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Droit & Charia https://droitetcharia.wordpress.com/ Les insultes sont-elles obligatoires d’après un hadith d’« Atrocité » ? Abû Zakariyyâ al-ussaynî al-Shâfiʿî al-Shâmî 16 Dh u al-qi‘dah 1436 1/9/2015

Les insultes sont-elles obligatoires d'après un hadith "d'atrocité" ?

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Les insultes sont-elles obligatoires

d’après un hadith d’« Atrocité » ?

Abû Zakariyyâ al-Ḥussaynî al-Shâfiʿî al-Shâmî

16 Dhu al-qi‘dah 1436

1/9/2015

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« Il n’y a pas de fiqh sans sunna ni de sunna sans fiqh »

Certaines personnes, pour des raisons connues, font circuler un hadith du

Prophète - que la bénédiction de Dieu soit sur lui - comme étant une illustration de la

bassesse et de la vulgarité du Prophète - a'uthu billah - ou comme étant un exemple de

la nécessité de rejeter cette religion. D'autres encore ont pris l'initiative d'utiliser ce

hadith pour critiquer la sunna et la science du hadith.

Ce hadith est rapporté par l'imam Ahmad dans son mousnad selon cinq

narrations1. Nous citons ici la narration la plus explicite de ce hadith comme

illustration de l'objet de notre analyse :

« Quiconque tire des vanités des affiliations de l’époque anté-islamique (jâhiliya) en

se rattachant à celles-ci, dites-lui de mordre le sexe de son père et n'insinuez pas (sans

sous-entendre) ».

»تكنوا وال أبيه بهن فأعضوه الجاهلية بعزاء تعزى من«

D'autres narrateurs ont transmis ce hadith2. Certaines chaînes de transmission

de ce hadith sont très faibles et n'ont aucun poids dans la science du hadith toutefois,

d'autres chaînes sont considérées comme bonnes ou fortes. Les spécialistes du hadith

lors du tahqiq (l'analyse) de ces chaînes ont considéré ce hadith comme « hassan »,

celui-ci étant donc un argument juridique.

Par conséquent, la question suivante se pose directement : comment le

Prophète - que la bénédiction de Dieu soit sur lui - a-t-il pu dire une telle parole ?

Ainsi, nous analyserons ce hadith sur plusieurs niveaux :

Premièrement : Les mœurs de notre Bien aimé - que la bénédiction de Dieu soit

sur lui :

Le Prophète - que la bénédiction de Dieu soit sur lui - a été loué par Dieu dans

le Coran en le décrivant :

» عظيم خلق لعلى وإنك «

« Et tu es certes d'une moralité éminente »3.

1- Ahmad : « Musnad Ahmad », Hadiths n°21233 à 21237.

2- Al-Bukhari : « al-Adab al-Mufrad », n°963 ; Al-Nasa'i : « al-Sunnan al-Kubrâ », n°8813 ; Ibn Hibbân :

« Sahih d'Ibn Hibbân », n°3153 et autres. 3- Le Noble Coran : Al-Qalam (La plume), verset n°4.

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Cet éloge de Dieu écarte toute critique en la rendant nulle et sans aucune

valeur. Le Prophète - que la bénédiction de Dieu soit sur lui - était en effet connu de

ses ennemis, avant et après la déclaration de son message, par le comportement le plus

parfait. Ainsi, toute critique d'une parole isolée utilisée comme un argument pour

diffamer le Prophète n'est qu'une hérésie.

Deuxièmement : La pudeur du Prophète - que la bénédiction de Dieu soit sur

lui :

Notre bien aimé - que la bénédiction de Dieu soit sur lui - est loué par les

narrateurs et rédacteurs de sa biographie comme ayant le plus de pudeur. De même, la

législation islamique réglemente tous les domaines de la vie comme les règles

juridiques propres aux parties intimes ('awra). Dans ces sujets, nous remarquons la

politesse prophétique qui éclaire le sens des choses dans de sublimes expressions. Il

utilisait effectivement la vastitude de la langue arabe pour s'exprimer d'une manière

convenable, s'adressant aux hommes et aux femmes. Le hadith suivant explicite sa

pudeur :

رأة أن عائشة عن « صلى النبي سألت ام لها عن وسلم علي ه للا فأمرها ، ال محيض من غس

تسل كي ف صة خذي: ) قال ، تغ ك من فر : قال ؟ أتطهر كي ف : قالت ،( بها فتطهري مس

سب حان : ) قال ؟ كي ف : قالت ( بها تطهري) تها ،( تطهري للا تبذ أثر بها تتبعي: فقل ت إلي فاج

.»الدم

« Une femme interrogea le Prophète sur les ablutions majeures à cause des

menstrues. Il lui montra la façon de se laver puis lui dit: «Prends un morceau de laine

parfumé de musc et purifie-toi en faisant l'usage ! -Comment dois-je me purifier ?

Demanda la femme - Purifie-toi en faisant l'usage! - Comment ? Insista-t-elle. - Gloire

à Dieu ! S'exclama le Prophète, purifie-toi !" Sur ce, je la tirai vers moi et lui dis: «

Passe le morceau sur les traces de sang ! »4.

Selon une autre version de ce hadith, notre mère 'Aicha a dit que le Prophète a

rougi suite à la question de la femme5.

Troisièmement : L'effet de la pudeur prophétique sur ce hadith :

La réponse sèche présente dans le hadith objet de notre analyse est atténuée

par l'effet de la pudeur du Prophète sur deux niveaux :

1- Le hadith objet de notre analyse ne mentionne pas explicitement le nom du

sexe, une métaphore étant utilisée.

2- Le Prophète n'a légiféré l'insulte qu'en réponse à un crime. Ainsi, c'est une

sanction et non pas une autorisation d'insulte envers des innocents. Ce hadith contient

4- Al-Bukhari : « Le recueil authentique », n°314 ; et Muslim : « Le recueil authentique », n°332.

5- Al-Bukhari : « Le recueil authentique », n°315.

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une intimidation violente pour celui qui s'appuie sur les appartenances politiques,

tribales, raciales ou autres. Ce fanatisme et cette étroitesse d'appartenance constituent

une des caractéristiques de l'ère préislamique. Ainsi, cette rude expression est une

réponse à un crime plus grave qui ne peut être condamné que par une réponse rude

dans les limites des choses permises lors de la réponse comme nous le présenterons

ultérieurement. En effet, les peines en Islam visent à interdire l’accomplissement de

crimes. Ainsi, l'évaluation de la peine seule, isolément du crime qu'elle sanctionne et

de la finalité qu'elle vise, constitue une analyse bancale. C'est pourquoi ceux qui

critiquent les peines, comme le fait de couper la main des voleurs ou de tuer les

meurtriers, ne regardent en réalité qu'un côté de la chose : la sanction du voleur assure

la protection de la propriété, la sanction du meurtrier assure la protection de la vie des

innocents, la sanction de l'adultère assure la protection de l'honneur et de la filiation

etc. Ainsi, cette analyse est bancale et inéquitable.

Quatrièmement : Le principe de l'interdiction des mauvaises paroles :

Remarquons que ceux qui font circuler ce hadith visent à convaincre les gens

que l'Islam autorise les insultes et les obscénités ou que la sunna n'est pas une source

législative vu les prétendues horreurs qu'elle contient. Cela est certainement erroné et

est basé sur une intention malhonnête. Le principe général en Islam est l'interdiction

des insultes et des paroles impolies. Dieu a explicitement décrit le statut de ces paroles

dans le Coran comme étant détestées par Lui. Il dit :

يحب ال « وء ال جه ر للا ل من بالس وكان ظلم من إال ال قو ا للا ا سميع »عليم

« Allah n'aime pas que l'on profère de mauvaises paroles sauf quand on a été

injustement provoqué. Et Allah est Audient et Omniscient »6.

La déclaration et la profération d’obscénités englobent les mauvaises paroles

qui ne doivent pas être prononcées, y compris les insultes et les invocations par le mal

etc. Le Prophète a illustré ce principe dans le hadith suivant :

« Le croyant n'est pas injurieux, ni maudisseur, ni grossier, ni indécent. »

(Rapporté par al-Tirmithi n°1977).

Cinquièmement : Les mauvaises paroles sont-elles autorisées ?

Le principe précité constitue la règle générale régissant les paroles tandis que

dans certains cas les mauvaises paroles sont autorisées. Dieu le Très Haut dit dans

sourate Al-Shura (la Consultation) :

6- Le Noble Coran : Al-Nisa’ (Les femmes), verset 148.

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لح عفا فمن مث لها سيئة سيئة وجزاء « ره وأص على فأج ( 04) الظالمين يحب ال إنه للا

د ان تصر ولمن الذين على السبيل إنما( 04) سبيل من علي هم ما فأولئك ظل مه بع

ض في يب غون و الناس يظ لمون ر }.)04) أليم عذاب لهم أولئك ال حق بغي ر ال

« 40. La sanction d'une mauvaise action est une mauvaise action [une peine]

identique. Mais quiconque pardonne et réforme, son salaire incombe à Allah. Il n'aime

point les injustes ! 41. Quant à ceux qui ripostent après avoir été lésés, ceux-là pas de

voie (recours légal) contre eux; 42. Il n'y a de voie [de recours] que contre ceux qui

lèsent les gens et commettent des abus, contrairement au droit, sur la terre : ceux-là

auront un châtiment douloureux ».

Celui qui est victime d'une injustice et qui réagit pour récupérer son droit, par

la parole ou par l'action, ne commet aucune infraction même si son acte constitue une

mauvaise parole du point de vue du criminel ou lui porte préjudice. Rappelons que

l'acte qui vise à protéger le droit ou le réacquérir est autorisé par l’unanimité : la

parole n’atteint pas le degré de l'acte mais lui est inférieure et doit donc être autorisée.

Ce hadith autorise le fait de répondre par des offenses à ceux qui les méritent. Cela ne

peut être qu'un cas extrême qui touche la sécurité des gens et la protection de la

religion et de la foi des gens comme nous le présenterons ci-dessous.

De plus, nous citons l'explication de ce hadith ambigu rédigé par l'imam al-

Tahawi dans son fameux ouvrage « Le commentaire des narrations ambiguës » ( شرح

اآلثار مشكل ). Nous résumons son analyse dans les lignes suivantes7 :

((L’interdiction des paillardises concerne celui qui ne mérite pas ces paroles

tandis que ce qui est cité dans le hadith est envers celui qui reprend le fanatisme et

l'étroitesse des appartenances selon les habitudes préislamiques. Ainsi, celui qui incite

les gens à se combattre du fait de leur appartenance ethnique sera offensé pour

dénigrer son appartenance ethnique et ceci afin d'interdire aux gens de se combattre

pour des causes d'appartenance ethniques ou raciales. En fait, la cause de ce châtiment

réside dans la nature du crime commis : le châtiment est propre aux personnes qui se

réfèrent aux gens de la période préislamique. En effet, le hadith dispose du mot

« ta'azza » qui est dérivé de « 'azâ' » qui signifie « se référer » ou « s'ajouter »)).

Nous ajoutons aussi que l'usage du recours au soutien des autres personnes

pour des raisons d'appartenance tribales, familiales, régionales, raciales etc. paraît

fréquent dans la pratique et c'est une habitude de la période antéislamique (jâhiliya).

Ces appels sont généralement destinés à la masse des gens pour présenter un soutien

militaire ou physique pour combattre les autres, rechercher un droit prétendu etc.

Ainsi, cet appel provoque évidemment des effets qui ne peuvent pas être contrôlés

suite à la réaction de la foule, notamment lorsqu'il s'agit d'un appel à la guerre, au

combat et à la vengeance. C'est pourquoi ce hadith autorise une telle réponse rude en

rappelant que le Prophète - que la bénédiction de Dieu soit sur lui - n'a utilisé qu'une

7- Al-Tahawi : « Le commentaire des narrations ambiguës » ( اآلثار مشكل شرح ), vol.8, p.231 à 234.

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métaphore ; en effet il est sublime et ne se dégrade pas à prononcer des paroles de

bassesse.

De plus, nous nous demandons : y a-t-il un crime plus grave que celui qui

déclare appartenir à la période préislamique et incite les gens à se référer aux

comportements de celle-ci et d'avoir de l'orgueil à cause de ses appartenances, ce qui

aboutit au dépassement des règles de la vie en société par les individus en s'appuyant

sur le soutient desdites appartenances ; ces derniers pouvant tuer, voler, arnaquer etc.

en se cachant derrière leurs tribus, familles, régions…

Remarquons que certains essayent de donner l'illusion que ce hadith signifie

qu'il faille insulter celui qui fait l'éloge ou ressent de l'orgueil à cause de son

appartenance à son pays, à sa famille, à sa région comme s'il disait : « j'aime ma ville,

ma famille ou mon pays ». Cette compréhension du hadith est malhonnête et inexacte.

En application de ce principe, Abû Bakr a répondu à ceux qui ont déclaré que

les musulmans fuiraient la bataille et qui les ont incité à le faire en disant : « suce le

sexe de la Late [une idole adoré » par les Quraychites], est ce qu'on s'enfuit en le

laissant ? »8. Abu Bakr a utilisé une insulte connue dans la période préislamique pour

répondre à celui qui a dévalorisé les musulmans et qui les a incité à abandonner leur

Prophète lors d'une situation de guerre. Ibn Hajar al-Asqalani a dit dans le

commentaire de ce hadith d'Abu Bakr ce qui suit : « il contient l'autorisation de

prononcer les paroles vilaines afin de réprimer celui qui a commis une chose qui le

rend méritant d'une telle parole. Ibn al-Munir a dit : la réponse d'Abou Bakr contient

un rabaissement des ennemis, une preuve de leur mensonge et une réponse implicite à

leur dogme prétendu qui considère la Late comme la fille de Dieu avec prétexte

imposant que la Late dispose d'un sexe féminin »9. Enfin, L'imam al-Baghawî a

affirmé que celui qui appartient et tire des vanités de son appartenance aux

musulmans n'est pas soumis à ce hadith car l'appartenance à l'Islam ne peut aboutir

qu'à l'application des règles et préceptes de l'Islam10

.

Conclusion :

L'Islam réglemente tous les domaines de la vie. Il ne laisse aucun cas ou

situation sans le régir même si ce cas semble extrême, exceptionnel ou rare. Ainsi, les

solutions sont appropriées à ces cas et se caractérisent par les mêmes qualités

d’extrémité, d'exceptionnalité et de rareté. L'interdiction des mauvaises paroles

constitue le principe général qui régit les paroles ; cependant, elle n'est pas absolue.

Donc, nous remarquons chez ceux qui utilisent ce hadith deux types d'erreurs :

certains essayent de généraliser l'interdiction des mauvaises paroles pour la rendre

absolue et d'autres essayent de présenter l'autorisation restreinte et exceptionnelle des

8- Al-Bukhari : « Le recueil authentique », n°2581.

9- Ibn Hajar al-Asqalani : « Fath al-Barî », vol.5, p.340

10- Al-Baghawî : « Le commentaire de la sunna », vol.13, p.120.

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mauvaises paroles comme étant une autorisation absolue, une règle générale, en

Islam.

Enfin, l'analyse de ce hadith constitue une réponse à ceux qui affaiblissent les

hadiths selon leur propre gré en prétendant que tel ou tel hadith est faible car le

Prophète - que la bénédiction de Dieu soit sur lui - ne disait jamais ce type de paroles

ni ne les acceptaient ou que tel ou tel hadith est contradictoire avec le Coran. En

réalité, les contradictions ne sont que dans leurs propres pensées à cause de leur

ignorance des limites des règles juridiques.

Concluons par la demande à Allah Le plus Puissant de nous guider et de nous

élever en science et en foi.

Dieu est plus Savant.

Abû Zakariyyâ al-Ḥussaynî al-Shâfiʿî