.

EST-IL POSSIBLE DE RESTER COINCÉ DANS UN BURN-OUT ?Le burn-out peut devenir chronique par exemple quand la personne a perdu son travail ou qu’elle ne retourne pasà son poste. Cela fait partie de la dernière phase dutraitement car le retour au travail permet de se remettredans les conditions de stress de l’entreprise. Une autreraison consiste au fait de mal traiter le burn-out, c’est-à-dire de soigner la personne comme s’il s’agissaitd’une dépression et non pour ce dont elle souffrevraiment.

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Catherine Vasez, psychologue et fondatrice de No Burn-out.

FAUT-IL RETOURNER AU TRAVAIL ENCORE FRAGILE ?

Anne-France Bouchy, psychologue clinicienne et psychothérapeute

Oui, car de toute façon, il va falloir un tempsd’adaptation, car la personne se sent en généraltotalement déconnectée... Elle a perdu ses marques, il lui faut trouver de nouveaux repères, elle reste un peu fragilisée. Majoritairement, il faut reprendre à quart-temps ou à mi-temps durant un ou deux mois. Je continue de suivre mes patients en début de reprised’activité. L’expérience montre qu’après un ou deux mois(et après un travail psychologique sur soi), la personne se stabilise et décroche de sa psychothérapie.

Sabine Bataille, sociologue spécialiste du post burn-out

On n’est jamais complètement guéri, donc il peut êtrejustifié de remettre les gens en action. C’est une certaineécole qui dit  : “confronte-toi aux difficultés et apprends”.C’est la stratégie du coping, une méthode de protectionface à un stress. Mais s’il y a des fragilités et que lapersonne se retrouve au même poste avec le même manager, on va droit dans le mur. Après, si elle est accompagnée, ce sera douloureux, maispourquoi pas. Je préfère attendre que le médecin et le psychiatre soient d’accord pour le retour. Ensuite, le salarié devra aller voir et discuter avec le RH et lemanager pour renégocier la charge de travail. La reprisedoit être progressive. Si ni l’un ni l’autre ne montre de l’attention, il faut alerter le médecin du travail.

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Aude Selly a été victime d’un burn-out. Pour se libérer et mettre des mots sur son vécu, elle a écrit un livre sur son histoire, et travaille désormais en indépendante, pour rester maître de sa trajectoire professionnelle.

“Il arrivera qu’on t’oublie”

“Le premier inci -

dent est survenule 31 août 2011, serappelle AudeSelly. J’étais par-

tie en week-end et je devais tra-vailler le mardi. Dans le trainpartant de Colombes [92, ndlr],j’ai commencé à avoir des sueursfroides, à être stressée. J’ai eumal au ventre et j’ai commencéà pleurer.” Aude Selly appellealors sa sœur jumelle, qui lui ditd’aller voir un médecin. “J’airefusé. S’arrêter était mal perçupar ma société. Mais quand jesuis arrivée à la gare Saint-Lazare, j’ai fait une crise de téta-nie. Je ne sais pas comment j’aifait, mais je suis retournée dansma ville voir mon médecin. Ilm’a dit que c’était un début deburn-out.” Aude Selly ne réalise pas la gravité de ce qui lui arrive. Ellerefuse alors de prendre un mois de congé maladie mais acceptede s’arrêter 15 jours et de prendre les anxiolytiques. “Les médi-caments ont changé ma vie. Tout ce qui m’arrivait de stressantme passait par dessus la tête. Mais je ne me suis pas vraimentreposée car la société continuait de m’appeler.” Surtout, AudeSelly avait perdu le plaisir de travailler. Entrée en novembre2008 dans son entreprise, elle avait été nommée responsableRH pour une équipe de 100 salariés, un poste dont elle rêvaitdepuis une dizaine d’années. “Au début, j’étais pleine d’idées etd’enthousiasme.” Mais avec le recul, elle réalise que la pressionexistait dès le recrutement. “On me l’a dit clairement  : ‘ Ilarrivera qu’on t’oublie’. Je n’avais pas le droit à l’erreur.” Pourmontrer sa valeur, elle travaille d’arrache-pied dans un climatsocial délétère. Elle enchaîne les nuits blanches. Des signes de fatigue physiques apparaissent en mai 2009. Aprèsavoir constaté qu’elle n’est pas très écoutée et, assommée par sontravail, elle demande de l’aide à sa hiérarchie. Rien ne change.

À BOUT

En février 2011, sa supérieure directe, la responsable RH France,est licenciée du jour au lendemain. “Alors que je voulais le

poste, un gamin de 25 ans aété nommé. J’étais à terre,c’était une vraie humiliation.”Aude Selly entre dans une spi-rale de dévalorisation. Elleredouble malgré tout d’effortspour se mettre en avant. C’estalors que se produit sa crised’angoisse d’août 2011. “Aprèsêtre revenue de mes 15 joursd’arrêt, le même rythme arepris. La prise d’anxiolytiquesm’a permis de tenir jusqu’endécembre 2011.” Puis, son jeuneresponsable se fait licencier.Elle se retrouve au poste qu’elleconvoitait en intérim. Maisalors qu’elle devait participerà un grand séminaire qui allait,en quelque sorte, consacrerson nouveau poste, elleapprend indirectement qu’elle

n’y est pas conviée. À bout, elle fait une tentative de suicide,sans préméditation, pour mettre fin immédiatement à sa souf-france.“Je n’avais plus de force. Je me suis fait suivre par unepsychologue du travail et mon médecin m’a prescrit des anti-dépresseurs et des anxiolytiques. Je me suis enfermée de juin àoctobre 2012.” Puis, elle commence à faire du yoga et de lasophrologie pour se reconnecter avec son corps et travaille surl’estime de soi. En novembre 2012, elle écrit son livre* en6 jours. “J’étais dans la culpabilité. Le livre m’a tirée vers lehaut. J’ai obtenu une reconnaissance  : ce que j’avais vécuexistait et je n’étais pas seule dans ce cas.” Elle commence àremonter la pente et met fin à son contrat par un accord àl’amiable en janvier 2014. La signature est une libération. “J’aicommencé à penser à l’avenir et je me suis formée. Je travailleaujourd’hui comme formatrice dans la prévention des risquespsychosociaux. C’était logique  : j’ai été manager, responsableRH et j’ai vécu un burn-out. Je me suis dit  : ‘Sers-toi de tonexpérience  !’”. Elle travaille aujourd’hui à son prochain livre.Le sujet  : l’après burn-out. ■

* Quand le travail vous tue, chez Maxima (2013).

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Aude Selly, auteur de Quand le travail vous tue, chez Maxima.

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Accueillir de nouveau un collaborateur après un congé lié à un burn-out ne doit pas êtrepris à la légère. Son surmenage est dû en partie à l’entreprise, il y aura donc quelque choseà changer dans les méthodes de management ou dans l’organisation générale. Ce retourdoit être préparé et aménagé selon les besoins explicites du salarié concerné.

Revenir : les devoirs du responsable RH

L’arrêt d’un collaborateur pour cause de burn-out est

toujours difficile pour une entreprise. Non seulementce départ la prive d’une force vive, mais cela remetaussi en question les méthodes de management desresponsables ou, du moins, son organisation et son

fonctionnement. Pour intégrer de nouveau ce salarié dans lesmeilleures conditions possibles,le directeur des ressourceshumaines va devoir bien pré-parer ce retour. “Il faut orga-niser un rendez-vous avec lesRH dès le premier jour de ren-trée et prévenir le salarié de cetentretien”, explique NoëmieCicurel, directeur chez RobertHalf France. Cette discussiondoit avoir lieu le jour de reprise,le salarié n’étant pas censé venirau travail lorsqu’il est en congé.Au-delà de plus de troissemaines d’absence, il doit pas-ser une visite médicale dansles 48 ou 72 heures suivant son retour dans l’entreprise : il doitêtre déclaré apte par la médecine du travail. C’est aussi undétail auquel il faut penser en amont. Ensuite, l’entretien doit constituer la base de la nouvelle colla-boration post burn-out. “Il faut faire un point avec lui etprendre du recul en faisant la distinction entre ce qui relève dupersonnel et du professionnel dans la crise qu’il a subie, poursuitNoëmie Cicurel. Cette rencontre va permettre au directeur desavoir dans quelle mesure il aura à réaliser des aménagementsde poste. Il doit en tirer des leçons pour apprendre à repérer

quels sont les signaux annonciateurs et comment éviter quecela ne se reproduise, pour cette personne comme pour lesautres collaborateurs.” Il faut anticiper le fait que le salariésera encore fragile et qu’il se sentira mal-à-l’aise en revenantdans son entreprise. L’idée consiste donc à rendre ce momentle moins désagréable possible. Noëmie Cicurel conseille d’ailleurs

d’éviter le mot convocation pourdésigner cette rencontre. “Ellepeut être informelle, autourd’un café par exemple. Il fautaussi donner une heure de début et de fin, par exemple, de14 heu res à 15 heures, pour quela personne puisse cadrer lemoment.”Il faut également s’intéresserà ce que le collaborateur attendde la société et de son nouveauposte et bien écouter sa versiondes événements. L’importantrepose sur le fait de ne pas sefocaliser sur le passé mais bien

d’orienter la discussion vers le futur. “Il faut lui tourner lesépaules vers l’avenir”, avance la spécialiste de Robert Half.

ÉVITER LE ‘GOSSIPAGE’

Quant à la question d’une reprise à temps partiel, elle est aussi àdiscuter avec le salarié. “Il y a des gens pour qui le temps partielpeut ne pas convenir, pour des questions de rémunération parexemple, poursuit-elle. Il faut, en tant que RH, avoir une paletted’outils et de solutions à proposer et ne pas arriver avec une idéepréconçue de ce qu’il faudra organiser pour la suite.”

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Cette discussion doit permettre de savoir si la personne estréintégrable dans son équipe ou s’il va falloir trouver d’autresservices dans lesquels elle se sentirait mieux. Il est aussi envisa-geable de voir comment organiser une sortie de l’entreprise sinécessaire. À l’issue de l’entretien, il faut rassurer la personne.“Le DRH peut lui dire, par exemple, qu’il va travailler sur lescontours de son nouveau poste et qu’il la tiendra informée par lasuite.” Reste enfin à prévenir les autres salariés. “Il faut com-muniquer avec l’équipe pour ne pas laisser le salarié reprendrecomme si de rien n’était et pour éviter le ‘gossipage’. Cela peutprendre la forme d’un pot organisé pour faire un point. Ilsuffit de dire que le collaborateur est rentré, que le RH en aparlé avec lui, que les choses sont claires entre eux et qu’unplan d’action a été mis en place pour l’intégrer de nouveau.”C’est au manager ou au responsable RH d’annoncer ces infor-mations car il s’agit de détails pratiques et d’organisation. Enrevanche, rien ne doit être dit sur les causes précises du burn-out du salarié. C’est à lui, s’il le souhaite, d’entrer dans lesdétails avec ses collègues. Il s’agit surtout de mettre tout lemonde à l’aise avec ce retour  tout en montrant que la sociétégère la situation et que la communication est rétablie. “Parexemple, un employeur avait organisé un petit-déjeuner poursouhaiter la bienvenue à un collaborateur qui avait fait unburn-out, pour détendre l’atmosphère, raconte Émilie Trappler,manager de la division Conseil RH de Hays. C’était bienveillantparce qu’il était préparé au regard des autres. Le burn-out estquelque chose qui n’est pas bien perçu. Le salarié concerné peutperdre confiance soi. Pour l’aider, il faut une intégration plusdans la rondeur et dans le partage.” ■

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Catherine Vasez, psychologue et fondatrice de No Burn-out.

CANDIDATS  : EXPLIQUEZ MAIS RESTEZ-EN AU FAIT  !Postuler alors que l’on ne s’est pas encore remis d’un burn-out est dangereux, car chercher un emploi est difficile et exige de la confiance en soi pour réussir à convaincre le recruteur. En revanche, un salarié victime d’un burn-out qui a remis le piedà l’étrier en revenant dans son entreprise et qui n’a pas fait derechute ne doit pas hésiter à changer d’environnementprofessionnel quelque temps après s’il en a l’envie. Si c’est votrecas, inutile de préciser sur le CV que vous avez été victime d’unsyndrome d’épuisement… En revanche, l’employeur cherchera à comprendre ce qu’il s’est passé si cette épreuve laisse des trousdans votre parcours. “L’important est de justifier cette périoded’inactivité, explique Émilie Trappler, manager de la divisionConseil RH de Hays. Ce n’est pas la peine d’évoquer le mot deburn-out, très galvaudé. Dites plutôt que vous avez voulu prendredu temps pour vous en restant objectif et sur les faits mais sansrentrer dans les détails. Surtout, il faut être capable d’en sortirquelque chose de positif  : vous avez eu une période de remise en question, mais vous savez désormais où vous en êtes etquelles stratégies adopter si vous vous retrouvez dans dessituations similaires.” Un recruteur a besoin d’être rassuré survotre capacité à analyser la raison pour laquelle vous en êtesarrivé au burn-out. “Vous devrez montrer qu’aujourd’hui, vousêtes serein et que vous dominez la situation, conseille NoëmieCicurel, directeur chez Robert Half France. Quoi qu’il en soit, il vaut mieux annoncer les choses clairement, quitte à lesminimiser, car beaucoup d’employeurs prennent des référenceset il est préférable qu’ils l’apprennent du candidat lui-mêmeplutôt que d’autres personnes, ce qui ne serait pas bien vu.

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Il y a un avant et un après burn-out. Mais pourquoi l’après serait-il moins bien ? Au contraire, cette épreuve incarne aussi l’occasion de requestionner ses choix de vie, de se recentrer sur soi-même et sur ce qui est primordial pour soi. Le travail, souvent sacralisé jusque-là, reprendalors sa juste place, notamment par rapport à la sphère personnelle et familiale.

Et s’il s’agissaitd’une opportunité…

Le burn-out est un cri du corps. Alors que le mental

s’obstine à toujours continuer à en faire plus, du jourau lendemain, les pieds refusent de porter leur pro-priétaire au travail. Le message transmis par le corps,c’est que le travailleur

est allé trop loin, que ses limitesont été dépassées. Cela signifieaussi qu’il n’a pas été à l’écoutede qui il était et de ce qui étaitbon pour lui. Certains témoi-gnages revendiquent le paradoxesuivant  : “mon burn-out m’asauvé la vie.” En effet, cetteépreuve est aussi l’occasion d’unrecentrage sur soi, qui avait étéocculté chez les collaborteursles plus fervents, ceux qui avaient mis le travail par-dessustout, au cœur de leur vie. “Quand on ne l’a pas fait avant, leburn-out est l’occasion de travailler sur soi et de mieux savoircomment on fonctionne, souligne Anne-France Bouchy, psy-chologue clinicienne et psychothérapeute1. La société danslaquelle travaille le salarié parti en burn-out a sa part de res-

ponsabilité  : la qualité de vie de son environnement n’a pas étéprise assez en compte. Parfois, il n’y a pas assez d’alertes parrapport au harcèlement moral que les collaborateurs peuventsubir. Mais il y a aussi une part de fragilité chez le salarié,

sans qu’il s’agisse de pathologiecar c’est rarement le cas”, pour-suit-elle. Bien souvent travail-leur acharné, le salarié victimed’un burn-out a lui-mêmenégligé les premiers signesenvoyés par son corps pourlui dire de lever le pied. Leburn-out est donc l’occasiond’apprendre à mieux prendresoin de soi, et à mieux seconnaître.

HIÉRARCHISER SES PRIORITÉS

Toute la phase qui suit la reconstruction consiste d’ailleursaussi à travailler sur l’estime et la confiance en soi, mises à malpar le monde de l’entreprise. “Cela va permettre de s’affirmer,de poser un vrai cadre de travail et de définir ses limites en

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apprenant à dire  :‘ça, je peux le faire, mais ça non’ ”, poursuitAnne-France Bouchy. Avant le burn-out, les salariés victimesde cette crise ont souvent tendance à cumuler deux voire troispostes. “Ils ont pu être dans le flou par rapport à leur fonction.Ils n’ont pas su s’affirmer en refusant telle ou telle tâche parcequ’ils manquaient de confiance en eux. Or, tirer la sonnetted’alarme avant aurait permis d’éviter bien des dégâts.”Le burn-out est aussi l’occasion de se questionner sur ce quel’on veut vraiment faire de sa vie. “La personne apprend àdégager ce qui est essentiel et important pour elle, appuie Anne-France Bouchy. Elle commence à hiérarchiser ses priorités, àdéfinir ce qu’elle ne peut plus accepter et à rééquilibrer lasphère professionnelle et lasphère privée, qui avait étésacrifiée au bénéfice de lapremière.” Une fois remis lespieds dans l’entreprise, cedécentrage lui permettra demieux travailler et dans demeilleures conditions car lapression sera diminuée.Subir cette épreuve peutencore être l’occasion des’orienter vers une reconver-sion, et pourquoi pas, d’en-clencher une réflexion surl’accomplissement d’un rêved’enfance enterré. “Il ne fautpas faire de généralité, pré-vient toutefois Anne-FanceBouchy. Parfois, le burn-outpeut déboucher sur une reconversion mais ce n’est pas systé-matique. Cela peut être le cas chez une personne qui avaitnourri une idée particulière d’orientation pendant ses études,par exemple, mais qui a toujours été dans les challenges d’unpoint de vue professionnel et qui s’est mise à travailler jusqu’àépuisement. La société met une grosse pression sur les salariés,jusqu’à la robotisation, ce qui entraîne une phase de déperson-nalisation. Cela les dévie de ce vers quoi ils tendaient dans leurjeunesse.” Laissant donc de côté les vieux rêves. Ces reconversionsne concernent néanmoins qu’une minorité des salariés victimesde burn-out. Catherine Vasey [voir interview en pages 74-75],psychologue experte de la question et fondatrice du pôlespécialisé No Burn-out, compte seulement 20 % de reconversionsparmi ses patients. De la même manière, 20 % de ceux deSabine Bataille2, sociologue qui travaille sur la reconstructionpost burn-out, se sont tournés vers un autre poste. “J’appelleces profils les artistes incompris, explique-t-elle. Ces personnesvont avoir envie de se développer et vont s’engager dans unereconversion professionnelle totale. De directeurs informatiques,ils vont devenir fleuristes, de juristes, charpentiers. Mais passerde 70 000 euros à 35 000 euros par an ne se fait pas sanseffort. Cette envie de reconversion vient aussi de la croyanceque l’herbe est plus verte ailleurs. Or, s’ils n’arrivent pas à se

réorienter au bout de deux ans, il sera difficile de retrouver dutravail. En revanche quand cela fonctionne, cela fait des gensheureux. C’est le cas d’une personne que j’ai suivie et qui s’estlancée en couple. Pour rien au monde ils ne retourneraient àleur vie d’avant.”

DES SALARIÉS PLUS FIABLES

Mais à défaut d’un grand virage opéré dans la vie professionnelle,l’après burn-out promet aussi des jours meilleurs à ceux quil’ont vécu même s’ils sont restés dans la même structure. Cetteréflexion leur permet de travailler autrement et de consacrerplus de temps à leur famille, à des activités parallèles ou à eux-

mêmes, tout simplement. “Celaentraîne un questionnement surle type de partenariat que l’onveut établir avec son travail. Laquestion à se poser, c’est  : ‘qu’est-ce que je veux offrir à mon entre-prise pour être plus heureux ?’ etnon pas  : ‘qu’est-ce qu’elle peutm’apporter’, avance SabineBataille. Car il ne faut pas atten-dre du travail qu’il nous rendeheureux ! Pour y parvenir, il fautsuivre ses engagements, sesvaleurs.” Et, à condition que letravail post burn-out soit bienréalisé, c’est a priori le cas dessalariés qui sont passés par cetteépreuve.“L’implication vis-à-vis du travail

des personnes qui ont vécu cela va rester la même au niveau dela qualité, mais moins au détriment de leur santé, expliqueSabine Bataille. La centralité du travail se déplace alors quec’était parfois tout pour eux. Ils ne seront plus qu’à 90 % alorsqu’ils étaient avant à 200 %.” Si l’entreprise y perd à ses yeux,parce que les salariés se montrent désormais moins impliqués,Catherine Vasey ne partage pas cet avis. “Les salariés passéspar un burn-out sont plus fiables car ils vont rechercher unequalité de vie au travail.” Ils vont se ménager afin de ne pasretomber dans le burn-out et être très motivés pour faireattention à eux - épargnant ainsi à la société le départ inopinéd’un élément pour une durée indéterminée… ■

1 www.psychologueclinicienne.fr2 rpbo.fr.

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