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Le Mouvement Féministe Organisé

Le mouvement féministe organisé

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Le Mouvement Féministe Organisé

Par Maître Hazem Ksouri, Avocat

Prof. Ruth Sieglinde Jara Kittel, Magister en Criminologie

2015

 La naissance d’un mouvement féministe.Les femmes, quelles que soient les époques et les

sociétés, ont toujours connu une situation de domination liée à la nécessité pour les hommes de

contrôler la reproduction et leur filiation.Mais, les débuts du féminisme organisé peuvent être

évalués dans les années révolutionnaires dans la France.

Si les révolutionnaires réclament la consécration de droits, ceux-ci ne sont accordés qu’aux hommes

selon les féministes. C’est en ce sens que parallèlement à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, Olympe de

Gouges, grande féministe de l’époque, publie la Déclaration des droits de la femme et de la

citoyenneté en 1791..

La première vague du féminisme.

Mais il faut attendre la fin du XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle pour que se

développe réellement ce que les historiennes qualifient de première vague du féminisme…

Celle-ci est caractérisée par la revendication de droits égaux en matières politique et

professionnelle. Des femmes veulent pouvoir exercer les mêmes professions que les hommes. Elles réclament également de participer aux

élections et d’être éligibles, comme le revendique en particulier le mouvement des suffragettes, constitué surtout de femmes

issues de la bourgeoisie.

Les femmes de cette époque militent pour qu’on leur reconnaisse des droits comme celui du divorce et

l’accès des femmes au droit de vote. Aux Etats-Unis, les Suffragettes qui militaient pour l’obtention du droit de vote ; c’est en 1920 que les

femmes blanches l’obtiendront. ..Le premier pays qui a donné le suffrage aux femmes

était la Nouvelle-Zélande en 1893. En France, 1944. Chine, Chili, Costa Rica, République arabe syrienne, Bosnie-Herzégovine en 1949

Tunisie en 1959 avec Madagascar et Tanzanie..Le droit de vote des femmes dans le monde : un

combat inachevé; encore aujourd’hui, certains pays refusent d’accorder

le droit de vote aux femmes.

La deuxième vague du féminisme..émerge dans le sillage de l’ouvrage de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe , publié en 1949.. et se

développe le féminisme  lutte des classes et est issu du marxisme. Il y a un féminisme marxiste qui

trouve sa source d’inspiration dans l’ouvrage d’Engels.

Le second courant théorique qui travers le féminisme des années 1970 est le féminisme radical et, en particulier, radical matérialiste. Les féministes

radicales matérialistes considèrent plus particulièrement que les femmes sont victimes

d’une exploitation de leur travail dans les tâches ménagères et l’éducation des enfants : ce sont des

tâches qu’elles effectuent gratuitement. …Parmi les théoriciennes de ce courant, on peut citer

Christine Delphy.

Le troisième courant est aussi un courant féministe radical, mais différentialiste. Ce

courant insiste sur la différence naturelle qui existerait entre les hommes et les femmes. Pour ces féministes, les femmes doivent

revendiquer la reconnaissance de leur spécificité.

Ce courant est porté en particulier dans les années 1970…

Un courant théorique qui a eu une importance non négligeable sur la troisième vague (actuelle) du féminisme

se constitue à la fin des années 1980. Il s’agit de la théorie queer.

Sa représentante la plus connue est Judith Butler dont l’ouvrage Trouble dans le genre est publié aux Etats Unis en

1990. En distinguant le sexe biologique et le genre, construction

sociale, les théoriciennes du queer défendent la thèse selon laquelle les identités ne sont pas naturelles, mais sont des constructions sociales qui peuvent être déconstruites par les individus, en les jouant dans des  performances .

D’où l’importance dans la théorie queer de la figure du travestissement : l’identité biologique et l’identité sociale d’un individu peuvent ne pas coïncider. Certaines femmes sont considérées comme masculines, certains hommes comme efféminés, certaines personnes sont homosexuelles ou bisexuelles. Les identités de femmes ou d’hommes sont plus complexes dans les faits que ce qu’entendent nous imposer les normes sociales.

Le féminisme de la troisième vague…Au tournant des années 80, le féminisme sous l’influence

des théories postmodernes, se transforme en une pratique et en une idéologie respectueuses de l’individualité des  femmes..

En premier lieu, le féminisme, conçu en tant que mouvement politique et social d’émancipation des femmes, aurait plus ou moins atteint ses objectifs. On considère alors que les discriminations en raison du sexe sont, pour la plupart, éradiquées et que les femmes ont largement obtenu l’égalité avec les hommes.

En deuxième lieu, on avance que, jusqu’à un certain point, le féminisme entrerait dans une étape d’institutionnalisation. Sa dimension militante et engagée serait récupérée par les organismes publics et par l’État, et aussi par l’université, à l’intérieur de laquelle les women studies consolident leur position…

 Ce qui, une décennie auparavant, apparaissait comme un progrès rendu possible par le féminisme se retourne désormais contre elles….

Le féminisme aurait irréversiblement modifié les relations hommes-femmes : les premiers ont tendance à adopter une rhétorique  victimaire , tout en essayant par tous les moyens de retrouver une identité perdue…

Célébrée au début de la décennie, l’indépendance des femmes se mue maintenant en solitude; la réussite dans la carrière se ferait aux dépens de la maternité, voire du bien-être des enfants, et l’égalité au travail obligerait les femmes à des efforts qui les transformeraient en des victimes de prédilection des échecs professionnels….

Le féminisme  is gradually becoming one of the chief scapegoats for the ills of contemporary life …

Les femmes ne tardent pas à réaliser que, derrière l’idéologie égalitariste et l’image du pouvoir au féminin, des injustices flagrantes perdurent. Dans l’espace public, elles continuent à être absentes des positions de décision et de pouvoir...

Elles sont toujours victimes de l’inégalité économique et de la pauvreté, ainsi que du sexisme et de la violence.

Dans l’espace privé, elles doivent composer avec la double journée de travail, tout en essayant de répondre aux exigences liées aux rôles de la mère, de l’épouse et de l’amante…

Conflits idéologiques et politiques opposent féministes radicales et socialistes, hétérosexuelles et lesbiennes, noires et blanches, femmes de la classe moyenne et femmes de la classe ouvrière, etc.,

Le féminisme enregistre une  transformation. .. La catégorie  femme , en tant que  référent unique et

monolithique d’une supposée position féministe dominante  commence à être déconstruite.

Elle devient dépendante de la race, de la classe, de l’ethnie, de l’orientation sexuelle, du contexte socioculturel, etc.

Il s’agit là du fondement idéologique de la troisième vague, qui prend appui sur la différence, la pluralité et l’individualisation, sur la fragmentation et l’hétérogénéité… 

« ….La question du féminisme au 21ème siècle c’est aussi se pencher sur une génération, la mienne.

Une génération qui a découvert la politique après la loi sur la parité.

Une génération qui a toujours quoiqu’avec difficulté connue la pilule.

Une génération qui allait à la garderie après l’école en attendant que ses deux parents ne rentrent du travail.

Une génération de jeunes femmes pour qui l’égalité n’était souvent pas une question et qui se prend les inégalités en pleine face en arrivant sur le marché du travail…

…Une génération aussi qui ne souffre pas des inégalités de la même manière. Car si la situation s’est globalement améliorée elle reste souvent extrêmement difficile pour les jeunes filles des quartiers. Face à la violence et au regard de l’autre, ces jeunes femmes ont souvent bien du mal à assumer leur féminité, se cachent derrière des vêtements amples et longs et restent chez elle le plus possible.

Alors si le combat de ma génération est celui pour l’égalité salariale c’est aussi une bataille culturelle contre le machisme ambiant…

…Mais être féministe au 21ème siècle, c’est aussi être tourné vers le reste du monde….  c’est aussi lutter contre les mariages forcés, l’excision, militer pour l’éducation des petites filles,  c’est ne pas fermer les yeux non plus devant les nouvelles pratiques d’esclavage moderne, qui concernent le plus souvent les classes les plus aisées de notre société, ne pas fermer les yeux devant le sort de ces jeunes filles souvent battues et violées, objets des sévices de leurs patrons. 

Être féministe au 21ème siècle c’est aussi refuser d’être aveuglé par les discours de certains qui voudraient faire croire que l’égalité est une réalité et faire passer les militants féministes pour des hystériques qui défendraient la suprématie des femmes sur les hommes…… »

(Laurianne Deniaud: Être féministe au 21ème siècle)

Le mouvement féministe en Tunisie

La Tunisie est souvent mentionnée comme le pays du monde dit « musulman » dans lequel les droits des

femmes sont les plus avancés….Mis, pour comprendre le mouvement féministe en Tunisie

on doit retourner à l'époque de Tahar Haddad, un intellectuel, syndicaliste et homme politique tunisien  au

début du 20ème siècle.Ses propositions en faveur de la condition féminine et de la

réforme sociale en Tunisie se démarquent de la simple manière de reproduire le modèle européen, et puise ce qui s'accorde avec la Charia islamique. Il est convaincu que la religion islamique peut s'adapter en tout lieu et en tout temps. C'est pourquoi, selon lui, une réforme sociale radicale s'impose

En matière de droits civils, il montre qu'à l'origine, l'islam considérait la femme comme l'égale de l'homme en termes de droits et de devoirs ; il en est ainsi dans le domaine de la propriété privée.

Toutefois, la plupart des femmes confiaient leurs biens à leurs maris ou à leurs pères. Haddad rejette cette tradition et appelle les femmes à revendiquer leur droit à un contrôle complet sur leurs biens.

Dans le domaine judiciaire, les femmes n'avaient pas le droit d'occuper des postes au sein du système ou d'être témoin. Haddad explique pour sa part que l'islam n'exclut pas les femmes de ces droits.

Dans le domaine de l'éducation, il indique qu'il est totalement absurde d'exclure les femmes et qu'elles devraient avoir le droit de terminer leurs études et de participer pleinement à la vie publique.

Tahar Haddad s'attarde ensuite sur l'institution du mariage : il appelle d'abord à libérer la femme de la tradition du mariage arrangé voire forcé. Il met aussi en lumière le fait qu'il ne peut exister de famille heureuse si les parents continuent d'arranger les mariages de leurs filles contre leur volonté.

 Avec l'indépendance de la Tunisie, l'institution de l'Etat moderne par  Habib Bourguiba a permis de réaliser une grande partie des aspirations de Tahar Haddad…

Le féminisme d'État…C'est à Habib Bourguiba qu'en revient l'incontestable

paternité. La promulgation du Code du Statut Personnel le 13

août 1956, soit trois mois à peine après la proclamation de l'indépendance.

S'il ne rompt pas explicitement avec les fondements musulmans du droit de la famille, ce texte

profondément novateur s'en éloigne en effet singulièrement : l'abolition de la polygamie, le remplacement de la répudiation par le divorce judiciaire que les deux époux ont également la

possibilité de réclamer, la suppression de l'institution malékite du tuteur matrimonial, font d'emblée des Tunisiennes des  privilégiées  par rapport à leurs

soeurs du monde arabe et du Maghreb…. 

C’était un discours officiel de rupture avec la tradition, que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier de féminisme d'État.

Dès la fin des années 50, le statut octroyé aux femmes devient, non sans raison il est vrai, l'une des meilleures cartes de visite de la Tunisie en Occident….

Les femmes obtiennent le droit de travailler, de se déplacer, d'ouvrir des comptes bancaires ou de créer des entreprises sans l'autorisation de leur époux. Dès le début des années 60, une énergique politique de planification familiale est mise en place. L'on encourage vivement les femmes à limiter leur progéniture en rendant accessibles dans tout le pays les moyens contraceptifs..

Les années 80 sont marquées par un total immobilisme en matière de condition féminine,  et  le mouvement féministe tunisien, né à la fin des années 70, se réfugie dans une position   de défendre le Code du Statut Personel contre les attaques de moins en moins masquées dont il fait l'objet, non seulement de la part des islamistes mais aussi dans le parti au pouvoir et dans certaines formations politiques légales….

 Avec Zine El Abidine Ben Ali  au cours des années 80, le CSP est devenu la ligne rouge qui sépare les modernistes des rétrogrades. Contre les seconds qui réclament sa modification dans un sens régressif, les premiers font de son maintien le symbole de l'ancrage de la Tunisie dans la modernité….

1990 après la rupture avec les islamistes un nouveau discours de la modernité se met en effet en place. On ne se risque pas à abandonner la référence devenue rituelle à l'identité arabo-islamique du pays, mais elle n'occupe plus le même espace qu'à la fin des années 80.

On glorifie en revanche son prestigieux passé antique. On insiste sur la pluralité des sources de la personnalité tunisienne et sur sa diversité culturelle qui constitue dans la nouvelle vulgate une de ses principales richesses. ..

Les réformes annoncées sont consignées en 1993 dans les codes du statut personnel, du travail et de la nationalité. Sans répondre à tous les souhaits du mouvement féministe qui militent pour une reconnaissance claire de l'égalité des sexes, elles ne sont toutefois pas négligeables et tendent à faire évoluer l'autorité paternelle vers une autorité parentale partagée entre les deux époux.

Ainsi, dans la loi du 12 juillet 1993 portant modification du CSP, le consentement de la mère devient obligatoire pour le mariage d'une fille mineure. Si la défaillance du père est dûment constatée dans le cas d'un couple divorcé, la mère peut obtenir la pleine tutelle de ses enfants. Elle acquiert également le droit de les représenter dans une série d'actes juridiques de la vie quotidienne, d'ouvrir et de gérer un livret de caisse d'épargne à leur profit.

Autre mesure qui s'inscrit dans ce cadre, d'autant plus importante qu'elle se démarque de la loi islamique qui ne reconnaît que la filiation paternelle, la Tunisienne mariée à un étranger peut désormais transmettre sa nationalité à ses enfants, même si ces derniers sont nés à l'étranger.

En Tunisie, la mobilisation des femmes depuis la révolution de janvier 2011 est à la croisée de chemins où il s’agit de faire des choix, tout en restant fidèle au projet politique et social autour duquel les associations féministes ont été fondées.

Multiples ONG féministes et humanistes se sont créées au lendemain de la Révolution du 14 janvier, toutes mobilisées dans la bataille démocratique qui se poursuit pour la levée des réserves à la CEDAW,  l’inscription dans la rédaction de la Constitution du principe de l’égalité totale, la séparation du politique et du religieux et la dimension universelle des Droits Humains et des droits des femmes en particulier. ( Faïza Zouaoui Skandrani)

Aujourd'hui, 2015

le mouvement féministe a conscience de la période particulière dans laquelle la Tunisie se

trouve, et, veut l’utiliser pour faire progresser les droits des femmes, et utiliser la liberté d’opinion

et d’expression pour convaincre.L’espoir du mouvement féministe est que la laïcité

s’imposera progressivement. Les militantes savent aussi que le mouvement doit

se renforcer et se diversifier. Essentiellement implanté chez les élites intellectuelles, le défi est maintenant de porter la parole féministe auprès

de la jeunesse, des couches populaires de la société et dans les zones rurales pour que ce

dernier représente toutes les femmes….