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performances audiovisuelles Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique cyriaque blanchet Sous la direction de Mme Martine Buissart et M. Olivier Hu 2013 Valorisation économique de la culture Technologies numériques performance audiovisuelle live av visual performing live media live cinéma vjing

Performances audiovisuelles - Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique

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Les liens entre l’image et le son ont considérablement évolué avec les technologies et l’apparition du numérique. Nous essaierons de définir la performance audiovisuelle qui intègre des réalités esthétiques différentes dans le contexte spécifique de l’art numérique, en terme de création, de réception et de diffusion.

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performances audiovisuelles Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique

cyriaque blanchetSous la direction de Mme Martine Buissart et M. Olivier Hu

2013

Valorisation économique de la cultureTechnologies numériques

performance audiovisuelle

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Cyriaque Blanchet

Performances audiovisuelles

-

Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques

dans le contexte spécifique de l’art numérique

Sous la direction de Mme Martine Buissart et M. Olivier Hu

2013

Master valorisation économique de la culture, parcours technologies numériques

Université d’Angers UFR ITBS (IMIS-ESTHUA)

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À Olivier Hu, directeur du parcours Nouvelles technologies, culture et patrimoine à

l’ITBS pour m’avoir accompagné pendant ces deux années de master et pour

avoir repris au pied levé la direction de ce mémoire.

À Rémy Hoche, Aurélie Julien et l’équipe du Cube – centre de création numérique,

pour leur enthousiasme et la confiance qu’il m’ont accordé pendant les 6 mois de

stage que j’ai pu effectuer à leur cotés.

À Carine Le Malet, Ana Ascencio, Elie Blanchard, Jesse Osborne-Lanthier et

Sabrina Ratté pour leur patience amicale et le temps accordé pour ces entretiens

particulièrement enrichissants.

Aux artistes et aux professionnels impliqués au plus près de cette scène qui ont

directement ou indirectement participé à l’élaboration de ce mémoire : Eliane

Ellbogen, Gilles Alvarez, Julien Ottavi, Carsten Nicolai, Uwe Schmidt, Jérome

Poret, Frédéric Bigot, Yosi Horikawa, Florence To, Ryoichi Kurokawa…

À Marie qui par ses relectures et son soutien a su porter une contribution au

développement du présent mémoire.

À mes proches, camarades, collègues, amis qui se sont prêtés avec adresse et

indulgence à la discussion et sans qui cette réflexion n’aurait certainement pas été

possible.

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Sommaire

INTRODUCTION .................................................................................................................. 8  L’EMERGENCE D’ŒUVRES ATYPIQUES ENTRE TRADITION ARTISTIQUE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES ........................................................................................ 13  1.   Approche historique de la performance audiovisuelle à travers l’évolution des nouveaux media ........................................................................................................ 13  1.1.   Origines ..................................................................................................................... 13  1.1.1.   Du Bahaus à la musique visuelle ........................................................................... 14  1.1.2.   VJing : Ars Magna Lucis et Ombrae et la scène techno ........................................ 16  1.1.3.   Du « ciné-poing » au live cinéma ........................................................................... 19  1.2.   Héritages ................................................................................................................... 21  1.2.1.   Immersion .............................................................................................................. 21  1.2.2.   Synesthésie ........................................................................................................... 22  1.2.3.   Live ........................................................................................................................ 24  2.   Un éclairage sémantique sur la diversité des termes ........................................... 26  2.1.   Le VJing : un blason à redorer .................................................................................. 26  2.2.   Performance A/V // Live A/V ..................................................................................... 27  2.3.   L’hybridation des pratiques ....................................................................................... 28  3.   Concept de la performance audiovisuelle .............................................................. 29  3.1.   Le temps-réel ............................................................................................................ 29  3.2.   La narrativité en question : entre fragmentation et abstraction ................................. 31  3.3.   Étude de cas : Dust ................................................................................................... 33  SYNESTHESIE DU SON ET DE L’IMAGE EN ART DANS LE CONTEXTE SPECIFIQUE DE L’ART NUMERIQUE ............................................................................. 35  1.   L’art numérique : interactivité et réalité virtuelle. .................................................. 35  1.1.   Qu’est ce que l’art numérique aujourd’hui ? .............................................................. 35  1.2.   Interactivité et réalité ................................................................................................. 37  1.2.1.   Réalité virtuelle ....................................................................................................... 38  1.2.2.   Réalité augmentée ................................................................................................. 39  1.3.   Reconnaissance de l’art numérique .......................................................................... 39  2.   La performance audiovisuelle : visualisation et matérialisation du son par effet direct et en temps réel ............................................................................................ 40  2.1.   Le numérique : la base commune du son et de l’image ............................................ 41  2.1.1.   Un phénomène sensoriel ....................................................................................... 42  2.1.2.   De l’analogique au numérique ............................................................................... 43  2.2.   Étude de cas : raster-noton ....................................................................................... 44  2.2.1.   Une esthétique du signal ....................................................................................... 44  2.2.2.   Cas spécifique : Ryoji Ikeda, constructiviste data .................................................. 46  3.   Perception de la performance audiovisuelle .......................................................... 49  3.1.   Le sens audio-visuel et gestuel ................................................................................. 50  3.1.1.   Des logiciels permettant la transduction audio/visuelle .......................................... 50  3.1.2.   Une substance audiovisuelle manipulable par le geste ......................................... 50  3.2.   Performativité et numérique ...................................................................................... 51  

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VERS DE NOUVELLES FORMES OU VERS LA STANDARDISATION DE LA PERFORMANCE A/V ? ..................................................................................................... 53  1.   La relation symbiotique entre les contextes de diffusion et les œuvres ............ 53  1.1.   De la salle de concert au centre d’art ........................................................................ 53  1.1.1.   Des contextes de diffusion antinomiques ............................................................... 54  1.1.2.   Les lieux de diffusions adaptés à la réception ....................................................... 55  1.2.   Les festivals « nouveaux médias » : des lieux de rencontres spécialisés ................ 56  1.3.   Des enjeux technologiques et artistiques .................................................................. 58  2.   L’avenir de la performance A/V à l’aune de changements esthétiques, culturels et sociaux .......................................................................................................... 59  2.1.   Do it yourself ............................................................................................................. 59  2.2.   Low-technologies ...................................................................................................... 60  3.   Sources de création : détournements, réseaux et intelligence collective .......... 62  3.1.   La transduction de l’information ................................................................................ 62  3.2.   La performance audiovisuelle à l’heure du web 3.0 .................................................. 63  3.3.   Vers le post-humanisme ........................................................................................... 64  CONCLUSION ................................................................................................................... 66  BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 68  ANNEXES .......................................................................................................................... 74  1.   Entretien Carine Le Malet ............................................................................................ 74  2.   Entretien Ana Ascencio ................................................................................................ 78  3.   Entretien Yro ................................................................................................................ 81  4.   Entretien Jesse Osborne-Lanthier et Sabrina Ratté .................................................... 86  

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Il s’agit de créer un monde sonore à l’image de ce monde où tous les objets sont à la

fois visibles et invisibles, radieux, épouvantables, détachés et pourtant n’existant

qu’en nous.

André Souris

The current tools that are available to artists have always been part of the vocabulary

of anybody who has anything worthwhile to say […] so, I think you are obliged if you

are a contemporary artist to use the tools of today, otherwise you’ve admittedly

become a fossil.

Peter Greenaway

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Cyriaque Blanchet | Performances audiovisuelles - « Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique »

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Introduction

« La transdisciplinarité est complémentaire de l'approche disciplinaire ; elle fait

émerger de la confrontation des disciplines de nouvelles données qui les articulent

entre elles ; et elle nous offre une nouvelle vision de la nature et de la réalité. La

transdisciplinarité ne recherche pas la maîtrise de plusieurs disciplines, mais

l'ouverture de toutes les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse. »1. Le

processus créatif à l’ère du numérique se caractérise par cette double postulation du

virtuel et du réel. Les technologies numériques étant depuis quelques années

communément vues comme ce qui favorise les échanges entre les disciplines et dont

l’espace scénique – réel – serait le catalyseur. Nombreux sont les artistes qui

utilisent déjà ces nouveaux media et qui sont attirés par l’expérience de la

performance. C’est donc en public que leurs expérimentations se concrétisent sous

la forme de performances audiovisuelles en temps réel. Cet art s’est métamorphosé

avec les techniques modernes et les instruments : des logiciels capables de

synchroniser images et sons. Le spectateur est également au cœur de ce type de

création puisqu’il est un élément clé de dispositifs interactifs et immersifs. Si d’un

coté cette école désigne de véritables spectacles imaginés par des artistes venant du

domaine de la musique, de la vidéo ou des arts plastiques. De l’autre il s’agit parfois

de simples concerts augmentés où des musiciens se joignent à des graphistes ou

vidéastes afin de rendre plus spectaculaire leur prestation. C’est le croisement

progressif des recherches en musique et en arts visuels qui a produit des objets

artistiques à la frontière des deux domaines où les nouvelles technologies jouent un

rôle primordial dans ce processus de fusion visant à un art transdisciplinaire.

L’ensemble de ces réalisations témoigne d’un travail important mené avec des

musiciens, non seulement sur la relation entre musique et image, mais, de manière

plus générale, entre la dimension sonore et la dimension visuelle de l’œuvre. Penser

celle-ci comme polyesthésie et non comme une accumulation de sensations

esthétiques indépendantes les unes des autres.

1 NICOLESCU Basarab, La transdisciplinarité, Manifeste, Éditions du Rocher, Monaco, 1996.

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Alors comment définir la performance audiovisuelle ? Comment le rapport

synesthésique du son en art se manifeste-t-il ? Quand peut-on affirmer que la

musique et les images forment une chose dans son ensemble, laissant au public la

possibilité d’interagir avec ? La performance audiovisuelle apparait pourtant comme

le spectacle héritier des opéras de Richard Wagner qui introduit en 1848 le concept

de Gesamtkunstwerk2 ou « art total ». Un concept qu’il formalisera en 1876, lors de

l’ouverture du Palais des festivals à Bayreuth en Allemagne. Il y associe alors

différents media (sons, lumières et espace). Son objectif étant d’immerger le public

dans l’œuvre, dans un art reflétant l’unité de la vie. C’est là tout le paradoxe de la

performance audiovisuelle en tant que discipline : elle est sans doute encore mal

connue en France car peinant pour l’instant à se constituer en une scène identifiable,

elle se positionne en pointe de l’hybridité ou de l’avant-garde du spectacle vivant.

Il est intéressant, avant de rentrer dans les tenants et aboutissants de la

performance audiovisuelle en tant que telle, de penser ses diverses parentés

historiques à travers quelques pratiques contemporaines. Il faudrait remonter au

siècle de Robespierre et aux fantasmagories d’Étienne Gaspard Robertson dont les

dessins sur verre étaient projetés grâce à « une lanterne magique »3 puis aux films

expérimentaux d’animation de la première moitié du siècle, d’auteurs comme Oscar

Fischinger ou Norman Mac Laren. L’intérêt de ces derniers pour l’abstraction ou les

liens qu’ils ont pu tisser dans la juxtaposition de l’image et du son, comme leur refus

de faire partie intégrante de l’industrie du cinéma, nous encourage à faire ce type de

rapprochement. Les modalités de présence physique du spectateur face à l’artiste

pendant les performances est à prendre en compte au même titre que l’influence des

happenings du mouvement Fluxus dans les années 60 tordant dans tous les sens les

concept de performance musicale où l’artiste et le spectateur sont interchangeables

refusant ainsi la posture de « l’artiste-virtuose ». C’est cette révolution qui a entrainé

une certaine musicalisation des arts plastiques et vice versa comme l’affirme Antoine

Hennion : « Tandis que la musique, électro-acoustique en particulier, découvrait

2 WAGNER Richard, Das Kunstwerk der Zukunft, Leipzig, 1850. 3 SAUVAGE Emmanuelle, « Les fantasmagories de Robertson, entre spectacle instructif et mystification », conférence, Université de Waterloo, 2004.

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qu’elle pouvait enfin être objet, les artistes plasticiens se servaient des mêmes

techniques de numérisation pour opérer un mouvement exactement inverse : se

dégager enfin du terrorisme de l’œuvre figée, la rendre ouverte, mobile, indéfiniment

réappropriable, nécessairement interprétable : ils musicalisaient leur rapport à

l’œuvre »4. L’idée du « live », inhérente à la performance audiovisuelle telle qu’on la

connaît aujourd’hui, est déjà présente dans le travail des pionniers de l’art vidéo

comme Nam Jun Paik. Plus récemment, la popularisation des musiques

électroniques dans les années 80 et la naissance de la musique techno, ont eu une

énorme influence sur les diverses pratiques de la performance audiovisuelle

notamment grâce à la démocratisation des technologies dont la plus importante fut

sans doute les logiciels de VJing permettant de mixer en temps réel des séquences

vidéo et des images fixes. C’est donc à partir de cette évolution au croisement des

arts et de la technologie et des musiques nouvelles que nous essaierons de définir la

performance A/V ; tâche ô combien complexe puisque ces nombreuses influences

nous montrent qu’il n’y a pas une seule forme de performance audiovisuelle, mais

bien une définition plurielle.

Bien que d’un point de vue sémantique, « la performance audiovisuelle » soit

considérée communément comme la visualisation en direct d’un morceau de

musique électro-acoustique, les choses sont loin d’être aussi simples. En effet il

faudra s’interroger non seulement sur le signifiant, mais aussi sur le signifié. Ce n’est

pas seulement la question de la manière dont se déroule la performance, comme si

ces séquences d’images et de son venaient conventionnellement raconter une

« histoire » : bien que ceci soit inhérent à la performance audiovisuelle, il faudra

comprendre ce qui fait la spécificité de cette démarche artistique et en quoi elle se

distingue tant au niveau de la poïésis que de l'esthésis d’autres formes artistiques.

Que l’on lui donne le nom de « VJing », de « live cinéma », de « cinéma augmenté »

de « live A/V » ou de « performance audiovisuelle », il s’agira de définir le plus

précisément possible ces formes contemporaines jouées en direct et improvisées à

4 HENNION Antoine, « La musicalisation des arts plastiques » in Images numériques. L’aventure du regard, dir. Odile Blin et Jacques Sauvageot, Station Arts Electroniques-Université Rennes 2, 1997, p. 150.

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partir de media audiovisuels. Ce que cela signifie de produire ces images et ces sons

en direct ? À partir de quels outils, logiciels, programmes ? Comment cela influence

t-il la relation que le spectateur entretient avec le déclenchement d’un son et d’une

image dans un espace temps donné ? Et quel sens lui donner ?

Ces questions me paraissent fondamentales dans un premier temps, car malgré

un ensemble complexe et interdépendant de traditions artistiques, ainsi qu’une

évolution des technologies liées aux nouveaux media, il n’existe que très peu de

discours théorique sur l’état actuel de la performance audiovisuelle. Car en dépit de

la présence d’un écran, de projecteurs, d’une scène, d’artistes, la performance

audiovisuelle a été étudiée de manière beaucoup plus superficielle que le cinéma, la

musique ou le théâtre : des genres dont elle s’inspire mais qui ne peuvent suffire à

l’expliquer dans sa diversité. Si des écrits commencent à voir le jour, ils sont

principalement en ligne et en anglais5, preuve qu’en France, l’acception de la

performance audiovisuelle en tant que discipline artistique à part entière est difficile.

Malgré un nombre de festivals consacrés à cette forme d’art en constante

augmentation dans le monde entier, la performance audiovisuelle est « sous-

théorisée » en partie parce qu’elle ne s’inscrit pas dans des modes traditionnels de

production et de performance, mais dans de nouveaux modes de représentions liés

au numérique. Par conséquent il y a conjecture pour le public quant à la façon de la

comprendre, c’est pourquoi elle demeure encore relativement « nouvelle » et

« avant-gardiste » dans l’histoire des nouveaux media.

En premier lieu, il faudra donc synthétiser certains des écrits existants sur la

performance audiovisuelle, en s'appuyant sur l’évolution dans l’histoire de l’art des

live media et les contiguïtés qui ont pu exister entre l’art vidéo, la performance, les

musiques électroniques et le VJing. L’objectif de cette première partie étant de

circonscrire mon sujet et de donner la définition la plus complète possible des

performances audiovisuelles à la fois dans la manière dont elles sont conçues par les

5 Il existe un certain nombre de journaux et de blogs de références en ligne traitant des questions liées à la performance audiovisuelle : http://www.vjtheory.net, http://www.vagueterrain.net, http://www.sonore-visuel.fr, http://see-this-sound.at ou http://createdigitalmotion.com

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Cyriaque Blanchet | Performances audiovisuelles - « Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique »

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artistes comme dans la façon dont elles sont perçues par le public et les institutions.

Ensuite nous verrons que l’art de la performance audiovisuelle a été inévitablement

bouleversé par les technologies : aujourd’hui les instruments multimédia permettent

un travail sur la synchronisation du son et de l’image dans l’objectif d’offrir une

nouvelle expérience perceptive et/ou sensitive au spectateur. En effet depuis

l’avènement du numérique, la définition du live audiovisuel s’est enrichie grâce à la

fusion des différents médias dans un langage commun mais aussi grâce à la création

numérique qui est indissociable des notions de temps réel, d’interactivité et de

comportement. Après plus de cinquante ans d’art numérique, est-ce que la

résurgence de l’audiovisuel, de la performance A/V temps réel peut-elle être

considérée comme un simple changement dans la forme ou une véritable révolution

artistique basée sur la synesthésie entre son et image ? Enfin, le terme audiovisuel a

en effet subi une cure de jouvence avec son apparition dans le vocabulaire des

cultures électroniques et numériques. Si sa mutation a suivi l’évolution de la culture

techno et la démocratisation des outils de création, la performance A/V est

aujourd’hui représentative de l’aspect performatif des arts numériques, trop souvent

réduits à l’idée d’installation dans le contexte d’expositions. Nous nous interrogerons

d’abord sur la nature du basculement du VJing qui est essentiellement lié aux

musiques électroniques et à la culture techno à ce qu'on appelle aujourd'hui une

performance audiovisuelle diffusé dans un centre d'art comme lorsque Ryoji Ikeda

présente la première de Superposition6 au Centre Pompidou pour l’ouverture du

Festival d’automne7. Cela nous amènera pour finir à réfléchir sur la standardisation

de la performance audiovisuelle dans le contexte spécifique de l’art numérique : est-

ce que ce sont les contextes de diffusion qui se standardisent ou la matière artistique

elle-même qui tend à s’uniformiser ? Existe-t-il une relation symbiotique entre les

contextes de diffusion et les œuvres ?

6 IKEDA Ryoji, superposition, performance, 2012, http://www.ryojiikeda.com/project/superposition 7 Le Festival d'automne à Paris est un festival artistique pluridisciplinaire existant depuis 1972. http://www.festival-automne.com

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Cyriaque Blanchet | Performances audiovisuelles - « Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique »

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L’émergence d’œuvres atypiques entre tradition artistique et nouvelles technologies

La question souvent posée par un spectateur lorsqu’il assiste à une performance

audiovisuelle est : « Quel sens puis-je donner à cet ensemble ? », c’est à dire

« Quelles références puis-je convoquer afin de mieux saisir ce que je viens

d’entendre et de voir ? ». La réaction du public sera en effet déterminée par ses

expériences passées et par sa formation artistique dans un contexte d’écoute et de

visualisation. Rien ne peut-être « lu » hors contexte ou sans contexte. Malgré son

aspect parfois spectaculaire, comprendre et apprécier ce type de performance peut-

être difficile pour celui qui n’aurait pas les savoirs nécessaires ou une expérience du

cinéma, à la fois narratif et expérimental, une expérience de diverses formes

théâtrales contemporaines, des musiques électroniques ou des nouveaux médias

interactifs pour n’en citer que quelques uns.

1. Approche historique de la performance audiovisuelle à travers l’évolution des nouveaux media

Par tradition, l’histoire de l’art met de part et d’autre les arts visuels et la musique.

Ce n’est qu’avec l’apparition du cinéma, et surtout avec la vidéo, faisant du son un

composant de l’œuvre, que le son et l’image ont été traité sur un pied d’égalité.

Pendant la plus grande partie du XXème siècle, ce que l’ont pouvait apparenter à des

performances audiovisuelles n’étaient jouées que dans des festivals ou des espaces

alternatifs, sans aucune considération par la culture « officielle ». C’est à la fin des

années 90 que les recherches plastiques liées à la modernité ont commencé à

s’intègrer dans des œuvres sonores. Aujourd’hui, nous constatons que la culture

électronique s’affirme de plus en plus grâce à l’intérêt porté aux potentialités du

numérique à la fois par les créateurs comme par les programmateurs de lieux

culturels.

1.1. Origines

Bien qu’il soit impossible d’énumérer toutes les expériences passées, les

influences et les contextes de création éventuels de la performance audiovisuelle

contemporaine, on peut tout de même identifier différents artistes ou mouvements

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Cyriaque Blanchet | Performances audiovisuelles - « Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique »

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ayant été particulièrement influents pour le développement de la performance

audiovisuelle dans sa forme actuelle.

Lorsque l’on parle de performance audiovisuelle, on parle sans doute en premier

lieu d’une image et d’un son qui se donne en spectacle. Le « cinéma vivant » existe

depuis les lanternes magiques de Robertson. Et la notion de contre point entre image

et son peut-être datée du XVIIème siècle lorsque Jacopo Peri mit en scène avec

Euridice le « premier véritable opéra »8, mais aussi la première performance

audiovisuelle avec la présence d’une camera obscura sur scène. L’histoire est

relativement longue à répertorier et le but ne sera pas d’être exhaustif, mais de ce

premier opéra jusqu’au cinéma muet projeté « en concert », en passant par le

cinéma expérimental qui inventa à la fois la pratique du live comme l’esthétique « du

sacro-saint couple rythme/mouvement et une grammaire faite de patterns, de sound

scores, de chorégraphies graphiques et de répétitions en veux-tu en voilà. »9. Puis

des années 70, l’art performatif vidéo des Vasulka’s, nous mène jusqu'à aujourd’hui

et l’ère du numérique. Nous explorerons donc les antécédents de la performance

audiovisuelle à travers trois genres spécifiques : la musique visuelle, le live cinéma et

le VJing.

1.1.1. Du Bahaus à la musique visuelle On peut considérer la musique visuelle comme une des sources d’inspiration des

performances audiovisuelle, si l’on s’en tient à la définition de Ox et Keefer10 : « A visualization of music which is the translation of a specific musical composition (or sound) into a visual language, with the original syntax being emulated in the new visual rendition. This can be done with or without a computer. This can also be defined as intermedia. […] A time based narrative visual structure that is similar to the structure of a kind or style of music. It is a new composition created visually but as if it were an aural piece. This can have sound, or exist silent. […] A direct translation of image to sound or music, as images photographed, drawn or scratched onto a film's soundtrack are directly converted to sound when the film is projected. Often these images are simultaneously shown visually. Literally, what you see is also what you hear. »

8 TRANCHEFORT François-René, L'Opéra, Éditions du Seuil, 1983, p. 23. 9 ALVAREZ Gilles, « Live ! Live ! Live ! » in Live A/V, Musiques et cultures digitales, Hors-série #4, 2010, p. 18. 10 OX Jack, KEEFER Cindy. On Curating Recent Digital Abstract Visual Music, New York Digital Salon, Abstract Visual Music Project, 2006, http://www.centerforvisualmusic.org/Ox_Keefer_VM.htm

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Cyriaque Blanchet | Performances audiovisuelles - « Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique »

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« Ce que vous voyez est aussi ce que vous entendez ». L’exemple le plus connu à

l’origine de cette idée est sans doute le Bauhaus des années 20 qui a marqué un

tournant majeur dans l’histoire des arts avec notamment les rapprochements faits par

Vasilly Kandinsky et Paul Klee entre la théorie picturale et musicale11. Mais la figure

la plus influente dans ce domaine fut sans doute Oscar Fischinger, ingénieur et

cinéaste qui a produit les premiers clips musicaux bien avant MTV. Son travail

plastique redéfinit l’image animée en explorant l’interaction entre forme abstraite,

couleur et lumière. Le Center for Visual Music s’est inspiré de ses projections dans la

reconstitution de Raumlichtkunst12, œuvre perçue comme la première tentative

d’environnement immersif faisant de Fischinger le précurseur du cinéma augmenté.

En 1957, Jordan Belson, cinéaste « cosmique » a entamé une collaboration avec

le designer sonore Henry Jacobs qui a débouché sur la création de pièces

audiovisuelles d’un genre complètement nouveau appelées Vortex Concerts. Ces

performances utilisaient « des stroboscopes, des projecteurs d’étoile rotatifs,

projecteurs multicolores et 4 projecteurs avec des dômes spéciaux créant de

l’interférence »13. Belson a créé des films pour ces concerts où le son était un

mélange de bruits et de musique électronique contemporaine composée par Pierre

Schaeffer, Karlheinz Stockhausen ou Luciano Berio. Le développement des

techniques audiovisuelles leur a permis de mettre l’abstraction au cœur de

l’expérience perceptive du spectateur. En cela ces concerts étaient des précurseurs

de la performance audiovisuelle. À la fin des années 60 et au début des années 70,

Steina et Woody Vasulka ont été parmi les premiers à explorer la nature de l'image et

du son électronique. Leurs travaux à partir de signaux électroniques scratchés,

superposés et solarisés ont ouvert la voie à toute une génération d'artistes explorant

la relation formelle directe entre audio et vidéo. C’est cette idée de temps réel dans

11 KANDINSKY Vasilly, Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier, éd. Gallimard, coll. « Folio Essais », 1989. 12 FISCHINGER Oscar, Raumlichtkunst, installation 3 écrans HD, Center for Visual Music, Los Angeles, 2012. Vu dans le cadre de l'exposition « La Fin de la nuit, part.1 » in Nouvelles vagues, Palais de Tokyo, Paris, 2013. 13 BELSON Jordan, Vortex Concerts, , concerts visuels, Center for Visual Music, Los Angeles, 1957-1959, cité par YOUNGBLOOD Gene, Expanded Cinema, P. Dutton & Co., New York, 1960, p. 359.

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leur création qui est à mon sens la plus importante dans ce raisonnement puisqu’elle

jette un pont entre musique visuelle et live cinéma.

1.1.2. VJing : Ars Magna Lucis et Ombrae14 et la scène techno Le terme VJing décrit une performance visuelle au sens large. Les images y sont

crées ou manipulées en temps réel grâce à un dispositif technologique, le plus

souvent face au public et en accompagnement de la musique. Le VJ se produit

souvent lors de concerts, en club, pendant des festivals. Le terme « VJ » (Vidéo

Jockey) s'est construit en analogie au « DJ » (Disc Jockey), et s’est popularisé au

début des années 90. Le VJing renvoie à la sélection et la manipulation de visuels,

au même titre que le DJing désigne la sélection et la manipulation sonore. La base

de cette pratique est le mix de contenus issus d'une bibliothèque d’images, avec des

flux provenant de caméras ou des visuels générés en temps réel, le travail du VJ

était de traiter ces matériaux visuels à l’aide d’effets et de transitions. Les débuts du

VJing datent des premières expériences synesthésiques15, cherchant à relier la

sensation visuelle à celle du son. Cette longue filiation peut être retracée depuis la

camera obscura jusqu'aux spectacles de fluides lumineux de l'ère psychédélique.

Déjà l’usage des « boules disco » et des projections lumineuses ont cherchées à

rendre l’expérience sensorielle du spectateur plus aboutie. Ce que l’on pourrait

considérer comme les précurseurs du VJing date de 1966, 9 evenings: theatre and

engineering16, est une série d'expérimentations collectives réunissant 10 artistes et

30 ingénieurs autour de dispositifs audiovisuels et d'instruments scientifiques à

destination des expressions scéniques. Dans les années 70, l’art vidéo se rapproche

de la musique expérimentale par le biais de collectifs d’artistes comme Videoheads,

Ant Farm ou Raindance Corporation. L’émergence de la musique électronique et de

groupes comme Throbbing Gristle ou Cabaret Voltaire, voit ces derniers proposer en

même temps que leurs concerts des vidéos abstraites ou politisées. Sous l’influence

des industries culturelles, l’avènement du vidéo clip rendra encore plus évident au

14 KIRCHER Athanasius, Ars Magna Lucis et Ombrae, « Le grand art de la lumière et de l'ombre », 1646. 15 LISTA Marcella, L’Œuvre d’art totale à la naissance des avant-gardes (1908-1914), CTHS - INHA, 2006. 16 COLL., 9 Evenings: Theatre & Engineering, Performances, 10 DVD, E.A.T, Artpix, 1966.

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grand public l’association de l’image et du son. L'apparition de la vidéo a facilité la

copie de contenus diffusés à la télévision ou aujourd’hui sur internet. À contre

courant de la logique du droit d’auteur, Le VJ agit souvent à la frontière de la

piraterie. « Le VJ illustre cette schizophrénie entre l'écriture de l'auteur et le recyclage

de fragments, surfant allègrement sur la vague des contradictions régnant entre les

usages consuméristes, la revendication du bien commun, et le lobbying des

industries culturelles. »17

Au début des années 1990, les raves et la scène techno ont gagné en popularité.

L'utilisation de drogues à ces fêtes a décuplé la recherche de l'expérience

synesthésique. C’est ainsi que la scène VJ est apparue. Les années suivantes, le

courant « collagiste » apposait une trame visuelle en général sur le mix d'un DJ ou la

musique d'un groupe, en optant pour un motion design plus ou moins élaboré. En

parallèle, les clubs et les festivals font de plus en plus appels à des artistes visuels

pour rendre plus spectaculaires les DJ sets. Essayant malgré tout de s’inscrire dans

des pratiques culturelles plus institutionnelles, la scène VJ a eu du mal à se

constituer en tant que telle malgré l’apparition de quelques festivals (dont les

pionniers Vision’R18) qui se positionnent plus comme les héritiers de l’esprit des rave-

parties que réellement intégrés dans des pratiques culturelles contemporaines où le

numérique est gage de transdisciplinarité.

Initialement, les VJs ont utilisé un équipement simple pour lire des vidéos ou pour

produire des images abstraites en temps réel. Parallèlement, des mixeurs incluant

des effets numériques tels le Fairlight Computer Vision Instrument (connu sous

l'abréviation CVI) deviennent de plus en plus faciles à acquérir, plus seulement pour

les clubs mais aussi pour les VJs eux-mêmes et l'émergence des raves pousse ces

derniers à délaisser les boites de nuits pour exercer leur art dans des soirées

underground.

17 Performance audiovisuelle et pratiques du VJing, 2012, p. 7, http://fr.flossmanuals.net/_booki/performance-audiovisuelle-et-pratique-du-vjing/performance-audiovisuelle-et-pratique-du-vjing.pdf 18 FESTIVAL VISION’R, Paris, http://www.vision-r.org

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Le premier logiciel de VJing reconnu comme tel est Vujak, créé en 1992 sur Mac OS par l'artiste Brian Kane, à l'usage du groupe vidéo dont il fait partie, Emergency Broadcast Network. À la fin des années 90, divers logiciels font leur apparition : certains sont dédiés à l'image générative, comme MooNSTER, Aestesis, ou Advanced Visualization Studio, tandis que d'autre permettent de jouer des banques de séquences vidéo, comme Motion Dive, ArKaos, ou VJamm. Des environnements de programmation, comme Max/MSP et sa bibliothèque Nato, son pendant libre Puredata19 et sa bibliothèque Gem, Macromedia Director et plus tard Quartz Composer, sont utilisés pour créer des interfaces, voire des applications indépendantes comme VDMX ou pixmix.20

Au début du XXIe siècle, l'accessibilité des logiciels et la puissance des ordinateurs

portables et du matériel vidéo ont décuplé les possibilités des artistes VJs. Bien que

l'équipement soit variable, les plates-formes des VJs comprennent généralement un

ordinateur, des lecteurs DVD et des consoles - mais il est aussi fréquent de voir un

VJ utilisant rien de plus qu'un ordinateur portable. Les interfaces de contrôle externes

tels que MIDI21 ou des contrôleurs OSC22 sont souvent employées. Les visuels sont

généralement projetés sur un écran derrière les musiciens. Dans un contexte de

club, le rôle du VJ est généralement considéré comme secondaire par rapport à celle

du DJ, il est prévu que la performance du VJ soit perçue comme un

accompagnement visuel à la musique. Alors que le DJ fait état d’une présence

physique sur scène afin que les spectateurs le voient, le VJ est le plus souvent en

retrait. Mécontent de ce rôle de seul accompagnateur visuel d’une musique et se

sentant fourvoyé dans une esthétique maximaliste, certains se tournent de plus en

plus vers le live cinéma et la performance audiovisuelle. En effet ce qu’il reste du

VJing a bien changé ces dernières années, il est aujourd’hui émancipé de la musique

électronique, dont il a longtemps été le corollaire extasié. La scène A/V actuelle

19 PUREDATA est un logiciel libre utilisé dans le domaine de l'audio, de la 3D et de l'art interactif. PureData offre un vaste champ d'exploration : diffusions et traitements multimédias temps réel (vidéo, 3D, son), gestion d'interfaces physiques (joystick, souris, tablettes graphiques, capteurs), actions robotiques et lumineuses. http://puredata.info 20 Performance audiovisuelle et pratiques du VJing, op. cit., p.8. 21 MIDI pour Musical Instrument Digital Interface est une norme de communication qui rend possible l'interconnexion et la communication des synthétiseurs, des samplers (échantillonneurs), des ordinateurs, des séquenceurs, des boites à rythmes, des magnétos entre eux . 22 OSC pour Open sound control est un protocole de communication entre applications, permettant le contrôle et l'échange de données via le réseau. Il est probablement le plus répandu actuellement dans les logiciels de musique et pour les arts numériques, et figure comme un des successeurs du MIDI. Il permet non seulement d'envoyer des chiffres, mais aussi du texte et d'autres types de données.

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cherche une synesthésie réelle et non un synchronisme simulé entre la production

d’images et de sons, là où les VJ n’ont que rarement réussi à aller au-delà de leur

fonction d’animation vis-à-vis de la musique, sur laquelle ils n’interviennent, par

définition, pas. « Mais que ce soit par peur du vide, envie de remplir l'espace

scénique, passion pour l'expérience collective ou qu’il s’agisse d’une démarche

sincère pour allier la puissance d'imagination des images à celle de la musique, le

résultat est le même : le VJing le plus créatif ne se substituera jamais à une

démarche de co-création, ou en tout cas d'échange entre les artistes. »23

1.1.3. Du « ciné-poing » au live cinéma Le Live cinéma est un terme relativement nouveau qui désigne une partie des

performances en temps réel. Il est également en partie lié à la riche histoire du

cinéma et notamment à l’accompagnement musical des films muets. La différence

principale entre le cinéma et son pendant « live » réside dans son contexte. Le live

implique des contraintes qui sont complètement à l’opposé de la dimension linéaire

du cinéma traditionnel, qui est généralement narratif (actions, dialogues,

personnages). Le live cinéma lui ne se base pas sur des éléments concrets, mais

joue avec les effets, les boucles de matière visuelle, les transitions afin de constituer

un ensemble cohérent. Pour comprendre l’origine de cette pratique il faut remonter

au cinéma des soviétiques du début du siècle. Eisenstein a mis au point plusieurs

techniques de montage qu’il exposa dans « La quatrième dimension du cinéma »24 :

« intellectuelle, métrique, rythmique, tonale et harmonique », montant son film

Alexander Nevsky25 en fonction de la musique préexistante. Il a également fait

l’expérience de la pellicule découpée au rythme des battements du cœur et a

découvert un impact réel sur les spectateurs. La manière dont il s’est servi de la

matière sonore rappelle fortement l’utilisation qu’en fait le live A/V contemporain, en

travaillant les effets de rythmes et de juxtaposition. Dans les différentes formes du

live cinéma, le montage peut aussi être spatialisé soit en utilisant plusieurs images

23 LOGIBAR Arthur, « Le live audio/visuel à l’heure du numérique » in Sound & Vision, 2012, http://www.gaite-lyrique.net/gaitelive/sound-vision-le-live-audio-visuel-a-l-ere-numerique 24 EISENSTEIN Serguéï, « La Quatrième Dimension au cinéma », cité d'après la traduction française, Cahiers du Cinéma, n°270, pp. 5-28. 25 EISENSTEIN Serguéï, Alexander Nevski (Александр Невский), film, 1938.

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sur un même écran soit en utilisant plusieurs écrans. Mia Makela remarque pourtant

que « peu d’artistes utilisent le montage spatial de manière vraiment créative [sauf]

les londoniens de The Light Surgeons qui projettent des flots visuels multiples en

simultané – diapositives, films, vidéos – sur des écrans classiques et d’autres

transparents créant ainsi un dialogue pertinent entre les images et la source »26.

L’ambiguïté du live cinéma est qu’il se situe entre l’œuvre plastique, « fixée » et la

performance puisqu’il utilise les mêmes outils que le VJ. Il apparait au milieu des

années 90, avec un collectif d’artistes et la pièce vidéo improvisée 242.Pilots27 où

l’on voit que la musique composée par Justin Bennett passe largement au second

plan, accompagnement « fixé » pendant que les artistes visuels improvisent.

L’analogie avec la performance audiovisuelle peut-être faite dans le sens où ces

artistes utilisent plusieurs séquences d’images en simultané, « le fait de les mélanger

s’apparente plus à une composition musicale qu’à un montage vidéo »28. Les visuels

abstraits s’accordant mieux à la musique, le moins imitatif de tous les arts. Dans sa

définition du live cinéma Mia Makela ajoute : Le Live Cinema actuel représente la création simultanée du son et de l’image en temps réel par des artistes sonores et visuels qui collaborent à hauteur égale sur des concepts élaborés. Les paramètres traditionnels du cinéma narratif sont élargis par une conception beaucoup plus vaste de l’espace cinématographique, dont la préoccupation ne se cantonne plus à la construction photographique de la réalité telle qu’elle est perçue à travers l’œil de la caméra, ni aux formes linéaires de narration. Le terme « Cinéma » doit à présent être compris comme englobant toute les formes de configuration de l’image en mouvement, à commencer par l’animation d’images peintes ou synthétiques.29

Cette pratique décrite ici est sans doute très proche de la performance audiovisuelle,

même si le terme porte à confusion, mais nous y reviendrons quand nous essaierons

de définir plus précisément la performance audiovisuelle. Car la performance A/V est

aussi une expérience cinématographique dans le sens où Arie Altena et Boris

26 MAKELA Mia, « On l’appelle le Live Cinéma » in Live A/V, Musiques et cultures digitales, Hors-série #4, 2010, p. 8. 27 GILJE HC., LYSAKOWSKI Lukasz, RALSKE Kurt, 242.pilots, live cinéma, DVD, Bruxelles, 2002. 28 MAKELA Mia, « On l’appelle le Live Cinéma », op. cit. p. 8. 29 MAKELA, Mia. Live Cinema : Language and Elements, MA thesis. Helsinki University of Art and Design, 2006.

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Debackere30 l’entendent. Mais au delà du « cinéma », il faut aussi reconnaître

l’influence des nouveaux media et le fait que l’ordinateur soit nécessaire au dispositif

d’une performance audiovisuelle. Si le live cinéma ne fait que recréer et remixer les

structures du cinéma traditionnel, son pouvoir d’attraction poétique et polysémique

sera grandement réduit. C’est ce que Lev Manovich appelle la « logique de la

sélection »31 – et qui devient un processus nouveau de la performance audiovisuelle

– puisque chaque artiste fait le choix en direct des sons et des visuels qu’il va jouer

et qu’il a produit au préalable. C’est en cela que l’on peut fondamentalement

différencier VJing et live cinéma, l’intention artistique n’étant pas la même.

1.2. Héritages

Ces formes ayant précédées la performance audiovisuelle ont eu recours à des

technologies spécifiques, à des concepts philosophiques et à des modalités de

performances disparates. Comment alors donner à une cohérence à ce panorama

historique ? Les classer par genre comme j’ai pu le faire reviendrait à dire que le

medium est ce qui les différencie fondamentalement, omettant ainsi la possibilité

d’une certaine hybridité pourtant inhérente à ce genre de pratiques. Une autre façon

de regrouper ces formes artistiques serait par objectif ou concept. Bien qu'un tel

regroupement soit nécessairement spéculatif, il met l'accent sur le champ de la

pratique artistique et de sa réception plutôt que son résultat formel strict. Les trois

concepts qui sont à mon sens à l’œuvre dans la performance audiovisuelle et ses

antécédents sont l'immersion, la synesthésie, et le direct.

1.2.1. Immersion À des degrés divers, un certain nombre des œuvres précédemment énumérés

sont immersives. Le « bombardement » audiovisuel d'un concert ou l'environnement

d’un club avec ses lumières, ses DJs et ses VJs, ont été annoncé par une série de

projets qui avait l’intention de plonger le spectateur dans une expérience

audiovisuelle de telle sorte que la séparation entre le public et la performance soit

30 ALTENA Arie, DEBACKERE Boris, The Cinematic Experience, Sonic Acts Press, 2008. 31 BUREAUD Annick, MAGNAN Nathalie, Lev Manovich, La logique de la sélection, connexions, art réseaux media, école nationale supérieure des Beaux-arts, Paris, 2002.

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éludée. C’était par exemple le cas des performances d’Andy Warhol et de l'Exploding

Plastic Inevitable au milieu des années 60, qui combine la musique live du Velvet

Underground avec des danseurs live, des films expérimentaux, des jeux de lumières,

et qui ont été perçus comme des expériences « multimedia » immersives. Pour

illustrer cette idée, Gene Youngblood dans Expanded Cinema a définit ce genre de

spectacle comme « un paradigme pour un tout autre genre d'expérience

audiovisuelle, une langue tribale qui n’exprime pas des idées mais la conscience

collective du groupe »32. À son tour, Oliver Grau ajoute dans Virtual Art: From Illusion

to Immersion33, que l’art du live cinéma hérite de la tradition du diorama et du

panorama qui cherche à placer l'observateur dans un espace visuel, de projeter

l'illusion d'un espace pictural continu afin de favoriser l'immersion du spectateur dans

cet espace. Ce qui est en jeu dans l'ensemble de ces projets précédant la

performance audiovisuelle c’est la mise en place – à la fois phénoménologiquement

et ontologiquement – du public au cœur de la production sonore et visuelle. Ce qui

est en jeu, c'est la subjectivité, à la fois du public et de l’interprète : subjectivité mise

en question puisque le public n’est plus seulement spectateur passif, ni même

critique d’art, mais il devient actif dans la reconstruction du lien image/son.

L’immersion sensorielle se décompose en deux parties : d'abord, « celle de

l'implication de l'individu dans un « environnement médiatique holistique, et la

seconde, celle de la dissolution du sentiment de l'individu de leur individualité par la

création d'un expérience collective et intra-subjective. »34

1.2.2. Synesthésie Le terme « synesthésie » apparaît pour la première fois à la fin du XIXème siècle,

dans un usage alors purement scientifique. Il désigne « une condition neurologique

selon laquelle deux ou plusieurs sens sont associés »35, c’est à dire une fusion des

sens. S’il existe plusieurs formes de synesthésie, c’est celle entre la vue et l’ouïe qui

32 YOUNGBLOOD Gene, Expanded Cinema, op. cit., p. 387. 33 GRAU Olivier, Virtual Art: From Illusion to Immersion, MIT Press, 2003, p.5. 34 COOKE Grayson, « Start Making Sense ; Live Audio Visual Media Performance » in International Journal of Performance Arts and Digital Media 6, 2010, pp. 193–208. 35 BARON-COHEN Simon, HARRISON John, Synesthesia : Classic and Contemporary Readings, Blackwells, Oxford, 1996.

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nous intéressera. Il s’agit d’un phénomène scientifique qui a été découvert grâce à

l’arrivée des nouvelles technologies dans les neurosciences et qui a démontré que « Toute région cérébrale peut être connectée avec n’importe quelle autre. De là est provenue l’hypothèse des activations croisées et des erreurs de câblages. Ainsi, lors d’une stimulation auditive, des connexions inhabituelles s’effectueraient entre réseaux de neurones, et donc entre les régions du cerveau liées aux perceptions sensorielles auditives et visuelles. Elles provoqueraient ainsi ce mélange de signaux perceptuels et ces associations perceptives propres à la synesthésie. »36

Laissant la place à l’émotion et établissant un lien fusionnel entre les modalités audio

et visuelles, il est logique que les artistes se soient emparés de ce phénomène

scientifique réel.

La tradition de la synesthésie artistique de la musique visuelle manifeste deux

intérêts spécifiques : d'abord, dans la relation de la couleur au son ou à la musique,

et d'autre part, dans la possibilité d'une relation audio et visuelle telle que

l'expérience du public équivaut à une sorte de simulation de la synesthésie. Cette

idée remonte au XVIIème siècle et l'équation de Newton entre les sept notes de la

gamme diatonique occidentale et les sept couleurs : rouge, orange, jaune, vert, bleu,

indigo et violet37. Ces relations supposées sont arbitraires, et ont été remises en

question de nombreuses fois depuis. Néanmoins, cette idée d‘équation entre la teinte

et la fréquence a inauguré une série de tentatives avec le « clavecin oculaire » de

Louis-Bertrand Castel ou les « color-organs » de Bainbridge Bishop et Alexander

Rimington qui permettaient d’accompagner la musique par des couleurs et des

lumières. Cette tradition se perpétuera comme nous l’avons déjà montré avec le

cinéma abstrait. Ces appareils représentent une tentative de synesthésie simulée,

par laquelle il serait possible de voir le son ou entendre une couleur. De cette façon,

les pratiques modernes de la performance audiovisuelle héritent non seulement des

combinaisons de couleurs sonores mais aussi des expériences picturales et

musicales visant l'expérience synesthésique avec des artistes comme Wassily

36 BOISSELIER Charlotte, Synesthésie et Matérialisation du son en art à l’ère du numérique, éditions UE, 2011, p.12. 37 COLLOPY Fred, « Color, Form, and Motion: Dimensions of a Musical Art of Light » in Leonardo, Vol. 33, n°5, 2000, p. 355-360.

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Kandinsky qui prétendait être synesthète couleur-son. Ses peintures cherchaient à

simuler la pureté esthétique de la musique, il leur donnait d’ailleurs souvent des titres

musicaux comme Composition et Improvisation. L’abstraction ayant pour but, non

seulement de dépasser la part cognitive de la peinture figurative, mais aussi de

produire une sorte de contrepoint de la couleur et de la forme, consonance et

dissonance visuelle. Les avant-gardes du XXème siècle qu’ont été le

Constructivisme, le Bauhaus, le courant Futuriste puis Fluxus renforceront les liens

entre musique et image jusqu’à tenter de représenter la réalité dans tous les

domaines du sensible. Ces tournants majeurs depuis l’idée de synesthésie

annoncent ce que les nouvelles technologies vont permettre dans la création

contemporaine et dans l’art de la performance : un art du moment présent.

1.2.3. Live Parmi les précédents de la performance audiovisuelle, un certain nombre de

projets contiennent en eux la notion de hasard ou de production de sons et de visuels

aléatoires en direct. La chance et les aléas ont été perçus comme des concepts

générateurs d’un certain nombre de traditions artistiques. Fondé sur la distinction

faite par Freud entre le contenu « manifeste » et le contenu « latent » du rêve , les

surréalistes, par exemple, se sont intéressés aux processus créatifs basés sur le

hasard comme moyen d’extraire le contenu inconscient ou latent de la pensée. Un

jeu comme « Le Cadavre Exquis » donne à lire une pensée qui est extra-individuelle

et collective c'est un processus de fabrication de sens arbitraire qui ne naît pas dans

l'esprit d'un individu compris exprimant ses intentions, mais selon des individus, qui

nous donne une représentation possible de la pensée ; le sens et l'intention ne

pouvant pas être lié au sujet. La technique du cut-up de Brion Gysin et William

Burroughs exploitait également le principe du contenu latent où un texte se trouve

découpé au hasard puis réarrangé pour produire un texte nouveau.

Cette idée a été également largement utilisée dans les différentes formes de

performances audiovisuelles. A ce titre, les happenings de Fluxus sont clairement

fondamentaux, l’œuvre est produite en direct et en relation avec le public et avec

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l’environnement. John Cage utilise le hasard comme un principe créateur à la fois

dans la composition et la performance, par exemple, en utilisant le Yi Jing38 afin de

déterminer la structure formelle, la méthode de composition, le choix du matériau

musical des Music of Changes39, ou en utilisant un ensemble de radios à transistors

accordé à des fréquences différentes dans Imaginary Landscape N°440. De même,

en réaction au sérialisme intégral, la musique aléatoire de Pierre Boulez et Karlheinz

Stockhausen rejette la fixité puisque toute idée de relation hiérarchisée dans le temps

et dans l'espace est abandonnée. Ces projets artistiques aussi différents qu’ils soient

dans leurs formes ont comme point commun d’abstraire l’idée d’intention, de sens et

d'ordre dans un travail qui n’est plus celui de la figure de l’artiste mais un résultat

extra-individuel. La notion de hasard dans une performance audiovisuelle en direct

agit comme un effet de désorganisation plutôt qu’une adhésion rigide à des formes

prédéfinies, formant ainsi un tout cohérent.

Bien que chacune de ces idées, avec leurs objectifs corrélatifs, peuvent être

comprises comme tout à fait éloignées puisque agissant dans des contextes

différents avant l’émergence de la performance audiovisuelle contemporaine, elles

sont toutes impliquées dans le sens que l’on peut donner à une performance A/V. La

tradition de la synesthésie, relie la tradition de la musique visuelle à l'objectif de

l'immersion, par l'intermédiaire du Gesamtkunstwerk wagnérien. De même, le sens

extra-individuel généré par des modes de production artistiques basés sur l’aléatoire

et le direct entre en résonance avec l'expérience sensorielle tribale ou collective des

pratiques immersives. Les positions du spectateur et de l'artiste sont interrogées à

travers ces pratiques. Influencées par le poststructuralisme et par ce qu’il s’est déjà

joué dans d'autres disciplines (par exemple « la mort de l'auteur »41 littéraire), les

performances liées aux nouveaux médias sont nécessairement aujourd’hui plus

38 YI JING : célèbre recueil d'oracles de l'ancienne Chine ; le titre de la traduction anglaise de ce « Livre des Mutations » est The Book of Changes, ce explique en partie le titre donné par John Cage à Music of Change. 39 CAGE John, Music of Change, quatre pièces pour piano, 1951. 40 CAGE John, Imaginary Landscape No. 4 (March No. 2), pièce pour douze radios, vingt-quatre interprètes et chef, 1951. 41 BARTHES Roland, « La mort de l’auteur » in Le bruissement de la langue, Essais critiques IV, Paris, Seuil, 1984, p.63-69.

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« interactives ». Le spectateur pour comprendre une performance audiovisuelle doit

réussir à se l’approprier en faisant abstraction de la figure de l’artiste.

2. Un éclairage sémantique sur la diversité des termes VJing, live multimédia ou encore performance A/V sont autant de termes pour

nommer ces pratiques artistiques induisant un rapport entre le son et l’image. Il

convient donc d’éclaircir ces différentes terminologies. On se rend compte en

analysant les programmations des lieux de culture ou des festivals que le sens des

mots est encore assez vague puisque différents termes sont parfois employé pour

une même performance. Prenons par exemple la dernière création audiovisuelle

d’Uwe Schmidt alias Atom TM, HD42 : Lors de sa première mondiale au Mapping

festival43, elle fut présentée comme une performance audiovisuelle, alors que le lieu

unique qui le programme par la suite parle de live A/V. Les anglais parlent eux de

visual performing ou de live media.

2.1. Le VJing : un blason à redorer

Le terme de VJing est apparu dans les années 80 conjointement à l’explosion

des musiques électroniques. Ce lien entre DJ et VJ a induit la présence du VJ

comme une sorte de « papier-peint » pour DJ dans un contexte festif. Aujourd’hui le

terme VJ garde cette connotation négative. Généralement le terme de « performance

audiovisuelle » lui est préféré pour nommer ce genre d’intervention live basée sur la

manipulation artistique de plusieurs médias grâce à des outils technologiques. À

partir de là une certaine différenciation s’est faite entre le VJing qui ne consiste qu’a

mixer des images contrairement à la performance A/V où le processus de création

serait global et plus intégré. Laurent Catala parle d’ailleurs de « continuum visuel »44

pour décrire le travail des VJs. Pourtant cette opposition est remise en question par

certains pionniers du VJing comme Laurent Carlier, directeur du festival Vision’R,

pour qui la performance A/V est « une composante du VJing, qui définirait le travail

42 SCHMIDT Uwe (ATOM TM), HD/AV, performance audiovisuelle, 2013. 43 MAPPING FESTIVAL, Genève, http://www.mappingfestival.com 44 CATALA Laurent, « Pratiques Live : le sens des mots » in Live A/V, Musiques et cultures digitales, Hors-série #4, 2010, p. 16.

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autour de l’image dans son ensemble […] c’est un terme générique, certes un peu

fourre-tout, mais qui à l’avantage de conserver l’hétérogénéité d’une discipline basée

sur l’intermedia, le fragment, le non-linéaire, le non narratif… »45. Laurent Carlier

ajoute dans son rapport à la performance audiovisuelle qu’il y a une volonté élitiste

de nommer ce genre de projet ainsi : Le terme VJing va bien pour les choses alimentaires et la performance A/V pour les choses plus pointues. Quelqu’un qui va faire une performance dans un club, un endroit où l’on danse, c’est du VJing, quand ça va être dans un salon, un festival de standing ou des performances contemplatives. On va appeler ça performance A/V, c’est plus vendeur. […] L’importance est dans l’idée, dans l’intention de l’expérience esthétique partagée. Et cette puissance se retrouve autant dans le recyclage/mixage que dans la création d’images.46

Si l’on peut aisément comprendre la volonté de ne pas hiérarchiser les pratiques, il

est malgré tout utile de faire un distinguo entre différents contextes. Ana Ascensio,

programmatrice du Mapping festival m’a confirmé l’importance de nommer le plus

justement possible ce que le public vient voir, « ce que l’on essaye de différencier par

performance audiovisuelle, par son nom correspond à un format dont la durée

n’excède pas la demi-heure ou 45 minutes et qui diffère du live audio-visuel et qui

diffère de la scène clubbing où un DJ et un VJ sont associés. Le live A/V est aussi

une performance qui se différencie par le lieu : club ou pas club, mais la finalité est

fondamentalement la même. Il est vrai que mettre un nom sur ces formes hybrides

est parfois difficile pour nous jusque dans notre communication. »47

2.2. Performance A/V // Live A/V

La distinction entre ces deux termes pourrait paraître anecdotique, mais il s’est

avéré au cours de mes entretiens et des différents spectacles auxquels j’qi pu assisté

que cela avait son importance. Prenons l’exemple de unitxt/univrs48 d’Alva Noto

présenté pour la première fois à Ars Electronica, festival d’art numérique en 2010.

C’est donc apparemment une performance audiovisuelle par son contexte : Carsten

Nicolai est un artiste contemporain et un musicien électronique, sa pièce produite

45 Ibid., p.16. 46 Ibid., p.16. 47 Annexe n°2, entretien Ana Ascencio, p. 78. 48 NICOLAI Carsten (ALVA NOTO), unitxt/univrs, 2009, http://vimeo.com/21317325

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avec TouchDesigner49 dure à peine 45 minutes, le public est assis. Or j’ai assisté à

cette même pièce en 2013 dans un contexte radicalement différent puisqu’il

s’agissait d’un club, la performance avait été rallongée de plusieurs minutes. C’est à

ce titre que le terme de live A/V me paraît intéressant dans le sens où il reprend les

éléments constitutifs de la performance audiovisuelle en changeant le contexte de

réception pour le spectateur. En ce qui concerne la performance audiovisuelle, la

définition de Gilles Alvarez me paraît la plus concise et la moins sujette à débat :

« Décrétons donc qu’une véritable performance audiovisuelle est un spectacle

d’auteur, d’une durée fixe, avec une construction précise, une dramaturgie même

abstraite, et une scénographie pensée et réalisée dans les meilleures conditions »50

2.3. L’hybridation des pratiques

Au-delà de la querelle qu’il peut exister sur la dénomination de certaines

pratiques, ce qui paraît essentiel n’est plus seulement de nommer le travail de

l’artiste autour de l’image et du son mais c’est également de nommer le lieu

d’intervention et ce que cela engendre sur la réception du public. « Dans ce

processus d’hybridation, il s’agit bien de se détacher de la technique pour arriver à

quelque chose qui touche à l’ensemble, au sens qu’en perçoit le public et qui donne

au final sa signification à l’œuvre »51. Le paradoxe de Mc Luhan illustre bien cette

idée : « Le médium c’est le message »52. Jusqu’alors on supposait que dans le

processus de création interviennent des facteurs divers, tels que l’émetteur et le

récepteur de l’œuvre, le medium par lequel est transmis le message et le message

lui-même. D’où le sens paradoxal de cette affirmation de Mc Luhan, qui identifie le

message à son medium. « L'hybridation ou la rencontre de deux médias est un

moment de vérité et de découverte qui engendre des formes nouvelles. Le parallèle

entre deux médias, en effet, nous retient à une frontière de formes et nous arrache à

la narcose narcissique. L'instant de leur rencontre nous libère et nous délivre de la

torpeur et de la transe dans lesquelles ils tiennent habituellement nos sens

49 DERIVATE TOUCHDESIGNER est un logiciel de création et de visualisation 3D en direct. 50 ALVAREZ Gilles, « Live ! Live ! Live ! » op. cit., p. 20. 51 CATALA Laurent, « Pratiques Live : le sens des mots », op. cit., p.16. 52 MC LUHAN Marshall, Pour comprendre les médias, éd. du Seuil, coll. « Points Essais », 1977.

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plongés. »53. Ce qui compte c’est bien la mise en scène de l’image et du son en

situation de spectacle et la naissance d’une nouvelle forme de spectacle vivant car

utilisant de nouveaux media.

3. Concept de la performance audiovisuelle En gardant à l’idée les origines (et leurs héritages) de la performance

audiovisuelle, il faudrait revenir à la question du sens. Nous avons déjà abordé les

attentes du public en se demandant « quel type de performance m’est proposé ? ». Il

s’agit maintenant de se demander « quel sens puis-je donner à cela ? ». Cette

question se fonde sur l'hypothèse selon laquelle la performance audiovisuelle n’est

pas purement « décorative », qu'il doit y avoir un propos derrière cette débauche

souvent impressionnante de technologie. Il faut aussi envisager que l’absence de

sens, autrement dit l’absurdité peut-également être un sens à donner. En fait la

performance audiovisuelle par ses aspects spectaculaires n’apparaît pas comme être

destinée à faire sens. Pourtant elle y parvient parfois même dans sa dimension

abstraite : ce qui en soi est une sorte de sens car elle repose sur une intention de

confondre ou de refuser le sens. Ainsi la gratuité de l’œuvre qui peut-être prégnante

dans le VJing ou dans les « concerts augmentés » est à proprement parler

impossible dans une performance audiovisuelle, puisque elle touche à la part de

l’intelligence dans l’expérience esthétique qui ouvre à ces dimensions essentielles :

l’action, la pratique et la pédagogie.

3.1. Le temps-réel

Ce que l’on entend par concept, c'est la notion d'intention : auteuriale ou

artistique. C’est précisément cette notion d'intention dont il est question lorsque nous

parlons de temps réel pour une performance audiovisuelle, et surtout si nous

rapprochons cette idée du live avec la longue tradition artistique du hasard et de

l’aléatoire. Dans différents domaines artistiques comme le cinéma, le théâtre ou

l’exposition, la note d’intention ou le cartel correspondent à un texte court dont

l'objectif est de convaincre de l’intérêt majeur d’une nouvelle œuvre à partir du simple

53 Ibid., p. 105.

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exposé du projet à travers un argumentaire technique et esthétique. Or la

performance audiovisuelle ne dispose pas de cette possibilité puisque leur

temporalité est différente : les spectacles multimedia sont vivants, ils se produisent

dans l'instant, « à la volée », et dans ce qui est souvent appelé « temps réel ». Il n'y a

pas de script, pas de texte juste une feuille de route que l’artiste suit plus ou moins à

la lettre. Comme le note Adrian Mackenzie le temps réel survient « lorsque l'intervalle

entre le déclenchement d'un événement et son traitement/réception tombe sous le

seuil de la perception sensible »54. En temps réel, « l'événement est structuré par

son traitement »55. Yro ajoute qu’il est à la recherche dans ces créations de « cette

idée du direct et de l’erreur qui permet de recréer ce rapport frontal avec le public »56.

En fait, l'événement en temps réel ne peut pas être un événement prévu, car il n'y a

pas de séparation temporelle entre sa conception et son apparition, par conséquent,

le modèle de conception ou d'intention par laquelle nous pourrions comprendre ce

qui est en train de se passer est forcément différent puisque « émergent ».

Il n'est pas possible d'avoir un contrôle complet de la performance en temps réel,

car ce ne serait plus un événement. « Qu’il s’agisse de temps réel, avec des

éléments précomposés (montés ou déclenchés en direct) ou de données génératives

où l’on laisse faire la machine (avec les bornes ou les contraintes dont on l’a

instruite), l’enjeu est le même. Que ce soit dans un live échevelé où la générosité

suppose une certaine perte de contrôle, ou le faux live d’un Ryoji Ikeda ou d’un

Quayola (on appuie sur Play au début et sur Stop à la fin), c’est encore de l’AV

live »57. Ainsi, la performance audiovisuelle repose sur une dialectique entre le

contrôle et le non-contrôle, ou un « équilibre entre l'intention et l'accident »58, Il faut

comprendre l’importance de ces « défauts » dans une performance, notamment la

part d'expérimentation et de jeu qui est à contre-courant de l’idée que l’on peut avoir

54 MACKENZIE Adrian, Transductions: Bodies and Machines at Speed, Continuum Press, 2002, p. 151. 55 Ibid., p.168. 56 Annexe n°3, entretien Yro, p. 81. 57 ALVAREZ Gilles, « Live ! Live ! Live ! » op. cit., p. 20. 58 BUCKSBARG Andrew, « VJing and Live AV Practices » in VJ Theory.net, 2008, http://www.vjtheory.net/web_texts/text_bucksbarg.htm

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de la performance ultra-technologique et efficace. Michael Lew – dont la théorie

s’appuie sur ses expériences dans la création de systèmes live media comme par

exemple, Live cinema instrument59 qui est un mélange entre un instrument de

musique et un système d'édition vidéo drivé par un logiciel de programmation visuelle

Max/MSP/Jitter60 – explique que son projet est une tentative de produire un cinéma

allographique qui serait différent à chaque fois qu'il est exécuté et dont l’objectif serait

« le risque, le plaisir de l'auditoire vers l'inattendu, l'accident »61.

3.2. La narrativité en question : entre fragmentation et abstraction

La notion de narrativité dans les performances audiovisuelles est soumise à la

même logique que la notion de temps réel. Lorsqu’un spectateur doit donner du sens

à ce à quoi il est en train d’assister s’accroche à ce qu’il connaît déjà, c’est à dire à

des motifs figuratifs. En effet, la performance A/V est perçue comme le pendant du

live cinéma et donc constitué par l’assemblage de fragments narratifs, comme s'il

fallait à tout prix retrouver la trace du récit original. C’est en effet le spectateur, qui à

partir de ces fragments va constituer sa propre narration. C’est seulement à partir de

cette reconstruction de la narration plus ou moins fragmentée, plus ou moins

abstraite que le plaisir du « récit » est vécu (cohérence spatio-temporelle,

identification du lien entre images et son). En se référent à Vladimir Propp et à sa

Morphologie du conte62, Grayson Cooke met en avant cette « distinction

narratologique, commune aux études cinématographiques, entre histoire et intrigue,

ce que le Formalisme russe appelle fabula et sjuzhet et qui souligne cette volonté,

par laquelle l'histoire (la séquence chronologique sous-jacente d'un récit) et l'intrigue

(l'ordre dans lequel les événements sont représentés dans une narration) sont

perçues de façon interactive par un public donnant ainsi un sens à une histoire

59 LEW Michael. « Live Cinema: Designing an Instrument for Cinema Editing as a Live Performance » pour la International Conference on Computer Graphics and Interactive Techniques, ACM SIGGRAPH, 2004. 60 MAX/MSP est un environnement visuel pour la programmation d’applications sonores interactives. JITTER étend les possibilités de travail de Max/MSP à la manipulation en temps réel de vidéo, graphiques, 3D et autres données multimedia. 61 LEW Michael. « Live Cinema: Designing an Instrument for Cinema Editing as a Live Performance », op. cit., p. 6. 62 PROPP Vladimir, Morphologie du conte, Seuil/Points, 1970.

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Cyriaque Blanchet | Performances audiovisuelles - « Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique »

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globale »63. En effet d’un point de vue cognitif, le public contemporain est très habitué

à la narration puisque le récit est l'une des principales formes du capitalisme culturel

de l'ère moderne, et certainement de l'ère du multimedia. D’ou la difficulté et

l’exigence de la performance audiovisuelle où il faut appréhender une narration

fragmentée, un lien entre une image et son qui est parfois plus symbolique que

formel. Parfois, c’est très connecté, un son va déclencher une image, d’autre fois le son et l’image ont des rythmes différent ce qui les lient également : un kick de batterie ne correspond pas forcément à un cut d’image. Il y a aussi un rapport charnel entre l’image et le son. Lorsqu’on travaille la musique avec Erwan Raguenes, on se rend compte que la musique influence l’interprétation que l’on a de l’image et vice versa. C’est l’imagination du spectateur qui interprète de manière intime le rapport entre l’image et le son.64

En règle générale, la compréhension du récit, oriente l'expérience de la narration

toujours vers une fin, comme si tout ce qui avait précédé, était uniquement motivé

par l'inéluctabilité de la fin. En ce qui concerne la performance audiovisuelle, cela ne

fait pas sens puisqu’elle ne se détermine pas en terme de début et de fin – même si

cela est plus ou moins écrit – la narration est faite de moments de tensions (acmé

dirait-on en théâtre) et de moments d’interruption de cette tension (bathos).

L’expérience du récit de la performance audiovisuelle est temporelle, avec ses

rebondissements et ses exigences et demande à être appréciée dans l'instant,

comme le rhizome chez Deleuze et Guattari « [il] ne commence pas et n'aboutit pas,

il est toujours au milieu, entre les choses, un inter-être, intermezzo »65, tous les

fragments narratifs ou abstraits qui sont produits en temps réel doivent être compris

comme des blocs modulables qui ne sont plus là pour raconter une histoire mais qui

par association plus ou moins arbitraire – en conciliant la dimension poétique et la

dimension rationnelle66 – amènent le spectateur à comprendre le sens de la

performance à laquelle il assiste.

63 COOKE Grayson. « Start Making Sense ; Live Audio Visual Media Performance », op.cit., p. 201. 64 Annexe n°3, entretien Yro, p. 81. 65 DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux, Paris, Les Editions de minuit, 1980, p. 36. 66 AMENGUAL Barthélémy, Que viva Eisenstein !, L'Âge d'homme, Lausanne, 1981, p. 87. Le montage intellectuel chez Eisenstein est fondé sur le contenu symbolique produit par des images juxtaposées, qui relève d'une démarche dialectique. Le sens naît de la juxtaposition des plans.

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3.3. Étude de cas : Dust67

Le projet d’Herman Kolgen, Dust est un bon exemple de représentation figurative

mais non narrative. En accord avec les propos de Greenaway68 qui affirme que le

cinéma narratif est une forme restrictive et voué à être inadapté à l'ère de la

convergence des media multiplateformes, la performance est fragmentaire, non-

linéaire et répétitive. Inspiré de la célèbre photographie de Man Ray « Élevage de

poussière », Dust nous montre une exploration du changement d’état de la matière.

Des particules sont en suspension autour d’un champ magnétique et forment

aléatoirement des réseaux fibreux composites. Les particules sonores couplées aux

agrégats lumineux sont ici à une échelle entre le visible et l’invisible où s'annulent

tous les repères du spectateur. Pour le public, il n'existe aucun fil narratif, pas de

climax ni dénouement, mais plutôt, une sorte de présent continu qui peu à peu se

transforme. Ainsi, Andrew Bucksbarg nous invite à considérer le récit des

performances audiovisuelles non pas en termes d’événements chronologiques qui se

combinent pour créer une histoire, mais en termes d’« intensités »69 qui varient selon

les changements rythmiques et la complexité visuelle. Il suggère en outre que si l’on

compare la performance audiovisuelle à une forme littéraire, la poésie est sans doute

plus pertinente que le roman. Des projets audiovisuels comme Dust sont par

essence non-narratifs ; ils commencent et ils s'arrêtent en contenant des images et

des sons qui donnent au public l’occasion d’écrire son propre « texte ». Ce qui est

ressenti par le public ne peut-être vu qu’en fonction de la structuration en temps réel

de la performance. S'il y a une intention dans la performance audiovisuelle, elle se

situe dans l’absence de préméditation, elle n’existe que de manière éphémère. Alors

qu'elle est conçue, elle est déjà destinée à disparaître. Yro dans Eile70 pousse cette

idée à son paroxysme en créant une performance où l’intégralité de l’image et du son

est fabriquée en direct, « à la fin de la performance les vidéos et la musique qui ont

67 KOLGEN Herman, Dust, performance, 2010, http://www.kolgen.net/projects/dust 68 MAHEU Fabien, « Cinéma, peinture et numérique : hybridité de l’image chez Peter Greenaway » in Cahiers de Narratologie, 2010, http://narratologie.revues.org/6177 69 BUCKSBARG Andrew, « VJing and Live AV Practices », op. cit. 70 BLANCHARD Elie, Eile, performance improvisée, http://www.yroyto.com/archives/portfolio/eile

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servi (et été fabriquées) pendant la performance disparaissent définitivement de

l’ordinateur, l’œuvre garde un aspect éphémère et non reproductible. »71

On pourrait croire, que le concept de performance audiovisuelle est un concept

esthétiquement vide tant les attentes en ce qui concerne les notions d’auteur,

d’artiste, de récit et de sens sont remis en question par le caractère éphémère de la

performance, le refus de l'unité, de l'intention et de la préméditation. Cela ne veut pas

dire qu'il n’existe pas de plaisirs intellectuels qui peuvent être vécus à travers la

performance audiovisuelle. Loin de là, il s'agit plutôt de montrer que les attentes du

public doivent être envisagées via la situation d'interprétation et le contexte. Un

contexte de plus en plus lié à la création numérique et à un environnement technique

complexe. Algorithmes génératifs, démultiplication des champs de fréquence

auditive, traitement du signal numérique en temps réel… Autant de processus qui

agissent indubitablement sur les choix esthétiques des artistes de la scène A/V.

71 BLANCHARD Elie, « Yro », in Live A/V, Musiques et cultures digitales, Hors-série #4, 2010, p. 128.

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Synesthésie du son et de l’image en art dans le contexte spécifique de l’art numérique

« En réalité, l’art et la représentation, depuis toujours, se sont orientés vers une

virtualisation des choses, vers l’image reflet de la réalité. Le numérique actuel n’est

que le parachèvement de cette quête multimillénaire. Quand les hommes et les

femmes peignent sur les parois de Lascaux, ils produisent et envoient du virtuel »72.

La performance audiovisuelle est ancrée dans l’évolution des technologies : le

numérique permettant un travail sur la synchronisation du son et de l’image dans

l’objectif d’offrir une expérience synesthésique au spectateur. Les bouleversement

technologiques, ont enrichi la définition du live A/V grâce à la fusion des différents

médias dans un langage commun mais aussi grâce à la création numérique qui est

indissociable des notions d’interactivité, de temps réel et de comportement. Après

plus de cinquante ans d’art numérique, peut-on considérer la performance audio-

visuelle comme un genre ou une discipline à part entière ?

1. L’art numérique : interactivité et réalité virtuelle. Ce qui est perçu aujourd’hui comme art numérique s’est vu nommer de manière

différente depuis ses origines : On a par exemple parlé d’art « assisté par

l’ordinateur » dans les années 70 avant de choisir le terme plus générique d’art

numérique. Depuis ses débuts le vocabulaire faisant référence à ce principe s’est de

nombreuses fois renouvelé : on a parlé d’art « algorithmique », d’art « génératif » et

d’art « artificiel » pour nommer ces pratiques liés tour à tour à l’usage de l’ordinateur,

à la technologie, aux sciences contemporaines. À tel point qu’il est encore

aujourd’hui difficile de catégoriser ce genre d’œuvre.

1.1. Qu’est ce que l’art numérique aujourd’hui ?

L’art numérique est aujourd’hui partie intégrante des « nouveaux media »,

appellation que l’on donnait seulement au cinéma, à la vidéo, ainsi qu’à l’art sonore.

72 MORAIN Jean-Baptiste, « 4h44 Dernier jour sur terre » in Les Inrockuptibles, n°890-891, Les éditions indépendantes, décembre 2012.

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Le terme art numérique tel qu’il est employé, l’est parfois à tort et à travers. En tant

qu’artiste Yro affirme que « la dérive des arts numériques : un amalgame fait par les

politiques et par les lieux qui est de faire la différence entre technologie numérique et

art numérique. […] Alors que nouvelles technologies ne veut pas nécessairement

dire art contemporain. Utiliser un ordinateur ne fait pas de moi un artiste

numérique »73. En effet, l’art numérique couvre aujourd’hui un nombre de pratiques

très large et ne peut désigner un ensemble homogène d’un point de vue esthétique.

Selon Annick Bureaud, cette indécision sémantique est la preuve tangible qu’il ne

s’agit pas d’un genre artistique propre. En effet combien d’artistes aujourd’hui

peuvent se passer de l’ordinateur dans le processus de création d’une œuvre de A à

Z ? Cette évolution des usages de termes s’est faite conjointement à l’apparition de

nouvelles technologies et de nouveaux media dans le champ artistique et « reflète

surtout des préoccupations conceptuelles, idéologiques, culturelles, sociales et

politiques à un moment donné et leur sédimentation au cours du temps »74. Cela

renverra donc sans doute plus au regard que le spectateur portera sur une œuvre

dans un contexte donné plutôt qu’à sa « nature intrinsèque »75. Le terme d’art

numérique doit donc être perçu comme la traduction d’un contexte et des

préoccupations de l’art contemporain et du spectacle vivant. Ainsi, même s’il existe

un art exclusivement numérique, notamment les performances audiovisuelles de

Ryoji Ikeda sur lequel nous reviendrons plus en détail ou le WJing (définissant

l’activité des web-jockey) pour ne parler que des projets impliquant l’image et le son,

beaucoup d’œuvres que le terme « d’art numérique » englobe ne le sont pas. « Le

terme d’art numérique reste technique et générique. Il ne peut épuiser le sens des

œuvres ni les réduire à leur seule technicité »76.

73 Annexe n°3, entretien Yro, p. 81. 74 BUREAUD Annick, « Art numérique, les chapitres manquants » in Arts numériques, tendances, artistes, lieux et festivals, Musiques et cultures digitales, 2008, p.18. 75 Ibid., p.14 76 BOISSELIER Charlotte, Synesthésie et Matérialisation du son en art à l’ère du numérique, op. cit., p. 17.

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1.2. Interactivité et réalité

L’art numérique actuel est principalement marqué par l’interactivité et la virtualité,

avec le développement technique des réseaux de communication numériques. Cela

a engendré de nouveaux modes d’échanges entre les cultures, mais aussi entre

l’œuvre et le public et/ou son environnement. Les procédés de création artistique à

l’ère du numérique se caractérisent par cette double postulation du virtuel et du réel

comme l’affirme l’artiste et penseur Edmond Couchot à propos des technologies

traitant de l’information de manière transversale : « Transversale au langage et à la

technique, elle réunit ces deux formes de pensées dans le même creuset. Elle est

transversale à la quasi-totalité des techniques, elle est transversale à tous les

médias, espèces d’images et de sons, transversale encore à tous les modes de

diffusion et de circulation des informations »77. Le numérique en tant que support et

outils perturbe les processus de création, de diffusion et de réception de l'art : La

technologie numérique à l’avantage de rendre effective l’existence commune de

formes empruntées à des disciplines hétérogènes. Grâce au numérique, il peut

exister une association symbiotique, « quasi génétique »78 de media divers. « [L’art

numérique] est transversal à l’ensemble des arts déjà constitués dont il continue de

dissoudre les spécificités, les hybridant intimement entre eux, les redynamisant en

les déplaçant. Mais aussi spécifique, totalement original dans la manière dont il

redéfinit les rapports de l’œuvre, de l’auteur et du spectateur, dans la manière dont il

mobilise en les conjuguant les modes de production des formes sensibles et les

modes de socialisation de ces formes, dans la manière enfin dont il s’enracine dans

la science et la technologie »79. Cette idée d’hybridation rejoint complètement

l’expérience de la performance audiovisuelle qui, au delà du travail live autour de

l’image et du son s’est élargie autour de perspectives plus complexes comme le lieu

d’intervention et le public.

77 COUCHOT Edmond, « Pour une pensée de la transversalité » in Dialogues sur l'art et la technologie : autour d'Edmond Couchot, Editions L’Harmattan, 2001, p.150. 78 COUCHOT Edmond et HILAIRE Norbert, L’art numérique, Champs-Flammarion, Paris, 2003, p.140. 79 Ibid., p.140.

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1.2.1. Réalité virtuelle En effet depuis l’avènement de l’art numérique, c’est principalement le langage

numérique qui crée l’interactivité au moyen d’interfaces dédiées tentant de créer un

dialogue entre l’homme et la machine. De ce dialogue nait un système de réalité

virtuelle où le spectateur est immergé dans un environnement simulé réel ou

imaginaire via un écran ou plusieurs écrans, via un casque. Les échanges entre

l’homme et l’ordinateur et vice versa ont lieu en temps réel. Le spectateur et/ou

l’artiste s’adresse à la machine via des capteurs tandis que la machine renvoie des

informations visuelles et sonores. L’impression de réalité ressentie passe non

seulement par la vue et par l’ouïe, mais aussi par le corps. C’est ce qui rend l’art

numérique particulièrement immersif. De la même manière, ce degré d’immersion

dans la performance audiovisuelle se travaille autour des concepts d’interaction, de

temps réel et de virtualité propres au numérique. À partir de ce constat, des artistes

ont utilisé le smartphone comme interface. C’est le cas de Haeyoung Kim qui

propose dans Moori80, au public de participer à cette performance audiovisuelle

interactive, en utilisant la messagerie de leur téléphone mobile, les utilisateurs

répondent aux questions posées par l’artiste. Les données des utilisateurs sont

traitées en temps réel pour générer du son et des visuels, qui sont incorporés à la

performance. Cette interaction possible grâce à un algorithme crée un dialogue

permanent entre l'artiste et les membres du public. D’autres fois, cette interactivité

est artificielle : c’est le cas d’une des performances de Richie Hawtin intitulée

Contakt81, où le DJ avait près de lui un cube de LED avec lequel le public était invité

à communiquer. « Via un site web, on pouvait s’inscrire comme membre et obtenir

une carte équipée d’une puce RFID. Carte qui permettait d’interagir avec le fameux

cube placé près de la scène lors des concerts, et de télécharger des morceaux

inédits, d’accéder aux SMS échangés sur scène par les artistes ou encore d’y

déposer ses propres films, démos »82. Cet exemple nous montre que dans le

domaine du live A/V, l’interaction avec public n’est pas forcément liée aux

80 KIM Haeyoung, Moori, performance audiovisuelle interactive, 2011, http://vimeo.com/23053823 81 HAWTIN Richie, DEMIREL Ali, Contakt, concert augmenté, 2010. 82 LECHNER Marie, « Vibrer en live avec Plastikman », Libération, 8 mai 2010, http://www.liberation.fr/medias/2010/05/08/vibrer-en-live-avec-plastikman_624919

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technologies exploitées et que celle-ci est parfois feinte et cache des velléités

marketing.

1.2.2. Réalité augmentée La réalité peut également être « augmentée », une application artistique possible

est par exemple le vidéo mapping qui consiste à une projection 3D sur un objet ou un

bâtiment. On peut justement remarquer que l’art numérique fait passer cette idée

d’hybridation du plan technique au plan esthétique à travers des initiatives comme

celles-ci. Le collectif AntiVJ83 pionniers dans le domaine de la performance

audiovisuelle en France a énormément apporté dans le renouvellement du format du

live A/V en s’affranchissant du format rectangulaire et plat de l’écran.

1.3. Reconnaissance de l’art numérique

En préambule de l'article, « le numérique n’est plus un art », le président du

festival Némo84, Gilles Alvarez écrivait ce sophisme : « Tout les arts sont pris en

compte par l’État. Or, les arts numériques ne sont plus pris en compte par l’état, donc

le numérique n’est plus un art »85. En effet si l’art s’est toujours nourri du progrès

technique, le langage numérique s’est donc invité dans les autres arts, réalisant tout

ou partie des souhaits avancés par les avant-gardes du siècle dernier : participation

du public, interactivité, temps réel, immersion, transdisciplinarité… Par conséquent

l’art numérique est trop souvent perçu seulement à travers ses moyens

technologiques.

Depuis le début du siècle, un bon nombre de structure et de festivals sont nées :

Des pionniers du Cube à Issy-les-Moulineaux à la récente Gaieté Lyrique – ce qui a

permis une certaine reconnaissance de l’art numérique – on peut en revanche se

poser quelques questions sur la nature de cette reconnaissance par les institutions

non spécialisés, cédant très souvent à des effets de modes technologiques

83 ANTIVJ (Simon Geilfus, Yannick Jacquet, Joanie Lemercier, Olivier Ratsi, Romain Tardy et Thomas Vaquié), visual label, http://www.antivj.com 84 FESTIVAL NÉMO, Ile-de-France, http://www.arcadi.fr/evenements/festival-nemo 85 ALVAREZ Gilles, « Le numérique n’est plus un art » in Arts numériques, tendances, artistes, lieux et festivals, Musiques et cultures digitales, 2008, p. 28.

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(l’exemple de The Second Life est assez pertinent par exemple). « [En France], on a

du retard sur la manière dont on perçoit les arts, beaucoup de personnes pensent

que l’art numérique n’en est pas un, que les jeux vidéos ce n’est pas de l’art. Malgré

tout de plus en plus de festivals en France montrent ces formes là, que ce soit des

festivals spécialisés dans la musique électronique ou des centres d’art contemporain

qui accueillent ce type de performances dans leur programmation annuelle. On a

surtout du retard sur l’aide que l’on peut apporter aux artistes. La diffusion de ces

artistes est celles des artistes déjà reconnus. Peu de lieux existent pour ceux qui

émergent en termes de subventions et de programmation notamment »86. Mis à part

quelques festivals comme Némo ou Visiosonic87, peu ont compris que ce sont les

noces de l’hybridation artistique et de la technologie qui ont donné naissance à la

performance audiovisuelle en constituant ainsi un « langage » à part entière. Mais

pas seulement : « le film du futur sera en partie interactif ou ne sera pas, mais que la

fascination passive ne sera jamais complètement éclipsée par l’interactivité. »88

2. La performance audiovisuelle : visualisation et matérialisation du son par effet direct et en temps réel

Avant l’avènement de l’enregistrement, on associait toujours la musique au visuel

d’interprètes sur une scène. Depuis, l’invention d’un bon nombre d’outils permettant

d’enregistrer la musique mais aussi la radio ou le gramophone ont renversé cette

idée. Il y a là un changement significatif qui fait que la musique peut alors être

« soluble »89 avec les autres arts. Pierre Schaeffer avait un terme pour désigner ce

changement, celui de « musique acousmatique »90 ce qui est pour lui la même chose

que la musique concrète. Cette qualification de « concrète » est pour le moins

étrange puisqu’il s’agit d’une musique la plus abstraite possible dans la mesure ou on

lui a retiré sa dimension visuelle « pour en abstraire le sonore, le sonore pur, qui

86 Annexe n°1, entretien Carine Le Malet, p. 74. 87 VISIOSONIC, festival d’expérimentations visuelles et sonores, Mains d’Œuvres, Saint-Ouen, http://visionsonic.org 88 ALVAREZ Gilles, « Le numérique n’est plus un art », op.cit., p. 29. 89 NAHON Philippe, LAMBERT-WILD Jean, BOILLOT Jean et alii, 2008, La musique est-elle soluble dans les autres disciplines ?, En ouverture de La Muse en Festival – Extension du domaine de la Note VIII, 2008. 90 SCHAEFFER Pierre, Traité des objets musicaux, Paris, Seuil, 1977.

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peut-être n’apparaît qu’avec l’enregistrement »91. Cette musique concrète est donc

abstraite de tout contexte direct ce qui permet donc la création d’un nouveau visuel

dans le cadre d’une performance audiovisuelle. Roberto Barbanti nous dit que ce

sont les media du son et la musique acousmatique (la radio, l’enregistrement...) qui

sont à l’origine de la transformation du contenu de « la mise en scène », du

spectacle. Il ajoute à la définition classique de multimedia qui est relatif à la présence

de plusieurs dispositifs techniques, l’idée qu’une œuvre peut-être considérée comme

multimedia lorsqu’elle réunit les caractéristiques suivantes : Une œuvre qui met en jeu une multiplicité différenciée de média hétérogènes dans laquelle chaque médium se superpose aux autres dans sa propre autonomie de langage de déploiement temporel, de matériau ou autre. Une œuvre dans laquelle il y a glissement catégoriel, effrangement des limites taxonomiques traditionnelles ou encore leur dépassement et négation. Et enfin une œuvre qui se manifeste dans une sorte d’immanence qui fait de la catégorie spatio-temporelle de l’ici et maintenant sa qualité première et substantielle. Autrement dit, une œuvre dont le déploiement temporel coïncide, à des niveaux différents et selon des modalités multiples, avec celui existentiel de tous ceux et celles qui y sont impliqués, et qui dépend, tout au moins en partie, de cette subjectivité vécue92

Si le son et l’image en termes de technologie sont des phénomènes distincts, ils sont

représentés grâce au numérique en un code binaire partagé et décrit

mathématiquement par des zéros et des uns. Il en résulte une capacité de

transformation fondamentale qui, contrairement à la transformation analogique

permet une traduction algorithmique auditive et visuelle.

2.1. Le numérique : la base commune du son et de l’image

Avant l’avènement du numérique, Michel Chion expliquait que la synchrèse

correspondait à « la soudure irrésistible et spontanée qui se produit entre un

phénomène sonore et un phénomène visuel ponctuel lorsque ceux-ci tombent en

même temps, cela indépendamment de toute logique rationnelle »93. Son étude sur le

son en cinéma met en évidence comment les fusions audiovisuelles sont construites,

91 SZENDY Peter, Entretiens, 2011, http://www.post-scriptum.org 92 BARBANTI Roberto, « La scène de l’art face aux nouvelles techniques de mémorisation et de diffusion du son : les origines des arts multi-media » in Jean-Marc Lachaud et Olivier Lussac (dirs.), Arts et nouvelles technologies, Paris, L’Harmattan, pp. 17-29, 2007. 93 CHION Michel, L’Audio-Vision, Nathan-Université, Paris, 1990, p.55.

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et soutient l'idée qu'il n'existe pas une harmonie préexistante des perceptions entre

[l’image et le son] »94. La perception visuelle et auditive sont de nature beaucoup

plus disparates que l'on pourrait penser. La raison pour laquelle nous ne sommes

pas conscients de cela est que ces deux perceptions s'influencent mutuellement

dans le contrat audiovisuel, c’est à dire de prêter mutuellement leurs propriétés

respectives de contamination et de projection. Chion met en avant l'effet artificiel des

relations audiovisuelles. Nous allons montrer à quel point le numérique permet d’aller

encore plus loin que ce rapport perceptif que l’humain entretient avec l’image et le

son.

2.1.1. Un phénomène sensoriel Nos sens nous permettent de percevoir des choses très diverses sur ce qui nous

entoure, et ils diffèrent les uns des autres par des caractéristiques spécifiques ayant

un mode de fonctionnement propre. L'œil se spécialise dans la perception de la

structure spatiale, et l'oreille dans la perception des processus temporels. La plupart

du temps en art, nous sommes confrontés à des stimuli sensoriels correspondant à

une seule modalité, alors que nous percevons le monde à travers les cinq sens donc

de manière multimodale. Par conséquent, nos sens ne sont pas comme on le

suppose souvent, isolés les uns des autres, puisque c'est leur interaction synergique

qui donne aux humains leur avantage évolutif. Quelle que soit la modalité, le stimulus

le plus fiable dans une situation donnée domine toutes les autres, les autres sens

agissant dans ce cas là comme des correctifs. L'intégration des stimuli sensoriels

multimodaux se produit déjà au niveau neuronal, et donc inconsciemment et

passivement. Pour affiner cette perception, une autre possibilité souvent utilisée pour

relier les stimuli de chaque sens est l’analogie intermodale : il s'agit de chercher

consciemment et activement un stimulus amodal qui est présent dans plusieurs

régions sensorielles, telles que l'intensité ou la luminosité, afin de former des

analogies qui transcendent les frontières entre les sens. Ces mécanismes, qui sont

décrits brièvement ici car je ne suis pas spécialiste, font référence aux interactions

entre l’ouïe et la vue, mais nous verrons plus tard que d’autres sens peuvent être liés

94 Ibid, p. 8.

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au concept de performance audiovisuelle. Il faut faire la différence entre ce que nous

nommerons pour l’instant « la perception audiovisuelle » et une « correspondance »

(au sens baudelairien du terme) entre l’image et le son.

2.1.2. De l’analogique au numérique La musique assistée par ordinateur est devenue une pratique courante dans le

contexte émergeant des musiques électroniques au début des années 90. En 1996,

les premiers programmes de visualisation sont mis au point grâce à la puissance de

plus en plus grande des ordinateurs et surtout l’avènement de l’ordinateur portable

qui a permis aux artistes de travailler en live. Basé sur les principes de l'improvisation

dans la musique, les artistes ont commencé à manipuler, puis générer ces visuels au

cours des performances. Les données audio sont transmises à partir de contrôleurs

vers un système de génération d'images. Cécile Babiole, qui dès le début de sa

carrière artistique a travaillé la transposition de l’image par le son et du son par

l’image, est exemplaire pour son exploration précoce de ces techniques, ayant connu

l’analogique qui traitait le son et l’image comme deux entités distinctes rentrant en

résonnance ou en correspondance affirme à propos du numérique :

« Rétrospectivement, j’attribue cet intérêt au fait que j’ai vécu très concrètement,

dans les années 80, le passage de l’analogique au numérique. Cette mutation

technologique m’a naturellement entraînée à examiner de près ces images et ces

sons désormais conçus comme des données convertibles »95.

Le transcodage de l’image et du son et le passage d’un langage à l’autre est

produit grâce à l’enregistrement du son en temps réel puis traduit en valeur

numériques. Les valeurs de volume, hauteur, timbre et durée sont décomposées en

une série de bandes de fréquences, puis générées grâce à un logiciel générant des

images. Les paramètres auditifs d'origine sont convertis en paramètres visuels

comme la couleur, la vitesse, la taille, la transparence, la position et la rotation des

formes à deux dimensions ou trois dimensions sont quelques-uns des paramètres de

visualisation du son. En principe, toute valeur sonore ou visuelle peut être traduite en

95 BABIOLE Cécile, « Transcoding Obsession », interview par Laurent Catala, mars 2009, http://www.digitalarti.com/en/blog/mcd/cecile_babiole_transcoding_obsession

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une valeur reconnue par l'autre système. Aujourd’hui tous les médias peuvent être

générés de façon synchrone sur un ordinateur. Il devient donc de plus en plus facile

pour une seule personne de contrôler entièrement sa performance audiovisuelle.

2.2. Étude de cas : raster-noton96

2.2.1. Une esthétique du signal Notre perception visuelle est optimisée pour saisir des objets statiques et peut,

en règle générale, ne suivre qu’un seul mouvement. Les phénomènes acoustiques,

en revanche, sont pratiquement inconcevables sans changements dynamiques.

Quand nous écoutons, nous n'avons aucun problème de distinction entre plusieurs

mouvements simultanés. En outre, le sens de l'ouïe est fondamentalement plus

rapide que le sens de la vision en ce qui concerne le traitement des stimuli

sensoriels. L'oreille a donc tendance à se spécialiser dans la perception des

processus temporels et l'œil, dans la contemplation détaillée des phénomènes

statiques, ce qui est probablement la base de l'association commune des images

permanentes et des sons éphémères. À ce propos, l’artiste Carsten Nicolai (alias

Alva Noto) affirme « Nous savons que les capacités de notre ouïe sont limitées, que

le son a un champ de fréquences beaucoup plus large que ce nous pouvons

percevoir. Le fait de rendre le son visible dans ce contexte nous aide à augmenter

notre perception auditive car nous pouvons voir le bruit que nous avons cessé

d’entendre »97. Les œuvres des artistes du label raster-noton ont tendance à

travailler sur le rendu numérique des données sensibles, ils ont ainsi essayé de

rendre visible l’inaudible et de rendre audible l’invisible.

Une des approches artistiques ayant utilisé le transcodage numérique de l'image

et du son au sein de la performance audiovisuelle a fondamentalement marqué la fin

du XXème et ce début de XXIème siècle fut sans doute l’esthétique ultra-minimale

portée par des collectifs comme Granular Synthesis, Pan Sonic, et les artistes du

96 RASTER-NOTON est un label de musique électronique allemand fondé en 1999, par Olaf Bender, Frank Bretschneider et Carsten Nicolai. http://www.raster-noton.net 97 NOTO Alva, « Carsten Nicolai » in Live A/V, Musiques et cultures digitales, Hors-série #4, 2010, p. 86.

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label raster-noton. Ces derniers ont initié au cours de performances synesthésiques

une esthétique du signal, faites de courbes sinusoïdales, de bruit blanc, de bleeps et

de glitchs « imago-sonores »98 traduits à l’écran, qui influence encore de nombreux

artistes comme Jesse Osborne-Lanthier : « je suis tombé amoureux de labels

comme raster-noton […]. Il est évident que [cela] a certainement eu un impact

important sur mon travail ces derniers temps avec cette esthétique du glitch »99. Ce

langage musical est souvent traduit par des motifs géométriques dont la forme

change en relation directe avec la musique. Alors que les œuvres sonores de ces

artistes ont eu tendance à être fondées sur le rendu numérique des données

sensibles, sur un processus de sonorisation à rebours de la musique instrumentale,

le travail visuel qui l'accompagne est resté fermement ancré dans une tradition de

« musique visuelle ».

Ryoichi Kurokawa est un de ceux là, produisant des compositions audiovisuelles

qui se déclinent sous de multiples formes, que ce soit en vidéo, en installation multi-

écrans, sur disque ou en performances live. Selon lui, il compose des « sculptures

temporelles » à partir de données numériques (en anglais data) impliquant

simultanément l’image et le son. Rheo100 est l’une de ses installations audiovisuelles

où cinq écrans correspondent à cinq haut-parleurs 5.1. Cette œuvre, « digère » à

l’aide de logiciels, des images et des sons « concrets » qu’il a lui-même enregistré.

Au fur et à mesure des transformations, ses matériaux ressemblent de moins en

moins à leur forme originelle pour tendre vers l’abstraction créant ainsi « [un paysage

humain] morcelé, fragmenté et en souffrance, mais la boucle qu’il opère redonne au

temps une circularité qui, en nous dépassant, peut aussi apporter une once de

sérénité »101. Kurokawa jette un pont entre la forme de son œuvre, entièrement

98 CICILIATO Vincent, Le glitch : Nouvelles modalités d'échanges entre son et image dans les créations artistiques contemporaines faisant appel aux outils de traitement numériques et aux systèmes interactifs, Thèse en arts plastiques, dir. Françoise Parfait, Université d'Amiens, Juin 2010, http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/62/77/33/PDF/VincentCiciliato_GlitchsIS.pdf 99 Annexe n°4, entretien Jesse Osborne-Lanthier et Sabrina Ratté, p. 86. 100 KUROKAWA Ryoichi, Rheo, concert audiovisuel, 2009, http://www.ryoichikurokawa.com/project/rheo.html 101 RIVOIRE Annick, « Ryoichi Kurokawa, le naturaliste numérique » in Poptronics, 2011, http://www.poptronics.fr/Ryoichi-Kurokawa-le-naturaliste

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numérique et la résonance parfois très réelle qu’elle peut avoir sur le spectateur.

Carsten Nicolai et Ryoji Ikeda exploitent eux les propriétés physiques du son, sa

causalité avec la perception humaine et la dianoia mathématique, ils ont travaillé sur

le projet cyclo102 (livre, disques et performance audiovisuelle) qui examine les

structures d'erreur (glitchs) et les boucles de répétions dans les logiciels de

séquenceur musicaux.

2.2.2. Cas spécifique : Ryoji Ikeda, constructiviste data Rentrons dans le détail de l’œuvre d’un autre artiste japonais : Ryoji Ikeda, qui

présente l’intérêt pour notre recherche d’être difficile à contextualiser. Sa pratique

interdisciplinaire lorgne vers les territoires du cinéma, du son, de l'installation et de la

performance. Il se désigne lui-même comme « compositeur », non pas seulement

musical mais en concevant une partition avec tout ce dont il dispose : du son, des

images, des lumières, un public. Ikeda n’est pas un compositeur classique car il n'a

pas besoin du son en tant que matériau tangible car il le perçoit comme une structure

mathématique d’ou ce résultat assez extrême tant la forme paraît parfois abstraite et

vertigineuse : entre l’infra et l’ultra-son, entre l’infiniment petit et l’infiniment grand.

L’artiste reste toujours en retrait dans ses performances, soit installé sur une console

au cœur du public, soit à la régie son : « Dans mes concerts performances, j’aime

être dans les mêmes conditions que le public, comme si j’en faisais moi-même

partie »103 affirme t-il. test pattern104 – qui est aussi le nom donné aux mires qui

permettent de tester le signal de réception des télévisions – est un programme

informatique qui convertit en temps réel les signaux, qu’ils soient sonores, textuels,

ou visuels, en images de codes barres faites de uns et de zéros mettant ainsi en

évidence la relation entre le niveau critique de performance technique et le seuil de

perception humaine. Ce projet se décline sous forme de performance audiovisuelle,

d’installations et d’album.

102 NICOLAI Carsten, IKEDA Ryoji, cyclo, projet multimedia, 2003-2011, http://www.raster-noton.net/cyclo 103 D’après un entretien réalisé par Sylvain Chauveau et David Sanson pour Le Festival d’Automne 104 IKEDA Ryoji, test pattern, installation, performance, album, 2008, http://www.ryojiikeda.com/project/testpattern

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La composition de l’installation test pattern n°4, créée au FRAC Franche-Comté

en 2013, suggère qu’Ikeda est un artiste multimédia. Si ses performances (sauf

superposition105) sont des « faux live » on pourrait s’imaginer qu’il plaque des visuels

sur sa musique à la manière d’un VJ. Or, si ses pièces sont jouées dans des centres

d’art et des festivals d’art numériques plutôt que dans un club ou dans un salle de

concert, c’est qu’elles convoquent tous les sens et sont extrêmement immersives.

Pourtant, le fait est que la composante sonore de sa pratique peut exister

indépendamment des autres composantes de son art puisque sa musique s’écoute

également sur disque. Mais alors qu'en est-il des éléments visuels de son travail ?

Sont-ils une composante essentielle de sa pratique ? Cela dépend des pièces. Avec

test pattern les éléments visuels et sonores se complètent. Dans datamatics106 et les

data.matrix [nº1-10], l'élément visuel est beaucoup plus important avec des visuels

représentées sur 10 écrans verticaux. Ce qui différencie data.matrix [nº1-10] de test

pattern n°4 est le contenu de la composante visuelle de chaque travail. Tandis que

l'élément visuel de test pattern n°4 consiste uniquement en des glitchs visuels de

bandes noires et blanches, la composante visuelle de data.matrix [nº1-10] montre au

spectateur des visuels moins abstraits avec des nombres, des mots et des formes.

La contextualisation de la pratique de Ikeda se complique encore davantage dans

spectra107, qui a été développé au MONA – un centre d’art contemporain en Australie

– une installation qui utilise des faisceaux de lumière blanche comme sculpture, la

version présentée à Paris en 2008 présentait 64 spectres rayonnant à partir du pied

de la tour Montparnasse. On pourrait penser qu’il est plus appréciable de regarder de

loin cette sculpture lumineuse. Pourtant le spectateur est invité à déambuler dans

l’œuvre, puisque ses mouvements interférent sur le son et créent une composition

interactive musicale. Peu de gens voient cette pièce dans son intégralité et se

contente de sa dimension « décorative ». Or la composante sonore défie réellement

le statut de la composante visuelle, au point que l'expérience du faisceau de lumière

seul présente peu d’intérêt. Il s'agit d'un détail important quand il est question de

105 IKEDA Ryoji, superposition, op.cit. 106 IKEDA Ryoji, datamatics, projet multimedia, 2006, http://www.ryojiikeda.com/project/datamatics 107 IKEDA Ryoji, spectra, installation, 2000, vu dans le cadre de La Nuit Blanche, Paris, 2008. http://www.ryojiikeda.com/project/spectra

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comprendre la pratique d’Ikeda, car chaque œuvre d'art qu'il produit, que ce soit une

installation ou une performance s'adapte au contexte dans lequel elle est

expérimentée par le spectateur.

Ce qui questionne dans le travail d’Ikeda, c’est la narrativité. Il faut repenser aux

avant-gardes artistiques du début du siècle et par exemple au film de Dziga Vertov,

L’homme à la caméra108, qui montre la structure sous-jacente au dispositif

cinématographique et comment l’image en mouvement se crée, référence à cet idéal

moderne de la prise de conscience de la structure sous-jacente du monde par

l’individu. C’est à dire la possibilité d’échapper à l’aliénation de la technique par une

prise de conscience de sa forme. Lev Manovich utilise ce film dans The Language of

New Media109 comme un exemple de son concept de « database art » car le film

emploie une succession de plans et d’informations très rapide à la manière d’un

Ikeda qui enchaine bleeps musicaux et pixels. Lev Manovich se pose la question de

la narrativité, en lien avec la structure de l’ordinateur. Si l’ordinateur est un outil qui

manipule l’information, pourquoi il y a-t-il encore de la narrativité ? « L’ordinateur est

l’objet paradigmatique post-moderne par excellence »110, celui qui matérialise la fin

des grands récits111 décrit par Lyotard, lié à une vision informationnelle du monde. Le

travail d’Ikeda ne serait-il pas de rendre visible comme chez Vertov, la structure du

réel ? La dimension narrative d’Ikeda s’inscrit à travers l’usage de la métaphore, au

lieu d’écrire à propos du monde, Ikeda écrit par le monde et avec lui. C’est une

écriture qui se donne pour elle-même, l’image d’un monde fragmenté par

l’information et qui est restitué sous la forme d’une métaphore en mouvement. Dans

C4I112 (pour Computerized Command, Control, Communications, Intelligence), il

traite de la virtualisation progressive du monde par la place grandissante des

technologies. La pièce débute avec l’apparition d’un livre ouvert, chacune des lignes

du livre se découpent en fragments d’information. Le texte inscrit dans le livre devient

108 VERTOV Dziga, L’homme à la caméra, film muet, 1929. 109 MANOVICH Lev, The Language of New Media, Cambridge, MIT Press, 2001. 110 Ibid., p. 129. 111 LYOTARD Jean-François, La condition postmoderne, Les Editions de Minuit, Paris, 1979. 112 IKEDA Ryoji, C4I, performance audiovisuelle, Yamaguchi Center for Arts and Media (YCAM), Japon, 2004.

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information, transformation de l’écriture par le numérique. Ikeda trace de manière

métaphorique des liens entre trois formes de narrativité : le papier, le numérique et le

vivant. Les datas nous présentent un miroir du monde, par son écriture Ikeda

renverse ce postulat en nous présentant la face caché de ce monde, la face cachée

du code informatique, le monde comme des échanges d’informations excédant la

capacité humaine à les saisir, créant ainsi ce sentiment de vertige dont nous parlions

en présentant son travail. L’opacité du code ainsi renversé nous donne l’impression

d’accéder à une réalité sous-jacente, mathématique, algorithmique, sans comprendre

l’ensemble des symboles qui nous sont présentés. Via l’expérience de la

performance audiovisuelle, Ikeda donne à voir une représentation d’un monde

purement informationnelle. La dimension narrative du travail d’Ikeda et l’esthétique

du signal qui sous-tend tout un pan des artistes travaillant ces questions, se situent

dans la mise en relation d’expériences sensorielles, tout en en montrant leurs limites

en s’interrogeant sur les modes de représentations des données.

3. Perception de la performance audiovisuelle On a vu que pour comprendre les mécanismes de la performance audiovisuelle,

cela nécessitait certaines compétences du public et la volonté d'accepter une

expression créative émergeante puisque constamment remise en cause par le direct,

plutôt que comme le résultat d'une œuvre préméditée. Il ne s’agit pas de dire que le

sens est exclusivement lié au travail en temps réel puisque il y a évidemment un

travail de composition, d’écriture en amont de la performance. Ce travail préalable

implique du point de vue de l’artiste de réfléchir sur le potentiel de contiguïté entre le

sonore et le visuel. Plus précisément, ce qui est à l’œuvre dans la performance

audiovisuelle c’est l’idée de créer « un nouveau sens », ce que Mitchell Whitelaw

appelle sens un sens « cross-modal »113, le sens de l'audiovisuel, voire le sens

gestuel, le sens dans lequel et par lequel divers media sont conçus et perçus au

même niveau.

113 WHITELAW Mitchell, « Synesthesia and Cross-modality in Contemporary Audiovisuals. », The Senses and Society, n°3, 2008, pp. 259–276.

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3.1. Le sens audio-visuel et gestuel

3.1.1. Des logiciels permettant la transduction audio/visuelle Le numérique est ce qui permet l’émergence d’un sens multimedia, c'est la notion

qui sous-tend tout ce qui est fait au nom de la culture de la réappropriation : mash-

ups, cut-ups, remixes… Mais ce nivellement des media se passe dans l'autre sens

également : lorsque le contenu audiovisuel est converti en tant que données

numériques, ceux-ci sont donc sur un pied d’égalité quant à la perception que le

spectateur peut-en avoir puisque la fréquence et l'amplitude des matériaux audios

sont numériquement analysés en temps réel, puis utilisés pour générer des éléments

visuels qui sont également rendus numériquement, dans le même espace spatio-

temporel et dans une sorte de codétermination. Bien sûr, cette idée n’est pas

nouvelle : par exemple, lorsque dans Histoire(s) du Cinéma 114 de Godard le texte

d'un acteur est écrasé par le bruit d'un avion qui passe dans le ciel (lutte entre le son

et le sens). Mais la différence ici est que le point de rencontre des matériaux sonores

et visuels n'existe pas au niveau d'un son et de sa source, mais au niveau des

données numériques contenus en lui. Des logiciels de VJing comme Modul8 ou

VDMX et des environnements de programmation visuelle comme VVVV, Quartz

Composer, Max/MSP/Jitter et PureData, construisent cette transférabilité

audio/visuel, en reconnaissant à un niveau fondamental que matériaux sonores et

visuels perdent leur spécificité distincte lors du rendu sous forme de flux de données,

comme si l’immatériel prenait forme.

3.1.2. Une substance audiovisuelle manipulable par le geste Le geste, le toucher et l'interactivité, peuvent être inclus dans la performance

audiovisuelle. Les mouvements ou les formes des corps peuvent également être

convertis en valeurs numériques utilisées pour générer des effets ou interagir avec

une interface, et constituer ainsi une manifestation concrète de données

manipulables physiquement. Par exemple, le chercheur Golan Levin a mis en œuvre

une série de prototypes : « [des] palettes graphiques qu’il sonorise en générant en

temps réel des sons de synthèse, il associe des paramètres du geste comme la

114 GODARD Jean-Luc, Histoire(s) du Cinéma, film, Canal +, 1988-1998.

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direction et la vitesse du mouvement ou la pression du crayon électronique à des

paramètres sonores comme le timbre, la hauteur, le panoramique et graphiques

comme la couleur, l’épaisseur du trait ou la direction »115. Pour décrire son travail

Levin parle de « commensurabilité audiovisuelle »116 dans laquelle « les dimensions

sonores et visuelles du système sont également manipulables »117, ce qui signifie

non seulement qu'elles sont à la fois manipulables de la même façon, par une seule

action qui affecte les dimensions sonores et visuelles en même temps. De même

dans Messa di Voce118, le projet de Levin et Lieberman se compose de deux

interprètes en face d'un grand écran où les sons et les vocalises émis par les deux

performers sont augmentés en temps réel, en utilisant l’analyse vocale et la méthode

du tracking. Un ordinateur utilise un algorithme qui détermine la position des

performers et le signal audio. Derrière eux les différentes visualisations de leur voix

sont projetées de manière à ce que le spectateur ressente un effet de synesthésie.

Ici, les paramètres gestuels tels que le contour du corps, la vitesse et le mouvement

sont captés en temps réel et sont représentés à la fois visuellement et auditivement,

permettant une intégration étroite et très synesthésique entre les modalités visuelles,

phonétiques et gestuelles.

3.2. Performativité et numérique

Les artistes se confrontant à la performance audiovisuelle invitent à réfléchir à la

question de la place du ou des performers sur scène depuis que le laptop est devenu

l’outil incontournable des arts numériques performatifs. En premier lieu parce que le

rendu visuelle et sonore de la performance est rarement en corrélation avec les

gestes physiques et visibles de l'interprète. Quel est alors le rôle visuel de

l'interprète ? Si la performance audiovisuelle avec des instruments traditionnels ne

pose pas cette question, puisque la performance visuelle vient s’ajouter à l’interprète

115 ZENOUDA Hervé, Les images et les sons dans les hypermédias artistiques contemporains, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 185. 116 LEVIN Golan, « A Personal Chronology of Audiovisual Systems Research », NIME '05, Vancouver, BC, Canada, 2005, http://www.flong.com/storage/pdf/articles/NIME_2005_golan_talk.pdf 117 LEVIN Golan, LIEBERMAN Zachary, « Sounds from Shapes: Audiovisual Performance with Hand Silhouette Contours in The Manual Input Sessions », NIME '05, Vancouver, BC, Canada, 2005, http://www.flong.com/storage/pdf/articles/NIME_2005c_MIS.pdf 118 LEVIN Golan et alli., Messa di Voce, installation-performance, 2003, http://www.tmema.org/messa

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qui est sur scène : c’est par exemple le cas de Partitura119 une performance

composée par Quayola et Abstract Birds, où une interprète joue une sonate pour alto

de Ligeti. Le microphone enregistrant et réagissant à la musique jouée et aux

interactions décidées par les artistes visuels, génère une « partition » visuelle qui

répond en temps réel à l’alto. Pour les musiciens qui ne se servent que d’outils

numériques, la question de la performativité se pose plus distinctement. Certains

artistes optent pour une performance plus gestuelle en utilisant des interfaces

traditionnelles d'informatique musicale, comme les claviers MIDI, ou des interfaces

de performance moins conventionnelles, tels que les contrôleurs Wii ou Tagtool120.

D'autres artistes, comme ceux qui pratiquent le livecoding, choisissent de projeter

l’interface de leur logiciel à l'écran, afin que le public puisse observer les

manipulations en temps réel. D'autres, comme Yro, préfèrent que leurs actions liés

aux technologies numériques soient invisibles de manière à focaliser l'attention du

public sur les images, le son et la manipulation des objets en direct : « J’utilise bien

plus mes synthés analogiques qu’Ableton »121. De nombreux performers audiovisuels

estiment que les visuels projetés remplacent l’interprète. Bien que la plupart des

discussions sur l'intégration audiovisuelle dans la performance contemporaine se

concentrent actuellement sur la relation entre les sons et les images générés par les

artistes, la relation visuelle entre l'artiste et l'exécution émerge également avec des

artistes comme Holly Herndon dont les performances utilisent le laptop comme un

instrument de musique en amplifiant les sons de la machine à l’aide de micros122.

119 QUAYOLA, ABSTRACT BIRDS, Partitura, performance audiovisuelle pour alto, 2011-2013, http://www.abstractbirds.com/34019/335543/projects/partitura 120 TAGTOOL, application iPad, http://www.omai.at 121 Annexe n°3, entretien Yro, p. 81. 122 HERNDON Holly, Embodiment in Electronic Music Performance, thèse, Mils College, 2010, http://soundpractice.tumblr.com/post/24921349896/embodiment-in-electronic-music-performance

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Vers de nouvelles formes ou vers la standardisation de la performance A/V ?

Le terme audiovisuel est réapparu avec l’émergence des cultures électroniques

et numériques, sa mutation ayant suivi l’évolution de la culture techno et la

démocratisation des outils de création. Aujourd’hui, la performance A/V est

représentative de l’aspect performatif de arts numériques, lorsqu’il ne s’agit pas

d’expositions ou d’installations. À partir de ce constat, nous pouvons nous demander

si l’insuffisance (en France) de contextes de diffusion différents n’ont pas engendré

une certaine standardisation de la performance audiovisuelle dans le contexte

spécifique de l’art numérique : existe-t-il une relation symbiotique entre les contextes

de diffusion et les œuvres ? Est-ce que ce sont les contextes de diffusion qui se

standardisent ou la matière artistique elle-même qui tend à s’uniformiser ? Comment

induire un changement profond de paradigme voire un « éclatement » de la

performance audiovisuelle ?

1. La relation symbiotique entre les contextes de diffusion et les œuvres

La performance audiovisuelle fait sens car elle est jouée en direct. Celle-ci

répond à un lieu, un public, un contexte. Si il y’a une constante qui s’est dégagée au

cours de cette étude, pendant mes entretiens ou lors de discussions plus informelle

avec des artistes, c’est qu’ils privilégient largement la dimension scénique. Le live

A/V est une sorte de « rituel », une mise en scène collective à l’intérieur de laquelle le

spectateur ressent l’œuvre telle qu’elle a été conçue.

1.1. De la salle de concert au centre d’art

Nous avons examiné les différents modes de performances audiovisuelles et les

caractéristiques au niveau poïétique et au niveau neutre. Intéressons nous

maintenant à sa réception : il semble évident que le contexte de réception influence

grandement la forme de la performance audiovisuelle. Pour Yro, « on est toujours

dans un questionnement par rapport au lieu et à comment les spectateurs vont

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percevoir le spectacle »123, le temps réel (l'une des caractéristiques communes à

l’ensemble des performances audiovisuelles), doit également être perçue

contextuellement. Beaucoup d'artistes semblent partager l’idée que la performance

audiovisuelle se trouve à un tournant, ou peut-être à un moment où le contexte,

l'interface et la réception sont tout aussi importants que le contenu. La performance

audiovisuelle se déroule devant un public (les tentatives sur DVD ou internet relèvent

plus de la communication et de l’éditorial que de l’artistique) qui émet un jugement

sur l’œuvre, son contexte, ses outils et donc le succès relatif ou l'échec de celle-ci.

1.1.1. Des contextes de diffusion antinomiques Nous avons montré à quel point il était difficile de catégoriser certaines pratiques

que ce soit par leur formes ou par le contexte de diffusion. La différenciation entre

artiste visuel et musicien participe à cette difficulté. En effet la reconnaissance de la

techno et des musique électronique a permis deux choses : d’une part l’avènement

de l'ordinateur comme outil multifonctionnel, d’autre part le club est devenu un lieu

plus seulement réservé à la fête musicale mais aussi un lieu d’expérimentation

visuelle et cinématographique.

Afin d'être en mesure de concevoir indépendamment des plates-formes et les

canaux de distribution de cette culture d’avant-garde, mais aussi de maintenir le

contrôle sur leur production créative, de nombreux artistes ont travaillé en tant que

propriétaires du club ou directeur de label comme Daniel Pflumm avec Elektro Music

Departement ou Catriona Shaw avec Club le Bomb. Par conséquent, il n’y a souvent

plus de frontières entre une activité de club et celle d’un artiste qui expose en galerie,

si ce n’est son nom : Carsten Nicolai, le co-fondateur du label noton.archiv für ton

und nichtton et le co-fondateur de raster-noton, apparaît comme performer

audiovisuel ou DJ sous les pseudonymes de Noto et Alva Noto par exemple. La

relation entre les beaux-arts et la musique électronique a été également mise en

évidence par des projets destinés à un contexte musical, mais présentés dans des

123 Annexe n°3, entretien Yro, p. 81.

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musées et des galeries comme Music for White Cube124 de Brian Eno qui a réalisé

en 1997 une installation illustrant cette porosité entre l’art contemporain et les

musiques électroniques.

La postmodernité pratique ainsi la pluralité des styles : « Contre les dogmes de

cohérence, d’équilibre, de pureté qui ont fondé le modernisme, la postmodernité

réévalue l’ambiguïté, le multiple, la pluralité des styles »125 affirme Antoine

Compagnon. Ce goût pour l’éclectisme pourrait se résumer par la tendance à affirmer

les différences entre les arts tout en les mettant au même niveau grâce au présent

de la performance. Ce mélange est un des aspects de ce que Guy Scarpetta nomme

« impureté » qui mêle « le majeur et le mineur »126. Si Scarpetta insiste sur la

différenciation entre le savant et le populaire et les interactions entre les deux, il

serait tout à fait possible d’appliquer cette distinction à la performance audiovisuelle

capable de s’immiscer aussi bien dans une galerie (arts plastiques) que dans un club

(musique populaire) faisant apparaître un espace commun et inédit.

1.1.2. Les lieux de diffusions adaptés à la réception On l’a vu, le VJing est une des origines de la performance audiovisuelle. Bien

que les VJs puissent créer des visuels pour d’autres formes de spectacles vivants

que la musique, le VJing est une expérience visuelle qui accompagne les musiques

amplifiées et plus généralement les musiques électroniques, d’ou la place de cette

pratique dans les raves, les clubs ou les scènes de musiques actuelles. La présence

de vidéo dans un concert indique que le travail autour d’un spectacle a été pensé en

concertation avec les artistes, les diffuseurs ou les techniciens afin de proposer un

« concert augmenté » au public. Le live A/V va bien plus loin, puisqu’il est étroitement

lié au travail de scénographie où les media sonores et visuels n’existent pas l’un

sans l’autre. « Il faut donc savoir distinguer l’utilisation de l’écran comme solution

palliative ou spectaculaire et son utilisation comme médium artistique participant à un

124 ENO Brian, Music for White Cube, installation, White Cube Duke Street, Londres, 1997. 125 COMPAGNON Antoine, « Citations et collage dans l’architecture contemporaine », L’imitation aliénation ou source de la liberté, Paris, La Documentation française, 1985, p.296. 126 SCARPETTA Guy, L’Impureté, Paris, Grasset, « Figures », 1985.

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live audiovisuel »127. En effet la réception d’une œuvre audiovisuelle, quelque soit la

nature du lien synesthésique, ne peut-être perçue de la même manière dans une

salle de concert où l’on vient surtout écouter un artiste et un centre d’art ou une

galerie où le public est censé être plus captif. « Lorsqu’on fait une performance on a

pas les armes d’un groupe de rock, c’est plus compliqué d’aller chercher un public,

on ne s’arrête pas entre chaque morceau. »128. En effet un théâtre ou un centre d’art

est plus à même de proposer des conditions de réceptions optimales (position,

focalisation, réception). Pourtant, en France les performances audiovisuelles restent

encore trop rarement programmées dans le circuit traditionnel du spectacle vivant qui

est très attaché à un cloisonnement des champs culture savante/culture populaire.

1.2. Les festivals « nouveaux médias » : des lieux de rencontres spécialisés

Nous l’avons vu, la performance audiovisuelle reste le plus souvent avant-

gardiste dans ses modes de diffusions comme dans ses modes de représentations. Il

n’est donc pas étonnant, que les terrains d’expression de ces pratiques soient

majoritairement des festivals. Il faut distinguer deux types de festivals : ceux intégrés

à la sphère de l’art numérique et des nouveaux médias comme Ars Electronica129,

CTM130 ou Elektra131. Némo132, Scopitone133 ou Mirage festival134 en France et

d’autres festivals qui sont dédiés principalement à la performance audiovisuelle

émergente et sont souvent organisés par les créateurs de logiciels spécialisés dans

cette forme d'art. Le Mapping Festival135 est organisé par les créateurs de Modul8, le

127 SINTES Romuald, Lʼaudiovisualisme : Les lives audiovisuels à lʼépreuve des Lieux de diffusion musicale, université de Provence, dir. Nicolas Ferrier, 2010, p.66. 128 Annexe n°3, entretien Yro, p. 81. 129 ARS ELECTRONICA, festival, Linz, http://www.aec.at/news 130 CTM, festival in Transmediale, Berlin, http://www.ctm-festival.de/news 131 ELEKTRA, festival, Montréal, http://elektramontreal.ca 132 FESTIVAL NÉMO, op. cit. 133 SCOPITONE, festival, Nantes, http://www.scopitone.org 134 MIRAGE FESTIVAL, expériences numériques et audiovisuelles, Lyon, http://www.miragefestival.com 135 MAPPING FESTIVAL, op. cit.

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Live Meeting Performers136 est organisé par les créateurs de FLxER, un logiciel de

VJing. Le Node08 Festival137 a été organisé par les créateurs de VVVV.

Dans le contexte de l’art numérique, le rapport entre festivals et artistes change

de temporalité. Pendant son temps fort, il accueille le public pour les performances et

des workshops, et souvent en amont, il induit un travail qui cherche à générer des

passerelles entre artistes et chercheurs en partageant des ressources techniques.

Certains festivals, comme Scopitone à Nantes ou EXIT à Créteil ont des antennes de

recherche (le Laboratoire art et technologies de Stéréolux pour le premier, le Studio

de la MAC pour le second), « des incubateurs de projets innovants »138. Les festivals

donnent l'opportunité aux artistes de tester leur travail face à un public, c’est un lieu

d’expérimentation. Lié avec la structure de soutien à la création et à la diffusion

ARCADI, le festival Némo n'entretient pas de résidence mais aide financièrement et

matériellement un bon nombre d’artiste dans leurs projets. Yro, avec sa structure

Avoka productions travaille de la même manière : « Pour arriver à jouer ces performances, il faut arriver à trouver des lieux. Car le réseau art numérique et festival est assez restreint. Avec Avoka productions on est maintenant aussi dans une démarche de sensibilisation, avec des projets un peu plus « faciles » dans un premier temps, des installations. On milite auprès des lieux de diffusions et des programmateurs qui souvent ne savent pas comment présenter ces performances à leur public. Notamment car un bon nombre de ces propositions par le passé n’avait pas une grande valeur artistique ou en tout cas le public n’y trouvait pas sa place. »139

Même si l’objectif premier des festivals lié à la performance audiovisuelle reste la

diffusion, la coproduction avec d’autres structures culturelles est non négligeable

pour des diffuseurs qui font face à un financement de la culture par des

gouvernements qui ne prennent pas toujours en compte l’évolution de celle-ci. Ana

Ascensio, coordinatrice du Mapping Festival remarque à propos de Genève

que, « Mapping est finalement très peu inscrit sur les circuits officiels, on a

136 Live Meeting Performers, festival, Rome, http://2013.liveperformersmeeting.net/fr/ 137 NODE08, festival, Francfort, http://node08.vvvv.org 138 LABORATOIRE ART ET TECHNOLOGIE, « À Stereolux… un incubateur de projets innovants, un laboratoire d'expérimentation ouvert », http://www.stereolux.org/laboratoire-arts-et-technologies/a-stereolux%E2%80%A6-un-incubateur-de-projets-innovants-un-laboratoire-dexperimentation-ouvert 139 Annexe n°3, entretien Yro, p. 81.

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commencé une collaboration avec le musée d’Art et d’Histoire il y a seulement deux

ans sur laquelle on nous a mandaté pour un mapping architectural, ce qui est très

grand public. Sinon nous évoluons dans une scène hyper alternative dans des lieux

très marginaux »140. Il existe toujours cette double postulation pour les festivals « la

volonté d’atteindre un public plus large, de démocratiser l’accès à cette culture tout

en satisfaisant le spécialiste ayant un champ d’intérêt plus pointu »141 peut-on lire sur

le site d’Elektra. On peut aussi remarquer que les festivals plus généralistes –

comme les Nuits sonores à Lyon ou Electroni-k à Rennes – surtout liés aux musiques

électroniques – s’ouvrent de plus en plus à la performance audiovisuelle en tant que

telle plutôt qu’à un simple VJ venant divertir les festivaliers pendant le set d’un DJ.

Ces exemples de festivals nous montrent aussi que la problématique de la diffusion

artistique se situe à une échelle plus globale.

1.3. Des enjeux technologiques et artistiques

On peut aisément constater que malgré l‘existence de certaines structures dédiés

aux arts numériques et les efforts faits par quelques scènes nationales et scènes

conventionnées pour montrer des performances audiovisuelles, les structures ne

sont pas adaptées. À ce propos, Joachim Montessuis déclare qu’il y a un manque

criant « de salles et de lieux modulables, souples, en nombre, au lieu de ces gros

mastodontes culturels, efficaces mais souvent complètement décalés avec la réalité

dynamique, grouillante et expérimentale du monde post-numérique hexagonal et

international. […] J’ai le sentiment d’un formatage assez éprouvant malgré les

apparences »142. On peut expliquer cette frilosité de la part des structures culturelles

en France, d’une part par une méconnaissance qui est difficile à évaluer en amont,

surtout lors de performances nécessitant des conditions d'accueil particulières et où

l’artiste doit définir un maximum de paramètres scénographiques et techniques qui

sont rapidement vouées à l’obsolescence. D’autre part par une mythification des

procédés technologiques au détriment du sens profond de la performance

140 Annexe n°2, Ana Ascensio, p. 78. 141 ELEKTRA, festival, op. cit. 142 MONTESSUIS Joachim, « Joachim Montessuis », in Live A/V, Musiques et cultures digitales, Hors-série #4, 2010, p. 82.

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audiovisuelle. En France, c’est pourtant dans ce contexte difficile, celui

d’organisations souterraines, que se réinventent les formes nouvelles de spectacle

vivant. Laurent Carlier, directeur du festival Vision'R y voit même certains avantages :

« Les enjeux à venir sont d'abord ceux qui échappent aux manières de faire

actuelles […] Les artistes doivent tout faire pour échapper aux règles établies, aux

définitions en place. C'est la dichotomie théories/pratiques. C'est ainsi que des

nouveautés émergent, dans l'extrême contemporanéité des singularités qui

s'inventent. »143

2. L’avenir de la performance A/V à l’aune de changements esthétiques, culturels et sociaux

Aujourd’hui les avant-gardes ne sont plus l’apanage d’une élite, mais au contraire

une direction vers lequel le monde médiatique dans lequel nous vivons, se tourne. En

art, cela se manifeste par le fait que le spectateur est souvent invité à se muer en

créateur. Barthes parle de l’auditeur/spectateur comme l’actuel créateur144, celui par

lequel le sens affleure en transcendant les formes existantes. Cette dynamique a

reconfiguré les procédures et les cadres dans lequel la musique et la vidéo peuvent

être produite ou représentée. On peut donc se demander quel discours esthétique

nait de cette transformation : de la figure de l’auteur à une créativité partagée.

2.1. Do it yourself

Une de ses tendances actuelles est l‘évolution de la performance audiovisuelle

comme une culture du DIY (do it yourself). L'accessibilité croissante des outils

créatifs et la baisse du prix des périphériques qui y sont associés permettent une

appropriation par le plus grand nombre. Des interfaces comme PureData sont

disponibles en téléchargement gratuit, cela associé à une communauté de

développeurs très active sur le web. On peut facilement diffuser son travail sur les

réseaux et ainsi communiquer sur des performances qui peuvent être organisée

dans un cadre très underground. La performance audiovisuelle n'est plus une

143 CARLIER Laurent, « Festival de créations numériques : émergence d'œuvres artistiques atypiques » in étapes, Paris, janvier-février 2013. 144 BARTHES Roland, « La mort de l’auteur », op.cit.

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pratique exclusive à ceux qui détenait les outils : aujourd’hui un projecteur vidéo est

devenu extrêmement accessible, on peut même avec beaucoup de motivation

fabriquer son propre vidéoprojecteur optique145. Le fait que le savoir-faire et la

connaissance technique soient si facilement accessibles a rendu aisé la création

sonore et visuelle. Elle est devenue une activité ouvertement immergée dans la

culture du DIY, qui est caractérisé par l'apprentissage autonome, le partage à travers

l'économie du don, une importance prépondérante des réseaux sociaux et une

volonté de mise en commun des savoir-faire tournés vers la collaboration.

Julien Ottavi, artiste audiovisuel et fondateur du collectif APO33146, tient une

posture très « militante » vis-à-vis du partage des connaissances sur les

technologies, puisqu’il a développé APODIO147, logiciel libéré du carcan de la

propriété intellectuelle et de l’idée de l’auteur comme créateur individuel : « Tu

produis de l’art, des logiciels, du savoir, des outils que tu partages avec ta

communauté, tu ne vends pas de produits dans le but de dégager un bénéfice […] Le

mouvement du copyleft apporte de nouveaux paradigmes d’échanges économiques

basés sur les relations sociales et des échanges de principe »148.

2.2. Low-technologies

L’influence qu’ont pu avoir Ryoji Ikeda ou Carsten Nicolai est incommensurable

tant ces artistes ont marqué le genre de la performance audiovisuelle contemporaine.

Mais il convient de montrer qu’il existe une alternative à cette esthétique du signal

dont nous parlions auparavant. Des artistes comme Yro, qui ont été très influencés

par cette esthétique, avouent qu’ils ont du s’en détacher pour trouver leur voie allant

vers un « le moins, c’est le plus » : « Lorsque j’arrivais avec mes billes, mes boites à

œufs, alors que c’était la mode des effets les plus puissants et les plus

spectaculaires, on a été perçu comme des saltimbanques, ce qui n’est plus le cas

aujourd’hui où j’ai la chance d’être reconnu par le réseau de l’art contemporain. […]

145 COLL., « Vidéoprojecteur DIY Optique », http://fr.wikibooks.org/wiki/Vid%E9oprojecteur_DIY/Optique 146 APO33, collectif, Nantes, http://www.apo33.org/fr/ 147 APODIO est un système d’exploitation Gnu/Linux dédié à l’art numérique, http://www.apodio.org 148 OTTAVI Julien, « Déconstruction sonore », in Musiques et cultures digitales, n°68, 2012, p. 49.

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On est dans la phase des makers ou chacun cherchera à créer ses propres

instruments et ses propres pratiques musicales »149. De la même manière, bien qu'il

existe des similitudes esthétiques, visuels et sonores entre l’œuvre Deliquescent150

de Jesse Osborne-Lanthier et Sabrina Ratté et celle des artistes pivots de raster-

noton, la principale différence est que ces derniers travaillent tous les deux avec des

media purement numériques alors que Osborne-Lanthier opte pour une combinaison

de technologies obsolètes et de bricolage : « le medium est nécessaire et si la

question doit être, j’utilise un synthétiseur modulaire, un générateur de fréquence des

années 70, un laptop, des morceaux de bois, des boîtes à rythmes, des micros, une

table de mixage, des bandes magnétiques selon ce que je veux jouer. En fait je me

sers de tout ce qui peut être utile. Lorsque je commence à composer, les synthés

modulaires et des logiciels de traitement du son servent d'outils pour traduire ce qui

se passe dans le cerveau à un moment donné. » Il y a une alliance d’appareils

analogiques avec des technologies numériques. Les productions réalisées par

Nicolai et Ikeda sont high-tech, parfois grandioses et indûment perçues comme

impersonnelles. Afin de ne pas tomber dans le pastiche de ces artistes et d’utiliser

tous les mêmes logiciels qui génèrent les mêmes rendus sonores et visuels, des

méthodes plus low-tech et idiosyncrasiques permettent d’utiliser de nouveaux

instruments et dispositifs.

Ces dispositifs low-tech permettent parfois aussi de s’éloigner d’un contexte

étroitement lié aux musiques électroniques avec une scénographie classique d’un

laptop et d’un ou plusieurs écrans derrière l’artiste. La manipulation d’objet en temps

réel par exemple ou l’interactivité crée avec le public peuvent faire disparaître ce

rapport frontal classique du public face à l’artiste, qui est pourtant en germe dans le

concept de la performance audiovisuelle, en redéfinissant ce qu’est un écran ou un

espace scénique.

149 Annexe n°3, entretien Yro, p. 81. 150 OSBORNE-LANTHIER Jesse, RATTÉ Sabrina, Deliquescent, performance audiovisuelle http://vimeo.com/65792425

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3. Sources de création : détournements, réseaux et intelligence collective

Dans ce contexte, la performance audiovisuelle, héritée de la tradition de la

musique visuelle, a investi le champ de la manipulation des- données audiovisuelles

et commence à s’intéresser à ces « deux puissantes forces [qui] œuvrent de concert

à la transformation du monde. D’un côté, le progrès foudroyant des sciences et des

technologies décuplé par l’apport des machines pensantes, de l’autre, les vagues

d’initiatives citoyennes portées par les dynamiques de réseau et de co-créativité »151.

Lorsque le temps réel est lié à la notion de flux de données audiovisuelle, capturées

à partir de n'importe quelle source, puis modulées, la performance audiovisuelle

devient compréhensible comme le cas particulier d'un mouvement plus large visant

par la capture et la transformation des données en temps réel à donner une image

du monde à travers les réseaux de communication.

3.1. La transduction de l’information

Le processus de sonification et de visualisation devient monnaie courante dans

l'art médiatique contemporain, où, par exemple, les données de pollution

atmosphérique peuvent être enregistrés en temps réel et rendus sous forme de

coordonnées GPS sur une carte Google, comme dans Pigeon Blog152 de Beatriz da

Costa, ou bien des données sismiques qui sont utilisés pour piloter les

transformations d'un signal audio, comme dans Geophony153 de Dugal McKinnon.

Chacun de ces projets implique une certaine correspondance entre les flux et les

modes de représentation des données. Lev Manovich154 et Mitchell Whitelaw155

mettent l'accent sur la notion de carte, en montrant que ces transcodages de flux de

151 AZIOSMANOFF Nils, « Créativité : édito » in Revue du Cube, n°5, 2013, http://www.cuberevue.com 152 DA COSTA Beatriz, projet collaboratif, Pigeon Blog, 2006, http://www.beatrizdacosta.net/pigeonblog.php 153 MCKINNON Dugal, Geophony, installation sonore, Adam Art Gallery, as part of the Soundcheck sound art series, Wellington, 2008. 154 MANOVICH Lev, « The Anti-Sblime Ideal in Data Art », 2002, http://www.manovich.net/DOCS/data_art.doc 155 WHITELAW Mitchell, « Synesthesia and Cross-modality in Contemporary Audiovisuals. », op. cit.

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données diverses sont en quelque sorte le reflet d’une pratique cartographique qui

consiste à représenter des phénomènes géographiques schématiquement. Ces

pratiques intègrent des projets artistiques, souvent politiques et critiques : La

sonification et la visualisation des données de l’information jouent sur la

transférabilité des données numériques pour produire de nouvelles conjonctions

frappantes, un « montage » intellectuel, pour filer la métaphore cinématographique,

par lequel le contenu conceptuel et l'impact intellectuel de l’œuvre découlent de la

juxtaposition de sources de données et de leur représentation.

3.2. La performance audiovisuelle à l’heure du web 3.0

Nous pouvons remarquer que les pratiques web aujourd'hui font surgir des motifs

tels que la connectivité et l’intelligence collective, le phénomène du mash-up de

données se construit à partir d’interfaces de programmation d'applications (API156)

qui fournissent une structure par laquelle les applications Internet rendent leurs

données accessibles à l'utilisation par d'autres développeurs d'applications. La

fonctionnalité et la popularité de Twitter sont fondées sur la mise à jour en temps réel

spécifique de « flux » ou de « tweets », et « suivre » un flux nécessite l'abonnement à

un flux de données. L'énonciation de ces exemples met en évidence le fait que ces

projets liés à la manipulation de données numériques, sont connectés à la notion de

« temps réel ». Mitchell Whitelaw relie le flux de données à la notion de signal, car le

flux comme les données doivent toujours être incarnées ou transduites par une forme

visuelle ou sonore157 : « Whitelaw’s signal, like the data feed or stream, is an instantiation of change, and the pleasure (and challenge) of the signal for an audience lies in following its fluctuations and experiencing its shifting and cross-modal ‘embodiments’ or materializations in that very flux. »158

Ce qui est à l’œuvre dans les performances audiovisuelles, c’est le temps-réel

comme medium, la performance A/V matérialise le temps dans lequel et par lequel

156 API pour Application Programming Interface 157 WHITELAW Mitchell, « Synesthesia and Cross-modality in Contemporary Audiovisuals. », op. cit., p. 271. 158 COOKE Grayson, « Start Making Sense ; Live Audio Visual Media Performance », op.cit., p. 205.

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les données numériques se déplient et sont médiatisées. L'expérience de la

performance audiovisuelle devient alors l’expérience d'un temps étendu et

matérialisée, une expérience du temps attenante à ces données et ces flux de

médias, qui convergent vers l’expérience sensorielle qu’implique une performance

synesthésique. Si le web 2.0 repose sur l’intelligence et la création collective, ramené

au contexte spatio-temporel de la salle de spectacle dans laquelle se déroule la

performance, qu’en sera-t-il à l’heure du « web 3.0 [qui] reposera sur l’intégration de

cette nouvelle dimension dans l’espace urbain » ? Selon Yan Breuleux, « la

problématique de la vidéo immersive se développe conjointement avec les

technologies de téléprésence, c’est à dire l’ensemble des recherches qui permettent

de délocaliser en temps réel l’espace de communication. »159

3.3. Vers le post-humanisme

On peut alors, à la manière du philosophe français Jean-François Lyotard, qui

s’interrogeait sur la possibilité d’une pensée sans corps160, se demander si une

performance audiovisuelle post-humaine est possible. Lorsque l’auteur se démultiplie, dix fois, mille fois, lorsque la machine (prothèse de l’être humain) devient créatrice autonome et quasi-indépendante, nous pourrions y voir une nouvelle société en pleine émergence où des visions neuves se mêlent et s’entremêlent, s’accumulent et explosent, de nouveaux espoirs surgissent menant à des transformations. Les transformations machiniques ont mené au chaos, à des comportements étranges et inouïs. À présent, nous courrons dans l’obscurité avec la peur comme seul éclairage ; peut-être vers notre extermination, comme Icare visant le soleil, essayant de disparaître dans le soleil. Mais en quoi cela est-il lié à des pratiques artistiques ? Peut-être que ces pratiques ne font que refléter nos champs de visions, nos désirs, nos fantômes ? Le désir est-peut-être nécessaire à notre transformation, et nous avons besoin de créer des machines, par le biais de réseaux, de participer collectivement à une œuvre d’art incommensurable et interminable, avec des réseaux agissant comme autant de multiplicateurs d’une myriade de permutations.161

On constate que les dernières nouveautés technologiques lié aux réseaux et au

multimedia vont toutes dans la même direction : la prolifération, la diffusion. Tout

159 BREULEUX Yan, « Purform/Yan Breuleux » in Live A/V, Musiques et cultures digitales, Hors-série #4, 2010, p. 94. 160 LYOTARD Jean-François, L'inhumain : Causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1988. 161 OTTAVI Julien, « Déconstruction sonore », op.cit., p. 49.

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semble nous éloigner d'une écriture unique et universelle de la performance

audiovisuelle. Il ne s'agit pas de créer des œuvres qui ne soient que des ersatz de la

technologie, mais au contraire que ces technologies numériques soient des outils mis

à la connaissance et à la disposition des artistes, pour intégrer un processus de

création en phase avec la contemporanéité des échanges informationnels.

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Conclusion

Finalement, plutôt que de s’interroger sur les formes de performances nées dans

le contexte spécifique de l’art numérique, ne serait-il pas plus pertinent de se

demander comment l’art et les performances audiovisuelles ont représenté les

changements poïétiques et esthétiques induits par l’omniprésence du numérique ?

Poser la problème de cette manière c’est orienter le mode de questionnement vers le

contexte, vers la capacité et la possibilité plutôt que vers le sens et la certitude

ontologique ou phénoménologique. Si l’on fait l’analogie avec le questionnement de

Spinoza à propos de l’éthique et de la morale : « Le point de vue d’une éthique c’est :

de quoi es-tu capable, qu’est-ce que tu peux ? D’où, retour à cette espèce de cri de

Spinoza : qu’est-ce que peut un corps ? On ne sait jamais d’avance ce que peut un

corps. On ne sait jamais comment s’organisent et comment les modes d’existence

sont enveloppés dans quelqu’un. Spinoza explique très bien tel ou tel corps, ce n’est

jamais un corps quelconque, c’est qu’est-ce que tu peux, toi »162. Demander ce que

peut un corps, c’est affirmer qu'un corps peut toujours être autre chose que ce qu'il

est supposé être, le corps n'est jamais ce qu'il est, seulement ce qu'il est devenu. De

la même manière nous avons essayé de montrer « ce que la performance

audiovisuelle peut faire ? », dans un contexte multimedia, celui du big data, comment

le geste et le corps de l’artiste et du spectateur interviennent dans ce processus ?

Cette réflexion a montré que la performance audiovisuelle est un espace dans

lequel, il est possible de voir, d'entendre via la stimulation des sens en temps réel.

Les nouveaux médias explorent les capacités de la technologie comme des outils au

service de modes de représentation nouveaux. La dimension virtuelle ou semi-

virtuelle (car nous avons vus que certains artistes, voulant se détacher d’une

esthétique maximaliste, opéraient dans une certaine mesure un retour à la matière et

au tangible) de la performance audiovisuelle, son existence « potentielle » puisqu’elle

se réalise seulement au moment de son exécution, répond à la question du

renouvellement et de l’avenir de la performance A/V. La performance audiovisuelle

162 DELEUZE Gilles, Deleuze/Spinoza, cours, transcription : Lucie Fossiez, 1980.

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nous donne à visualiser le monde via l’image du traitement indifférencié de

l’information. Le terme de l’indifférenciation est au cœur de ces projets, la dimension

symbolique se livrant par la révélation du mode d’écriture en direct. C’est à dire

rendre visible par un effet de synthèse ces nouvelles formes de données

numériques. Ainsi la performance audiovisuelle dans ce contexte de l’art numérique

réalise les aspirations des avant-gardes du début du siècle : par l’immersion et le

traitement en temps réel le spectateur est submergé par l’information, mais à partir

du moment où il a assimilé ce trop plein d’information, il est capable de porter un

regard critique sur ce vertige de l’information mis en abyme dans le travail d’un Ryoji

Ikeda par exemple.

La difficulté à laquelle est confrontée la performance audiovisuelle est celle de sa

simplicité apparente et de sa complexité narrative, qui l’empêche d’être reconnue par

les institutions du spectacle vivant traditionnel. La narrativité n’est plus celle de

l’auteur mais aussi celle du spectateur. Ainsi la performance A/V questionne les liens

traditionnels du son et de l’image en comparaison des formes spécifiques de la

culture contemporaine comme le cinéma ou le théâtre. Le postmodernisme en art

chez Lyotard se caractérise par un réagencement d’éléments existants en leur

conférant un sens nouveau, une narrativité nouvelle 163. La performance audiovisuelle

dans le contexte de l’art numérique va au delà de cette idée en induisant une vision

« transmoderniste » de l’art qui, tout en étant ancrée dans des formes appartenant à

l’histoire, se projette vers l’avenir dans ce qu’il représente, « modifiant du même coup

notre perception de l’espace temps à laquelle notre constante interaction avec le web

n’est pas étrangère »164. La performance audiovisuelle est donc au cœur des progrès

ou des méfaits – mais c’est un autre débat – des mutations des sociétés engendrées

par la révolution numérique.

163 LYOTARD Jean-François, « Peinture fraîche » : Les Immatériaux, reconstitution sonore de l’exposition qui s’est déroulée au Centre Georges Pompidou du 28 mars au 15 juillet 1985, France Culture, 2009, http://www.arpla.fr/canal20/adnm/?p=861 164 THIÉBAULT Alain, « Avenir » in Live A/V, Musiques et cultures digitales, Hors-série #4, 2010, p. 24.

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FISCHINGER Oscar, Raumlichtkunst, installation 3 écrans HD, Center for Visual Music, Los Angeles, 2012. Vu dans le cadre de l'exposition « La Fin de la nuit, part.1 » in Nouvelles vagues, Palais de Tokyo, Paris, 2013. GILJE HC., LYSAKOWSKI Lukasz, RALSKE Kurt, 242.pilots, live cinéma, DVD, Bruxelles, 2002. GODARD Jean-Luc, Histoire(s) du Cinéma, film, Canal +, 1988-1998. HAWTIN Richie, DEMIREL Ali, Contakt, concert augmenté, 2010. IKEDA Ryoji, C4I, performance audiovisuelle, Yamaguchi Center for Arts and Media (YCAM), Japon, 2004. IKEDA Ryoji, datamatics, projet multimedia, 2006, http://www.ryojiikeda.com/project/datamatics IKEDA Ryoji, superposition, performance, 2012, http://www.ryojiikeda.com/project/superposition IKEDA Ryoji, spectra, installation, 2000, vu dans le cadre de La Nuit Blanche, Paris, 2008. http://www.ryojiikeda.com/project/spectra IKEDA Ryoji, test pattern, installation, performance, album, 2008, http://www.ryojiikeda.com/project/testpattern KIM Haeyoung, Moori, performance audiovisuelle interactive, 2011, http://vimeo.com/23053823 KOLGEN Herman, Dust, performance, 2010, http://www.kolgen.net/projects/dust KUROKAWA Ryoichi, Rheo, concert audiovisuel, 2009, http://www.ryoichikurokawa.com/project/rheo.html LEVIN Golan et alli., Messa di Voce, installation-performance, 2003, http://www.tmema.org/messa NICOLAI Carsten (ALVA NOTO), unitxt/univrs, 2009, http://vimeo.com/21317325 NICOLAI Carsten, IKEDA Ryoji, cyclo, projet multimedia, 2003-2011, http://www.raster-noton.net/cyclo OSBORNE-LANTHIER Jesse, RATTÉ Sabrina, Deliquescent, performance audiovisuelle http://vimeo.com/65792425 QUAYOLA, ABSTRACT BIRDS, Partitura, performance audiovisuelle pour alto, 2011-2013, http://www.abstractbirds.com/34019/335543/projects/partitura USER, Ondulation, installation, 2002, http://www.ondulation.net Ressources et références internet http://www.aec.at/news http://www.antivj.com http://www.apo33.org/fr/ http://www.apodio.org http://www.arcadi.fr/evenements/festival-nemo/ http://createdigitalmotion.com http://www.ctm-festival.de/news http://elektramontreal.ca http://2013.liveperformersmeeting.net/fr/ http://www.mappingfestival.com http://www.miragefestival.com http://node08.vvvv.org

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http://www.omai.at http://puredata.info http://www.raster-noton.net http://www.scopitone.org http://www.stereolux.org/laboratoire-arts-et-technologies/a-stereolux%E2%80%A6-un-incubateur-de-projets-innovants-un-laboratoire-dexperimentation-ouvert http://see-this-sound.at http://www.sonore-visuel.fr http://www.vagueterrain.net http://www.vision-r.org http://visionsonic.org http://www.vjtheory.net

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Annexes

1. Entretien Carine Le Malet Responsable de la programmation artistique du Cube depuis sa création en 2001,

Carine Le Malet a forgé son expérience de curatrice et de gestionnaire d’événements

culturels en travaillant au préalable au Centre Georges Pompidou en tant

qu’assistante aux relations extérieures, aux côtés de Laurent Claquin. Elle a aussi

assisté Anne-Pierre d’Albis pour « Parcours Saint-Germain » et a été assistante de la

directrice de production pour « ISEA 2000 Révélation » (10e Symposium des Arts

Électroniques). Elle participe à de nombreux jurys pour des festivals en France et à

l’étranger, et mène en parallèle depuis 2006 une activité de curatrice indépendante.

Quel est votre parcours, vos influences et références dans le domaine de la performance impliquant le son et le visuel ?

Après un bac anciennement A3 (philosophie et arts plastiques), j’ai été à la Sorbonne

jusqu'à la maitrise puis à l’IESA. J’ai ensuite effectué différents stages dans des

galeries d’art et des structures. J’ai ensuite travaillé avec un commissaire

d’exposition, Anne-Pierre d’Albis-Ganem sur un projet qui s’appelle « le Parcours

Saint-Germain », avec ART300 sur « ISEA 2000 ». Dans le monde du travail, après

une première expérience au Centre Pompidou, la directrice du Cube, m’a proposé ce

poste en programmation que j’occupe depuis douze ans. Je suis quelqu’un de très

curieux, c’est la scène VJ au début des années 2000 qui m’a emmené sur le terrain

de la performance audiovisuelle, scène qui a beaucoup évoluée pour devenir des

performances audiovisuelles construites. Je ne suis pas attachée à un genre musical

particulier mais il doit y avoir un travail visuel ou scénographique derrière. Mes

références sont assez variées et ne sont pas nécessairement liées aux nouveaux

médias. Je me suis liée avec beaucoup d’amis artistes comme Addictive TV dont

Françoise Lamy qui les produits et qui a créé le festival Optronica où l’on avait fait

une exposition rétrospective au Cube. J’ai à la fois des personnes clés avec qui

échanger et discuter et après c’est beaucoup de veille, de présence dans les

festivals. Ces trois dernières années, il n’y a plus de frontières entre les genres, les

frontières sont plus poreuses dans le spectacle vivant. On le voit avec des artistes

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comme Gisèle Vienne ou Tez qui pour ce dernier vient spécifiquement de la scène

VJ et est aujourd’hui plus dans la performance audiovisuelle dans un contexte où le

public est captif contrairement au VJing qui peut parfois être assimilé par le public à

du « papier-peint » qu’on regarde vaguement quand on danse, d’ailleurs il y a

différentes qualités de VJ…

Pensez-vous que l'on puisse considérer la performance audio-visuelle comme un genre ou une discipline à part entière ?

La performance audiovisuelle est à part entière dans une programmation, la base est

audiovisuelle avec un dispositif écran/laptop même si l’on s’éloigne aujourd’hui de ce

dispositif.

En tant que programmateur, comment voyez-vous le

rapport synesthésique entre sonore et visuel ? Et comment cela influence t'il vos choix de programmation ?

C’est une question que l’on me pose souvent. Il y a un coté plus poreux entre les

artistes, ils collaborent plus souvent entre eux. Si cela est réussi le son et le visuel

fonctionnent ensemble et de manière cohérente, si l’un est là pour servir l’autre, cela

ne fonctionne pas. Ce n’est pas quelqu’un qui fait des visuels pour une commande

de compositeur ou de sound designer et vice versa. Cela a été le cas quand on mis

les VJs avec les DJs, aujourd’hui nous avons dépassé cela grâce a des

collaborations plus poussées.

Comment la performance audio-visuelle s'inscrit-elle dans la diffusion du

spectacle vivant en France ? Y a-t-il des circuits de diffusions plus appropriés ou plus développés que d'autres (centres d'art, festivals dédiés, scènes pluridisciplinaires, clubs) ?

Si la performance est de qualité, non. Après cela va dépendre du message ou du

contenu. Certaines performances se prêtent plus à un contexte qu’un autre mais la

particularité des nouveaux médias est pourtant de pouvoir se produire partout. Je

mettrais de coté les clubs où la démarche du spectateur est différente.

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La France a-t-elle du retard en ce qui concerne l'acceptation et la diffusion de ce type de performance ? Et si oui pourquoi ?

La France a du retard sur beaucoup de choses (rires). On a du retard sur la manière

dont on perçoit les arts, beaucoup de personnes pensent que l’art numérique n’en

est pas un, que les jeux vidéos ce n’est pas de l’art. Malgré tout de plus en plus de

festivals en France montrent ces formes là, que ce soit des festivals spécialisés dans

la musique électronique ou des centres d’art contemporain qui accueillent ce type de

performances dans leur programmation annuelle. On a surtout du retard sur l’aide

que l’on peut apporter aux artistes. La diffusion de ces artistes est celles des artistes

déjà reconnus. Peu de lieux existent pour ceux qui émergent en termes de

subventions et de programmation notamment.

Peut-on imaginer d'autres espaces de diffusion ?

C’est quelque chose qui s’exprime en live (HD, son spatialise, scénographie). Il

existe quelques lieux non fléchés : typiquement Les Voutes à Paris qui ont ce type de

programmation. Les avancés techniques notamment concernant les vidéos

projecteurs et les mini pico projecteurs permettent des manifestations plus

spontanées. Des lieux comme le Cube ou la Gaieté Lyrique permettent aussi

d’accompagner un public et une démarche artistique. Si j’aime beaucoup les grosses

performances avec 1000 personnes et multi-écrans, une petite forme avec 50

spectateurs est intéressante car le partage avec le public n’est pas le même.

Comment avez-vous perçu le basculement entre le VJing qui est

essentiellement lié aux musiques électroniques et à la culture techno à ce qu'on appelle aujourd'hui une performance audiovisuelle diffusée dans un centre d'art comme lorsque Ryoji Ikeda présente superposition au Centre

Pompidou ?

La scène bien pensante de l’art contemporain s’est appropriée cette scène et l’a

validée en tant qu’art. L’évolution des artistes les a également poussé vers d’autres

formes, un artiste a plusieurs vies et ne reste pas dans la même case.

Comment percevez-vous l'influence de l'évolution des technologies sur la

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démarche des artistes qui pensent leur performance dans le contexte spécifique de l'art numérique plus que dans celui d'un concert « augmenté » ?

Que ce soit les logiciels libres, MAX-MSP, la HD… Tout cela a été démocratisé.

Aujourd’hui si l’on travaille avec une basse résolution, il s’agit d’un parti pris

esthétique. La technicité permet souvent à la performance d’être plus immersive, d’y

ajouter un pendant avec une installation.

Comment le live A/V peut-il interagir avec d'autres médias comme le cinéma, la

télévision, Internet ?

Ce sont des formats dans l’ère du temps, comme le net art il y a quelque temps et

aujourd’hui les sites n’existent plus. Les artistes se concentrent sur un médium,

aujourd’hui les réseaux sociaux sont au goût du jour pour le meilleur et pour le pire.

Le traitement de l’information est de plus en plus compliqué tant celle-ci est

exponentielle. D’autres technologies viendront déloger celles qui existent

actuellement.

Se dirige-t-on de plus en plus vers une matérialisation du son plus qu'une

simple visualisation ?

Je ne suis pas persuadée que la synesthésie qui serait plus immersive soit toujours

nécessaire. C’est la même idée que la 3D au cinéma. Le propos est le plus important

quelque soit la forme qu’il prenne.

Pouvez-vous me présenter le festival Némo en quelques mots et me dire

comment a-t-il accompagné les évolutions liées au concept de live A/V ?

Le festival Némo, organisé par Arcadi par Gilles Alvarez qui en est le directeur

artistique et Julien Taib. Au départ c’était un festival de nouvelles images car il y’avait

une programmation de courts-métrages très importante et des soirées de

performances. Au fur et à mesure la musique a pris une place plus importante avec

justement des performances audiovisuelles et des installations. Il n’y a aujourd’hui

plus de courts-métrages. Auparavant le festival se déroulait une semaine sur Paris et

une semaine au Cube. Maintenant cela s’étale sur un mois dans toute l’île de France

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(à Mains d’œuvre, au 104, à la Gaieté Lyrique). La programmation se fait

conjointement avec les lieux du festival.

2. Entretien Ana Ascencio Quel est votre parcours, vos influences et références dans le domaine de la

performance impliquant le son et le visuel ?

Dans les années 90, j’avais travaillé pour une association qui s’occupait de la

promotion de la musique électronique à Genève, qui a bifurqué en club au début de

années 2000. Puis j’ai déménagé au Québec pour travailler comme booker pour des

DJs. En 2005, j’ai collaboré avec le Festival Elektra165 à Montréal où j’ai été en

contact avec les premières performances audio-visuelles qui avaient une esthétique

assez minimale, très germanique, avec un noyau dur d’artistes invités notamment le

label raster-noton. C’est un festival qui cherche la fusion entre le visuel et le son, plus

même que dans ce que je fais aujourd’hui à Mapping166, qui est dans une esthétique

beaucoup plus colorée, plus fun. J’ai par exemple été marquée par les travaux du

collectif 1024 Architecture, des performances complètement décalées où ils intègrent

le format spectacle vivant, musique et création visuelle avec du vidéo-mapping.

Quelle est pour vous la différence entre performance et live A/V ?

Oui, ce que l’on essaye de différencier par performance audio-visuelle, par son nom

correspond à un format dont la durée n’excède pas la demi-heure ou 45 minutes et

qui diffère du live audiovisuel et qui diffère de la scène clubbing où un DJ et un VJ

sont associés. Le live A/V est aussi une performance qui se différencie par le lieu :

club ou pas club, mais la finalité est fondamentalement la même. Il est vrai que

mettre un nom sur ces formes hybrides est parfois difficile pour nous jusque dans

notre communication où l’on essaye de définir le plus précisément possible ce que le

spectateur va venir voir.

Comment voyez-vous le rapport synesthésique entre sonore et visuel ?

165 ELEKTRA, op. cit. 166 MAPPING Festival, op. cit.

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Pendant la performance audiovisuelle, on est très souvent dans une visualisation du

son alors que l’installation permet des formes de synesthésie plus complexes. Cela

me fait penser à l’installation de User qui s’appelle Ondulation167 où une espèce de

piscine est remplie d’une eau qui est modelée par les basses fréquences dans un jeu

de cause à effet. La performance reste souvent dans un rapport frontal ou un artiste

actionne un « objet » qui crée un son ou un visuel. La scénographie peut aussi

augmenter la performance audiovisuelle (on parlera d’installation-performance).

Pouvez vous me présenter les différences de réception du format de la performance audiovisuelle dans les trois pays que sont la Suisse, le Canada et la France.

La Suisse est un pays étonnement assez avant-gardiste en terme d’art, mais la

scène art numérique est assez mal comprise. Pour te donner l’exemple de Mapping,

les institutions auprès desquelless on demande nos subventions nous cataloguent

comme festival pluridisciplinaire. Alors que nous sommes les seuls en Suisse sur ce

créneau hormis le Shift Festival à Bâle qui est un festival d’art électronique. Pourquoi

aujourd’hui l’art numérique n’est pas juste de l’art contemporain ? C’est surement lié

à la conservation et au marché de l’art et même si l’appellation art numérique est

effectivement un peu dépassée, c’est une notion qui n’a aucune résonance en

Suisse. En France qui est un pays plus grand, Némo, Scopitone à Nantes qui a un

volet performances et installations audiovisuelles intéressant, Exit à Créteil… Mais il

y a finalement peu de grands festivals dédiés. Au Canada, Elektra met en avant cette

culture et Mutek qui est un festival de musique électronique a un volet performance

qui est pas mal. Sight + Sound à Montréal, qui est plus underground. Rien qu’au

Québec il y a beaucoup d’évènements faisant la part belle à ce genre artistique. Il

existe d’autres espaces de diffusion partout qui sont certainement moins reconnus

par les institutions. À Genève, Mapping est finalement très peu inscrit sur les circuits

« officiels », on a commencé une collaboration avec le musée d’Art et d’Histoire il y a

seulement deux ans sur laquelle on nous a mandaté pour un mapping architectural,

ce qui est très grand public. Sinon nous évoluons dans une scène hyper alternative

167 USER, Ondulation, installation, 2002, http://www.ondulation.net

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dans des lieux très marginaux. Pourtant il y a une reconnaissance du public, qui

attire des gens du monde entier plus que des genevois qui sont quelque part très

conservateurs.

La performance audiovisuelle qui est pourtant hautement spectaculaire serait-elle d’avant-garde ?

Malheureusement, c’est le cas. Pourtant on est souvent dans le spectaculaire.

Pendant le dernier festival, un Galeriste d’art Suisse, fondateur d’art Basel est venu

nous voir et nous demande ce qui se passait dans ce festival. Impressionné par

certaines installations interactives, il m’a demandé si c’était ça l’art contemporain

aujourd’hui. Il n’avait jamais été confronté à ça… Donc peut-être oui c’est une avant-

garde, alors que lorsqu’on baigne dedans on est conscient que le numérique est

omniprésent. Tous les artistes utilisent le numérique.

Comment percevez-vous l'influence de l'évolution des technologies sur la

démarche des artistes qui pensent leur performance dans le contexte

spécifique de l'art numérique plus que dans celui d'un concert "augmenté" ?

Yro-Yto est un artiste par exemple qui a un discours très ironique sur des initiatives

d’un label comme raster-noton, que j’adore par ailleurs. Il choisit « la petite forme »,

actionne manuellement ses objets et reviens sur quelque chose de très humain tout

en utilisant la technologie.

Pouvez-vous me présenter le Mapping Festival en quelques mots et me dire

comment a-t-il accompagné les évolutions liées au concept de live A/V ?

Le Mapping Festival à la base est un festival de VJing uniquement et qui pour

l’anecdote a été crée par Boris Edelstein, le fondateur de Modul8 (logiciel de VJing,

ndlr). Au début de années 2000, il a essayé de créer un plateforme où il pourrait

mettre en avant différent type de VJing. Dans cette sphère là qui était très active

dans le milieu de la nuit à Genève à cette époque, a évolué vers un festival traitant

plus globalement du traitement de l’image et du son en temps réel, par le biais de

performances ou d’installations. Puis, dès 2007 une partie conférence et workshops

ont fait que l’on ne peut plus être qualifié comme un festival de VJing uniquement. Le

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temps a eu raison du VJing, puisqu’il a eu du mal à se renouveler. L’interaction avec

le public est l’avenir de l’expérience club. Les VJs se sont tournés vers le milieu de

l’art.

3. Entretien Yro Yro (Elie Blanchard) est un plasticien français au croisement de la performance, de la

vidéo, de la musique et de l‘installation. Son univers visiblement hyper-structuré et

minimal se révèle être une expérience poétique. Il utilise des matériaux simples et

tangibles tel que le papier, le verre, les moteurs, la lumière en les mélangeant

subtilement avec des éléments plus hi-tech. Il collabore notamment avec les artistes

Transforma, Sati ou Cheveu. Sa première exposition, The perception of sound a été

présentée en 2011 à la scène nationale, Théâtre de l‘Agora à Evry.

Quel est votre parcours, vos influences et références dans le domaine de la

performance impliquant le son et le visuel ?

J’ai commencé dans le monde de la musique en ayant des groupes lorsque j’étais

ado puis le spectacle de rue où je faisais des visuels et des lumières plutôt DIY avec

des machines à diapos. À partir de 2003, j’ai commencé à mélanger tout ça et à

créer des performances audio et vidéo. Aujourd’hui je fais exclusivement des choses

qui mêlent l’image et le son, soit par moi-même soit en collaboration avec des

musiciens. J’ai également une partie de mon travail qui relève plus de l’installation

avec le collectif Avoka. Ma pratique artistique est plutôt lo-tech, basse technologie en

opposition au dispositif hi-tech. J’utilise pourtant des outils contemporains :

l’ordinateur, le MIDI, l’électronique… Dès le début j’ai eu cette vision, qui m’a été

donnée par le spectacle vivant, par les bricolages que j’aimais faire afin que

l’ordinateur ne soit pas l’aboutissement de la performance. Mon travail a été de

répéter le processus de fabrication sur scène, contrairement à ce qui ce faisait il y’a

dix ans où tout le monde travaillait avec des logiciels de vidéo générative ou de

VJing. J’avais un atelier à Sèvres où j’ai organisé les soirées « Visionsonic », qui ont

donné le nom au festival dédié à ces formes expérimentales autour de l’image et du

son. Mes influences sont assez nombreuses, une des plus importantes a été

Robertson qui faisait des performances pendant la révolution française en

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mélangeant théâtre, jeux d’optiques. Il avait des assistants dans la salle avec de

lanternes lumineuses. Ce qu’il appelait « fantasmagories »168 étaient de véritables

expériences, car pour moi la performance c’est aussi faire passer une émotion à un

public qui est toujours différent. Sinon j’ai été très influencé d’une part par les films

d’animation expérimentaux comme ceux de Norman Mac Laren et d’autre part tout

ceux qui ont inventé les premiers instruments audiovisuels. La performance audio-

visuelle ne date pas d’aujourd’hui, les premières expériences de film où on peignait

sur la piste optique ce qui explique mon goût pour des matériaux assez basiques.

Quel rapport as-tu entretenu avec l’émergence de la scène VJ dont tu as a priori pris le contre-pied ?

J’ai côtoyé cette scène là. Pour ma part j’ai très peu pratiqué cela, seulement dans le

cadre de résidence et j’en ai vite vu les contours et les limites car il y’avait une

grosse frustration de faire quelque chose qui n’est pas « connecté » avec le son. J’ai

envie que l’expérience soit totale. En tant que public j’y vois souvent un bout d’écran

mal tendu qui happe le public comme on peut être happé par un écran de publicité…

Pour une performance audiovisuelle il faut que les conditions d’écoute et de partage

soient optimales, donc plutôt dans des théâtres ou des situations assises. Lorsqu’on

fait une performances on a pas les armes d’un groupe de rock, c’est plus compliqué

d’aller chercher un public, on ne s’arrête pas entre chaque morceau.

L’expérimentation sonore et visuelle nécessite la recherche d’une forme hybride tout

en essayant de réinventer ce qui a pu se passer dans des mouvements performatifs

comme Fluxus qui repensent « l’action en direct ».

Pensez-vous que l'on puisse considérer la performance audio-visuelle comme un genre ou une discipline à part entière ?

Pour arriver à jouer ces performances, il faut arriver à trouver des lieux. Car le réseau

art numérique et festival est assez restreint. Avec Avoka productions on est

maintenant aussi dans une démarche de sensibilisation, avec des projets un peu

168 SAUVAGE Emmanuelle, « Les fantasmagories de Robertson, entre spectacle instructif et mystification », op. cit.

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plus « faciles » dans un premier temps, des installations. On milite auprès des lieux

de diffusions et des programmateurs qui souvent ne savent pas comment présenter

ces performances à leur public. Notamment car un bon nombre de ces propositions

par le passé n’avaient pas une grande valeur artistique ou en tout cas le public n’y

trouvait pas sa place.

En tant qu’artiste au sein d’un collectif, comment voyez-vous le rapport synesthésique entre sonore et visuel ?

Cela dépend des projets mais je m’attache plus généralement à matérialiser le son

plus qu’à une simple visualisation brute. Mais ce qui m’intéresse au delà, c’est le

rapport poétique que peuvent entretenir l’image et le son. Parfois, c’est très

connecté, un son va déclencher une image, d’autre fois le son et l’image ont des

rythmes différent ce qui les lient également : un kick de batterie ne correspond pas

forcément à un cut d’image. Il y a aussi un rapport charnel entre l’image et le son.

Lorsqu’on travaille la musique avec Erwan Raguenes, on se rend compte que la

musique influence l’interprétation que l’on a de l’image et vice versa. C’est

l’imagination du spectateur qui interprète de manière intime le rapport entre l’image et

le son.

Le live A/V prend différentes formes selon le contexte. Comment appréhendez-vous une performance selon le lieu dans la quelle elle se déroule (centres d'art, festivals dédiés, scènes pluridisciplinaires) ?

Ce qui change c’est déjà le décor. Selon que tu sois installé dans une galerie de

20m2 ou dans un opéra avec un écran immense. Eile par exemple est un projet qui

évolue selon le lieu où j’intègre sans cesse de nouveaux objets puisque 100% du set

est improvisé. Mais beaucoup de projets sont assez écrits avec une trame narrative

et qui se font selon le lieu. On est toujours dans un questionnement par rapport au

lieu et à comment les spectateurs vont percevoir le spectacle.

Qu'est ce que cela implique comme différences sur le plan de la réception par les spectateurs ?

On a toujours une réflexion sur ce qui peut paraître des détails, sur le positionnement

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sur la scène, sur l’angle par rapport au public. Après il y’a des résidences, où l’on

s’inscrit dans un lieu. Il y a quelque années, j’ai fait une exposition à la scène

nationale d’Evry où Nicolas Rosette a mis l’accent sur les arts numériques et où j’ai

fait une création in situ169 en réfléchissant à l’espace d’exposition, mais aussi à des

performances qui venaient ponctuer l’exposition qui était augmentée par les objets de

l’exposition.

Quelle est l'influence de l'évolution des technologies sur votre démarche

artistique dans le contexte spécifique de l'art numérique ?

J’ai pris le parti opposé de plutôt fabriquer l’image et le son sur scène, en utilisant les

ordinateurs comme biais, pour par exemple concevoir un sampler audio-vidéo dans

une performance comme Eile170 où je fabrique un film et une partition en direct. Mais

ces outils sont toujours au service de la narration et du propos. Fabriquer de A à Z

l’expérience sonore et visuelle pose pas mal de questions en terme de répétition de

la performance, d’improvisation et de surprises. Que ce soit dans Transforma171 ou

Inside the Black Box172, il y a cette idée du direct et de l’erreur qui permet de recréer

ce rapport frontal avec le public que l’on n’a pas forcément lorsqu’on est derrière un

ordinateur. Dans mes performances les ordinateurs sont peu visibles. En amont je

programme tous les logiciels sur lesquels je travaille. J’ai une réflexion autour de

l’outil, que je cherche à adapter à mes besoins. C’est ce qui est crucial dans la

manière d’aborder la technologie, d’un seul coup tu n’est plus esclave de la

technologie. Cela me permet de faire des choses que je n’aurai pas pu faire il y a 40

ans. Cela influence le résultat dans le sens où je peux tout contrôler : du gradateur

lumière, les moteurs, les synthés digitaux, les caméras… mais le résultat graphique

est sonore n’est pas influencé outre le fait que je fais partie d’une génération qui est

née avec ces outils. Mon prochain projet avec Bernard Szajner utilise des

technologies comme des machines à diapos qui ont une trentaine d’années. On ne

169 BLANCHARD Elie, The Perception of Sound, exposition, Théâtre de l’Agora – Scène nationale Evry-Essone, 2010, http://www.yroyto.com/archives/portfolio/the-perception-of-sound-i 170 BLANCHARD Elie, Eile, op. cit. 171 BLANCHARD Elie, Asynthome, live cinéma http://www.avoka.fr/portfolio/asynthome 172 BLANCHARD Elie, Inside the Black Box, performance audio-visuelle, 2010. http://www.yroyto.com/archives/portfolio/inside-the-black-box-2

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fait pas beaucoup plus de choses qu’auparavant, seulement on ne passe plus par le

35mm pour projeter un film, un rayon laser tient aujourd’hui dans une poche… Ce qui

est incroyable c’est qu’avec peu de moyens (un ordinateur et trois cartes Arduino) on

peut faire ce qui mobilisait il y a quelques années 40 personnes. La technologie me

permet d’être autonome. Lorsque j’arrivais avec « mes billes, mes boites à œufs »,

alors que c’était la mode des effets les plus puissants et les plus spectaculaires, on a

été perçu comme des saltimbanques, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui où j’ai la

chance d’être reconnu par le réseau de l’art contemporain. Le coté grandiloquent

tend plus vers l’évènementiel et les petites salles me permettent de rendre visible les

objets que je manipule. J’utilise bien plus mes synthés analogiques qu’Ableton (ndlr :

logiciel de séquenceur musical) ! On est dans la phase des makers ou chacun

cherchera à créer ses propres instruments et ses propres pratiques musicales.

Quelle influence cela a t-il sur les « pratiques amatrices » ?

C’est ce qui est formidable, mais c’est aussi ce qui a fait beaucoup de tort à la culture

vidéo. Dans les années 60, la caméra utilisée par Nam June Paik a démocratisé l’art

vidéo. Au final lorsqu’on regarde ce que cette démocratisation des technologies a

apporté, on sort quelques noms qui ont marqué une période. On récupère aujourd’hui

des boucles vidéo plus ou moins bien faites sur internet et c’est si facile de les

assembler avec des effets que cela peut accompagner n’importe quel concert. Le

langage graphique et sonore à propos se construit au fur et à mesure. Ce qui est

génial, c’est lorsque j’interviens pour un workshop avec des jeunes ou des personnes

handicapées. Mes logiciels sont assez simples d’accès car tout se manipule avec

trois ou quatre boutons et deux trois faders. On se rend compte que si ton outil est

bien pensé, les gens ne se posent même plus de questions par rapport à la

technologie car ils sont directement dans la pratique artistique.

Comment perçois-tu la différence entre art numérique et création numérique ?

C’est la dérive des arts numériques, il y a un amalgame fait par les politiques et par

les lieux qui est de faire la différence entre technologie numérique et art numérique.

Du coup on demande aux artistes de faire le pont entre ces deux notions. Alors que

nouvelles technologies ne veut pas nécessairement dire art contemporain. Utiliser un

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ordinateur ne fait pas de moi un artiste numérique, la finalité n’est pas la performance

technologique.

A l’heure du numérique et de la dématérialisation, la performance audio-visuelle s’exprime en live et sur un médium matériel (écran, objet, matière). Comment travaillez-vous la scénographie : en rapport avec l'espace de

l'œuvre, la relation au corps du spectateur et la temporalité de la réception ?

On ne réinvente pas le spectacle vivant, mais la scénographie est très réfléchie et

peut évoluer selon les retours du public.

4. Entretien Jesse Osborne-Lanthier et Sabrina Ratté Deliquescent173 est une pièce née de la collaboration d’un musicien / artiste

expérimental, Jesse Osborne-Lanthier et de l'artiste visuelle Sabrina Ratté. Le duo

propose une performance hybride mêlant matière sonore et visuelle. Pendant vingt

minutes, grâce à une utilisation judicieuse de l'analogique et numérique, le public est

transporté à travers une redéfinition personnelle de la réalité sensorielle.

Jesse, vous êtes aussi un artiste visuel, comment et pourquoi avez-vous décidé de collaborer avec Sabrina pour cette performance ?

Jesse Osborne-Lanthier : L'équipe du festival Elektra174 m’a contacté et nous avons

échangés quelques mails, ils voulaient quelque chose d’audiovisuel. J'ai hésité un

peu parce que je n'avais pas le temps ni l'envie de créer une pièce de vingt minutes.

J'ai commencé à penser avec qui je pouvais collaborer et comme j'étais déjà fan du

travail de Sabrina, j'ai décidé de lui demander si elle voulait travailler avec moi. Nous

nous connaissions à peine auparavant, la pièce est vraiment venue quand on a

passé une journée à discuter ensemble de ce qu’on voulait montrer.

Sabrina Ratté : Nous avions déjà parlé d’une collaboration dans le passé, mais je

suppose que nous attendions la bonne occasion.

173 OSBORNE-LANTHIER Jesse, RATTÉ Sabrina, Deliquescent, op. cit. 174 ELEKTRA, op. cit.

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J. O-L. : Donc, voilà, Elektra a été une excellente occasion de le faire.

Votre travail personnel est très différent. Pourriez-vous en quelques mots

définir la performance Deliquescent et me décrire le travail effectué par chacun ?

S. R. : Le travail de Jesse part dans tout les sens, avec des atmosphères assez

différentes. Les « coupes » inattendues sont quelque chose que j’apprécie dans cette

pièce. Par exemple, à partir d'une séquence de musique house très hypnotique, il

peut passer directement à quelque chose de très rythmique et très intense, ce qui

rend son travail complexe, dans le bon sens du terme, d’un point de vue structurel.

Ces différentes voies forment un ensemble cohérent mais qui fait que l’on ne sait

jamais exactement où les frontières se situent. Les textures sonores sont également

très belles. J'aime le fait que tout cela soit ambigu, parfois vous avez l’impression

d’entendre comme un son numérique alors qu’il s'agit en fait d’analogique. On peut y

percevoir beaucoup de références diverses à l'histoire de la musique électronique.

J. O-L. : Il y a aussi quelque chose de très abstrait dans le travail de Sabrina. Ce qui

m’a plu, c'est que ses visuels paraissent vivants, comparés à d’autres productions

très géométriques, linéaires, en noir et blanc. Sabrina prend des risques, ses visuels

ne font pas référence à une seule esthétique. Même si tout cela est crée avec des

machines, il y a quelque chose de très humain et de très organique dans son travail.

Pour moi, si l'art visuel ou la musique prends le pas sur l’autre, ce n'est pas la peine.

Sur son site internet, on peut voir que ses voyages l’ont beaucoup influencé et à quel

point cela modifie la forme de son travail. Ses productions traversent aussi l'histoire

de l'art numérique quelque part.

Pour mieux comprendre votre démarche, pourriez-vous décrire vos

trajectoires personnelles et quel rapport entretenez-vous avec la performance audiovisuelle ?

J. O-L. : Au lycée, j'étais dans des groupes de post-rock, punk, grindcore, ce genre

de trucs, mais je me suis vite lassé du fait qu’il fallait compter sur les autres pour faire

de la musique. Je me suis intéressé à des choses plus électroniques et aussi des

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trucs métal que des amis m’ont fait écouter. Sur Internet, j’ai appris à travailler avec

les outils et les logiciels que j’avais à ma disposition. J'ai acheté du matériel, et j’ai

commencé à faire mes propres sons sur un soundtracker (classe de logiciel de MAO,

ndlr). Au fil des ans, mon processus s’est affiné pour créer quelque chose de plus

minimal, j’ai éliminé ce qui était superflu en me concentrant sur ce que je considère

comme le plus important. Peu à peu, j'ai appris à travailler avec des synthés

numériques, puis des synthés analogiques, tout ça de manière très indépendante. Je

n'ai jamais étudié la musique ou l’art. En fait, j'ai toujours préféré garder une distance

avec les institutions.

S. R. : J'ai fait mes études de premier cycle et de deuxième cycle dans le programme

de création cinématographique de l'Université Concordia à Montréal. J'ai commencé

à utiliser la vidéo comme moyen d’expression il y a environ quatre ans. J'ai eu un

petit appareil photo numérique et j’ai commencé à expérimenter avec des effets très

basiques et les presets des programmes comme Final Cut. J'ai aussi été très inspiré

par les pionniers de l’art vidéo et de l’art numériques. Puis je me suis aussi intéressé

à outils analogiques tels que le synthétiseur visuel.

Et si vous aviez à nommer quelques-unes de vos influences ?

J. O-L : Mes influences sont très larges, mais pour être bref, j'ai été très touché par

Karlheinz Stockhausen, et sa contribution à la musique électronique des années 60

et 70. J’écoute aussi beaucoup de musique classique et contemporaine, free-jazz,

musique du monde, la noise et l’indus ont rapidement suivi. Je pourrais aussi citer le

mouvement « rave » des années 90 et le coté un peu absurde de ces fêtes comme

une source d'inspiration pour tout ce qui est lié à la danse et au rapport physique que

l’on a avec la musique. Puis, je suis tombé amoureux de labels comme raster-noton,

Les Éditions Mégo, PAN, et d’autres labels obscurs qui ne pressent leur musique

qu’en vyniles. Il est évident que raster-noton a certainement eu un impact important

sur mon travail ces derniers temps avec cette esthétique du glitch. Sinon, mon

entourage est la plus grande influence, travailler avec des gens ouverts d'esprit tels

que Hobo Cubes, Jean-Sébastien Truchy, Louis-Olivier Guérin, Samuel Mercure ou

Bernardino Femminielli pour n'en nommer que quelques-uns m’ont fait découvrir des

concepts musicaux et des sons d'un autre monde.

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S. R. : Comme je l'ai déjà dit, l'histoire de l'art vidéo m'a beaucoup inspiré au début

de mon parcours. Des artistes tels que Steina et Woody Vasulka, Lillian Schwartz, Ed

Tannenbaum, Toshio Matsumoto pour ne citer qu'eux, ont eu une influence énorme

sur mon travail. J'ai une sensibilité très années 80 et 90, mais l’apport de la

technologie me pousse à créer quelque chose de nouveau. Le rapport entre musique

et vidéo m’inspire également beaucoup.

Pouvez-vous me dire d’où le nom Deliquescent est venu ?

J. O-L : Eh bien, j’ai du penser à un nom parce qu’on me l’a demandé. Certaines des

photos que Sabrina m'a envoyées au début avaient une couleur « liquide » et c’est ce

qui est resté. J'essaie aussi, à travers ma musique, de créer quelque chose

d'organique, quelque chose d’animé et de vivant, des espaces abstraits dans lequel

on peut se perdre. Dans Deliquescent l'idée est de se laisser aller, de se fondre dans

l’environnement grâce aux sons et à l’expérience visuelle. Il s'agit en fait plus d'une

idée que d'une réelle signification, mais j'ai bien aimé le mot.

S. R. : Je pense que ça renvoie aussi à quelque chose d’organique, comme la fusion

de deux substances.

C’est ici que je voulais en venir, pourriez-vous expliquer vos méthodes

respectives et comment la jonction technique entre ces deux substances, l’image et le son, se produit pendant cette performance live ?

S. R. : Dans le cadre de cette performance, j'ai eu une approche différente. J'étais

techniquement prête à prendre plus de risques, alors j'ai décidé de produire presque

tout moi-même. J'ai utilisé Modul8 (logiciel utilisée pour la performance audio-

visuelle, ndlr) comme back-up, mais les images étaient produites principalement par

mon synthétiseur visuel et des images que j’ai faites, retravaillé avec l'utilisation d'un

mélangeur vidéo. Le synthé de Jesse a été connecté dans la mien afin qu'il puisse

modifier son signal, transformant certaines formes et mouvements. Mais surtout, ce

qui est intéressant dans une performance live pour moi, c'est l'idée de produire des

images à la volée et les mixer spontanément, inspiré par la musique.

J. O-L : Je suis très intéressé par la relation entre le medium et le message. La

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déconnexion de ces deux paradigmes est le point de départ de toute créativité. Je

n’aime pas nécessairement l’idée que ma musique soit associée à un type de

synthétiseur, une machine ou un logiciel informatique. Toutefois, le medium est

nécessaire et si la question doit être, j’utilise un synthétiseur modulaire, un

générateur de fréquence des années 70, un laptop, des morceaux de bois, des

boîtes à rythmes, des micros, une table de mixage, des bandes magnétiques selon

ce que je veux jouer. En fait je me sers de tout ce qui peut être utile. Lorsque je

commence à composer, les synthés modulaires et des logiciels de traitement du son

servent d'outils pour traduire ce qui se passe dans cerveau à un moment donné.

Quelle place à la technologie dans votre travail de manière plus générale ?

S. R. : J'aime l'idée de mélanger différentes techniques, que le spectateur ne

connaissent pas l’origine de ce qui est vu. Les outils technologiques peuvent donc

rendre la performance plus immersive. Pour ce projet j’ai par exemple mélangé des

techniques d’animation photographique, des animations 3D de base, des rendus des

signaux vidéo et électroniques…

J. O-L : Je trouve que dans la musique électronique ou l'art électronique, tout est trop

vite perçu comme dépassé puisque les références techniques sont souvent faciles à

remarquer, beaucoup de choses qui sont faites aujourd’hui qui me paraissent

ennuyeuses, répétitives ou tout simplement « hype ». Dans le sens où nous

avançons technologiquement à une vitesse incroyable. Il me semble que beaucoup

d'entre nous ont oublié que l'idée est d'aller de l'avant et pas seulement en

développant des outils, mais en poursuivant notre recherche artistique, en

développant notre connaissance pour aller plus loin. Trop de personnes produisant

des projets artistiques utilisent souvent des références banales, si clichées que vous

pouvez facilement dire « oh, ça vient de ceci ou de cela, à partir de cela. » C'est

beaucoup plus intéressant pour moi lorsque la référence est pointue ou encore

cachée, le public sent qu'ils a ressenti et saisi cette énergie de l’essence créatrice

mais son origine demeure ambiguë. J'essaie souvent d'installer la confusion ou de

l'incertitude chez le spectateur. C'est pourquoi à Elektra, j'ai jeté un prisme de quartz

sur scène au milieu de ma performance et à un autre moment (contre ma volonté), le

son s’est coupé progressivement au milieu d'une transition. Pour moi, ce qui est

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Cyriaque Blanchet | Performances audiovisuelles - « Du décloisonnement des arts à l’émergence de nouvelles formes artistiques dans le contexte spécifique de l’art numérique »

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intéressant dans la performance, c’est qu’elle ne soit jamais identique.

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mots-clés : performance audiovisuelle nouveaux media direct vj art numérique données son image vidéo

keywords : live new media performance vj art digital data sound image vidéo

Couverture : IKEDA Ryoji, NICOLAI Carsten, cyclo © photo : MARUO Ryuichi

résu

Les liens entre l’image et le son ont considérablement évolué avec les

technologies et l’apparition du numérique. Nous essaierons de définir la

performance audiovisuelle qui intègre des réalités esthétiques différentes dans le

contexte spécifique de l’art numérique, en terme de création, de réception et de

diffusion.

abst

ract

Links between sound and images has evolved together with the appearance of

numeric technologies. We try to define the term of live media performance which

integrates differents aesthetic realities in particular within the context of digital art,

in terms of creation, perception and diffusion.

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Cet engagement de non plagiat doit être inséré en première page de tous les rapports, dossiers, mémoires.

Je, soussigné (e) …………………………………………………………………………………………………………………………,

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document publiés sur toutes formes de support, y compris l’internet, constitue une violation

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BLANCHET Cyriaque

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