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carte blanche Cédric Villani Mathématicien, professeur à l’université de Lyon-I, directeur de l’Institut Henri-Poincaré (CNRS/UPMC), Médaille Fields 2010 (PHOTO : MARC CHAUMEIL) La ruée sur Tissint, météorite martienne Découvert, en octobre 2011, au sud du Sahara marocain, trois mois après sa chute, ce spécimen « frais » de 7 à 10 kg fait le bonheur des collectionneurs et des chercheurs. Qui sera le premier à le faire parler ? PAGE 2 L e 7 février à 19 heures, les ingénieurs aux manet- tes de la distribution d’électricité française retien- nent leur souffle : pour la première fois dans l’his- toire du pays, on passe le cap symbolique des 100 000 millions de watts. En ce soir de froid glacial, on frôle la limite de capacité du réseau. Une loi implacable gouverne la distribution d’électri- cité : cette énergie ne peut guère se stocker ; alors pour ne pas la gaspiller il faut la distribuer aussitôt produite, partout où elle peut être utile : une ville proche, un pays voisin… Chaque jour, la France aide l’Allemagne à passer son pic de 18 heures, et l’Allemagne rend la pareille pour le pic français de 19 heures. Toute l’Europe fait désormais partie d’un gigantesque réseau, qui bientôt fera le tour de la Méditerranée ! Le spectaculaire incident du 30 novembre 2006 démontra cette interconnexion : un problème techni- que sur une ligne haute tension allemande se fit sentir de la pointe de l’Espagne jusqu’en Ukraine ; en une frac- tion de seconde, la fréquence chuta dans toute l’Europe de l’Ouest, causant l’arrêt des éoliennes ; le continent entier faillit plonger dans l’obscurité ! Dans ces conditions, il ne faut pas seulement penser à la capacité globale, mais aussi planifier prix et flux électriques selon les horaires et les régions – à court, moyen et long terme – et tenir compte d’innombrables paramètres sur la panoplie d’énergies disponibles, leurs contraintes et aléas (ne pas compter sur l’énergie solaire un soir pluvieux !). Progrès des algorithmes Rien d’étonnant à ce que la distribution électrique soit un consommateur effréné de mathématiques de la planification, sujet sur lequel EDF collabore non seu- lement avec des écoles d’ingénieurs comme les Ponts et Chaussées ou Polytechnique, mais aussi avec l’uni- versité Pierre-et-Marie-Curie ou celle d’Orsay. En la matière, les problèmes non résolus sont légion : inventer des techniques d’optimisation robus- tes aux aléas climatiques de plus en plus aigus, gérer au mieux les énergies renouvelables, ou encore tirer parti des Smartgrids, ces « réseaux intelligents » qui permettront bientôt d’influer en temps réel sur le com- portement des consommateurs… Les algorithmes innovants cohabitent avec les recet- tes éprouvées comme la programmation linéaire, déve- loppée par les mathématiciens Dantzig, Kantorovich et Koopmans dans les années 1940, avec un succès stu- péfiant. Faire des mathématiques, c’est donner le même nom à deux choses différentes, disait Poincaré ; et ces mêmes outils théoriques sont précieux pour aborder les énormes calculs requis par le contrôle du trafic urbain : calculs qui s’effectuent 10 millions de fois plus vite qu’il y a quinze ans, grâce à la montée en puissance des ordinateurs, mais plus encore aux pro- grès des algorithmes. Ces méthodes ont permis aux ingénieurs d’IBM de développer pour Singapour un système de péages, éga- lement modifié en temps réel pour influer sur les usa- gers, réduisant les embouteillages et diminuant la pol- lution. Nouvelles technologies, nouveaux défis théori- ques, pour des enjeux considérables. p Des combustions humaines pas si spontanées Ce phénomène exceptionnel, où certaines parties d’un cadavre sont retrouvées réduites en cendres alors que d’autres restent préservées, est désormais mieux compris par les scientifiques. PAGE 3 Tous connectés ? Aux sciences, citoyens ! Les technologies du Web et des téléphones portables facilitent la participation du public à des expériences scientifiques et des contre-expertises. L’émergence de ces sciences citoyennes promet de bouleverser la recherche, l’éducation et la société PAGES 4-5 Un appareil photo en forme de ballon Il fait moins de 20 centimètres de diamètre et, lorsqu’on le lance en l’air, il réalise des vues panoramiques grâce à ses 36 capteurs photographiques répartis sur la surface. PAGE 8 SAMUEL GUIGUES POUR « LE MONDE » Cahier du « Monde » N˚ 20876 daté Samedi 3 mars 2012 - Ne peut être vendu séparément

Le monde sciences et techno du 3- 3-2012

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c a r t e b l an ch e

CédricVillani

Mathématicien, professeurà l’université de Lyon-I,directeur de l’Institut

Henri-Poincaré (CNRS/UPMC),Médaille Fields 2010

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

La ruée sur Tissint,météoritemartienneDécouvert, en octobre2011, au suddu Saharamarocain, troismois après sa chute, cespécimen«frais» de 7 à 10kg fait le bonheurdes collectionneurs et des chercheurs.Qui sera le premier à le faire parler? PAGE 2

L e 7février à 19heures, les ingénieurs auxmanet-tes de la distributiond’électricité française retien-nent leur souffle: pour la première fois dans l’his-

toire dupays, on passe le cap symboliquedes100000millionsdewatts. En ce soir de froidglacial, onfrôle la limitede capacité du réseau.

Une loi implacablegouverne la distributiond’électri-cité: cette énergienepeut guère se stocker; alors pournepas la gaspiller il faut la distribuer aussitôt produite,partoutoù elle peut être utile: uneville proche, unpaysvoisin…

Chaque jour, la France aide l’Allemagneàpasser sonpic de 18heures, et l’Allemagne rend la pareille pour lepic français de 19heures. Toute l’Europe fait désormaispartie d’ungigantesque réseau, qui bientôt fera le tourde laMéditerranée!

Le spectaculaire incidentdu 30novembre 2006démontra cette interconnexion: unproblème techni-que sur une lignehaute tensionallemande se fit sentirde la pointede l’Espagne jusqu’enUkraine; enune frac-tionde seconde, la fréquence chutadans toute l’Europe

de l’Ouest, causant l’arrêt des éoliennes; le continententier faillit plongerdans l’obscurité!

Dans ces conditions, il ne faut pas seulementpenserà la capacité globale,mais aussi planifierprix et fluxélectriques selon les horaires et les régions – à court,moyenet long terme – et tenir compted’innombrablesparamètres sur la panoplie d’énergiesdisponibles,leurs contraintes et aléas (ne pas compter sur l’énergiesolaireun soir pluvieux!).

Progrèsdes algorithmesRiend’étonnant à ce que la distributionélectrique

soit un consommateureffrénédemathématiquesdela planification, sujet sur lequel EDF collaborenon seu-lementavec des écoles d’ingénieurs comme les Pontset Chaussées ouPolytechnique,mais aussi avec l’uni-versité Pierre-et-Marie-Curieou celle d’Orsay.

En lamatière, les problèmesnon résolus sontlégion: inventer des techniquesd’optimisation robus-tes auxaléas climatiquesdeplus enplus aigus, géreraumieux les énergies renouvelables, ou encore tirer

parti des Smartgrids, ces «réseaux intelligents» quipermettrontbientôt d’influer en temps réel sur le com-portementdes consommateurs…

Les algorithmes innovants cohabitent avec les recet-tes éprouvées comme laprogrammation linéaire, déve-loppéepar lesmathématiciensDantzig, Kantorovichet Koopmansdans les années 1940, avecun succès stu-péfiant. Faire desmathématiques, c’est donner lemêmenomàdeux chosesdifférentes, disait Poincaré;et cesmêmesoutils théoriques sont précieuxpouraborder les énormes calculs requis par le contrôle dutraficurbain: calculs qui s’effectuent 10millionsdefois plus vite qu’il y a quinze ans, grâce à lamontée enpuissancedes ordinateurs,mais plus encore auxpro-grès des algorithmes.

Cesméthodesont permis aux ingénieursd’IBMdedévelopperpour Singapourun systèmedepéages, éga-lementmodifié en temps réel pour influer sur lesusa-gers, réduisant les embouteillages et diminuant la pol-lution.Nouvelles technologies, nouveauxdéfis théori-ques, pour des enjeux considérables.p

Des combustions humainespas si spontanéesCephénomène exceptionnel, où certainesparties d’un cadavre sont retrouvéesréduites en cendres alors que d’autresrestent préservées, est désormaismieuxcompris par les scientifiques. PAGE 3

Tous connectés?

Auxsciences,citoyens!Les technologiesduWebetdes téléphonesportables facilitent laparticipationdupublic àdes expériences scientifiquesetdes contre-expertises.

L’émergencede ces sciences citoyennesprometdebouleverser la recherche, l’éducationet la sociétéPAGES 4 - 5

Un appareil photoen formedeballonIl faitmoins de 20 centimètres dediamètre et, lorsqu’on le lance en l’air,il réalise des vues panoramiques grâceà ses 36 capteurs photographiquesrépartis sur la surface. PAGE 8

SAMUEL GUIGUES POUR «LE MONDE»

Cahier du «Monde »N˚ 20876 daté Samedi 3mars 2012 - Ne peut être vendu séparément

Vahé TerMinassian

Q ui donc révélera lessecrets de la météoritemartienne de Tissint ?Depuis que ses débris ontété découverts, en octo-

bre2011, non loin de la ville de Tata,dans le sud du Sahara marocain, lacompétition est ouverte dans le petitmonde des spécialistes des objetscélestes.AuxEtats-Unis,auRoyaume-Uni, en France et ailleurs, des équipestravaillentd’arrache-piedpouranaly-ser le plus rapidement possible leséchantillonsqu’ellesontréussiàsous-traire à l’appétit des collectionneursprivés. Avec un espoir : être les pre-miers à publier des résultats sur cecorpsrocheuxexceptionnel,dontdesnomades avaient observé la chutedans la nuit du 18juillet.

L’enthousiasmesuscité à travers lemonde par l’apparition de ces sept àdix kilos de débris noirâtres s’expli-que par la rareté de l’objet dont ilsfurent issus. Sur les 41000 météori-

testrouvéessurTerreetconnuesdelascience,61àpeinesont,eneffet,d’ori-ginesmartiennes. Et sur ce total cinqseulement, en comptant Tissint, ontété récupérées juste après qu’ellessont tombées. La première, en 1815 àChassigny en France, la dernière, en1962à Zagami, auNiger!

Ceschutesintéressentauplushautpoint les scientifiques. En procédantà l’analysedespierresdèsqu’ellesontété trouvées, les chercheurs peuvent,en effet, espérer travailler sur unmatériau «frais», non encore conta-minéouérodéparunséjourterrestre.Et ainsi, si cen’est ydécouvrir d’éven-tuelles traces de vie martienne, dumoins répondre, mieux que ne peu-vent faire lesmissionsspatiales, àdesquestions sur l’histoire de l’at-mosphèrede laPlanète rouge, et cellede sonmagnétisme et de sa géologie.Autre possibilité : étudier les condi-tions dans lesquelles ces objets ontété éjectés de Mars à la suite de l’im-pact d’une grossemétéorite, puis ontvoyagédans l’espace.

Avec de tels enjeux, on comprendmieux pourquoi les débris de Tissintont fait l’objet d’une course à l’achatentre lescollectionneurset les labora-toires. Car, signe, peut-être, d’unemondialisationquiaétendusestenta-cules jusqu’aux recoins les plus recu-lés de la planète, «sur place, dans le

désert, il ne reste plus riend’apparent,saufdespoussières», constateHasnaaChennaoui Aoudjehane, professeurdel’universitéHassan-II àCasablancaet unique scientifiqueà s’être renduesur le lieu de l’impact. Bien que destémoins aient entendu la doubleexplosion produite par la fractura-tiondubolide, lorsdesonentréedansl’atmosphère,puisaientvuune lueurjaune-verdâtre éclairer le ciel, le lieuoù le corps céleste s’est écrasé n’a pasété connu immédiatement.

C’est trois mois plus tard, aprèsd’importantes recherches, que celui-ci a été localisé par des nomades puispar des groupes spécialisés dans la«chasse» auxmétéorites, une activi-té commerciale bien organisée auMaroc. Dès lors, la zone a été ratisséeet la plupart des échantillonsde cette«achondrite de type shergottite» (enréférence à Shergotty, unemétéoritemartienne dont la chute a été obser-véeen Inde)ont trèsvite rejoint, dansla discrétion, des circuits de vente oùils se négocient aujourd’hui entre500et 1000euros le gramme.

Bien trop cherpour lamajoritédesinstitutions publiques, dont certai-nes ne disposent pas de budget poureffectuer ce genre de transaction etqui ont dû y renoncer. Si le Muséumd’histoire naturelle de Londres aannoncé, le 8 février, s’être vu offrirunepierrede1,1kg(quineseraitpaslaplus grosse en circulation), celui deParis, pourtant doté d’une des plusbelles collections du monde, n’a pasencoretrouvélemécènequi l’aideraità acquérir unepierred’un tel prix.

LamétéoritedeTissint est-elleper-due pour la science? Tant s’en faut !Grâceauxcontactsdontilsdisposent,la plupart des grands laboratoires dumondeont,eneffet,déjàrécupérédeséchantillons. Aux Etats-Unis, les uni-versités du Nouveau-Mexique puisd’Arizona ont annoncé les premièresavoir réussi. Et, en France, le chasseur

de météorites Luc Labenne a donné,dèsdécembre2011, unpetit fragmentau Muséum d’histoire naturelle deParis. « Ce spécimen ne pèse que1,8gramme mais il nous a permis decommencer, très tôt, les analyses»,note Brigitte Zanda, la directrice de lacollectiondemétéoritesduMuséum.

Plusieurs laboratoires françaissont ainsi mobilisés. Au Centre derecherches pétrographiques et géo-chimiques de Nancy, Bernard Martytente de retrouver dans des inclu-sionsvitreuses, formées lorsde l’éjec-tion de la météorite hors de Mars, la

tracedes isotopesde l’atmosphèredela Planète rouge qui y ont été piégés.AuCentrederechercheetd’enseigne-mentdes géosciencesde l’environne-ment,àMarseille,PierreRochetteétu-die le magnétisme de la roche dansl’espoir de dater la disparition duchampmagnétique deMars, un phé-nomène qui serait responsable de lapertede son atmosphère.

Enfin, à l’Institut des sciences de laTerredeParisetàl’universitédeBreta-gne occidentale, à Brest, Albert Jam-bonet JeanAlixBarrat,qui travaillentavecHasnaaChennaouiAoudjehane,

s’intéressentàlagéochimie,àlapétro-logie et à la minéralogie de la pierrecéleste. Ils y recherchent des «isoto-pes cosmogéniques de courte pério-de»qui pourraient les renseigner surle temps – de l’ordre de troismillionsd’années – que la météorite a passédans l’espace. Les chercheurs françaisatteindront-ils leur but avant leursconfrèresd’autrespays?

Réponse à Houston, en mars, lorsdelaLunarandPlanetarySpaceConfe-rence, ou, au plus tard, en août àCairns (Australie), au cours de la réu-nionde laMeteoritical Society.p

SCIENCE&TECHNO a c t u a l i t é

C’estprouvé, sombrerdans lechaosn’estpas impossibleAprèsplusdequinzeansd’efforts,desmathématiciensontdémontréuneconjecturevieilled’unsiècle

David Larousserie

En mathématiques, il fautsavoir être patient. Presquesept ans entre le point finald’une démonstration et sa

parutiondans lesAnnals ofMathe-matics de mars. Et près de dix ansde travail, en amont. L’attente envalait la peine car le résultat deXavier Buff et Arnaud Chéritat, del’Institut mathématiques de Tou-louse, tranche une question cente-naire : le chaos n’est pas impossi-ble, dumoinsdanscertains cas.

Résuméainsi,encestempsdecri-se économique, le constat peut fai-

re sourire. En réalité, sa formemathématique rigoureuse n’étaitpas si simple à obtenir. Le chaosdésignedessituationsdanslesquel-les les trajectoires d’un système enévolutionsontsensiblesauxcondi-tions initiales. Plus précisément,mêmeune très faibledifférenceaudépart dans la position, la vitesseou l’angle conduit à des écarts infi-nis à l’arrivée.

Ainsi deuxboules de billard lan-cées presque à l’identique sur unplateauen formede stadene reste-ront pas longtemps sur le mêmetracé, ce qui rend impossible touteprédiction. Fort heureusementpourlesjoueurs,surunplateaurec-

tangulaire,cen’estpaslecas:lestra-jectoires sont prévisibles. Les ara-besques étudiéespar les deuxTou-lousains ne sont pas celles de bou-les, mais les positions successivesde points d’un plan subissant destransformationsgéométriques.Aulieu de lancer en ligne droite lespointsoude les fairetourner, ils lesmultiplient une fois par eux-mêmes (puis y ajoutent uneconstante)etainsidesuite, commel’ont proposé, en 1917, Pierre FatouetGaston Julia.

Selonlepointdedépart,celades-sine des courbes dont certainesfilent à l’infini tandis que d’autresrestent confinées dans une région

de l’espace. Entre ces deux extrê-mes, on trouve des points qui tra-centunefrontièreàpartirdelaquel-le les trajectoires sont imprévisi-bles. Cette limite crée de beauxespaces, variables en fonctionde laconstanteappliquée.

Mais, pour la plupart de cesensembles, la probabilité de trou-verauhasardunpointdelafrontiè-re est nulle. Beaucoup pensaientmême que c’était le cas pour tous.«Non», ont démontré les deuxmathématiciens : il existe desexemples pour lesquels on tombesurdes situationschaotiques.Maisla procédure ne dit pas lesquelles.Le travailn’estdoncpas terminé!p

Tissint, lamartiennequifascinee x o b i o l o g i e | Collectionneursetlaboratoiresderecherchesesontruéssurlesdébrisdelamétéoritetrouvée,

enoctobre2011,danslesudduSaharamarocain.Lesprécieuxéchantillonsdevraientbientôtrévélerleursmystères

Laplupartdes échantillonssenégocient

aujourd’hui entre500et 1000euros

le gramme

LeMaroc, «paradis»descollectionneurs

Unensembledit «de Julia»,caractéristiquedes systèmes

étudiéspar lesmathématiciens.étudiéspar lesmathématiciens.XAVIER BUFF ET ARNAUD CHÉRITATXAVIER BUFF ET ARNAUD CHÉRITAT

Un fragment de lamétéoritemartiennede Tissint, tombéedans le sud du Saharamarocain, en juillet 2011.KEVINWEBB/NATURAL HISTORYMUSEUM/AFP

S i lamétéoritemartiennedeTissintporteunnom,c’est à ellequ’on ledoit.HasnaaChennaouiAoudjehaneest la scientifi-

quequi adéclaré l’objet céleste auprèsde laMeteoritical Society.Début janvier, cettepro-fesseurdepétrographieetdegéochimiedel’universitéHassan-II àCasablancase rendsurle lieud’impactpour recueillirdes témoigna-gesetprendreunephotoà l’endroit où leboli-deest tombé. Elle ydécouvreune situation«incroyable».«Des centainesdepersonnesoccupéesà rechercherdes fragments, enpleindésert, aumilieudenulle part.»

LeMarocest l’undesprincipauxpour-voyeursenmétéoritesdumarchédes collec-tionneurs. Lamajeurepartiedes 7700«NWA»(NorthWestAfrica) – le termepar lequel sontdésignées lespierresprovenantduNord-Ouestafricainet dont le lieud’impactn’estpas connuavecprécision–yont étédécouvertesouyonttransité. La fauteà sesdésertsoù les rochesnoi-res se distinguent facilement sur le sol rougeetjaunâtre.A sesnomadesqui les collectent et les

vendent.Mais aussi àune législationplus libé-raleque celled’autresEtatsduSahara.

Or, tientà rappelerMmeChennaouiAoudjeha-ne, le dynamismede cette activité commercia-le fait de sonpaysungrandcontributeurà lasciencedes corps célestes.«Lamoitié despubli-cationsdans lemonde sur lesmétéorites concer-nent lesNWA, explique-t-elle.Et leMaroc estl’undes rares endroitsoù l’observationd’unboli-dedans le ciel donne lieuàdes recherchespourlocaliser l’endroit de sa chute.»

Spécimenmondialde référenceSans l’obstinationdes «chasseurs»maro-

cains demétéorites, jamais Tissint n’aurait puêtremise au jour. Et, sans celle deMmeChen-naouiAoudjehane, onne saurait riendes cir-constancesdans lesquelles cet objet a été trou-vé: il ne serait connuque sous l’appellationNWA.Dès lors, est-il normal que leMarocneconservepresque aucun témoignagede cesdécouvertes? Alors qu’ailleurs, les laboratoi-res se disputent,mécénat à l’appui, les restes

de lamétéoritede Tissint, que celle-ci est pro-mise à devenir un spécimenmondial de réfé-rencequi sera étudiédurantdes décennies,comment se fait-il que les scientifiquesmaro-cainsn’enpossèdent aucunmorceau, excep-tés les quelques grammesdedébris achetéssur leurs deniers personnels?

Mêmesi elle déplore cette situation, la cher-cheusepréfère temporiser.«Une fausse bonneidée serait de durcir la législationmarocaine,estime-t-elle.Si celle-ci estmal adaptée, lesgens vont arrêter de chercher desmétéorites oucela favorisera le trafic.» EtMmeChennaouiAoudjehanedepréconiser la créationd’uneinstitutionmarocaine«de typemuséumd’histoirenaturelle».

Dans cette structure àmêmede recevoirdes spécimens, les spécialistes desminéraux,des fossiles et desmétéoritespourraient fairede la recherche, entretenirunmusée et enri-chir une collection. Aubesoin, pour acquérirles pièces exceptionnelles, en faisant appel aumécénat.p V.T.M.

2 0123Samedi 3mars 2012

MédecineThérapie virtuelle contre lesyndromede fatigue chroniqueC’est unenouvelle optionpour lesindividus atteints de fatigue chronique,syndromequi se caractérise, outrel’asthénie, par des douleursmusculaires,des troubles demémoire et de laconcentration…Selonune étudehollandaiseportant sur 135adolescentssouffrantde cette pathologie depuisdeuxans, uneprise en charge fondée surdes consultations en ligneobtient de bienmeilleurs résultats qu’une thérapiecomportementaleet cognitive classique.Après sixmois de traitement, ladisparitionde la fatigue a été obtenuechez85%des jeunesbénéficiant deconsultationsvirtuelles (27%dans l’autregroupe). Le tauxde retour àunescolarisationnormale était égalementplus élevédans le premier groupe, 75%versus 16%. Ce succès s’explique sansdoutepar plusieurs facteurs: flexibilitéde l’approche en ligne (accessible24heures sur 24, sans déplacement…)etattrait des adolescents pour Internet etles relations virtuelles.> Nijhof Sanneet al., «The Lancet»28février.

TransplantationLe don de reinsans danger pour le cœurC’est unebonnenouvellepour ceuxquisontprêts à donnerun rein de leur vivantpour sauverunproche, atteintd’insuffisance rénale terminale.Unevaste étude canadienne, portant surenviron2000donneursde rein et20000témoins, confirmeque ce dond’organen’induit pas d’excès de risqued’accidents cardio-vasculaires, et ce avecsix à dix annéesde recul. Une étudeprécédente, en Suède, avaitmontréquel’espérancede vie des donneursde reinétaitmême légèrement supérieure à cellede la populationglobale, un résultat sansdoute lié à la sélectiondedonneurs enexcellent état général. En France, à peine10%des greffes de rein sont réalisées àpartir d’undonneur vivant.> GargAmit et al., «BritishMedicaljournal», 2mars.

ZoologieLes sonars dérangentles baleines

Il estmaintenant reconnuque les bruitssous-marinsd’originehumaine (hélicesdenavires, explosionsdiverses, forages…)perturbent le comportementdesbaleines.Mais une équipede l’universitédeCalifornie a découvert, en outre, quedes sons, de fréquencesdifférentesdecelles émises par lesmammifèrespourcommuniquer, sont aussi sourcesdedésagrément. Enparticulier, l’espècemenacéede baleines bleuesBalaenopteramusculusdiminuepar deux ses appels de100hertz enprésencede sonars émettantà des fréquencesplus élevées(supérieuresà 1000hertz) etmêmedefaible intensité. Cela pourrait nuire à sasurvie, car ce typede chants est émislorsque la baleinepart enquêtedenourriture.(PHOTO: FRANÇOIS GOHIER/BIOSPHOTO)

>M.Melconet al., «PlosOne», 29février.

TechnologieLe corps, source d’électricitéUneéquipe internationale conduiteparl’universitéWake Forest, auxEtats-Unis,amis aupoint unemembranetransformant les écarts de températureen courant électrique. Cet effetthermoélectrique,bien connu, estmêmedéjàutilisémais avecdesmatériauxcomme le tellurede bismuth, assezcoûteux. Lenouveaumatériauest unsandwichde couchesplastiquescontenantdes nanotubesde carbonequiprésente l’avantaged’être souple et septfoismoins cher. Les chercheurs estimentqu’enmultipliant les couches, ilspourraientprolonger de 20% la charged’unebatterie de téléphoneportable rienqu’avec la chaleur du corps.>C.Hewitt et al., «NanoLetters», 8février.

t é l e s c o p e

Propos recueillis parStéphane Foucart

Chercheur au Labora-toire de glaciologieet géophysique del’environnement(CNRS, universitéJoseph-Fourier de

Grenoble), le glaciologue JérômeChappellazrevientd’unraidscienti-fique de plusieurs semaines enAntarctique. Grâce aux moyenslogistiquesde l’Institutpolaire fran-çais Paul-Emile-Victor (IPEV), huitscientifiques et techniciens ont par-couru 1400km de territoire jamaisfoulé par l’homme, entre les sta-tions de Concordia et de Vostok –avec undétour par le «point Barno-la», déterminé au cours du raid etnommé en hommage au glaciolo-gueJean-MarcBarnola,mortpréma-turémenten 2009.

Quelle était l’utilité du raid?Plusieurs choses. D’abord, le pro-

jet deMichel Fily [professeur à l’uni-versité Joseph-Fourier de Grenoble]qui vise à documenter le «bilan demasse» de surface, c’est-à-dire laquantité de neige qui s’accumulesur le plateau antarctique au coursdu temps. Sur le secteur entreConcordiaetVostok,cebilanesttota-lement inconnu. Emmanuel LeMeur [enseignant-chercheur à l’uni-versité Joseph-Fourier deGrenoble] adonc effectué des mesures avec unradar-neige,pourobtenirune carto-graphie de l’accumulationde la nei-geenprofondeurlelongdutrajetduraid.

Quel est l’enjeu scientifiquede tel-lesmesures?

L’enjeu concerne l’évolution duniveaudesmers.Lorsqu’onconsidè-re les simulations produites sur leXXIe siècle par les modèles utilisésdans le cadre du GIEC [Groupe d’ex-perts intergouvernementalsur l’évo-lutiondu climat],onvoit que toutess’accordent pour dire que les tauxd’accumulationdevraient augmen-ter sur le plateau antarctique.

La raison en est simple : l’éléva-tiondes températurespermetà l’at-mosphère de contenir plus devapeur d’eau et, ainsi, de produireplus de précipitations aux pôles. Siles modèles ne se trompent pas, cephénomènepourrait compenserdemanière significative l’augmenta-tionduniveaudesmersdueàlaper-

te de glace duGroenland et à la fon-te des glaciers de type alpin.

Il y a cependant une incertitudeconsidérable sur ce phénomène apriori capable de contrecarrer par-tiellement l’élévation du niveaumarin: ilestdoncabsolumentnéces-saire de mesurer in situ, sur le pla-teau antarctique, le rythme auquella neige s’accumule, aujourd’hui etau cours des dernières décennies.

Qu’est-ce que le «point Barnola»?Jusqu’àprésent, le plus longenre-

gistrement donné par une carottede glace permet de reconstruire800000 ans d’histoire climatiquede la Terre. Un autre objectif du raidétait de déterminer un site surlequel nous pourrions espérer foreret extraire une carotte de glacedontl’analyse pourrait nous permettrede remonter endeçà de cet horizon.

Plusieurs paramètres entrent enlignedecompte: épaisseurde la gla-

ce, topographiedu lit rocheux, tauxd’accumulation de la neige… Toutau longdu raid, le radar fixé sur l’unde nos véhicules a acquis des don-nées en temps réel. C’est ainsi que lechoixdupoint Barnola a été fait.

On ne peut pas encore conclurequecesiteestparfaitementadéquatet qu’il sera en définitive choisipour un tel projet de carottage, trèsambitieux. Il faut désormais acqué-rir des données sur la carotte de110mètres obtenue sur site lors duraid.Mais nosmesures nous suggè-rent déjà qu’au point Barnola, letaux d’accumulation de la neigeserait jusqu’à 10% plus faible qu’àConcordia: ce qui veut dire qu’unecarotte demême longueur pourraitpermettre de remonter plus loindans le temps.

Pourquoi vouloir absolumentremonter en deçà de 800000ansd’histoire climatique de la Terre?

Ce n’est pas pour battre unrecord!Lesenregistrementsclimati-ques des carottes sédimentairesmarines permettent de reconsti-tuer, sur plusieurs millions d’an-nées,lesvariationsduvolumedegla-ce à la surface de la Terre. Cela per-met de reconstruire, au premierordre, lesalternancesentrepériodesfroides(glaciaires)et chaudes(inter-glaciaires).

Or, il y a environ unmillion d’an-nées, il s’est passé quelque chosedont nous ignorons encore la natu-re.Aucoursduderniermilliond’an-nées écoulées, les transitions entrepériodesglaciaires et interglaciairesinterviennent tous les 100000 ansenviron.Mais avant cemilliond’an-nées, la périodicité dominante étaitde40000anset lespériodesfroidesétaient beaucoupmoins sévères…

Nepeut-il s’agir d’un changementde l’orbite terrestre, sous l’effetde conjonctions des grandes pla-nètes du système solaire?

Les calculs de mécanique céleste,qui permettent de reconstruire lestrajectoires des planètes sur plu-sieurs dizaines de millions d’an-nées, montrent que les paramètresorbitauxdelaTerren’ontpassignifi-cativement changé il y a unmilliond’années.

C’est donc un changement inter-ne au système climatique qui estresponsable de cette transition, il ya un million d’années. L’une deshypothèsesestuneffetde seuil lié àla quantité de dioxyde de carboneprésent dans l’atmosphère… Maispouravoir cette information, il fautaccéder à la glace qui s’est formée àcette époque. Il faut donc forer trèsprofondément dans la calotteantarctique.

Outre les traces des évolutions dela compositionde l’atmosphère,que trouve-t-ondans la glace del’Antarctique?

Bien d’autres choses. A partir dumoment ou nous ouvrions un sec-teur qui n’avait jamais été exploré,nous en avons bien évidemmentprofitépourcollecterungrandnom-bre d’échantillons. Ils pourront parexemple permettre de mesurerl’abondance de béryllium10, quivarie en fonction de l’activité solai-re… D’autres mesures géochimi-ques seront menées sur ces échan-tillons, touchant d’autres discipli-nes, comme la chimie de l’at-mosphère.p

a c t u a l i t é SCIENCE&TECHNO

«Il fautforerdanslacalotteantarctique»g l a c i o l o g i e | JérômeChappellazet sonéquipeontparcouru1400kmdeterritoirepouranticiper l’évolutionduniveaudesmerset retracer l’histoireclimatiquede laTerre

MarcGozlan

La lecture d’articlesmédicaux peutparfois susciter le même senti-ment d’étrangeté et d’épouvantequ’un épisode de «X-Files», de

«Bones»oudes«Experts».Desmédecinsfinnois signent dans le Journal of BurnCare &Research une troublante publica-tion,mise en ligne le 22janvier, intitulée:«La combustion humaine spontanée à lalumièreduXXIesiècle».

Ce phénomène rare, abordé par Dic-kens (Bleak House, 1853) et Zola (Le Doc-teur Pascal, 1893) bien avant les scénaris-tesdessériesaméricaines,estévoquélors-quecertainespartiesducorpssontretrou-vées réduites en cendres alors qued’autres sont préservées. Malgré l’absen-ce d’une source de chaleur évidente àproximité du cadavre, il ne reste souventrienduthorax,de l’abdomenetdubassin,tandis que la tête, les bras, les mains, lapartie basse des jambes et les pieds sontlargement indemnes, les chaussettes etles chaussures pouvant rester en parfaitétat ! Curieusement, l’environnementimmédiatde lavictimecalcinéeestquasi-ment intact. Surtout, il n’existe aucun

signe d’agression ou de mise en scèned’un acte criminel.

Les docteurs Virve Koljonen et NicolasKluger, de l’université d’Helsinki ontrecensé les articles parus ces onze derniè-res années sur la combustion humainespontanée. Ils ont sélectionné et analysécinq publications relatant 12cas dont lamajorité en France. Les victimes, souventdes fumeurs et des alcooliques, étaientâgées de 44 à 74ans. Huit d’entre ellesétaient des femmes. Un des 12cas, surve-nu en Auvergne, a été publié dans le Jour-nal of Forensic Sciences, en septem-bre2011, par le professeur Gérald Quatre-homme, responsable du laboratoire demédecine légale et d’anthropologiemédico-légalede l’universitédeNice.

«Commeune bougie»Il s’agissait d’un homme de 57 ans,

vivantseul, fumeuretalcoolique,sechauf-fant avec unpoêle à bois. Ce qui restait ducorps gisait près d’une pile de journaux àpeine jaunis,d’unechaisedepailleenpar-fait état et de bouteilles en plastique légè-rement déformées. Les murs et le mobi-lier étaient recouverts de suie. De la grais-se humaine liquide se trouvait près ducorps calciné. Le taux d’alcoolémie de la

victime était de 3,2g/l. L’absence de suiedanslesbronchesàl’autopsieindiquequel’homme n’avait pas inhalé de fumée,donc qu’il était déjà mort quand la com-bustion s’est déclarée.

De plus, contrairement à ce que l’onobserve en cas d’intoxication par inhala-tion de fumée dans un incendie, aucunetracedecarboxyhémoglobinedanslesangn’a été mise en évidence. «Le processusd’autocombustion survient généralementaprès le décès. Plus rarement, il débute lors-quelavictimeestencorevivante.Onretrou-vealorsde la suiedans la trachéeà l’autop-sie,etuneconcentrationsanguinesignifica-tive de carboxyhémoglobine et de cyanu-re», ajoute le professeur Quatrehomme.Dans ce cas, «un handicap ou une alcoolé-mie élevée empêche la personne de fuir,d’appeler les secours ou d’éteindre le feu».L’autopsie ou les antécédents médicauxdelavictimeconduisentlelégisteàconclu-re,sanscertitude,quelamortestdueàunecrise cardiaque, une crise d’épilepsie ouencoreàunaccidentvasculaire cérébral.

Selon le docteur Cristian Palmiere, duCentreuniversitaireromanddemédecinelégale deGenève, «tout se passe comme silecorpsbrûlaitcommeunebougie, lagrais-sehumaineétant laciretandisquelesvête-

mentsenflammésetimbibésdegraisseser-vent de mèche. Ayant pris feu, les vête-mentsbrûlentlapeauqui,unefoiscarboni-sée, se fissure. La graisse sous-cutanées’écoule alors, entretenant le long proces-sus de combustion. Elle ne brûle que lors-que sa température atteint au moins250˚C». Lesparties du corps les plus calci-nées sont celles qui renferment d’abon-dantesquantités de graisse.

En définitive, la combustion humainenefrappepasauhasardet surtoutn’a riende spontané. Elle suppose l’existenced’unesourcedechaleurextérieure,mêmesi cette dernière, dans le cas d’une cigaret-te ou d’un cigare, peut disparaître lors delacarbonisationducorps, cequiajouteunpeu plus aumystère. C’est l’extinction dela combustion qui survient de manièrespontanée, aumomentoù lagraisse vientàmanquer.

A ce jour, reconnaît le professeur Qua-trehomme, «il est encore difficile d’expli-quer comment seproduit l’ouverturecuta-née par laquelle s’écoule la graisse humai-ne. Nous manquons peut-être de travauxexpérimentauxpour démontrer la théoriede l’“effet mèche”». Sans doute aussi devolontaires pour donner leur corps à lascience.p

Lacombustionhumainespontanée, sujetbrûlantLesrarescasdécritsdansla littératuremédicaleontétéréanalyséspardesmédecinsfinnois

Le glaciologue JérômeChappellaz.LUCIA SIMION

30123Samedi 3mars 2012

i n n o v a t i o n

SCIENCE&TECHNO é v é n e m e n t

LessciencescitoyennesLesprofanesjouentaveclesexperts

Physique,biologieouencoreenvironnement, l’implicationdecitoyenscurieuxdansdevéritablesprojetsscientifiquesaccélèrelesdécouvertes

Ouah, jen’avais jamaisvuunprojetcommecela!»,se souvient AndrewClark,directeurdelapla-

nificationde la recherchede l’Uni-versityCollege de Londres, en évo-quant sa réaction lorsque MukiHaklay lui a présenté son idée de« laboratoire extrême de sciencecitoyenne». Quelques mois plustard, devant la centaine de partici-pants au deuxième Congrès decyberscience de Londres, ce der-nier est fier demontrer la vidéodeson directeur pour le lancementofficiel de ce laboratoire un peuparticulier.

Malgré un intitulé ronflant, leschercheurs de ce groupe ne sontpas des casse-cou ou des risque-tout de la science. Pour eux,«extrême» signifie un change-mentd’échelleetd’ambitiondansle projet de science collaborativequ’ils explorent en réalité depuisplusieurs années. Même le logo,

évoquantunarbre,est«participa-tif» et toujours en évolution.

«Il s’agit d’impliquer toujoursplusdemondeetdanstoujoursplusd’endroits. Le but n’est plus seule-ment d’utiliser les ressourcescitoyennes pour collecter des don-nées,maisaussipour lesanalyseretdévelopper de réelles synergies ausein des communautés», expliqueMuki Haklay, le directeur d’uneéquiped’unequinzainedeperson-nes, très interdisciplinaire (anthro-pologue, géographe, ingénieur,informaticien…).«Lesjeunesbache-liers d’aujourd’hui connaissentautantdemathématiquesetdephy-siquequeNewton!», clamececher-cheurenthousiaste.

A la parole, il peut déjà joindreles gestes. Pour impliquer lescitoyens, il a lancé des campagnesde mesure participative de bruitprès d’un aéroport, puis dans desquartiers.Mais aussi pour la pollu-tion à l’ozone ou aux particules

fines.«Audébut,cessystèmesparal-lèles de mesure irritent les institu-tionslocales.Maisquandondémon-tre qu’on fait aussi bien que lesexperts, les rapports changent.J’adoreça!», souritMukiHaklay.

«Conflits d’intérêts»Sa collègue, Louise Francis, a

contribué au lancement d’uneapplication pour smartphone outablette(AndroidouApple)permet-tantdemesureretlocaliserlesdéci-bels environnants ainsi que d’endonneruneinterprétationsubjecti-vesurlagêneoccasionnée.Ellediri-ge égalementune start-up associa-tive dont le but est d’aider quicon-que à visualiser des données surdes cartes.

Jerome Lewis a, lui, été plus«extrême». Cet anthropologueestparti sur le terrain au Congo et auCameroun. Avec les villageois, etdeséquipementsélectroniques,ilamis au point une sorte de smart-

phoneavecGPS,émissiondesdon-nées et interface intuitive pouraider les populations à cartogra-phier leurenvironnement.Notam-ment pour situer les lieux sacrés,les ressources en eau, bois, nourri-ture…Lesystèmeestunoutildelut-te contre le braconnage car il per-met de repérer les pièges ou lesarbres coupés illégalement. «Il y aparfoisdesconflitsd’intérêtscarcer-tains utilisateurs du système sonteux-mêmes des braconniers», aexpliqué Jerome Lewis lors de saprésentationà la conférence.

A lapratique, le groupe ajoute lathéorie.«Nousmettonsaupointlesméthodes et les outils pour permet-treàdescollectifsdefairedelascien-ce, y compris pour les non-experts.Nous travaillons aussi à définir lesméthodes pour évaluer ces projets.Et enfin nous espérons bâtir unesciencede la science participative»,égrèneMuki Haklay. La boucle estbouclée.p D.L.

David Larousserie

La science est une activité tropimportante pour être laisséeaux seuls scientifiques.» Leton de la seconde conférenceinternationale consacrée à la«cybersciencecitoyenne» est

donné ce jeudi 16février, à Londres, dansun amphithéâtre d’une vénérable institu-tionscientifique,l’Académieroyaledegéo-graphie. La phrase, un brin provocante, aété prononcée par François Grey, un cher-cheur globe-trotter ayant un pied à Genè-ve, au CERN (Organisation européennepourlarecherchenucléaire),etunautreenChineà l’universitédeTsinghua.

En 2009, il a contribué à créer le Centrecitoyen de cyberscience avec l’appui duCERN, de l’université de Genève et desNationsunies.Ilestaussil’undescoorgani-sateurs, avec l’University College de Lon-dres, de cette manifestation qui a réuniplus de 100personnes pendant trois jourset qui promet de chambouler la science,l’éducationvoire la société.

Mais que sont ces sciences citoyennes?Le terme désigne un ensemble d’initiati-ves, de projets qui transforment de sim-ples profanes, un tantinet curieux, enacteursde la recherchedansdesdomainesaussi variés que l’astronomie, la botani-que, la climatologie, la biologiemoléculai-re, lesmathématiques, la chimie…

Lemouvementaété lancé, en1999,avecle projet Seti@homede recherche des tra-ces de communications extraterrestresdansdessignauxradio.Lepublicdonnedutemps de calcul de son ordinateur pourl’analyse des enregistrements. Même sipourl’instantlaquêteaétévaine,elleadon-nédes idéesàd’autres.Lesprojetsdecalculdistribuéfourmillentpourtrouverdenou-veauxnombrespremiers,découvrir la for-medemolécules, simuler la circulationdel’eau dans deminuscules tubes, compren-drelaformedelaVoie lactée…Lescitoyens,en apportant, même passivement, leurpierreà l’édificepeuventainsi toucheràdela sciencedehautevolée.

L’engagementpeut aller beaucoupplusloingrâceauWeb,quifournitdessolutionsde partage et de collaboration ergonomi-ques et peu chères. Le public peut doréna-vantmettre aussi son cerveau réel, et passeulement informatique, à disposition delascience.LeportailZooniverserecenseain-

siquelquesprojetsoùl’intelligenceduvisi-teur est requise. Recherche d’exoplanètes,analysedelasurfacelunaire, identificationde galaxies, décodage du chant des balei-nes, reconstruction de températures dupassé… sont autant d’activités nécessitantdescapacitésd’analyse,devisualisation,demémoire dans lesquelles l’humain sup-plantelamachine.Souventunephased’en-traînement ou de tests précède l’explora-tion réelle des données. Un système depoints ajoute aussi parfois unedimensioncompétitiveà l’expérience.

Ainsi, le projet de reconstruction destempératures anciennes du globe deman-de aux internautes d’extraire des carnetsde bord de lamarine anglaise les informa-tionsde typemétéorologique (températu-re, vent, pression…) qui entreront ensuitedans une base de données. Les plus actifsdeviendrontcapitainedecenavire.

«Le caractère ludique est important.Pour un projet en astronomie, au bout dedix images à analyser, jeme suis ennuyé. Ala cinquantième, j’ai arrêté», témoigne undes participants à la conférence. Parfois larécompenseest plus concrète. Le projet derecherche d’exoplanètes, Planet Hunters,quiproposedéjàunetrentainedecandida-tes exoplanètes, fait des participants lescoauteurs de l’article scientifique relatant

cesdécouvertes (deuxarticles sont en sou-missionàdes comitésde lecture).

En matière de production scientifiqueréelle, l’exemple le plus connu est sansconteste Foldit. Le but de ce jeu sérieux estde comprendre le repliement des protéi-nes dans l’espace, un problème capitalpour saisir les fonctions de ces moléculesbiologiques. En déplaçant des portions delamolécule, en ajoutant ou détruisant desliaisons, les participants essaientde résou-dre ces casse-tête. Trois articles, dont l’undans la revue Nature, ont assis la renom-

méeduprojet et de ces chercheurs enher-be.«AvecFoldit, lesgensfontplusqu’analy-ser des données. Ils proposent, explorent etcollaborent entre eux. Je n’aurais pas pariéque çamarcherait. C’est un nouveau para-digme», constateFrançoisTaddei,de l’uni-versité Paris-Descartes, orateur à Londres.«Foldit est aussi un excellent outil pour lesétudiants, à condition de le modifier unpeu. Ce jeu évite certains mots spécialisés,quenousdevonsréintroduire, ajouteAntoi-ne Taly, de l’université de Strasbourg.D’autres notions pourraient bénéficier decette pédagogie, bien différente des classi-ques travauxpratiques où les élèves saventcequ’ilsdoivent trouver.»

Une nouvelle catégorie de sciencescitoyennes est également en plein essor.Elleutilisetoutes lesfacilitésapportéesparle Web ou les téléphones portables pouréchanger, collaborerouvisualiserdesdon-nées,maistientàgarderunpieddanslavieréelle. Il s’agit de tous les projets dans les-quels les citoyens collectent des donnéesou font des mesures dans l’environne-ment. Ils retrouvent là les gestes familiersdes précurseurs des sciences participati-ves, lesbotanistesouentomologistesama-teursdesXVIIIe etXIXesiècles.

Aujourd’hui, changement d’échelle.Avec EvolutionMegaLab, Jonathan Silver-town a réuni, grâce à des dizaines de mil-liers de bénévoles, les observations sur3000 escargots à bandes de la familleCepaea nemoralis dont les couleurs peu-vent trahir un changement de températu-re locale. Làaussi, celaadonnélieuàpubli-cations. La chaîne de télévision Arte vientdelancersur leWeb,pourtroismois, lesiteMissionsprintemps,invitantàcompterlesversdeterre,débusquerleslézards,enregis-trer le chant du coucou… En fait, c’est ledomaine leplusbouillonnantdeces scien-ces citoyennes. En anglais, on ne compteplus les sites se terminant en «XXX wat-cher»pourobserverleschauves-souris, lesmoineaux,lespapillons…Lavaleurajoutéecitoyenne est évidente. Seuls, les cher-cheurs ne parviendraient pas à recueillirautant de données sur des espèces aussivariéeset surdes territoiresaussi étendus.

Mais, depuis quelque temps, les petitesmains veulent aller plus loin et faire leurspropres mesures et statistiques. A la réu-nionde Londres, ungroupe a ainsi annon-célelancementd’uneapplicationdemesu-redubruit ambiantpour téléphoneporta-ble.Commeun«concurrent»belge, lepro-

Les citoyens retrouvent là les gestesfamiliers desprécurseursdes sciences participatives,

les botanistes ouentomologistesamateurs desXVIIIe etXIXesiècles

Mesure du bruitavec l’application

Widenoise.LOUISE FRANCIS/EVERYAWARE

Un laboratoirede l’extrême

Vue tirée du jeu Foldit de repliementde protéines (ici d’origine bactérienne).FOLDIT

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é v é n e m e n t SCIENCE&TECHNO

jet avait en fait commencé à l’invitationd’associations de riverains d’aéroport oud’autoroute soucieux d’avoir des argu-mentsàobjecterauxexpertsofficiels.Celan’estpassansrappeler lacréation,enFran-ce, de la Criirad, pour proposer desmesu-res indépendantes de radioactivité dansl’environnement. La panoplie de capteursfaitsmainestdéjàbienrempliepourlapol-lution de l’air, le sulfure d’hydrogène, leschamps électromagnétiques, la radioacti-vité, lesperturbateursendocriniens…

Que ce soit pour prêter bénévolementson ordinateur ou ses petites mains, oubien pour s’impliquer dans des processusplus collaboratifs de réflexions et d’ac-tions, toutes ces initiatives sont très inspi-rées par la philosophie des pionniers duWebetde l’informatique,autourduparta-ge, de la transparence ou de la collabora-tion. D’une certainemanière, l’encyclopé-dieWikipédia incarne aussi ces idéaux. Enanglais, on parle de « crowdsourcing»,pour intelligence des foules. Autrementdit, l’ensemblereprésenteplusquelasom-medesparties.TomIgoe,de l’universitédeNewYork, a ainsi joliment résumé la cho-se: «Ce que l’on fait est moins importantque les relationsque l’oncrée.»

Maislesuccèsdeces initiativess’accom-pagneégalementdequelquescritiques. Lecôté citoyen ferait presque oublier que,dans la plupart des cas, les idées viennentd’en haut, des chercheurs eux-mêmes. Laco-construction est pour l’instant rare.Dans le domainemédical, les associationsdemalades, notamment contre le sida oules myopathies, en sont cependant unexemple.Maisàl’inverse,àLondres,dejeu-nes Allemands, bénévoles et adeptes ducalcul distribué, se sont fait signifier unefin de non-recevoir de la représentante del’Unioneuropéennequantàl’accèsauxres-sources académiques de calcul pour cesnon-professionnels…

La qualité aussi est source d’interroga-tions.«Danslamesuredubruit, il yabeau-

coup de logiciels proposés, mais certainssont vraiment mauvais», explique EllieD’Hondt,del’UniversitélibredeBruxelles,qui a passé beaucoup de temps à calibrerson système. A la conférence, M.Silver-town a insisté sur l’importance des testsd’identificationsur ses escargots: un tiersdesparticipants se trompentd’espèce!

Mêmesi les sciencescitoyennesne fontpas progresser directement la recherche,elles risquent de secouer le monde desexpertsetdel’éducation.«Lorsquel’onpré-sente des cartes géographiques avec desdonnées précises, on est pris au sérieux»,témoigne l’anthropologue JeromeLewisàpartirde sonexpérienceenAfrique.

Augmenter le niveau de connaissanceet d’implication des citoyens ne peut querenforcer la qualité des échanges entrescientifiquesprofessionnels,experts,pou-voirs publics ou privés. Les changementsseront encore plus évidents pour l’éduca-tion.«Latechnologievatrèsvite.Lascienceaussi. Mais l’éducation évolue plus lente-ment.Commepourlessciencesettechnolo-gies, il devrait être possible de travailler ensynergie et en collaboration dans l’éduca-tion. L’intelligencecollectivebiencanaliséepeut nous faire progresser», estime Fran-çoisTaddei, adeptedesméthodespédago-giques innovantes.

Les deux derniers jours de la conféren-ce, les participants, commepourmontrerque les choses changent, sont descendusdes estrades pour des remue-méningesautour d’unedizaine de défis. «Sauver leshippocampes», «Hacker lesmobilespourl’école», «Mesurer la pollution avec unœuf», «Combien y a-t-il de citoyens cher-cheurs?»… Dans un couloir, un partici-pant interroge : «Est-ce qu’on pourraitmesurer l’histoired’unarbre endirect avecun capteur sans fil incrusté dans son écor-ce?» etajoute: «Quelle batterie faudrait-il?»«Demandeàunastrophysicienspécia-liste ! », lui répond-on. A défaut d’arbre,unegraineestdéjà plantée.p

Des idées

Dans nosmondes de plusen plus spécialisés, unefigureimprobableémer-ge, l’amateurdescience.

Jean-Marc Lévy-Leblond, profes-seur émérite de l’université deNice, revient sur ce phénomènedanslederniernumérodelarevueAlliage (culture-science-technique)qu’il a coordonné autour de cettequestion.

Quelles sont les racines de cemouvementd’amateurs descience?

Jusqu’au XIXesiècle, cette ques-tionneseposaitpasainsipuisque,d’une part, la science n’était pasencore professionnalisée, et que,d’autre part, les gens cultivésétaient curieux de science, demusique, littérature ou peinture…On pourrait même considérercomme des amateurs des savantstels que Lavoisier, collecteur desimpôts quimonte son laboratoirede chimie personnel, le rentierDarwinou lemoineMendel.

Mais aujourd’hui que la recher-che scientifique est un métier àpart entière, y a-t-il des amateursen (et pas seulement de) science?Leproblèmeest celuide la relationentrescienceetsociété:uneactivi-té peut être considérée commeculturelle dès lors qu’il existe unspectre continu de participantsentre experts et profanes. Commeenmusique, où ce spectre s’étenddepuis les compositeurs d’avant-gardejusqu’auxgratteursdeguita-re. En science, en tout cas dans lessciences «lourdes», tel n’est pas lecas! Pourtant, l’apparitiondes ini-tiatives de sciences citoyenneschange la donne.

Un exemple probant est ledomainede la recherchebiomédi-cale, où les associations de mala-des du sida ou de myopathiesjouent un rôle dans l’orientationet le financementdes recherches.

Que sont ces sciences citoyen-nes?

La définition est encore floue,caractéristique d’un mouvementen émergence. On peut parler desciencescitoyennes,derecherches

participatives ou de critique desciences. Le philosophe BernardStiegler propose le terme d’«ama-torat» scientifique, pour éviter laconnotation dépréciative du motamateurisme. Cette notion, pluspositive,ouvrelavoieàunerecons-truction de meilleurs rapports dela scienceet de la technologieavecles profanes.

Mais, suivant les domaines, laparticipation des amateurs à larechercheporteunecertaineambi-guïté. S’agit-il d’une implicationpluspousséedescitoyensdansl’ac-tivité scientifique ou d’unmoyenderecruteràmoindrefraisdescol-laborateursbénévoles?

Qu’est-ce que cela peut apporteraux sciences ou à la société?

La philosophe Isabelle Stengersverrait bien ces citoyens deveniralliés des chercheurs dans leurcombat contre les marchands dedoutesquisoutiennentlecréation-nismeoulanégationduréchauffe-ment climatique, par exemple. Acondition, comme je le pense éga-lement,queleschercheurssortentplus de leur laboratoire. Cela sup-pose qu’ils commencent parmieux connaître la société, ce quinécessite de profonds change-ments dans leur formation.

Si le mouvement de sciencecitoyenne peut avoir des vertuspédagogiques, ce n’est pas seule-mentausensclassique,desprofes-sionnels vers les profanes. Maisaussi dans l’autre sens : les pre-miers doivent apprendre desseconds. Les profanes ne sont pasignorants et incultes, des têtesvidesqu’il s’agirait de remplir.

Enfin, on peut espérer que cesmouvements citoyens aident àrépondre à la crise démocratiquequenousvivons,enouvrant large-ment au-delà des seuls experts lechoix des priorités, de l’organisa-tionetdu financementde la scien-ce. Instaurer des formes plusouvertesdedélibérationetdedéci-sion sur le développement de lascience est essentiel. L’«amato-rat» peut y aider.p

Proposrecueillis parD.L.

«L’“amatorat”peutchanger les relations

entre science et société»

Boinc.berkeley.eduLogi-cielpermettantdeparticiperàunecinquantainedeprojetsencalculdistribué. Environ500000ordinateursconcernés.

Scistarter.comUnportailrecensant, en anglais, des dizai-nesdeprojets dansune vingtai-nede domaines.Unemined’idées.

www.xtribe.euUneplate-formede jeux sociauxen lignepour aider les sciences sociales.Fait partie d’unprojet euro-péen, Everyaware.eu, de recher-che sur les sciences citoyennes.

www.emsc-csem.orgSys-tèmed’information sur lestremblementsde terre auquelles citoyenspeuventparticiper.Les connexionsau site serventaussi d’indicateurde séisme.

www.edgeofexisten-ce.org/instantwildSiteWebet applicationpour télé-phonepermettantd’aider àidentifier des espècesmena-cées auKenya, au Sri LankaouenMongolie, prises enphotodans leur environnement.

www.ispot.org.ukOutil communautaired’identi-ficationdepoissons, champi-gnons, plantes, oiseaux…Lesite permetd’échanger sur cessujets et de gagnerdes pointsde réputationpourdevenir«expert».

Dispositif bricoléde prises de vue aériennespar ballon, à l’initiativedugroupe américain

Public Laboratory forOpenTechnologyand Science.

ZACHDENFELD/STEWART LONG

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b a n d e p a s s a n t e

Lesloisdelaphysiquerepoussentleurslimites

Aquoi servent lesprogrammesdetélévision?Onse souvientde l’ex-cellente réponsedonnée, en2004,parunéminent spécialiste,Patrick

LeLay, à l’époquePDGdeTF1:«Pourqu’unmessagepublicitaire soitperçu, il fautque lecerveaudutéléspectateur soitdisponible.Nosémissionsontpourvocationde le rendredisponible: c’est-à-direde ledivertir, de ledétendrepour lepréparer entredeuxmessa-ges.CequenousvendonsàCoca-Cola, c’estdu tempsdecerveauhumaindisponible.»

Cettevidangedes cerveaux,qui s’accompa-gnesouventd’un remplissagedesesto-macs,occupe leplusgrosdes loisirsdeshumains.D’oùuneéquationénergétiquequemêmeun téléspectateurdeTF1 enpleineffortd’évacuationcérébralepour-rait résoudre: fessesdans le canapé+calo-ries ingurgitées=bonheurdesdiététicienset chirurgiensspécialisésen liposuccions.

L’épidémied’obésité se répandsur lespays riches.Uneétudede2010estimaitque68%desAméricainsétaientobèsesouensurpoids, enpartieà caused’unstyledeviedeplusenplussédentaire. Lamêmeannée,onapprenaitqu’auxEtats-Unis letéléspectateurmoyenregardait sonpostepresquetrente-huitheurespar semaine.Lamachineàengraisser tourne…àpleinrégime.Pouren sortir, trois chercheursdel’universitédeKnoxville (Tennessee)vien-nentd’avoirune idéeque l’onqualifierade…mmh…disonsoriginale: pourquoinepasprofiterdespublicités,nonpaspourallervider savessie (aprèssoncerveau),maispour fairede l’exercice?Afindeconvertir les avachisenactifs sans toute-fois lesdébrancherde leurboîteà imagessacrée,notre triopropose,dansunarticlepubliéen févrierpar la revueMedicine&Science inSports&Exercise, lamarchesurplacedevant l’écran!

Encore fallait-ilprouver,demanièrescientifique,quecetteactivitéphysiqueconsommaitsignificativementplusdecaloriesque levisionnage,assis, de la télé.Les chercheursontdoncenrôlé 23indivi-

dusde 18à65ans (dont 10ensurpoidset4obèses)etmesuré leursdépenses énergé-tiquesdansplusieurs casde figure: troispourconnaître leurmétabolismedebase–allongés, assis sans rien faireoumar-chantsuruntapis roulantà4,8km/h–etdeux«en situation»–assispendantuneheureà regarder la télévisionet, toujourspendantuneheure, se levantàchaquecou-purepublicitairepourmarcher surplace,aurythmed’unecentainedepasparminu-te et enprenantbiensoinde lever, à cha-que fois, lepiedd’unequinzainedecenti-mètres. Sachantque lespublicitésoccu-paientvingt etuneminutesparheure, lescobayesont enmoyennedépensé67calo-riesdeplus (148 contre81) en faisantdusurplace faceà l’écranqu’en restantdansleurcanapé.Résultat convaincant.Donc,onse lève touspour lapub…

Pourquoi, au lieudepréconiser cetteimprobableoccupation, ces chercheursn’ont-ilspas simplement recommandéauxAméricainsd’éteindre lepostede télé-visionetde sortirpourunepromenade?C’estmalheureusementparcequ’ilsconnaissent la«réticence»de leurs compa-triotes«àabandonnerdemanièreperma-nenteunepart de leur tempsd’écran»qu’ilsontprivilégiécette approcheasso-ciantexercicephysiqueetpetit écran.Entoute logique, il ne restedoncplus,pourdes raisonssanitairesévidentes,qu’à exi-ger lamultiplicationdes réclames.Ducoup, lesprogrammesservirontà soufflerentredeuxpublicités.p

La rumeurcourait depuisplusieursmois. La confirmationofficielleestarrivée la semainedernière: lamesurepar l’expérienceOpera

d’unsurprenantexcèsdevitessedesneu-trinossepropageantplusviteque la lumiè-repourrait, aprèsmoultvérifications, êtredueàunemauvaiseconnexionentreuncâbleetunecarteélectronique.

Celadoitd’abordnousapprendre lamodestie.Unsimpleconnecteuraura faitcoulerbeaucoupd’encreet généré215arti-

cles scientifiques.Maisgareauphysicienqui critiqueranos collèguesd’Opera:nousavonstousunconnecteurmalbranchédansnosplacards!

Lanouvellea sansdouteétéaccueillieavecbeaucoupdesoulagementpar les spé-cialistesde laphysiquethéorique,quiavaientexprimé leurembarras. Eneffet, ilsn’ontaucunmodèle théoriquedans leurscartonsquipermetted’expliquer facile-mentuneviolationaussi flagrantedes loisde la relativité.Si lamesureavait été confir-mée,onauraitdû revoirnos théories surl’espace, le tempset lamatière.

Onpeut sansdoutepartager ceouf!desoulagement.Dupointdevue intellectuel,il est réconfortantquenos connaissancesreposentsurunebase solide.Maisce triom-phede la loi et de l’ordrenedoitpasnoustromper.Noussommes trèsprobablementdansunesituationsemblableà celleque laphysiqueaconnue il yaunsiècle. Triom-phait alorsunensemblede théoriesquipasse sous lenomdephysique«classi-que».Celle-cipermettaitdemaîtriserconceptuellement lemonde.Unphysicienbritanniquetrès connu,LordKelvin(1824-1907),auraitmêmedit: « Il n’ya riendenouveauàdécouvrirdans laphysiqueaujourd’hui.Tout cequi reste sontdesmesu-resdeplusenplusprécises.»Quelleperspec-tiveennuyeuse!

Peud’annéesaprès, la relativitéet ensui-te ladécouvertede laphysiquequantiquenousobligeaientà réécrire tousnosmanuels. Il ne s’agissaitpasde raffine-

ments théoriquessans conséquencesprati-ques.Tousnosgadgets électroniquessontbasés sur lamécaniquequantiqueet sespropriétéssurprenantes. Sansmécaniquequantique,pasde transistor. Sans transis-tor, unportableaurait la tailledevotresalon. Les signesquenosmodèles théori-quespourraientêtre inadéquatspour com-prendre lemondenemanquentpas.

Laphysiquedesparticules,malgrésessuccès, est loind’être complète. Ellen’intè-gre toujourspas la forcedegravitation,etlanaturede l’espaceetdu tempsàdeséchellesmicroscopiquesdemeure totale-ment inconnue.Pire, lesmesures récentesde la cosmologienousdonnent l’imagesur-prenanted’unUniversoù lamatièrequenousconnaissonsne représentequ’uneinfimeminoritédecequi existe.Dequoiest constitué le reste?

D’où l’étrangeparadoxeduphysicien,hommede l’ordredoubléd’un révolution-naireprofessionnel! Touten chérissant laprécisionet la clarté intellectuelle le jour, iltravaille lanuitpour trouver la failledansles théoriesqu’il aime.L’histoirenousmon-trequecet effortn’estpasvain.Mécaniquequantiqueet relativitéontpermisde com-prendre les limitesde l’applicationde laphysiqueclassique. Il est faciledeprévoirque toute«loi»de laphysiquen’estvala-blequedans certaines limites.Demêmepour lavitessede la lumière,qui demeureensursis.Devons-nousalorsnousattendreàunbouleversementdenotreconceptiondumonde?Sansdoute,maisquand?p

–44

IMPROBAB LO LOG I E

PierreBarthélémyJournaliste et blogueur

(Passeurdesciences.blog.lemonde.fr)(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

Commentmaigrirdevantlatélévision…

L E S COU L I S S E SD E L A PA I L L A S S E

MarcoZitoPhysicien des particules,

Commissariatàl’énergieatomiqueetauxénergiesalternatives

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

Sandrine Cabut

Les dizaines de milliers d’individusqui bénéficient d’une greffe d’orga-ne chaque année dans le monde(environ 4500 en France) doivent

une fière chandelle à un ingénieur suissecurieuxdupaysdes fjords.C’esteneffetgrâ-ceàunéchantillondeterreramenédeNorvè-ge par un employé des laboratoires Sandoz,Hans Peter Frei, qu’a été isolé, en 1969, lechampignonmicroscopique qui produit laciclosporine. Ce pionnier desmédicamentsantirejet commercialisé dans les années1980, a littéralement transformé le pronos-tic desgreffes.

L’histoire,racontéeparleprofesseurJean-Noël Fabiani (chirurgien cardio-vasculaireetpassionnéd’histoirede lamédecine)danssonnouvelouvrage, estd’autantplus trucu-lentequ’elleaconnudenombreuxrebondis-sements. Dans les années 1960-1970, la fir-me Sandoz demandait à ses chercheurs derapporter systématiquementde leurs voya-ges des extraits telluriques, espérant ydécouvrir une source de nouvellesmolécu-les antibiotiques ou antifungiques. N’ayantrévélé aucune efficacité contre des micro-organismes,laciclosporineissuedelacollec-te d’Hans Peter Frei fut oubliée quelquesannées sur des étagères. L’obstination d’unautre chercheur de Sandoz, Jean-FrançoisBorel, a permis de découvrir ses puissantesactivités immunosuppressives.

Les dentellières et le jardinierAprès un premier opus réussi de Ces his-

toires insolites qui ont fait la médecine,M.Fabiani récidive avec un volet centré surla transplantation. Alternant récit contem-porain (parcours d’une jeune patiente dudébutde samaladiecardiaqueàsagreffe) etchapitres historiques, le chirurgien retraceavec talent les épisodes les plusmarquantsde la longuequêtedes remplacementsd’or-ganes. Leurs coulisses aussi, pas toujoursglorieuses. Si la protection des patients seprêtant aux recherchesmédicales – instau-rée par la loi Huriet de 1988 – paraît aujour-d’huiuneévidence, iln’enapastoujoursétéainsi. L’histoire de la greffe rénale est ainsiemblématiquede la liberté totale, de l’auda-ce (inconscience?) des médecins et cher-cheursde la premièremoitié duXXesiècle.

La première transplantation de cet orga-ne àpartir d’un cadavre, effectuéeenUkrai-ne en 1933 chez une jeune femme, n’avaitguèredechanced’être couronnéedesuccès.Outre qu’il n’avait pas tenu compte de lacompatibilité des groupes sanguins, lechirurgienrusse,Voronoy,«réalisa lagreffeaprès environ six heures d’ischémie du gref-fon, durée pendant laquelle le rein du don-neur ne fut pas vascularisé ni protégé paraucunetechniquequecefût, écritFabiani.Latechniquedeprotectionparlefroidproposéepar Alexis Carrel [chirurgien français,1873-1944] n’avait pas franchi les portes del’Ukraine». La greffée est morte en quatrejours, ce qui n’a pas empêché Voronoy dedécrirel’interventiondanslapressemédica-le commeun succès.

Pendant lesdeuxdécenniesquiont suivi,les chirurgiens se sont lancés tête baisséedans les transplantations rénales, sanssavoir pourquoi certains patients survi-vaientetd’autres(lamajorité)non,poursuitJean-NoëlFabiani.Al’époque,iln’yavaittou-tefois pas grand-chose d’autre à proposer àcesmalades, reconnaît le chirurgien cardio-vasculaire,enrappelantque l’immunologien’enétait alors qu’à ses balbutiements.

S’il n’éludepas, loin s’en faut, les explica-tionstechniques,M.Fabiani fait lapartbelleauxhistoiresd’hommesetdechair.L’insoli-tepromisdans le titreest indiscutablementau rendez-vous. C’est l’occasion de décou-vrir comment les dentellières lyonnaisesont apporté leur savoir-faire à la chirurgie;mais aussi le rôle méconnu d’un jardinierdans les premières greffes du cœur.p

Ces histoires insolites qui ont fait lamédecine(tome2). Les transplantations, de Jean-NoëlFabiani (Plon, 230p., 21¤.)

SCIENCE&TECHNO r e n d e z - v o u s

L’histoiredestransplantations,côtécoulisses

Au-delàdespremièresréussites,unevisionhumanistedesdessousde l’histoiredesgreffes

Chaque semaine, desmembres de l’Ouvroir de bande dessinée potentielle (Oubapo) se relaient, inspirés par la science.

C’est, enmètres, la chutedehauteurmoyennedu couvertnuageuxau-dessusde la Terre depuis dix ans,selonune équipenéozélandaisequiapublié ce constat dans la revueGeo-physical ReviewLetters (3février).Ces résultats originauxont été obte-nus enobservant, sousneuf anglesdifférents, lamanière dont la Terreréfléchit la lumière solaire, grâce ausatelliteTerra de laNASA. Le cielnous serait donc tombé sur la têted’environ 1%entremars2000etfévrier2010.Une chuteplus brutalede80mètres amêmeété constatéesur le Pacifique, fin 2007, à cause delaNiña, unphénomène climatiquequi refroidit l’océan. Les chercheursse gardent biende tirer des conclu-sions sur le réchauffement climati-quede cette baissede lahauteurdesnuagesdont l’origine exacte resteinconnue.

Médecine«Pourunmonde sans sida»Ce livre d’entretiensavec FrançoisBouvier restitueunportrait très fidèlede FrançoiseBarré-Sinoussi,colauréateduprixNobel demédecineen2008pour la découverte duvirusdu sida: scientifique rigoureuse,surtoutpas encline à semettre enavant, profondémentengagéedans lalutte contreunemaladieplanétairequi frappe lourdement les pays endéveloppement. Elle décrit sonparcours, l’entrée en 1971 dans lelaboratoirede celui qu’elle qualifie de«formidablementor» et dont elleregrettequ’il ait été l’oubliéduNobelen 2008, Jean-ClaudeChermann. Elleévoque, bien sûr, l’identificationduVIH,unparfait exempledecoopération forte entre recherchefondamentale et recherche clinique,un «leitmotiv»dans sa carrière.FrançoiseBarré-Sinoussi racontedansson livre qu’alorsqu’elle rencontrait,à la fin des années 1980, unpatientatteint d’un sida enphase terminale, àSanFrancisco, celui-ci luimurmuraen rassemblant ses dernières forces:«Merci…pour les autres.»> FrançoiseBarré-Sinoussi(AlbinMichel, 174p., 17,50¤).

Histoire«L’Occulte»Leprojet des Lumières d’éclairer leshommeset de faire briller la raisonaéchoué. Pire, la technologiemoderne,avec leWeb facilitant la diffusiondessavoirs, ne parviendrapas à corriger letir, voire nuira à ceprojet.L’occultisme, l’ésotérismeoul’irrationnel sont toujours là, commele constate l’auteure, historienne. Sadémonstrations’attache à suivre lessurvivancesde l’occultismeà traversles âges enEurope. Alchimie,médiums, exorcismeouextraterrestres accompagnent sanscesse chacundes progrèsscientifiques. Jusqu’auWeb, donc, oùl’anonymatet la facilité depublicationsont painbénit pourtoutes les thèses obscures.De cemessageunbrin fataliste, il reste toutdemêmeunebaladeoriginale dansces contrées sombres.> SabineDoering-Manteuffel(Editionsde laMaisondes sciencesde l’homme, 290p., 38¤).

L E L I V R E

Livraisons

6 0123Samedi 3mars 2012

L a reproductionpar clonage est-elleunebonne stratégie évolutive? Les résultatsd’uneétudemenée sur Posidoniaoceani-

ca – la posidoniedeMéditerranée, dont les her-biers sont bien connusdes plongeurs – indi-quequeoui. Loin d’être un cul-de-sac évolutifcondamnant l’organismeaucumuldemuta-tionsdélétères, la croissance clonale lui per-mettrait au contraire de conserver son génoty-pe sur plusieursdizainesdemilliers d’années.

Bienqu’elle vive sous l’eau, la posidonie est«uneplante à fleur et nonune algue, autre-ment dit unorganisme issud’une évolution surterre et d’un retour à lamer»,pose enpréam-bule SophieArnaud-Haond (Ifremer), qui amené l’étudepubliée le 1er février dans PLoSOne. Elle possèdedoncdes racines et se repro-duit grâce à ses fruits.Mais aussi en se clonant,auniveaude ses rhizomes: une seule cellule,en faisantune fourcheenY, donnenaissance àdeuxnouveauxpieds.

La taille et l’âge des organismes clonauxétaient jusqu’àprésent sous-estimésen raisond’échantillonnages limités et parce qu’on

n’imaginaitpasqu’ungénotypecommunpuis-se se rencontrer endes lieuxdistincts. PourPosidoniaoceanica, les chercheursont prélevéplusde 1500pieds sur 40sites à travers laMéditerranée.A l’aide demarqueursADNmicrosatellites, ils ont identifié des génotypespartagés surde vastes étendues, avecune limi-temaximale de 15kmsur la ligne côtière del’île de Formentera (Baléares).

Apartir demodèlesde croissancede la plan-te, élaborés grâce à des plants témoins, diffé-rents scénariospermettentd’estimer l’âge deslignées. L’hypothèse la plus cohérente avec latopographieet leniveaupassédes eaux faitintervenirdeuxmodes d’expansioncombi-nés: le clonage lui-même,processus relative-ment lent, et la dispersionde fragmentsdeplantsqui se décrochent et reprennentpied

unpeuplus loin après avoir dérivé.Onarrivealors àune estimationde «plusieurs dizainesdemilliers d’années, avec lamême capacitéd’adaptation conféréepar un génome identi-que», explique SophieArnaud-Haond.

Tient-onun recordde longévité? Làn’estpas la question.D’abord, parce que l’âgemesu-ré est celui «d’un individugénétique»,pasunorganismeau sens strict,mais «unepopula-tionde pieds qui dérive par reproductionasexuéed’une seule graine», précise la cher-cheuse. Ensuiteparce que l’enjeu est ailleurs:comprendre la dynamique évolutive et écolo-giquede l’espèce est essentiel si l’onveut lapréserver. Si les herbiers ont fait la preuvedeleur capacité de résistanceauxmodificationsenvironnementalesgrâce à leur grandeplasti-cité phénotypique, il s’agissait de change-ments graduels. Les pressionsde toutes sortesinfligéespar l’hommesont autrementplusbrutales. Et Posidoniaoceanican’y résiste pas:le déclindes herbiers estmesuré à 5%par an.

Une situationpréoccupantequandon saitque ces plantes forment l’écosystèmemajeurde laMéditerranée, à la fois le plus complexeet le plus étendu.Aumême titre que lesman-groves et les coraux côtiers, elles constituentdespuits de carboneénormes, qui sont, «à sur-face égale, plus efficaces que la forêt équatoria-le !», souligne SophieArnaud-Haond.

Il faut espérer que ce coupdeprojecteurconcoure à sensibiliser aux services renduspar les posidonies et à changer les regards por-tés sur les herbiers, encore trop souvent consi-dérés commedesnuisances et victimesd’arra-chages intempestifs.p

Conférence«Vingt ans d’observationde la Terre avec lesmissionsde l’ESA»En 1991, l’Agence spatialeeuropéenne (ESA) lançait lepremier satellite d’observationdela Terre. Il a été suivi par Envisat,qui est toujours le plus grossatellite de surveillancedel’environnementdumonde.Undesingénieursde l’ESA, Yves-LouisDesnos, présenteraunbilande cesdeuxdécenniesd’observationde laplanètequi apportentdeprécieusesdonnéespour le suivi dela couched’ozone et de l’évolutiondes glaciers ou encore lamesuredes vents océaniques.> Le6mars, 20h30, Champslibres, 10, coursdesAlliés,Rennes. Tél. : 02-23-40-66-40.

Exposition«Couleur d’odeur»Venezparticiper à une expériencescientifique sur les odeurs et lescouleurs en rencontrantdeschercheursqui vous ferontpasserquelques tests. Cinqodeurs sont àdécouvrir, chaque semainejusqu’au8avril, afinde tester s’ilexisteune associationentrel’odorat et la vue.> Palais de la découverte, avenueFranklin-Roosevelt,Paris 8e.Couleur-odeur.blogspot.com

r e n d e z - v o u s SCIENCE&TECHNO

Sandrine Cabut

D ansquelles conditions desécuritédoivent êtremenées les recherches sur

des virus grippauxpouvantconduire à desmutants dange-reux?Relèvent-elles de laboratoi-res P4, le niveau le plus élevé enmatièrede biosécurité? Cettequestion centrale, poséedepuisles travauxde chercheurs qui ontcrééun supervirusde grippe aviai-re transmissible entremammifè-res, devrait bientôt être tranchée.

Réunis à huis clos au siège del’Organisationmondialede la san-té àGenève les 16 et 17février,22spécialistes, dont des représen-tants desdeux équipes à l’originedudébat, jugent légitimedepour-suivre ces recherchespour des rai-sonsde santépublique. Près de60%des 573 cas d’infectionsàH5N1 recensésdans lemondedepuis 2003ont étémortels, et lerisqueque ces virus jusque-lànontransmissiblesentrehumainsacquièrent cette capacité paraîtplus important queprévu.

Certainesdesmutationsutili-séespar leNéerlandaisRon Fou-chier et l’AméricainYoshihiro

Kawaokapourmettre aupointleur supervirus existeraientmêmedéjà chez des virus aviairesen circulation, selonunarticleparu le 22février sur le site inter-net de la revueNature. Les expé-riencesne reprendront toutefoispas avant unedécision sur leniveaude biosécurité requis.

Faire face àunepandémieLes laboratoires sont classés en

quatre catégories selon ladangero-sitédes germes étudiés avec, pourchacune, desmesuresdeprécau-tion adaptées. Leniveau1 corres-pondàdes agentsnonpathogè-nespour l’homme; le niveau2 àdes agents responsables d’infec-tionspeugraves ouaccessibles àun traitementpréventif ou cura-tif : virus de la grippe saisonnière,herpès virus…UnP3permet lamanipulationd’agents plusdan-gereux tels le bacille de la tubercu-lose ou l’anthrax. Enfin, unP4 estrequispour des germes commeles virus EbolaouNipah, trèscontagieux, trèsmortels, et pourlesquels il n’existepas demesurespréventivesou thérapeutiques.

Ces laboratoiresdehaute sécuri-té – unevingtainedans lemonde,sept en Europe– sont totalement

hermétiqueset nécessitent, pourlesmodèlesde dernière généra-tion, le port de scaphandresmain-tenus enpressionpositive.

«Ce qui fait la différence entreunniveau 3 et unniveau4, c’estessentiellement la redondancedessystèmes de contrôle qui permetd’assurerune protection continuemêmeen cas dedéfaillance, et laprésenced’unedouche dedéconta-mination,préciseHervéRaoul,directeurdu seul laboratoire P4français, à Lyon.Ainsi, il n’y a engénéral qu’une étapededéconta-mination, parfois deux, dans lesP3, alors que le systèmeest tripledans les P4, avec un traitementchimique, physiquepuis une inci-nérationdes déchets.»

Enmenant leurs expériencesdansdes structures intermédiai-res, dites 3 +, Fouchier et Kawaokaont-ils été imprudents? Lesexpertsde biosécurité américainspointentun double risque: lesaccidents et lamalveillance. Il y aquelquesannées, le virologuefrançais BrunoLina, qui souhai-tait croiserdes virus grippauxaviaires avec des soucheshumai-nes en suivant lamêmedémar-cheque ses collègueshollandaiset américains, avait demandéà

travailler en P4. Il n’avait alorspasréussi à obtenir lemutant qui faitaujourd’huipolémique. «Amonsens, les chercheurs deRotterdamn’ont pas fait n’importe quoi. Est-ce idéal? Le débat est ouvert», esti-meHervéRaoul. Jusqu’ici, rappel-le-t-il, aucunvirus grippal n’a étéclassé agent deniveau4. LeH5N1classé agent deniveau4. LeH5N1pose cependantquestion car cepose cependantquestion car cevirus est très souventmortel etvirus est très souventmortel etles parades sont limitées: le vac-les parades sont limitées: le vac-cinn’estpasdisponible faci-lement et les antivirauxne sont quepartielle-ment efficaces. La ques-tion sepose avecd’autantplusd’acuité qu’on sait désor-plusd’acuité qu’on sait désor-mais qu’unmutantpeut sepropager entremammifères.propager entremammifères.

«Aujourd’hui, les P4 ne s’oc-«Aujourd’hui, les P4 ne s’oc-cupent que de virus,mais ilfaut nous préparer à étudierd’autres germes émergents,tels les bacilles tuberculeuxultrarésistants»,prévoit ledirecteur du P4 français. Ilcoordonneunvaste pro-jet de plate-formeeuro-péenne s’appuyant sur lessept P4 existants. Uneorga-nisation en réseau indispen-nisation en réseau indispen-sable pour faire face à unepandémie.p

bo t an i q u e

LaurentBrasierJournaliste

Lesétonnantescapacitésd’adaptationdesherbiersmarinsdeMéditerranée

Agendad a n s l e s l a b o s

Lesvirusgrippauxdoivent-ils changerde labo?

a f f a i r e d e l o g i q u e

MATHIEU VIDARD14h - La tête au carréavec chaque vendredi la chronique de la rédactiondu cahier Science&techno

franceinter.fr

«Posidonia oceanica» se reproduit grâce à ses fruits,mais aussi en se clonant.MANU SANFELIX

70123Samedi 3mars 2012

8 0123Samedi 3mars 2012

J’ignore combien il y a d’innovateursbidouillantau fondde leur garagedans lesmontagnesdu Liban avecl’espoirde détrôner Facebook,Goo-gle et Twitter.Mais je suis sûr qu’ils

trouveront tous les coupsdepouce dontils ont besoinpourdémarrer grâce auxaccélérateursde start-up, à Beyrouth.

Adéfaut d’unedéfinitionclaire, onpeut se faire une idéede ce qu’est un accé-lérateurauMoyen-Orientdans la référen-ce constante à YCombinator (Ycombina-tor.com),une entreprisedeMountainView, enCalifornie. En sept ans, elle a aidé380entreprisesqui ont séjourné troismois dans leurs locaux et dans chacunedesquelles elle a investi 18000dollars enmoyenne (13400euros).

SamerKarama créé Seeqnce.com, enmai2010, avec trois de ses copains «quin’avaientpas de lieu où se réunir». Il adonc trouvé et remodeléunappartementenplein centred’Hamra, le quartier leplusouvert aux technologies de l’infor-mationet de la communication (TIC) de

Beyrouth.Des séparationsvitréespermet-tent aux start-upde s’isoler tout enpré-servant l’existenced’espaces communsavecune chambre à idées, unewar room(une structured’analyse et de synthèse),une salle communautaire.«J’ai toutconçu et dessiné surmesure. Tables etmurs sont des tableauxblancs sur lesquelsvous pouvez écrire. Ça permet auxgensd’être très créatifs.» Il ne fait aucundoutepour lui que «si, dans la SiliconValley, laproximité est indispensable au succès,nous en avonsdix fois plus besoin ici».

Tentationd’immigrerSeeqnce.comne s’intéressequ’aux

entreprises ayant pour objectif le profit,et ses investissements tournent autourde 200000dollars. Ses deuxstart-upvedettes sont Cinemoz.com,qui veut êtreleHulu.com (service de vidéoà la deman-de) dumonde arabe, et Jogabo.com,quipermet auxamateurs de footdumondeentier d’organiserdesmatches entrecopainsavec unmélangede réseau social

et de géolocalisation.A quelques pâtés demaisons de là, Alt-

city.comse veut un «coworking space[uneplate-formede travail collaboratifen réseau]avec des fonctionnalitésd’accé-lérateur et d’incubateur», expliquent sesfondateurs,Dima Saber et DavidMunirNabti. Ils insistent sur la communicationhumaine, essentielle dans un pays oùl’identité est définie par l’appartenancereligieuse. «Nous avons des gens, ici, quin’ont jamais vu de personnes d’une autreville, d’une autre religion», précise Saber.

«Nous voulons réunir producteurs decontenu, activistes, codeurs, déve-loppeurs, dessinateurs graphiques etentrepreneurs, poursuitNabti. Pour cela,nousmélangeons activités formelles,commeateliers ou conférences, etconnexions informelles, comme cellesque l’on peut développer dans une cafété-ria.»Onn’y trouve pas que des entrepri-ses sociales. «Pourquoi ne développe-rions-nouspas une version arabe deAngry birds [jeu vidéo]?», s’interro-

ge-t-il. «Les start-up semoquent de nosdifférences, estimeHabibHaddad, quidirigeWamda.com,une entreprise finan-cée par un fonds jordanienqui se consa-cre aussi aux start-updans leur phase ini-tiale. Elles développent leurs produitsdans leur garage, à Byblos [au bord de lamer] oudans lesmontagnes, et quandelles passent à l’échelon supérieur, ellesvont à Dubaï ou aux Etats-Unis.»

Le Liban est trop petit pour constituerunmarché (4millions d’habitants),mais les nombreux Libanais bien for-més qui s’intéressent aux TIC peuventaspirer soit aumarché arabe (un desplus dynamiques), soit à une présenceglobale – la diaspora libanaise compteentre 12 et 15millions de personnes – etla tentation d’immi-grer est alors considé-rable. Seeqnce, Altci-ty,Wamda s’effor-cent de les coachersur place avant de leslaisser s’envoler.p

Vincentdurupt

Brest, correspondant

J’ai toujours eu l’envie, réalisée, d’être àla frontière de plusieurs disciplines.L’innovation, on la trouve beaucoupàla transition», résume le chercheurClaude Berrou. Son pari aujourd’hui:

comprendrele cerveausous l’anglede l’in-formation,saspécialité,etnonsousl’anglestrictement neuronal. Le projet a suscitél’intérêt du Conseil européende la recher-che, qui lui a accordé 1,9milliond’euros.

CeprofesseuràTélécomBretagne,écoled’ingénieurs près de Brest (Finistère) inté-grée à l’Institut Télécom, bientôt InstitutMines-Télécom, est le co-inventeur, avecAlainGlavieux,morten2004,desturboco-des,danslesannées1990.Ceprocédéaper-mis pour la première fois de transmettredes données binaires avec très peu d’er-reursmêmedans unmilieu très perturbé,cequiétaitréputéimpossible.Ilestaujour-d’hui largement utilisé dans la téléphonie3Get4Goudans les sondesde laNASA,quipeuvent ainsi émettre à des niveaux depuissanceélectriqueplus faibles.

En2003, lesdeuxinventeursontreçu lamédaille Hamming, de l’Institute of Elec-trical and Electronics Engineers (IEEE). Eten 2005, Claude Berrou recevait le prixMarconi, décerné l’année précédente auxconcepteurs de Google. Deux ans plustard, il entre à l’Académiedes sciences.

En Bretagne, région à laquelle il est trèsattaché, Claude Berrou a continué à tra-vailler sur les turbocodes, élargissantleurs principes à d’autres fonctions d’unrécepteur de télécommunications. Sonintérêt pour le cerveau date d’il y a cinqans. Il se dit alors que le fonctionnementdes codes distribués, dans lesquels la pro-tection des messages à transmettre estrépartie sur plusieurs petites lois mathé-matiques au lieu d’une seule très comple-xe, ressemble à ce qui peut se passer dansle néocortex. «Je travaille beaucoup paranalogies. Celle-cim’est apparue en regar-dant simultanément un type de décodeur,le plus distribué qu’on puisse imaginer, etune image microscopique de neurones àl’intérieurde lamatière grise.»

Le professeur estime qu’une informa-tion mentale, chez des sujets sains, estrobuste et pérenne, et donc redondante, à

l’instar des codes correcteur d’erreurs.«Orcettescience, je laconnaisdansles télé-communications.»

Claude Berrou vise alors une approchede l’information du cerveau débarrasséede tout fonctionnement moléculaire ouphysico-chimique, à la différence du BlueBrain Project d’Henri Markram, à l’Ecolepolytechnique fédérale de Lausanne.

L’enseignant-chercheur,quis’estcepen-dantbeaucoupdocumentédans lechampde la biologie et des neurosciences, a tra-vaillé avec un doctorant originaire deBrest, Vincent Gripon, issu de l’antennerennaise de l’Ecole normale supérieure àCachan. Tous deux ont lié des réseaux deneurones en y intégrant des notions de lathéorie des graphes et du codage redon-dant. Ils ont breveté le fait que n’importequel graphe peut contenir naturellementun codage redondant. Un autre brevet aétédéposésur la propagationd’une infor-mationdansun réseau.

Auxiliaires intellectuelsL’idéedes chercheursestque celle-ci est

apportéepardes agrégatsdenœuds inter-connectés.«Si c’est cela, et c’est notre théo-rie, cela veut dire que l’informationdans lecerveau est binaire, avec des liaisons quiexistent, ou pas, considère Claude Berrou.Nos génomes sont bien numériques. Si lavieafaitcechoixpoursonarchivage,pour-quoin’en serait-il pas demêmedans le cer-veaupour son informationmentale?»

Pour élaborer ce néocortex artificiel,les deux chercheurs sont arrivés à un

modèle dont le principe d’apprentissageleur semble plausible. Il évolueramais iladéjàunnom:Cogniteur,motempruntéau vieux français. « L’objectif est deconstruire une machine électroniquecapable d’apprendre des millions de mil-lions d’informations, d’en croiser, d’enproduire de nouvelles. Et aussi de luiapporter du sens», explique Claude Ber-rou, qui, à 60 ans, s’engage dans un nou-veau challenge.

La subvention du Conseil européen dela rechercheauprojetNeucod (pourNeu-ral Coding), qui a démarré début février,va permettre de financer pendant cinqans six des huit permanents de l’équipe.Unevingtainedepersonnes travaillerontà ce programme qui intégrera desnotionscognitivesdepertinence,d’atten-tion et de vigilance. «Le succès, ce seraquand on aura demandé à la machined’apprendre quelque chose et qu’ellerépondra que cela ne l’intéresse pas.»

Claude Berrou n’est pas loin d’imagi-ner, dans vingt ans, des machines quiseraientde véritables auxiliaires intellec-tuels, capables d’apporter des services. Etqui ne failliraient pas.p

TOUR DU MOND ED E L ’ I NNOVAT I ON

FrancisPisaniJournaliste et blogueur

(winch5.blog.lemonde.fr)(PHOTO : MARC CHAUMEIL)

ABeyrouth, lesaccélérateursdestart-upstimulentl’innovation

SCIENCE&TECHNO t e c h n o l o g i e

ClaudeBerrou,des télécomsà l’intelligenceartificielleLechercheurbrestoisveutrapprocherlefonctionnementdesturbocodesetceluidunéocortex

Beyrouth

ClaudeBerrou.DIDIER GOUPY/SIGNATURES

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Un ballon-appareil photo pour des images dans toutes les directions

SOURCE : JONAS PFEIL

INFOGRAPHIE LE MONDE

Faire des images panoramiques avec un appareilphoto n’est pas toujours simple. Il faut prendreprécautionneusement plusieurs clichés et les réunirvia un logiciel afin de créer une image à 360 degrés.Pour être plus efficace et ludique, Jonas Pfeil,de l’université technique de Berlin, a trouvé unesolution originale qui n’attend que des investisseurspour être commercialisée. Il en a eu l’idée lors d’unesortie escalade au Tonga. Il s’agit d’une ballede moins de 20 centimètres de diamètre que l’onlance en l’air et qui prend des photos grâce à ses36 capteurs photographiques répartis sur la surface.Le déclenchement des prises de vue se fait ausommet du lancer, repéré par un accéléromètreprésent lui aussi dans la balle. Les 36 clichés sontrécupérés, via une sortie de type USB ou via unecarte mémoire, et sont réunis automatiquement parun logiciel pour créer une image jamais vue puisque,outre les 360 degrés classiques, elle donne aussi accèsà ce qu’il y a au-dessus et en dessous de la sphère.Le format de la photo pourra être modifié afin d’êtreexporté pour des mises en ligne de ces prises de vue.

11 Coque en mousse qui protége l’électroniqueet facilite la tenue en main de la balle.

22 Matériau rigide de protection.

33 Capteurs photographiques.36 capteurs de 2 millions de pixels sontrépartis sur la sphère pour couvrir l’ensemblede l’espace, à 360 degrés, dessus et dessous.

44 Batterie pour assurer l’alimentation électriquede l’électronique.

55 Carte mère comprenant l’accéléromètre,les systèmes de contrôle des objectifs etle stockage des clichés.

déclenchementde la prise de vueAltitude

scène vue de derrière

scène vue de devant

Variation de l’accélération de la balle